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Pasolini: un mort si proche…

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« Le fascisme peut revenir sur la scène à condition qu’il s’appelle antifascisme » affirmait-il.


A priori, rien de commun entre Pier Paolo Pasolini, assassiné le 2 novembre 1975 sur un terrain vague d’Ostie, et moi.

Pourtant, bien avant l’excellent article de Jacques de Saint Victor « Pasolini : enquête sur un assassinat plein de mystères » dans Le Figaro du 29 octobre 2025, je m’étais toujours senti étrangement familier, complice, avec cette âme torturée, avec cette personnalité si complexe, dont les contradictions et les paradoxes faisaient l’infinie richesse ; avec cette incroyable honnêteté qui, malgré les apparences, ne la rendait prisonnière d’aucun camp, dès lors que l’expression de la vérité, selon lui, était en jeu.

Homosexuel, prenant tous les risques d’une existence de plaisirs débridée, détesté autant qu’il pouvait être admiré par ailleurs, écrivain, cinéaste, profondément respectueux des gens de peu, des simples, des modestes, tout en étant exigeant et vigilant au service d’une culture dont il voulait préserver l’intégrité et l’universalité, Pasolini, par ses fulgurances et ses provocations, par l’étrangeté même de ses obsessions, parvenait cependant à intéresser bien au-delà de lui-même, de ses affinités propres, de ses chemins intimes préservés des curiosités vulgaires.

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Avec lui, je n’étais pas loin de me retrouver dans un paysage humain qui, délesté du crime, me faisait songer à la passion que j’avais éprouvée devant certaines destinées à la cour d’assises de Paris, et qui, bizarrement, engendraient parfois comme une impression d’obscure fraternité, dont il convenait que je tirasse souvent les conclusions les plus répressives qui soient.

Pasolini faisait partie de cette catégorie rare d’êtres, où, plus forte que les dissemblances, surgissait une trouble empathie, en dépit du gouffre qui les séparait du commun.

Je ne sais si, chez moi, cette dilection constante pour les ombres plus que pour les lumières a préexisté à une vie professionnelle me contraignant à considérer les premières bien plus que les secondes ou si, dans un même mouvement, ma sensibilité ne s’est pas conjuguée avec ma mission d’accusateur public, que j’ai toujours perçue d’abord comme une salubre opération de débroussaillage intellectuel, judiciaire et humain.

On a souvent fait un sort à sa défense de la police qui aurait dû être soutenue parce qu’elle relevait d’un prolétariat avec lequel ses agresseurs pouvaient être complices socialement.

Comment aurais-je pu demeurer, surtout, indifférent à cette réflexion, si actuelle, de Pasolini dans les Lettres luthériennes, qui dit tout du renversement de nos valeurs, de nos hiérarchies éclatées, de la pauvreté et de la confusion de notre langage, de la perversion de nos principes et de nos idées : « Le fascisme peut revenir sur la scène à condition qu’il s’appelle antifascisme ».

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Avec cette pensée, dont la densité signifie plus et mieux que bien des verbeuses dénonciations, on est immédiatement saisi par un double constat : le fascisme, sur tous les plans, a changé de camp ; il n’est plus là où l’on avait l’habitude de le trouver et de le blâmer, et il sert désormais, dans une odieuse banalisation, à frapper d’opprobre toute contradiction qui ne serait pas conforme à cet antifascisme de pacotille, à ses diktats inspirés par la bonne conscience et par une idéologie qui se flatte de laisser le réel à ses portes.

Aussi la gauche et l’extrême gauche traitent-elles de fascistes, de nazis, ceux qui ont l’impudence de les contester ; les conservateurs sont stigmatisés, et les réactionnaires assimilés aux bourreaux d’hier. Il ne se passe pas une journée sans qu’on ne nous annonce que le fascisme serait à notre porte – et, le lendemain, tout étonnés de nous découvrir encore vivants, nous nous réveillons et ouvrons les yeux sur la démocratie.

Oui, Pasolini est un mort proche, si familier, à la fois tellement à part, mais si terriblement, si tragiquement, si lucidement humain, qu’il demeure, malgré le passage du temps, en nous, tel un mystère que nous n’essayons pas de déchiffrer à notre mesure.

Parce que ce mystère, c’est moi, c’est nous – avec lui.

Mon ami et allié David Carr-Brown

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Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Comme toutes les très jeunes femmes, ma Sauvageonne adore sortir. Il y a peu, c’était encore l’été, nous nous sommes rendus au quartier Saint-Leu, à Amiens, et abreuvés au bar Le O’Bélu, en contemplant la Somme et les chevesnes et vandoises qui s’y trouvaient encore. Nous avons eu le plaisir de boire quelques verres en compagnie du cinéaste-documentariste David Carr-Brown. Connu internationalement pour ses réalisations – souvent d’investigation – de grande qualité, il a choisi de s’établir à Amiens en juillet 2022. J’ai fait sa connaissance grâce à mon copain Arnaud Viviant, écrivain, journaliste, critique littéraire (en particulier au Masque et la Plume, sur France Inter) et psychanalyste que j’avais côtoyé quand j’étais journaliste chez Best. « Fais-lui découvrir la ville ! » me dit un soir Arnaud. Ce que je fis tout de go.

Nous prîmes l’habitude, David et moi, de nous retrouver au Cheers, un café très cosmopolite de Saint-Leu qu’il fréquenta jusqu’à se récente fermeture. Et nous sympathisâmes. J’ai toujours aimé les Britanniques (et nos alliés en général) qui nous ont aidé à vaincre, d’abord, nos bons amis d’Outre-Rhin porteurs de casques pointus comme de petits et ridicules paratonnerres, puis ces fumiers de nazis qu’on ne détestera jamais assez et sur lesquels je déverserai de la haine jusqu’à mon dernier souffle. Or, David est l’incarnation même de l’Anglais avec son élégance so british, son léger accent birkinien, et son goût pour nos meilleurs vins rouges. Bref : rapidement, David et moi sommes devenus amis. J’admire ses créations, sa carrière. N’a-t-il pas constitué un fonds d’archives sous forme d’entretiens avec des personnalités aussi diverses qu’épatantes : Susie Delaire, Claude Autant-Lara, Charles Vanel, René Char, etc. ? N’est-ce pas à lui que nous devons le documentaire Tranquillement la peur, diffusé sur Antenne 2, qui connut un franc succès ? N’est-ce pas lui encore qui, en 1983, co-fonda Gamma Télévision, département audiovisuel de l’agence Gamma ? A la même époque, il réalisa une série de trois émissions sous la houlette du philosophe Michel Foucault, notamment sur les Brigades rouges et la Cisjordanie. Puis, dans les années 90, il conçut pour Arte, un film audacieux et très lucide sur l’islam, qui, selon lui, serait impossible à diffuser aujourd’hui. A cela s’ajoute un portrait édifiant de Tony Blair diffusé juste après son élection, et bien d’autres œuvres puisqu’il est l’auteur de quelque cent cinquante films, documentaires, courts-métrages, etc.

De tout cela, nous avons parlé souvent. Mais secrètement, je me demandai ce qui avait bien pu l’attirer dans notre bonne ville d’Amiens. Un jour, il m’a avoué qu’il sentait ici, tout le poids de la Première Guerre mondiale et qu’il avait l’impression que les plaines du Santerre étaient imbibées par le sang de ses ancêtres. Ce n’est pas tout : à Amiens, il adore la gare, la Tour Perret, la cathédrale, l’architecture du club nautique et vénère le quartier Saint-Leu où il rêve d’habiter un de ces jours. Tout de suite, il s’est constitué un réseau d’amis. Dois-je avouer à mon tour que je suis très fier d’en faire partie ?

