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Nous sommes tous Franquin!

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Alors que la 51ème édition du Festival de la bande dessinée d’Angoulême ouvrira ses portes jeudi prochain, nous fêtons en janvier les 100 ans de la naissance d’André Franquin, le génial inventeur de Gaston


Parce que c’était lui, parce que c’était nous. Avant la panthéonisation de la BD, ses colloques et ses planches vendues aux enchères, ses galeristes et son marché lucratif, tous les enfants des années 1960, 1970 et 1980, fidèles abonnés de Spirou et de Tintin ou acheteurs occasionnels, qui souvent, pour la première fois de leur vie, ouvraient la porte d’une librairie ou d’une maison de la presse, avons senti le choc.

Quand le talent saute aux yeux

« Un souffle barbare », « un remous hard-rock » comme le chantait Claude Nougaro. Nous savions intimement que cet art populaire pétri de gags et de héros bondissants serait notre nouvel eldorado. Comme dans d’autres domaines culturels, toujours en retard d’une bataille esthétique, la machine universitaire et les corps constitués ont mis du temps à reconnaître cette évidence et à sortir les albums du rayon « enfantillage ». Le talent sautait pourtant aux yeux, l’intelligence du trait explosait, la fantaisie masquait les idées sombres, ce monde en miniature, burlesque et d’une haute précision, était paradoxalement plus grand que nous. Nous avons succombé à la franco-belge, plus précisément à l’école de Marcinelle chère à l’éditeur Charles Dupuis. Au-delà de la nostalgie de nos années d’apprentissage se dégage une émotion particulière à la lecture de nos premiers albums cartonnés. Quelque chose de familial, de secret, de personnel et merveilleux dans le processus de création, sans les mots pour l’expliquer bien évidemment, ni des théories fumeuses à l’appui, nous avions perçu l’allure générale, la variété, la noirceur, la rébellion intérieure, le rire effronté, la beauté des décors, le rythme et l’inestimable élan communicatif qui caractérisent l’univers d’André Franquin (1924 – 1997).

A lire aussi, du même auteur: Astérix, Corto, Gaston, Alix, Clifton, Blake et Mortimer: les «nouveaux» héros du Livre!

Idées noires

Avec Hergé et Disney, il faisait assurément partie du tiercé gagnant du 9ème art. Son empreinte est immense, et elle continue d’inspirer. Chez ses anciens confrères ou les nouvelles générations d’auteurs, on s’incline devant ce génie doté d’un crayon virtuose et d’un esprit funambule. Franquin, le dépressif productif, l’angoissé inventif, le perfectionniste qui riait bruyamment, avait improvisé le Marsupilami en un après-midi, loin de sa Palombie natale. Reprenant la série Spirou après Jijé, c’est lui qui a aéré les cases, brisé la ligne claire, laissant passer un vent de folie et de modernité, un ton humoristique à mi-chemin entre le réalisme et la pochade. Champignac et Zantafio lui disent encore merci. Les légendes de ce métier que l’on expose aujourd’hui dans les musées ont été honorées de travailler à ses côtés. Morris avec son inamovible nœud papillon, aussi célèbre que le foulard rouge de Lucky Luke affirmait que son compagnonnage avec Franquin équivalait à 20 ans d’Académie. Roba, le papa de « Boule et Bill » le comparait à Dürer, le dessinateur et graveur de la Renaissance. Même Hergé, chiche en compliments, admirait sa maestria. Après une brouille avec l’empire Dupuis, Franquin quitta très momentanément la banlieue de Charleroi pour « vendre » sa série « Modeste et Pompon » chez le concurrent Tintin, à Bruxelles. Puis, il revint à la maison qui était tenue alors par le rédacteur en chef, le barbu Yvan Delporte, véritable tête pensante de Spirou.

Le phénomène Gaston

Un jour de février 1957, un type tout mou apparut dans les colonnes. Il portait lui aussi un nœud papillon. Qui c’est celui-là ? Aucune explication. Aucun indice. La semaine suivante, le même bonhomme se présentait toujours à la porte de la rédaction, cette fois-ci, le col ouvert. Et le 14 mars, carrément décontracté en col roulé et fumant sa cigarette. Un héros sans-emploi, un héros de trop selon la formule consacrée, un bricoleur empêché, un collègue de bureau envahissant. C’est Fantasio qui lâcha le morceau et s’inquiéta le premier d’un tel perturbateur dans un court texte devenu prophétique : « Attention ! Depuis quelques semaines, un personnage bizarre erre dans les pages du journal. Nous ignorons tout de lui. Nous savons simplement qu’il s’appelle Gaston. Tenez-le à l’œil ! Il m’a l’air d’un drôle de type ! ». Gaston précéda les « Idées noires » de 1977 où Franquin cherchait « à être plus rosse, plus corsé ». Cet artiste majeur du XXème siècle ne fut jamais bête et encore moins méchant. 

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Le grand capital contre les juifs

La complaisance qui entoure les manifestations antisémites sur les campus américains s’explique par un mot : l’argent ! Abreuvées de subventions venant de pays arabes, les universités ferment les yeux sur le militantisme de leurs étudiants. Et des philanthropes tels que Soros et les Rockefeller financent aussi bien le Parti démocrate que des lobbys « propalestiniens ».


Aux États-Unis, au cours des trois derniers mois, les campus universitaires et certaines institutions gouvernementales ont été le théâtre de nombreuses manifestations propalestiniennes accompagnées d’incitations à la haine, voire au génocide. Les actes d’agression et de vandalisme antisémites se sont multipliés dans les grandes villes. Et pour couronner le tout, le 5 décembre, les présidentes de trois des universités les plus prestigieuses, appelées àjustifier devant le Congrès la tolérance apparente accordée à l’antisémitisme par leurs institutions, n’ont pu donner que des réponses évasives. Comment expliquer une telle dérive dans une démocratie occidentale ? La clé de l’énigme réside moins dansla puissance des idées que dans celle de l’argent. Car l’argent séduit les instances dirigeantes, comme il finance les activités des militants. Si les autorités ont souvent tardé à sanctionner leurs étudiants qui célébraient ouvertement les atrocités du Hamas, ce n’est pas sans lien avec les sommes faramineuses dont des pays arabes, le Qatar en tête, abreuvent les universités américaines depuis des années[1]. En revanche, toutes les actions prétendument antisionistes ont été organisées par des ONG qui, elles, sont arrosées par les dollars du grand capital philanthropique américain[2].

Un système financier complexe

L’argent qui finance ces ONG transite par un système complexe et opaque qui sert aussi à subventionner les ambitions électorales du Parti démocrate, ainsi que toutes les causes intersectionnelles à la mode. Le capital provient souvent des grands philanthropes de la gauche, comme le Rockefeller Brothers Fund ou les Open Society Foundations de George Soros. Mais les sommes circulent à travers d’autres organismes sans but lucratif qui jouent le rôle de « sponsor fiscal », apportant aux ONG bénéficiaires des avantages fiscaux et la possibilité de cacher l’identité de leurs donateurs.

A lire aussi, Barbara Lefèbvre: Viols du 7 octobre: féministes, où êtes-vous?

Il existe deux grands spécialistes de ce qu’on appelle le « dark money » ou « argent anonyme ». Le groupe Tides, créé en 1976, gère deux fonds et une entreprise de lobbying. Il reçoit des sommes importantes des Rockfeller Brothers, mais surtout de Soros qui, entre 2020 et 2022, lui a donné presque 42 millions de dollars. Confirmant qu’on peut être capitaliste et très à gauche, Pierre Omidyar, le fondateur d’eBay, et Peter Buffett, fils de Warren, y ont également contribué. Arabella Advisors, créée en 2005 par Eric Kessler, un ancien de l’administration Clinton, gère cinq fonds différents. Entre 2020 et 2022, Soros lui a donné plus de 60 millions. En 2022, le groupe a levé 1,35 milliard de dollars.

Tout cet argent sert, entre autres choses, à irriguer un réseau dense d’organismes antisionistes dans les milieux universitaires et militants. Depuis 2005, un mouvement informel, Boycott, Divestment and Sanctions (BDS), dirigé par un Palestinian BDS National Committee composé de Palestiniens, inspire des actions pour appeler les universités américaines à boycotter Israël et à désinvestir dans les entreprises commerçant avec lui. Ces appels ont surtout pour objectif de maintenir la question palestinienne sur le devant de la scène. Sous l’égide du comité BDS – qui a été déclaré antisémite par le Parlement allemand en 2019 – des « Israeli Apartheid Weeks » sont organisées chaque année sur les campus pour dénoncer le sionisme. Le mouvement jouit du concours des plus de 200 branches de Students for Justice in Palestine (SJP) aux États-Unis et au Canada. Ce réseau s’est doté en 2010 d’un comité national dont le financement est facilité par un sponsor fiscal, la WESPAC Foundation. SJP a été interdit dans l’état de Floride en octobre 2023 et suspendu par l’université George Washington en novembre. L’organisme est aidé aussi par American Muslims for Palestine(AMP), fondé en 2006 par un des cofondateurs de SJP, Hatem Al-Bazian, professeur américano-palestinien à Berkeley. Une organisation sœur, Americans for Justice in Palestine, joue le rôle de sponsor fiscal et ses revenus en 2022 étaient de plus d’un million et demi de dollars. Les deux entités sont l’objet d’un procès concernant un adolescent tué par le Hamas qu’elles sont accusées d’avoir soutenu.

A relire, du même auteur: Les pogromistes des campus américains

Une liste sans fin

Une autre ONG, Samidoun, créée en 2011 au Canada afin de mener campagne pour la libération des prisonniers palestiniens en Israël, est accusée d’être une couverture pour le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP). Elle a été déclarée organisation terroriste en Israël en 2012 et interdite en Allemagne en octobre 2023. Son sponsor fiscal est Alliance for Global Justice (AGJ), un fonds alimenté par Tides et à qui Soros a donné 250 000 dollars en 2020. Ses revenus en 2020-2021 s’élevaient à plus de 56 millions de dollars. En plus de faire l’éloge des régimes de gauche autoritaires, AGJ est accusée de lever des fonds pour le collectif Palestine vaincra, l’organisme français à qui on reproche sa proximité avec le FPLP et que Gérald Darmanin a essayé en vain de dissoudre en 2022. En 2023, ArabellaAdvisors a judicieusement coupé ses liens avec AGJ. Deux groupes de juifs antisionistes, Jewish Voice for Peace (JVP), fondée en 1996, et If Not Now, né en 2014, ont reçu des sommes importantes des Rockefeller et de Soros, et If Not Now de la part de Tideset d’Arabella Advisors. Cette liste pourrait se prolonger de manière fastidieuse. Pour boucler la boucle, terminons par l’exemple de l’US Campaign for PalestinianRights, une coalition d’ONG placée sous la houlette d’un autre organisme, Education for a Just Peace in the Middle East. Ce dernier, qui a profité de la générosité des Rockefeller, est accusé de soutenir indirectement le Hamas. Elle est le sponsor fiscal du Palestinian BDS National Committee. Selon le fantasme traditionnel, les juifs exploitent le capital pour manipuler le monde. Ici, les judéophobes l’exploitent à des fins antisémites. On pourrait dire que les juifs sont les victimes des protocoles des « sages antisionistes ».


[1]. Armin Rosen, « What Yale Has in Common with Hamas », Tablet Magazine, 29 nov. 2023 ; Bari Weiss, « Is Campus Rage Fueled by Middle Eastern Money? », The Free Press, 12 déc. 2023.

[2]. Sources : les sites du Rockefeller Brothers Fund et des Open Society Foundations, InfluenceWatch, ProPublica, The Washington Beacon, The Washington Examiner.

Macron, ce faussaire malhabile

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Mardi, Emmanuel Macron a affirmé avoir vu dans les émeutiers de juillet 2023 des jeunes qui s’ennuyaient – rien de plus. Dès lors, il est impossible de le croire quand il dit vouloir se battre « pour que la France reste la France ».


Des mots, des amas de mots : Emmanuel Macron n’a su s’extraire de son travers verbeux, mardi soir, à l’issue de plus de deux heures de conférence de presse. Rien n’a justifié que le chef de l’État empressé s’invite, à 20h15, dans les foyers via six chaînes de télévision. La jactance présidentielle n’a fait que caricaturer davantage celui qui a affirmé : « J’assume de continuer à présider le réel ». Au contraire, Macron ne maîtrise plus le contrôle de la réalité. Il croyait pouvoir la domestiquer avec son approche orwellienne de la « double pensée », ce « en même temps » autorisant tout et son contraire. L’exemple le plus significatif de la décrédibilisation du récit officiel a été de l’entendre, sur les émeutes urbaines de juillet dernier, rejeter tout lien avec l’immigration au prétexte que les jeunes insurgés, très majoritairement issus du Maghreb, « étaient de nationalité française, pour la quasi-totalité nés en France ». Pour le président, ces casseurs, qui criaient souvent « Allah Akbar ! », n’auraient été motivés que parce qu’ils « s’ennuyaient ». Macron s’est également félicité de l’efficacité de l’Union européenne, notamment dans sa promotion des vaccins anti-Covid dont il persiste à vanter l’efficacité en dépit de leurs protections médiocres et de leurs effets secondaires importants. C’est ce même président indifférent aux faits qui s’est inquiété sans vergogne de la survenue d’une « génération de complotistes » formés par les réseaux sociaux à avoir « un rapport faussé à la vérité ». Comment, dans ces conditions, croire en la sincérité de Macron quand il dit vouloir se battre « pour que la France reste la France », en s’appropriant au passage les mots d’Éric Zemmour et d’Eric Ciotti ?

