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Emmanuel Macron: quand la forme prend le pas sur le fond

8,7 millions de téléspectateurs ont regardé le président français à la télévision, selon Médiamétrie


Emmanuel Macron: quand la forme prend le pas sur le fond
Emmanuel Macron répond aux questions des journalistes, Palais de l'Elysée, 16 janvier 2024 © Ludovic MARIN / AFP

Lors de son hold-up télévisuel, hier soir, le président Macron a promis un « réarmement démographique » à la France. Son gouvernement devra concentrer son attention sur la jeunesse et les travailleurs modestes, prétend-il. Malheureusement, de nombreux points aveugles émaillaient ses démonstrations et les mesurettes annoncées qui en découlent.


On nous avait vendu un format « exceptionnel », une conférence de presse inédite sous la Vème République. D’une durée de deux heures trente, l’intervention présidentielle devant un parterre de journalistes de la presse nationale et régionale correspondait bien au style Macron : performatif, emphatique et bavard. Sur la forme, les fanatiques de Jupiter comme ses contempteurs n’auront pas changé d’avis. Clivant, Emmanuel Macron séduit autant qu’il agace. Gaspard Proust l’a résumé par une formule amusante au micro d’Europe 1 : « Quand tu as besoin de trois heures pour expliquer que tu es un génie, c’est qu’a priori ça ne saute pas aux yeux ». Le prodige doit ramer, remonter sur le ring et prouver qu’il est bien cet homme providentiel consacré en 2017 par une vague bobopopuliste pour « rénover la France ». Car, les Français sont revenus depuis longtemps de cette aventure rythmée par les mouvements sociaux et les catastrophes internationales, les émeutes et les polémiques, les scandales et les annonces fracassantes, les Grenelle et les grandes causes, les applications disruptives et les blocages administratifs.

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En presque sept ans de pouvoir absolu, la France d’Emmanuel Macron n’a finalement que peu bougé. La grande transformation se fait toujours attendre et ce ne sont pas les renouvellements de casting qui feront penser le contraire aux Français.  Conscient que son socle électoral tient désormais grâce aux plus de 65 ans, Emmanuel Macron a abandonné le jeunisme qu’on lui prêtait au profit d’un discours calibré pour les « boomers », porté par des « jeunes » choisis pour plaire à des vieux, des gendres rêvés pour une génération qui n’a pas conscience de l’urgence dans laquelle se retrouve une partie de ses héritiers.

Emmanuel Macron et Gabriel Attal à Villers-Cotterêts le 30 octobre 2023 © Gabrielle CEZARD/SIPA

Un diagnostic imprécis

Durant son intervention, Emmanuel Macron s’est parfois livré à un réquisitoire sans concession… pour son propre bilan. Il a notamment dénoncé les lenteurs administratives, citant l’exemple particulièrement parlant des délivrances et renouvellements des différents papiers d’identité, pouvant atteindre dans certains cas 4 à 5 mois. C’est parfaitement inadmissible dans un pays qui se veut « moderne » et « numérisé ». Pourtant, dans un même élan, le président a vanté les réformes qu’il aurait entreprises pour secouer le fonctionnement des administrations. Comment cela est-il possible alors que lui-même reconnait que les délais de la machine publique excèdent à juste titre ses concitoyens, ou, devrait-on dire, ses sujets ?

De la même manière, le président est capable de se réjouir que les « smicards (ont) vu leur pouvoir d’achat augmenter » en omettant de préciser que l’information capitale des dernières années est que le nombre des dits « smicards » a augmenté de manière exponentielle. Au 1er janvier 2023, 17,3% des salariés du secteur privé non agricole étaient au salaire minimum contre 12% en 2021. La réalité est donc très éloignée de l’irénisme macronien : les Français et les Françaises s’appauvrissent tous les ans. Les charges pesant sur le travail sont telles qu’il est impossible à de nombreux patrons de PME d’augmenter leurs salariés sans se ruiner, ce qui a créé au fil du temps des trappes à Smic qui ont piégé des travailleurs devenus pauvres et même bien souvent dans l’incapacité totale de se loger ou de fonder une famille.

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Ce qui nous amène d’ailleurs à l’un des points les plus commentés du discours de rentrée du roi-thumaturge qui ne guérit plus grand-chose : la démographie. Le président a annoncé son souhait de lancer « un grand plan contre l’infertilité ». Si ces choses-là se sécrètent bien plus qu’elles ne se décrètent, ce n’est pas un numéro vert pour le téléphone rose qui poussera les Français à relancer leur natalité collective ni même la notion de devoir patriotique. La problématique est sociale et anthropologique. Les causes de la dénatalité tiennent au mode de vie. Autrefois, il était rare de déménager pour raisons professionnelles. On pouvait donc compter sur les grands-parents, les relatifs et les voisins pour aider à la garde des enfants. En outre, les logements étaient plus accessibles. Qui peut aujourd’hui envisager de se lancer dans l’aventure d’une grande famille avec l’instabilité des couples, l’économie peu dynamique, le pouvoir d’achat faible ? Il faut d’abord régler ces difficultés-là !

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Il faudra plus que des mots!

D’ailleurs, chaque sujet abordé par Emmanuel Macron lors de sa conférence presse avait un point aveugle de ce type. Quand il s’interroge sur l’école, souhaitant instaurer des mesurettes symboliques telles que l’expérimentation de l’instauration de l’uniforme ou l’augmentation des heures consacrées à l’enseignement des notions d’éducation civique, il semble refuser de comprendre que la crise est beaucoup plus large, qu’elle demande une véritable révolution et non des aménagements qui ne seront que des pansements sur une jambe de bois. Sa façon d’interpréter la série d’émeutes pré-insurrectionnelles de l’été dernier, attribuée à « l’ennui » des participants, témoigne encore de cette absence de lucidité quant à la dégradation profonde et quasiment irréversible du matériel anthropologique français. Faut-il une commission pour limiter le temps d’écran des jeunes Français ? Le président, naguère présenté comme un libéral, s’enferme dans la logique réglementaire alors qu’il devrait libérer en bas et assurer l’ordre en haut. C’est le contraire qui est fait.

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Ses satisfecit, s’ils sont parfois authentiques et justifiés, sonneront creux tant qu’une partie de la France sera déclassée et larguée dans la compétition mondiale. Les imprécations et la pensée magique des slogans de communicants cachent mal la misère. « De l’action, de l’audace », nous dit-on. Avec 3000 milliards de dettes et 500 000 immigrés par an, une hausse spectaculaire de l’insécurité, et tant d’autres chantiers, il faudra plus que des mots.



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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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