Taïwan, l’autre front du monde libre

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Malgré sa réussite démocratique et économique, Taïwan demeure un paria diplomatique. Pourtant, Taïwan représente désormais un enjeu plus important encore que l’Ukraine, estime notre contributeur.


Donald Trump termine une tournée asiatique qui l’a conduit en Malaisie, en Corée du Sud et au Japon, mais non à Taïwan. Une telle visite aurait été interprétée par Pékin comme une provocation directe. Ce choix illustre le paradoxe d’une situation devenue centrale : Taïwan demeure l’un des plus anciens alliés des États-Unis, tout en représentant la ligne rouge absolue de la République populaire de Chine.

Le véritable test stratégique pour l’Occident ne se situe plus en Europe, mais en Asie, autour de la défense de Taïwan. Pékin revendique sa souveraineté sur l’île et multiplie les démonstrations de force : incursions aériennes, manœuvres navales et attaques informatiques. Une annexion de Taïwan ne constituerait pas seulement une tragédie régionale, mais un bouleversement mondial. Les États-Unis subiraient un revers historique ; le Japon, la Corée du Sud et l’Australie se retrouveraient fragilisés, et l’ensemble du système d’alliances occidental serait ébranlé.

Une chute de Taïwan entraînerait le basculement du Pacifique sous influence chinoise, d’autant que plusieurs États insulaires de la région sont déjà passés dans l’orbite de Pékin. L’île n’est pourtant nullement un « morceau de Chine égaré », mais un État souverain, libre, prospère et démocratique, tout ce que le régime communiste n’est pas.

Une province chinoise ?

L’argument historique selon lequel Taïwan serait une province chinoise ne résiste pas à l’examen. L’île fut d’abord peuplée par des populations aborigènes austronésiennes. Au XVIIᵉ siècle, les Néerlandais et les Espagnols y établirent des comptoirs fortifiés. Ce n’est qu’à la fin du XVIIᵉ siècle qu’elle fut rattachée à la Chine impériale, et pour une période relativement brève au regard des cinq millénaires d’histoire chinoise.

En 1895, à la suite du traité de Shimonoseki, Taïwan devint une colonie japonaise et le resta jusqu’à la défaite de Tokyo en 1945. Après la victoire communiste de 1949, les nationalistes du Kuomintang, dirigés par Tchang Kaï-chek, se réfugièrent sur l’île et y instaurèrent un régime autoritaire sous loi martiale. Depuis cette date, Pékin n’a plus jamais exercé le moindre contrôle sur le territoire. Autrement dit, depuis plus d’un siècle, la Chine ne gouverne pas Taïwan, et le régime communiste actuel ne l’a jamais administrée.

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La transition démocratique débuta à la fin des années 1980 avec la levée de la loi martiale et la création du Parti démocrate progressiste (DPP). Les premières élections libres se tinrent au début des années 1990 et, en 2000, la victoire du DPP marqua la première alternance politique. Taïwan est aujourd’hui une démocratie pleine et stable, dotée d’institutions solides, d’une presse libre et d’une justice indépendante.

Une puissance technologique, un paria diplomatique

Malgré sa réussite démocratique et économique, Taïwan demeure marginalisée sur la scène internationale. Avec ses 23 millions d’habitants, elle n’a ni siège à l’ONU, ni reconnaissance diplomatique de la part des grandes puissances. L’île ne conserve que quelques ambassades, dont celle du Vatican, et reste exclue de l’Organisation Mondiale de la Santé, comme si l’absence de reconnaissance politique suffisait à la soustraire aux épidémies.

Cette situation est la conséquence directe du chantage diplomatique imposé par la Chine populaire, qui exige la rupture de tout lien officiel avec Taipei de la part des États entretenant des relations avec Pékin. Taïwan est donc traitée en paria, malgré une réussite économique spectaculaire. L’île produit plus de 60% des semi-conducteurs mondiaux et près de 90% des puces électroniques de haute performance. Sans elle, les chaînes industrielles mondiales s’interrompraient : plus d’iPhones, plus d’automobiles, plus d’intelligence artificielle.

Une dissuasion fragile, une liberté menacée

La position militaire de Taïwan est singulière. Le Japon, la Corée du Sud et les Philippines bénéficient de traités bilatéraux de défense mutuelle avec les États-Unis : une attaque contre eux entraînerait une réponse automatique. Taïwan n’a pas de traité d’alliance formel avec les États-Unis. Washington n’est donc pas juridiquement tenu d’intervenir en cas d’agression chinoise. Le Taiwan Relations Act de 1979 définit néanmoins une coopération de défense : les États-Unis s’engagent à fournir les armes nécessaires à la défense de l’île et à maintenir une capacité d’intervention dissuasive. Cette « ambiguïté stratégique » vise à décourager Pékin sans provoquer une confrontation directe.

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Dans les années 1970, Taipei avait envisagé un programme nucléaire avant d’y renoncer. Si elle disposait aujourd’hui de l’arme atomique, la Chine oserait-elle encore envisager une invasion ? Le général de Gaulle parlait de la « dissuasion du faible au fort » : l’idée qu’un pays capable de riposter empêche le plus puissant de l’attaquer. Appliqué à Taïwan, ce concept aurait sans doute dissuadé Pékin et renforcé la stabilité régionale.

Un impératif stratégique

Soutenir Taïwan relève d’un impératif stratégique. Une annexion chinoise constituerait une défaite majeure pour l’Occident, une déstabilisation durable du Pacifique — désormais cœur de l’économie mondiale — et un message de faiblesse adressé à toutes les démocraties asiatiques.

Taïwan représente ainsi un enjeu plus important que l’Ukraine. Donald Trump semble l’avoir compris : il a hâte de faire la paix en Ukraine pour que l’Amérique puisse se concentrer sur son seul adversaire véritable, la Chine.

Rio, les faubourgs du désordre

Au Brésil, l’État a cédé le terrain aux seigneurs de guerre des favelas. Face à cet abandon, le gouverneur de Rio de Janeiro, Claudio Castro, figure de la droite brésilienne, a lancé le mardi 28 octobre une opération pour capturer les chefs du Comando Vermelho. Résultat: 121 morts. Dans ces labyrinthes de béton où la loi officielle ne passe plus, les habitants vivent sous l’autorité du crime, plutôt qu’à l’ombre de la loi, raconte Driss Ghali.


Imaginez la Seine-Saint-Denis sans police durant cinq ans. À votre avis, dans quel état sera le département le plus dangereux de France ? C’est à ce jeu stupide et irresponsable que joue Rio de Janeiro depuis 2020. Les génies qui peuplent la Cour suprême brésilienne (STF) ont décidé que la police n’avait plus le droit de mettre les pieds dans les nombreuses favelas de la ville, au nom des droits de l’homme. Résultat : les favelas de Rio de Janeiro sont devenues la capitale du crime au Brésil, attirant des criminels en fuite qui les ont transformées en bastions imprenables. La règle a été légèrement assouplie en avril 2025, permettant le retour timide et temporaire de la police. L’opération de la police carioca qui a fait 121 morts cette semaine s’inscrit dans ce contexte. Son but est très limité, il s’agit simplement d’atténuer les effets de cinq ans de délire légal en pénétrant, ne serait-ce que quelques heures, dans le sanctuaire de la mafia et au passage y saisir des armes et des individus recherchés. Quant à libérer la population du joug des trafiquants, il n’en est pas question, la police locale étant dépassée et le gouvernement de Lula tout à fait opposé à une quelconque remise en cause de l’impunité du Comando Vermelho, la mafia préférée de la gauche brésilienne.