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Macron est un faussaire de plus en plus malhabile : il ne survit que par son aisance dans le verbe et une propagande qui contourne le réel. Parmi les maigres annonces de mardi soir, celle d’une obligation à suivre des cours de théâtre au collège marque l’empreinte d’un président qui excelle dans la mise en scène et le jeu de rôle. Mais sa déconnection des gens ordinaires lui fait répéter les mêmes erreurs sur la meilleure manière de contrer le RN, qu’il nomme « Front national ». Ce n’est pas seulement en luttant « contre l’immigration clandestine » que Macron peut espérer faire reculer Marine Le Pen. Celle-ci est portée par le sentiment d’abandon qu’éprouvent des Français face à une immigration légale qui bouscule les fragiles équilibres sociologiques et culturels.

A relire: Immigration et démographie urbaine: les cartes à peine croyables de France Stratégie

Le « grand effacement » est un risque que Macron a évoqué à propos de la place de l’Europe dans les bouleversements géopolitiques. « Il ne s’agit pas de notre pays », a-t-il même précisé. Or c’est justement cette perspective d’une dilution de la France qui devrait mobiliser ses inquiétudes. La chute de la natalité (moins 6,6% en 2023) conjuguée à la forte et féconde immigration musulmane sont autant de facteurs pouvant laisser craindre, avant la fin de ce siècle, en de profonds changements civilisationnels.

En réponse, Macron a promis « un plan de lutte contre l’infertilité ». En rire, ou en pleurer ?

Le réquisitoire aussi précis que prémonitoire d’Allan Bloom

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L’Histoire ne repasse pas les plats. L’adage populaire exprime de façon imagée, et non sans raison, une vérité incontestable jamais prise en défaut : les événements historiques ne se reproduisent jamais à l’identique. En revanche, il arrive que l’Histoire bégaie.

Flux et reflux

Ainsi, les courants révolutionnaires ou contestataires qui ont secoué l’Europe dans les années 50-60, ont-ils traversé l’Atlantique et mûri sur les campus universitaires, singulièrement en Californie. Quelques années plus tard, empruntant le chemin inverse, ils ont reflué sur l’Europe et ce fut, chez nous, la déferlante de mai 68. Semblable phénomène est en train de se produire sous nos yeux. Né aux États-Unis il y a quelques années, le wokisme s’applique à déconstruire, en maints domaines, notre civilisation. À cette différence près que l’explosion que nous avons connue en 1968 a laissé place à une pression larvée beaucoup plus sournoise. Larvata prodit, comme eût pu écrire Descartes : la déconstruction s’avance masquée.

Toutefois, tout discours sur la décadence ne saurait être interprété que comme un combat nécessaire, si douloureux soit-il, à une remontée. Cette analyse ne date pas d’hier. Il y eut, bien avant notre époque calamiteuse, des pessimistes lucides capables de tirer la sonnette d’alarme. Ainsi, dès les années 80, Alain Finkielkraut (La Défaite de la pensée, Gallimard) ou Bruno Lussato (Brouillon de culture, Robert Laffont). Parmi eux Allan Bloom (1930-1992). Ce professeur de sociologie à l’Université de Chicago, spécialiste de Platon et de Rousseau, publia en 1987 L’Âme désarmée (Julliard). C’est à travers son expérience d’universitaire qu’il analyse la crise intellectuelle, morale, sociale et politique de l’Amérique du XXe siècle.

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Fait remarquable, il démontre comment la démocratie américaine a, sans en avoir une, accueilli et exacerbé les idées de nihilisme, de relativisme généralisé né sur le Vieux Continent.

La faillite de l’Université

Selon Bloom, sous  prétexte d’  « utilité » et de « scientificité », l’Université a failli à sa mission en cessant de fournir à la jeunesse les points de repère essentiels que seule peut offrir la connaissance de la tradition philosophique et littéraire. Une tradition désormais incompréhensible par des jeunes gens et jeunes filles ignorants du passé, coupés de tout enracinement religieux et politique, incapables d’avoir une quelconque vision de l’avenir, vivant dans un présent appauvri faute de référence à un absolu. Le portrait type de l’étudiant américain, aisément transposable ailleurs, est affligeant : une inculture qui confine au grandiose pour tout ce qui précède les Sixties, un sentiment égalitaire qui consiste à placer sur le même plan (presque) toutes les opinions, toutes les morales, toutes les cultures, en vertu d’une tolérance érigée en principe, et qui n’est rien d’autre qu’une universelle veulerie : un refus systématique de toutes les contraintes au nom d’une liberté qui aboutit, en fait, à la négation de toutes les identités, qu’elles soient d’ordre spirituel ou moral.

Bloom étudie le comportement de ses étudiants dans tous les domaines de la vie intellectuelle et affective. Ils ont perdu le goût de la pratique de la lecture et, par là, tout système de référence en commun avec leurs aînés. La musique rock leur procurant, comme la drogue, des extases prématurées, les infantilise en exaltant pour seuls thèmes lyriques « le sexe, la haine et une version hypocrite de l’amour fraternel ». Leur « gentillesse » envers les autres (passés les excès de violence des Sixties) ne repose pas sur une morale mais sur l’individualisme. Car ils sont incapables de grands sentiments, et en particulier d’amour, tué par la libération sexuelle.

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Nulle complaisance dans cette analyse étayée d’anecdotes significatives. Nulle acrimonie non plus. Seulement une inquiétude face à la dérive d’une jeunesse désormais sans âme, inapte à apporter une réponse cohérente aux grandes interrogations, toute imprégnée qu’elle est des idées de « libération », de « créativité », d’indifférenciation (et d’indifférence) universelle.

Une analyse des plus fouillées

Comment en est-on venu là ? C’est dans l’analyse des causes de ce malaise que Bloom se montre particulièrement convaincant. La révolte étudiante des années soixante lui apparaît comme l’aboutissement d’un long processus. Il porte sur la contestation des valeurs, qui se fit jour tant sur les campus américains qu’en Europe, un regard critique assurément dépourvu d’aménité si on le compare à l’indulgence, voire à l’admiration nostalgique dont jouissent encore chez nous les anciens combattants de mai 68. Il montre surtout, par référence à l’ensemble des courants intellectuels de notre temps, comment les États-Unis, héritiers de l’Universalisme des Lumières, ont ainsi emprunté à l’Europe les ferments de désagrégation de cet universalisme. La lente montée du nihilisme au travers de ce qu’il appelle « la filière allemande » (Nietzsche, Heidegger, Freud), culminant après la Seconde guerre mondiale, chez Max Weber et succédant à l’historicisme du siècle précédent, aboutit à des impasses : hypertrophie du moi, joliment définie comme « le substitut moderne de l’âme » incohérences du courant écologiste, écartelé entre l’influence de Locke et celle de Rousseau, subversion de la notion de culture. Et Bloom de conclure : « Le vocabulaire du moi, de la culture et de la créativité résume assez bien les effets de la révolution inaugurée par Rousseau. Il exprime l’insatisfaction que les solutions scientifiques et politiques que la philosophie des lumières – ont suscitée ».

La responsabilité des universitaires n’est pas esquivée. Surtout celle des littéraires et des philosophes qui se sont laissé déposséder de leur domaine ou ont, une fois encore, sacrifié aux modes. Venues d’Europe.  Avec un bel optimisme que l’on aimerait partager, Bloom assure que la vogue des Derrida, Foucault et Barthes, qui submergea l’Amérique intellectuelle, « a déjà passé à Paris ». Voire… Et si c’était pour y faire un retour en force ? Quoi qu’il en soit, la richesse et la pénétration de cet essai le placent nettement au-dessus des analyses habituelles. On lui a parfois reproché son pessimisme et le caractère radical de son diagnostic. Sa lucidité peut, à l’inverse, apparaître comme porteuse d’espoir. C’est Raymond Abellio qui notait, dans Assomption de l’Europe (1978), que toute époque noire si caractéristique comme l’est la nôtre, d’une fin de cycle, portait en elle-même « une part de positivité ». Et il ajoutait : « Les semailles vont venir et les temps changent ». Puisse-t-il avoir dit vrai !

Allan Bloom, l’Âme désarmée. Essai sur le déclin de la culture générale. Préface de Saul Bellow , traduction Paul Alexandre. 332 p., Julliard (1987).

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Comment parler de la fille Garrido/Corbière?

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« Je suis antisémite et j’assume ». La fille de Raquel Garrido et d’Alexis Corbière a été placée en garde à vue pour apologie du terrorisme. Le comble, c’est que ses parents s’étaient plutôt éloignés des positions les plus islamo-gauchistes de la France Insoumise. Zola, reviens !


Inès, âgée de 21 ans, fille des députés de la France insoumise Alexis Corbière et Raquel Garrido, est visée par une enquête pour « apologie du terrorisme et provocation publique et directe non suivie d’effet de commettre des atteintes volontaires à la vie. » En octobre dernier, après l’attaque terroriste du Hamas contre Israël, un compte qui diffusait des messages à caractère antisémite (ils furent hélas légion) a été repéré sur le réseau social X.

Aller casser du sioniste

Sous un article consacré à la prise en otage d’une famille israélienne, raflée sauvagement au sein même de son foyer par les terroristes du Hamas, ce compte répondant au nom de « Babynesou » commentait : « Alors je n’ai peut-être pas d’âme mais ils me font pas du tout de peine, je les trouve plutôt chiants, surtout les gosses. » À l’annonce de la marche parisienne organisée en solidarité avec Israël, « Babynesou » écrivait encore : « Qui se chauffe pour aller casser du sioniste là ? » Ces publications odieuses ont été relayées et dénoncées par le militant Damien Rieu qui a désigné comme l’utilisatrice du compte, photos à l’appui, Inès Corbière, inconnue jusqu’alors des services de police. Dans la foulée, des associations anti-discrimination, dont l’Organisation juive européenne (OJE), ont déposé plainte contre X pour « apologie du terrorisme », réclamant l’identification formelle de cette internaute ainsi que des poursuites judiciaires. Quelques semaines plus tard, le 14 novembre, c’est une vidéo maintes fois relayée sur les réseaux sociaux qui a jeté un nouveau trouble. On y voyait une jeune femme, face caméra, vociférant : « Je suis antisémite, je m’en bats les couilles. J’assume ! » Interpellée au domicile familial, mardi 16 janvier, après perquisition de celui-ci, et placée en garde à vue dans les locaux de la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP), Inès Corbière est ressortie libre, mercredi, sans poursuite judiciaire. « À ce stade, les investigations se poursuivent » a simplement commenté le parquet de Paris. Une enquête préliminaire a été ouverte.

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Jeudi 18 janvier, Raquel Garrido et Alexis Corbière sont sortis du silence via un communiqué. Il convient de souligner la pudeur et la sobriété de celui-ci : « Nous voulons tout d’abord exprimer avec émotion notre compréhension et affection auprès de toutes les personnes choquées à la lecture ou à l’écoute des propos ou expressions qui sont diffusées dans cette affaire », assurent-ils en préambule. S’ils déplorent ensuite que l’enquête, pourtant soumise au secret, n’ait pas été protégée, ils n’en affirment pas moins devoir, parce que « personnalités politiques de premier plan », « des obligations de rendu de compte. » S’ils réclament que la vie privée comme l’intégrité physique et morale de leurs enfants soient préservées, les députés sont aussi très clairs : « (…) Elle (Inès), doit répondre des expressions qui lui ont été imputées par M. Rieu, comme tout justiciable devant la justice. Elle ne jouit à cet égard, d’aucun privilège ni passe-droit. Nous respectons la procédure en cours. » Ils assurent également : « L’apologie du terrorisme, à savoir l’expression d’un jugement favorable au terrorisme, est un délit qui, tout comme la provocation à la commission d’un délit et l’expression de l’antisémitisme doivent être poursuivis conformément à la loi. » Confronté à « une épreuve familiale et parentale », le couple accepte enfin « sans sourciller » le procès public devant « le tribunal des parents. »

Joie mauvaise

Ceux qui seraient tentés, face au malheur qui frappe des adversaires politiques, de céder à une joie mauvaise, celle que les Allemands nomment Schadenfreude, doivent garder en tête que nos enfants se dévoient parfois, malgré l’éducation donnée et l’amour reçu. Il serait par conséquent très prétentieux de se croire à l’abri de ce genre d’infortune. Au-delà de ces considérations, nécessaires, il convient de réfléchir. Tout en sachant que Raquel Garrido, Alexis Corbière, et François Ruffin, ont condamné sans équivoque les exactions et les pogroms perpétrés par le Hamas, il serait bon que la dérive supposée d’Inès Corbière incite à s’interroger collectivement quant à l’influence de certains discours de LFI sur la montée d’un nouvel antisémitisme. Il n’est pas une journée, en effet, sans que les Insoumis n’alimentent la haine de leur électorat contre Israël. Ainsi, Jean-Luc Mélenchon vient de déclarer sur X, à propos de la guerre en Israël : « Un génocide n’est pas « une réponse disproportionnée ». C’est un crime contre l’humanité, point final. » Toujours sur X, Ersilia Soudais s’est aussi exprimée récemment : « Meyer Habib qui demande tranquillou de laisser les Israéliens massacrer les Palestiniens. On le laisse déverser sa haine jusqu’à quand ? »

A lire aussi: Ersilia Soudais, le rire aux éclats

J’ai une pensée triste pour Zola qui écrivit sa Lettre à la jeunesse, en 1897, avant J’accuse : « Des jeunes gens antisémites, ça existe donc, cela ? Il y a donc des cerveaux neufs, des âmes neuves, que cet imbécile poison a déjà déséquilibrés ? Quelle tristesse, quelle inquiétude, pour le vingtième siècle qui va s’ouvrir ! Cent ans après la déclaration des Droits de l’Homme, cent ans après l’acte suprême de tolérance et d’émancipation, on en revient aux guerres de religion, au plus odieux et au plus sot des fanatismes ! » Que penserait-il donc de la faillite du XXIème siècle ; de cet antisémitisme d’un nouveau genre qui prospère et qu’une certaine classe politique cultive ?

