Bécassine se souvient de l’émotion, assez pathétique il faut bien le dire, lorsqu’elle avait ouvert sa boîte aux lettres et avait découvert un courrier publicitaire de La Redoute… qui lui souhaitait son anniversaire !
C’était une première et c’était il y a des années-lumière, disons le siècle dernier. Et comme son fils avait oublié, La Redoute au nom redoutable s’était avérée charitable et avait compensé l’oubli filial. Ils sont doués, tout de même, pensa-t-elle une fois calmée, ils savent y faire ! Et comment connaissent-ils ma date de naissance ?! Aucune idée, mais le fait est qu’ils la connaissaient et s’en servaient, avec en prime, l’usage du prénom devenu obligatoire dans notre société, faussement fraternel. Pareil avec le tutoiement. Par exemple, Bécassine aime des gens qu’elle vouvoie et tutoie des gens qu’elle n’aime pas, tout ça parce que dans l’entreprise où elle travaille, on doit se tutoyer. Mais revenons à La Redoute qu’elle n’a plus de raison de redouter depuis qu’elle a reçu cette jolie carte avec des fleurs et une chemise de nuit à moins cinquante pour cent. Depuis, l’idée s’est propagée et tout le monde s’est mis à lui souhaiter son anniversaire et sa fête : Monoprix, Darty, Boulanger, Yves Rocher etc.
Et comme tout le monde s’y est mis, il a fallu, forcément, trouver autre chose, creuser davantage le filon, se creuser par la même occasion les méninges, et trouver l’astuce, la ruse pour faire durer le commerce et l’existence de chacun. Ainsi, ce matin, Bécassine a reçu deux mails, et quelle ne fut sa surprise lorsqu’elle en découvrit le contenu :
Damart : Joyeux non anniversaire.
Darty : Joyeux demi-anniversaire.
On imagine l’effervescence dans les bureaux marketing de Damart. Quoi inventer ?! Il faut du neuf, du jamais vu, de l’innovant ! Et il y a eu un petit malin pour proposer de fêter un « joyeux non-anniversaire » ! Spectaculaire, il faut bien le dire, et pas forcément bien trouvé. Car cela vous renvoie à une inexistence qui, pour peu que vous soyez d’humeur sombre, peut entraîner de sacrés dégâts. Vous imaginez la résonance d’une telle phrase ?! Toutes les fois où on ne vous l’a pas souhaité ! Et si ça se trouve, mes parents ne voulaient pas de moi ?! Bref, souhaiter un non-anniversaire est une ânerie sans nom, ils manquent d’idées les gars de la publicité !
Quant à ceux d’à côté, qui doivent avoir les mêmes publicistes, ils ont trafiqué le machin de telle sorte que ce soit moins dur à lire et à entendre, mais le résultat n’est pas mieux. Souhaiter un demi-anniversaire, c’est comme offrir un demi-gâteau, un demi-cadeau, une chaussette sur deux ; c’est chiche, c’est mesquin, c’est petit ! Et après, ils vont faire quoi ? Ils vont vous souhaiter un tiers d’anniversaire, un quart, un douzième ? Face à tout cela sans compter tout le reste, Bécassine n’a qu’une seule envie désormais : qu’on lui souhaite bon courage… et pas une « belle » journée.
L’historien Michel Pastoureau explique les raisons de l’incroyable capital sympathie dont jouissent les ânes.
Midas, le roi Midas a des oreilles d’âne ! Ainsi court le bruit, dans la lointaine Phrygie, sur le fils de Gordias, l’inventeur du célèbre nœud. À Rome, L’Âne d’or raconte les aventures d’un jeune aristocrate transformé en âne. Peau d’Ane, l’histoire d’un père dévoré de désir pour sa fille laquelle, pour lui échapper, se revêt de la peau d’un âne qui fait des crottins d’or. Le Roman de Renart met en scène un archiprêtre représenté en âne. Le maître d’école d’une gravure de Van der Heyden a un bonnet d’âne. En Espagne, Sancho Panza chevauche un âne, et son maître, un cheval. Qui ne connaît les ânes de Tristram Shandy et Modestie, l’ânesse de Stevenson parcourant les Cévennes ? Dans La Peau de chagrin un jeune homme, grâce à un talisman en peau d’onagre, obtient ce qu’il veut mais meurt de ses désirs. Dans un long poème qui prend à rebours les idées reçues, Victor Hugo incarne, dans l’âne, la sagesse. Francis Jammes le chante, et Brassens.
Images ambivalentes
Quelle littérature ! Quelles passions, quels vices et rêves, quels fantasmes porte l’âne sur son dos ! Que d’images ambivalentes ! Âne fictif, âne social, littéraire, philosophique, tour à tour loué ou dévalorisé, l’âne est une figure de choix de notre imaginaire. Proverbes, allégories, symboles, gravures, peintures, tout est plein… d’ânes, aurait pu ajouter Hugo. C’est donc toute une histoire culturelle prenant en compte savoirs et croyances, vie réelle et imaginaire que raconte l’historien Michel Pastoureau dans son dernier livre, L’Âne, paru au Seuil. Accompagné par une iconographie de choix, voilà bien un livre à mettre sous le sapin.
Illustration de Walter Crane pour « Voyage avec un âne dans les Cévennes »
Venu du Sud de l’Égypte au quatrième millénaire avant J.C., l’âne gagne le Proche et le Moyen Orient, l’Asie Mineure puis l’Europe comme le montre une frise stylisée d’un troupeau d’ânes foulant le blé sur une tombe pharaonique (environ 2500 av. J.C.). Au IIème siècle de notre ère, l’âne est dans l’empire romain, avant de rejoindre par bateau Christophe Colomb, devenant ainsi le premier âne américain. Au XVIIIème siècle, seulement, il se trouve dans les colonies britanniques. Longtemps dévalorisé par comparaison avec le cheval, c’est Buffon qui lui donnera, grâce à l’introduction de la notion d’espèce, toute sa dignité, en affirmant « L’âne n’est pas… un cheval dégénéré ni un cheval au rabais. » Sauf que, si on lui reconnaît des vertus de frugalité et d’endurance, le portrait physique et moral de l’âne n’est pas fameux. Laid, ridicule, avec de longues oreilles et un braiement affreux, muni d’un appendice sexuel démesuré, il aurait toujours soif et aime le vin. Stupide et entêté, il ne fait pas peur : tout le contraire de l’homme.
Comme toujours dans ses livres, Pastoureau adopte une perspective chronologique.
Âne antique et âne médiéval
L’âne antique, très documenté, est respecté puis méprisé. Bête de somme, il accompagne la vie quotidienne de l’homme auquel il rend tous les services : travailleur, endurant, sobre, il tire. Bâté, il porte. Il fait tourner le pressoir et il foule. Il fournit du crottin et même une urine utile. Son lait fait le délice des femmes comme Poppée, l’épouse de Néron, qui se baignait plusieurs fois par jour dans un lait choisi, tout comme le fera Agnès Sorel, la favorite de Charles VII. Bête respectée, il a droit à deux jours fériés par an. Ensuite, l’âne sera méprisé pour plusieurs raisons : son origine méditerranéenne et sémitique ; l’avènement du cheval, monture noble, chevaleresque et monture des riches alors que l’âne est réservé aux pauvres. L’expression « un âne bâté » datant du XVIème siècle témoigne du mépris dans lequel l’âne sera tenu.
L’âne médiéval, « monture du Christ et attribut du diable », peu documenté, tant il appartient à la vie ordinaire, est très riche de représentations symboliques à travers contes, fables et proverbes. Les bestiaires se multiplient. Mais, là encore, l’ambivalence demeure de la représentation. Dans une encyclopédie latine, on apprend que l’âne a de grandes oreilles et une vue « vagabonde » qui lui permettent de voir et entendre tout. Il éloigne du mal, la foudre l’épargne, ses sabots et ses ruades font peur au diable, il guérit les maladies liées à la surdité, sa croix dorsale, si on la caresse, peut faire des miracles. Mais l’âne exprime également la transgression dans « la messe de l’âne ». En attendant que la Fête des Fous fasse fusionner l’âne et le fou,dont témoignent La Nef des fous de Sébastian Brant ainsi que Le Portrait du fou regardant à travers ses doigts attribué à l’atelier du peintre Frans Verbeeck.
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En revanche, l’Histoire Sainte le valorise. C’est sur un âne que Moïse se rend en Egypte. L’ânesse de Balaam voit l’Ange barrer la route que ne voit pas son maître. C’est sur un âne que Giotto représente la Fuite en Egypte. C’est sur un âne que Jésus fait son entrée, le jour des Rameaux, à Jérusalem, comme le représente un splendide vitrail du XIIIème siècle, à Notre-Dame de Chartres. Pourquoi un âne ? Parce que, dans le Proche Orient ancien, et dans l’Ancien Testament, l’âne serait une monture royale pacifique, à la différence du cheval, belliqueux. Dans la crèche, l’âne est toujours là avec le bœuf.
Inversion du regard
« Ignorant et obtus » tel est l’âne moderne. Qui va du XVème siècle au XVIIIème s. Le bonnet d’âne, connu des Romains et apparu au Moyen Age, monte en puissance. En même temps, l’âne est l’objet d’un débat philosophique sur le libre arbitre des animaux. Témoin, l’âne de Buridan, auquel s’oppose l’âne du dominicain Bruno qui voit, lui, dans l’âne ,« l’ignorance savante » et le « gai savoir ». Ainsi va l’inversion des valeurs. Mais si l’âne nouveau grandit avec les encyclopédies, c’est avec le romantisme, que se fait l’inversion du regard.
L’âne contemporain,du XVIIIème au XXIème siècle, suscite compassion et empathie. Il est représenté partout, sur les affiches, au cinéma, alors que sa réalité s’efface dans la vie quotidienne, avec l’urbanisation. Moyen de locomotion avant le vélo et l’auto, passant partout, d’un pas ample et régulier, il sert de facteur, ravitaille au front pendant la guerre de 14. Les ânes rescapés de la guerre deviendront sourds. En politique, il est l’emblème de la Catalogne et des démocrates américains. Et on n’oubliera pas le canular de l’âne Lolo, « peintre génois futuriste excessiviste » et de son pinceau qui fit grand bruit !
La Famille de la Laitière DR.
Au XXème siècle, l’âne entre dans la littérature enfantine avec Cadichon et l’Ane Culotte. Et dans les jouets.Tous les enfants aiment caresser sur son front rêche l’âne placide aux grands yeux. Michel Pastoureau lui-même dit avoir une tendresse particulière pour les ânes qui lui rappellent son enfance au Jardin du Luxembourg, en compagnie de sa grand-mère. Moi-même rend toujours visite aux ânes de la montagne Sainte Victoire, choyés comme des rois, dont la race s’éteindrait si elle n’était protégée. Quant à Paul Cézanne, on sait qu’il se déplaçait à pied et à dos d’âne. Aussi la mairie proposa-t-elle, cette année, à l’occasion de l’exposition Cézanne, pour les moins de 14 ans, une balade culturelle et « enchantée » à dos d’âne sur les sentiers de Sainte Victoire pour mieux s’incorporer le génie du peintre !
Âne ou onagre ? Âne domestique ou âne fougueux ? Âne ou mulet ? Âne ou cheval ? Pas toujours facile à discerner comme le montre la belle mosaïque, datant de 250 après J-C, du musée archéologique d’El Djem, en Tunisie, qui ouvre le livre. Une autre mosaïque, byzantine, trouvée à Constantinople, datant du Vème siècle av. J.C., et qui se trouve à Istanbul, dessine le geste gracieux et bienveillant d’un enfant donnant à manger à un âne. Le livre abonde de peintures et de gravures de toutes sortes. Unetapisserie intitulée l’Automne, située au Palazzo Vecchio de Florence, tissée pour Côme de Médicis, représente un âne participant à la vendange. Une peinture de Le Nain du musée de l’Ermitage La Famille de la Laitière en dit plus que tout discours. De même une gravure de Goya dans Les Caprices qui montre un âne médecin. Sans oublier l’image publicitaire du chocolat Suchard, datant du début de notre siècle, porté par des ânes dans un défilé de montagnes enneigé ! Décidément, ce livre, d’un prix modique, est un trésor !
Une sociologue vénézuélienne, afrodescendante, militante féministe acharnée, voit son travail pionnier totalement nié, effacé, rayé de la carte par un homme blanc européen, écrivain et chercheur couronné du prix Médicis, qui a pourtant consacré l’essentiel de sa carrière académique à dénoncer, avec une vertueuse indignation, l’invisibilisation des femmes.
C’est le nouveau conte de Noël 2025. On hésite pour le titre : Les nouveaux monstres ou L’arroseur arrosé ? C’est selon qu’on aime la satire à l’italienne ou le burlesque intemporel.
Le Père Noël, qui a failli être berné en glissant un livre éthique et responsable dans sa hotte pour l’édification des petits et grands machos, me souffle un choix classique : Tartuffe féministe. Je vous explique.
Une appropriation vraiment pas nécessaire
Dans son dernier essai, La Culture du féminicide (Seuil, août 2025), Ivan Jablonka, historien et professeur reconnu développe la notion de « culture du féminicide » – un imaginaire culturel banalisant la mise à mort des femmes à travers cinéma, peinture, littérature, etc., de la Bible à Netflix.
Il présente explicitement ce concept comme une invention personnelle : dans un entretien accordé à Libération cet été1, il déclare fanfaron qu’il lui « a semblé nécessaire d’inventer cette notion » pour penser des phénomènes jusque-là invisibles, la plaçant aux côtés de la «culture du viol» et de la «culture de l’inceste».
Or, Esther Pineda G, jeune sociologue vénézuélienne, docteure en sciences sociales résidant en Argentine, accuse publiquement Ivan Jablonka de s’être approprié cette expression et cette thèse sans la citer une seule fois !
Elle est en effet l’autrice de Cultura femicida (éditions Prometeo), publié dès 2019 (rééditions en 2022 et mai 2025), dans lequel elle développe exactement la même idée : la banalisation du meurtre patriarcal des femmes par sa diffusion massive dans la production culturelle (cinéma, peinture, littérature, musique). Les féminicides, d’après elle, sont partout déclinés à des fins de spectacle. Esthétisés, parfois glorifiés, souvent normalisés. La possession jalouse, la violence machiste y sont des lieux communs.
C’est aussi le sujet du livre d’Ivan Jablonka. Titre et thèse centrale, concept fondateur, la similarité est troublante.
Ivan Jablonka, dont les livres sont traduits en espagnol, suivait déjà le compte Instagram d’Esther Pineda G (plus de 43 000 abonnés) dès 2021, époque où un club de lecture argentin, La Gente Anda Leyendo, avait promu concomitamment des ouvrages des deux auteurs.
Récemment, alors qu’Ivan Jablonka (45 000 followers sur Instagram) était au Mexique pour promouvoir ses recherches sur le féminisme, Esther Pineda G découvre par hasard un article de lui intitulé « Dark romance et culture du féminicide2 ». Elle contacte alors Ivan Jablonka en messages privés. Ce dernier répond qu’il travaille ce sujet depuis dix ans mais qu’il n’a « pas eu l’occasion » de lire son livre.
