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Michel Drucker et les coupeuses de tête

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Michel Drucker suscite une tempête sur les réseaux sociaux, après son passage sur France 2. Quelle époque ! « Vous avez vraiment souffert ? » a-t-il osé demander à Marie Portolano, samedi dernier. Mme Portolano s’est fait connaitre avec son enquête sur le sexisme dans le journalisme sportif, avant d’animer des concours de pâtisserie et « Télématin ». Le regard libre d’Elisabeth Lévy.


Tempête sur les réseaux sociaux. Même Michel Drucker, a-t-on envie de dire, déchaîne les néo-féministes des deux sexes. Il était invité samedi de Quelle Epoque sur France 2. Marie Portolano et Thomas Sotto, co-présentateurs de Télématin sur France 2 étaient là aussi, pour promouvoir leur émission. Passez-moi la rhubarbe, je vous passerai le séné… Passons.

Le « vieux monde sexiste » frappe à une heure de grande écoute

Drucker s’adresse à Portolano, auteur d’un documentaire sur le sexisme dans le journalisme sportif intitulé «Je ne suis pas une salope, je suis journaliste» :

« C’est l’ancien reporter sportif qui vous parle Marie, vous avez vraiment souffert avec les copains des sports, avec les mecs des sports ?
– Euh, non! … J’étais pas la seule…
– Ils ont vraiment eu des attitudes inconvenantes, vraiment? »

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Précisons qu’il a un sourire en coin, bienveillant et un brin paternel. Sur le plateau, personne ne moufte. Tout de même c’est Drucker. Et Léa Salamé lance un autre sujet.

Mais sur les réseaux, c’est un véritable hallali. « A vomir, une honte, qu’il dégage ce fossile » peut-on y lire. Ce « vraiment » ne passe pas.

Il croit qu’on ment ! s’indignent des femmes témoignant dans le documentaire. 20 Minutes parle carrément de questions misogynes[1], Télérama déplore un « désolant paternalisme » et un certain Rémi apporte son soutien à Portolano, laquelle aurait été victime d’une agression, selon lui. On aimerait savoir ce qu’en pensent les victimes de vraies agressions.  

Michel Drucker a peut-être été maladroit…

Mais il a POSE UNE QUESTION ! Drucker est un peu perplexe, car, lui, à son époque, aux sports, il n’a pas vu cela. Il se demande peut-être si les mots ont le même sens aujourd’hui qu’hier. Une blague lourde, c’est une agression? Un compliment, c’est sexiste ? Le documentaire de Mme Portolano révèle certainement des choses qui nous semblent accablantes aujourd’hui. Que tout le monde acceptait alors.

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Je vous disais récemment que la révolution #metoo entrait dans sa phase terroriste. Que ça tombe sur Michel Drucker, l’urbanité faite homme, le prouve. Personne ne l’accuse de s’être mal comporté, mais pour une question – je le répète – il devient l’ennemi du peuple, l’ennemi des femmes. Questionner la parole des femmes, comme celle du Parti ou de Dieu, c’est blasphématoire. Douter est un crime. Vous avez juste le droit de vous prosterner et de dire « Amen ».

Autre classique totalitaire : la dénonciation des pères. Pour que les lendemains chantent, les hiers doivent avoir été une longue nuit. Au rancart les boomers. En réalité les petits gardes roses d’aujourd’hui ont plus en commun qu’ils ne le croient avec leurs parents et leurs grands-parents ex-soixante-huitards et ex-extrême gauchistes: le fanatisme, l’intolérance, l’esprit de procès et de lynchage.

En prime, ils ont lu moins de livres. 


[1] https://www.20minutes.fr/arts-stars/people/4070581-20240115-epoque-malaise-apres-serie-questions-misogynes-michel-drucker-marie-portolano

«Affaire Stan»: Et pendant ce temps, au Royaume Uni…

Pendant que les Français (ou leurs journalistes) se passionnent pour la scolarité des enfants de la nouvelle ministre de l’Éducation, que la gauche dénonce un prétendu « séparatisme » scolaire de Mme Oudéa Castéra et s’interroge sur les cours de caté de l’établissement privé Stanislas, au Royaume Uni, la Haute Cour d’Angleterre est invitée à se prononcer d’ici à la semaine prochaine sur une plainte pour discrimination visant la Michaela Community School, école privée très prisée située à Wembley. Jeremy Stubbs raconte.


Alors qu’un débat animé que l’on pensait éteint et qu’une « guerre » entre école publique et école privée reprennent dans l’hexagone, je voudrais ce matin vous raconter l’histoire de Katharine Birbalsingh, la directrice d’une école londonienne – peut-être la directrice d’école la plus célèbre de toute l’Angleterre. Sur l’échiquier politique, ses succès indéniables dans le domaine de l’éducation lui ont valu les louanges de la droite et les huées de la gauche. Car cette femme, née en Nouvelle-Zélande d’un père guyanien d’ascendance indienne et d’une mère jamaïcaine, élevée au Canada, mais ayant passé toute sa vie d’adulte au Royaume Uni, a fondé une école en 2014 qui a battu presque tous les records en matière de réussite scolaire.

« École libre » made in GB

La Michaela Community School, située à Wembley, dans une banlieue difficile de la capitale britannique, fait à la fois collège et lycée, selon le modèle anglais. (Si je dis « anglais », c’est parce que système scolaire n’est pas le même dans tous les pays du Royaume Uni). Le statut de cet établissement est celui d’une « école libre », c’est-à-dire qu’elle est financée par l’État, les élèves n’ont pas de frais de scolarité, mais l’école est largement indépendante de l’autorité locale – du rectorat, si vous voulez. Elle a plus de liberté que les écoles publiques pour choisir son propre programme et ses propres méthodes pédagogiques.

Dans un environnement qui met l’accent sur la bienveillance, la reconnaissance et l’épanouissement, l’école impose une discipline très stricte. On l’a même appelée « l’école la plus stricte de l’Angleterre ». Il y a une tolérance zéro pour les mauvais comportements ; le système de sanctions et de récompenses est expliqué en début de chaque année ; et le port de l’uniforme est obligatoire. Les méthodes pédagogiques sont les bonnes vieilles méthodes traditionnelles. La mémorisation est à l’honneur. L’apprentissage de la langue anglaise – en respectant scrupuleusement les règles grammaticales, l’orthographe et la précision du vocabulaire – est au cœur du programme. L’étude des pièces de Shakespeare est obligatoire. Et les réussites en mathématiques montrent combien cette matière est prise au sérieux.

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Les élèves sont de toutes les origines ethniques présentes outre-Manche et de toutes les grandes religions. C’est donc une école multiculturelle. Pourtant, on enseigne aux jeunes que ce qu’ils ont en commun, c’est le fait d’être Britanniques. Tout est fait pour promouvoir une identité proprement nationale. L’histoire et la culture britanniques sont au programme, et si les pages sombres ne sont pas cachées, les apports positifs ne le sont pas non plus. Pour montrer que l’élève peut être fier de son pays, on a recours aux chansons patriotiques.

Katharine Birbalsingh, une directrice pas adepte de ce wokisme en vogue ailleurs

Katharine Birbalsingh ne nie pas l’existence du racisme dans la société, mais rejette l’idée que la solution réside dans l’idéologie victimaire, dans la doctrine de la diversité et de l’inclusivité ou dans tout ce qui introduit la notion d’une ségrégation entre les élèves. La vraie réponse aux difficultés des minorités ethniques et religieuses se trouve dans la discipline et la réussite scolaire. Et la réussite scolaire est au rendez-vous. Le taux de réussite des élèves aux examens nationaux et dans la compétition pour les places dans les meilleures universités est parmi les plus élevés de tout le pays. Et à chaque visite des inspecteurs d’école, l’établissement est jugé excellent dans toutes les catégories. En 2020, Mme Birbalsingh a été décorée par la reine Elisabeth !

Ce n’est donc pas une surprise si elle est devenue une cible pour la gauche et l’extrême-gauche wokiste. Elle a fait l’objet non seulement de critiques de la part des partisans d’une pédagogie plus molle ou plus militante, mais aussi d’insultes et de menaces d’activistes haineux. Et c’est là qu’arrive l’histoire qui nous préoccupe aujourd’hui.

Quand l’islam s’en mêle

En mars 2023 l’école interdit les rituels de prière musulmans à l’école – c’est-à-dire la pratique de la Sâlat. En réponse, certaines personnes à l’extérieur ont cherché à insulter, intimider et agresser le personnel enseignant. Cette semaine, la Haute Cour d’Angleterre examine la plainte portée par une élève musulmane qui accuse l’école Michaela de discrimination : pour elle, cette interdiction serait contraire à son droit à la liberté de conscience ou de religion. Selon l’avocat de la plaignante, un chrétien pourrait prier en silence, assis dans la cour de récré, mais un musulman doit pouvoir accomplir tout un rituel – d’où l’accusation de discrimination.

Katharine Birbalsingh s’est déjà défendue : son école d’environ 700 élèves est une école laïque. En anglais, on dit « secular », c’est-à-dire ouverte à toutes les religions sans en privilégier aucune. Chaque « communauté » a dû faire des concessions pour permettre à tous de vivre ensemble : les Témoins de Jéhovah ont dû accepter d’étudier le Macbeth de Shakespeare, en dépit des scènes de sorcellerie dans cette pièce ; les chrétiens ont dû accepter les séances de révision le dimanche ; les hindous, la présence d’œufs dans les cuisines… Les musulmans sont priés d’accepter l’absence de salles de prière. Il faut dire que, outre-Manche, les salles de prière musulmane ne sont pas du tout obligatoires dans les établissements publics et y sont d’ailleurs très rares. Pourquoi donc s’en prendre à l’école Michaela en particulier ? D’autres questions se posent : qui a coaché la plaignante ? qui paie les frais d’une avocate de haut niveau, qualifiée pour plaider devant la Haute Cour ?

L’école Michaela est vraiment l’école telle que nous la rêvons – l’école où la discipline permet le respect mutuel et encourage l’ouverture à l’autre ; l’école où les méthodes pédagogiques centrées sur les capacités à acquérir font progresser l’élève ; l’école où les critères d’excellence poussent chacun à se dépasser et à dépasser sa condition sociale. C’est donc, pour certains, l’école à détruire et sa directrice, la femme à abattre.

La fin des non-dits en politique et ailleurs?

Dans le monde politique, la semaine écoulée a démontré que plus rien n’était à l’abri de la suspicion.


On m’accordera, je l’espère, que depuis la démission forcée d’Elisabeth Borne, dans le domaine politique, notamment au plus haut niveau présidentiel, l’intérêt et la grandeur de la France sont radicalement passés au second plan. On me concédera que la vie politicienne a été portée à son zénith et qu’on n’y voie pas un reproche de ma part : je l’adore. C’est juste un constat. « Politicienne » est d’ailleurs un peu faible. C’est davantage un champ de coups fourrés, de magouilles, de pièges, de vengeances, d’humeurs, de rétorsions, de secrets et de leurres : un vaudeville démocratique qui laisse loin derrière lui la moindre allure républicaine.

Le poison de la transparence

En même temps on découvre un processus qui d’une certaine manière pourrait être perçu tel un progrès par rapport à l’hypocrisie habituelle : l’éradication des non-dits, la fin des « je n’en pense pas moins mais je ne dirai rien ». Je ne fais pas allusion aux réseaux sociaux où depuis longtemps le cloaque, parfois pertinent dans ses douteuses extrémités, domine et où on n’hésite pas à révéler ce qui devrait demeurer secret et qui même ne devrait pas être abordé.

Avant de faire un sort à notre monde politique qui est atteint par ce poison – cette transparence d’un nouveau genre ? -, on est bien obligé de constater que dans notre quotidienneté en quelque sorte civile, il y a longtemps que les non-dits ne sont plus définis comme le comble de la politesse, un miracle de la civilité. Nous sommes loin de ce qu’Alain Finkielkraut expose magnifiquement dans son dernier livre à partir d’une explication d’Emmanuel Levinas pour qui l’autre et son visage constituent ce qui vont nous détourner forcément de nous-même pour nous conduire au respect du prochain.

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Au fil des jours, et de plus en plus – je me sens moi-même coupable de cela -, le besoin de dire le vrai, même s’il offense, est devenu le signe d’une sincérité qui se flatte de tous ces non-dits qu’elle écrase. J’ai bien conscience que pousser à l’extrême un tel processus pourrait constituer notre humanité comme un champ de ruines mais n’est-il pas dur parfois de taire les seules choses qui seraient susceptibles de permettre l’élucidation d’autrui et de ses postures ? Cette politesse qui incite à s’abstenir, cette urbanité qui s’efforce d’occulter, cette douceur d’une civilité systématique n’étaient pas étrangères au débat politique, aux joutes partisanes. Derrière les affrontements idéologiques les plus rudes, subsistait le souci des personnes et de leurs tréfonds de même que des siens. Ils restaient dans l’ombre.

Tout cela est fini. Les non-dits sont totalement vaincus. Non seulement l’exigence de rassemblement, vœu pieux de tous les présidents de la République, n’a jamais été concrétisée mais avec Emmanuel Macron, la dislocation du pays en trois familles politiques et en de multiples antagonismes ponctuels a pris un tour tellement personnel qu’il en est jouissif ou dévastateur.

François Baroin : quand Rachida fâchée, elle toujours faire ainsi !

Il y a d’un coup une libération de la parole intime, du verbe qui n’osait pas s’exprimer, moins par morale que par la crainte de devenir à son tour la cible : maintenant, ce qui gisait au fond surgit à la surface. Le Premier ministre est stigmatisé parce qu’il ne serait pas « un homosexuel ostentatoire » et qu’il serait juif – alors qu’il ne l’est pas d’ailleurs. Fabien Roussel le qualifie de « Dalida… paroles, paroles, paroles » ! On exprime ouvertement la honte d’avoir un ministre des Affaires étrangères qui parle si mal le français en Ukraine. S’il y a une déplorable maladresse de communication de la nouvelle ministre de l’Éducation nationale qui a gardé les sports dans son portefeuille (mauvaise idée !), la manière dont elle est traitée relève d’une inquisition qui fait bon marché de la liberté des choix familiaux. Plus rien n’est à l’abri de la suspicion, même la plus intime, quand un pouvoir peu lucide dans sa sélection ministérielle n’a pas su prévenir les inéluctables controverses.