Rachida Dati: le gauchisme culturel a de beaux restes

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Elisabeth Lévy revient sur l’arrivée surprise de Rachida Dati au ministère de la Culture – un choix que la plupart des commentateurs nous ont présenté comme follement « disruptif ».


J’ai toujours eu un faible pour Rachida Dati, son côté ambitieuse intrigante, sa façon de porter la haute-couture française; son combat de chipies avec Hidalgo m’amuse. Mais la passation de pouvoir donnait l’impression que Rachida Abdul-Malak cédait la place à Rima Dati, ou le contraire. Et pas seulement parce qu’elles se sont donné du « chère Rachida »/ « chère Rima ». Toutes deux jouaient du violon sur le thème je suis une femme issue de la diversité. Comme si ça leur conférait une once de plus-value !

Chère Rima, chère Delphine, chère Sibyle…

« Vous l’avez dit, madame la Ministre, chère Rima, nous avons cela en commun : la liberté de penser – notamment pour les femmes, une liberté de parler – notamment pour les femmes, une liberté de créer – notamment pour les femmes… Nous avons aussi en commun  d’incarner la diversité culturelle qui fait la force de notre pays », a déclaré Rachida Dati, en arrivant rue de Valois, vendredi 12 janvier. Citons aussi les propos lunaires de Rima Abdul-Malak, tenus sous le regard énamouré des patronnes de l’audiovisuel public Delphine Ernotte et Sibyle Veil. Face à « la désinformation, à la simplification trop fréquente de la pensée» (suivez mon regard), elle a salué le service public de l’audiovisuel dont « les équipes travaillent avec rigueur, en toute indépendance ». La bonne blague ! Rima Abdul-Malak aura méconnu jusqu’au bout le sens de sa fonction : garantir le pluralisme des médias, et pas le piétiner avec sa croisade personnelle contre les chaînes Bolloré.

A lire aussi, Gabriel Robin: Emmanuel Macron: quand la forme prend le pas sur le fond

Or, en public, Rachida Dati professe la même admiration pour le service public. Elle avait notamment déclaré que France Inter fait partie du parcours républicain des Français.

Vous allez me reprocher d’avoir un dossier un peu léger

Pas tant que ça. En réalité, cette passation des pouvoirs témoigne d’une soumission idéologique au gauchisme culturel. Rachida Dati n’y croit même pas, elle ne veut pas être tricarde sur France Inter. De même, quand elle arbore son statut de femme et de maghrébine, elle cède à l’air du temps multiculti au lieu de défendre l’universalisme.

Pour ses premiers pas à la Culture, elle aurait pu affirmer que la culture n’est pas la propriété de la gauche, rappeler que le ministre n’est pas là pour diffuser la propagande progressiste, ni pour distribuer des bons ou mauvais points aux médias, ni pour promouvoir une culture mondialisée, mais pour permettre aux Français d’accéder à leur héritage commun.

Après Rima Abdul-Malak dont les initiatives s’appelaient « La relève » ou « Nouveau monde » (tout un programme !), on attendait que Rachida Dati assume une vision conservatrice de la culture orientée vers la préservation de l’héritage. Ce n’est pas en disant ce que Le Monde et la presse de gauche veulent entendre qu’elle fera mentir ceux qui la voient simplement comme une traîtresse de droite.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez notre directrice de la rédaction dans la matinale de Patrick Roger, du lundi au jeudi après le journal de 8 heures.

Merci à Stanislas !

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Une tribune libre de Jean-Robert Pitte, ancien président de l’Université Paris-Sorbonne, Membre de l’Institut


Je suis attristé de la haineuse campagne orchestrée par une partie de la gauche parlementaire et par Anne Hidalgo et sa majorité à la Mairie de Paris contre le collège Stanislas et, avec lui, tout l’enseignement privé sous contrat que l’on n’ose plus appeler « libre ». J’ai en effet préparé mon baccalauréat dans cet établissement en 1965-66 et, 58 ans après, je voudrais dire que cette année a été la plus enrichissante de toute ma scolarité. Pardon de vous raconter ma vie, mais je dois vous conter pourquoi j’ai atterri à Stan l’année de mes 16 ans, à plus d’une heure de bus et de métro de chez moi.

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Mes parents étaient de modestes employés de bureau[1] vivant chichement avec leurs trois fils dans un petit appartement d’une banlieue sans luxe et sans joie, dans ce département que l’on appelle aujourd’hui le 9-3 : le Pré-Saint-Gervais qui n’était pas encore bobo et dont le ciel était alors obscurci toute l’année par la fumée des usines. Pas de salle de bains, pas de télévision, le premier frigo en 1960, pas de voiture, pas de maison de campagne, mais des vacances dans des « maisons familiales » ou des gîtes : voici le décor de mon enfance. Mon père était né en 1906 au Havre. Il avait été abandonné par son père et ma grand-mère disposait de revenus très aléatoires, si bien que son fils n’avait fréquenté l’école des Frères que pendant les quatre années de la Première Guerre mondiale. Ses maîtres étaient hors d’âge, car tous les jeunes frères étaient mobilisés. Il avait dû travailler comme livreur à partir de l’âge de 12 ans. Néanmoins, il écrivait sans une faute d’orthographe et a passé sa vie à composer des poésies qui se lisent encore avec bonheur. Ma mère, née au Pré-Saint-Gervais en 1909, avait perdu son père à la guerre et avait été scolarisée chez les Sœurs du Saint-Esprit jusqu’au certificat d’études. Même bilan : pas une faute d’orthographe, une écriture calligraphiée, les fables de La Fontaine récitées par cœur des décennies plus tard…  À 14 ans, elle entrait comme employée aux écritures dans une usine. Fervents catholiques, mes parents s’étaient connus au patronage de la paroisse, un vrai lieu de brassage social dans cette petite ville ouvrière et socialiste où les talas n’étaient pas bien vus et avaient peu de chances de bénéficier d’un logement social, dans l’une de ces confortables HBM qu’Henri Sellier avait construites sur les pentes menant aux fortifs et à Paris.

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Parce que l’anticléricalisme était virulent dans notre ville, singulièrement dans les écoles laïques, nos parents nous mirent au jardin d’enfants chez les Sœurs où nous apprîmes à lire dès 6 ans. Ensuite, ils nous inscrivirent à Saint-Joseph de Pantin, un établissement tenu par la congrégation des Frères des Écoles chrétiennes. Ceux-ci étaient encore majoritaires dans le corps enseignant. Originaires des campagnes catholiques de la France profonde, dont ils avaient conservé les accents, habillés en soutane avec rabat, ils nous menaient à la baguette – ce n’est pas une clause de style ! – ce qui leur vaudrait aujourd’hui mise en examen et nous inculquaient sans indulgence les bases du savoir et les principes religieux et moraux de notre Sainte Mère l’Église. L’école était mal chauffée et un peu délabrée, nous devions marcher une demi-heure pour nous y rendre par tous les temps et je me souviens des longs hivers neigeux et de la pollution qui régnait dans cette noire banlieue. Il y avait encore dans ces années d’après-guerre de nombreux catholiques d’origine modeste et le brassage social était une réalité dans notre école comme dans tous les établissements catholiques des quartiers populaires, puisque les enfants des bourgeois catholiques y étaient aussi inscrits. En ce qui me concerne, brevet des collèges en poche, comme 100% des élèves de Saint-Joseph, j’avais conservé l’année d’avance acquise chez les sœurs, et les Frères incitèrent mes parents à me faire poursuivre des études générales plutôt que d’accéder à ma demande de devenir cuisinier. Ils obtinrent pour moi une place en classe de seconde à La Rochefoucauld, une école réputée, tenue par la même congrégation, mais située dans le très chic 7e arrondissement. Nous étions une petite cohorte d’élèves à venir de Seine-Saint-Denis et représentions déjà l’effort de brassage social qu’accomplissaient les établissements catholiques à cette époque. Les deux heures quotidiennes de transports en commun m’ont permis de dévorer un grand nombre de romans classiques (Alexandre Dumas, Jules Verne, Pierre Benoît, Balzac, etc.), alors qu’il n’y avait aucun livre chez mes parents.

La Rochefoucauld ne préparait que les bacs scientifiques et mon niveau en maths était affligeant. Aussi proposèrent-ils à mes parents de m’envoyer en Terminale Philo à Stanislas. J’ai le souvenir d’un entretien préalable entre le Père directeur et ma mère, en ma présence, dans un immense bureau. Nous étions dans nos petits souliers. Je fus accepté et commença pour moi une année passionnante. Un souvenir : au mois de juin, je reçus une liste de livres à lire pendant les vacances. Je ne l’ai pas conservée, mais je me souviens de deux livres lus en cet été 1965, alors que j’avais 16 ans : Le Banquet de Platon et le pamphlet anti-Barthes de Raymond Picard intitulé Nouvelle critique, nouvelle imposture. Je les ai conservés, tant ces livres détonnaient par rapport à ma mince culture et encore plus à celle de mes parents. L’année me passionna. La pédagogie était beaucoup plus libérale que chez les Frères et j’acquis un début de sens critique et de liberté de penser qui m’a rendu de grands services ensuite. Les professeurs de philo et de français étaient très forts et très pédagogues. Les cours de religion étaient alors obligatoires, mais je faisais partie de ceux qui s’y intéressaient, même si mes convictions religieuses étaient tièdes. J’étais loin de cartonner dans mes résultats, mais j’obtins mon bac de justesse avec un 14 à l’écrit de philo.

En arrivant à la Sorbonne en octobre 1966 pour commencer des études de géographie, bien que l’un des benjamins de ma promotion, je m’aperçus très vite que j’étais à ma place et que j’avais un bon niveau d’expression écrite, résultat de l’exigence des bonnes sœurs, des bons frères et des bons pères qui m’avaient instruit. À la Faculté des Lettres, la plupart des maîtres et de leurs assistants étaient très marqués à gauche et l’Institut de Géographie de Paris était un bastion du Parti communiste. Mon année à Stanislas me permis de relativiser leurs certitudes sur l’URSS et le sous-développement et, en 1968, j’entrai en résistance contre les fadaises du moment. Pur produit de la méritocratie, premier de ma famille à passer le baccalauréat et à entrer à l’université, je ne supportai pas que mes copains, souvent d’origine plus bourgeoise, fassent grève, occupent les amphithéâtres et grimpent sur les barricades comme des enfants gâtés cassant leurs jouets. Je n’ai jamais plus varié dans ces convictions. L’effort, la rigueur sont les seuls instruments de la promotion sociale et je suis fier que mon parcours illustre cette évidence. Sans les bonnes écoles où j’ai étudié depuis la maternelle, nul doute que je n’aurais pas poursuivi mes études et ne serais pas devenu professeur d’université. Mes parents ne regrettèrent pas les efforts financiers qu’ils avaient faits pour que je parvienne à ce résultat. Je n’en tire nulle gloire, mais je leur exprime ma reconnaissance infinie, ainsi qu’aux nombreux maîtres qui m’ont instruit, avec des méthodes parfois maladroites, mais toujours exigeantes.

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Il y a quelques années, le directeur du Collège Stanislas ayant repéré que j’étais un ancien de la maison m’a demandé de venir donner une conférence aux élèves de Terminales. Je suis donc revenu un demi-siècle plus tard dans l’établissement où j’avais préparé le bac. J’ai admiré la motivation des élèves – plus grande que de mon temps- , des professeurs et de l’encadrement de cette maison. J’ai appris qu’elle accueillait toujours des élèves de Seine-Saint-Denis, en particulier musulmans et, pour un certain nombre, gratuitement. Le directeur me raconta qu’une mère voilée était venue le voir en lui disant : « Mon aîné est transformé depuis qu’il est chez vous. Ne pourriez-vous prendre aussi son petit frère ? » En me raccompagnant à la grille du collège à l’heure d’une récréation, il aperçut un élève portant un survêtement à capuche, interdit par le règlement. Un petit coup de sifflet et l’objet du délit fut aussitôt confisqué sans que l’élève fautif ne récrimine.