« À cette époque, cela faisait déjà deux ans que j’avais publié Cultura femicida et que j’en parlais sur mes réseaux sociaux » affirme la sociologue dont la notoriété est grande.
Face à cette réponse qu’elle juge insuffisante, Esther Pineda G rend finalement l’affaire publique sur X et Instagram, dénonçant un cas d’« appropriation et d’extractivisme intellectuel » (logique néocoloniale où un chercheur du Nord extrait les idées du Sud sans reconnaissance : il faut s’infliger tout ce jargon pour comprendre et je m’en excuse). Elle écrit : « Même titre. Même thèse centrale. Couverture identique à celle de mon livre. Il prétend avoir inventé l’expression « culture du féminicide ». Aucune citation de mon travail. »
Elle affirme ensuite avoir été bloquée par Ivan Jablonka sur Instagram. BLOQUÉE: le mot dit tout.
On a donc un champion auto-proclamé du féminisme, un homme « juste» – c’est le titre d’un de ses livres – qui se fait coincer sur… l’invisibilisation d’une femme. Un grand prêtre qui dénonce partout les privilèges du patriarcat et de la domination masculine mais qui dans les coulisses marcherait sans se poser de questions sur une femme et sur son œuvre…
Mauvais genre
Ivan Jablonka, le grand allié irréprochable, prix Médicis, spécialiste du genre, qui passe sa vie à dénoncer le patriarcat et l’effacement des femmes dans l’histoire… réduirait à néant une chercheuse latino-américaine noire qui a tout dit six ans avant lui ? Lui ?? On n’y croit pas.
C’est comme si un curé prêcheur de chasteté le jour tenait une maison-close la nuit ou qu’un militant vegan ouvrait en cachette un Burger King. Sa stratégie de défense aujourd’hui paraît bien faible : « Je n’avais pas eu l’occasion de lire son livre ». Traduisez : « Moi, grand intellectuel parisien avec 45 000 followers, qui suis les comptes latino-américains sur Instagram depuis 2021, qui voyage au Mexique pour promouvoir mon féminisme, et dont les livres sont traduits en espagnol… ben non, je n’ai jamais entendu parler d’un bouquin pourtant connu en Amérique latine qui porte sur le même sujet. » Le niveau de crédibilité est faible.
Le silence initial, puis la défense minimaliste, font penser qu’Esther Pineda a des raisons solides d’avoir une dent contre le champion parisien de la « justice de genre» (sic). Qui se satisferait de « J’ai cité beaucoup de chercheuses… mais pas celle-là… » ? Oups. Fâcheux pour la « science », surtout celle-là. L’éditeur, Seuil, annonce qu’il est « en train de lire » le livre de Pineda G. en décembre 2025. Comme l’ouvrage de la chercheuse est sorti en 2019, vu le rythme, ils finiront la préface en 2030… On comprend mieux, à ce stade, pourquoi le grand déconstructeur de la masculinité toxique voyait dans la galanterie un geste pervers de domination : sur ce point au moins, il s’est montré parfaitement cohérent. Mais comme c’est Noël et qu’il y a un gâteau, voici venir la cerise:
Les couvertures des deux livres arborent des jaquettes presque jumelles: un squelette inquiétant, façon calaveras mexicaines, rôdant autour d’une femme. Coïncidence ? À ce niveau, ce serait comme voir deux invités débarquer à une soirée costumée en clowns strictement identiques, l’un jurant à l’autre : « Je ne t’ai jamais vu de ma vie. »
Ainsi se clôt cette tragi-comédie académique : notre Tartuffe féministe, après avoir prêché la vertu à la cantonade, se retrouve apparemment démasqué pour un chef-d’œuvre absolu d’hypocrisie dans le registre Faites ce que je dis, pas ce que je fais. Encore un prédicateur qui s’emmêle dans son sermon et dont la vie réelle démasquée livre soudain un abîme. Cette année, le Sapin de la morale bienpensante a perdu quelques aiguilles et son étoile. Quant au père Noël, il a passé le livre de notre compatriote à la broyeuse. Recyclage éthique oblige. Lisez plutôt Esther Pineda, même si c’est en espagnol.
L’Amérique du Sud penche de plus en plus à droite. Sitôt élu dimanche soir, José Antonio Kast, nostalgique de Pinochet, a rappelé qu’il donnait aux quelque 340 000 étrangers illégaux jusqu’au 11 mars, jour de son investiture, pour quitter le pays de leur plein gré…
Comme attendu, le candidat de droite, José Antonio Kast, 59 ans, avocat se réclamant ouvertement de l’ancien dictateur Augusto Pinochet, a très largement remporté, avec une avance de 17 points, dimanche 14 décembre, le second tour de l’élection présidentielle au Chili. Il a recueilli 58,3 % des suffrages contre 41,7 % pour sa rivale, Jeannette Jara, communiste qualifiée par la presse locale de « modérée ». Celle-ci avait été désignée candidate à l’issue d’une primaire de l’ensemble de la gauche, incluant la Démocratie chrétienne.
José Antonio Kast double son score
« C’est le pire résultat qu’a enregistré la gauche depuis le retour de la démocratie en 1990 », a souligné lundi le très conservateur El Mercurio, principal quotidien du pays. De son côté, l’autre grand quotidien, le libéral La Tercera, a estimé qu’il s’agissait d’une « très amère défaite ». Deux seules fois au cours des 35 années qui ont suivi le rétablissement de la démocratie en 1990, période durant laquelle la gauche gouvernait avec le centre au sein de l’alliance dite de la Concertation, elle a été battue : en 2010 et en 2017, par une droite classique qui avait pris ses distances avec Pinochet. Elle avait alors obtenu respectivement 48 % et 46 % des voix.
Entre les deux tours, M. Kast, qui avait recueilli 23,9 % au premier, a plus que doublé son score, tandis que Mme Jara, arrivée en tête avec un très décevant 26,85 %, n’a progressé que d’une quinzaine de points. Le succès de M. Kast était acquis dès le soir du premier tour. Les deux autres candidats de droite, Johannes Kaiser, un peu le pendant chilien de Javier Milei, et Evelyn Matthei, représentante de la droite classique et héritière politique de l’ancien président Sebastián Piñera, ont appelé sans la moindre réserve à voter pour lui. Le candidat populiste Franco Parisi, arrivé troisième, avait pour sa part laissé la liberté de choix à ses électeurs. Une bonne partie d’entre eux s’est reportée sur Kast, qui est ainsi arrivé en tête dans l’ensemble des seize régions et dans 90 % des communes.
Cette victoire écrasante de Kast, qui fait de lui le président le mieux élu depuis le rétablissement de la démocratie, interroge. Elle est en quelque sorte une réhabilitation sur la pointe des pieds de l’ancien dictateur dont le régime, tant sur le plan institutionnel qu’économique, a survécu à sa chute en 1990, à l’issue d’un référendum portant sur son maintien au pouvoir. C’est toujours sa Constitution, datant de 1980, qui est en vigueur. Réformée à la marge en 2005, elle a vu les articles instaurant une forme de tutelle de l’armée sur le pouvoir civil abrogés, mais le reste est demeuré grosso modo inchangé. Quant au système économico-social ultralibéral, inspiré par l’école de Chicago de Milton Friedman, il n’a connu que des corrections cosmétiques.
Finis les artifices !
En conséquence, pour la politologue chilienne Stephanie Alenda, l’élection de M. Kast « clôt en réalité, explique-t-elle au quotidien espagnol El País, un cycle politique qui met fin à la dichotomie entre dictature et démocratie », laquelle prévalait de manière quelque peu artificielle. Elle constitue en somme un aboutissement logique, M. Kast ne proposant pas un rétablissement de la dictature, mais la pérennisation du modèle de société pinochétiste, modèle que, convient-il de le souligner, l’alliance entre le centre et la gauche, qui a exercé un pouvoir hégémonique pendant plus de trois décennies, n’a jamais véritablement remis en cause.
Le président élu s’était présenté une première fois en 2017. Il s’affichait alors clairement comme héritier de Pinochet et faisait figure de candidat folklorique. Il n’avait recueilli que 7 % des suffrages. Il récidive en 2021 et, là, surprise : il accède au second tour. Mais il est battu, 46 % contre 54 %, par le candidat de gauche Gabriel Boric, président sortant qui n’a pas pu se représenter, la Constitution limitant à deux le nombre de mandats présidentiels non consécutifs.
Cette année-là, après des émeutes très violentes de 2019 contre la vie chère, provoquées par une hausse du ticket de métro et bus à Santiago, la capitale, la campagne avait été axée les questions sociales. Cette fois-ci, c’est M. Kast qui a donné le ton en imposant le thème de l’insécurité consécutive à un afflux massif d’immigrés essentiellement vénézuéliens. La candidate de gauche a reconnu son erreur d’avoir négligé cette préoccupation partagée par une majorité d’électeurs des classes populaires, les premiers affectés.
Dimanche soir, M. Kast a rappelé qu’il donnait aux quelque 340 000 étrangers illégaux jusqu’au 11 mars, jour de son investiture, pour quitter le pays de leur plein gré. Quant à ceux qui sont en règle et ont un travail, ils n’ont pas souci à se faire. Ils sont les bienvenus, a-t-il affirmé.
Sa victoire s’inscrit aussi dans un glissement à droite de l’Amérique latine entamé en décembre 2023 par l’élection de Javier Milei en Argentine, puis conforté, à la surprise générale, par son succès aux législatives de mi-mandat. Le 8 novembre, le démocrate-chrétien, Rodrigo Paz Pereira, le candidat qu’on n’avait pas vu venir, était élu à la tête de la Bolivie, mettant fin à deux décennies de régime ethnico-socialiste d’Evo Morales, aujourd’hui retranché dans son fiel du Chapare, région de la culture de la feuille de coca très liée au narcotrafic.
Des élections générales doivent avoir lieu au Pérou en avril prochain et en Colombie en mai. La droite est, d’après les études d’opinion, en position de l’emporter. Au Brésil, le mandat de Lula expire à l’automne 2026. Il a laissé entendre qu’il serait disposé à se succéder. À ce stade, s’il se présente, il apparaît comme favori. Mais au sein de la gauche brésilienne, certains s’interrogent : Lula est-il encore réellement de gauche ou s’est-il mué en cacique se revendiquant de gauche ?
La ministre de l’Agriculture Annie Genevard est en première ligne pour faire comprendre le bien-fondé des procédures actuelles de lutte contre la dermatose nodulaire contagieuse, très critiquées par certains éleveurs. Assurant que la situation est sous contrôle, elle a rappelé que 111 foyers ont été détectés en France entre le 29 juin et le 13 décembre 2025 et a annoncé un déplacement mardi à Toulouse pour échanger avec les éleveurs et lancer une campagne de vaccination d’un million de bêtes. Pendant ce temps, et alors qu’une crainte existentielle plus sourde touche le monde agricole, la France demande à la Commission européenne le report des « échéances » prévues cette semaine concernant le Mercosur…
La révolution d’atmosphère peut éclater à tout instant. Son centre névralgique bouillonne au cœur de la France oubliée, en quête de sa souveraineté perdue. La brutalité des technocrates bruxellois et des dirigeants européistes peut à tout moment enflammer la colère paysanne. Les premières révoltes en sont l’avant-garde. L’indignation des éleveurs, partie vendredi d’une ferme de Bordes-sur-Arize (Ariège) sommée par les autorités d’abattre ses 208 vaches pour prévenir d’une contamination à la dermatose nodulaire contagieuse, risque de se répandre.
D’autant que la ratification du Mercosur (ouverture au marché de l’Amérique du Sud), prévue jeudi par l’Union européenne, importerait de la viande bovine sans contraintes sanitaires. La promesse faite à l’Ukraine d’entrer le 1ᵉʳ janvier 2027 dans l’UE ajouterait à la concurrence déloyale. La Coordination rurale (droite), qui a lancé la protestation le 11 décembre, a été rejointe par la Confédération paysanne (gauche), tandis que la FNSEA avalise les protocoles de « dépeuplement » de l’Autorité européenne de sécurité des aliments. En fait, se dessine la même inhumanité hygiéniste qui, face au Covid, avait imposé au nom de la science un confinement irréfléchi défendu par l’Organisation mondiale de la santé et l’UE.
Une fois de plus les alternatives, qui pourraient être proposées par des vétérinaires après des appréciations sur le terrain, sont décrétées irrecevables par de lointains sachants élevés à l’air climatisé des bureaux. Les répressions, qui ont mobilisé la gendarmerie et des engins militaires, n’ont fait que rajouter l’aigreur à la détresse d’un monde rural qui refuse de disparaître.
Cette crainte existentielle de voir s’effacer une profession, ancrée dans la civilisation, n’est pas propre au monde agricole. Le sort des éleveurs de vaches, qui lentement laissent la place, est plus généralement celui que ressentent les Français attachés à leurs racines, leur territoire, leur mode de vie. Ce que subit la fragile société rurale, jugée inutile par ses maltraitants hauts placés, est le produit d’un demi-siècle d’indifférences élitistes pour le peuple ordinaire. Ce mépris pour les « ploucs » est porté par des dirigeants sans affect, subjugués par le sans-frontiérisme, l’homme nomade, le citoyen déraciné. Leurs violences identitaires, ajoutées à l’envahissement technocratique des fabricants de normes et d’interdits, ont mis bien des Français en état de légitime défense. Nicolas Sarkozy reconnait l’incandescence de la nation quand il explique, dans Le Point cette semaine: « Les conditions d’une explosion ont rarement été à ce point réunies en France ». Le JDD rapportait, hier, que certains gendarmes auraient refusé d’intervenir, vendredi, contre une population qui leur est sociologiquement et culturellement familière. La résistance des paysans pour redonner à la France sa souveraineté alimentaire peut entrainer derrière elle ceux qui, plus généralement, sont devenus sensibles à la défense de la cause nationale. Une goutte d’eau peut être incendiaire.
Pour la première fois, dans un rapport publié le 11 décembre, Amnesty International a accusé le Hamas d’avoir perpétré des crimes contre l’humanité lors des attaques du 7-Octobre. Dans le même temps, hier en Australie, deux islamistes — un homme de 50 ans et son fils de 24 ans — ont ouvert le feu sur une plage où se déroulait une célébration de la fête juive de Hanouka, faisant au moins quinze morts et des dizaines de blessés.
Il aura fallu plus de deux ans à Amnesty International pour finir par dire, dans son rapport du 11 décembre dernier, ce que tout le monde avait déjà compris. Le 7 octobre n’était ni une zone grise ni un chaos mal documenté, mais une attaque programmée contre des civils, avec son immense cortège de morts, de corps profanés, de femmes violées, d’otages malmenés et exhibés. Les faits étaient là. Ce qui manquait, ce n’était pas la lumière, mais le courage de l’allumer.
Ce retard n’est pas un épiphénomène. Il est devenu le symptôme d’un monde qui hésite à nommer certains crimes quand leurs victimes dérangent l’ordre moral dans lequel on s’est installé.