Les Républicains ne sont pas épargnés. Lors de ses vœux à Troyes, François Baroin s’en prend à Rachida Dati en lui reprochant son entrée au gouvernement et son illusion pour son « deal » avec le président en ce qui concerne la Mairie de Paris en 2026. Elle lui a répliqué vertement en l’accusant de n’avoir été qu’un « héritier » dont les autres ont fait la carrière et qui s’est toujours défaussé quand son parti avait besoin de lui.

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Je ne me prononce pas sur le fond de ces disputes mais elles mettent en lumière que les arrière-pensées, même les plus vindicatives, ont pris la relève des faux consensus et des apparentes concordes. Je ne peux m’empêcher de relever que sous ces antagonismes qui révèlent des actions ou des abstentions politiques, des tactiques partisanes, on retrouve toujours les mêmes responsables qui continuent, directement comme Eric Ciotti ou indirectement, vicieusement comme Nicolas Sarkozy, à s’occuper des Républicains. On aboutit à ce paradoxe que si LFI a fait perdre délibérément au débat parlementaire sa tenue et que Jean-Luc Mélenchon a explosé en mille provocations, aucun député de son camp n’a jamais violemment disqualifié ce dernier, tant une retenue, une peur persistent, qui le protègent. Il y a encore beaucoup de non-dits chez eux comme peut-être aussi au Rassemblement national où on fait silence pour ne pas faire apparaître que Jordan Bardella serait meilleur que Marine Le Pen en 2027.

La fin de la plupart des non-dits en politique est-elle en définitive une heureuse évolution ? On pourrait répondre par l’affirmative si elle était compatible avec l’essentiel qui est le programme, l’élaboration du projet. Ou faut-il tristement admettre que ce qui manque, ce ne sont pas les idées mais les personnalités, les intégrités et les courages ? En tout cas, pour l’instant, quel jeu de massacre !

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Hausse des taux et baisse du niveau

Si les Français sont notoirement nuls en économie, leurs élites, à commencer par Christine Lagarde, ne semblent pas tellement plus calées. On a pu s’en apercevoir à l’occasion de la crise inflationniste post-Covid.


Les économistes des générations futures regarderont le début du XXIe siècle comme l’une des périodes les plus étonnantes de leur discipline. Pendant quelques années, nous avons en effet mis à bas toutes les certitudes acquises, défié toutes les lois du marché. À partir de la crise des subprimes, en 2008, les banques centrales ont pu faire tourner la planche à billets à plein régime, sans créer d’inflation. À rebours de la théorie, les taux d’intérêt ont connu alors un niveau historiquement bas. L’Allemagne a pu même emprunter à des taux négatifs, une aberration. On prêtait 100 euros aux Teutons et ils promettaient d’en rendre 99 à leur créancier ravi. Essayez chez le boucher : « Vous le mettrez sur ma note, René, et je repasserai vous donner moins. » Gueule de René.

Dans son sillage, la France a pu continuer à faire ce qu’elle sait le mieux : s’endetter pour déverser par brassées des milliards d’euros sur des clientèles diverses. Avec, au cours de cette période bénie, l’argument de la « bonne affaire ». Emprunter à de telles conditions, il fallait être un décliniste réactionnaire pour ne pas vouloir profiter de l’aubaine. Et Dieu sait si Sarkozy, Hollande et Macron en abusèrent, non pour investir dans la défense ou le nucléaire, mais pour calmer les bonnets rouges, les banlieues, les gilets jaunes, et tous les autres Gaulois réfractaires au boulot autant qu’à l’arithmétique.

Culture financière : les Français en queue de classement

Parallèlement à cette légitimation du tropisme français pour la gestion dispendieuse des deniers publics, cette faiblesse historique des taux a eu de multiples effets. L’argent placé sur un compte épargne ne rapportait rien ; on se devait d’investir à tout prix dans quelque chose, le cas échéant et parfois de préférence, dans n’importe quoi. Le plus visible a été bien sûr la hausse vertigineuse de l’immobilier, mais également celle de tous les actifs, actions, start-ups au businessmodel fumeux, montres, Porsche, bitcoins, jusqu’aux plus baroques – les NFT et les Bored Ape, littéralement les « singes las », sorte de vignette Panini virtuelle à 300 000 euros le bout.

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Les Français restent bien calés en fond de classement européen pour la culture financière (14e sur 18 en 2020), mais ils en tirent une certaine fierté. Fidèles au Général, « l’intendance suivra » semble être leur motto pour ne prêter qu’une oreille distraite aux données macroéconomiques. Tout ce qui dépasse la valeur d’une résidence principale leur semble équivalent – un million, un milliard, c’est du domaine de l’abstraction. Lorsque les effets de la planche à billets se sont enfin alignés sur ce qui était écrit dans les manuels d’économie – le retour d’une vigoureuse inflation, ils ont bien sûr mis cela sur le compte des « patrons » désireux de s’en mettre plein les poches. Ils n’avaient d’ailleurs pas complètement tort, puisqu’on estime qu’un peu moins de la moitié de la hausse des prix n’a eu comme autre motivation que celle d’améliorer leurs marges. Néanmoins, anecdotique pendant dix ans, l’inflation a atteint 8,6 % en zone euro en décembre 2022, avec des conséquences très concrètes pour l’État, les entreprises et les particuliers. Hausse des taux d’emprunt, difficultés à acheter, tout cela s’est traduit par un gel du marché de l’immobilier, une chute des prix en cours que certains pronostiquent à 20 % (!). La valeur de certaines starts-ups, les fameuses licornes valorisées plus d’un milliard de dollars, s’est vaporisée. Et nos gouvernants devront désormais trouver 72 milliards en 2027, une paille, pour payer les intérêts de la dette contre 33 milliards en 2023. Pour faire face à cette dépense supplémentaire de 39 milliards (c’est combien en pavillons de banlieue ?), il suffirait de… supprimer l’Éducation nationale – 40,3 milliards en 2023. Vu ce qu’on y apprend – surtout en économie – et les coups de couteau qu’on y risque, sans doute un mal pour un bien.

Politique de la FED et politique de la BCE

Là où les choses se sont compliquées, c’est quand les élites européennes et plus précisément celles de la BCE sont entrées dans la danse pour gérer la vague inflationniste. Pour faire simple, il convenait d’augmenter rapidement les taux d’intérêt pour lutter contre la surchauffe, en restant prêt à les baisser aussi prestement, dès que leur niveau risquait de déclencher une récession. Certes perçues comme des apparatchiks sans cœur, mais crédités d’une expertise technique, Christine Lagarde et ses équipes ont réagi comme on pouvait, hélas, s’y attendre. Aussi médiocre en matière économique que ses concitoyens, Mamie BCE n’a évité aucune des chausse-trappes que la crise à venir avait dissimulées sous ses pas. En septembre 2021, la reine Christine déclare que « l’inflation est transitoire », alors que tout indique le contraire. En décembre 2021, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, sans doute amoureux de la saucisse de Francfort, précise que « l’inflation devrait revenir à son niveau cible de 2 % en 2023 ». Nous serons en réalité à 5,3 %. Pendant ce temps-là, la Fed avait déjà commencé à relever ses taux, mais la BCE n’a pourtant pas eu le réflexe de survie du cancre : copier sur son voisin. Puis vint (enfin) l’indispensable hausse des taux d’intérêt, trop tardive et surtout trop brutale. Et tandis que tout indiquait que l’inflation allait reculer et qu’il convenait donc de lentement mais sûrement, ramener de la toile afin de ne pas asphyxier l’économie, le 14 juillet 2023 Lagarde se meurt (de honte), mais ne se rend pas (à l’évidence) : « La BCE ne s’engagera pas dans un cycle de resserrement monétaire trop rapide. »Quelques jours après, le sieur Villeroy, lucide, renchérit :« La Banque de France ne prévoit pas de baisse des taux d’intérêt avant 2025. » Six mois plus tard, le même annonce, sans surprise, une première baisse des taux. La planète financière voit l’inflation rentrer dans la niche en 2024, tandis qu’au royaume de Oui-Oui, à Francfort, la reine Christine se dit assez hostile à une inflexion des taux.En clair, elle est favorable à une prochaine contraction économique européenne. La France vient d’ailleurs d’enregistrer un premier trimestre de croissance négative. Devinez ce que fait la Fed avec ses taux ? Le contraire.

Qu’importe la récession à venir. N’est-il pas finalement rassurant de constater que le niveau de nos dirigeants est indexé sur celui de la population française ? Au moment où le chômage hexagonal, toujours plus élevé qu’en Europe du Nord ou aux États-Unis (même lorsqu’il baisse) est en passe de remonter, ce triomphe de l’égalitarisme réchauffera les cœurs.

Coordonne-moi plus fort

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Après les plateaux de cinéma, les coordinatrices d’intimité s’attaquent au marché de l’art lyrique.


J’ai appris récemment sur les réseaux sociaux qu’une association d’artistes lyriques organisait une conférence autour des « scènes intimes » à l’opéra, animée par la première coordinatrice d’intimité en France : Monia Aït El Hadj. Ma grand-mère disait toujours :« il n’y a pas de sot métier ». Elle a eu le privilège de mourir de vieillesse sans connaitre cette nouvelle lubie.

Va te faire coordonner chez les Grecs 

Coordinateur d’intimité ? L’intrusion de cet oxymore managérial dans le domaine des dessous chic m’a laissée songeuse. A priori, les intimités se coordonnent très bien toutes seules. S’agit-il d’un assistant de réalisateur porno ? Un groom grognon apportant le gel, les capotes et le gode sur le set d’un threesome tourné dans un studio de Budapest ? Une femme préparatrice en érection ? Fichtre. Mon imagination est très hétéronormée… En réalité, « la coordinatrice d’intimité est une personne multidisciplinaire qui accompagne la mise en scène et les interprètes dans la création des scènes intimes (comme la nudité, la sexualité simulée, des violences sexuelles, ou de manière plus large tout ce qui implique un contenu exposé ou intime…) ». Tout un programme. Le consentement, c’est ceux qui en parlent le plus qui le respectent le moins.

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Sans surprise, cette profession de grue, lancée à l’assaut des secteurs culturels de moins en moins subventionnés vient des Etats-Unis… Dans leur formation, des choses aussi utiles que la queer theory, la psychanalyse, les droits des LGBT, ou le bdsm dans l’underground new-yorkais. Des sujets qui s’étudient en bibliothèque quand on n’a pas de vie… Vous connaissiez l’histoire du Belge qui s’occupe de sa femme dans une partouze ? Sa bêtise est désormais pulvérisée par la coordinatrice d’intimité blonde qui n’assume pas son côté voyeur. Les Anglo-saxons n’en manquent pas une. Vivement le retour de la Saint-Barthélémy. 

On se coordonne et on se fait une bouffe ?

Je raconte ça à une amie et collègue soprano à l’étranger. Elle me répond, atterrée, qu’un ténor d’une tête et demie de moins qu’elle lui a demandé l’autorisation de poser sa main sur son épaule pendant qu’elle chantait le second air de Donna Anna dans Don Giovanni « ne me dis pas, mon amour, que je suis cruelle pour toi. » C’est une wagnérienne, elle en impose. Quand une chanteuse d’1m80 et 130 décibels parle, les ténors légers écoutent : « Si tu as un rapport à ton corps tellement effacé que tu imagines me violer de l’épaule, que fais-tu dans ce métier ? Je suis capable de réagir dans un jeu de scène si tu vas trop loin. »

Construire une technique vocale, c’est libérer une énergie et une musculature, du périnée au diaphragme. Il vaut mieux être à l’aise avec son corps et incarnée pour chanter. On fait rarement mieux que l’incarnation et la boxe pour répliquer en cas de problème de consentement. Ne parle-t-on pas de « bêtes de scène » pour qualifier le caractère instinctif que doit avoir un artiste ?  « Il ne s’agit pas de censurer ou d’être une sorte de police des bonnes mœurs, mais de s’assurer que les interprètes se sentent en sécurité en ayant pu exprimer leurs limites et donner clairement leur consentement tout au long du processus créatif. Le but est de faire se rencontrer ce qu’a imaginé un réalisateur et ce qu’est prêt à jouer un artiste. » Que reste-t-il de la spontanéité d’un corps quand il faut une tierce personne pour assurer le geste de l’un et le consentement de l’autre ?

Jésus a dit : « Coordonnez-vous les uns les autres »

Les coordinateurs d’intimité sont avant tout le reflet d’une société dont la peur des femmes, prédominante, amène des psychorigides à se prémunir d’hystériques imaginaires. Vite, des juristes tenant la chandelle sur un tournage pour éviter les procès ! Qu’il puisse y avoir des problèmes de consentement dans l’art, qui en doute ? Sharon Stone a par exemple dit qu’elle ignorait qu’on voyait son sexe dans Basic Instinct. Il faut parfois de la réalité pour rendre crédible une scène. Portman a vraiment été tondue pour V comme vendetta.

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Dans l’Opéra, cela se double d’une contradiction majeure : une sur-représentation de scènes de sexe dans des mises en scène contemporaines parfois pornographiques, et un attrait pour des voix de moins en moins charnues et puissantes, comme si l’oreille souhaitait évacuer l’existence des femmes dans un art où elles sont pourtant reines. Voilà qui devraient intéresser Mona Chollet bien plus que les sorcières. Juste avant que Charcot torture ses patientes à la Salpêtrière, Donizetti créait Lucia di Lamermoor, dont le livret explique bien, contrairement à la médecine de l’époque, pourquoi une femme bascule dans la folie, ce qu’est un viol conjugal, la manipulation et « l’emprise ». Plus féministe qu’un contre-ut écrit à une époque où les théâtres étaient peuplés de demi-mondaines pour défendre sur scène des bourgeoises victimes du patriarcat, tu meurs.

La levrette est une cascade comme une autre

« Notre métier est proche de celui du coordinateur de cascade. D’ailleurs, il ne viendrait à l’idée de personne de tourner une cascade sans préparation ! »  Paloma García Martens m’aura achevée avec cette comparaison. Sauter d’un immeuble, simuler une levrette, dans les deux cas, les risques sont-ils vraiment les mêmes ? Seul Belmondo aurait sérieusement pu répondre à cette question.

Et de poursuivre : « Ces scènes sont encore souvent laissées à la totale improvisation. Le but pour un interprète n’est pas de jouer sa propre intimité ou sexualité sur un plateau, mais celle de son personnage. Or, il est impossible de travailler cet aspect de la narration lorsque ces scènes sont improvisées ou lorsque l’on prend juste quelques minutes avant le tournage pour s’en parler. » Nous travaillons tous nos personnages avec les détails les plus ténus possibles. La sexualité ne fait pas exception.