Que l’on fiche donc la paix à Stanislas et aux établissements d’enseignement privé sous contrat. Ce sont des laboratoires de ce que devrait être toute l’École en France promouvant les valeurs civilisées que sont le travail, l’encadrement intellectuel et affectif individualisé des élèves en lien étroit avec leurs parents, la liberté de penser, l’implication de tous les enseignants dans le projet de l’établissement. Que le message du christianisme inspire beaucoup d’entre eux n’a rien de répréhensible, bien au contraire, d’autant que les enseignements religieux n’y sont plus obligatoires désormais. Malgré cela, des élèves non baptisés et de familles agnostiques, juives ou musulmanes les suivent par curiosité et s’en portent très bien. Il n’y a rien de choquant à ce que, pendant ces heures, on y explique les principes théologiques et moraux qui sont exposés dans le catéchisme de l’Église. C’est le contraire qui serait anormal. La laïcité laïcarde est une absurdité et une petitesse d’esprit hélas trop répandue en France. Que ceux qui en doutent se plongent dans la biographie des pionniers de l’enseignement libre destiné aux pauvres : saint Jean-Baptiste de La Salle ou saint Jean Bosco.


[1] Jean-Robert Pitte, Une famille d’Europe, Paris, Fayard, 2011.

Et si c’était le talent que la gauche reprochait à Sylvain Tesson?

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Considérant que l’écrivain à succès Sylvain Tesson est une «icône réactionnaire», des centaines de « poétesses, poètes, éditrices et éditeurs, libraires » pétitionnent contre sa nomination comme parrain du Printemps des poètes 2024. On guettera avec gourmandise la réaction de Rachida Dati.


Six cents personnalités du monde de la culture, pour la plupart inconnues, y compris pour les gens ayant un attrait pour les arts et la littérature, viennent de signer une tribune dans Libération – forcément – afin de s’opposer au parrainage du Printemps des poètes par Sylvain Tesson1. Le tort de l’un des écrivains les plus talentueux de sa génération ? Banaliser l’extrême droite ! 

Mauvaises fréquentations

L’auteur serait donc un réactionnaire, catalogué dans un pamphlet récent aux côtés de deux autres infréquentables, Michel Houellebecq et Yann Moix. Il eut le tort de préfacer une réédition du Camp des Saints2, ouvrage visionnaire du regretté Jean Raspail qui, en 1973, prophétisait le débarquement, sur les plages françaises, d’un million de miséreux. Il a beaucoup lu, des auteurs de droite et de gauche ; mais surtout, pour ses contempteurs, il cite Maurice Barrès. Il s’est même un jour rendu à La nouvelle librairie et a discouru sur Radio Courtoisie. N’en jetez plus, la coupe est pleine, débordant de ce que la gauche intolérante ne voudrait voir.

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Et si c’était, au bout du compte, le talent que les sectateurs woke lui reprochent ? La marche de Sylvain Tesson est guidée par le goût de l’aventure et du risque, la recherche du merveilleux là où il se dévoile encore et le penchant pour la solitude bercée par les soleils couchants. Sa plume est trempée dans les mers chaudes et froides du monde, les lacs qui dévoilent leurs mystères dans la brume et les fleuves qui serpentent quand ils ne font office de frontière. 

Avoir du talent ou pas

En amont de ses livres toujours attendus, l’épopée. La vraie, celle au cours de laquelle l’aventurier prend des risques en plantant son piolet dans la paroi, en affrontant la nature parfois hostile, en pénétrant dans des contrées où la neige finit par tout confondre. Sylvain Tesson eut la folie géniale de reproduire la retraite napoléonienne de Russie en… side-car, de s’isoler six mois dans les forêts que l’on devine inhospitalières de Sibérie, de vivre son Odyssée et de la raconter dans Un été avec Homère ou, plus modestement, d’arpenter les petits chemins noirs de la France. 

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Mieux, il est aussi bon orateur qu’écrivain (ce qui est rare !). Le compliment déplaira peut-être à l’homme de lettres qu’il est. Il suffit pourtant d’écouter disserter ce nomade fasciné par la sédimentation, ce sans domicile fixe ancrant chacun de ses pas dans la terre ferme, ce fieffé réactionnaire qui a pour fief la littérature, pour appréhender l’étendue de son éloquence. Le wokisme est un égalitarisme comme les autres, au nom duquel chaque tête qui dépasse doit être tranchée et chaque déviant enchaîné sur un lit de Procuste. Il est une affaire de meutes, forcément veules et lâches, souvent lancée à la poursuite de ceux que le génie isole. « Les hommes déprécient ce qu’ils ne peuvent comprendre », écrivait Goethe. Les adeptes de la cancel culture, munis des ciseaux d’Anastasie, n’ont pas compris que, plus encore que par l’imposition de leur moraline, leur action est dictée par leur incapacité à atteindre le talent des autres.


  1. https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/nous-refusons-que-sylvain-tesson-parraine-le-printemps-des-poetes-par-un-collectif-dont-baptiste-beaulieu-chloe-delaume-jean-damerique-20240118_RR6GMDTTHFFXNGLP7GG7DZ2ZFU/ ↩︎
  2. La tribune de Libération se trompe. Sylvain Tesson a écrit en réalité une préface à Là bas, au loin, si loin…, en 2015 (Bouquins Robert Laffont) NDLR ↩︎

La boîte du bouquiniste

Les bouquinistes virés des quais de Seine par la Ville de Paris ont trouvé refuge à Causeur. Jusqu’à la fin des JO, la rédaction vous ouvre leur boîte à vieux livres.


Georges Conchon (1925-1990) n’avait pas la tête de l’emploi. Ne vous fiez pas à son faux air de Philippe Castelli et à son emploi hautement symbolique de secrétaire des débats au Sénat. Ce fonctionnaire d’élite, proche de Michel Rocard, ancien condisciple de Giscard, ami de Jean Carmet et de Gérard Depardieu, aimait pointer la rapacité des hommes. Le système ne lui résistait pas, il le décortiquait et le dépeçait avec une voracité jouissive, qu’il s’attaque à la décolonisation ou à la dinguerie des marchés financiers, son réquisitoire drôle est toujours férocement d’actualité. Sous cette figure placide, vaguement ennuyeuse, la pipe inamovible, se cachaient un pamphlétaire rigolard, un écrivain révolté en costume trois-pièces et un habitué des listes des meilleures ventes. Conchon, aujourd’hui honteusement oublié, a été honoré tout au long de sa carrière. Dès 1956, il a reçu le prix Fénéon pour Les Honneurs de la guerre, puis, en 1960, le prix des Libraires pour La Corrida de la victoire, et il décrocha même le prix Goncourt en 1964 pour L’État sauvage.

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Il était invité à la table de Pivot le vendredi soir et les films adaptés ou non de ses romans connurent des succès au box-office. Il a notamment écrit Sept morts sur ordonnance pour Jacques Rouffio et La Victoire en chantant pour Jean-Jacques Annaud, Oscar du meilleur film étranger en 1977. Un an plus tard, en 1978, il s’intéresse à une « vieille » affaire de 1974 où 66 milliards se sont évaporés dans la nature. Pour tout le monde ? « Il en fut très peu parlé. Même dans Le Monde, dont ce serait pourtant assez le genre. Un moment on a pu croire qu’ils allaient lever un coin du voile, au Monde, mais ils l’ont vite lâché. Closed, tout de suite. Occulted ! » écrit-il au début de ce roman sobrement intitulé Le Sucre et illustré par Ferracci, l’affichiste star des seventies, qui a paru aux éditions Albin Michel.

De quoi s’agit-il ? Du marché à terme des marchandises qui fait grimper artificiellement le prix du sucre, de la faillite des boursicoteurs, de la gabegie des grandes institutions et du silence complice de l’État. Le sujet est complexe, vitreux, inflammable, même son héros malheureux, Adrien Courtois, inspecteur des impôts tentant de faire fructifier l’héritage de son épouse, pharmacienne à Carpentras, n’y comprend plus rien.« Mais le principe du marché à terme, son charme, sa glorieuse incertitude, c’est justement la spéculation sur l’imprévisible », avance l’auteur, un brin goguenard. Conchon, c’est Albert Londres chez les Pieds nickelés, la rigueur d’une enquête journalistique à l’américaine avec ce style rapide, haché, tendu et un côté bistrotier, la vanne fuse sur le zinc. Dans ce roman de 1978 qui précède le film de Rouffio, on admire surtout son art du portait, toute cette faune sauvage, remisiers, commissionnaires, banquiers, hautsfonctionnaires qui court après « un petit sou » de plus. Et puis, il y a Raoul d’Homécourt dela Vibraye, incarné par Depardieu, qui explique àAdrien Courtois les mécanismes naturels de la déroute : « Fais donc pas cette tête ! T’es pas le premier, tu seras pas le dernier. Y a pas d’exemple, pas un seul exemple, tu m’entends, d’un petit spéculateur qui y ait pas laissé sa chemise. Depuis que le Marché est Marché, ça devrait se savoir, et ÇA SE SAIT PAS !… »

Georges Conchon, Le Sucre, Albin Michel, 1978.

Michel Drucker et les coupeuses de tête

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Michel Drucker suscite une tempête sur les réseaux sociaux, après son passage sur France 2. Quelle époque ! « Vous avez vraiment souffert ? » a-t-il osé demander à Marie Portolano, samedi dernier. Mme Portolano s’est fait connaitre avec son enquête sur le sexisme dans le journalisme sportif, avant d’animer des concours de pâtisserie et « Télématin ». Le regard libre d’Elisabeth Lévy.


Tempête sur les réseaux sociaux. Même Michel Drucker, a-t-on envie de dire, déchaîne les néo-féministes des deux sexes. Il était invité samedi de Quelle Epoque sur France 2. Marie Portolano et Thomas Sotto, co-présentateurs de Télématin sur France 2 étaient là aussi, pour promouvoir leur émission. Passez-moi la rhubarbe, je vous passerai le séné… Passons.

Le « vieux monde sexiste » frappe à une heure de grande écoute

Drucker s’adresse à Portolano, auteur d’un documentaire sur le sexisme dans le journalisme sportif intitulé «Je ne suis pas une salope, je suis journaliste» :

« C’est l’ancien reporter sportif qui vous parle Marie, vous avez vraiment souffert avec les copains des sports, avec les mecs des sports ?
– Euh, non! … J’étais pas la seule…
– Ils ont vraiment eu des attitudes inconvenantes, vraiment? »

À lire aussi, du même auteur: Kompromat à la française

Précisons qu’il a un sourire en coin, bienveillant et un brin paternel. Sur le plateau, personne ne moufte. Tout de même c’est Drucker. Et Léa Salamé lance un autre sujet.

Mais sur les réseaux, c’est un véritable hallali. « A vomir, une honte, qu’il dégage ce fossile » peut-on y lire. Ce « vraiment » ne passe pas.

Il croit qu’on ment ! s’indignent des femmes témoignant dans le documentaire. 20 Minutes parle carrément de questions misogynes[1], Télérama déplore un « désolant paternalisme » et un certain Rémi apporte son soutien à Portolano, laquelle aurait été victime d’une agression, selon lui. On aimerait savoir ce qu’en pensent les victimes de vraies agressions.  

Michel Drucker a peut-être été maladroit…

Mais il a POSE UNE QUESTION ! Drucker est un peu perplexe, car, lui, à son époque, aux sports, il n’a pas vu cela. Il se demande peut-être si les mots ont le même sens aujourd’hui qu’hier. Une blague lourde, c’est une agression? Un compliment, c’est sexiste ? Le documentaire de Mme Portolano révèle certainement des choses qui nous semblent accablantes aujourd’hui. Que tout le monde acceptait alors.

À lire aussi, Martin Pimentel: Affaire Depardieu: «Brigitte» mi-woke, mi-réac

Je vous disais récemment que la révolution #metoo entrait dans sa phase terroriste. Que ça tombe sur Michel Drucker, l’urbanité faite homme, le prouve. Personne ne l’accuse de s’être mal comporté, mais pour une question – je le répète – il devient l’ennemi du peuple, l’ennemi des femmes. Questionner la parole des femmes, comme celle du Parti ou de Dieu, c’est blasphématoire. Douter est un crime. Vous avez juste le droit de vous prosterner et de dire « Amen ».

Autre classique totalitaire : la dénonciation des pères. Pour que les lendemains chantent, les hiers doivent avoir été une longue nuit. Au rancart les boomers. En réalité les petits gardes roses d’aujourd’hui ont plus en commun qu’ils ne le croient avec leurs parents et leurs grands-parents ex-soixante-huitards et ex-extrême gauchistes: le fanatisme, l’intolérance, l’esprit de procès et de lynchage.

En prime, ils ont lu moins de livres. 


[1] https://www.20minutes.fr/arts-stars/people/4070581-20240115-epoque-malaise-apres-serie-questions-misogynes-michel-drucker-marie-portolano

Nous sommes tous Franquin!