Insurgés

Le Brésil fait face à une offensive majeure du crime organisé. PCC, BDM, OKD, SDC, CV, GDE, TCP, ADA, les murs du pays sont recouverts de sigles remettant à des groupes mafieux qui contrôlent des territoires entiers.  Pendant que les veaux qui peuplent les rédactions mainstream brésiliennes et leurs correspondants bovins dans les chancelleries européennes n’ont d’yeux que pour « la menace Bolsonaro », les Brésiliens, eux, sont soumis à la terreur de la mafia. Un institut très officiel a révélé il y a quelques jours que 25% des Brésiliens sont soumis aux lois du syndicat du crime. Au Ceara, au nord-est du pays, un village entier a été vidé de ses habitants sur ordre du crime organisé qui a loué leurs maisons à d’autres. L’Etat ne fait rien.

Rio de Janeiro exprime l’aboutissement de cette dérive. La police préparée pour lutter contre des bandits fait face à des insurgés. Mardi dernier, 400 hommes lourdement armés ont fait face à la police. 400 hommes ! Ce n’est pas un gang, c’est une force insurrectionnelle. Il a fallu rassembler 2500 hommes pour les encercler et les obliger à se mettre à découvert dans une zone boisée au-dessus d’une colline où les forces spéciales les attendaient en embuscade.

La police de Rio de Janeiro a toujours été structurellement incapable de contrôler les favelas. Depuis que la Cour suprême lui met des bâtons dans les roues, la situation a dégénéré d’une délinquance aggravée vers une insurrection de moyenne intensité.

Depuis cinq ans, 5000 barrières en béton ont fait leur apparition autour des favelas. À l’intérieur de ces frontières nouvelles, la mafia prélève l’impôt, elle dispose du monopole de la vente du gaz butane, de celui de l’internet et de la bière. Uber est interdit, les mototaxis de la mafia s’occupent de la mobilité urbaine. Le trafic de drogue est assez secondaire désormais, le territoire en lui-même rapporte plus. Au-delà des activités économiques que nous venons de décrire, il y a l’usage des favelas comme entrepôt accueillant les centaines de cargaisons dévalisées chaque mois aux quatre coins de la ville : viande rouge, électronique, voitures, médicaments qui amaigrissent etc.

Zones interdites à la police

Plusieurs milliers d’hommes s’entraînent et se réfugient dans les zones interdites à la police. Quatre millions de cariocas y sont coincées et n’ont d’autre choix que de baisser les yeux. Chaque jour, ils voient défiler des hommes en camouflage militaire, portant grenades et fusils d’assaut. Des drones volent constamment au dessus de leur tête, pour l’observation à longue distance mais aussi pour l’attaque au sol. Des anciens soldats ont été recrutés par la mafia et les bonnes pratiques de la guerre ukrainienne ont atterri sous les tropiques plus rapidement que prévu. Les hélicos de la police ne sont plus adaptés, ils sont trop fragiles au vu du calibre des armes utilisées. Il faut des Black Hawk ou des Caracal maintenant. Les blindés de la police sont inutiles, il faut des blindés à chenille pour passer au-dessus des barrières en béton.

La police de Rio de Janeiro appelle à l’aide depuis des mois, l’État fédéral ne répond pas.  Pas question de céder les moyens de l’armée, pourtant stationnée en nombre à Rio de Janeiro, ancienne capitale du pays. Elle dispose des armes et des hommes à la hauteur de la tâche, elle l’a déjà fait brillamment à la veille de la Coupe du Monde de 2014. C’est la guerre mais Lula et l’establishment veulent que la police de Rio de Janeiro la mène avec des pistolets à eau.

Quand la nouvelle a filtré que plusieurs dizaines de criminels ont été abattus par la police de Rio, Lula s’est dit « sidéré ». Il n’a jamais versé la moindre larme lorsque les trafiquants ont massacré des civils ou violé des jeunes filles qui refusaient de participer à leurs fêtes. Quand Trump lui a proposé de classer les deux plus grandes mafias brésiliennes comme groupes terroristes, il a refusé arguant de la souveraineté nationale (mai 2025). Dans son cynisme infini, il fait semblant de croire qu’il est souverain là où la mafia fait la loi. Quand on lui pose la question du trafic de drogue, il répond que « les trafiquants sont victimes des drogués » et qu’il faut les protéger des consommateurs de drogue avant toute chose (octobre 2025).

Aucun mot de consolation pour les quatre policiers morts, pour le commissaire de police amputé de la jambe suite à un tir dans la veine fémorale ni pour les 80 agents des forces de l’ordre blessés.

Le Cour suprême fait encore parler d’elle

On peut croire que le président est fou, cynique ou même complice du trafic, mais comment comprendre l’attitude scandaleuse de la Cour suprême ?

Quelques heures après l’apparition des cadavres de trafiquants, le juge le plus en vue de la Cour suprême, Alexandre de Moraes, a demandé des explications écrites au gouverneur de Rio de Janeiro. Puis, il a annoncé se rendre dans la ville, la semaine suivante, pour vérifier de lui-même le respect des droits de l’homme (des bandits…).  Lui qui ne s’est jamais ému des violations des droits de l’homme des habitants des favelas, victimes d’atrocités aux mains des trafiquants. Il est vrai que comme le juge de Moraes est très occupé à persécuter l’ancien président Bolsonaro, il ne lui reste pas beaucoup de temps pour pourchasser la mafia. Il l’accuse d’avoir mis en danger l’Etat de droit alors qu’il a été aboli dans les favelas de Rio de Janeiro…

Tout porte à croire que l’establishment politico-juridique brésilien favorise la mafia. Comment interpréter autrement la décision surprenante de la plus haute cour électorale du pays de remettre sur la table deux vieux procès contre le gouverneur de Rio de Janeiro, quelques heures à peine après le déclenchement de l’opération dans les favelas ? Il risque d’y perdre son mandat, ce qui serait le meilleur cadeau de Noël à faire au crime organisé. D’ailleurs, le principal chef du Comando Vermelho, la mafia prise pour cible cette semaine, a le droit de publier sur Instagram depuis sa prison ! Il a pu dénoncer l’opération de la police en toute impunité alors qu’il est sous la surveillance de l’Etat fédéral, c’est-à-dire de Lula en définitive. (Il sera transféré dans une prison de haute sécurité par la suite.)

Ce « civil » selon la terminologie employée par le Ministre de la Justice, Ricardo Lewandowski, pour qualifier les membres de la mafia, ce civil donc est accusé d’avoir fait couper les oreilles d’un jeune homme qui a osé draguer sa femme. Quel humaniste ! Quel homme de gauche !