Sipa
Et puis, ce dimanche, il y a eu Sydney. Une plage, des bougies, de la musique, des chants. Des gens réunis, visibles, reconnaissables, paisibles, pour fêter Hanouka face à la mer. C’est précisément ceux-là – qui n’étaient pas là par hasard – qui ont été visés comme des lapins de foire. Shootés, dézingués, butés à la kalachnikov.
Sydney n’est pas le pogrom du 7 octobre, bien sûr. Le théâtre n’est pas le même, ni l’ampleur du massacre – et un courageux dénommé Ahmed a sans doute permis d’épargner des vies. Mais la différence n’est pas de nature, seulement de degré. Dans les deux cas, la violence islamiste obéit à la même logique. On ne frappe pas des individus pour ce qu’ils font, mais un groupe pour ce qu’il est, en l’occurrence des juifs. La mort devient un message, le corps, un argument, la cible, une identité.
C’est exactement ce que le droit international a tenté de penser après 1945. Raphael Lemkin l’avait compris avant tout le monde, le crime commence bien avant les charniers, au moment où un groupe humain est déclaré indésirable. Il ne s’agit pas de quantité de morts, mais de désignation.
On se rassure souvent avec les chiffres. On se dit qu’il faut attendre, comparer, contextualiser. Illusion confortable. Le droit ne demande pas combien sont morts, mais pourquoi ils ont été visés. Le véritable scandale n’est donc pas seulement qu’Amnesty ait mis plus de deux ans à reconnaître l’évidence du crime contre l’humanité perpétré par le Hamas et les autres groupes palestiniens, mais de trouver ce délai acceptable.
Le 7 octobre relevait de cette dynamique génocidaire. Sydney en montre aujourd’hui la version réduite, presque nue, débarrassée de toute excuse géopolitique. Un même crime contre l’humanité derrière lequel, dit-on, la main assassine de l’Iran.
Le crime contre l’humanité n’est pas seulement un crime contre des hommes, selon Hannah Arendt, mais contre l’humanité elle-même, parce qu’il nie à certains le droit d’appartenir au monde commun. C’est cela, précisément, qui se joue quand des hommes, des femmes et des enfants sont attaqués en tant que juifs, que ce soit dans un kibboutz ou sur une plage australienne.
À force de différer les mots, on finit par différer les consciences. On ne nie pas les crimes, certes, mais on les ajourne, on les entoure de précautions, on les contextualise, on attend que le moment soit politiquement respirable pour les qualifier. En français, cela s’appelle de la veulerie.
Et qu’est-ce que la veulerie ? C’est une lâcheté qui a appris à bien s’habiller, qui parle doucement, qui invoque la prudence, et qui se donne des airs de sagesse pour ne pas avoir à risquer l’essentiel.
« Le mal s’est déchaîné sur la plage de Bondi au-delà de tout entendement (…) Il s’agit d’une attaque ciblée contre les Juifs, un acte malveillant, antisémite et terroriste qui a frappé le cœur de notre nation » a déploré hier le Premier ministre australien Anthony Albanese, après la fusillade survenue sur une plage de Sydney et visant la communauté juive.
Bondi Beach. Du sable propre. Du ciel bleu. Des corps heureux. Une mer indifférente. Et des Juifs qui allument des bougies. Pas des soldats. Pas des colons. Des Juifs. Une fête. Une lumière fragile. La haine est entrée comme un couteau dans un corps nu. Pas d’arguments. Pas de revendication. Pas de frontières. Juste frapper. Juste tuer. Là où c’est possible. Le sang sur le sable a la même couleur qu’à Jérusalem. La distance n’existe plus. La guerre a quitté le désert. Elle voyage légère. Elle s’invite dans les plages, les écoles, les rues tranquilles de l’Occident. Elle n’a qu’une cible : l’existence juive. On parle de conflit. C’est un mensonge confortable. Ce n’est pas un conflit. C’est une fixation. Une rumination. Une rage ancienne qui ne supporte pas que le Juif vive encore, debout, armé, souverain. L’Occident se raconte des histoires pour ne pas voir. Il se fabrique des victimes pures, des bourreaux abstraits. Il pleure le Palestinien idéalisé et crache sur l’Israélien fantasmé. Il confond la compassion avec l’aveuglement. Il appelle cela morale. Mais la réalité est sale. Ramallah pourrit de l’intérieur. Gaza est tenue par une organisation qui parle de mort comme d’un avenir, qui écrit noir sur blanc que l’autre doit disparaître. Pas négocié. Pas contenu. Disparu. On feint de ne pas lire. On feint de ne pas entendre. On feint de croire que les mots n’ont pas de poids. Pourtant les mots tuent avant les balles. Les murs, les armes, les contrôles: ce sont des cicatrices. Pas des caprices. Des réponses laides à une violence plus laide encore. Des réponses imparfaites à une guerre qui vise les bus, les cafés, les enfants. La paix a été proposée. Elle a été rejetée. Encore. Parce que la paix suppose l’acceptation de l’autre. Et que l’autre, ici, est inacceptable. Israël n’est pas haï pour ses frontières. Il est haï pour sa présence. Pourquoi cette obsession ? Pourquoi cette fureur sélective ? Pourquoi cette passion pour ce conflit et ce silence pour les autres massacres ? Parce qu’ici, on peut encore rêver d’effacement. Parce qu’ici, l’ennemi est ancien. Parce qu’ici, le Juif concentre tout : la mémoire, la survie, la réussite, l’insolence d’exister encore. Le mot « génocide » est jeté comme une pierre. Non pour décrire. Mais pour salir. Pour préparer. Pour inverser. Toujours la même mécanique : accuser l’autre de ce que l’on désire. Prêter à la victime l’intention du bourreau. Se blanchir dans l’indignation avant de frapper. Ce procédé a précédé toutes les exterminations. Il est connu. Il est documenté. Il recommence. On éduque à la haine. On enseigne la mort. On glorifie le martyre. On fabrique des enfants qui savent déjà qui ils devront tuer. La souffrance palestinienne est réelle. Mais elle a été confisquée. Instrumentalisée. Transformée en arme. Les réfugiés sont maintenus dans l’attente comme on garde des reliques. Non pour vivre. Mais pour rappeler une promesse de destruction. Si Israël baissait la garde, il disparaîtrait. Pas lentement. Pas symboliquement. Concrètement. Les discours, les images, les slogans ne laissent aucun doute. Ce qui est visé n’est pas une politique. Ce n’est pas une armée. C’est un peuple. Le cœur du conflit n’est pas territorial. Il est existentiel. Il pose une question simple, brutale, sans appel : le Juif a-t-il le droit d’être là ? Bondi Beach a répondu. Par le sang. Par la peur. Par la répétition du même crime, ailleurs, autrement, mais avec la même intention. Israël est là. Et Israël restera. Non parce qu’il est moral. Non parce qu’il est aimé. Mais parce qu’il sait que, dans ce monde, survivre est déjà une faute impardonnable pour ceux qui rêvent de sa disparition. Et tant que cette obsession ne sera pas nommée pour ce qu’elle est — une haine de l’existence — il n’y aura ni paix, ni compromis, ni apaisement. Seulement la survie. Et la force. Encore.
Alors que la Première ministre japonaise Sanae Takaichi continue de refuser de retirer ses propos sur Taïwan, Pékin intensifie ses critiques contre Tokyo et multiplie les déclarations agressives. Mme Takaichi avait déclaré au Parlement japonais que l’usage de la force contre Taïwan pourrait constituer une « situation menaçant l’existence » du Japon. Sur le plan militaire, la semaine dernière, deux bombardiers russes Tu-95, capables de transporter des armes nucléaires, ont traversé la mer du Japon pour rejoindre deux bombardiers stratégiques chinois H-6 en mer de Chine orientale, avant d’effectuer un vol conjoint autour du Japon.
La réaction chinoise aux récents propos de la Première ministre japonaise Sanae Takaichi marque une rupture nette entre les deux pays. Pékin a déchaîné une violence verbale et diplomatique inédite, révélant les lignes de fracture majeures de l’Asie orientale : Taïwan, la mémoire de la guerre et le réveil stratégique du Japon.
Le 7 novembre 2025, répondant aux questions de la Diète (Parlement japonais) à propos d’un conflit possible dans le détroit de Taïwan, la Première ministre japonaise Sanae Takaichi, 64 ans, a prononcé une phrase d’apparence prudente, mais au poids constitutionnel considérable : « Le déploiement de navires de guerre et le recours à la force pourrait constituer une menace pour la survie du Japon. Nous devons envisager le scénario du pire », laissant entrevoir la possibilité d’une entrée en guerre du Japon contre la Chine.
Le dragon chinois voit rouge
Dans le cadre de la Constitution pacifiste japonaise datant de 1947, imposée par les États-Unis qui occupent un Japon défait, cette notion de « mise en péril de la survie nationale » est déterminante : elle constitue l’un des rares fondements juridiques permettant un engagement militaire et défensif, conditionné à une agression chinoise contre Taïwan. Mais Pékin a choisi d’y voir tout autre chose.
La Chine a immédiatement interprété les propos de cette ultra-monarchiste, fan de Heavy Metal, comme une ingérence directe dans ce qu’elle considère comme une affaire de souveraineté intérieure. Pour le Parti communiste chinois (PCC), Taïwan n’est pas seulement un enjeu géopolitique : c’est un pilier idéologique du régime, un marqueur de légitimité historique et nationale depuis que la République populaire de Chine a été proclamée en 1949 au prix d’une longue guerre civile entre les communistes de Mao Zédong et les nationalistes du Kouomintang du général Tchang Kaï-chek.
Dans sa fuite, ce dernier s’était replié sur l’île de Formose (autrefois occupée par le Japon entre 1895 et 1945) avec ses troupes et avait profité des troubles pour proclamer une république indépendante, appuyé par Washington. Une hérésie territoriale pour Pékin qui considère toujours Taïwan comme « une simple province séparatiste ».
Une escalade verbale d’une rare violence
La virulence des réactions chinoises a surpris jusqu’aux observateurs les plus aguerris. Le consul général de Chine à Osaka, Xue Jian, a publié — avant de le supprimer — un message glaçant sur le réseau X : « Ce cou immonde qui s’immisce sans permission doit être coupé sans hésitation. Êtes-vous prêt ? »
Les médias d’État ont suivi le mouvement. Le Quotidien de l’Armée populaire de libération a menacé le Japon d’une « riposte cinglante », avertissant que « jouer avec le feu » conduirait à une conflagration incontrôlable. Plus troublant encore, certaines attaques ont pris une tournure ouvertement misogyne. Hu Xijin, ancien rédacteur en chef du Global Times, a qualifié la Première ministre japonaise de « sorcière maléfique », révélant la dimension émotionnelle et décomplexée de la campagne anti-Takaichi.
Dans une mise en scène soigneusement calculée, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Lin Jian, a cité la déclaration de Potsdam de 1945 comme argument de réponse au Soleil levant, rappelant que la souveraineté japonaise serait limitée à certaines îles — sans mentionner Okinawa. Une omission lourde de sens pour Tokyo, où persiste la crainte qu’une annexion de Taïwan ne soit suivie d’une remise en cause des îles Senkaku, voire d’Okinawa elle-même. Au plus fort des tensions, les garde-côtes chinois ont même déployé des navires autour des Senkaku, tandis que Pékin lançait des exercices de tirs réels en mer Jaune afin de démontrer leur puissance, provoquant l’irritation de Tokyo qui n’a jamais caché qu’elle entendait installer une base militaire sur ces îles revendiquées de part et d’autre, agrémentés de missiles américains.
« La Chine ne permettra jamais aux forces d’extrême droite japonaises de faire reculer le cours de l’histoire, jamais à des forces extérieures de s’emparer de Taïwan, et jamais au militarisme japonais de renaître. Le militarisme japonais est l’ennemi des peuples du monde entier », a déclaré Guo Jiakun, autre porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, qui a curieusement accusé les autorités de Taïwan de « blanchir la domination coloniale et l’oppression japonaises [sur l’île] en les qualifiant de « développement » et de « contribution », tournant le dos à la nation chinoise, trahissant Taïwan pour s’attirer les faveurs du Japon ».
L’escalade ne s’est pas limitée au champ militaire ou diplomatique. La Chine a activé ses leviers économiques et sociétaux: avertissements officiels déconseillant les voyages au Japon, remboursements de billets d’avion, alerte du ministère de l’Éducation visant spécifiquement les étudiants chinois au Japon. Objectif avoué de la Chine: créer un climat d’insécurité, tout en signalant au Japon sa vulnérabilité économique.
Pékin accuse le Japon de révisionnisme
À l’approche du 80ᵉ anniversaire de la « victoire de la guerre de résistance contre l’agression japonaise », selon les propres termes du PCC, les tensions diplomatiques se sont encore accrues entre les deux nations. Le 12 décembre, Guo Jiakun, dans une longue déclaration accusatoire, a profité des festivités qui seront organisées à cette occasion, pour dénoncer le « militarisme japonais », les visites continues au sanctuaire Yasukuni des ministres venus honorer la mémoire des héros de la Seconde Guerre mondiale enterrés dans ce lieu controversé, la réécriture des manuels scolaires japonais et « l’instrumentalisation » du dossier taiwanais par Tokyo. Cette rhétorique n’est d’ailleurs pas improvisée: elle s’inscrit dans une stratégie bien rodée de mobilisation nationaliste de la part de la Chine, où le Japon reste l’ennemi historique idéal.
Tout au long de sa carrière de députée et de ministre, la Première ministre Sanae Takaichi n’y a pas été avec le dos de la cuillère concernant les différents chapitres inhérents à l’occupation de l’Asie par le Japon, outrageant plus d’une fois la Chine. Elle n’a pas hésité à brandir l’oriflamme du révisionnisme ambiant et à se l’approprier à des fins politiques. Réfutant le terme de « femmes de réconforts » (Chinoises ou Coréennes soumises au bon plaisir des soldats japonais), elle a qualifié l’invasion japonaise de la Mandchourie en 1931 de « guerre d’autodéfense », refusant toute repentance, niant le massacre (« viol ») de Nankin, au cours duquel des centaines de milliers de civils chinois ont été tués entre 1937 et 1938 ou ne se privant pas de réécrire l’histoire à sa sauce, pointant l’invasion de l’Etat du Mandchoukouo (un des nombreux territoires indépendants créés de toute pièce par les Japonais au cours de l’occupation de la Chine, ici en faveur du dernier Empereur de Chine Pu Yi) comme une « avancée vers le sud » par un Etat étranger (une annexion par l’Union soviétique – ndlr).
Pékin prisonnier de sa propre propagande
Selon William Yang, analyste principal pour l’Asie du Nord-Est au Crisis Group, la marge de manœuvre de Pékin est cependant réduite: « La Chine instrumentalise depuis longtemps l’exacerbation du sentiment anti-japonais pour rallier l’opinion publique » et donner l’impression d’une Chine unie, prête à se lever comme un seul homme face aux shoguns japonais.