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Le dessinateur belge André Franquin, 1983 © VERDIER ERIC/SIPA

Alors que la 51ème édition du Festival de la bande dessinée d’Angoulême ouvrira ses portes jeudi prochain, nous fêtons en janvier les 100 ans de la naissance d’André Franquin, le génial inventeur de Gaston


Parce que c’était lui, parce que c’était nous. Avant la panthéonisation de la BD, ses colloques et ses planches vendues aux enchères, ses galeristes et son marché lucratif, tous les enfants des années 1960, 1970 et 1980, fidèles abonnés de Spirou et de Tintin ou acheteurs occasionnels, qui souvent, pour la première fois de leur vie, ouvraient la porte d’une librairie ou d’une maison de la presse, avons senti le choc.

Quand le talent saute aux yeux

« Un souffle barbare », « un remous hard-rock » comme le chantait Claude Nougaro. Nous savions intimement que cet art populaire pétri de gags et de héros bondissants serait notre nouvel eldorado. Comme dans d’autres domaines culturels, toujours en retard d’une bataille esthétique, la machine universitaire et les corps constitués ont mis du temps à reconnaître cette évidence et à sortir les albums du rayon « enfantillage ». Le talent sautait pourtant aux yeux, l’intelligence du trait explosait, la fantaisie masquait les idées sombres, ce monde en miniature, burlesque et d’une haute précision, était paradoxalement plus grand que nous. Nous avons succombé à la franco-belge, plus précisément à l’école de Marcinelle chère à l’éditeur Charles Dupuis. Au-delà de la nostalgie de nos années d’apprentissage se dégage une émotion particulière à la lecture de nos premiers albums cartonnés. Quelque chose de familial, de secret, de personnel et merveilleux dans le processus de création, sans les mots pour l’expliquer bien évidemment, ni des théories fumeuses à l’appui, nous avions perçu l’allure générale, la variété, la noirceur, la rébellion intérieure, le rire effronté, la beauté des décors, le rythme et l’inestimable élan communicatif qui caractérisent l’univers d’André Franquin (1924 – 1997).

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Idées noires

Avec Hergé et Disney, il faisait assurément partie du tiercé gagnant du 9ème art. Son empreinte est immense, et elle continue d’inspirer. Chez ses anciens confrères ou les nouvelles générations d’auteurs, on s’incline devant ce génie doté d’un crayon virtuose et d’un esprit funambule. Franquin, le dépressif productif, l’angoissé inventif, le perfectionniste qui riait bruyamment, avait improvisé le Marsupilami en un après-midi, loin de sa Palombie natale. Reprenant la série Spirou après Jijé, c’est lui qui a aéré les cases, brisé la ligne claire, laissant passer un vent de folie et de modernité, un ton humoristique à mi-chemin entre le réalisme et la pochade. Champignac et Zantafio lui disent encore merci. Les légendes de ce métier que l’on expose aujourd’hui dans les musées ont été honorées de travailler à ses côtés. Morris avec son inamovible nœud papillon, aussi célèbre que le foulard rouge de Lucky Luke affirmait que son compagnonnage avec Franquin équivalait à 20 ans d’Académie. Roba, le papa de « Boule et Bill » le comparait à Dürer, le dessinateur et graveur de la Renaissance. Même Hergé, chiche en compliments, admirait sa maestria. Après une brouille avec l’empire Dupuis, Franquin quitta très momentanément la banlieue de Charleroi pour « vendre » sa série « Modeste et Pompon » chez le concurrent Tintin, à Bruxelles. Puis, il revint à la maison qui était tenue alors par le rédacteur en chef, le barbu Yvan Delporte, véritable tête pensante de Spirou.

Le phénomène Gaston

Un jour de février 1957, un type tout mou apparut dans les colonnes. Il portait lui aussi un nœud papillon. Qui c’est celui-là ? Aucune explication. Aucun indice. La semaine suivante, le même bonhomme se présentait toujours à la porte de la rédaction, cette fois-ci, le col ouvert. Et le 14 mars, carrément décontracté en col roulé et fumant sa cigarette. Un héros sans-emploi, un héros de trop selon la formule consacrée, un bricoleur empêché, un collègue de bureau envahissant. C’est Fantasio qui lâcha le morceau et s’inquiéta le premier d’un tel perturbateur dans un court texte devenu prophétique : « Attention ! Depuis quelques semaines, un personnage bizarre erre dans les pages du journal. Nous ignorons tout de lui. Nous savons simplement qu’il s’appelle Gaston. Tenez-le à l’œil ! Il m’a l’air d’un drôle de type ! ». Gaston précéda les « Idées noires » de 1977 où Franquin cherchait « à être plus rosse, plus corsé ». Cet artiste majeur du XXème siècle ne fut jamais bête et encore moins méchant. 

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Le grand capital contre les juifs

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Rassemblement en soutien à la Palestine à l’université d’Harvard (Massachusetts), 14 octobre 2023 © Joseph Prezioso / AFP

La complaisance qui entoure les manifestations antisémites sur les campus américains s’explique par un mot : l’argent ! Abreuvées de subventions venant de pays arabes, les universités ferment les yeux sur le militantisme de leurs étudiants. Et des philanthropes tels que Soros et les Rockefeller financent aussi bien le Parti démocrate que des lobbys « propalestiniens ».


Aux États-Unis, au cours des trois derniers mois, les campus universitaires et certaines institutions gouvernementales ont été le théâtre de nombreuses manifestations propalestiniennes accompagnées d’incitations à la haine, voire au génocide. Les actes d’agression et de vandalisme antisémites se sont multipliés dans les grandes villes. Et pour couronner le tout, le 5 décembre, les présidentes de trois des universités les plus prestigieuses, appelées àjustifier devant le Congrès la tolérance apparente accordée à l’antisémitisme par leurs institutions, n’ont pu donner que des réponses évasives. Comment expliquer une telle dérive dans une démocratie occidentale ? La clé de l’énigme réside moins dansla puissance des idées que dans celle de l’argent. Car l’argent séduit les instances dirigeantes, comme il finance les activités des militants. Si les autorités ont souvent tardé à sanctionner leurs étudiants qui célébraient ouvertement les atrocités du Hamas, ce n’est pas sans lien avec les sommes faramineuses dont des pays arabes, le Qatar en tête, abreuvent les universités américaines depuis des années[1]. En revanche, toutes les actions prétendument antisionistes ont été organisées par des ONG qui, elles, sont arrosées par les dollars du grand capital philanthropique américain[2].

Un système financier complexe

L’argent qui finance ces ONG transite par un système complexe et opaque qui sert aussi à subventionner les ambitions électorales du Parti démocrate, ainsi que toutes les causes intersectionnelles à la mode. Le capital provient souvent des grands philanthropes de la gauche, comme le Rockefeller Brothers Fund ou les Open Society Foundations de George Soros. Mais les sommes circulent à travers d’autres organismes sans but lucratif qui jouent le rôle de « sponsor fiscal », apportant aux ONG bénéficiaires des avantages fiscaux et la possibilité de cacher l’identité de leurs donateurs.

A lire aussi, Barbara Lefèbvre: Viols du 7 octobre: féministes, où êtes-vous?

Il existe deux grands spécialistes de ce qu’on appelle le « dark money » ou « argent anonyme ». Le groupe Tides, créé en 1976, gère deux fonds et une entreprise de lobbying. Il reçoit des sommes importantes des Rockfeller Brothers, mais surtout de Soros qui, entre 2020 et 2022, lui a donné presque 42 millions de dollars. Confirmant qu’on peut être capitaliste et très à gauche, Pierre Omidyar, le fondateur d’eBay, et Peter Buffett, fils de Warren, y ont également contribué. Arabella Advisors, créée en 2005 par Eric Kessler, un ancien de l’administration Clinton, gère cinq fonds différents. Entre 2020 et 2022, Soros lui a donné plus de 60 millions. En 2022, le groupe a levé 1,35 milliard de dollars.

Tout cet argent sert, entre autres choses, à irriguer un réseau dense d’organismes antisionistes dans les milieux universitaires et militants. Depuis 2005, un mouvement informel, Boycott, Divestment and Sanctions (BDS), dirigé par un Palestinian BDS National Committee composé de Palestiniens, inspire des actions pour appeler les universités américaines à boycotter Israël et à désinvestir dans les entreprises commerçant avec lui. Ces appels ont surtout pour objectif de maintenir la question palestinienne sur le devant de la scène. Sous l’égide du comité BDS – qui a été déclaré antisémite par le Parlement allemand en 2019 – des « Israeli Apartheid Weeks » sont organisées chaque année sur les campus pour dénoncer le sionisme. Le mouvement jouit du concours des plus de 200 branches de Students for Justice in Palestine (SJP) aux États-Unis et au Canada. Ce réseau s’est doté en 2010 d’un comité national dont le financement est facilité par un sponsor fiscal, la WESPAC Foundation. SJP a été interdit dans l’état de Floride en octobre 2023 et suspendu par l’université George Washington en novembre. L’organisme est aidé aussi par American Muslims for Palestine(AMP), fondé en 2006 par un des cofondateurs de SJP, Hatem Al-Bazian, professeur américano-palestinien à Berkeley. Une organisation sœur, Americans for Justice in Palestine, joue le rôle de sponsor fiscal et ses revenus en 2022 étaient de plus d’un million et demi de dollars. Les deux entités sont l’objet d’un procès concernant un adolescent tué par le Hamas qu’elles sont accusées d’avoir soutenu.

A relire, du même auteur: Les pogromistes des campus américains

Une liste sans fin

Une autre ONG, Samidoun, créée en 2011 au Canada afin de mener campagne pour la libération des prisonniers palestiniens en Israël, est accusée d’être une couverture pour le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP). Elle a été déclarée organisation terroriste en Israël en 2012 et interdite en Allemagne en octobre 2023. Son sponsor fiscal est Alliance for Global Justice (AGJ), un fonds alimenté par Tides et à qui Soros a donné 250 000 dollars en 2020. Ses revenus en 2020-2021 s’élevaient à plus de 56 millions de dollars. En plus de faire l’éloge des régimes de gauche autoritaires, AGJ est accusée de lever des fonds pour le collectif Palestine vaincra, l’organisme français à qui on reproche sa proximité avec le FPLP et que Gérald Darmanin a essayé en vain de dissoudre en 2022. En 2023, ArabellaAdvisors a judicieusement coupé ses liens avec AGJ. Deux groupes de juifs antisionistes, Jewish Voice for Peace (JVP), fondée en 1996, et If Not Now, né en 2014, ont reçu des sommes importantes des Rockefeller et de Soros, et If Not Now de la part de Tideset d’Arabella Advisors. Cette liste pourrait se prolonger de manière fastidieuse. Pour boucler la boucle, terminons par l’exemple de l’US Campaign for PalestinianRights, une coalition d’ONG placée sous la houlette d’un autre organisme, Education for a Just Peace in the Middle East. Ce dernier, qui a profité de la générosité des Rockefeller, est accusé de soutenir indirectement le Hamas. Elle est le sponsor fiscal du Palestinian BDS National Committee. Selon le fantasme traditionnel, les juifs exploitent le capital pour manipuler le monde. Ici, les judéophobes l’exploitent à des fins antisémites. On pourrait dire que les juifs sont les victimes des protocoles des « sages antisionistes ».


[1]. Armin Rosen, « What Yale Has in Common with Hamas », Tablet Magazine, 29 nov. 2023 ; Bari Weiss, « Is Campus Rage Fueled by Middle Eastern Money? », The Free Press, 12 déc. 2023.

[2]. Sources : les sites du Rockefeller Brothers Fund et des Open Society Foundations, InfluenceWatch, ProPublica, The Washington Beacon, The Washington Examiner.

Macron, ce faussaire malhabile

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Conférence de presse à l'Elysée, 16 janvier 2024 © Aurelien Morissard/AP/SIPA

Mardi, Emmanuel Macron a affirmé avoir vu dans les émeutiers de juillet 2023 des jeunes qui s’ennuyaient – rien de plus. Dès lors, il est impossible de le croire quand il dit vouloir se battre « pour que la France reste la France ».


Des mots, des amas de mots : Emmanuel Macron n’a su s’extraire de son travers verbeux, mardi soir, à l’issue de plus de deux heures de conférence de presse. Rien n’a justifié que le chef de l’État empressé s’invite, à 20h15, dans les foyers via six chaînes de télévision. La jactance présidentielle n’a fait que caricaturer davantage celui qui a affirmé : « J’assume de continuer à présider le réel ». Au contraire, Macron ne maîtrise plus le contrôle de la réalité. Il croyait pouvoir la domestiquer avec son approche orwellienne de la « double pensée », ce « en même temps » autorisant tout et son contraire. L’exemple le plus significatif de la décrédibilisation du récit officiel a été de l’entendre, sur les émeutes urbaines de juillet dernier, rejeter tout lien avec l’immigration au prétexte que les jeunes insurgés, très majoritairement issus du Maghreb, « étaient de nationalité française, pour la quasi-totalité nés en France ». Pour le président, ces casseurs, qui criaient souvent « Allah Akbar ! », n’auraient été motivés que parce qu’ils « s’ennuyaient ». Macron s’est également félicité de l’efficacité de l’Union européenne, notamment dans sa promotion des vaccins anti-Covid dont il persiste à vanter l’efficacité en dépit de leurs protections médiocres et de leurs effets secondaires importants. C’est ce même président indifférent aux faits qui s’est inquiété sans vergogne de la survenue d’une « génération de complotistes » formés par les réseaux sociaux à avoir « un rapport faussé à la vérité ». Comment, dans ces conditions, croire en la sincérité de Macron quand il dit vouloir se battre « pour que la France reste la France », en s’appropriant au passage les mots d’Éric Zemmour et d’Eric Ciotti ?