En effet, le Comando Vermelho est né en 1979 dans une prison où étaient mélangés des détenus politiques de gauche et des criminels de droit commun. Les premiers ont converti les seconds aux valeurs de la justice sociale et aux techniques insurrectionnelles. Est née ainsi A Falange Vermelha (la phalange rouge) qui plus tard deviendra O Comando Vermelho (le commandement rouge, aussi appelé CV par ses initiales). L’organisation a depuis longtemps essaimé hors de Rio de Janeiro. Elle contrôle plusieurs corridors de transport de la drogue et de la contrebande à travers le pays. En Amazonie, elle déboise en toute liberté, elle s’active dans l’orpaillage illégal et dans toutes sortes d’activités criminelles. Elle bute sur le PCC, son grand concurrent, basé à São Paulo, et qui se distingue par sa discrétion. Là où le PCC cherche à soigner les apparences, le CV se distingue par son côté scandaleux. L’un fait profil bas et fait croire aux naïfs que la police a le dernier mot, l’autre empêche la police de circuler. Deux philosophies différentes pour un même cancer.

La mansuétude avec le CV ne doit pas faire oublier l’attitude globale des autorités fédérales avec le crime organisé, qu’il soit lié à la gauche ou à la droite. C’est en général une douceur infinie, bien plus ample que ce que l’on constate dans les tribunaux français (c’est dire…). A Rio de Janeiro, par exemple, une mafia que l’on dit proche de la droite prospère tranquillement, elle investit les quartiers ouest de la ville depuis vingt ans : il s’agit de la milice (milicia), composée de policiers et de pompiers renégats.

En réalité, le Brésil est devenu un des premiers pays occidentaux à avoir confié au crime organisé le contrôle de ses périphéries. L’Etat s’organise, ouvertement ou subrepticement, pour que les pauvres soient confiés à la mafia, du moment qu’ils votent comme il se doit aux élections. Le Brésil est un pays à deux vitesses. Il y a le pays utile qui est fliqué constamment par une administration tatillonne, et il y a le pays délégué aux mafias qui produit moins certes mais apporte une ressource inestimable aux yeux de l’establishment : des millions de votes captifs. Mais, ne vous inquiétez-pas, Lula est là et Bolsonaro est en résidence surveillée. La démocratie a donc triomphé !

Arnaud Desplechin: secrets d’artistes


Arnaud Desplechin a, comme tout grand cinéaste, une manière bien à lui de filmer sa propre histoire, avec la distanciation voulue, mais aussi la plus grande sincérité à fleur de peau. Son projet artistique est une passionnante révélation de lui-même. Il reprend avec régularité le même fil narratif, auquel il ne fait subir aucune distorsion majeure. Seuls les personnages changent et apparaissent avec leurs contradictions, et souvent la fatalité de leur existence. C’est que Desplechin ne filme pas d’abord les événements, mais ce qu’ils cachent. Non pas tant le phénomène, pour reprendre le langage de Kant, que le noumène, c’est-à-dire tout ce qui n’apparaît pas à première vue, mais qui est derrière, sous-jacent et que parfois l’art peut rendre visible aux spectateurs attentifs.

Amour de jeunesse et paternité

Quel est le personnage principal du nouveau film de Desplechin, Deux pianos ? Mathias Vogler, pianiste virtuose qui revient du Japon où il s’était volontairement enterré ? Ou Claude, son amour de jeunesse, mariée à Pierre, jadis le meilleur ami de Mathias ? De fait, Deux pianos s’ouvre sur l’image de Claude reflétée dans un miroir, comme pour nous dire que c’est sur elle que le cinéaste veut s’attarder. Sur elle, et sur son fils Simon. Comme toujours, chez Desplechin, l’enfant est celui des autres, même si en réalité le vrai père de Simon se révèle être Mathias. D’où des rapports extrêmement apaisés entre Mathias et Simon, car tous deux sont placés dans une situation idéale pour que leur relation trouve son équilibre. Il y a là une représentation symbolique plutôt intéressante de la paternité, qui ne nie pas la filiation, mais la sublime.

Des personnages « dostoïevskiens »

Deux pianos donne souvent l’impression d’une vie de chaos. La caméra de Desplechin est imprévisible, et toutes les scènes défilent de manière inattendue. Nous sommes loin du classicisme. Aussi bien, le comportement de Mathias échappe à toute logique. C’est un personnage « dostoïevskien » au sens plein du terme. Malgré son talent de pianiste, il erre dans l’existence, sans but. Heureusement, il est flanqué d’un bon génie, Max, son agent, joué par Hippolyte Girardot, qui le sort de toutes les embrouilles dans lesquelles il se fourvoie. Il y a aussi, face à lui, la grande figure impériale, mais déjà sur le déclin, d’Elena, son professeur de piano, jouée superbement par Charlotte Rampling. Elena est une artiste d’une exigence folle, qui ne passe rien à quiconque, pas même à elle-même. Ainsi, elle confie au seul Mathias un secret qui l’obsède : « J’ai un secret, lui dit-elle, je vais arrêter la musique… » Sa mémoire la quitte, elle ne parvient plus à mémoriser les partitions qu’elle joue. Plus grave : « Je perds qui je suis. » Le thème du silence, et de son corollaire, la mort, obsède Desplechin. C’est pourquoi sans doute a-t-il choisi pour cette fois de nous parler du monde de la musique et de ses « virtuoses » déracinés.

Une culture juive essentielle

Comme à son habitude, Desplechin se plaît à multiplier les références au judaïsme et à la culture juive. Cela donne à son propos une belle profondeur. Par exemple, le mari de Claude, Pierre, est juif. Il racontait à sa jeune femme des histoires juives puisées chez Martin Buber, qui la faisaient se tordre de rire. À tel point — moment extraordinaire — que celle-ci, lors de l’enterrement de son mari, va essayer, devant l’assemblée présente, d’en raconter une, mais elle le fait si maladroitement que, dans ces tristes circonstances, sa blague fait un flop retentissant. Du moins, ce détour par l’humour juif pour évoquer l’adultère permet-il à Claude de soulager sa conscience, et peut-être de se réconcilier, au-delà de la mort, avec Pierre.

Un univers désaxé

J’ai eu, au tout début, un peu de mal à entrer dans Deux pianos. Je me demandais comment il fallait comprendre les premières scènes avec Mathias, interprété par le jeune acteur François Civil. Le film, pour moi, a commencé à marcher vraiment à partir du moment où je me suis dit que Mathias n’était pas dans un état psychologique normal, mais que très probablement il luttait contre une « psychose » latente qui, peu à peu, l’envahissait. J’ai pensé alors au Journal d’Hélène Berr, où l’on suit une jeune fille juive, agrégée d’anglais, dans sa vie quotidienne sous l’Occupation allemande, jusqu’au moment où le piège, qu’elle sentait arriver inconsciemment, se referme sur elle. Je dois dire que la manière dont Desplechin arrive à transposer ce climat hypnotique au cinéma, c’est du très grand art.

Nadia Tereszkiewicz © Emmanuelle Firman

La prestation de Nadia Tereszkiewicz dans le rôle de Claude est mémorable. Elle porte le film sur ses épaules, et c’est son interprétation qui, à elle seule, donne son sens à l’histoire. Si tout se termine bien, c’est grâce à elle. Le personnage de Claude rééquilibre parfaitement le propos pessimiste du cinéaste, elle redonne de la joie et de la gaieté à ce qui n’en avait plus. La force de Deux pianos repose sur ce personnage de Claude et son amour de la vie. Le film de Desplechin s’incarne en elle.


Arnaud Desplechin, Deux pianos. Avec Charlotte Rampling, Nadia Tereszkiewicz, François Civil. Drame, 1 h 55. En salle depuis le 15 octobre. 1h 55min

« Histoires ordinaires et extraordinaires », le dernier film de Laurent Firode…

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…ou comment raconter merveilleusement l’histoire de personnes racontant des histoires.