Je laisse là cette chronique du monde contemporain tel qu’il déraille, j’ai un rendez-vous de coordination personnelle qui m’attend.

Patrice Jean, le dos au mur, choisit la littérature

Mais l’écrivain redoute sa disparition sous les coups de boutoir du militantisme.


« Vivre avec le mal, le dévoiler, pénétrer dans sa grotte, c’est la mission de la littérature », affirme Patrice Jean dans Kafka au candy-shop, la littérature face au militantisme, paru aux éditions Léo Scheer. L’auteur de L’homme surnuméraire et de Tour d’ivoire observe que la littérature et en particulier l’art romanesque sont menacés de disparaître sous les coups du militantisme politique, du relativisme culturel et des sciences humaines, toutes choses qui, selon lui, nuisent à la qualité d’une littérature contemporaine de plus en plus éloignée de l’idée de péché originel : « Croire au péché originel n’est pas, comme on dit, un dogme négociable. La littérature qui ne croit pas à ce péché est une littérature pour l’école et pour le divertissement. […] Sans suffocation, sans conflit insoluble, sans la chute, pas de littérature. » Les « anges intraitables » du progressisme ne concevant pas le monde autrement que débarrassé de cette malédiction originelle, ils n’attendent de la littérature qu’un « message positif, avec du sucre dedans ». Comme l’écrivait Philippe Muray, qui consacra de nombreuses pages à ce sujet : « Sitôt le péché originel éradiqué des consciences (qui dailleurs, et par la même occasion, ne sont plus à proprement parler des consciences), le Bien commence à faire des siennes. » Partout, y compris en littérature. Adieu Flaubert, bonjour Bobin.

L’art littéraire devenu inutile

Le militant progressiste, écrivain ou lecteur, pense qu’il est possible, et même qu’il est souhaitable, d’éradiquer le Mal. Négligeant « la vie intérieure de l’individu », il ne le conçoit  que politiquement ou socialement et ne le décèle que dans le capitalisme, les frontières, le patriarcat, les nations, les mâles, etc. ; il s’imagine qu’il suffira d’un tract vindicatif ou d’un éclat de voix dans un mégaphone pour le faire rentrer dans son terrier. Ses livres préférés sont ceux qui, nappés d’une épaisse moraline, dénoncent le racisme, le sexisme, les inégalités sociales ou l’homophobie. Ainsi, il écrit ou lit des pages insipides qui reflètent la médiocrité d’une littérature incapable de sonder l’âme humaine jusque dans ses recoins les plus enténébrés, d’une sous-littérature décrivant un monde idéal et angélique, monde dans lequel l’art littéraire, justement, devenu non seulement inutile mais même inenvisageable, est remplacé tout entier par le « livre feel good », « kitsch, joli, gnangnan », une sucrerie, une distraction à des années-lumière « des galeries souterraines de l’âme » explorées par les grands écrivains, écrit Patrice Jean. Adieu Proust, bonjour Gaudé.

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Les sciences humaines, la sociologie en premier lieu, ont infecté la littérature, soit en la supplantant directement sur les rayons des librairies, soit en s’immisçant sournoisement dans des romans transformés en thèses analytiques, en schémas scientifiques, en exposés sociologiques dépourvus d’imagination et souvent narcissiques – Annie Ernaux ou Édouard Louis sont d’éminents exemples de ces boursouflures nombrilistes qui font le bonheur des médias en tenant à distance la véritable littérature et en s’exerçant régulièrement à un autre art scriptural, celui de l’écriture politico-administrative de pétitions « contre le gouvernement, le racisme, le sexisme » ou contre des écrivains qui restent à l’écart du progressisme ambiant et mettent l’art de l’écrit au-dessus même de leurs convictions – Renaud Camus et Richard Millet, par exemple. Les sciences humaines et le progressisme vont à contre-sens de la littérature, écrit en substance Patrice Jean – les premières en se bornant à disséquer scientifiquement la vie des hommes ; le second en considérant l’existence humaine non comme une réalité tragique insurmontable mais comme l’incarnation d’un projet politico-historique en cours de construction. Ajoutons à l’analyse de Patrice Jean que le progressisme est parvenu, dans le domaine de l’art, à substituer au « réalisme socialiste » stalinien, un « réalisme progressiste » battant pavillon woke et usant des mêmes manières que sa devancière soviétique : effacement de la culture ancienne, censure, révisionnisme artistique, promotion d’un art institutionnel correspondant aux critères du nouveau régime, médias aux ordres, rééducation des plus vieux et conditionnement idéologique des plus jeunes.   

Saccage progressiste

« Il arrivera un jour, peut-être, où la littérature non progressiste aura disparu », s’inquiète Patrice Jean en notant l’apparition récente des « relecteurs en sensibilité » qui saccagent la littérature classique et obligent nombre d’écrivains contemporains à s’autocensurer afin de ne choquer personne et de « récolter les caresses des médias ». Finalement, de plus en plus d’auteurs, qui se croient subversifs, deviennent de fidèles adeptes de la religion progressiste et « écrivent avec sincérité une littérature qui ne donne aucune ligne à détordre aux relecteurs ». Les mêmes refusent de hiérarchiser les œuvres et leurs auteurs, ne font aucune distinction entre Tolstoï et Ernaux ou entre la musique de Bach et le rap puisque, de leur point de vue sociologisant (merci Bourdieu !), cette distinction ne relève pas de critères artistiques mais d’un préjugé social, d’une façon de se distinguer, de se tenir au-dessus du pékin moyen auquel ils interdisent, ce faisant, l’accès aux œuvres les plus grandes, celles qui ne le brossent pas dans le sens du poil mais l’entraînent au contraire dans l’obscurité, le doute, le questionnement face à l’impuissance de toucher au mystère de sa propre vie sans cet art qui lui doit tout et qui le lui rend au centuple en exaltant poétiquement, littérairement, musicalement, ses peurs, ses rêves, ses rires, ses désillusions, sa joie et sa douleur de vivre.

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Jeune, Patrice Jean, issu d’un milieu populaire, a été « violemment de gauche », apprenons-nous dans le chapitre intitulé Autobiographie politique. S’il se détourne du combat politique en découvrant « les écrivains du désespoir, de Baudelaire à Cioran, de Nietzsche à Schopenhauer », il continue, durant ses jeunes années, de se revendiquer du progressisme et de lire Charlie Hebdo, Les Inrocks et Le Monde. Bientôt, la schizophrénie politique le guette, écrit-il en décrivant sa gêne « au milieu du troupeau », dans les manifestations qu’il arpente, à la fois amusé et excédé par le spectacle de ces gens de gauche se ripolinant la conscience à peu de frais. Les années Mitterand commenceront de lui déciller les yeux ; à cet égard, Patrice Jean conseille la lecture de l’excellent essai autobiographique de Bruno Lafourcade, Une jeunesse les dents serrées, pour « sentir à plein nez la décomposition du socialisme » et humer les premiers relents du progressisme mortifère. L’affaire Renaud Camus, le procès contre Houellebecq – suite aux propos peu amènes de l’écrivain sur l’islam – montrant « des bouffeurs de curés patentés se révolter contre le blasphème », le panurgisme « républicain » au moment où Le Pen accède au second tour des élections présidentielles finiront de faire basculer Patrice Jean qui entrera « en littérature, comme les libertins harassés entrent en religion : le dos au mur ». L’écrivain, refusant de rester un « mouton enragé » au milieu du troupeau progressiste, décide alors de célébrer l’imagination, la liberté, l’ironie, le jeu, la contradiction, la provocation, ingrédients indispensables à l’écriture de romans nés « du silence et de la solitude », loin du beuglement grégaire des « belles âmes » de gauche.

Le monde d’après

Paradoxe : la littérature meurt alors qu’il n’y a jamais eu autant de livres publiés et d’émissions, de festivals, de prix littéraires. Le livre est devenu un « produit » dont il faut faire la publicité. L’excellent livre se noie dans les flots d’une production industrielle qui ne fait pas le tri – romans, mangas, BD, essais, autobiographies ou livres de psychologie, etc. Tout est égal, tout se vaut – l’essentiel échappe. Consterné, Patrice Jean imagine un monde où ses contemporains, toujours empressés de repousser à plus tard la lecture d’un livre de Flaubert ou de Proust pour leur préférer une série sur Netflix ou un best-seller formaté, ne liront plus que « de mauvais livres alimentant leur narcissisme ». Il ne donne pas cher de la littérature ; peut-être même pense-t-il, comme Alain Finkielkraut, que « nous sommes entrés dans l’âge de l’après littérature » et que « l’art est en train de perdre la bataille »1 ; sans doute se souvient-il aussi de ce passage du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley dans lequel « l’Administrateur » explique pour quelles raisons la création d’une œuvre comme celle de Shakespeare est devenue impossible dans ce monde supposément parfait : « On ne peut pas faire de tragédies sans instabilité sociale. Le monde est stable, à présent. Les gens sont heureux ; ils obtiennent ce qu’ils veulent, et ils ne veulent jamais ce qu’ils ne peuvent obtenir. […] Ils n’ont pas peur de la mort ; ils sont dans une sereine ignorance de la passion et de la vieillesse. […] Il fallait choisir entre le bonheur et ce qu’on appelait autrefois le grand art. Nous avons sacrifié le grand art. »   

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  1. Alain Finkielkraut, L’après littérature, Éditions Stock. ↩︎

Violette fatale, sublime partition

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En 2020, la pandémie a eu raison d’Adriana Lecouvreur, dans une production de 2010 signé David McVicar qui avait transité de Londres à Vienne, en passant par Barcelone, avant de triompher à Paris en 2015. Près de 10 ans plus tard, voilà donc enfin reprise, dans une distribution de haute volée, cette mise en scène qui avait marqué les esprits.


Très attendu, ce spectacle ouvre ainsi de façon flamboyante l’année lyrique 2024 à l’Opéra-Bastille.
Mise en scène classique jusqu’à la littéralité, en costumes Louis XV et sur un décor tournant où les coulisses de la Comédie française laissent place au salon de la Princesse de Bouillon, théâtre dans le théâtre, exploité avec brio jusqu’au dénouement où, devant le squelette dénudé de la machinerie scénique, Adriana s’éteint dans un murmure. Au seuil de la représentation, avant le lever de rideau, un buste illuminé de Molière trône en majesté, symbole de l’âge d’or du théâtre classique.

© Sebastien-Mathe OnP

Pour situer la genèse du seul opéra de Francesco Cilea (1866- 1950) passé à la postérité – son œuvre précédente, L’Arlésienne, d’après Daudet, a pratiquement sombré dans l’oubli – , Adriana Lecouvreur est créé en 1902, sur un livret signé Arturo Colautti tiré d’Adrienne Lecouvreur, une pièce de théâtre du fameux duo Eugène Scribe/ Ernest Legouvé écrite plus de 50 ans plus tôt pour Rachel, la comédienne mythique : durable succès du répertoire parisien. On a beaucoup dit que cette adaptation lyrique s’inscrit dans le courant « vériste » transalpin dont les compositeurs Leoncavallo et Mascagni demeurent les représentants attitrés. Reste que la sensibilité du jeune Cilea l’entraîne vers une modernité qui dépasse l’attention portée à la seule couleur locale, sans atteindre toutefois au génie de Puccini, son aîné de huit ans : toujours est-il qu’Adriana Lecouvreur voit le jour entre Tosca (1900) et Madame Butterfly (1904) : on ne saurait rêver coudoiement plus honorable. Au reste le drame lyrique (qui immortalisa le ténor Enrico Caruso dans le rôle de l’amant, Maurizio) connut illico une gloire internationale telle qu’en moins de dix ans Adriana Lecouvreur aura été donné à Lisbonne, Barcelone, Mexico, Varsovie, Genève, Anvers, Odessa, Le Caire, Rio, Santiago, Londres, Saint-Pétersbourg, New-York et j’en passe…

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Bref, voilà ce qu’on appelle une œuvre iconique. Elle peint comme l’on sait la rivalité entre la comédienne Adrienne Lecouvreur, amie de Voltaire triomphante dans Racine et Corneille, et la Princesse de Bouillon jalouse du maréchal Maurice de Saxe (lequel, pour mémoire, vainqueur de la bataille de Fontenoy, a bien existé sous le nom de duc de Courlande et se fit donner le château de Chambord en gage de son allégeance à la monarchie française). Rivalité qui, s’il faut en croire la légende, se solde par un empoisonnement à la fleur de violette…  

Une aveugle adulation semble acquise d’avance à la diva Netrebko, qui reprend le rôle-titre naguère suprêmement incarné, en 2015, par Angela Gheorghiu. Certes virtuose dans l’impeccable projection sonore et les pianissimos chatoyants, elle n’en paraissait pas moins, au soir de la première, livrer un « service minimum » comparée à la performance de la Princesse de Bouillon sous les traits de la mezzo-soprano biélorusse Ekaterina Semenchuk, dont la ligne de chant admirablement soutenue et les graves abyssaux faisaient frémir la salle entière. Leur succèdent, dans ces deux emplois respectifs, pour les représentations de fin janvier à février, la merveilleuse soprano napolitaine Anna Pirozzi et la mezzo-soprano française Clémentine Margaine : surprise!

L’Azerbaïdjanais Yusif Eyvazov (à la ville, époux comme l’on sait de madame Netrebko) campe quant à lui un « conde di Sassonia » d’une belle prestance, jouant à plein la parodie par l’emphase assumée de sa gestuelle : ténor brillant, au souffle impressionnant, n’était ce timbre un peu nasillard qui agace les aigus. Le baryton Ambrogio Maestri chante un Michonnet d’une rondeur élégante et suave, tandis que le beau géant serbe Sava Vemic a la puissance d’une basse de haute tenue. Au pupitre, le chef italien Jader Bignamini fait sonner la partition de façon tout à la fois nette, rutilante et limpide, à la tête d’un Orchestre de l’Opéra à son meilleur. Les deux ou trois airs sublimes qui figurent les impérissables morceaux de bravoure de la partition y sont magnifiés comme jamais – en particulier celui de la princesse, dans le salon de la Grange Batelière, qui ouvre le deuxième acte : « Âpre volupté, douce torture, lente agonie, rapide outrage, flamme, gel, frémissement, agitation, peur, voilà ce qu’à un cœur amoureux apporte l’attente (…) Ô vagabonde étoile de l’Orient, ne t’éteins pas : souris à l’univers, et s’il est sincère, fais escorte à mon amour ! ». Eréthisme incandescent :  pamoison assurée !   