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Macron est un faussaire de plus en plus malhabile : il ne survit que par son aisance dans le verbe et une propagande qui contourne le réel. Parmi les maigres annonces de mardi soir, celle d’une obligation à suivre des cours de théâtre au collège marque l’empreinte d’un président qui excelle dans la mise en scène et le jeu de rôle. Mais sa déconnection des gens ordinaires lui fait répéter les mêmes erreurs sur la meilleure manière de contrer le RN, qu’il nomme « Front national ». Ce n’est pas seulement en luttant « contre l’immigration clandestine » que Macron peut espérer faire reculer Marine Le Pen. Celle-ci est portée par le sentiment d’abandon qu’éprouvent des Français face à une immigration légale qui bouscule les fragiles équilibres sociologiques et culturels.

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Le « grand effacement » est un risque que Macron a évoqué à propos de la place de l’Europe dans les bouleversements géopolitiques. « Il ne s’agit pas de notre pays », a-t-il même précisé. Or c’est justement cette perspective d’une dilution de la France qui devrait mobiliser ses inquiétudes. La chute de la natalité (moins 6,6% en 2023) conjuguée à la forte et féconde immigration musulmane sont autant de facteurs pouvant laisser craindre, avant la fin de ce siècle, en de profonds changements civilisationnels.

En réponse, Macron a promis « un plan de lutte contre l’infertilité ». En rire, ou en pleurer ?

Le réquisitoire aussi précis que prémonitoire d’Allan Bloom

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Le philosophe américain Allan Bloom (1930-1992) ©Jerry Bauer/Opale/Leemage

L’Histoire ne repasse pas les plats. L’adage populaire exprime de façon imagée, et non sans raison, une vérité incontestable jamais prise en défaut : les événements historiques ne se reproduisent jamais à l’identique. En revanche, il arrive que l’Histoire bégaie.

Flux et reflux

Ainsi, les courants révolutionnaires ou contestataires qui ont secoué l’Europe dans les années 50-60, ont-ils traversé l’Atlantique et mûri sur les campus universitaires, singulièrement en Californie. Quelques années plus tard, empruntant le chemin inverse, ils ont reflué sur l’Europe et ce fut, chez nous, la déferlante de mai 68. Semblable phénomène est en train de se produire sous nos yeux. Né aux États-Unis il y a quelques années, le wokisme s’applique à déconstruire, en maints domaines, notre civilisation. À cette différence près que l’explosion que nous avons connue en 1968 a laissé place à une pression larvée beaucoup plus sournoise. Larvata prodit, comme eût pu écrire Descartes : la déconstruction s’avance masquée.

Toutefois, tout discours sur la décadence ne saurait être interprété que comme un combat nécessaire, si douloureux soit-il, à une remontée. Cette analyse ne date pas d’hier. Il y eut, bien avant notre époque calamiteuse, des pessimistes lucides capables de tirer la sonnette d’alarme. Ainsi, dès les années 80, Alain Finkielkraut (La Défaite de la pensée, Gallimard) ou Bruno Lussato (Brouillon de culture, Robert Laffont). Parmi eux Allan Bloom (1930-1992). Ce professeur de sociologie à l’Université de Chicago, spécialiste de Platon et de Rousseau, publia en 1987 L’Âme désarmée (Julliard). C’est à travers son expérience d’universitaire qu’il analyse la crise intellectuelle, morale, sociale et politique de l’Amérique du XXe siècle.

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Fait remarquable, il démontre comment la démocratie américaine a, sans en avoir une, accueilli et exacerbé les idées de nihilisme, de relativisme généralisé né sur le Vieux Continent.

La faillite de l’Université

Selon Bloom, sous  prétexte d’  « utilité » et de « scientificité », l’Université a failli à sa mission en cessant de fournir à la jeunesse les points de repère essentiels que seule peut offrir la connaissance de la tradition philosophique et littéraire. Une tradition désormais incompréhensible par des jeunes gens et jeunes filles ignorants du passé, coupés de tout enracinement religieux et politique, incapables d’avoir une quelconque vision de l’avenir, vivant dans un présent appauvri faute de référence à un absolu. Le portrait type de l’étudiant américain, aisément transposable ailleurs, est affligeant : une inculture qui confine au grandiose pour tout ce qui précède les Sixties, un sentiment égalitaire qui consiste à placer sur le même plan (presque) toutes les opinions, toutes les morales, toutes les cultures, en vertu d’une tolérance érigée en principe, et qui n’est rien d’autre qu’une universelle veulerie : un refus systématique de toutes les contraintes au nom d’une liberté qui aboutit, en fait, à la négation de toutes les identités, qu’elles soient d’ordre spirituel ou moral.

Bloom étudie le comportement de ses étudiants dans tous les domaines de la vie intellectuelle et affective. Ils ont perdu le goût de la pratique de la lecture et, par là, tout système de référence en commun avec leurs aînés. La musique rock leur procurant, comme la drogue, des extases prématurées, les infantilise en exaltant pour seuls thèmes lyriques « le sexe, la haine et une version hypocrite de l’amour fraternel ». Leur « gentillesse » envers les autres (passés les excès de violence des Sixties) ne repose pas sur une morale mais sur l’individualisme. Car ils sont incapables de grands sentiments, et en particulier d’amour, tué par la libération sexuelle.

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Nulle complaisance dans cette analyse étayée d’anecdotes significatives. Nulle acrimonie non plus. Seulement une inquiétude face à la dérive d’une jeunesse désormais sans âme, inapte à apporter une réponse cohérente aux grandes interrogations, toute imprégnée qu’elle est des idées de « libération », de « créativité », d’indifférenciation (et d’indifférence) universelle.

Une analyse des plus fouillées

Comment en est-on venu là ? C’est dans l’analyse des causes de ce malaise que Bloom se montre particulièrement convaincant. La révolte étudiante des années soixante lui apparaît comme l’aboutissement d’un long processus. Il porte sur la contestation des valeurs, qui se fit jour tant sur les campus américains qu’en Europe, un regard critique assurément dépourvu d’aménité si on le compare à l’indulgence, voire à l’admiration nostalgique dont jouissent encore chez nous les anciens combattants de mai 68. Il montre surtout, par référence à l’ensemble des courants intellectuels de notre temps, comment les États-Unis, héritiers de l’Universalisme des Lumières, ont ainsi emprunté à l’Europe les ferments de désagrégation de cet universalisme. La lente montée du nihilisme au travers de ce qu’il appelle « la filière allemande » (Nietzsche, Heidegger, Freud), culminant après la Seconde guerre mondiale, chez Max Weber et succédant à l’historicisme du siècle précédent, aboutit à des impasses : hypertrophie du moi, joliment définie comme « le substitut moderne de l’âme » incohérences du courant écologiste, écartelé entre l’influence de Locke et celle de Rousseau, subversion de la notion de culture. Et Bloom de conclure : « Le vocabulaire du moi, de la culture et de la créativité résume assez bien les effets de la révolution inaugurée par Rousseau. Il exprime l’insatisfaction que les solutions scientifiques et politiques que la philosophie des lumières – ont suscitée ».

La responsabilité des universitaires n’est pas esquivée. Surtout celle des littéraires et des philosophes qui se sont laissé déposséder de leur domaine ou ont, une fois encore, sacrifié aux modes. Venues d’Europe.  Avec un bel optimisme que l’on aimerait partager, Bloom assure que la vogue des Derrida, Foucault et Barthes, qui submergea l’Amérique intellectuelle, « a déjà passé à Paris ». Voire… Et si c’était pour y faire un retour en force ? Quoi qu’il en soit, la richesse et la pénétration de cet essai le placent nettement au-dessus des analyses habituelles. On lui a parfois reproché son pessimisme et le caractère radical de son diagnostic. Sa lucidité peut, à l’inverse, apparaître comme porteuse d’espoir. C’est Raymond Abellio qui notait, dans Assomption de l’Europe (1978), que toute époque noire si caractéristique comme l’est la nôtre, d’une fin de cycle, portait en elle-même « une part de positivité ». Et il ajoutait : « Les semailles vont venir et les temps changent ». Puisse-t-il avoir dit vrai !

Allan Bloom, l’Âme désarmée. Essai sur le déclin de la culture générale. Préface de Saul Bellow , traduction Paul Alexandre. 332 p., Julliard (1987).

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Comment parler de la fille Garrido/Corbière?

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« Je suis antisémite et j’assume ». La fille de Raquel Garrido et d’Alexis Corbière a été placée en garde à vue pour apologie du terrorisme. Le comble, c’est que ses parents s’étaient plutôt éloignés des positions les plus islamo-gauchistes de la France Insoumise. Zola, reviens !


Inès, âgée de 21 ans, fille des députés de la France insoumise Alexis Corbière et Raquel Garrido, est visée par une enquête pour « apologie du terrorisme et provocation publique et directe non suivie d’effet de commettre des atteintes volontaires à la vie. » En octobre dernier, après l’attaque terroriste du Hamas contre Israël, un compte qui diffusait des messages à caractère antisémite (ils furent hélas légion) a été repéré sur le réseau social X.

Aller casser du sioniste

Sous un article consacré à la prise en otage d’une famille israélienne, raflée sauvagement au sein même de son foyer par les terroristes du Hamas, ce compte répondant au nom de « Babynesou » commentait : « Alors je n’ai peut-être pas d’âme mais ils me font pas du tout de peine, je les trouve plutôt chiants, surtout les gosses. » À l’annonce de la marche parisienne organisée en solidarité avec Israël, « Babynesou » écrivait encore : « Qui se chauffe pour aller casser du sioniste là ? » Ces publications odieuses ont été relayées et dénoncées par le militant Damien Rieu qui a désigné comme l’utilisatrice du compte, photos à l’appui, Inès Corbière, inconnue jusqu’alors des services de police. Dans la foulée, des associations anti-discrimination, dont l’Organisation juive européenne (OJE), ont déposé plainte contre X pour « apologie du terrorisme », réclamant l’identification formelle de cette internaute ainsi que des poursuites judiciaires. Quelques semaines plus tard, le 14 novembre, c’est une vidéo maintes fois relayée sur les réseaux sociaux qui a jeté un nouveau trouble. On y voyait une jeune femme, face caméra, vociférant : « Je suis antisémite, je m’en bats les couilles. J’assume ! » Interpellée au domicile familial, mardi 16 janvier, après perquisition de celui-ci, et placée en garde à vue dans les locaux de la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP), Inès Corbière est ressortie libre, mercredi, sans poursuite judiciaire. « À ce stade, les investigations se poursuivent » a simplement commenté le parquet de Paris. Une enquête préliminaire a été ouverte.

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Jeudi 18 janvier, Raquel Garrido et Alexis Corbière sont sortis du silence via un communiqué. Il convient de souligner la pudeur et la sobriété de celui-ci : « Nous voulons tout d’abord exprimer avec émotion notre compréhension et affection auprès de toutes les personnes choquées à la lecture ou à l’écoute des propos ou expressions qui sont diffusées dans cette affaire », assurent-ils en préambule. S’ils déplorent ensuite que l’enquête, pourtant soumise au secret, n’ait pas été protégée, ils n’en affirment pas moins devoir, parce que « personnalités politiques de premier plan », « des obligations de rendu de compte. » S’ils réclament que la vie privée comme l’intégrité physique et morale de leurs enfants soient préservées, les députés sont aussi très clairs : « (…) Elle (Inès), doit répondre des expressions qui lui ont été imputées par M. Rieu, comme tout justiciable devant la justice. Elle ne jouit à cet égard, d’aucun privilège ni passe-droit. Nous respectons la procédure en cours. » Ils assurent également : « L’apologie du terrorisme, à savoir l’expression d’un jugement favorable au terrorisme, est un délit qui, tout comme la provocation à la commission d’un délit et l’expression de l’antisémitisme doivent être poursuivis conformément à la loi. » Confronté à « une épreuve familiale et parentale », le couple accepte enfin « sans sourciller » le procès public devant « le tribunal des parents. »

Joie mauvaise

Ceux qui seraient tentés, face au malheur qui frappe des adversaires politiques, de céder à une joie mauvaise, celle que les Allemands nomment Schadenfreude, doivent garder en tête que nos enfants se dévoient parfois, malgré l’éducation donnée et l’amour reçu. Il serait par conséquent très prétentieux de se croire à l’abri de ce genre d’infortune. Au-delà de ces considérations, nécessaires, il convient de réfléchir. Tout en sachant que Raquel Garrido, Alexis Corbière, et François Ruffin, ont condamné sans équivoque les exactions et les pogroms perpétrés par le Hamas, il serait bon que la dérive supposée d’Inès Corbière incite à s’interroger collectivement quant à l’influence de certains discours de LFI sur la montée d’un nouvel antisémitisme. Il n’est pas une journée, en effet, sans que les Insoumis n’alimentent la haine de leur électorat contre Israël. Ainsi, Jean-Luc Mélenchon vient de déclarer sur X, à propos de la guerre en Israël : « Un génocide n’est pas « une réponse disproportionnée ». C’est un crime contre l’humanité, point final. » Toujours sur X, Ersilia Soudais s’est aussi exprimée récemment : « Meyer Habib qui demande tranquillou de laisser les Israéliens massacrer les Palestiniens. On le laisse déverser sa haine jusqu’à quand ? »

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J’ai une pensée triste pour Zola qui écrivit sa Lettre à la jeunesse, en 1897, avant J’accuse : « Des jeunes gens antisémites, ça existe donc, cela ? Il y a donc des cerveaux neufs, des âmes neuves, que cet imbécile poison a déjà déséquilibrés ? Quelle tristesse, quelle inquiétude, pour le vingtième siècle qui va s’ouvrir ! Cent ans après la déclaration des Droits de l’Homme, cent ans après l’acte suprême de tolérance et d’émancipation, on en revient aux guerres de religion, au plus odieux et au plus sot des fanatismes ! » Que penserait-il donc de la faillite du XXIème siècle ; de cet antisémitisme d’un nouveau genre qui prospère et qu’une certaine classe politique cultive ?