Stephen Nagy souligne que Mme Takaichi parle en réalité et avant tout à son électorat conservateur, désireux de rompre avec ce qu’il perçoit comme une complaisance excessive envers Pékin sous le gouvernement précédent. Elle ne regrette pas ses propos, affirme-t-il, et entend « contrer la tentative chinoise de présenter le Japon comme une puissance militariste — ce qu’il n’est pas », selon ce professeur à l’Université chrétienne internationale de Tokyo.
Aucune excuse, aucune rétractation : Sanae Takaichi a seulement promis d’éviter à l’avenir des « scénarios trop explicites ». Insuffisant pour Pékin, qui exige un retrait pur et simple de ses propos. Ce que la principale concernée continue de refuser de faire. « La paix et la stabilité dans le détroit de Taïwan sont essentielles non seulement à la sécurité du Japon mais aussi à la stabilité de la communauté internationale. Nous avons toujours souhaité que les questions relatives à Taïwan soient résolues pacifiquement par le dialogue », a rappelé en guise d’avertissement à peine voilé, de son côté, le porte-parole du gouvernement nippon. Cette crise révèle cependant une vérité plus profonde : la Chine ne tolère plus la moindre ambiguïté stratégique autour de Taïwan. En s’en prenant avec une telle violence au Japon, Pékin cherche autant à dissuader qu’à intimider — Tokyo, mais aussi l’ensemble des démocraties asiatiques. Dans cette partie d’échecs géopolitique, la Chine montre sa force. Mais elle révèle aussi ses peurs : celle d’un Japon qui, enfin, cesse de baisser les yeux.
Après la tuerie sur la plage de Bondi, le Premier ministre travailliste australien Anthony Albanese croule sous les reproches. Il lui est reproché d’avoir été flou sur l’antisémitisme en adressant, dans un premier temps, ses « pensées à toutes les personnes touchées » ; son gouvernement aurait ignoré les avertissements de la communauté juive ; et il aurait cédé à la rue en reconnaissant la Palestine cet été. Notre contributrice craint que d’autres pays comme la France puissent également être touchés par des retours de boomerang terribles liés aux concessions faites aux excités de la cause palestinienne.
Le 14 décembre 2025, c’était le premier jour de Hannouka, la fête juive des lumières, rappelant un miracle ancien : la victoire des Maccabées qui, au IIe siècle avant notre ère, ont lutté contre l’Empire grec d’Antiochos IV, afin de conserver leur religion et de restaurer le Temple de Jérusalem vandalisé par les envahisseurs.
Obscurantisme 1, Lumières 0
À Sydney, une grande fête avait été organisée pour l’allumage de la première bougie de Hannouka sur la plage de Bondi Beach, la… Mecque des surfeurs. Cette célébration de la victoire de la capitale des Hébreux sur le colon hellène s’est transformée en une victoire de l’obscurantisme sur la paix et la joie : deux terroristes armés de mitraillettes ont tiré sur des civils australiens, dont le seul crime était d’être nés Juifs. L’un des assaillants a été tué (qui ne figure pas dans le décompte des « victimes » puisqu’il en est le bourreau) et son complice est gravement blessé. La police espère en obtenir des informations sur leur éventuelle meute de loups solitaires et ses éventuels fournisseurs, car des engins explosifs ont été trouvés dans le véhicule d’un des tueurs.
15 victimes (dont un Français de 27 ans), 40 blessés et une indignation modulée
Pour Mme anti-antisémitisme australienne, Jillian Segal, cette attaque « n’était pas sans précédent. (…) Les railleries depuis les marches de l’Opéra, les synagogues incendiées et maintenant les massacres lors d’une célébration forment un schéma clair. » De son côté, le président israélien, Isaac Herzog, a dit avoir « averti à maintes reprises le gouvernement australien de la nécessité d’éradiquer l’antisémitisme criminel et croissant dans leur pays ». Son ministre des Affaires étrangères, Gideon Sa’ar, a vu là les « conséquences du déchaînement antisémite dans les rues australiennes ces deux dernières années, avec les appels à la ’globalisation de l’Intifada’ qui se sont concrétisés aujourd’hui ». En août dernier, la mobilisation propalestinienne avait atteint son niveau de croisière. Selon Josh Lees, de laSocialist Alternative, acteur trotskiste majeur du palestinisme, « avec l’intensification de la politique israélienne de famine à Gaza et le massacre quotidien de civils affamés dans les points d’ »aide » gérés par les mercenaires américains de la Gaza Humanitarian Foundation, un nouveau sentiment d’horreur et d’urgence s’est fait sentir. (…) Le fait que le gouvernement ait annoncé qu’il soutiendrait désormais cette « reconnaissance » (de l’État de Palestine NDLR), alors qu’il l’avait exclue quelques semaines plus tôt, montre qu’il subit une pression importante après l’énorme marche de Sydney. »
Il n’existe pas d’équivalent australien à LFI, en termes d’hypocrisie et de vénalité électorale, mais l’attentat qui a coûté la vie à plusieurs femmes et à au moins un enfant dimanche ne suscite pas la même horreur chez tous: le Premier ministre australien a d’abord eu des « pensées pour toutes les personnes touchées », en oubliant qui elles étaient et ce qu’elles faisaient à Bondi Beach. Son homologue britannique s’est contenté de son côté de faire savoir qu’il avait reçu « des nouvelles très troublantes d’Australie ». Emmanuel Macron a fait preuve d’une hypocrisie abyssale : il prétend qu’il « continuera[1] de lutter sans faiblesse contre la haine antisémite qui nous meurtrit tous, partout où elle frappe. » Sa lutte sans faiblesse consiste essentiellement à accuser Israël de propager la famine, puis devant des photos d’entrepôts du Hamas pleins de lait maternisé confisqué, à changer de braquet et exiger qu’Israël laisse entrer de quoi l’anéantir : « La France demande également une réduction significative des restrictions portant sur les biens dits à double usage… » Des biens à double usage ? Qu’en termes a minima ces choses-là sont dites ! Un bien à double usage est un produit ou service susceptible d’avoir une utilisation civile autant que militaire : des ULM, de la dynamite, des bulldozers…
Parole parole, parole
Reconnaître un État de Palestine est la dernière posture à la mode des démocraties molles, effrayées par leurs opinions publiques. En effet, aucun chef d’État digne de sa fonction ne peut sérieusement croire que naîtra un État pacifique à partir de deux entités terroristes qui se haïssent autant que les juifs qu’elles veulent exterminer, fût-ce au prix de leurs propres populations. Rappel : lorsque les Israéliens ont conquis ce qui est aujourd’hui revendiqué par les Palestiniens, la bande de Gaza était administrée par l’Égypte et la Judée-Samarie avait été annexée par la Jordanie. Second rappel : dans la première charte de l’OLP rédigée à Moscou en 1964, l’article 24 précisait : « Cette organisation n’exerce aucune souveraineté régionale sur la rive occidentale du royaume hachémite de Jordanie, sur la bande de Gaza ou sur la région de Himmah. » Cet article a été supprimé après la guerre des Six-jours, avec le passage sous administration israélienne des deux seules régions dont l’OLP ne voulait pas : elles sont devenues le lieu exclusif sur lequel se revendique la souveraineté palestinienne.
Le boomerang de l’apaisement palestinophilique
Les dirigeants occidentaux se fichent de la Palestine comme de l’an 48, ou comme de leurs propres électeurs pour certains d’entre eux (suivez mon regard). Mais ils ont peur d’une partie de leur population, aussi lui montrent-ils qu’ils sont du côté des gentils (ceux qui cassent tout à la moindre contradiction) contre les méchants (tous les autres, surtout ceux qui ne cassent rien quand on les attaque). C’est donc dans l’espoir de calmer les plus virulents qu’ils s’aplatissent en reconnaissant un État fantôme constitué de deux bandes rivales, dont la création a été refusée par ses propres dirigeants chaque fois qu’on la leur a proposée. Churchill estimait qu’un: « conciliateur est quelqu’un qui nourrit un crocodile dans l’espoir qu’il le mangera en dernier. » Ignorant le vainqueur de 1948, nos dirigeants donnent raison à Einstein: « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent. » Ils cherchent à se concilier les Palestinolâtres en semant du génocide et de la famine qu’ils savent imaginaires et ils récoltent des attentats contre des synagogues et des assassinats de juifs. En 2002, les Français juifs étaient 600 000. Aujourd’hui, ils sont moins de 400 000. La population juive diminue, mais le nombre des attaques antisémites augmente. Le Premier ministre australien déplorera probablement le prochain attentat antisémite en France en citant la religion des victimes. Et Macron, lui, aura-t-il des « pensées pour toutes les personnes touchées » ?
Monsieur Nostalgie, adepte des parallèles audacieux, met sur le même plan en ce mois de décembre l’arrivée d’Olivier Minne sur M6 et la pièce Château en Suède de Sagan au Théâtre de Poche. Quelle mouche a piqué le « paltoquet berrichon » pour oser un tel rapprochement ?
On étouffe. On croit devenir fou. Le conte de Noël tourne à la farce cette année. Le ridicule ne tue pourtant pas. Il y a comme un dérèglement général dans nos actualités, perte des valeurs et digues brisées, aveuglement et obscénité, suintement des égos et absence de raison. Les loups sont lâchés. Nous entrons dans les époques perméables au défoulement. La fin d’un monde où l’on se regardait dans la glace avant d’écrire, avant de parler, avant d’agir, avant de combattre, avant même de vouloir exister. On doutait de soi. Nous avions encore des garde-fous et des pudeurs. La mauvaise éducation et les bas instincts sont les nouvelles règles en société. Plus nous aurons goûté à cette déchéance-là, plus difficile sera le retour à une vie pondérée, respectueuse des autres, convenable et si possible, harmonieuse. Nous assistons quotidiennement à des scènes risibles et affreuses, glaçantes et inappropriées, blessantes. Du mauvais spectacle. Du divertissement frelaté. Sauvagerie à ciel ouvert au pays de Gaston Fébus, incurie politique et débandade du service public. Télé sous camisole chimique, cinéma en PLS et littérature prisonnière. Ricanement et contentement à tous les étages. Où sont passés les farfadets, les drôles, les naïfs, les tendres, les élégants déplumés et les poètes de l’absurde, les déviants de l’écran et les échappés des arts populaires ? Ils ont disparu. Nous vivons au milieu des poseurs et des sermonneurs, brutus qui ont pour arme létale la vulgarité esthétique, la force de la loi et la dialectique folle. Ces colonnes bien formées, en rang serré, avancent des chiffres, des théories et des instructions. Elles nous engloutissent et nous fatiguent. Maintenant, laissez-nous ! Vous avez gagné. Dans ces moments d’abandon, quand tout semble fade et fat, quand nous nous apprêtons à hiberner, à ne plus voir leurs gueules satisfaites ventiler de la fausse joie et de lourdes pensées, une lumière se glisse. Nous nous accrochons à elle. Elle prend des formes diverses en ce début d’hiver. Cette lumière est spirituelle, un peu datée car elle n’a pas l’éclat des outrances actuelles, elle se propage sans tambours, ni trompettes. Cette lumière discrète se tient droite, elle ne marchande pas, elle ne pleurniche pas, elle nous réjouit par sa probité et son intemporalité rieuse. Elle ne porte pas les habits du clash et de la tourmente, elle a d’autres atouts dans sa main, de la grâce, de la mémoire et du savoir-vivre. Cette lumière est joueuse, elle n’est pas dogmatique, elle aime le ping-pong verbal, la nuance des petits matins et le rire en coin, le second degré en esquive et le sens de la fête. L’arrivée d’Olivier Minne sur M6 (Le Maillon faible, Pandore et Quel âge à votre cerveau) est une aubaine pour la chaîne privée. Le jeu est son destin depuis si longtemps. Il sera même le Monsieur Loyal de la soirée du Nouvel An. Ce garçon intelligent et cultivé, ex-speakerin filiforme exfiltré à L.A pour s’épaissir, auteur talentueux qui écrit lui-même ses livres, bon camarade de plateau et professionnel reconnu par tous, aimé des téléspectateurs est le profil-type du service public. Son mètre-étalon. France Télévisions aurait dû le conserver sous cloche pour le montrer en exemple aux visiteurs du monde entier. La manière dont il a été traité tout au long de sa carrière par les différentes directions est symptomatique du mal français. On lui a souvent préféré des bavards, des illusionnistes, d’éphémères rebelles. Des gandins. Quel manque de vista ! Ce Belge de naissance s’exprime dans une langue précise, vocabulaire riche et bienveillance en bandoulière, ni nunuche, ni pétroleur, il apporte à ses programmes une légèreté et un certain standing. Dans un pays où l’on fait la queue pour acheter des livres sur la zonzon et les conseils de beauté, on peut s’inquiéter de notre santé mentale.
Ne vous y trompez pas, Olivier Minne a un rapport direct avec Françoise Sagan. Une filiation même. Ils ne travaillent pas dans l’aigreur. Ils ont le jeu en commun. Familial et jamais gras chez Minne, féroce et bourgeois chez la petite Quoirez. Le Théâtre de Poche remet en piste Château en Suède sur une mise en scène de Emmanuel Gaury et Véronique Viel du mardi au samedi à 21 heures et le dimanche à 17 heures. Le cycle Sagan bat son plein à Montparnasse, nous avons déjà évoqué ici la performance de Caroline Loeb, tous les lundis. La Compagnie du Colimaçon se démarque par sa vitalité, sa cruauté frivole et son manège endiablé. Elle a tout compris de Sagan, sa profondeur angélique et sa jeunesse phagocytée, sa vitesse innée et l’empreinte de ses songes. Il faut du génie pour restituer cette cavalcade infernale. Son vieux complice, Bernard Frank, perspicace et rosse disait qu’« elle avait la maîtrise de son monde. Elle était foncièrement originale, à l’aise à l’intérieur de ses clichés, de ses imaginaires plutôt factices et de mauvais aloi ». La troupe s’amuse et les spectateurs s’enflamment dans ce huis-clos suédois. Ces jeunes comédiens, les pieds dans la neige, nous épatent. Ils sont singuliers et j’ai cependant vu dans leur allure, leur drôlerie, leur canevas, la trace du passé. Odile Blanchet (Eléonore) est une Christine Pascal, tantôt vamp, tantôt gorgée de sanglots, Bérénice Boccara (Agathe) est une sorte de brune Walkyrie incendiaire, une Stefania Sandrelli explosive, Gaspard Cuillé (Frédéric) a le charme d’un Daniel Gélin, étonné et sentimental, Emmanuel Gaury (Hugo) est un Philippe Noiret, paysan ogre, à moins que ce ne soit un Georges Wilson tempétueux (le rôle est joué en alternance par Arthur Cachia), Sana Puis (Ophélie) est une Geneviève Bujold égaré du cinéma de Philippe de Broca et de Pascal Thomas et Benjamin Romieux (Sébastien) est un Claude Rich phraseur et délicieux parasite. Château en Suède et Olivier Minne même combat !