Au cinéma L’Espace Saint-Michel, à Paris, le samedi à 18h20

Le scénariste et réalisateur Laurent Firode continue de nous enchanter. En plus de ses courts Films à l’arrache mettant en pièces l’écologisme, le progressisme et le wokisme, et après les très réussis Monde d’après 1, 2 et 3 et le magistral Ce qui se voit et ce qui ne se voit pas[1], il vient de réaliser un nouveau petit bijou cinématographique, loin des films subventionnés ressassant les mêmes sujets politiquement corrects. Il y est parvenu avec un budget dérisoire. Le scénario et la réalisation résultent d’une évidente maîtrise technique et esthétique. Les comédiens et les comédiennes sont tous remarquables. La musique d’Igor Dvorkin (Pale Shadow) ponctue idéalement les chapitres de ce magnifique livre d’images filmées. Oyez, oyez, braves gens, le cinéma français n’est peut-être pas (totalement) mort ! 

Film à l’arrache à l’atmosphère troublante

Onze personnes participant à un stage d’écriture doivent écrire une histoire. Tel est le sujet du merveilleux film de Laurent Firode, Histoires ordinaires et extraordinaires[2]. Onze saynètes drôles, poétiques, étranges, bouleversantes ou surprenantes, montrent ces personnes tentant de raconter l’histoire qu’ils doivent écrire. La vie est pleine d’événements qui n’attendent que d’être racontés. La tête des hommes est pleine de rêves et de cauchemars qui n’attendent que d’être écrits. La source des histoires n’est pas près de se tarir. Mais quelle histoire raconter ?
Et comment la raconter ?

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Il existe mille et une manières d’inventer puis de raconter une histoire. Laurent Firode se propose de nous en dévoiler quelques-unes à travers ces personnages qui, rêvant, affabulant, s’inventant une autre vie, tentant désespérément de lutter contre la solitude, de tromper l’ennui ou d’enjoliver une expérience douloureuse, nous ressemblent tant. Des sentiments contradictoires nous envahissent au fil des scènes abordant subtilement différents genres littéraires ou cinématographiques: fantastique, polar, drame, comédie, etc. Une élégante et troublante atmosphère entoure ces êtres en quête d’inspiration. Laurent Firode est un poète facétieux qui use avec humour et tendresse de tous les moyens que son art met à sa disposition pour contrarier la mélancolie qui afflige certains de ses personnages et nous atteint aussi parfois. Lui aussi raconte des histoires. En l’occurence, des histoires de gens racontant des histoires tour à tour distrayantes, cruelles, baroques ou tout bonnement incroyables. Des histoires pleines des désirs, des déceptions, des espérances qui animent et souvent tourmentent les hommes. Le réel, dit le réalisateur en voix off, regorge d’histoires extraordinaires. Il suffit d’être attentif aux détails, aux petites choses inhabituelles, aux circonstances étonnantes. La sensibilité et le pouvoir imaginatif de chacun se chargeront du reste. Car nous sommes tous des inventeurs d’histoires en puissance.

Surprises

Dès les premières secondes de chacune de ces onze histoires, le spectateur ne pourra d’ailleurs pas s’empêcher de chercher à deviner à quel genre littéraire ou cinématographique elle fait référence – romantique, dramatique, fantastique, policier, etc. – et, croyant l’avoir découvert, d’en échafauder la suite. Mais il y aura des surprises. Les histoires de nos écrivains en herbe aboutiront souvent à des dénouements inattendus – l’art du conteur sera d’avoir su retenir l’attention du lecteur ou du spectateur jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’au moment de la récompense suprême : la perceptible émotion de ces derniers, preuve indiscutable d’une histoire réussie. À ce propos, une chose est certaine : l’art de raconter une histoire est un art que, pour notre plus grand plaisir, Laurent Firode maîtrise de bout en bout.

P.S : Laurent Firode prépare en ce moment son prochain long-métrage, Jupiter II – Le Retour, un film satirique sur la réélection d’Emmanuel Macron. Sachant pertinemment qu’aucune subvention publique ne lui sera octroyée, le réalisateur a lancé un appel aux dons privés via son site. 


[1] Ces films sont disponibles en VOD : https://lesfilmslarrache.vhx.tv/products    

[2] Ce film n’est malheureusement visible qu’au cinéma L’Espace Saint-Michel, dans le 5ème arrondissement de Paris, le samedi, séance de 18h20. 

Main basse sur le cinématographe

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Non, Ségolène Royal, les citoyens ne sont pas des petits enfants!

Coucou! revoilà Maman…


Ségolène Royal publie Mais qui va garder les enfants ? et rappelle aux Français qu’elle est disponible pour 2027, avec un slogan inattendu: « Il est peut-être temps d’avoir une mère de la nation. » Dans son livre, en plus d’un réquisitoire contre le machisme en politique dont elle dit avoir fait les frais pendant des années, en particulier lors de la campagne présidentielle de 2007, Ségolène Royal érige la maternité en modèle de gouvernement : « Présider, c’est aimer, écouter, dialoguer. Comme une mère aime ses enfants », affirme-t-elle, convaincue que « les qualités que l’on prête à l’amour maternel : vigilance, patience, constance, exigence, sont précisément celles que les citoyens inquiets attendent de leurs dirigeants. » Comme c’est touchant…

La France présidente met en garde contre le poison de l’ego

Ségo a raison sur un point : sans les qualités ci-dessus énumérées, le pouvoir peut en effet se déconnecter du réel et devenir une gouvernance narcissique, livrée à des humeurs changeantes, celles d’un enfant-roi ivre de son ego. « Trop de politiques s’aiment eux-mêmes, avec ce poison de l’ego, au lieu d’aimer les autres, ce pour quoi ils ont été élus », tranche-t-elle. Une pique à peine voilée contre l’actuel président.

Notons en premier lieu que ce positionnement materno-politique a de quoi surprendre : au moment où l’esprit du temps célèbre le « no kids » et pratique volontiers le mother-bashing, Ségolène Royal endosse la figure de la « petite mère du peuple » et transforme ainsi un stigmate sexiste en bannière politique. Mais le plus piquant, c’est qu’en plaidant pour la réhabilitation de la maternité, Ségolène Royal se retrouve finalement en rupture avec la gauche qu’elle incarne. Cette vieille figure du socialisme, et très probable future candidate aux primaires de son parti, défend aujourd’hui ce que l’idéologie écoféministe s’emploie à délégitimer : la maternité.

En effet, l’idéologie verte mâtinée de néoféminisme et de millénarisme collapsologique culpabilise à tout va tout projet de reproduction au nom de la planète, transformant le berceau en menace écologique et la maternité en péché contre la grande prêtresse du climat : Gaïa. Comme l’a analysé la journaliste Gabrielle Cluzel dans son essai Yes Kids : enfanter, c’est polluer. Avoir des enfants, c’est égoïste. Fonder une famille, c’est patriarcal ! Ce discours antinataliste infuse dans la société et dans les jeunes générations biberonnées aux discours woke et écolos. Il constitue d’ailleurs l’une des raisons qui expliquent l’effondrement inédit du taux de fécondité, tombé à 1,59 enfant par femme, un record depuis la Première Guerre mondiale. Selon l’INSEE, 15% des jeunes ne veulent plus avoir d’enfants du tout, trois fois plus qu’en 2005.