Rachida Dati: le gauchisme culturel a de beaux restes

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Mesdames Rachida Dati et Rima Abdul-Malak, Paris, 12 janvier 2024 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Elisabeth Lévy revient sur l’arrivée surprise de Rachida Dati au ministère de la Culture – un choix que la plupart des commentateurs nous ont présenté comme follement « disruptif ».


J’ai toujours eu un faible pour Rachida Dati, son côté ambitieuse intrigante, sa façon de porter la haute-couture française; son combat de chipies avec Hidalgo m’amuse. Mais la passation de pouvoir donnait l’impression que Rachida Abdul-Malak cédait la place à Rima Dati, ou le contraire. Et pas seulement parce qu’elles se sont donné du « chère Rachida »/ « chère Rima ». Toutes deux jouaient du violon sur le thème je suis une femme issue de la diversité. Comme si ça leur conférait une once de plus-value !

Chère Rima, chère Delphine, chère Sibyle…

« Vous l’avez dit, madame la Ministre, chère Rima, nous avons cela en commun : la liberté de penser – notamment pour les femmes, une liberté de parler – notamment pour les femmes, une liberté de créer – notamment pour les femmes… Nous avons aussi en commun  d’incarner la diversité culturelle qui fait la force de notre pays », a déclaré Rachida Dati, en arrivant rue de Valois, vendredi 12 janvier. Citons aussi les propos lunaires de Rima Abdul-Malak, tenus sous le regard énamouré des patronnes de l’audiovisuel public Delphine Ernotte et Sibyle Veil. Face à « la désinformation, à la simplification trop fréquente de la pensée» (suivez mon regard), elle a salué le service public de l’audiovisuel dont « les équipes travaillent avec rigueur, en toute indépendance ». La bonne blague ! Rima Abdul-Malak aura méconnu jusqu’au bout le sens de sa fonction : garantir le pluralisme des médias, et pas le piétiner avec sa croisade personnelle contre les chaînes Bolloré.

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Or, en public, Rachida Dati professe la même admiration pour le service public. Elle avait notamment déclaré que France Inter fait partie du parcours républicain des Français.

Vous allez me reprocher d’avoir un dossier un peu léger

Pas tant que ça. En réalité, cette passation des pouvoirs témoigne d’une soumission idéologique au gauchisme culturel. Rachida Dati n’y croit même pas, elle ne veut pas être tricarde sur France Inter. De même, quand elle arbore son statut de femme et de maghrébine, elle cède à l’air du temps multiculti au lieu de défendre l’universalisme.

Pour ses premiers pas à la Culture, elle aurait pu affirmer que la culture n’est pas la propriété de la gauche, rappeler que le ministre n’est pas là pour diffuser la propagande progressiste, ni pour distribuer des bons ou mauvais points aux médias, ni pour promouvoir une culture mondialisée, mais pour permettre aux Français d’accéder à leur héritage commun.

Après Rima Abdul-Malak dont les initiatives s’appelaient « La relève » ou « Nouveau monde » (tout un programme !), on attendait que Rachida Dati assume une vision conservatrice de la culture orientée vers la préservation de l’héritage. Ce n’est pas en disant ce que Le Monde et la presse de gauche veulent entendre qu’elle fera mentir ceux qui la voient simplement comme une traîtresse de droite.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez notre directrice de la rédaction dans la matinale de Patrick Roger, du lundi au jeudi après le journal de 8 heures.

Merci à Stanislas !

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Le geographe Jean-Robert Pitte, photographié en juin 2021 © SADAKA EDMOND/SIPA

Une tribune libre de Jean-Robert Pitte, ancien président de l’Université Paris-Sorbonne, Membre de l’Institut


Je suis attristé de la haineuse campagne orchestrée par une partie de la gauche parlementaire et par Anne Hidalgo et sa majorité à la Mairie de Paris contre le collège Stanislas et, avec lui, tout l’enseignement privé sous contrat que l’on n’ose plus appeler « libre ». J’ai en effet préparé mon baccalauréat dans cet établissement en 1965-66 et, 58 ans après, je voudrais dire que cette année a été la plus enrichissante de toute ma scolarité. Pardon de vous raconter ma vie, mais je dois vous conter pourquoi j’ai atterri à Stan l’année de mes 16 ans, à plus d’une heure de bus et de métro de chez moi.

Wikimedia commons

Mes parents étaient de modestes employés de bureau[1] vivant chichement avec leurs trois fils dans un petit appartement d’une banlieue sans luxe et sans joie, dans ce département que l’on appelle aujourd’hui le 9-3 : le Pré-Saint-Gervais qui n’était pas encore bobo et dont le ciel était alors obscurci toute l’année par la fumée des usines. Pas de salle de bains, pas de télévision, le premier frigo en 1960, pas de voiture, pas de maison de campagne, mais des vacances dans des « maisons familiales » ou des gîtes : voici le décor de mon enfance. Mon père était né en 1906 au Havre. Il avait été abandonné par son père et ma grand-mère disposait de revenus très aléatoires, si bien que son fils n’avait fréquenté l’école des Frères que pendant les quatre années de la Première Guerre mondiale. Ses maîtres étaient hors d’âge, car tous les jeunes frères étaient mobilisés. Il avait dû travailler comme livreur à partir de l’âge de 12 ans. Néanmoins, il écrivait sans une faute d’orthographe et a passé sa vie à composer des poésies qui se lisent encore avec bonheur. Ma mère, née au Pré-Saint-Gervais en 1909, avait perdu son père à la guerre et avait été scolarisée chez les Sœurs du Saint-Esprit jusqu’au certificat d’études. Même bilan : pas une faute d’orthographe, une écriture calligraphiée, les fables de La Fontaine récitées par cœur des décennies plus tard…  À 14 ans, elle entrait comme employée aux écritures dans une usine. Fervents catholiques, mes parents s’étaient connus au patronage de la paroisse, un vrai lieu de brassage social dans cette petite ville ouvrière et socialiste où les talas n’étaient pas bien vus et avaient peu de chances de bénéficier d’un logement social, dans l’une de ces confortables HBM qu’Henri Sellier avait construites sur les pentes menant aux fortifs et à Paris.

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Parce que l’anticléricalisme était virulent dans notre ville, singulièrement dans les écoles laïques, nos parents nous mirent au jardin d’enfants chez les Sœurs où nous apprîmes à lire dès 6 ans. Ensuite, ils nous inscrivirent à Saint-Joseph de Pantin, un établissement tenu par la congrégation des Frères des Écoles chrétiennes. Ceux-ci étaient encore majoritaires dans le corps enseignant. Originaires des campagnes catholiques de la France profonde, dont ils avaient conservé les accents, habillés en soutane avec rabat, ils nous menaient à la baguette – ce n’est pas une clause de style ! – ce qui leur vaudrait aujourd’hui mise en examen et nous inculquaient sans indulgence les bases du savoir et les principes religieux et moraux de notre Sainte Mère l’Église. L’école était mal chauffée et un peu délabrée, nous devions marcher une demi-heure pour nous y rendre par tous les temps et je me souviens des longs hivers neigeux et de la pollution qui régnait dans cette noire banlieue. Il y avait encore dans ces années d’après-guerre de nombreux catholiques d’origine modeste et le brassage social était une réalité dans notre école comme dans tous les établissements catholiques des quartiers populaires, puisque les enfants des bourgeois catholiques y étaient aussi inscrits. En ce qui me concerne, brevet des collèges en poche, comme 100% des élèves de Saint-Joseph, j’avais conservé l’année d’avance acquise chez les sœurs, et les Frères incitèrent mes parents à me faire poursuivre des études générales plutôt que d’accéder à ma demande de devenir cuisinier. Ils obtinrent pour moi une place en classe de seconde à La Rochefoucauld, une école réputée, tenue par la même congrégation, mais située dans le très chic 7e arrondissement. Nous étions une petite cohorte d’élèves à venir de Seine-Saint-Denis et représentions déjà l’effort de brassage social qu’accomplissaient les établissements catholiques à cette époque. Les deux heures quotidiennes de transports en commun m’ont permis de dévorer un grand nombre de romans classiques (Alexandre Dumas, Jules Verne, Pierre Benoît, Balzac, etc.), alors qu’il n’y avait aucun livre chez mes parents.

La Rochefoucauld ne préparait que les bacs scientifiques et mon niveau en maths était affligeant. Aussi proposèrent-ils à mes parents de m’envoyer en Terminale Philo à Stanislas. J’ai le souvenir d’un entretien préalable entre le Père directeur et ma mère, en ma présence, dans un immense bureau. Nous étions dans nos petits souliers. Je fus accepté et commença pour moi une année passionnante. Un souvenir : au mois de juin, je reçus une liste de livres à lire pendant les vacances. Je ne l’ai pas conservée, mais je me souviens de deux livres lus en cet été 1965, alors que j’avais 16 ans : Le Banquet de Platon et le pamphlet anti-Barthes de Raymond Picard intitulé Nouvelle critique, nouvelle imposture. Je les ai conservés, tant ces livres détonnaient par rapport à ma mince culture et encore plus à celle de mes parents. L’année me passionna. La pédagogie était beaucoup plus libérale que chez les Frères et j’acquis un début de sens critique et de liberté de penser qui m’a rendu de grands services ensuite. Les professeurs de philo et de français étaient très forts et très pédagogues. Les cours de religion étaient alors obligatoires, mais je faisais partie de ceux qui s’y intéressaient, même si mes convictions religieuses étaient tièdes. J’étais loin de cartonner dans mes résultats, mais j’obtins mon bac de justesse avec un 14 à l’écrit de philo.

En arrivant à la Sorbonne en octobre 1966 pour commencer des études de géographie, bien que l’un des benjamins de ma promotion, je m’aperçus très vite que j’étais à ma place et que j’avais un bon niveau d’expression écrite, résultat de l’exigence des bonnes sœurs, des bons frères et des bons pères qui m’avaient instruit. À la Faculté des Lettres, la plupart des maîtres et de leurs assistants étaient très marqués à gauche et l’Institut de Géographie de Paris était un bastion du Parti communiste. Mon année à Stanislas me permis de relativiser leurs certitudes sur l’URSS et le sous-développement et, en 1968, j’entrai en résistance contre les fadaises du moment. Pur produit de la méritocratie, premier de ma famille à passer le baccalauréat et à entrer à l’université, je ne supportai pas que mes copains, souvent d’origine plus bourgeoise, fassent grève, occupent les amphithéâtres et grimpent sur les barricades comme des enfants gâtés cassant leurs jouets. Je n’ai jamais plus varié dans ces convictions. L’effort, la rigueur sont les seuls instruments de la promotion sociale et je suis fier que mon parcours illustre cette évidence. Sans les bonnes écoles où j’ai étudié depuis la maternelle, nul doute que je n’aurais pas poursuivi mes études et ne serais pas devenu professeur d’université. Mes parents ne regrettèrent pas les efforts financiers qu’ils avaient faits pour que je parvienne à ce résultat. Je n’en tire nulle gloire, mais je leur exprime ma reconnaissance infinie, ainsi qu’aux nombreux maîtres qui m’ont instruit, avec des méthodes parfois maladroites, mais toujours exigeantes.

A lire ensuite, Elisabeth Lévy: Une idée folle: réinventer l’école!

Il y a quelques années, le directeur du Collège Stanislas ayant repéré que j’étais un ancien de la maison m’a demandé de venir donner une conférence aux élèves de Terminales. Je suis donc revenu un demi-siècle plus tard dans l’établissement où j’avais préparé le bac. J’ai admiré la motivation des élèves – plus grande que de mon temps- , des professeurs et de l’encadrement de cette maison. J’ai appris qu’elle accueillait toujours des élèves de Seine-Saint-Denis, en particulier musulmans et, pour un certain nombre, gratuitement. Le directeur me raconta qu’une mère voilée était venue le voir en lui disant : « Mon aîné est transformé depuis qu’il est chez vous. Ne pourriez-vous prendre aussi son petit frère ? » En me raccompagnant à la grille du collège à l’heure d’une récréation, il aperçut un élève portant un survêtement à capuche, interdit par le règlement. Un petit coup de sifflet et l’objet du délit fut aussitôt confisqué sans que l’élève fautif ne récrimine.