Bécassine se souvient de l’émotion, assez pathétique il faut bien le dire, lorsqu’elle avait ouvert sa boîte aux lettres et avait découvert un courrier publicitaire de La Redoute… qui lui souhaitait son anniversaire !
C’était une première et c’était il y a des années-lumière, disons le siècle dernier. Et comme son fils avait oublié, La Redoute au nom redoutable s’était avérée charitable et avait compensé l’oubli filial. Ils sont doués, tout de même, pensa-t-elle une fois calmée, ils savent y faire ! Et comment connaissent-ils ma date de naissance ?! Aucune idée, mais le fait est qu’ils la connaissaient et s’en servaient, avec en prime, l’usage du prénom devenu obligatoire dans notre société, faussement fraternel. Pareil avec le tutoiement. Par exemple, Bécassine aime des gens qu’elle vouvoie et tutoie des gens qu’elle n’aime pas, tout ça parce que dans l’entreprise où elle travaille, on doit se tutoyer. Mais revenons à La Redoute qu’elle n’a plus de raison de redouter depuis qu’elle a reçu cette jolie carte avec des fleurs et une chemise de nuit à moins cinquante pour cent. Depuis, l’idée s’est propagée et tout le monde s’est mis à lui souhaiter son anniversaire et sa fête : Monoprix, Darty, Boulanger, Yves Rocher etc.
Et comme tout le monde s’y est mis, il a fallu, forcément, trouver autre chose, creuser davantage le filon, se creuser par la même occasion les méninges, et trouver l’astuce, la ruse pour faire durer le commerce et l’existence de chacun. Ainsi, ce matin, Bécassine a reçu deux mails, et quelle ne fut sa surprise lorsqu’elle en découvrit le contenu :
Damart : Joyeux non anniversaire.
Darty : Joyeux demi-anniversaire.
On imagine l’effervescence dans les bureaux marketing de Damart. Quoi inventer ?! Il faut du neuf, du jamais vu, de l’innovant ! Et il y a eu un petit malin pour proposer de fêter un « joyeux non-anniversaire » ! Spectaculaire, il faut bien le dire, et pas forcément bien trouvé. Car cela vous renvoie à une inexistence qui, pour peu que vous soyez d’humeur sombre, peut entraîner de sacrés dégâts. Vous imaginez la résonance d’une telle phrase ?! Toutes les fois où on ne vous l’a pas souhaité ! Et si ça se trouve, mes parents ne voulaient pas de moi ?! Bref, souhaiter un non-anniversaire est une ânerie sans nom, ils manquent d’idées les gars de la publicité !
Quant à ceux d’à côté, qui doivent avoir les mêmes publicistes, ils ont trafiqué le machin de telle sorte que ce soit moins dur à lire et à entendre, mais le résultat n’est pas mieux. Souhaiter un demi-anniversaire, c’est comme offrir un demi-gâteau, un demi-cadeau, une chaussette sur deux ; c’est chiche, c’est mesquin, c’est petit ! Et après, ils vont faire quoi ? Ils vont vous souhaiter un tiers d’anniversaire, un quart, un douzième ? Face à tout cela sans compter tout le reste, Bécassine n’a qu’une seule envie désormais : qu’on lui souhaite bon courage… et pas une « belle » journée.
Catherine Deneuve dans "Peau d'Âne", Jacques Demy, 1970. DR.
L’historien Michel Pastoureau explique les raisons de l’incroyable capital sympathie dont jouissent les ânes.
Midas, le roi Midas a des oreilles d’âne ! Ainsi court le bruit, dans la lointaine Phrygie, sur le fils de Gordias, l’inventeur du célèbre nœud. À Rome, L’Âne d’or raconte les aventures d’un jeune aristocrate transformé en âne. Peau d’Ane, l’histoire d’un père dévoré de désir pour sa fille laquelle, pour lui échapper, se revêt de la peau d’un âne qui fait des crottins d’or. Le Roman de Renart met en scène un archiprêtre représenté en âne. Le maître d’école d’une gravure de Van der Heyden a un bonnet d’âne. En Espagne, Sancho Panza chevauche un âne, et son maître, un cheval. Qui ne connaît les ânes de Tristram Shandy et Modestie, l’ânesse de Stevenson parcourant les Cévennes ? Dans La Peau de chagrin un jeune homme, grâce à un talisman en peau d’onagre, obtient ce qu’il veut mais meurt de ses désirs. Dans un long poème qui prend à rebours les idées reçues, Victor Hugo incarne, dans l’âne, la sagesse. Francis Jammes le chante, et Brassens.
Images ambivalentes
Quelle littérature ! Quelles passions, quels vices et rêves, quels fantasmes porte l’âne sur son dos ! Que d’images ambivalentes ! Âne fictif, âne social, littéraire, philosophique, tour à tour loué ou dévalorisé, l’âne est une figure de choix de notre imaginaire. Proverbes, allégories, symboles, gravures, peintures, tout est plein… d’ânes, aurait pu ajouter Hugo. C’est donc toute une histoire culturelle prenant en compte savoirs et croyances, vie réelle et imaginaire que raconte l’historien Michel Pastoureau dans son dernier livre, L’Âne, paru au Seuil. Accompagné par une iconographie de choix, voilà bien un livre à mettre sous le sapin.
Illustration de Walter Crane pour « Voyage avec un âne dans les Cévennes »
Venu du Sud de l’Égypte au quatrième millénaire avant J.C., l’âne gagne le Proche et le Moyen Orient, l’Asie Mineure puis l’Europe comme le montre une frise stylisée d’un troupeau d’ânes foulant le blé sur une tombe pharaonique (environ 2500 av. J.C.). Au IIème siècle de notre ère, l’âne est dans l’empire romain, avant de rejoindre par bateau Christophe Colomb, devenant ainsi le premier âne américain. Au XVIIIème siècle, seulement, il se trouve dans les colonies britanniques. Longtemps dévalorisé par comparaison avec le cheval, c’est Buffon qui lui donnera, grâce à l’introduction de la notion d’espèce, toute sa dignité, en affirmant « L’âne n’est pas… un cheval dégénéré ni un cheval au rabais. » Sauf que, si on lui reconnaît des vertus de frugalité et d’endurance, le portrait physique et moral de l’âne n’est pas fameux. Laid, ridicule, avec de longues oreilles et un braiement affreux, muni d’un appendice sexuel démesuré, il aurait toujours soif et aime le vin. Stupide et entêté, il ne fait pas peur : tout le contraire de l’homme.
Comme toujours dans ses livres, Pastoureau adopte une perspective chronologique.
Âne antique et âne médiéval
L’âne antique, très documenté, est respecté puis méprisé. Bête de somme, il accompagne la vie quotidienne de l’homme auquel il rend tous les services : travailleur, endurant, sobre, il tire. Bâté, il porte. Il fait tourner le pressoir et il foule. Il fournit du crottin et même une urine utile. Son lait fait le délice des femmes comme Poppée, l’épouse de Néron, qui se baignait plusieurs fois par jour dans un lait choisi, tout comme le fera Agnès Sorel, la favorite de Charles VII. Bête respectée, il a droit à deux jours fériés par an. Ensuite, l’âne sera méprisé pour plusieurs raisons : son origine méditerranéenne et sémitique ; l’avènement du cheval, monture noble, chevaleresque et monture des riches alors que l’âne est réservé aux pauvres. L’expression « un âne bâté » datant du XVIème siècle témoigne du mépris dans lequel l’âne sera tenu.
L’âne médiéval, « monture du Christ et attribut du diable », peu documenté, tant il appartient à la vie ordinaire, est très riche de représentations symboliques à travers contes, fables et proverbes. Les bestiaires se multiplient. Mais, là encore, l’ambivalence demeure de la représentation. Dans une encyclopédie latine, on apprend que l’âne a de grandes oreilles et une vue « vagabonde » qui lui permettent de voir et entendre tout. Il éloigne du mal, la foudre l’épargne, ses sabots et ses ruades font peur au diable, il guérit les maladies liées à la surdité, sa croix dorsale, si on la caresse, peut faire des miracles. Mais l’âne exprime également la transgression dans « la messe de l’âne ». En attendant que la Fête des Fous fasse fusionner l’âne et le fou,dont témoignent La Nef des fous de Sébastian Brant ainsi que Le Portrait du fou regardant à travers ses doigts attribué à l’atelier du peintre Frans Verbeeck.
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En revanche, l’Histoire Sainte le valorise. C’est sur un âne que Moïse se rend en Egypte. L’ânesse de Balaam voit l’Ange barrer la route que ne voit pas son maître. C’est sur un âne que Giotto représente la Fuite en Egypte. C’est sur un âne que Jésus fait son entrée, le jour des Rameaux, à Jérusalem, comme le représente un splendide vitrail du XIIIème siècle, à Notre-Dame de Chartres. Pourquoi un âne ? Parce que, dans le Proche Orient ancien, et dans l’Ancien Testament, l’âne serait une monture royale pacifique, à la différence du cheval, belliqueux. Dans la crèche, l’âne est toujours là avec le bœuf.
Inversion du regard
« Ignorant et obtus » tel est l’âne moderne. Qui va du XVème siècle au XVIIIème s. Le bonnet d’âne, connu des Romains et apparu au Moyen Age, monte en puissance. En même temps, l’âne est l’objet d’un débat philosophique sur le libre arbitre des animaux. Témoin, l’âne de Buridan, auquel s’oppose l’âne du dominicain Bruno qui voit, lui, dans l’âne ,« l’ignorance savante » et le « gai savoir ». Ainsi va l’inversion des valeurs. Mais si l’âne nouveau grandit avec les encyclopédies, c’est avec le romantisme, que se fait l’inversion du regard.
L’âne contemporain,du XVIIIème au XXIème siècle, suscite compassion et empathie. Il est représenté partout, sur les affiches, au cinéma, alors que sa réalité s’efface dans la vie quotidienne, avec l’urbanisation. Moyen de locomotion avant le vélo et l’auto, passant partout, d’un pas ample et régulier, il sert de facteur, ravitaille au front pendant la guerre de 14. Les ânes rescapés de la guerre deviendront sourds. En politique, il est l’emblème de la Catalogne et des démocrates américains. Et on n’oubliera pas le canular de l’âne Lolo, « peintre génois futuriste excessiviste » et de son pinceau qui fit grand bruit !
La Famille de la Laitière DR.
Au XXème siècle, l’âne entre dans la littérature enfantine avec Cadichon et l’Ane Culotte. Et dans les jouets.Tous les enfants aiment caresser sur son front rêche l’âne placide aux grands yeux. Michel Pastoureau lui-même dit avoir une tendresse particulière pour les ânes qui lui rappellent son enfance au Jardin du Luxembourg, en compagnie de sa grand-mère. Moi-même rend toujours visite aux ânes de la montagne Sainte Victoire, choyés comme des rois, dont la race s’éteindrait si elle n’était protégée. Quant à Paul Cézanne, on sait qu’il se déplaçait à pied et à dos d’âne. Aussi la mairie proposa-t-elle, cette année, à l’occasion de l’exposition Cézanne, pour les moins de 14 ans, une balade culturelle et « enchantée » à dos d’âne sur les sentiers de Sainte Victoire pour mieux s’incorporer le génie du peintre !
Âne ou onagre ? Âne domestique ou âne fougueux ? Âne ou mulet ? Âne ou cheval ? Pas toujours facile à discerner comme le montre la belle mosaïque, datant de 250 après J-C, du musée archéologique d’El Djem, en Tunisie, qui ouvre le livre. Une autre mosaïque, byzantine, trouvée à Constantinople, datant du Vème siècle av. J.C., et qui se trouve à Istanbul, dessine le geste gracieux et bienveillant d’un enfant donnant à manger à un âne. Le livre abonde de peintures et de gravures de toutes sortes. Unetapisserie intitulée l’Automne, située au Palazzo Vecchio de Florence, tissée pour Côme de Médicis, représente un âne participant à la vendange. Une peinture de Le Nain du musée de l’Ermitage La Famille de la Laitière en dit plus que tout discours. De même une gravure de Goya dans Les Caprices qui montre un âne médecin. Sans oublier l’image publicitaire du chocolat Suchard, datant du début de notre siècle, porté par des ânes dans un défilé de montagnes enneigé ! Décidément, ce livre, d’un prix modique, est un trésor !
La Vénézuelienne Esther Pineda G. accuse le Français Ivan Jablonka de s'être approprié son travail. RS / Sipa.
Une sociologue vénézuélienne, afrodescendante, militante féministe acharnée, voit son travail pionnier totalement nié, effacé, rayé de la carte par un homme blanc européen, écrivain et chercheur couronné du prix Médicis, qui a pourtant consacré l’essentiel de sa carrière académique à dénoncer, avec une vertueuse indignation, l’invisibilisation des femmes.
C’est le nouveau conte de Noël 2025. On hésite pour le titre : Les nouveaux monstres ou L’arroseur arrosé ? C’est selon qu’on aime la satire à l’italienne ou le burlesque intemporel.
Le Père Noël, qui a failli être berné en glissant un livre éthique et responsable dans sa hotte pour l’édification des petits et grands machos, me souffle un choix classique : Tartuffe féministe. Je vous explique.
Une appropriation vraiment pas nécessaire
Dans son dernier essai, La Culture du féminicide (Seuil, août 2025), Ivan Jablonka, historien et professeur reconnu développe la notion de « culture du féminicide » – un imaginaire culturel banalisant la mise à mort des femmes à travers cinéma, peinture, littérature, etc., de la Bible à Netflix.
Il présente explicitement ce concept comme une invention personnelle : dans un entretien accordé à Libération cet été1, il déclare fanfaron qu’il lui « a semblé nécessaire d’inventer cette notion » pour penser des phénomènes jusque-là invisibles, la plaçant aux côtés de la «culture du viol» et de la «culture de l’inceste».
Or, Esther Pineda G, jeune sociologue vénézuélienne, docteure en sciences sociales résidant en Argentine, accuse publiquement Ivan Jablonka de s’être approprié cette expression et cette thèse sans la citer une seule fois !
Elle est en effet l’autrice de Cultura femicida (éditions Prometeo), publié dès 2019 (rééditions en 2022 et mai 2025), dans lequel elle développe exactement la même idée : la banalisation du meurtre patriarcal des femmes par sa diffusion massive dans la production culturelle (cinéma, peinture, littérature, musique). Les féminicides, d’après elle, sont partout déclinés à des fins de spectacle. Esthétisés, parfois glorifiés, souvent normalisés. La possession jalouse, la violence machiste y sont des lieux communs.
C’est aussi le sujet du livre d’Ivan Jablonka. Titre et thèse centrale, concept fondateur, la similarité est troublante.
Ivan Jablonka, dont les livres sont traduits en espagnol, suivait déjà le compte Instagram d’Esther Pineda G (plus de 43 000 abonnés) dès 2021, époque où un club de lecture argentin, La Gente Anda Leyendo, avait promu concomitamment des ouvrages des deux auteurs.