Adriana Lecouvreur. Drame en quatre actes, de Francesco Cilea (1902). Direction : Jader Bignamini. Mise en scène : David McVicar. Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris. Avec Anna Netrebko (16/25 janvier) et Anna Prirozzi (28 janv./7 février) dans le rôle-titre.
Durée : 3h25
Opéra-Bastille, les 19, 22, 25, 31 janvier, 7 février à 19h30. Les 28 janvier et 4 février à 14h30

Affaire Oudéa-Castéra: ces élites qui fuient ce qu’elles promeuvent

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Faites ce que je dis, pas ce que je fais…


Ils sont les premiers à fuir ce qu’ils promeuvent. La classe politique n’assume pas le grand déclassement qui frappe les institutions et les citoyens les plus vulnérables. La devise de ces élites : « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ». Ainsi, la faute politique d’Amélie Oudéa-Castéra est moins d’avoir mis ses enfants dans le privé (son prédécesseur Pap N’Diaye en avait fait autant), que d’avoir accablé l’école publique qu’elle est censée représenter désormais. La nouvelle ministre de l’« Education nationale, de la Jeunesse, des Sports et des Jeux Olympiques » a en effet justifié son choix d’un établissement catholique réputé du VI ème arrondissement de Paris pour ses trois enfants en critiquant des « paquets d’heures pas remplacées » d’une école publique du quartier, une explication que conteste d’ailleurs l’établissement mis en cause (Libération, ce lundi).

Cette anecdote est évidemment risible : elle dit, depuis Molière, la tartufferie de ce monde parisien progressiste qui, en l’occurrence, contourne l’enseignement de la République pour lui préférer, pour ses progénitures, des établissements préservés de la populace. C’est pareillement pour s’abriter des quartiers « sensibles » – qu’elle louange en public- que la gauche immigrationniste ne se bouscule pas pour y vivre. Jean-Luc Mélenchon habite dans le Xème arrondissement, ce boboland qui tient la diversité à l’écart des digicodes.

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C’est également pour tourner le dos à une France devenue pour certains invivable que beaucoup de jeunes émigrent de plus en plus. Plus que jamais, la France importe des bac moins cinq et exporte des bac plus cinq.

La Macronie a son lot d’hypocrites qui ne croient pas en ce qu’ils défendent. Observer Gabriel Attal s’attendrir sur la « classe moyenne, cœur battant du pays » ne peut faire oublier les injures déversées par le pouvoir, lors de la crise des gilets jaunes, contre « la foule haineuse » (Emmanuel Macron) ou « les nouveaux beaufs » (feu Jacques Julliard, qui fut mieux inspiré). En réalité, un gouffre oppose le monde cosmopolite des métropoles déracinées à celui, enraciné, paupérisé et fragile, de la France périphérique acquise pour partie au RN. La nomination surprise, vendredi dernier, de Rachida Dati à la Culture peut certes être vue comme une double habileté politique destinée à affaiblir les LR et à rendre visible « une nouvelle culture populaire pour tous, les quartiers et la ruralité » (Dati). Reste que rien ne relie plus les cités d’immigration à la France populaire, qui en a été chassée sous la pression de la nouvelle civilisation musulmane. La promotion de Dati relève d’un casting qui veut mimer une proximité avec les gens ordinaires. Cependant, la sincérité manque à ces acteurs qui croient se mettre à la portée des oubliés en leur martelant comme à des enfants : « De l’ordre, de l’ordre, de l’ordre », « des résultats, des résultats, des résultats », « de l’audace, de l’audace, de l’audace » (Macron) ; « De l’action, de l’action, de l’action », « des résultats, des résultats, des résultats » (Attal).

Mardi, Macron, à la recherche du peuple perdu, a réquisitionné la télévision à 20h15. Mais trop de mots ont déjà tué l’action.

Journal d'un paria: Bloc-notes 2020-21

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Vous reprendrez bien un peu de guerre sainte?

Le dernier tome de la trilogie Le Royaume au bout du chemin de Jan Guillou est republié. Une fantastique épopée du temps des Croisades


Les éditions marseillaises Agone publient le dernier tome de la trilogie de Jan Guillou, Le Royaume au bout du chemin, narrant les exploits d’Arn Magnusson. Le moinillon d’infortune dans une Suède encore viking deviendra templier et ami vaincu du roi victorieux Saladin avant de rentrer enrichi, renforcé et sage dans le Västra Götaland qu’il modernisera et unifiera. De quoi se laisser mener d’Arnäs à Gaza ? There and back again, comme disait Bilbo…

Curieuse chose parfois que le destin des œuvres. Jan Guillou a conçu la trilogie que forment la Promesse, la Quête et le Sacre dans les années 1990, alors que les thèses de la fin de l’Histoire et du choc des civilisations heurtaient les bonnes consciences. Un peu comme aujourd’hui ?

Méfiez-vous de tout le monde !

Agone, maison d’édition indépendante « soucieuse des luttes de notre présent », s’est lancée dans la réédition de cette saga en mai 2023. Et depuis quelques jours, les passionnés du Moyen Âge et de l’univers scandinave ont le dernier tome à se mettre sous la dent. Car cette trilogie « prend à contre-pied la vision traditionnelle d’un Moyen Âge sombre et barbare pour dévoiler l’extraordinaire dynamisme du laboratoire culturel et politique qu’il a représenté. » Et pour cause : son héros, Arn Magnusson, grandit dans une Suède encore sujette aux raids vikings, survit dans une Palestine en pleine croisade, et meurt dans un pays natal fortifié.

Et rien dans ce parcours n’est volontaire : Arn subit l’histoire, comme il subit les décisions des puissants. Car après une formation humaniste aux alentours de 1150, dans des villages boueux et froids du Västra Götaland, Arn s’est adonné au péché de chair avec sa promise, la belle Cecilia. Seul homme compétent à l’épée de la région, une dangereuse compétence, il est condamné à vingt ans de pénitence en Terre Sainte pour exterminer des Infidèles.

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Il y apprend, aux dépens de sa belle tête blonde, que les Infidèles ne sont pas les pires ennemis du Christ. La reprise de Jérusalem par Saladin n’est que la conséquence directe des folies et des bêtises de ceux qui dirigent. D’Héraclius d’Auvergne à Agnès de Courtenay, des empoisonneurs concupiscents aux libidineux notoires, en passant par le pire d’entre eux, Richard Cœur de Lion, le « boucher dément », les noms des coupables que l’on n’enseigne plus en bonne langue franque résonnent comme étonnamment modernes. Déjà au XIIe, « rien ne pouvait être plus grand que de rendre la foi raisonnable » — et Arn, parce que chrétien sachant lire travaille tout autant les textes en latin qu’en arabe ou hébreu.

Si tu veux la paix, prépare la guerre

Et pas la peine non plus de gagner la Palestine pour trouver des ennemis de l’humanité. La pauvre Cecilia, enfermée au couvent où elle accouche dans un cachot, est livrée à la haine d’une Mère supérieure dont « la seule vraie joie… n’était pas l’amour de Dieu, mais la souffrance de son prochain ». Vertu universelle, s’il en est…

Arn a donc survécu au deuxième tome en s’interrogeant, au cœur de Jérusalem–Yerushalaim–al-Quds avec Saladin et son médecin juif Musa sur l’acharnement aveugle de certains à « fouler une terre aussi peu stable en affirmant ne rien voir et ne rien entendre…  mystère de l’existence ». Et le voilà rentrant chez lui, à Arnäs, amenant à sa suite des charpentiers, des forgerons et maîtres écuyers pour convertir son ancien domaine à la guerre moderne, au château-fort et aux douves : « Nous ne préparons pas la guerre. Nous allons construire pour assurer la paix. Quand la guerre est là, on n’a ni le temps ni les moyens de construire. » Si vis pacem, para bellum, disaient les Anciens. Pour le héros, on voudrait espérer qu’il a tort… et pour nous, qu’il n’est pas trop tard.


Jan Guillou, La Promesse, Le Royaume au bout du chemin I, Agone, mai 2023, 453 p.

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Jan Guillou, La Quête, Le Royaume au bout du chemin II, Agone, octobre 2023, 664 p.

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Jan Guillou, Le Sacre, Le Royaume au bout du chemin III, Agone, janvier 2024, 512 p.

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Débuts du gouvernement Attal: la semaine de l’angoisse

Et si le casting du gouvernement Attal se révélait rapidement calamiteux ? La conférence de presse du président et les commentaires qui ont suivi n’ont pas corrigé la mauvaise impression laissée par certains ministres les premiers jours…


Heureusement que Stéphane Séjourné vient d’être nommé, au sein du nouveau et premier gouvernement de Gabriel Attal, ministre des Affaires Etrangères, et non pas, au vu de ses énormes bévues en matière de grammaire française, de la Culture ou de l’Education Nationale ! Au moins ses interlocuteurs étrangers ne pourront pas s’apercevoir ainsi de ses nombreuses carences quant à sa maîtrise, fût-elle élémentaire, de la langue de Molière…
Reste à espérer, toutefois, que M. Séjourné connaisse mieux ces importants dossiers étrangers qui lui seront dorénavant confiés par la République, et pendant un certain temps, que sa propre langue maternelle…

Voies du seigneur et conflit d’intérêt

Il semble pour le moins surprenant, du reste, que Gabriel Attal, certes sous la très directive houlette d’Emmanuel Macron en personne (je me demande ce que l’illustre La Boétie aurait à déclarer concernant ce succédané de « servitude volontaire » pour paraphraser ici l’intitulé de son célèbre opus), ait pu nommer aussi facilement, sans que personne n’y trouve rien à redire, pas même un soupçon de conflit d’intérêt ou d’éventuel favoritisme, un de ses anciens mais derniers compagnons. Les mystérieuses voies du Seigneur, plus encore que la voix de son Maître, sont, décidément, bien impénétrables, surtout au quasi céleste royaume de l’Élysée !

A lire aussi: Affaire Oudéa-Castéra: ces élites qui fuient ce qu’elles promeuvent

Mais qui, au fond, s’en étonnera véritablement lorsque l’on sait que la toute nouvelle ministre de la Culture, Rachida Dati, n’a à proposer, en guise de seules preuves de ses réelles compétences en la matière, que de corrosives salves de bons mots et formules bien senties, alliés certes à un incontestable sens de la joute verbale, distillés çà et là sur les plateaux de télévision les plus courus de la capitale et autres provinces de l’Hexagone ?

Bourdes et breloques

Quant à, là encore, la toute nouvelle ministre de l’Éducation Nationale, Amélie Oudéa-Castéra, jusqu’ici inconnue au bataillon et surtout manifestement inexpérimentée, qu’a-t-elle donc d’autre à présenter elle aussi, à titre de gages de savoir au sein de l’école publique, que quelques maigres trophées sportifs et autres breloques de seconde zone, en plus de consternantes bourdes, comme le peuple français tout entier en a été l’incrédule et offusqué témoin il y a quelques jours seulement, pour sa première et très maladroite, sinon catastrophique jusqu’à la rendre aujourd’hui inaudible, sortie politique !
Oui : aussi décevant que calamiteux en effet, ne serait-ce qu’au regard des multiples polémiques déjà engendrées à pareil niveau, ce nouveau casting ministériel d’Attal et Macron réunis, où l’on peine même à croire que c’est malheureusement là tout ce que l’actuelle vie politique de la République française, que l’on pensait garnie de bien plus brillants esprits parmi ses nombreux et enviables fleurons, peut offrir, décemment, à ses concitoyens !

Les médiocres mais douloureux effets du wokisme ?

D’où, légitime et sans même vouloir forcer ici le trait, la question : ce pitoyable mais dangereux wokisme sévissant aujourd’hui impunément jusque dans les plus hautes sphères de l’intelligentsia française, et parfois au sein même des académies les plus réputées, aurait-il donc irrémédiablement contaminé également, pour le malheur de notre prestigieux héritage culturel, sinon civilisationnel, jusqu’au cœur du pouvoir politique en ce qu’il a théoriquement, à l’instar de toute démocratie digne de ce nom, de plus noble, généreux et précieux tout à la fois ?

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Je n’ose, pour ma modeste part, me résoudre à pareil, affligeant et funeste diagnostic…

Vers la débâcle macronienne ?

Quant à la conférence de presse, dans la soirée de ce 16 janvier 2024, d’Emmanuel Macron lui-même, elle ressemblait là à un éloquent discours de Premier ministre, maîtrisant ses dossiers sur le plan technique mais focalisé presque exclusivement sur la politique intérieure, bien plutôt qu’à un discours de président, comme pouvaient l’être, au contraire, les allocutions, dans ce même type d’exercice, de De Gaulle, Pompidou, Chirac ou Mitterrand, avec, quant à eux et qu’on les ait appréciés ou non, une véritable vision du monde, une réelle hauteur de vues, une profonde faculté d’analyse, un souffle quasi épique, des envolées parfois même lyriques, un authentique intérêt pour la culture et, surtout, l’inaliénable sens de l’Histoire.  
Bref : une conférence de presse, celle de Macron mardi soir, certes brillante, dans la connaissance de ses dossiers, parfois même détaillée à la manière d’un ennuyeux technocrate, mais, en même temps et très paradoxalement, médiocre sur le plan plus spécifiquement politique, sans âme ni grandeur, sans direction ni projets, et, donc, fondamentalement décevante, aussi ratée, en pratique, qu’attendue, sinon espérée, en théorie !
Prenant la défense de Mme Oudéa-Castéra durant les questions des journalistes, le président a réclamé « plutôt de l’indulgence, parce qu’il [lui] est arrivé d’avoir des propos, au tout début de [s]es responsabilités politiques, qui avaient blessé, tout particulièrement des femmes ». M. Macron faisait une allusion aux employées du laboratoire Gad, qu’il avait jugées « pour beaucoup illettrées » alors qu’il était tout jeune ministre.

C’est dire si la débâcle macronienne, où de belles mais vaines paroles tiennent démagogiquement lieu d’idées tout aussi stériles, continue invariablement, à la désastreuse image de la macronie elle-même, pour le malheur de la France, sinon, plus généralement encore, de l’Europe…

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Michel Drucker et les coupeuses de tête

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Les animateurs de France 2 Michel Drucker et Marie Portolano. Capture France 2.

Michel Drucker suscite une tempête sur les réseaux sociaux, après son passage sur France 2. Quelle époque ! « Vous avez vraiment souffert ? » a-t-il osé demander à Marie Portolano, samedi dernier. Mme Portolano s’est fait connaitre avec son enquête sur le sexisme dans le journalisme sportif, avant d’animer des concours de pâtisserie et « Télématin ». Le regard libre d’Elisabeth Lévy.