Que l’on fiche donc la paix à Stanislas et aux établissements d’enseignement privé sous contrat. Ce sont des laboratoires de ce que devrait être toute l’École en France promouvant les valeurs civilisées que sont le travail, l’encadrement intellectuel et affectif individualisé des élèves en lien étroit avec leurs parents, la liberté de penser, l’implication de tous les enseignants dans le projet de l’établissement. Que le message du christianisme inspire beaucoup d’entre eux n’a rien de répréhensible, bien au contraire, d’autant que les enseignements religieux n’y sont plus obligatoires désormais. Malgré cela, des élèves non baptisés et de familles agnostiques, juives ou musulmanes les suivent par curiosité et s’en portent très bien. Il n’y a rien de choquant à ce que, pendant ces heures, on y explique les principes théologiques et moraux qui sont exposés dans le catéchisme de l’Église. C’est le contraire qui serait anormal. La laïcité laïcarde est une absurdité et une petitesse d’esprit hélas trop répandue en France. Que ceux qui en doutent se plongent dans la biographie des pionniers de l’enseignement libre destiné aux pauvres : saint Jean-Baptiste de La Salle ou saint Jean Bosco.


[1] Jean-Robert Pitte, Une famille d’Europe, Paris, Fayard, 2011.

Et si c’était le talent que la gauche reprochait à Sylvain Tesson?

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Sylvain Tesson © Hannah Assouline

Considérant que l’écrivain à succès Sylvain Tesson est une «icône réactionnaire», des centaines de « poétesses, poètes, éditrices et éditeurs, libraires » pétitionnent contre sa nomination comme parrain du Printemps des poètes 2024. On guettera avec gourmandise la réaction de Rachida Dati.


Six cents personnalités du monde de la culture, pour la plupart inconnues, y compris pour les gens ayant un attrait pour les arts et la littérature, viennent de signer une tribune dans Libération – forcément – afin de s’opposer au parrainage du Printemps des poètes par Sylvain Tesson1. Le tort de l’un des écrivains les plus talentueux de sa génération ? Banaliser l’extrême droite ! 

Mauvaises fréquentations

L’auteur serait donc un réactionnaire, catalogué dans un pamphlet récent aux côtés de deux autres infréquentables, Michel Houellebecq et Yann Moix. Il eut le tort de préfacer une réédition du Camp des Saints2, ouvrage visionnaire du regretté Jean Raspail qui, en 1973, prophétisait le débarquement, sur les plages françaises, d’un million de miséreux. Il a beaucoup lu, des auteurs de droite et de gauche ; mais surtout, pour ses contempteurs, il cite Maurice Barrès. Il s’est même un jour rendu à La nouvelle librairie et a discouru sur Radio Courtoisie. N’en jetez plus, la coupe est pleine, débordant de ce que la gauche intolérante ne voudrait voir.

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Et si c’était, au bout du compte, le talent que les sectateurs woke lui reprochent ? La marche de Sylvain Tesson est guidée par le goût de l’aventure et du risque, la recherche du merveilleux là où il se dévoile encore et le penchant pour la solitude bercée par les soleils couchants. Sa plume est trempée dans les mers chaudes et froides du monde, les lacs qui dévoilent leurs mystères dans la brume et les fleuves qui serpentent quand ils ne font office de frontière. 

Avoir du talent ou pas

En amont de ses livres toujours attendus, l’épopée. La vraie, celle au cours de laquelle l’aventurier prend des risques en plantant son piolet dans la paroi, en affrontant la nature parfois hostile, en pénétrant dans des contrées où la neige finit par tout confondre. Sylvain Tesson eut la folie géniale de reproduire la retraite napoléonienne de Russie en… side-car, de s’isoler six mois dans les forêts que l’on devine inhospitalières de Sibérie, de vivre son Odyssée et de la raconter dans Un été avec Homère ou, plus modestement, d’arpenter les petits chemins noirs de la France. 

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Mieux, il est aussi bon orateur qu’écrivain (ce qui est rare !). Le compliment déplaira peut-être à l’homme de lettres qu’il est. Il suffit pourtant d’écouter disserter ce nomade fasciné par la sédimentation, ce sans domicile fixe ancrant chacun de ses pas dans la terre ferme, ce fieffé réactionnaire qui a pour fief la littérature, pour appréhender l’étendue de son éloquence. Le wokisme est un égalitarisme comme les autres, au nom duquel chaque tête qui dépasse doit être tranchée et chaque déviant enchaîné sur un lit de Procuste. Il est une affaire de meutes, forcément veules et lâches, souvent lancée à la poursuite de ceux que le génie isole. « Les hommes déprécient ce qu’ils ne peuvent comprendre », écrivait Goethe. Les adeptes de la cancel culture, munis des ciseaux d’Anastasie, n’ont pas compris que, plus encore que par l’imposition de leur moraline, leur action est dictée par leur incapacité à atteindre le talent des autres.


  1. https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/nous-refusons-que-sylvain-tesson-parraine-le-printemps-des-poetes-par-un-collectif-dont-baptiste-beaulieu-chloe-delaume-jean-damerique-20240118_RR6GMDTTHFFXNGLP7GG7DZ2ZFU/ ↩︎
  2. La tribune de Libération se trompe. Sylvain Tesson a écrit en réalité une préface à Là bas, au loin, si loin…, en 2015 (Bouquins Robert Laffont) NDLR ↩︎

La boîte du bouquiniste

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Georges Conchon. DR.

Les bouquinistes virés des quais de Seine par la Ville de Paris ont trouvé refuge à Causeur. Jusqu’à la fin des JO, la rédaction vous ouvre leur boîte à vieux livres.


Georges Conchon (1925-1990) n’avait pas la tête de l’emploi. Ne vous fiez pas à son faux air de Philippe Castelli et à son emploi hautement symbolique de secrétaire des débats au Sénat. Ce fonctionnaire d’élite, proche de Michel Rocard, ancien condisciple de Giscard, ami de Jean Carmet et de Gérard Depardieu, aimait pointer la rapacité des hommes. Le système ne lui résistait pas, il le décortiquait et le dépeçait avec une voracité jouissive, qu’il s’attaque à la décolonisation ou à la dinguerie des marchés financiers, son réquisitoire drôle est toujours férocement d’actualité. Sous cette figure placide, vaguement ennuyeuse, la pipe inamovible, se cachaient un pamphlétaire rigolard, un écrivain révolté en costume trois-pièces et un habitué des listes des meilleures ventes. Conchon, aujourd’hui honteusement oublié, a été honoré tout au long de sa carrière. Dès 1956, il a reçu le prix Fénéon pour Les Honneurs de la guerre, puis, en 1960, le prix des Libraires pour La Corrida de la victoire, et il décrocha même le prix Goncourt en 1964 pour L’État sauvage.

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Il était invité à la table de Pivot le vendredi soir et les films adaptés ou non de ses romans connurent des succès au box-office. Il a notamment écrit Sept morts sur ordonnance pour Jacques Rouffio et La Victoire en chantant pour Jean-Jacques Annaud, Oscar du meilleur film étranger en 1977. Un an plus tard, en 1978, il s’intéresse à une « vieille » affaire de 1974 où 66 milliards se sont évaporés dans la nature. Pour tout le monde ? « Il en fut très peu parlé. Même dans Le Monde, dont ce serait pourtant assez le genre. Un moment on a pu croire qu’ils allaient lever un coin du voile, au Monde, mais ils l’ont vite lâché. Closed, tout de suite. Occulted ! » écrit-il au début de ce roman sobrement intitulé Le Sucre et illustré par Ferracci, l’affichiste star des seventies, qui a paru aux éditions Albin Michel.

De quoi s’agit-il ? Du marché à terme des marchandises qui fait grimper artificiellement le prix du sucre, de la faillite des boursicoteurs, de la gabegie des grandes institutions et du silence complice de l’État. Le sujet est complexe, vitreux, inflammable, même son héros malheureux, Adrien Courtois, inspecteur des impôts tentant de faire fructifier l’héritage de son épouse, pharmacienne à Carpentras, n’y comprend plus rien.« Mais le principe du marché à terme, son charme, sa glorieuse incertitude, c’est justement la spéculation sur l’imprévisible », avance l’auteur, un brin goguenard. Conchon, c’est Albert Londres chez les Pieds nickelés, la rigueur d’une enquête journalistique à l’américaine avec ce style rapide, haché, tendu et un côté bistrotier, la vanne fuse sur le zinc. Dans ce roman de 1978 qui précède le film de Rouffio, on admire surtout son art du portait, toute cette faune sauvage, remisiers, commissionnaires, banquiers, hautsfonctionnaires qui court après « un petit sou » de plus. Et puis, il y a Raoul d’Homécourt dela Vibraye, incarné par Depardieu, qui explique àAdrien Courtois les mécanismes naturels de la déroute : « Fais donc pas cette tête ! T’es pas le premier, tu seras pas le dernier. Y a pas d’exemple, pas un seul exemple, tu m’entends, d’un petit spéculateur qui y ait pas laissé sa chemise. Depuis que le Marché est Marché, ça devrait se savoir, et ÇA SE SAIT PAS !… »

Georges Conchon, Le Sucre, Albin Michel, 1978.

Michel Drucker et les coupeuses de tête

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Les animateurs de France 2 Michel Drucker et Marie Portolano. Capture France 2.

Michel Drucker suscite une tempête sur les réseaux sociaux, après son passage sur France 2. Quelle époque ! « Vous avez vraiment souffert ? » a-t-il osé demander à Marie Portolano, samedi dernier. Mme Portolano s’est fait connaitre avec son enquête sur le sexisme dans le journalisme sportif, avant d’animer des concours de pâtisserie et « Télématin ». Le regard libre d’Elisabeth Lévy.


Tempête sur les réseaux sociaux. Même Michel Drucker, a-t-on envie de dire, déchaîne les néo-féministes des deux sexes. Il était invité samedi de Quelle Epoque sur France 2. Marie Portolano et Thomas Sotto, co-présentateurs de Télématin sur France 2 étaient là aussi, pour promouvoir leur émission. Passez-moi la rhubarbe, je vous passerai le séné… Passons.

Le « vieux monde sexiste » frappe à une heure de grande écoute

Drucker s’adresse à Portolano, auteur d’un documentaire sur le sexisme dans le journalisme sportif intitulé «Je ne suis pas une salope, je suis journaliste» :

« C’est l’ancien reporter sportif qui vous parle Marie, vous avez vraiment souffert avec les copains des sports, avec les mecs des sports ?
– Euh, non! … J’étais pas la seule…
– Ils ont vraiment eu des attitudes inconvenantes, vraiment? »

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Précisons qu’il a un sourire en coin, bienveillant et un brin paternel. Sur le plateau, personne ne moufte. Tout de même c’est Drucker. Et Léa Salamé lance un autre sujet.

Mais sur les réseaux, c’est un véritable hallali. « A vomir, une honte, qu’il dégage ce fossile » peut-on y lire. Ce « vraiment » ne passe pas.

Il croit qu’on ment ! s’indignent des femmes témoignant dans le documentaire. 20 Minutes parle carrément de questions misogynes[1], Télérama déplore un « désolant paternalisme » et un certain Rémi apporte son soutien à Portolano, laquelle aurait été victime d’une agression, selon lui. On aimerait savoir ce qu’en pensent les victimes de vraies agressions.  

Michel Drucker a peut-être été maladroit…

Mais il a POSE UNE QUESTION ! Drucker est un peu perplexe, car, lui, à son époque, aux sports, il n’a pas vu cela. Il se demande peut-être si les mots ont le même sens aujourd’hui qu’hier. Une blague lourde, c’est une agression? Un compliment, c’est sexiste ? Le documentaire de Mme Portolano révèle certainement des choses qui nous semblent accablantes aujourd’hui. Que tout le monde acceptait alors.

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Je vous disais récemment que la révolution #metoo entrait dans sa phase terroriste. Que ça tombe sur Michel Drucker, l’urbanité faite homme, le prouve. Personne ne l’accuse de s’être mal comporté, mais pour une question – je le répète – il devient l’ennemi du peuple, l’ennemi des femmes. Questionner la parole des femmes, comme celle du Parti ou de Dieu, c’est blasphématoire. Douter est un crime. Vous avez juste le droit de vous prosterner et de dire « Amen ».

Autre classique totalitaire : la dénonciation des pères. Pour que les lendemains chantent, les hiers doivent avoir été une longue nuit. Au rancart les boomers. En réalité les petits gardes roses d’aujourd’hui ont plus en commun qu’ils ne le croient avec leurs parents et leurs grands-parents ex-soixante-huitards et ex-extrême gauchistes: le fanatisme, l’intolérance, l’esprit de procès et de lynchage.

En prime, ils ont lu moins de livres. 


[1] https://www.20minutes.fr/arts-stars/people/4070581-20240115-epoque-malaise-apres-serie-questions-misogynes-michel-drucker-marie-portolano