Récemment, alors qu’Ivan Jablonka (45 000 followers sur Instagram) était au Mexique pour promouvoir ses recherches sur le féminisme, Esther Pineda G découvre par hasard un article de lui intitulé « Dark romance et culture du féminicide2 ». Elle contacte alors Ivan Jablonka en messages privés. Ce dernier répond qu’il travaille ce sujet depuis dix ans mais qu’il n’a « pas eu l’occasion » de lire son livre.
« À cette époque, cela faisait déjà deux ans que j’avais publié Cultura femicida et que j’en parlais sur mes réseaux sociaux » affirme la sociologue dont la notoriété est grande.
Face à cette réponse qu’elle juge insuffisante, Esther Pineda G rend finalement l’affaire publique sur X et Instagram, dénonçant un cas d’« appropriation et d’extractivisme intellectuel » (logique néocoloniale où un chercheur du Nord extrait les idées du Sud sans reconnaissance : il faut s’infliger tout ce jargon pour comprendre et je m’en excuse). Elle écrit : « Même titre. Même thèse centrale. Couverture identique à celle de mon livre. Il prétend avoir inventé l’expression « culture du féminicide ». Aucune citation de mon travail. »
Elle affirme ensuite avoir été bloquée par Ivan Jablonka sur Instagram. BLOQUÉE: le mot dit tout.
On a donc un champion auto-proclamé du féminisme, un homme « juste» – c’est le titre d’un de ses livres – qui se fait coincer sur… l’invisibilisation d’une femme. Un grand prêtre qui dénonce partout les privilèges du patriarcat et de la domination masculine mais qui dans les coulisses marcherait sans se poser de questions sur une femme et sur son œuvre…
Mauvais genre
Ivan Jablonka, le grand allié irréprochable, prix Médicis, spécialiste du genre, qui passe sa vie à dénoncer le patriarcat et l’effacement des femmes dans l’histoire… réduirait à néant une chercheuse latino-américaine noire qui a tout dit six ans avant lui ? Lui ?? On n’y croit pas.
C’est comme si un curé prêcheur de chasteté le jour tenait une maison-close la nuit ou qu’un militant vegan ouvrait en cachette un Burger King. Sa stratégie de défense aujourd’hui paraît bien faible : « Je n’avais pas eu l’occasion de lire son livre ». Traduisez : « Moi, grand intellectuel parisien avec 45 000 followers, qui suis les comptes latino-américains sur Instagram depuis 2021, qui voyage au Mexique pour promouvoir mon féminisme, et dont les livres sont traduits en espagnol… ben non, je n’ai jamais entendu parler d’un bouquin pourtant connu en Amérique latine qui porte sur le même sujet. » Le niveau de crédibilité est faible.
Le silence initial, puis la défense minimaliste, font penser qu’Esther Pineda a des raisons solides d’avoir une dent contre le champion parisien de la « justice de genre» (sic). Qui se satisferait de « J’ai cité beaucoup de chercheuses… mais pas celle-là… » ? Oups. Fâcheux pour la « science », surtout celle-là. L’éditeur, Seuil, annonce qu’il est « en train de lire » le livre de Pineda G. en décembre 2025. Comme l’ouvrage de la chercheuse est sorti en 2019, vu le rythme, ils finiront la préface en 2030… On comprend mieux, à ce stade, pourquoi le grand déconstructeur de la masculinité toxique voyait dans la galanterie un geste pervers de domination : sur ce point au moins, il s’est montré parfaitement cohérent. Mais comme c’est Noël et qu’il y a un gâteau, voici venir la cerise:
Les couvertures des deux livres arborent des jaquettes presque jumelles: un squelette inquiétant, façon calaveras mexicaines, rôdant autour d’une femme. Coïncidence ? À ce niveau, ce serait comme voir deux invités débarquer à une soirée costumée en clowns strictement identiques, l’un jurant à l’autre : « Je ne t’ai jamais vu de ma vie. »
Ainsi se clôt cette tragi-comédie académique : notre Tartuffe féministe, après avoir prêché la vertu à la cantonade, se retrouve apparemment démasqué pour un chef-d’œuvre absolu d’hypocrisie dans le registre Faites ce que je dis, pas ce que je fais. Encore un prédicateur qui s’emmêle dans son sermon et dont la vie réelle démasquée livre soudain un abîme. Cette année, le Sapin de la morale bienpensante a perdu quelques aiguilles et son étoile. Quant au père Noël, il a passé le livre de notre compatriote à la broyeuse. Recyclage éthique oblige. Lisez plutôt Esther Pineda, même si c’est en espagnol.
L’Amérique du Sud penche de plus en plus à droite. Sitôt élu dimanche soir, José Antonio Kast, nostalgique de Pinochet, a rappelé qu’il donnait aux quelque 340 000 étrangers illégaux jusqu’au 11 mars, jour de son investiture, pour quitter le pays de leur plein gré…
Comme attendu, le candidat de droite, José Antonio Kast, 59 ans, avocat se réclamant ouvertement de l’ancien dictateur Augusto Pinochet, a très largement remporté, avec une avance de 17 points, dimanche 14 décembre, le second tour de l’élection présidentielle au Chili. Il a recueilli 58,3 % des suffrages contre 41,7 % pour sa rivale, Jeannette Jara, communiste qualifiée par la presse locale de « modérée ». Celle-ci avait été désignée candidate à l’issue d’une primaire de l’ensemble de la gauche, incluant la Démocratie chrétienne.
José Antonio Kast double son score
« C’est le pire résultat qu’a enregistré la gauche depuis le retour de la démocratie en 1990 », a souligné lundi le très conservateur El Mercurio, principal quotidien du pays. De son côté, l’autre grand quotidien, le libéral La Tercera, a estimé qu’il s’agissait d’une « très amère défaite ». Deux seules fois au cours des 35 années qui ont suivi le rétablissement de la démocratie en 1990, période durant laquelle la gauche gouvernait avec le centre au sein de l’alliance dite de la Concertation, elle a été battue : en 2010 et en 2017, par une droite classique qui avait pris ses distances avec Pinochet. Elle avait alors obtenu respectivement 48 % et 46 % des voix.
Entre les deux tours, M. Kast, qui avait recueilli 23,9 % au premier, a plus que doublé son score, tandis que Mme Jara, arrivée en tête avec un très décevant 26,85 %, n’a progressé que d’une quinzaine de points. Le succès de M. Kast était acquis dès le soir du premier tour. Les deux autres candidats de droite, Johannes Kaiser, un peu le pendant chilien de Javier Milei, et Evelyn Matthei, représentante de la droite classique et héritière politique de l’ancien président Sebastián Piñera, ont appelé sans la moindre réserve à voter pour lui. Le candidat populiste Franco Parisi, arrivé troisième, avait pour sa part laissé la liberté de choix à ses électeurs. Une bonne partie d’entre eux s’est reportée sur Kast, qui est ainsi arrivé en tête dans l’ensemble des seize régions et dans 90 % des communes.
Cette victoire écrasante de Kast, qui fait de lui le président le mieux élu depuis le rétablissement de la démocratie, interroge. Elle est en quelque sorte une réhabilitation sur la pointe des pieds de l’ancien dictateur dont le régime, tant sur le plan institutionnel qu’économique, a survécu à sa chute en 1990, à l’issue d’un référendum portant sur son maintien au pouvoir. C’est toujours sa Constitution, datant de 1980, qui est en vigueur. Réformée à la marge en 2005, elle a vu les articles instaurant une forme de tutelle de l’armée sur le pouvoir civil abrogés, mais le reste est demeuré grosso modo inchangé. Quant au système économico-social ultralibéral, inspiré par l’école de Chicago de Milton Friedman, il n’a connu que des corrections cosmétiques.
Finis les artifices !
En conséquence, pour la politologue chilienne Stephanie Alenda, l’élection de M. Kast « clôt en réalité, explique-t-elle au quotidien espagnol El País, un cycle politique qui met fin à la dichotomie entre dictature et démocratie », laquelle prévalait de manière quelque peu artificielle. Elle constitue en somme un aboutissement logique, M. Kast ne proposant pas un rétablissement de la dictature, mais la pérennisation du modèle de société pinochétiste, modèle que, convient-il de le souligner, l’alliance entre le centre et la gauche, qui a exercé un pouvoir hégémonique pendant plus de trois décennies, n’a jamais véritablement remis en cause.
Le président élu s’était présenté une première fois en 2017. Il s’affichait alors clairement comme héritier de Pinochet et faisait figure de candidat folklorique. Il n’avait recueilli que 7 % des suffrages. Il récidive en 2021 et, là, surprise : il accède au second tour. Mais il est battu, 46 % contre 54 %, par le candidat de gauche Gabriel Boric, président sortant qui n’a pas pu se représenter, la Constitution limitant à deux le nombre de mandats présidentiels non consécutifs.
Cette année-là, après des émeutes très violentes de 2019 contre la vie chère, provoquées par une hausse du ticket de métro et bus à Santiago, la capitale, la campagne avait été axée les questions sociales. Cette fois-ci, c’est M. Kast qui a donné le ton en imposant le thème de l’insécurité consécutive à un afflux massif d’immigrés essentiellement vénézuéliens. La candidate de gauche a reconnu son erreur d’avoir négligé cette préoccupation partagée par une majorité d’électeurs des classes populaires, les premiers affectés.
Dimanche soir, M. Kast a rappelé qu’il donnait aux quelque 340 000 étrangers illégaux jusqu’au 11 mars, jour de son investiture, pour quitter le pays de leur plein gré. Quant à ceux qui sont en règle et ont un travail, ils n’ont pas souci à se faire. Ils sont les bienvenus, a-t-il affirmé.
Sa victoire s’inscrit aussi dans un glissement à droite de l’Amérique latine entamé en décembre 2023 par l’élection de Javier Milei en Argentine, puis conforté, à la surprise générale, par son succès aux législatives de mi-mandat. Le 8 novembre, le démocrate-chrétien, Rodrigo Paz Pereira, le candidat qu’on n’avait pas vu venir, était élu à la tête de la Bolivie, mettant fin à deux décennies de régime ethnico-socialiste d’Evo Morales, aujourd’hui retranché dans son fiel du Chapare, région de la culture de la feuille de coca très liée au narcotrafic.
Des élections générales doivent avoir lieu au Pérou en avril prochain et en Colombie en mai. La droite est, d’après les études d’opinion, en position de l’emporter. Au Brésil, le mandat de Lula expire à l’automne 2026. Il a laissé entendre qu’il serait disposé à se succéder. À ce stade, s’il se présente, il apparaît comme favori. Mais au sein de la gauche brésilienne, certains s’interrogent : Lula est-il encore réellement de gauche ou s’est-il mué en cacique se revendiquant de gauche ?
La ministre de l’Agriculture Annie Genevard est en première ligne pour faire comprendre le bien-fondé des procédures actuelles de lutte contre la dermatose nodulaire contagieuse, très critiquées par certains éleveurs. Assurant que la situation est sous contrôle, elle a rappelé que 111 foyers ont été détectés en France entre le 29 juin et le 13 décembre 2025 et a annoncé un déplacement mardi à Toulouse pour échanger avec les éleveurs et lancer une campagne de vaccination d’un million de bêtes. Pendant ce temps, et alors qu’une crainte existentielle plus sourde touche le monde agricole, la France demande à la Commission européenne le report des « échéances » prévues cette semaine concernant le Mercosur…
La révolution d’atmosphère peut éclater à tout instant. Son centre névralgique bouillonne au cœur de la France oubliée, en quête de sa souveraineté perdue. La brutalité des technocrates bruxellois et des dirigeants européistes peut à tout moment enflammer la colère paysanne. Les premières révoltes en sont l’avant-garde. L’indignation des éleveurs, partie vendredi d’une ferme de Bordes-sur-Arize (Ariège) sommée par les autorités d’abattre ses 208 vaches pour prévenir d’une contamination à la dermatose nodulaire contagieuse, risque de se répandre.
D’autant que la ratification du Mercosur (ouverture au marché de l’Amérique du Sud), prévue jeudi par l’Union européenne, importerait de la viande bovine sans contraintes sanitaires. La promesse faite à l’Ukraine d’entrer le 1ᵉʳ janvier 2027 dans l’UE ajouterait à la concurrence déloyale. La Coordination rurale (droite), qui a lancé la protestation le 11 décembre, a été rejointe par la Confédération paysanne (gauche), tandis que la FNSEA avalise les protocoles de « dépeuplement » de l’Autorité européenne de sécurité des aliments. En fait, se dessine la même inhumanité hygiéniste qui, face au Covid, avait imposé au nom de la science un confinement irréfléchi défendu par l’Organisation mondiale de la santé et l’UE.
Une fois de plus les alternatives, qui pourraient être proposées par des vétérinaires après des appréciations sur le terrain, sont décrétées irrecevables par de lointains sachants élevés à l’air climatisé des bureaux. Les répressions, qui ont mobilisé la gendarmerie et des engins militaires, n’ont fait que rajouter l’aigreur à la détresse d’un monde rural qui refuse de disparaître.
Cette crainte existentielle de voir s’effacer une profession, ancrée dans la civilisation, n’est pas propre au monde agricole. Le sort des éleveurs de vaches, qui lentement laissent la place, est plus généralement celui que ressentent les Français attachés à leurs racines, leur territoire, leur mode de vie. Ce que subit la fragile société rurale, jugée inutile par ses maltraitants hauts placés, est le produit d’un demi-siècle d’indifférences élitistes pour le peuple ordinaire. Ce mépris pour les « ploucs » est porté par des dirigeants sans affect, subjugués par le sans-frontiérisme, l’homme nomade, le citoyen déraciné. Leurs violences identitaires, ajoutées à l’envahissement technocratique des fabricants de normes et d’interdits, ont mis bien des Français en état de légitime défense. Nicolas Sarkozy reconnait l’incandescence de la nation quand il explique, dans Le Point cette semaine: « Les conditions d’une explosion ont rarement été à ce point réunies en France ». Le JDD rapportait, hier, que certains gendarmes auraient refusé d’intervenir, vendredi, contre une population qui leur est sociologiquement et culturellement familière. La résistance des paysans pour redonner à la France sa souveraineté alimentaire peut entrainer derrière elle ceux qui, plus généralement, sont devenus sensibles à la défense de la cause nationale. Une goutte d’eau peut être incendiaire.
Pour la première fois, dans un rapport publié le 11 décembre, Amnesty International a accusé le Hamas d’avoir perpétré des crimes contre l’humanité lors des attaques du 7-Octobre. Dans le même temps, hier en Australie, deux islamistes — un homme de 50 ans et son fils de 24 ans — ont ouvert le feu sur une plage où se déroulait une célébration de la fête juive de Hanouka, faisant au moins quinze morts et des dizaines de blessés.
Il aura fallu plus de deux ans à Amnesty International pour finir par dire, dans son rapport du 11 décembre dernier, ce que tout le monde avait déjà compris. Le 7 octobre n’était ni une zone grise ni un chaos mal documenté, mais une attaque programmée contre des civils, avec son immense cortège de morts, de corps profanés, de femmes violées, d’otages malmenés et exhibés. Les faits étaient là. Ce qui manquait, ce n’était pas la lumière, mais le courage de l’allumer.