On assiste donc à l’étrange invocation, par Ségolène Royal, du désir d’être la « mère de la nation », au moment où une partie de la société se détourne de la maternité. Mais au-delà de ce paradoxe truculent, l’ambition matriarcale de Ségolène Royal pose un problème philosophique qui réside dans la confusion des rôles.

Un peu de philosophie…

Car si s’inspirer des qualités morales liées à la maternité (vigilance, constance, exigence, soin) élève la politique, réduire la nation à une famille avec, à sa tête, une mère symbolique, l’infantilise. Et Ségolène Royal pousse la métaphore jusqu’au bout : « D’ailleurs, la République ne les appelle-t-elle pas “les enfants de la patrie” ? Et que dit-on de notre planète, sinon qu’elle est notre Terre-mère ? » Sans en avoir pleinement conscience, Ségolène Royal renoue sans doute avec une tradition que son patronyme résume à lui seul : celle d’un pouvoir héréditaire et domestique, hérité des penseurs de la monarchie absolue du XVIIᵉ siècle, pour qui la nation n’était qu’une grande famille. Grotius (1583-1645), puis surtout Robert Filmer (1588-1653), imaginaient le pouvoir politique sur le modèle du pater familias : le roi, comme le père, devait aimer, protéger et corriger ses enfants. Une théorie du pouvoir « naturel », organique, affectif — bref, autoritaire.

C’est précisément contre cette vision domestiquée et patriarcale de la politique que le philosophe anglais libéral John Locke (1632-1704) s’est insurgé : le pouvoir ne procède pas de la filiation, mais du consentement libre des citoyens. Une nation n’est pas une famille : c’est un contrat entre des adultes responsables, unis par des lois qu’ils se sont librement données et non par un lien de sang ou d’affection. L’amour peut donc inspirer l’action publique, mais il ne fonde pas la légitimité du pouvoir. Gouverner, ce n’est pas materner. Gouverner, ce n’est pas aimer le peuple comme un parent, mais le servir et lui répondre.

La retraite n’existe pas vraiment dans la politique française. Les anciens candidats à l’élection suprême ne quittent jamais tout à fait la scène publique ; ils y reviennent toujours, avec des livres et des promesses… Après tout, pourquoi pas. Le problème de Ségolène Royal c’est qu’elle n’apporte rien.

340 pages

Mais qui va garder les enfants ?

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Yes Kids: La colère d'une mère face aux nouveaux diktats de la famille

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Une gueule d’écrivain

Les Éditions Noir sur Blanc ont réuni une quarantaine de portraits d’écrivains signés Yves Debraine (1925-2011) dans un beau volume à offrir en fin d’année. Les grands « monstres » de la littérature mondiale, Simenon, Nabokov, Giono ou encore Pagnol sont saisis dans leur intimité et nous délivrent une part de leur vérité…


Il ne suffit pas d’avoir écrit un livre. Ce n’est qu’un point de départ. Minuscule, presque dérisoire à l’aune de la montagne à gravir. Encore faut-il le porter, le soutenir, l’incarner et le faire voyager à travers les âges. Au-delà de la qualité intrinsèque d’une œuvre, la tambouille interne, c’est-à-dire le ton, le rythme et le fond ; l’écrivain est le miroir de sa propre création qu’il le veuille ou non ; son image sera plus forte que ses mots. Elle le trahira même souvent. Une gueule d’écrivain, ce n’est pas donné à tout le monde. C’est un cadeau du ciel et ça peut compliquer la vie au quotidien. Malheur à celui qui ne dégage rien devant l’objectif, mollesse du visage, regard absent, traits fades, expressions éteintes, physique transparent, ni beau, ni laid, cette médiocrité-là, moyenne et lasse, est de nature à inquiéter les libraires. Ils veulent des personnalités, des aspérités, en somme des personnages pour leurs séances de signature à la rentrée littéraire.

La tête de l’emploi

Pour un éditeur, une gueule passe-partout est une faute professionnelle : Faites quelque chose pour capter l’attention de vos lecteurs, je ne sais pas moi, laissez-vous poussez la moustache, enlevez cette cravate à pois, bougez-vous, mon vieux ! Si vous croyez que vos phrases suffiront à vendre le premier tirage…On ne le dit pas assez mais le drame involontaire pour un auteur aussi talentueux soit-il est la profonde indifférence qu’il inspire. Sans saisissement instantané de la rétine, les listes de prix s’éloignent. Depuis l’apparition de la photographie, et encore plus avec l’émergence de la télévision qui oblige à des contorsions scabreuses, l’écrivain doit montrer sa bobine dans les journaux pour exister. Avant d’entamer la lecture d’un pavé, le lecteur se renseigne d’abord sur cet auteur inconnu. A-t-il la gueule de l’emploi pour que je dépense le double d’un ticket de cinéma ? Dans ses Portraits d’écrivains, ouvrage élégant réalisé sous la direction de son fils Luc, le travail d’Yves Debraine, Suisse d’origine française atteint des hauteurs esthétiques et une sincérité journalistique, cet alliage-là est précieux. Il y a une forme de religiosité à pénétrer l’intimité d’un écrivain à travers sa silhouette, son corps et sa présence. Le photographe s’était installé à Lausanne dès la fin des années 1940 et deviendra la référence helvétique du reportage-photo dans le monde entier, une pointure des grands prix de Formule 1 et notamment le portraitiste fidèle de Chaplin, de la famille Dominici au procès du vieux ou de Simenon dans son château d’Echandens. Ses portraits dans la presse magazine d’après-guerre alors florissante ont fait les grandes heures de Life, Time, Paris-Match, L’Express, Stern ou Epoca.

Bibliothèque idéale

L’ex-engagé dans un corps franc à 18 ans, incorporé dans la 1ère armée du général de Lattre de Tassigny a résisté au sensationnalisme. Son goût pour la lecture se remarque au premier coup d’œil. Il l’a sauvé des travers de la profession de reporter, croulant sous les conquêtes, homme pressé dévalant les Nationales en roadster, un soir à Portofino, au petit matin chez Castel. La mythologie de cette époque-là est tenace. Au contraire, « sa vie durant, Yves Debraine a aimé les romans, les ouvrages d’histoire, les polars, les essais, les biographies, sans compter les magazines et les journaux auxquels il collaborait » écrit son fils, en préambule. « L’hommage d’un photographe à l’acte d’écrire » est une épitaphe qui convient à ce recueil soyeux, nostalgique, une plongée dans le monde d’avant avec cette galerie de gueules pas possibles.

Debraine a photographié notre bibliothèque idéale. On y voit, entre autres, Cocteau cabot et songeur à Milly-la-Forêt ; Patrick Rambaud chevelu et barbu jouant au billard ; Chessex faux sergent Garcia et vrai ogre littéraire à sa table de travail ; Clavel stoïque, les pieds plantés dans des vignes ; Albert Cohen en pyjama de soie et pochette blanche ne sachant pas s’il va guincher ou se coucher ; Giono tapant la conversation avec son facteur du côté de Manosque ; Henri Guillemin et ses longues mains ; les sourcils broussailleux et inquiétants de John Le Carré ; la veste « Pinder » de Paul Morand ; le profil de sénateur romain de Nabokov ; Pagnol faisant la fête à son chien ; le carré strict de Han Suyin ou l’œil farceur d’Henri Vincenot dans son village de Bourgogne. Et puis, Debraine stoppe des moments d’histoire comme cette rencontre « froide » de septembre 1963 entre Ian Fleming et Simenon, le père de Maigret avec sa pipe à la Tati observe, le dos courbé la Studebaker de l’espion de sa majesté, un brin facétieux et moqueur. La série consacrée à Frédéric Dard datant de novembre 1976 est splendide, l’auteur ressemble tantôt à un patron de boîte de nuit, cintré dans un caban en cuir, tantôt en bourgeois lyonnais installé à son bureau, un basset hound à ses pieds. Debraine nous fait aimer les écrivains, c’est une étape essentielle pour aimer la littérature.