Tempête sur les réseaux sociaux. Même Michel Drucker, a-t-on envie de dire, déchaîne les néo-féministes des deux sexes. Il était invité samedi de Quelle Epoque sur France 2. Marie Portolano et Thomas Sotto, co-présentateurs de Télématin sur France 2 étaient là aussi, pour promouvoir leur émission. Passez-moi la rhubarbe, je vous passerai le séné… Passons.

Le « vieux monde sexiste » frappe à une heure de grande écoute

Drucker s’adresse à Portolano, auteur d’un documentaire sur le sexisme dans le journalisme sportif intitulé «Je ne suis pas une salope, je suis journaliste» :

« C’est l’ancien reporter sportif qui vous parle Marie, vous avez vraiment souffert avec les copains des sports, avec les mecs des sports ?
– Euh, non! … J’étais pas la seule…
– Ils ont vraiment eu des attitudes inconvenantes, vraiment? »

À lire aussi, du même auteur: Kompromat à la française

Précisons qu’il a un sourire en coin, bienveillant et un brin paternel. Sur le plateau, personne ne moufte. Tout de même c’est Drucker. Et Léa Salamé lance un autre sujet.

Mais sur les réseaux, c’est un véritable hallali. « A vomir, une honte, qu’il dégage ce fossile » peut-on y lire. Ce « vraiment » ne passe pas.

Il croit qu’on ment ! s’indignent des femmes témoignant dans le documentaire. 20 Minutes parle carrément de questions misogynes[1], Télérama déplore un « désolant paternalisme » et un certain Rémi apporte son soutien à Portolano, laquelle aurait été victime d’une agression, selon lui. On aimerait savoir ce qu’en pensent les victimes de vraies agressions.  

Michel Drucker a peut-être été maladroit…

Mais il a POSE UNE QUESTION ! Drucker est un peu perplexe, car, lui, à son époque, aux sports, il n’a pas vu cela. Il se demande peut-être si les mots ont le même sens aujourd’hui qu’hier. Une blague lourde, c’est une agression? Un compliment, c’est sexiste ? Le documentaire de Mme Portolano révèle certainement des choses qui nous semblent accablantes aujourd’hui. Que tout le monde acceptait alors.

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Je vous disais récemment que la révolution #metoo entrait dans sa phase terroriste. Que ça tombe sur Michel Drucker, l’urbanité faite homme, le prouve. Personne ne l’accuse de s’être mal comporté, mais pour une question – je le répète – il devient l’ennemi du peuple, l’ennemi des femmes. Questionner la parole des femmes, comme celle du Parti ou de Dieu, c’est blasphématoire. Douter est un crime. Vous avez juste le droit de vous prosterner et de dire « Amen ».

Autre classique totalitaire : la dénonciation des pères. Pour que les lendemains chantent, les hiers doivent avoir été une longue nuit. Au rancart les boomers. En réalité les petits gardes roses d’aujourd’hui ont plus en commun qu’ils ne le croient avec leurs parents et leurs grands-parents ex-soixante-huitards et ex-extrême gauchistes: le fanatisme, l’intolérance, l’esprit de procès et de lynchage.

En prime, ils ont lu moins de livres. 


[1] https://www.20minutes.fr/arts-stars/people/4070581-20240115-epoque-malaise-apres-serie-questions-misogynes-michel-drucker-marie-portolano

«Affaire Stan»: Et pendant ce temps, au Royaume Uni…

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Mme Birbalsingh, photographiée dans une classe de son établissement scolaire privé, janvier 2023 © Geoff Pugh/Shutterstock/SIPA

Pendant que les Français (ou leurs journalistes) se passionnent pour la scolarité des enfants de la nouvelle ministre de l’Éducation, que la gauche dénonce un prétendu « séparatisme » scolaire de Mme Oudéa Castéra et s’interroge sur les cours de caté de l’établissement privé Stanislas, au Royaume Uni, la Haute Cour d’Angleterre est invitée à se prononcer d’ici à la semaine prochaine sur une plainte pour discrimination visant la Michaela Community School, école privée très prisée située à Wembley. Jeremy Stubbs raconte.


Alors qu’un débat animé que l’on pensait éteint et qu’une « guerre » entre école publique et école privée reprennent dans l’hexagone, je voudrais ce matin vous raconter l’histoire de Katharine Birbalsingh, la directrice d’une école londonienne – peut-être la directrice d’école la plus célèbre de toute l’Angleterre. Sur l’échiquier politique, ses succès indéniables dans le domaine de l’éducation lui ont valu les louanges de la droite et les huées de la gauche. Car cette femme, née en Nouvelle-Zélande d’un père guyanien d’ascendance indienne et d’une mère jamaïcaine, élevée au Canada, mais ayant passé toute sa vie d’adulte au Royaume Uni, a fondé une école en 2014 qui a battu presque tous les records en matière de réussite scolaire.

« École libre » made in GB

La Michaela Community School, située à Wembley, dans une banlieue difficile de la capitale britannique, fait à la fois collège et lycée, selon le modèle anglais. (Si je dis « anglais », c’est parce que système scolaire n’est pas le même dans tous les pays du Royaume Uni). Le statut de cet établissement est celui d’une « école libre », c’est-à-dire qu’elle est financée par l’État, les élèves n’ont pas de frais de scolarité, mais l’école est largement indépendante de l’autorité locale – du rectorat, si vous voulez. Elle a plus de liberté que les écoles publiques pour choisir son propre programme et ses propres méthodes pédagogiques.

Dans un environnement qui met l’accent sur la bienveillance, la reconnaissance et l’épanouissement, l’école impose une discipline très stricte. On l’a même appelée « l’école la plus stricte de l’Angleterre ». Il y a une tolérance zéro pour les mauvais comportements ; le système de sanctions et de récompenses est expliqué en début de chaque année ; et le port de l’uniforme est obligatoire. Les méthodes pédagogiques sont les bonnes vieilles méthodes traditionnelles. La mémorisation est à l’honneur. L’apprentissage de la langue anglaise – en respectant scrupuleusement les règles grammaticales, l’orthographe et la précision du vocabulaire – est au cœur du programme. L’étude des pièces de Shakespeare est obligatoire. Et les réussites en mathématiques montrent combien cette matière est prise au sérieux.

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Les élèves sont de toutes les origines ethniques présentes outre-Manche et de toutes les grandes religions. C’est donc une école multiculturelle. Pourtant, on enseigne aux jeunes que ce qu’ils ont en commun, c’est le fait d’être Britanniques. Tout est fait pour promouvoir une identité proprement nationale. L’histoire et la culture britanniques sont au programme, et si les pages sombres ne sont pas cachées, les apports positifs ne le sont pas non plus. Pour montrer que l’élève peut être fier de son pays, on a recours aux chansons patriotiques.

Katharine Birbalsingh, une directrice pas adepte de ce wokisme en vogue ailleurs

Katharine Birbalsingh ne nie pas l’existence du racisme dans la société, mais rejette l’idée que la solution réside dans l’idéologie victimaire, dans la doctrine de la diversité et de l’inclusivité ou dans tout ce qui introduit la notion d’une ségrégation entre les élèves. La vraie réponse aux difficultés des minorités ethniques et religieuses se trouve dans la discipline et la réussite scolaire. Et la réussite scolaire est au rendez-vous. Le taux de réussite des élèves aux examens nationaux et dans la compétition pour les places dans les meilleures universités est parmi les plus élevés de tout le pays. Et à chaque visite des inspecteurs d’école, l’établissement est jugé excellent dans toutes les catégories. En 2020, Mme Birbalsingh a été décorée par la reine Elisabeth !

Ce n’est donc pas une surprise si elle est devenue une cible pour la gauche et l’extrême-gauche wokiste. Elle a fait l’objet non seulement de critiques de la part des partisans d’une pédagogie plus molle ou plus militante, mais aussi d’insultes et de menaces d’activistes haineux. Et c’est là qu’arrive l’histoire qui nous préoccupe aujourd’hui.

Quand l’islam s’en mêle

En mars 2023 l’école interdit les rituels de prière musulmans à l’école – c’est-à-dire la pratique de la Sâlat. En réponse, certaines personnes à l’extérieur ont cherché à insulter, intimider et agresser le personnel enseignant. Cette semaine, la Haute Cour d’Angleterre examine la plainte portée par une élève musulmane qui accuse l’école Michaela de discrimination : pour elle, cette interdiction serait contraire à son droit à la liberté de conscience ou de religion. Selon l’avocat de la plaignante, un chrétien pourrait prier en silence, assis dans la cour de récré, mais un musulman doit pouvoir accomplir tout un rituel – d’où l’accusation de discrimination.

Katharine Birbalsingh s’est déjà défendue : son école d’environ 700 élèves est une école laïque. En anglais, on dit « secular », c’est-à-dire ouverte à toutes les religions sans en privilégier aucune. Chaque « communauté » a dû faire des concessions pour permettre à tous de vivre ensemble : les Témoins de Jéhovah ont dû accepter d’étudier le Macbeth de Shakespeare, en dépit des scènes de sorcellerie dans cette pièce ; les chrétiens ont dû accepter les séances de révision le dimanche ; les hindous, la présence d’œufs dans les cuisines… Les musulmans sont priés d’accepter l’absence de salles de prière. Il faut dire que, outre-Manche, les salles de prière musulmane ne sont pas du tout obligatoires dans les établissements publics et y sont d’ailleurs très rares. Pourquoi donc s’en prendre à l’école Michaela en particulier ? D’autres questions se posent : qui a coaché la plaignante ? qui paie les frais d’une avocate de haut niveau, qualifiée pour plaider devant la Haute Cour ?

L’école Michaela est vraiment l’école telle que nous la rêvons – l’école où la discipline permet le respect mutuel et encourage l’ouverture à l’autre ; l’école où les méthodes pédagogiques centrées sur les capacités à acquérir font progresser l’élève ; l’école où les critères d’excellence poussent chacun à se dépasser et à dépasser sa condition sociale. C’est donc, pour certains, l’école à détruire et sa directrice, la femme à abattre.

La fin des non-dits en politique et ailleurs?

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Le magistrat et essayiste français Philippe Bilger © Pierre Olivier

Dans le monde politique, la semaine écoulée a démontré que plus rien n’était à l’abri de la suspicion.


On m’accordera, je l’espère, que depuis la démission forcée d’Elisabeth Borne, dans le domaine politique, notamment au plus haut niveau présidentiel, l’intérêt et la grandeur de la France sont radicalement passés au second plan. On me concédera que la vie politicienne a été portée à son zénith et qu’on n’y voie pas un reproche de ma part : je l’adore. C’est juste un constat. « Politicienne » est d’ailleurs un peu faible. C’est davantage un champ de coups fourrés, de magouilles, de pièges, de vengeances, d’humeurs, de rétorsions, de secrets et de leurres : un vaudeville démocratique qui laisse loin derrière lui la moindre allure républicaine.

Le poison de la transparence

En même temps on découvre un processus qui d’une certaine manière pourrait être perçu tel un progrès par rapport à l’hypocrisie habituelle : l’éradication des non-dits, la fin des « je n’en pense pas moins mais je ne dirai rien ». Je ne fais pas allusion aux réseaux sociaux où depuis longtemps le cloaque, parfois pertinent dans ses douteuses extrémités, domine et où on n’hésite pas à révéler ce qui devrait demeurer secret et qui même ne devrait pas être abordé.

Avant de faire un sort à notre monde politique qui est atteint par ce poison – cette transparence d’un nouveau genre ? -, on est bien obligé de constater que dans notre quotidienneté en quelque sorte civile, il y a longtemps que les non-dits ne sont plus définis comme le comble de la politesse, un miracle de la civilité. Nous sommes loin de ce qu’Alain Finkielkraut expose magnifiquement dans son dernier livre à partir d’une explication d’Emmanuel Levinas pour qui l’autre et son visage constituent ce qui vont nous détourner forcément de nous-même pour nous conduire au respect du prochain.

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Au fil des jours, et de plus en plus – je me sens moi-même coupable de cela -, le besoin de dire le vrai, même s’il offense, est devenu le signe d’une sincérité qui se flatte de tous ces non-dits qu’elle écrase. J’ai bien conscience que pousser à l’extrême un tel processus pourrait constituer notre humanité comme un champ de ruines mais n’est-il pas dur parfois de taire les seules choses qui seraient susceptibles de permettre l’élucidation d’autrui et de ses postures ? Cette politesse qui incite à s’abstenir, cette urbanité qui s’efforce d’occulter, cette douceur d’une civilité systématique n’étaient pas étrangères au débat politique, aux joutes partisanes. Derrière les affrontements idéologiques les plus rudes, subsistait le souci des personnes et de leurs tréfonds de même que des siens. Ils restaient dans l’ombre.

Tout cela est fini. Les non-dits sont totalement vaincus. Non seulement l’exigence de rassemblement, vœu pieux de tous les présidents de la République, n’a jamais été concrétisée mais avec Emmanuel Macron, la dislocation du pays en trois familles politiques et en de multiples antagonismes ponctuels a pris un tour tellement personnel qu’il en est jouissif ou dévastateur.

François Baroin : quand Rachida fâchée, elle toujours faire ainsi !

Il y a d’un coup une libération de la parole intime, du verbe qui n’osait pas s’exprimer, moins par morale que par la crainte de devenir à son tour la cible : maintenant, ce qui gisait au fond surgit à la surface. Le Premier ministre est stigmatisé parce qu’il ne serait pas « un homosexuel ostentatoire » et qu’il serait juif – alors qu’il ne l’est pas d’ailleurs. Fabien Roussel le qualifie de « Dalida… paroles, paroles, paroles » ! On exprime ouvertement la honte d’avoir un ministre des Affaires étrangères qui parle si mal le français en Ukraine. S’il y a une déplorable maladresse de communication de la nouvelle ministre de l’Éducation nationale qui a gardé les sports dans son portefeuille (mauvaise idée !), la manière dont elle est traitée relève d’une inquisition qui fait bon marché de la liberté des choix familiaux. Plus rien n’est à l’abri de la suspicion, même la plus intime, quand un pouvoir peu lucide dans sa sélection ministérielle n’a pas su prévenir les inéluctables controverses.

Les Républicains ne sont pas épargnés. Lors de ses vœux à Troyes, François Baroin s’en prend à Rachida Dati en lui reprochant son entrée au gouvernement et son illusion pour son « deal » avec le président en ce qui concerne la Mairie de Paris en 2026. Elle lui a répliqué vertement en l’accusant de n’avoir été qu’un « héritier » dont les autres ont fait la carrière et qui s’est toujours défaussé quand son parti avait besoin de lui.