Ce retard n’est pas un épiphénomène. Il est devenu le symptôme d’un monde qui hésite à nommer certains crimes quand leurs victimes dérangent l’ordre moral dans lequel on s’est installé.
Sipa
Et puis, ce dimanche, il y a eu Sydney. Une plage, des bougies, de la musique, des chants. Des gens réunis, visibles, reconnaissables, paisibles, pour fêter Hanouka face à la mer. C’est précisément ceux-là – qui n’étaient pas là par hasard – qui ont été visés comme des lapins de foire. Shootés, dézingués, butés à la kalachnikov.
Sydney n’est pas le pogrom du 7 octobre, bien sûr. Le théâtre n’est pas le même, ni l’ampleur du massacre – et un courageux dénommé Ahmed a sans doute permis d’épargner des vies. Mais la différence n’est pas de nature, seulement de degré. Dans les deux cas, la violence islamiste obéit à la même logique. On ne frappe pas des individus pour ce qu’ils font, mais un groupe pour ce qu’il est, en l’occurrence des juifs. La mort devient un message, le corps, un argument, la cible, une identité.
C’est exactement ce que le droit international a tenté de penser après 1945. Raphael Lemkin l’avait compris avant tout le monde, le crime commence bien avant les charniers, au moment où un groupe humain est déclaré indésirable. Il ne s’agit pas de quantité de morts, mais de désignation.
On se rassure souvent avec les chiffres. On se dit qu’il faut attendre, comparer, contextualiser. Illusion confortable. Le droit ne demande pas combien sont morts, mais pourquoi ils ont été visés. Le véritable scandale n’est donc pas seulement qu’Amnesty ait mis plus de deux ans à reconnaître l’évidence du crime contre l’humanité perpétré par le Hamas et les autres groupes palestiniens, mais de trouver ce délai acceptable.
Le 7 octobre relevait de cette dynamique génocidaire. Sydney en montre aujourd’hui la version réduite, presque nue, débarrassée de toute excuse géopolitique. Un même crime contre l’humanité derrière lequel, dit-on, la main assassine de l’Iran.
Le crime contre l’humanité n’est pas seulement un crime contre des hommes, selon Hannah Arendt, mais contre l’humanité elle-même, parce qu’il nie à certains le droit d’appartenir au monde commun. C’est cela, précisément, qui se joue quand des hommes, des femmes et des enfants sont attaqués en tant que juifs, que ce soit dans un kibboutz ou sur une plage australienne.
À force de différer les mots, on finit par différer les consciences. On ne nie pas les crimes, certes, mais on les ajourne, on les entoure de précautions, on les contextualise, on attend que le moment soit politiquement respirable pour les qualifier. En français, cela s’appelle de la veulerie.
Et qu’est-ce que la veulerie ? C’est une lâcheté qui a appris à bien s’habiller, qui parle doucement, qui invoque la prudence, et qui se donne des airs de sagesse pour ne pas avoir à risquer l’essentiel.
« Le mal s’est déchaîné sur la plage de Bondi au-delà de tout entendement (…) Il s’agit d’une attaque ciblée contre les Juifs, un acte malveillant, antisémite et terroriste qui a frappé le cœur de notre nation » a déploré hier le Premier ministre australien Anthony Albanese, après la fusillade survenue sur une plage de Sydney et visant la communauté juive.
Bondi Beach. Du sable propre. Du ciel bleu. Des corps heureux. Une mer indifférente. Et des Juifs qui allument des bougies. Pas des soldats. Pas des colons. Des Juifs. Une fête. Une lumière fragile. La haine est entrée comme un couteau dans un corps nu. Pas d’arguments. Pas de revendication. Pas de frontières. Juste frapper. Juste tuer. Là où c’est possible. Le sang sur le sable a la même couleur qu’à Jérusalem. La distance n’existe plus. La guerre a quitté le désert. Elle voyage légère. Elle s’invite dans les plages, les écoles, les rues tranquilles de l’Occident. Elle n’a qu’une cible : l’existence juive. On parle de conflit. C’est un mensonge confortable. Ce n’est pas un conflit. C’est une fixation. Une rumination. Une rage ancienne qui ne supporte pas que le Juif vive encore, debout, armé, souverain. L’Occident se raconte des histoires pour ne pas voir. Il se fabrique des victimes pures, des bourreaux abstraits. Il pleure le Palestinien idéalisé et crache sur l’Israélien fantasmé. Il confond la compassion avec l’aveuglement. Il appelle cela morale. Mais la réalité est sale. Ramallah pourrit de l’intérieur. Gaza est tenue par une organisation qui parle de mort comme d’un avenir, qui écrit noir sur blanc que l’autre doit disparaître. Pas négocié. Pas contenu. Disparu. On feint de ne pas lire. On feint de ne pas entendre. On feint de croire que les mots n’ont pas de poids. Pourtant les mots tuent avant les balles. Les murs, les armes, les contrôles: ce sont des cicatrices. Pas des caprices. Des réponses laides à une violence plus laide encore. Des réponses imparfaites à une guerre qui vise les bus, les cafés, les enfants. La paix a été proposée. Elle a été rejetée. Encore. Parce que la paix suppose l’acceptation de l’autre. Et que l’autre, ici, est inacceptable. Israël n’est pas haï pour ses frontières. Il est haï pour sa présence. Pourquoi cette obsession ? Pourquoi cette fureur sélective ? Pourquoi cette passion pour ce conflit et ce silence pour les autres massacres ? Parce qu’ici, on peut encore rêver d’effacement. Parce qu’ici, l’ennemi est ancien. Parce qu’ici, le Juif concentre tout : la mémoire, la survie, la réussite, l’insolence d’exister encore. Le mot « génocide » est jeté comme une pierre. Non pour décrire. Mais pour salir. Pour préparer. Pour inverser. Toujours la même mécanique : accuser l’autre de ce que l’on désire. Prêter à la victime l’intention du bourreau. Se blanchir dans l’indignation avant de frapper. Ce procédé a précédé toutes les exterminations. Il est connu. Il est documenté. Il recommence. On éduque à la haine. On enseigne la mort. On glorifie le martyre. On fabrique des enfants qui savent déjà qui ils devront tuer. La souffrance palestinienne est réelle. Mais elle a été confisquée. Instrumentalisée. Transformée en arme. Les réfugiés sont maintenus dans l’attente comme on garde des reliques. Non pour vivre. Mais pour rappeler une promesse de destruction. Si Israël baissait la garde, il disparaîtrait. Pas lentement. Pas symboliquement. Concrètement. Les discours, les images, les slogans ne laissent aucun doute. Ce qui est visé n’est pas une politique. Ce n’est pas une armée. C’est un peuple. Le cœur du conflit n’est pas territorial. Il est existentiel. Il pose une question simple, brutale, sans appel : le Juif a-t-il le droit d’être là ? Bondi Beach a répondu. Par le sang. Par la peur. Par la répétition du même crime, ailleurs, autrement, mais avec la même intention. Israël est là. Et Israël restera. Non parce qu’il est moral. Non parce qu’il est aimé. Mais parce qu’il sait que, dans ce monde, survivre est déjà une faute impardonnable pour ceux qui rêvent de sa disparition. Et tant que cette obsession ne sera pas nommée pour ce qu’elle est — une haine de l’existence — il n’y aura ni paix, ni compromis, ni apaisement. Seulement la survie. Et la force. Encore.
Alors que la Première ministre japonaise Sanae Takaichi continue de refuser de retirer ses propos sur Taïwan, Pékin intensifie ses critiques contre Tokyo et multiplie les déclarations agressives. Mme Takaichi avait déclaré au Parlement japonais que l’usage de la force contre Taïwan pourrait constituer une « situation menaçant l’existence » du Japon. Sur le plan militaire, la semaine dernière, deux bombardiers russes Tu-95, capables de transporter des armes nucléaires, ont traversé la mer du Japon pour rejoindre deux bombardiers stratégiques chinois H-6 en mer de Chine orientale, avant d’effectuer un vol conjoint autour du Japon.
La réaction chinoise aux récents propos de la Première ministre japonaise Sanae Takaichi marque une rupture nette entre les deux pays. Pékin a déchaîné une violence verbale et diplomatique inédite, révélant les lignes de fracture majeures de l’Asie orientale : Taïwan, la mémoire de la guerre et le réveil stratégique du Japon.
Le 7 novembre 2025, répondant aux questions de la Diète (Parlement japonais) à propos d’un conflit possible dans le détroit de Taïwan, la Première ministre japonaise Sanae Takaichi, 64 ans, a prononcé une phrase d’apparence prudente, mais au poids constitutionnel considérable : « Le déploiement de navires de guerre et le recours à la force pourrait constituer une menace pour la survie du Japon. Nous devons envisager le scénario du pire », laissant entrevoir la possibilité d’une entrée en guerre du Japon contre la Chine.
Le dragon chinois voit rouge
Dans le cadre de la Constitution pacifiste japonaise datant de 1947, imposée par les États-Unis qui occupent un Japon défait, cette notion de « mise en péril de la survie nationale » est déterminante : elle constitue l’un des rares fondements juridiques permettant un engagement militaire et défensif, conditionné à une agression chinoise contre Taïwan. Mais Pékin a choisi d’y voir tout autre chose.
La Chine a immédiatement interprété les propos de cette ultra-monarchiste, fan de Heavy Metal, comme une ingérence directe dans ce qu’elle considère comme une affaire de souveraineté intérieure. Pour le Parti communiste chinois (PCC), Taïwan n’est pas seulement un enjeu géopolitique : c’est un pilier idéologique du régime, un marqueur de légitimité historique et nationale depuis que la République populaire de Chine a été proclamée en 1949 au prix d’une longue guerre civile entre les communistes de Mao Zédong et les nationalistes du Kouomintang du général Tchang Kaï-chek.
Dans sa fuite, ce dernier s’était replié sur l’île de Formose (autrefois occupée par le Japon entre 1895 et 1945) avec ses troupes et avait profité des troubles pour proclamer une république indépendante, appuyé par Washington. Une hérésie territoriale pour Pékin qui considère toujours Taïwan comme « une simple province séparatiste ».
Une escalade verbale d’une rare violence
La virulence des réactions chinoises a surpris jusqu’aux observateurs les plus aguerris. Le consul général de Chine à Osaka, Xue Jian, a publié — avant de le supprimer — un message glaçant sur le réseau X : « Ce cou immonde qui s’immisce sans permission doit être coupé sans hésitation. Êtes-vous prêt ? »
Les médias d’État ont suivi le mouvement. Le Quotidien de l’Armée populaire de libération a menacé le Japon d’une « riposte cinglante », avertissant que « jouer avec le feu » conduirait à une conflagration incontrôlable. Plus troublant encore, certaines attaques ont pris une tournure ouvertement misogyne. Hu Xijin, ancien rédacteur en chef du Global Times, a qualifié la Première ministre japonaise de « sorcière maléfique », révélant la dimension émotionnelle et décomplexée de la campagne anti-Takaichi.
Dans une mise en scène soigneusement calculée, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Lin Jian, a cité la déclaration de Potsdam de 1945 comme argument de réponse au Soleil levant, rappelant que la souveraineté japonaise serait limitée à certaines îles — sans mentionner Okinawa. Une omission lourde de sens pour Tokyo, où persiste la crainte qu’une annexion de Taïwan ne soit suivie d’une remise en cause des îles Senkaku, voire d’Okinawa elle-même. Au plus fort des tensions, les garde-côtes chinois ont même déployé des navires autour des Senkaku, tandis que Pékin lançait des exercices de tirs réels en mer Jaune afin de démontrer leur puissance, provoquant l’irritation de Tokyo qui n’a jamais caché qu’elle entendait installer une base militaire sur ces îles revendiquées de part et d’autre, agrémentés de missiles américains.
« La Chine ne permettra jamais aux forces d’extrême droite japonaises de faire reculer le cours de l’histoire, jamais à des forces extérieures de s’emparer de Taïwan, et jamais au militarisme japonais de renaître. Le militarisme japonais est l’ennemi des peuples du monde entier », a déclaré Guo Jiakun, autre porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, qui a curieusement accusé les autorités de Taïwan de « blanchir la domination coloniale et l’oppression japonaises [sur l’île] en les qualifiant de « développement » et de « contribution », tournant le dos à la nation chinoise, trahissant Taïwan pour s’attirer les faveurs du Japon ».
L’escalade ne s’est pas limitée au champ militaire ou diplomatique. La Chine a activé ses leviers économiques et sociétaux: avertissements officiels déconseillant les voyages au Japon, remboursements de billets d’avion, alerte du ministère de l’Éducation visant spécifiquement les étudiants chinois au Japon. Objectif avoué de la Chine: créer un climat d’insécurité, tout en signalant au Japon sa vulnérabilité économique.
Pékin accuse le Japon de révisionnisme
À l’approche du 80ᵉ anniversaire de la « victoire de la guerre de résistance contre l’agression japonaise », selon les propres termes du PCC, les tensions diplomatiques se sont encore accrues entre les deux nations. Le 12 décembre, Guo Jiakun, dans une longue déclaration accusatoire, a profité des festivités qui seront organisées à cette occasion, pour dénoncer le « militarisme japonais », les visites continues au sanctuaire Yasukuni des ministres venus honorer la mémoire des héros de la Seconde Guerre mondiale enterrés dans ce lieu controversé, la réécriture des manuels scolaires japonais et « l’instrumentalisation » du dossier taiwanais par Tokyo. Cette rhétorique n’est d’ailleurs pas improvisée: elle s’inscrit dans une stratégie bien rodée de mobilisation nationaliste de la part de la Chine, où le Japon reste l’ennemi historique idéal.
Tout au long de sa carrière de députée et de ministre, la Première ministre Sanae Takaichi n’y a pas été avec le dos de la cuillère concernant les différents chapitres inhérents à l’occupation de l’Asie par le Japon, outrageant plus d’une fois la Chine. Elle n’a pas hésité à brandir l’oriflamme du révisionnisme ambiant et à se l’approprier à des fins politiques. Réfutant le terme de « femmes de réconforts » (Chinoises ou Coréennes soumises au bon plaisir des soldats japonais), elle a qualifié l’invasion japonaise de la Mandchourie en 1931 de « guerre d’autodéfense », refusant toute repentance, niant le massacre (« viol ») de Nankin, au cours duquel des centaines de milliers de civils chinois ont été tués entre 1937 et 1938 ou ne se privant pas de réécrire l’histoire à sa sauce, pointant l’invasion de l’Etat du Mandchoukouo (un des nombreux territoires indépendants créés de toute pièce par les Japonais au cours de l’occupation de la Chine, ici en faveur du dernier Empereur de Chine Pu Yi) comme une « avancée vers le sud » par un Etat étranger (une annexion par l’Union soviétique – ndlr).
Pékin prisonnier de sa propre propagande
Selon William Yang, analyste principal pour l’Asie du Nord-Est au Crisis Group, la marge de manœuvre de Pékin est cependant réduite: « La Chine instrumentalise depuis longtemps l’exacerbation du sentiment anti-japonais pour rallier l’opinion publique » et donner l’impression d’une Chine unie, prête à se lever comme un seul homme face aux shoguns japonais.