Portraits d’écrivains – De Cocteau à Simenon – Yves Debraine – Les Éditions Noir sur Blanc 198 pages

RN gagnant

Le mouvement de Marine Le Pen a profité hier de sa niche parlementaire et de l’absence de nombreux députés pour faire adopter une résolution visant à dénoncer les accords migratoires de 1968 avec l’Algérie, révélant à la même occasion l’effritement du fameux «front républicain». Malgré l’inapplicabilité juridique de son initiative, le RN parvient à capitaliser sur l’impuissance perçue de la France face à l’Algérie, et renforce son influence auprès de l’opinion.


Qui ira dire encore que Marine Le Pen, ses députés, son camp ne sont pas en politique de bons manœuvriers ? Voilà qu’ils viennent de s’offrir une jolie petite victoire. Petite parce que sans véritable effet concret sur la donne du moment puisque essentiellement symbolique, mais victoire quand même, d’une part du fait du score et plus encore en considération de l’habileté avec laquelle le piège RN a été ourdi.

185 voix contre 184 en faveur du rejet des accords de 1968 régissant les relations franco-algériennes en matière d’immigration et d’accueil sur le sol de France des ressortissants d’outre-Méditerranée. Voilà pour le score.

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La subtilité du piège RN consistait tout simplement à profiter de la fenêtre de tir de sa niche parlementaire pour, sur ce sujet particulier, acculer quelques dizaines de bonnes âmes de notre représentation nationale à mettre leurs actes en conformité avec leurs paroles. Bonnes âmes qui, depuis des mois, ne cessaient de critiquer lesdits accords, notamment depuis le sort ignoble réservé à notre écrivain Boualem Sansal et au journaliste Christophe Gleizes. Par son initiative parlementaire, Marine Le Pen et ses élus ont contraint ces beaux parleurs tout simplement à passer du blablabla de convenance pour plateaux TV au geste solennel du vote. On imagine assez bien combien certains d’entre eux ne l’ont accompli, ce geste, que de l’extrême bout de la conscience, en se pinçant le nez et en serrant les fesses de trouille dans la perspective des représailles à venir de leurs habituels supplétifs électoraux gauchos-écolos-insoumis lors des prochains scrutins, notamment locaux.

Une voix, une voix seulement, se gaussent les mauvais perdants. Mais c’est aussi à une voix seulement que, le 30 janvier 1875, lors du vote d’un article additionnel présenté par le député Wallon que le mot République a fait son entrée dans notre arsenal constitutionnel, ce qui a fait dire que la République, notre République, doit donc à un seul suffrage, à un cheveu donc, d’avoir vu réellement le jour.

Victoire, indéniablement, pour Marine Le Pen et le RN. Certes, ce n’est pas encore tout à fait l’union des droites que d’aucuns appellent de leurs vœux. Mais c’est bel et bien la désunion du camp des têtes molles, des mous du genou. C’est surtout, qu’on le veuille ou non, une brèche ouverte dans le mur des contres. Un tabou est tombé : l’interdit suprême de mêler son vote à celui du diable et sa voix au chœur des tenants de la peste brune ! Pensez ! Le front du rejet, prétendument républicain, se trouve effrité, entamé. Là est bien un des aspects de la victoire en effet. Elle réside aussi, cette victoire, dans le fait que les lâches ont été forcés en la circonstance de tomber le masque. Ainsi de M. Attal. Excusé, semble-t-il. Faute d’avoir sérieusement enquêté sur la question, je ne saurais dire s’il avait à ce moment-là piscine ou poney. Je penche pour poney car, bien que rêvant de grand bain, l’intéressé, à la piscine comme en politique, ne réussit guère à passer au-delà de la pataugeoire.

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Victoire toujours du RN – et non la moindre de mon point de vue – pour avoir réussi l’exploit qu’un vote de la représentation nationale se révèle enfin conforme à ce que pense et attend la population dans son ensemble. Rappelons-le, elle est à plus de 72% (voire davantage selon certains sondages) favorable au rejet pur et simple des accords en question. Rejet, non renégociation, n’en déplaise à la contrefaçon de gouvernement que nous subissons en ce moment.

Cela dit, il en faudra bien d’autres, des votes de cette nature, en phase avec les aspirations du pays réel, pour que sa classe politique recouvre une once de crédit. Mais ne boudons pas notre plaisir. Et saluons comme il convient cette victoire. Accessoirement, voyons-y un premier pas des plus encourageants…

LES TÊTES MOLLES - HONTE ET RUINE DE LA FRANCE

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Gaza: une milice peut en cacher une autre

La place du futur ennemi numéro un d’Israël serait-elle à prendre ? Le Jihad islamique palestinien apparait comme l’organisation la mieux placée pour prendre la tête du terrorisme palestinien à la place du Hamas en cas de neutralisation de ce dernier. Analyse.


La libération des 20 derniers otages vivants retenus dans la bande de Gaza le 13 octobre dernier a constitué un immense soulagement que l’on doit en grande partie à Donald Trump. Dans la poursuite de sa quête avouée d’obtenir le prix Nobel de la paix, le Républicain a actionné tous les leviers à sa disposition pour aboutir à un résultat qui paraissait difficilement envisageable ; permettant ainsi de paver la voie à une possible cohabitation pacifique entre Palestiniens et Israéliens. Néanmoins, le plan Trump comprend plusieurs incertitudes.

Angles morts

Si l’on part du postulat que le Hamas acceptera de déposer les armes, ce qui semble par ailleurs hautement improbable, le danger que constituent les nombreux autres groupes terroristes disséminés dans l’enclave se situe dans un des angles morts du plan.

La plupart des factions armées palestiniennes, ayant jusqu’ici bénéficié de l’ombre projetée par le Hamas, sont toujours actives et présentent des modus operandi qui nécessiteront des approches différentes pour les neutraliser. Si le scénario d’un désarmement du Hamas venait à se concrétiser, il est évident que ces nombreuses organisations continueront de faire planer une menace sécuritaire d’envergure sur Tel Aviv ; le Jihad islamique palestinien reprenant alors le rôle du Hamas comme élément le plus en vue du terrorisme palestinien.

Le Hamas, partie émergée de l’iceberg ?

Dès que les premières images des attaques terroristes du 7 octobre 2023 furent diffusées, le narratif quasi-unanimement proposé par les médias occidentaux laissait à penser que seuls les hommes de la branche armée du Hamas, les brigades Izz al-Din al-Qassam, avaient participé aux atrocités commises ce jour-là. Bien qu’orchestré par Yahya Sinwar, chef de la branche armée du Hamas, le « déluge d’al-Aqsa » a en réalité impliqué au moins cinq autres groupes palestiniens selon Moussa Abu Marzouk, l’un des responsables du Hamas[1].