A lire aussi, Ivan Rioufol: Affaire Oudéa-Castéra: ces élites qui fuient ce qu’elles promeuvent

Je ne me prononce pas sur le fond de ces disputes mais elles mettent en lumière que les arrière-pensées, même les plus vindicatives, ont pris la relève des faux consensus et des apparentes concordes. Je ne peux m’empêcher de relever que sous ces antagonismes qui révèlent des actions ou des abstentions politiques, des tactiques partisanes, on retrouve toujours les mêmes responsables qui continuent, directement comme Eric Ciotti ou indirectement, vicieusement comme Nicolas Sarkozy, à s’occuper des Républicains. On aboutit à ce paradoxe que si LFI a fait perdre délibérément au débat parlementaire sa tenue et que Jean-Luc Mélenchon a explosé en mille provocations, aucun député de son camp n’a jamais violemment disqualifié ce dernier, tant une retenue, une peur persistent, qui le protègent. Il y a encore beaucoup de non-dits chez eux comme peut-être aussi au Rassemblement national où on fait silence pour ne pas faire apparaître que Jordan Bardella serait meilleur que Marine Le Pen en 2027.

La fin de la plupart des non-dits en politique est-elle en définitive une heureuse évolution ? On pourrait répondre par l’affirmative si elle était compatible avec l’essentiel qui est le programme, l’élaboration du projet. Ou faut-il tristement admettre que ce qui manque, ce ne sont pas les idées mais les personnalités, les intégrités et les courages ? En tout cas, pour l’instant, quel jeu de massacre !

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Hausse des taux et baisse du niveau

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Christine Lagarde préside les célébrations du 25e anniversaire de la BCE, en pleine bataille contre l’inflation, Francfort, 24 mai 2023 © Shutterstock/sipa

Si les Français sont notoirement nuls en économie, leurs élites, à commencer par Christine Lagarde, ne semblent pas tellement plus calées. On a pu s’en apercevoir à l’occasion de la crise inflationniste post-Covid.


Les économistes des générations futures regarderont le début du XXIe siècle comme l’une des périodes les plus étonnantes de leur discipline. Pendant quelques années, nous avons en effet mis à bas toutes les certitudes acquises, défié toutes les lois du marché. À partir de la crise des subprimes, en 2008, les banques centrales ont pu faire tourner la planche à billets à plein régime, sans créer d’inflation. À rebours de la théorie, les taux d’intérêt ont connu alors un niveau historiquement bas. L’Allemagne a pu même emprunter à des taux négatifs, une aberration. On prêtait 100 euros aux Teutons et ils promettaient d’en rendre 99 à leur créancier ravi. Essayez chez le boucher : « Vous le mettrez sur ma note, René, et je repasserai vous donner moins. » Gueule de René.

Dans son sillage, la France a pu continuer à faire ce qu’elle sait le mieux : s’endetter pour déverser par brassées des milliards d’euros sur des clientèles diverses. Avec, au cours de cette période bénie, l’argument de la « bonne affaire ». Emprunter à de telles conditions, il fallait être un décliniste réactionnaire pour ne pas vouloir profiter de l’aubaine. Et Dieu sait si Sarkozy, Hollande et Macron en abusèrent, non pour investir dans la défense ou le nucléaire, mais pour calmer les bonnets rouges, les banlieues, les gilets jaunes, et tous les autres Gaulois réfractaires au boulot autant qu’à l’arithmétique.

Culture financière : les Français en queue de classement

Parallèlement à cette légitimation du tropisme français pour la gestion dispendieuse des deniers publics, cette faiblesse historique des taux a eu de multiples effets. L’argent placé sur un compte épargne ne rapportait rien ; on se devait d’investir à tout prix dans quelque chose, le cas échéant et parfois de préférence, dans n’importe quoi. Le plus visible a été bien sûr la hausse vertigineuse de l’immobilier, mais également celle de tous les actifs, actions, start-ups au businessmodel fumeux, montres, Porsche, bitcoins, jusqu’aux plus baroques – les NFT et les Bored Ape, littéralement les « singes las », sorte de vignette Panini virtuelle à 300 000 euros le bout.

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Les Français restent bien calés en fond de classement européen pour la culture financière (14e sur 18 en 2020), mais ils en tirent une certaine fierté. Fidèles au Général, « l’intendance suivra » semble être leur motto pour ne prêter qu’une oreille distraite aux données macroéconomiques. Tout ce qui dépasse la valeur d’une résidence principale leur semble équivalent – un million, un milliard, c’est du domaine de l’abstraction. Lorsque les effets de la planche à billets se sont enfin alignés sur ce qui était écrit dans les manuels d’économie – le retour d’une vigoureuse inflation, ils ont bien sûr mis cela sur le compte des « patrons » désireux de s’en mettre plein les poches. Ils n’avaient d’ailleurs pas complètement tort, puisqu’on estime qu’un peu moins de la moitié de la hausse des prix n’a eu comme autre motivation que celle d’améliorer leurs marges. Néanmoins, anecdotique pendant dix ans, l’inflation a atteint 8,6 % en zone euro en décembre 2022, avec des conséquences très concrètes pour l’État, les entreprises et les particuliers. Hausse des taux d’emprunt, difficultés à acheter, tout cela s’est traduit par un gel du marché de l’immobilier, une chute des prix en cours que certains pronostiquent à 20 % (!). La valeur de certaines starts-ups, les fameuses licornes valorisées plus d’un milliard de dollars, s’est vaporisée. Et nos gouvernants devront désormais trouver 72 milliards en 2027, une paille, pour payer les intérêts de la dette contre 33 milliards en 2023. Pour faire face à cette dépense supplémentaire de 39 milliards (c’est combien en pavillons de banlieue ?), il suffirait de… supprimer l’Éducation nationale – 40,3 milliards en 2023. Vu ce qu’on y apprend – surtout en économie – et les coups de couteau qu’on y risque, sans doute un mal pour un bien.

Politique de la FED et politique de la BCE

Là où les choses se sont compliquées, c’est quand les élites européennes et plus précisément celles de la BCE sont entrées dans la danse pour gérer la vague inflationniste. Pour faire simple, il convenait d’augmenter rapidement les taux d’intérêt pour lutter contre la surchauffe, en restant prêt à les baisser aussi prestement, dès que leur niveau risquait de déclencher une récession. Certes perçues comme des apparatchiks sans cœur, mais crédités d’une expertise technique, Christine Lagarde et ses équipes ont réagi comme on pouvait, hélas, s’y attendre. Aussi médiocre en matière économique que ses concitoyens, Mamie BCE n’a évité aucune des chausse-trappes que la crise à venir avait dissimulées sous ses pas. En septembre 2021, la reine Christine déclare que « l’inflation est transitoire », alors que tout indique le contraire. En décembre 2021, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, sans doute amoureux de la saucisse de Francfort, précise que « l’inflation devrait revenir à son niveau cible de 2 % en 2023 ». Nous serons en réalité à 5,3 %. Pendant ce temps-là, la Fed avait déjà commencé à relever ses taux, mais la BCE n’a pourtant pas eu le réflexe de survie du cancre : copier sur son voisin. Puis vint (enfin) l’indispensable hausse des taux d’intérêt, trop tardive et surtout trop brutale. Et tandis que tout indiquait que l’inflation allait reculer et qu’il convenait donc de lentement mais sûrement, ramener de la toile afin de ne pas asphyxier l’économie, le 14 juillet 2023 Lagarde se meurt (de honte), mais ne se rend pas (à l’évidence) : « La BCE ne s’engagera pas dans un cycle de resserrement monétaire trop rapide. »Quelques jours après, le sieur Villeroy, lucide, renchérit :« La Banque de France ne prévoit pas de baisse des taux d’intérêt avant 2025. » Six mois plus tard, le même annonce, sans surprise, une première baisse des taux. La planète financière voit l’inflation rentrer dans la niche en 2024, tandis qu’au royaume de Oui-Oui, à Francfort, la reine Christine se dit assez hostile à une inflexion des taux.En clair, elle est favorable à une prochaine contraction économique européenne. La France vient d’ailleurs d’enregistrer un premier trimestre de croissance négative. Devinez ce que fait la Fed avec ses taux ? Le contraire.

Qu’importe la récession à venir. N’est-il pas finalement rassurant de constater que le niveau de nos dirigeants est indexé sur celui de la population française ? Au moment où le chômage hexagonal, toujours plus élevé qu’en Europe du Nord ou aux États-Unis (même lorsqu’il baisse) est en passe de remonter, ce triomphe de l’égalitarisme réchauffera les cœurs.

Coordonne-moi plus fort

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Après les plateaux de cinéma, les coordinatrices d’intimité s’attaquent au marché de l’art lyrique.


J’ai appris récemment sur les réseaux sociaux qu’une association d’artistes lyriques organisait une conférence autour des « scènes intimes » à l’opéra, animée par la première coordinatrice d’intimité en France : Monia Aït El Hadj. Ma grand-mère disait toujours :« il n’y a pas de sot métier ». Elle a eu le privilège de mourir de vieillesse sans connaitre cette nouvelle lubie.

Va te faire coordonner chez les Grecs 

Coordinateur d’intimité ? L’intrusion de cet oxymore managérial dans le domaine des dessous chic m’a laissée songeuse. A priori, les intimités se coordonnent très bien toutes seules. S’agit-il d’un assistant de réalisateur porno ? Un groom grognon apportant le gel, les capotes et le gode sur le set d’un threesome tourné dans un studio de Budapest ? Une femme préparatrice en érection ? Fichtre. Mon imagination est très hétéronormée… En réalité, « la coordinatrice d’intimité est une personne multidisciplinaire qui accompagne la mise en scène et les interprètes dans la création des scènes intimes (comme la nudité, la sexualité simulée, des violences sexuelles, ou de manière plus large tout ce qui implique un contenu exposé ou intime…) ». Tout un programme. Le consentement, c’est ceux qui en parlent le plus qui le respectent le moins.

À lire aussi, Elisabeth Lévy: Kompromat à la française

Sans surprise, cette profession de grue, lancée à l’assaut des secteurs culturels de moins en moins subventionnés vient des Etats-Unis… Dans leur formation, des choses aussi utiles que la queer theory, la psychanalyse, les droits des LGBT, ou le bdsm dans l’underground new-yorkais. Des sujets qui s’étudient en bibliothèque quand on n’a pas de vie… Vous connaissiez l’histoire du Belge qui s’occupe de sa femme dans une partouze ? Sa bêtise est désormais pulvérisée par la coordinatrice d’intimité blonde qui n’assume pas son côté voyeur. Les Anglo-saxons n’en manquent pas une. Vivement le retour de la Saint-Barthélémy. 

On se coordonne et on se fait une bouffe ?

Je raconte ça à une amie et collègue soprano à l’étranger. Elle me répond, atterrée, qu’un ténor d’une tête et demie de moins qu’elle lui a demandé l’autorisation de poser sa main sur son épaule pendant qu’elle chantait le second air de Donna Anna dans Don Giovanni « ne me dis pas, mon amour, que je suis cruelle pour toi. » C’est une wagnérienne, elle en impose. Quand une chanteuse d’1m80 et 130 décibels parle, les ténors légers écoutent : « Si tu as un rapport à ton corps tellement effacé que tu imagines me violer de l’épaule, que fais-tu dans ce métier ? Je suis capable de réagir dans un jeu de scène si tu vas trop loin. »

Construire une technique vocale, c’est libérer une énergie et une musculature, du périnée au diaphragme. Il vaut mieux être à l’aise avec son corps et incarnée pour chanter. On fait rarement mieux que l’incarnation et la boxe pour répliquer en cas de problème de consentement. Ne parle-t-on pas de « bêtes de scène » pour qualifier le caractère instinctif que doit avoir un artiste ?  « Il ne s’agit pas de censurer ou d’être une sorte de police des bonnes mœurs, mais de s’assurer que les interprètes se sentent en sécurité en ayant pu exprimer leurs limites et donner clairement leur consentement tout au long du processus créatif. Le but est de faire se rencontrer ce qu’a imaginé un réalisateur et ce qu’est prêt à jouer un artiste. » Que reste-t-il de la spontanéité d’un corps quand il faut une tierce personne pour assurer le geste de l’un et le consentement de l’autre ?

Jésus a dit : « Coordonnez-vous les uns les autres »

Les coordinateurs d’intimité sont avant tout le reflet d’une société dont la peur des femmes, prédominante, amène des psychorigides à se prémunir d’hystériques imaginaires. Vite, des juristes tenant la chandelle sur un tournage pour éviter les procès ! Qu’il puisse y avoir des problèmes de consentement dans l’art, qui en doute ? Sharon Stone a par exemple dit qu’elle ignorait qu’on voyait son sexe dans Basic Instinct. Il faut parfois de la réalité pour rendre crédible une scène. Portman a vraiment été tondue pour V comme vendetta.

À lire aussi, Jean-Paul Brighelli: Le wokisme a atteint sa limite, mais il creuse encore

Dans l’Opéra, cela se double d’une contradiction majeure : une sur-représentation de scènes de sexe dans des mises en scène contemporaines parfois pornographiques, et un attrait pour des voix de moins en moins charnues et puissantes, comme si l’oreille souhaitait évacuer l’existence des femmes dans un art où elles sont pourtant reines. Voilà qui devraient intéresser Mona Chollet bien plus que les sorcières. Juste avant que Charcot torture ses patientes à la Salpêtrière, Donizetti créait Lucia di Lamermoor, dont le livret explique bien, contrairement à la médecine de l’époque, pourquoi une femme bascule dans la folie, ce qu’est un viol conjugal, la manipulation et « l’emprise ». Plus féministe qu’un contre-ut écrit à une époque où les théâtres étaient peuplés de demi-mondaines pour défendre sur scène des bourgeoises victimes du patriarcat, tu meurs.

La levrette est une cascade comme une autre

« Notre métier est proche de celui du coordinateur de cascade. D’ailleurs, il ne viendrait à l’idée de personne de tourner une cascade sans préparation ! »  Paloma García Martens m’aura achevée avec cette comparaison. Sauter d’un immeuble, simuler une levrette, dans les deux cas, les risques sont-ils vraiment les mêmes ? Seul Belmondo aurait sérieusement pu répondre à cette question.