Stephen Nagy souligne que Mme Takaichi parle en réalité et avant tout à son électorat conservateur, désireux de rompre avec ce qu’il perçoit comme une complaisance excessive envers Pékin sous le gouvernement précédent. Elle ne regrette pas ses propos, affirme-t-il, et entend « contrer la tentative chinoise de présenter le Japon comme une puissance militariste — ce qu’il n’est pas », selon ce professeur à l’Université chrétienne internationale de Tokyo.
Aucune excuse, aucune rétractation : Sanae Takaichi a seulement promis d’éviter à l’avenir des « scénarios trop explicites ». Insuffisant pour Pékin, qui exige un retrait pur et simple de ses propos. Ce que la principale concernée continue de refuser de faire. « La paix et la stabilité dans le détroit de Taïwan sont essentielles non seulement à la sécurité du Japon mais aussi à la stabilité de la communauté internationale. Nous avons toujours souhaité que les questions relatives à Taïwan soient résolues pacifiquement par le dialogue », a rappelé en guise d’avertissement à peine voilé, de son côté, le porte-parole du gouvernement nippon. Cette crise révèle cependant une vérité plus profonde : la Chine ne tolère plus la moindre ambiguïté stratégique autour de Taïwan. En s’en prenant avec une telle violence au Japon, Pékin cherche autant à dissuader qu’à intimider — Tokyo, mais aussi l’ensemble des démocraties asiatiques. Dans cette partie d’échecs géopolitique, la Chine montre sa force. Mais elle révèle aussi ses peurs : celle d’un Japon qui, enfin, cesse de baisser les yeux.
Après la tuerie sur la plage de Bondi, le Premier ministre travailliste australien Anthony Albanese croule sous les reproches. Il lui est reproché d’avoir été flou sur l’antisémitisme en adressant, dans un premier temps, ses « pensées à toutes les personnes touchées » ; son gouvernement aurait ignoré les avertissements de la communauté juive ; et il aurait cédé à la rue en reconnaissant la Palestine cet été. Notre contributrice craint que d’autres pays comme la France puissent également être touchés par des retours de boomerang terribles liés aux concessions faites aux excités de la cause palestinienne.
Le 14 décembre 2025, c’était le premier jour de Hannouka, la fête juive des lumières, rappelant un miracle ancien : la victoire des Maccabées qui, au IIe siècle avant notre ère, ont lutté contre l’Empire grec d’Antiochos IV, afin de conserver leur religion et de restaurer le Temple de Jérusalem vandalisé par les envahisseurs.
Obscurantisme 1, Lumières 0
À Sydney, une grande fête avait été organisée pour l’allumage de la première bougie de Hannouka sur la plage de Bondi Beach, la… Mecque des surfeurs. Cette célébration de la victoire de la capitale des Hébreux sur le colon hellène s’est transformée en une victoire de l’obscurantisme sur la paix et la joie : deux terroristes armés de mitraillettes ont tiré sur des civils australiens, dont le seul crime était d’être nés Juifs. L’un des assaillants a été tué (qui ne figure pas dans le décompte des « victimes » puisqu’il en est le bourreau) et son complice est gravement blessé. La police espère en obtenir des informations sur leur éventuelle meute de loups solitaires et ses éventuels fournisseurs, car des engins explosifs ont été trouvés dans le véhicule d’un des tueurs.
15 victimes (dont un Français de 27 ans), 40 blessés et une indignation modulée
Pour Mme anti-antisémitisme australienne, Jillian Segal, cette attaque « n’était pas sans précédent. (…) Les railleries depuis les marches de l’Opéra, les synagogues incendiées et maintenant les massacres lors d’une célébration forment un schéma clair. » De son côté, le président israélien, Isaac Herzog, a dit avoir « averti à maintes reprises le gouvernement australien de la nécessité d’éradiquer l’antisémitisme criminel et croissant dans leur pays ». Son ministre des Affaires étrangères, Gideon Sa’ar, a vu là les « conséquences du déchaînement antisémite dans les rues australiennes ces deux dernières années, avec les appels à la ’globalisation de l’Intifada’ qui se sont concrétisés aujourd’hui ». En août dernier, la mobilisation propalestinienne avait atteint son niveau de croisière. Selon Josh Lees, de laSocialist Alternative, acteur trotskiste majeur du palestinisme, « avec l’intensification de la politique israélienne de famine à Gaza et le massacre quotidien de civils affamés dans les points d’ »aide » gérés par les mercenaires américains de la Gaza Humanitarian Foundation, un nouveau sentiment d’horreur et d’urgence s’est fait sentir. (…) Le fait que le gouvernement ait annoncé qu’il soutiendrait désormais cette « reconnaissance » (de l’État de Palestine NDLR), alors qu’il l’avait exclue quelques semaines plus tôt, montre qu’il subit une pression importante après l’énorme marche de Sydney. »
Il n’existe pas d’équivalent australien à LFI, en termes d’hypocrisie et de vénalité électorale, mais l’attentat qui a coûté la vie à plusieurs femmes et à au moins un enfant dimanche ne suscite pas la même horreur chez tous: le Premier ministre australien a d’abord eu des « pensées pour toutes les personnes touchées », en oubliant qui elles étaient et ce qu’elles faisaient à Bondi Beach. Son homologue britannique s’est contenté de son côté de faire savoir qu’il avait reçu « des nouvelles très troublantes d’Australie ». Emmanuel Macron a fait preuve d’une hypocrisie abyssale : il prétend qu’il « continuera[1] de lutter sans faiblesse contre la haine antisémite qui nous meurtrit tous, partout où elle frappe. » Sa lutte sans faiblesse consiste essentiellement à accuser Israël de propager la famine, puis devant des photos d’entrepôts du Hamas pleins de lait maternisé confisqué, à changer de braquet et exiger qu’Israël laisse entrer de quoi l’anéantir : « La France demande également une réduction significative des restrictions portant sur les biens dits à double usage… » Des biens à double usage ? Qu’en termes a minima ces choses-là sont dites ! Un bien à double usage est un produit ou service susceptible d’avoir une utilisation civile autant que militaire : des ULM, de la dynamite, des bulldozers…
Parole parole, parole
Reconnaître un État de Palestine est la dernière posture à la mode des démocraties molles, effrayées par leurs opinions publiques. En effet, aucun chef d’État digne de sa fonction ne peut sérieusement croire que naîtra un État pacifique à partir de deux entités terroristes qui se haïssent autant que les juifs qu’elles veulent exterminer, fût-ce au prix de leurs propres populations. Rappel : lorsque les Israéliens ont conquis ce qui est aujourd’hui revendiqué par les Palestiniens, la bande de Gaza était administrée par l’Égypte et la Judée-Samarie avait été annexée par la Jordanie. Second rappel : dans la première charte de l’OLP rédigée à Moscou en 1964, l’article 24 précisait : « Cette organisation n’exerce aucune souveraineté régionale sur la rive occidentale du royaume hachémite de Jordanie, sur la bande de Gaza ou sur la région de Himmah. » Cet article a été supprimé après la guerre des Six-jours, avec le passage sous administration israélienne des deux seules régions dont l’OLP ne voulait pas : elles sont devenues le lieu exclusif sur lequel se revendique la souveraineté palestinienne.
Le boomerang de l’apaisement palestinophilique
Les dirigeants occidentaux se fichent de la Palestine comme de l’an 48, ou comme de leurs propres électeurs pour certains d’entre eux (suivez mon regard). Mais ils ont peur d’une partie de leur population, aussi lui montrent-ils qu’ils sont du côté des gentils (ceux qui cassent tout à la moindre contradiction) contre les méchants (tous les autres, surtout ceux qui ne cassent rien quand on les attaque). C’est donc dans l’espoir de calmer les plus virulents qu’ils s’aplatissent en reconnaissant un État fantôme constitué de deux bandes rivales, dont la création a été refusée par ses propres dirigeants chaque fois qu’on la leur a proposée. Churchill estimait qu’un: « conciliateur est quelqu’un qui nourrit un crocodile dans l’espoir qu’il le mangera en dernier. » Ignorant le vainqueur de 1948, nos dirigeants donnent raison à Einstein: « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent. » Ils cherchent à se concilier les Palestinolâtres en semant du génocide et de la famine qu’ils savent imaginaires et ils récoltent des attentats contre des synagogues et des assassinats de juifs. En 2002, les Français juifs étaient 600 000. Aujourd’hui, ils sont moins de 400 000. La population juive diminue, mais le nombre des attaques antisémites augmente. Le Premier ministre australien déplorera probablement le prochain attentat antisémite en France en citant la religion des victimes. Et Macron, lui, aura-t-il des « pensées pour toutes les personnes touchées » ?
Monsieur Nostalgie, adepte des parallèles audacieux, met sur le même plan en ce mois de décembre l’arrivée d’Olivier Minne sur M6 et la pièce Château en Suède de Sagan au Théâtre de Poche. Quelle mouche a piqué le « paltoquet berrichon » pour oser un tel rapprochement ?
On étouffe. On croit devenir fou. Le conte de Noël tourne à la farce cette année. Le ridicule ne tue pourtant pas. Il y a comme un dérèglement général dans nos actualités, perte des valeurs et digues brisées, aveuglement et obscénité, suintement des égos et absence de raison. Les loups sont lâchés. Nous entrons dans les époques perméables au défoulement. La fin d’un monde où l’on se regardait dans la glace avant d’écrire, avant de parler, avant d’agir, avant de combattre, avant même de vouloir exister. On doutait de soi. Nous avions encore des garde-fous et des pudeurs. La mauvaise éducation et les bas instincts sont les nouvelles règles en société. Plus nous aurons goûté à cette déchéance-là, plus difficile sera le retour à une vie pondérée, respectueuse des autres, convenable et si possible, harmonieuse. Nous assistons quotidiennement à des scènes risibles et affreuses, glaçantes et inappropriées, blessantes. Du mauvais spectacle. Du divertissement frelaté. Sauvagerie à ciel ouvert au pays de Gaston Fébus, incurie politique et débandade du service public. Télé sous camisole chimique, cinéma en PLS et littérature prisonnière. Ricanement et contentement à tous les étages. Où sont passés les farfadets, les drôles, les naïfs, les tendres, les élégants déplumés et les poètes de l’absurde, les déviants de l’écran et les échappés des arts populaires ? Ils ont disparu. Nous vivons au milieu des poseurs et des sermonneurs, brutus qui ont pour arme létale la vulgarité esthétique, la force de la loi et la dialectique folle. Ces colonnes bien formées, en rang serré, avancent des chiffres, des théories et des instructions. Elles nous engloutissent et nous fatiguent. Maintenant, laissez-nous ! Vous avez gagné. Dans ces moments d’abandon, quand tout semble fade et fat, quand nous nous apprêtons à hiberner, à ne plus voir leurs gueules satisfaites ventiler de la fausse joie et de lourdes pensées, une lumière se glisse. Nous nous accrochons à elle. Elle prend des formes diverses en ce début d’hiver. Cette lumière est spirituelle, un peu datée car elle n’a pas l’éclat des outrances actuelles, elle se propage sans tambours, ni trompettes. Cette lumière discrète se tient droite, elle ne marchande pas, elle ne pleurniche pas, elle nous réjouit par sa probité et son intemporalité rieuse. Elle ne porte pas les habits du clash et de la tourmente, elle a d’autres atouts dans sa main, de la grâce, de la mémoire et du savoir-vivre. Cette lumière est joueuse, elle n’est pas dogmatique, elle aime le ping-pong verbal, la nuance des petits matins et le rire en coin, le second degré en esquive et le sens de la fête. L’arrivée d’Olivier Minne sur M6 (Le Maillon faible, Pandore et Quel âge à votre cerveau) est une aubaine pour la chaîne privée. Le jeu est son destin depuis si longtemps. Il sera même le Monsieur Loyal de la soirée du Nouvel An. Ce garçon intelligent et cultivé, ex-speakerin filiforme exfiltré à L.A pour s’épaissir, auteur talentueux qui écrit lui-même ses livres, bon camarade de plateau et professionnel reconnu par tous, aimé des téléspectateurs est le profil-type du service public. Son mètre-étalon. France Télévisions aurait dû le conserver sous cloche pour le montrer en exemple aux visiteurs du monde entier. La manière dont il a été traité tout au long de sa carrière par les différentes directions est symptomatique du mal français. On lui a souvent préféré des bavards, des illusionnistes, d’éphémères rebelles. Des gandins. Quel manque de vista ! Ce Belge de naissance s’exprime dans une langue précise, vocabulaire riche et bienveillance en bandoulière, ni nunuche, ni pétroleur, il apporte à ses programmes une légèreté et un certain standing. Dans un pays où l’on fait la queue pour acheter des livres sur la zonzon et les conseils de beauté, on peut s’inquiéter de notre santé mentale.
Ne vous y trompez pas, Olivier Minne a un rapport direct avec Françoise Sagan. Une filiation même. Ils ne travaillent pas dans l’aigreur. Ils ont le jeu en commun. Familial et jamais gras chez Minne, féroce et bourgeois chez la petite Quoirez. Le Théâtre de Poche remet en piste Château en Suède sur une mise en scène de Emmanuel Gaury et Véronique Viel du mardi au samedi à 21 heures et le dimanche à 17 heures. Le cycle Sagan bat son plein à Montparnasse, nous avons déjà évoqué ici la performance de Caroline Loeb, tous les lundis. La Compagnie du Colimaçon se démarque par sa vitalité, sa cruauté frivole et son manège endiablé. Elle a tout compris de Sagan, sa profondeur angélique et sa jeunesse phagocytée, sa vitesse innée et l’empreinte de ses songes. Il faut du génie pour restituer cette cavalcade infernale. Son vieux complice, Bernard Frank, perspicace et rosse disait qu’« elle avait la maîtrise de son monde. Elle était foncièrement originale, à l’aise à l’intérieur de ses clichés, de ses imaginaires plutôt factices et de mauvais aloi ». La troupe s’amuse et les spectateurs s’enflamment dans ce huis-clos suédois. Ces jeunes comédiens, les pieds dans la neige, nous épatent. Ils sont singuliers et j’ai cependant vu dans leur allure, leur drôlerie, leur canevas, la trace du passé. Odile Blanchet (Eléonore) est une Christine Pascal, tantôt vamp, tantôt gorgée de sanglots, Bérénice Boccara (Agathe) est une sorte de brune Walkyrie incendiaire, une Stefania Sandrelli explosive, Gaspard Cuillé (Frédéric) a le charme d’un Daniel Gélin, étonné et sentimental, Emmanuel Gaury (Hugo) est un Philippe Noiret, paysan ogre, à moins que ce ne soit un Georges Wilson tempétueux (le rôle est joué en alternance par Arthur Cachia), Sana Puis (Ophélie) est une Geneviève Bujold égaré du cinéma de Philippe de Broca et de Pascal Thomas et Benjamin Romieux (Sébastien) est un Claude Rich phraseur et délicieux parasite. Château en Suède et Olivier Minne même combat !