Et de poursuivre : « Ces scènes sont encore souvent laissées à la totale improvisation. Le but pour un interprète n’est pas de jouer sa propre intimité ou sexualité sur un plateau, mais celle de son personnage. Or, il est impossible de travailler cet aspect de la narration lorsque ces scènes sont improvisées ou lorsque l’on prend juste quelques minutes avant le tournage pour s’en parler. » Nous travaillons tous nos personnages avec les détails les plus ténus possibles. La sexualité ne fait pas exception.

Je laisse là cette chronique du monde contemporain tel qu’il déraille, j’ai un rendez-vous de coordination personnelle qui m’attend.

Patrice Jean, le dos au mur, choisit la littérature

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L'écrivain Patrice Jean © Francois GRIVELET / Opale

Mais l’écrivain redoute sa disparition sous les coups de boutoir du militantisme.


« Vivre avec le mal, le dévoiler, pénétrer dans sa grotte, c’est la mission de la littérature », affirme Patrice Jean dans Kafka au candy-shop, la littérature face au militantisme, paru aux éditions Léo Scheer. L’auteur de L’homme surnuméraire et de Tour d’ivoire observe que la littérature et en particulier l’art romanesque sont menacés de disparaître sous les coups du militantisme politique, du relativisme culturel et des sciences humaines, toutes choses qui, selon lui, nuisent à la qualité d’une littérature contemporaine de plus en plus éloignée de l’idée de péché originel : « Croire au péché originel n’est pas, comme on dit, un dogme négociable. La littérature qui ne croit pas à ce péché est une littérature pour l’école et pour le divertissement. […] Sans suffocation, sans conflit insoluble, sans la chute, pas de littérature. » Les « anges intraitables » du progressisme ne concevant pas le monde autrement que débarrassé de cette malédiction originelle, ils n’attendent de la littérature qu’un « message positif, avec du sucre dedans ». Comme l’écrivait Philippe Muray, qui consacra de nombreuses pages à ce sujet : « Sitôt le péché originel éradiqué des consciences (qui dailleurs, et par la même occasion, ne sont plus à proprement parler des consciences), le Bien commence à faire des siennes. » Partout, y compris en littérature. Adieu Flaubert, bonjour Bobin.

L’art littéraire devenu inutile

Le militant progressiste, écrivain ou lecteur, pense qu’il est possible, et même qu’il est souhaitable, d’éradiquer le Mal. Négligeant « la vie intérieure de l’individu », il ne le conçoit  que politiquement ou socialement et ne le décèle que dans le capitalisme, les frontières, le patriarcat, les nations, les mâles, etc. ; il s’imagine qu’il suffira d’un tract vindicatif ou d’un éclat de voix dans un mégaphone pour le faire rentrer dans son terrier. Ses livres préférés sont ceux qui, nappés d’une épaisse moraline, dénoncent le racisme, le sexisme, les inégalités sociales ou l’homophobie. Ainsi, il écrit ou lit des pages insipides qui reflètent la médiocrité d’une littérature incapable de sonder l’âme humaine jusque dans ses recoins les plus enténébrés, d’une sous-littérature décrivant un monde idéal et angélique, monde dans lequel l’art littéraire, justement, devenu non seulement inutile mais même inenvisageable, est remplacé tout entier par le « livre feel good », « kitsch, joli, gnangnan », une sucrerie, une distraction à des années-lumière « des galeries souterraines de l’âme » explorées par les grands écrivains, écrit Patrice Jean. Adieu Proust, bonjour Gaudé.

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Les sciences humaines, la sociologie en premier lieu, ont infecté la littérature, soit en la supplantant directement sur les rayons des librairies, soit en s’immisçant sournoisement dans des romans transformés en thèses analytiques, en schémas scientifiques, en exposés sociologiques dépourvus d’imagination et souvent narcissiques – Annie Ernaux ou Édouard Louis sont d’éminents exemples de ces boursouflures nombrilistes qui font le bonheur des médias en tenant à distance la véritable littérature et en s’exerçant régulièrement à un autre art scriptural, celui de l’écriture politico-administrative de pétitions « contre le gouvernement, le racisme, le sexisme » ou contre des écrivains qui restent à l’écart du progressisme ambiant et mettent l’art de l’écrit au-dessus même de leurs convictions – Renaud Camus et Richard Millet, par exemple. Les sciences humaines et le progressisme vont à contre-sens de la littérature, écrit en substance Patrice Jean – les premières en se bornant à disséquer scientifiquement la vie des hommes ; le second en considérant l’existence humaine non comme une réalité tragique insurmontable mais comme l’incarnation d’un projet politico-historique en cours de construction. Ajoutons à l’analyse de Patrice Jean que le progressisme est parvenu, dans le domaine de l’art, à substituer au « réalisme socialiste » stalinien, un « réalisme progressiste » battant pavillon woke et usant des mêmes manières que sa devancière soviétique : effacement de la culture ancienne, censure, révisionnisme artistique, promotion d’un art institutionnel correspondant aux critères du nouveau régime, médias aux ordres, rééducation des plus vieux et conditionnement idéologique des plus jeunes.   

Saccage progressiste

« Il arrivera un jour, peut-être, où la littérature non progressiste aura disparu », s’inquiète Patrice Jean en notant l’apparition récente des « relecteurs en sensibilité » qui saccagent la littérature classique et obligent nombre d’écrivains contemporains à s’autocensurer afin de ne choquer personne et de « récolter les caresses des médias ». Finalement, de plus en plus d’auteurs, qui se croient subversifs, deviennent de fidèles adeptes de la religion progressiste et « écrivent avec sincérité une littérature qui ne donne aucune ligne à détordre aux relecteurs ». Les mêmes refusent de hiérarchiser les œuvres et leurs auteurs, ne font aucune distinction entre Tolstoï et Ernaux ou entre la musique de Bach et le rap puisque, de leur point de vue sociologisant (merci Bourdieu !), cette distinction ne relève pas de critères artistiques mais d’un préjugé social, d’une façon de se distinguer, de se tenir au-dessus du pékin moyen auquel ils interdisent, ce faisant, l’accès aux œuvres les plus grandes, celles qui ne le brossent pas dans le sens du poil mais l’entraînent au contraire dans l’obscurité, le doute, le questionnement face à l’impuissance de toucher au mystère de sa propre vie sans cet art qui lui doit tout et qui le lui rend au centuple en exaltant poétiquement, littérairement, musicalement, ses peurs, ses rêves, ses rires, ses désillusions, sa joie et sa douleur de vivre.

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Jeune, Patrice Jean, issu d’un milieu populaire, a été « violemment de gauche », apprenons-nous dans le chapitre intitulé Autobiographie politique. S’il se détourne du combat politique en découvrant « les écrivains du désespoir, de Baudelaire à Cioran, de Nietzsche à Schopenhauer », il continue, durant ses jeunes années, de se revendiquer du progressisme et de lire Charlie Hebdo, Les Inrocks et Le Monde. Bientôt, la schizophrénie politique le guette, écrit-il en décrivant sa gêne « au milieu du troupeau », dans les manifestations qu’il arpente, à la fois amusé et excédé par le spectacle de ces gens de gauche se ripolinant la conscience à peu de frais. Les années Mitterand commenceront de lui déciller les yeux ; à cet égard, Patrice Jean conseille la lecture de l’excellent essai autobiographique de Bruno Lafourcade, Une jeunesse les dents serrées, pour « sentir à plein nez la décomposition du socialisme » et humer les premiers relents du progressisme mortifère. L’affaire Renaud Camus, le procès contre Houellebecq – suite aux propos peu amènes de l’écrivain sur l’islam – montrant « des bouffeurs de curés patentés se révolter contre le blasphème », le panurgisme « républicain » au moment où Le Pen accède au second tour des élections présidentielles finiront de faire basculer Patrice Jean qui entrera « en littérature, comme les libertins harassés entrent en religion : le dos au mur ». L’écrivain, refusant de rester un « mouton enragé » au milieu du troupeau progressiste, décide alors de célébrer l’imagination, la liberté, l’ironie, le jeu, la contradiction, la provocation, ingrédients indispensables à l’écriture de romans nés « du silence et de la solitude », loin du beuglement grégaire des « belles âmes » de gauche.

Le monde d’après

Paradoxe : la littérature meurt alors qu’il n’y a jamais eu autant de livres publiés et d’émissions, de festivals, de prix littéraires. Le livre est devenu un « produit » dont il faut faire la publicité. L’excellent livre se noie dans les flots d’une production industrielle qui ne fait pas le tri – romans, mangas, BD, essais, autobiographies ou livres de psychologie, etc. Tout est égal, tout se vaut – l’essentiel échappe. Consterné, Patrice Jean imagine un monde où ses contemporains, toujours empressés de repousser à plus tard la lecture d’un livre de Flaubert ou de Proust pour leur préférer une série sur Netflix ou un best-seller formaté, ne liront plus que « de mauvais livres alimentant leur narcissisme ». Il ne donne pas cher de la littérature ; peut-être même pense-t-il, comme Alain Finkielkraut, que « nous sommes entrés dans l’âge de l’après littérature » et que « l’art est en train de perdre la bataille »1 ; sans doute se souvient-il aussi de ce passage du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley dans lequel « l’Administrateur » explique pour quelles raisons la création d’une œuvre comme celle de Shakespeare est devenue impossible dans ce monde supposément parfait : « On ne peut pas faire de tragédies sans instabilité sociale. Le monde est stable, à présent. Les gens sont heureux ; ils obtiennent ce qu’ils veulent, et ils ne veulent jamais ce qu’ils ne peuvent obtenir. […] Ils n’ont pas peur de la mort ; ils sont dans une sereine ignorance de la passion et de la vieillesse. […] Il fallait choisir entre le bonheur et ce qu’on appelait autrefois le grand art. Nous avons sacrifié le grand art. »   

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  1. Alain Finkielkraut, L’après littérature, Éditions Stock. ↩︎

Violette fatale, sublime partition

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Adriana Lecouvreur 23-24 © Sebastien Mathé - Opéra nationale de Paris

En 2020, la pandémie a eu raison d’Adriana Lecouvreur, dans une production de 2010 signé David McVicar qui avait transité de Londres à Vienne, en passant par Barcelone, avant de triompher à Paris en 2015. Près de 10 ans plus tard, voilà donc enfin reprise, dans une distribution de haute volée, cette mise en scène qui avait marqué les esprits.


Très attendu, ce spectacle ouvre ainsi de façon flamboyante l’année lyrique 2024 à l’Opéra-Bastille.
Mise en scène classique jusqu’à la littéralité, en costumes Louis XV et sur un décor tournant où les coulisses de la Comédie française laissent place au salon de la Princesse de Bouillon, théâtre dans le théâtre, exploité avec brio jusqu’au dénouement où, devant le squelette dénudé de la machinerie scénique, Adriana s’éteint dans un murmure. Au seuil de la représentation, avant le lever de rideau, un buste illuminé de Molière trône en majesté, symbole de l’âge d’or du théâtre classique.

© Sebastien-Mathe OnP

Pour situer la genèse du seul opéra de Francesco Cilea (1866- 1950) passé à la postérité – son œuvre précédente, L’Arlésienne, d’après Daudet, a pratiquement sombré dans l’oubli – , Adriana Lecouvreur est créé en 1902, sur un livret signé Arturo Colautti tiré d’Adrienne Lecouvreur, une pièce de théâtre du fameux duo Eugène Scribe/ Ernest Legouvé écrite plus de 50 ans plus tôt pour Rachel, la comédienne mythique : durable succès du répertoire parisien. On a beaucoup dit que cette adaptation lyrique s’inscrit dans le courant « vériste » transalpin dont les compositeurs Leoncavallo et Mascagni demeurent les représentants attitrés. Reste que la sensibilité du jeune Cilea l’entraîne vers une modernité qui dépasse l’attention portée à la seule couleur locale, sans atteindre toutefois au génie de Puccini, son aîné de huit ans : toujours est-il qu’Adriana Lecouvreur voit le jour entre Tosca (1900) et Madame Butterfly (1904) : on ne saurait rêver coudoiement plus honorable. Au reste le drame lyrique (qui immortalisa le ténor Enrico Caruso dans le rôle de l’amant, Maurizio) connut illico une gloire internationale telle qu’en moins de dix ans Adriana Lecouvreur aura été donné à Lisbonne, Barcelone, Mexico, Varsovie, Genève, Anvers, Odessa, Le Caire, Rio, Santiago, Londres, Saint-Pétersbourg, New-York et j’en passe…

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Bref, voilà ce qu’on appelle une œuvre iconique. Elle peint comme l’on sait la rivalité entre la comédienne Adrienne Lecouvreur, amie de Voltaire triomphante dans Racine et Corneille, et la Princesse de Bouillon jalouse du maréchal Maurice de Saxe (lequel, pour mémoire, vainqueur de la bataille de Fontenoy, a bien existé sous le nom de duc de Courlande et se fit donner le château de Chambord en gage de son allégeance à la monarchie française). Rivalité qui, s’il faut en croire la légende, se solde par un empoisonnement à la fleur de violette…  

Une aveugle adulation semble acquise d’avance à la diva Netrebko, qui reprend le rôle-titre naguère suprêmement incarné, en 2015, par Angela Gheorghiu. Certes virtuose dans l’impeccable projection sonore et les pianissimos chatoyants, elle n’en paraissait pas moins, au soir de la première, livrer un « service minimum » comparée à la performance de la Princesse de Bouillon sous les traits de la mezzo-soprano biélorusse Ekaterina Semenchuk, dont la ligne de chant admirablement soutenue et les graves abyssaux faisaient frémir la salle entière. Leur succèdent, dans ces deux emplois respectifs, pour les représentations de fin janvier à février, la merveilleuse soprano napolitaine Anna Pirozzi et la mezzo-soprano française Clémentine Margaine : surprise!

L’Azerbaïdjanais Yusif Eyvazov (à la ville, époux comme l’on sait de madame Netrebko) campe quant à lui un « conde di Sassonia » d’une belle prestance, jouant à plein la parodie par l’emphase assumée de sa gestuelle : ténor brillant, au souffle impressionnant, n’était ce timbre un peu nasillard qui agace les aigus. Le baryton Ambrogio Maestri chante un Michonnet d’une rondeur élégante et suave, tandis que le beau géant serbe Sava Vemic a la puissance d’une basse de haute tenue. Au pupitre, le chef italien Jader Bignamini fait sonner la partition de façon tout à la fois nette, rutilante et limpide, à la tête d’un Orchestre de l’Opéra à son meilleur. Les deux ou trois airs sublimes qui figurent les impérissables morceaux de bravoure de la partition y sont magnifiés comme jamais – en particulier celui de la princesse, dans le salon de la Grange Batelière, qui ouvre le deuxième acte : « Âpre volupté, douce torture, lente agonie, rapide outrage, flamme, gel, frémissement, agitation, peur, voilà ce qu’à un cœur amoureux apporte l’attente (…) Ô vagabonde étoile de l’Orient, ne t’éteins pas : souris à l’univers, et s’il est sincère, fais escorte à mon amour ! ». Eréthisme incandescent :  pamoison assurée !   


Adriana Lecouvreur. Drame en quatre actes, de Francesco Cilea (1902). Direction : Jader Bignamini. Mise en scène : David McVicar. Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris. Avec Anna Netrebko (16/25 janvier) et Anna Prirozzi (28 janv./7 février) dans le rôle-titre.
Durée : 3h25
Opéra-Bastille, les 19, 22, 25, 31 janvier, 7 février à 19h30. Les 28 janvier et 4 février à 14h30

Affaire Oudéa-Castéra: ces élites qui fuient ce qu’elles promeuvent

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Faites ce que je dis, pas ce que je fais…


Ils sont les premiers à fuir ce qu’ils promeuvent. La classe politique n’assume pas le grand déclassement qui frappe les institutions et les citoyens les plus vulnérables. La devise de ces élites : « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ». Ainsi, la faute politique d’Amélie Oudéa-Castéra est moins d’avoir mis ses enfants dans le privé (son prédécesseur Pap N’Diaye en avait fait autant), que d’avoir accablé l’école publique qu’elle est censée représenter désormais. La nouvelle ministre de l’« Education nationale, de la Jeunesse, des Sports et des Jeux Olympiques » a en effet justifié son choix d’un établissement catholique réputé du VI ème arrondissement de Paris pour ses trois enfants en critiquant des « paquets d’heures pas remplacées » d’une école publique du quartier, une explication que conteste d’ailleurs l’établissement mis en cause (Libération, ce lundi).

Cette anecdote est évidemment risible : elle dit, depuis Molière, la tartufferie de ce monde parisien progressiste qui, en l’occurrence, contourne l’enseignement de la République pour lui préférer, pour ses progénitures, des établissements préservés de la populace. C’est pareillement pour s’abriter des quartiers « sensibles » – qu’elle louange en public- que la gauche immigrationniste ne se bouscule pas pour y vivre. Jean-Luc Mélenchon habite dans le Xème arrondissement, ce boboland qui tient la diversité à l’écart des digicodes.

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C’est également pour tourner le dos à une France devenue pour certains invivable que beaucoup de jeunes émigrent de plus en plus. Plus que jamais, la France importe des bac moins cinq et exporte des bac plus cinq.

La Macronie a son lot d’hypocrites qui ne croient pas en ce qu’ils défendent. Observer Gabriel Attal s’attendrir sur la « classe moyenne, cœur battant du pays » ne peut faire oublier les injures déversées par le pouvoir, lors de la crise des gilets jaunes, contre « la foule haineuse » (Emmanuel Macron) ou « les nouveaux beaufs » (feu Jacques Julliard, qui fut mieux inspiré). En réalité, un gouffre oppose le monde cosmopolite des métropoles déracinées à celui, enraciné, paupérisé et fragile, de la France périphérique acquise pour partie au RN. La nomination surprise, vendredi dernier, de Rachida Dati à la Culture peut certes être vue comme une double habileté politique destinée à affaiblir les LR et à rendre visible « une nouvelle culture populaire pour tous, les quartiers et la ruralité » (Dati). Reste que rien ne relie plus les cités d’immigration à la France populaire, qui en a été chassée sous la pression de la nouvelle civilisation musulmane. La promotion de Dati relève d’un casting qui veut mimer une proximité avec les gens ordinaires. Cependant, la sincérité manque à ces acteurs qui croient se mettre à la portée des oubliés en leur martelant comme à des enfants : « De l’ordre, de l’ordre, de l’ordre », « des résultats, des résultats, des résultats », « de l’audace, de l’audace, de l’audace » (Macron) ; « De l’action, de l’action, de l’action », « des résultats, des résultats, des résultats » (Attal).

Mardi, Macron, à la recherche du peuple perdu, a réquisitionné la télévision à 20h15. Mais trop de mots ont déjà tué l’action.

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Vous reprendrez bien un peu de guerre sainte?

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Le dernier tome de la trilogie Le Royaume au bout du chemin de Jan Guillou est republié. Une fantastique épopée du temps des Croisades


Les éditions marseillaises Agone publient le dernier tome de la trilogie de Jan Guillou, Le Royaume au bout du chemin, narrant les exploits d’Arn Magnusson. Le moinillon d’infortune dans une Suède encore viking deviendra templier et ami vaincu du roi victorieux Saladin avant de rentrer enrichi, renforcé et sage dans le Västra Götaland qu’il modernisera et unifiera. De quoi se laisser mener d’Arnäs à Gaza ? There and back again, comme disait Bilbo…

Curieuse chose parfois que le destin des œuvres. Jan Guillou a conçu la trilogie que forment la Promesse, la Quête et le Sacre dans les années 1990, alors que les thèses de la fin de l’Histoire et du choc des civilisations heurtaient les bonnes consciences. Un peu comme aujourd’hui ?

Méfiez-vous de tout le monde !

Agone, maison d’édition indépendante « soucieuse des luttes de notre présent », s’est lancée dans la réédition de cette saga en mai 2023. Et depuis quelques jours, les passionnés du Moyen Âge et de l’univers scandinave ont le dernier tome à se mettre sous la dent. Car cette trilogie « prend à contre-pied la vision traditionnelle d’un Moyen Âge sombre et barbare pour dévoiler l’extraordinaire dynamisme du laboratoire culturel et politique qu’il a représenté. » Et pour cause : son héros, Arn Magnusson, grandit dans une Suède encore sujette aux raids vikings, survit dans une Palestine en pleine croisade, et meurt dans un pays natal fortifié.

Et rien dans ce parcours n’est volontaire : Arn subit l’histoire, comme il subit les décisions des puissants. Car après une formation humaniste aux alentours de 1150, dans des villages boueux et froids du Västra Götaland, Arn s’est adonné au péché de chair avec sa promise, la belle Cecilia. Seul homme compétent à l’épée de la région, une dangereuse compétence, il est condamné à vingt ans de pénitence en Terre Sainte pour exterminer des Infidèles.

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Il y apprend, aux dépens de sa belle tête blonde, que les Infidèles ne sont pas les pires ennemis du Christ. La reprise de Jérusalem par Saladin n’est que la conséquence directe des folies et des bêtises de ceux qui dirigent. D’Héraclius d’Auvergne à Agnès de Courtenay, des empoisonneurs concupiscents aux libidineux notoires, en passant par le pire d’entre eux, Richard Cœur de Lion, le « boucher dément », les noms des coupables que l’on n’enseigne plus en bonne langue franque résonnent comme étonnamment modernes. Déjà au XIIe, « rien ne pouvait être plus grand que de rendre la foi raisonnable » — et Arn, parce que chrétien sachant lire travaille tout autant les textes en latin qu’en arabe ou hébreu.

Si tu veux la paix, prépare la guerre

Et pas la peine non plus de gagner la Palestine pour trouver des ennemis de l’humanité. La pauvre Cecilia, enfermée au couvent où elle accouche dans un cachot, est livrée à la haine d’une Mère supérieure dont « la seule vraie joie… n’était pas l’amour de Dieu, mais la souffrance de son prochain ». Vertu universelle, s’il en est…

Arn a donc survécu au deuxième tome en s’interrogeant, au cœur de Jérusalem–Yerushalaim–al-Quds avec Saladin et son médecin juif Musa sur l’acharnement aveugle de certains à « fouler une terre aussi peu stable en affirmant ne rien voir et ne rien entendre…  mystère de l’existence ». Et le voilà rentrant chez lui, à Arnäs, amenant à sa suite des charpentiers, des forgerons et maîtres écuyers pour convertir son ancien domaine à la guerre moderne, au château-fort et aux douves : « Nous ne préparons pas la guerre. Nous allons construire pour assurer la paix. Quand la guerre est là, on n’a ni le temps ni les moyens de construire. » Si vis pacem, para bellum, disaient les Anciens. Pour le héros, on voudrait espérer qu’il a tort… et pour nous, qu’il n’est pas trop tard.


Jan Guillou, La Promesse, Le Royaume au bout du chemin I, Agone, mai 2023, 453 p.

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Jan Guillou, La Quête, Le Royaume au bout du chemin II, Agone, octobre 2023, 664 p.

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Jan Guillou, Le Sacre, Le Royaume au bout du chemin III, Agone, janvier 2024, 512 p.

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Débuts du gouvernement Attal: la semaine de l’angoisse

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Le ministre des Affaires étrangères Stéphane Séjourné et la ministre de la Culture Rachida Dati, Assemblée nationale, 17 janvier 2024 © Jacques Witt/SIPA

Et si le casting du gouvernement Attal se révélait rapidement calamiteux ? La conférence de presse du président et les commentaires qui ont suivi n’ont pas corrigé la mauvaise impression laissée par certains ministres les premiers jours…


Heureusement que Stéphane Séjourné vient d’être nommé, au sein du nouveau et premier gouvernement de Gabriel Attal, ministre des Affaires Etrangères, et non pas, au vu de ses énormes bévues en matière de grammaire française, de la Culture ou de l’Education Nationale ! Au moins ses interlocuteurs étrangers ne pourront pas s’apercevoir ainsi de ses nombreuses carences quant à sa maîtrise, fût-elle élémentaire, de la langue de Molière…
Reste à espérer, toutefois, que M. Séjourné connaisse mieux ces importants dossiers étrangers qui lui seront dorénavant confiés par la République, et pendant un certain temps, que sa propre langue maternelle…

Voies du seigneur et conflit d’intérêt

Il semble pour le moins surprenant, du reste, que Gabriel Attal, certes sous la très directive houlette d’Emmanuel Macron en personne (je me demande ce que l’illustre La Boétie aurait à déclarer concernant ce succédané de « servitude volontaire » pour paraphraser ici l’intitulé de son célèbre opus), ait pu nommer aussi facilement, sans que personne n’y trouve rien à redire, pas même un soupçon de conflit d’intérêt ou d’éventuel favoritisme, un de ses anciens mais derniers compagnons. Les mystérieuses voies du Seigneur, plus encore que la voix de son Maître, sont, décidément, bien impénétrables, surtout au quasi céleste royaume de l’Élysée !

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Mais qui, au fond, s’en étonnera véritablement lorsque l’on sait que la toute nouvelle ministre de la Culture, Rachida Dati, n’a à proposer, en guise de seules preuves de ses réelles compétences en la matière, que de corrosives salves de bons mots et formules bien senties, alliés certes à un incontestable sens de la joute verbale, distillés çà et là sur les plateaux de télévision les plus courus de la capitale et autres provinces de l’Hexagone ?

Bourdes et breloques

Quant à, là encore, la toute nouvelle ministre de l’Éducation Nationale, Amélie Oudéa-Castéra, jusqu’ici inconnue au bataillon et surtout manifestement inexpérimentée, qu’a-t-elle donc d’autre à présenter elle aussi, à titre de gages de savoir au sein de l’école publique, que quelques maigres trophées sportifs et autres breloques de seconde zone, en plus de consternantes bourdes, comme le peuple français tout entier en a été l’incrédule et offusqué témoin il y a quelques jours seulement, pour sa première et très maladroite, sinon catastrophique jusqu’à la rendre aujourd’hui inaudible, sortie politique !
Oui : aussi décevant que calamiteux en effet, ne serait-ce qu’au regard des multiples polémiques déjà engendrées à pareil niveau, ce nouveau casting ministériel d’Attal et Macron réunis, où l’on peine même à croire que c’est malheureusement là tout ce que l’actuelle vie politique de la République française, que l’on pensait garnie de bien plus brillants esprits parmi ses nombreux et enviables fleurons, peut offrir, décemment, à ses concitoyens !

Les médiocres mais douloureux effets du wokisme ?

D’où, légitime et sans même vouloir forcer ici le trait, la question : ce pitoyable mais dangereux wokisme sévissant aujourd’hui impunément jusque dans les plus hautes sphères de l’intelligentsia française, et parfois au sein même des académies les plus réputées, aurait-il donc irrémédiablement contaminé également, pour le malheur de notre prestigieux héritage culturel, sinon civilisationnel, jusqu’au cœur du pouvoir politique en ce qu’il a théoriquement, à l’instar de toute démocratie digne de ce nom, de plus noble, généreux et précieux tout à la fois ?

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Je n’ose, pour ma modeste part, me résoudre à pareil, affligeant et funeste diagnostic…

Vers la débâcle macronienne ?

Quant à la conférence de presse, dans la soirée de ce 16 janvier 2024, d’Emmanuel Macron lui-même, elle ressemblait là à un éloquent discours de Premier ministre, maîtrisant ses dossiers sur le plan technique mais focalisé presque exclusivement sur la politique intérieure, bien plutôt qu’à un discours de président, comme pouvaient l’être, au contraire, les allocutions, dans ce même type d’exercice, de De Gaulle, Pompidou, Chirac ou Mitterrand, avec, quant à eux et qu’on les ait appréciés ou non, une véritable vision du monde, une réelle hauteur de vues, une profonde faculté d’analyse, un souffle quasi épique, des envolées parfois même lyriques, un authentique intérêt pour la culture et, surtout, l’inaliénable sens de l’Histoire.  
Bref : une conférence de presse, celle de Macron mardi soir, certes brillante, dans la connaissance de ses dossiers, parfois même détaillée à la manière d’un ennuyeux technocrate, mais, en même temps et très paradoxalement, médiocre sur le plan plus spécifiquement politique, sans âme ni grandeur, sans direction ni projets, et, donc, fondamentalement décevante, aussi ratée, en pratique, qu’attendue, sinon espérée, en théorie !
Prenant la défense de Mme Oudéa-Castéra durant les questions des journalistes, le président a réclamé « plutôt de l’indulgence, parce qu’il [lui] est arrivé d’avoir des propos, au tout début de [s]es responsabilités politiques, qui avaient blessé, tout particulièrement des femmes ». M. Macron faisait une allusion aux employées du laboratoire Gad, qu’il avait jugées « pour beaucoup illettrées » alors qu’il était tout jeune ministre.

C’est dire si la débâcle macronienne, où de belles mais vaines paroles tiennent démagogiquement lieu d’idées tout aussi stériles, continue invariablement, à la désastreuse image de la macronie elle-même, pour le malheur de la France, sinon, plus généralement encore, de l’Europe…

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