L’un des ouvrages de Mohamed Sifaoui, spécialiste du terrorisme islamiste, a révélé que le pogrom du 7 octobre faisait l’objet d’une préparation minutieuse remontant à 2020 sous la direction d’un organe appelé « chambre des opérations »[2]. A l’exception notable du Fatah, cette chambre servait d’outil de communication et de coordination entre toutes les factions impliquées, ces dernières ayant mis de côté leurs divergences politiques ou religieuses pour se rassembler en son sein. Les brigades Abou Ali Mustapha, branche militaire du Front populaire de libération de la Palestine d’orientation marxiste-léniniste, ont ainsi participé aux attaques du 7 octobre.

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Il en va de même pour les brigades An-Nasser Salah al-Din, faction de la bande de Gaza qui contribue également aux forces de police officiant dans l’enclave. Sa collaboration avec le Hamas n’est pas nouvelle puisque c’est à cette brigade que l’on attribue l’enlèvement du soldat israélien Gilad Shalit en 2006. Ce dernier sera libéré en 2011 en échange de plus de mille prisonniers palestiniens dont Yahya Sinwar[3]. Les Brigades des Martyrs d’al-Aqsa, qui comptaient 5 000 hommes avant les attentats du 7 octobre, autrefois associées au Fatah mais partageant l’idéologie islamiste du Hamas, ont aussi contribué aux attaques. Tout comme les Forces du martyr Omar al-Qassem, branche armée du Front démocratique de la libération de la Palestine qui ont revendiqué leur participation aux attaques et continuent d’émettre des communiqués établissant leur responsabilité dans d’autres opérations terroristes via des canaux tels que l’agence de presse yéménite Saba.

Dès lors, on voit bien qu’attribuer les attaques terroristes du 7 octobre aux seuls militants du Hamas est une lecture très incomplète des évènements qui permet indirectement aux autres factions terroristes impliquées de rester dans l’ombre. Il résulte de ces éléments que le simple fait de neutraliser le Hamas ne suffira pas à assurer la sécurité d’Israël, la menace terroriste s’en accommodera et changera tout simplement de visage.

Le Jihad islamique palestinien, futur ennemi numéro un d’Israël ?

Considérée comme la deuxième organisation terroriste la plus influente de la bande de Gaza, le Jihad islamique palestinien pouvait s’appuyer sur 10 000 combattants avant le 7 octobre 2023. Bien qu’émanant également des Frères musulmans, il se distingue du Hamas en ce qu’il lui reproche une approche insuffisamment islamique de la gouvernance de l’enclave. Il refuse par ailleurs catégoriquement tout rôle politique, une absence d’ambition politique qui permet aux deux groupes de collaborer. Cette organisation terroriste apparaît aujourd’hui comme la mieux placée pour prendre la tête du terrorisme palestinien à la place du Hamas en cas de neutralisation de ce dernier.

Fondé en 1981 par Fathi al-Shiqaqi, le Jihad islamique palestinien s’est signalé aux yeux du grand public par une série d’attentats suicides perpétrés afin d’enrayer la mécanique de paix enclenchée par les accords d’Oslo signés en 1993. A l’inverse du Hamas, ils refusent d’envisager toute négociation, y compris dans le but de mener à un cessez-le-feu. Ses militants se distinguent par des attaques au couteau et bien entendu par des attentats-suicides à la bombe, signature du groupe.

Contrairement au Hamas, la distinction entre branches politique et militaire n’a aucun sens pour le Jihad islamique palestinien. L’organisation en tant que telle se confond avec sa branche armée, les Brigades al-Qods, qui perpétue et revendique les attentats commis en son nom. La communication de ces Brigades, effectuée via leur site internet se confond avec celle du Jihad islamique palestinien qui met à profit ses propres médias[4].

Les ambitions pour l’enclave du groupe désormais dirigé par Ziad al-Nakhalah sont également plus radicales d’un point de vue religieux que celles du Hamas, de quoi laisser craindre un système d’endoctrinement encore plus prononcé que celui mis en place par le Hamas depuis sa création puis son élection. Si tous deux souhaitent une Palestine indépendante, le Jihad islamique palestinien entend en faire un État religieux plus proche de ce que fut le califat de l’État islamique en Irak et en Syrie. Sa propension à embrasser sans réserve les intérêts de Téhéran en fait par ailleurs un allié plus fiable aux yeux du régime des mollahs que le Hamas[5].

Enfin, contrairement au Hamas, le Jihad islamique palestinien dispose d’hommes en Cisjordanie. Le groupe accuse fréquemment Israël de vouloir annexer le territoire[6] et oblige Tsahal à devoir garder un œil sur les agissement du groupe terroriste depuis la Cisjordanie. Une récente opération menée par l’armée israélienne dans le nord de la Cisjordanie ayant permis la neutralisation de deux membres du Jihad islamique palestinien illustre que ce dernier peut frapper depuis l’ensemble du territoire palestinien[7].

La disparition du Hamas serait certes une première victoire d’importance, mais la guerre contre le terrorisme palestinien n’en serait donc pas achevée pour autant.


[1] https://www.bbc.com/afrique/articles/c99ezy1r55lo

[2] Mohamed Sifaoui, Hamas : plongée au cœur du groupe terroriste, 2024, p. 255.

[3] https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/yahya-sinwar-attentats-7-octobre-liberation

[4] https://www.nationalsecurity.gov.au/what-australia-is-doing/terrorist-organisations/listed-terrorist-organisations/palestinian-islamic-jihad

[5] https://fr.timesofisrael.com/liran-au-jihad-islamique-vous-avez-prouve-que-vous-pouvez-ecraser-lennemi

[6] https://www.lefigaro.fr/international/cisjordanie-le-djihad-islamique-accuse-israel-de-vouloir-annexer-le-territoire-occupe-20250224

[7] https://www.longwarjournal.org/archives/2025/09/israeli-operation-kills-2-palestinian-islamic-jihad-terrorists-in-west-bank.php

Pasolini: un mort si proche…

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DR.

« Le fascisme peut revenir sur la scène à condition qu’il s’appelle antifascisme » affirmait-il.


A priori, rien de commun entre Pier Paolo Pasolini, assassiné le 2 novembre 1975 sur un terrain vague d’Ostie, et moi.

Pourtant, bien avant l’excellent article de Jacques de Saint Victor « Pasolini : enquête sur un assassinat plein de mystères » dans Le Figaro du 29 octobre 2025, je m’étais toujours senti étrangement familier, complice, avec cette âme torturée, avec cette personnalité si complexe, dont les contradictions et les paradoxes faisaient l’infinie richesse ; avec cette incroyable honnêteté qui, malgré les apparences, ne la rendait prisonnière d’aucun camp, dès lors que l’expression de la vérité, selon lui, était en jeu.

Homosexuel, prenant tous les risques d’une existence de plaisirs débridée, détesté autant qu’il pouvait être admiré par ailleurs, écrivain, cinéaste, profondément respectueux des gens de peu, des simples, des modestes, tout en étant exigeant et vigilant au service d’une culture dont il voulait préserver l’intégrité et l’universalité, Pasolini, par ses fulgurances et ses provocations, par l’étrangeté même de ses obsessions, parvenait cependant à intéresser bien au-delà de lui-même, de ses affinités propres, de ses chemins intimes préservés des curiosités vulgaires.

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Avec lui, je n’étais pas loin de me retrouver dans un paysage humain qui, délesté du crime, me faisait songer à la passion que j’avais éprouvée devant certaines destinées à la cour d’assises de Paris, et qui, bizarrement, engendraient parfois comme une impression d’obscure fraternité, dont il convenait que je tirasse souvent les conclusions les plus répressives qui soient.

Pasolini faisait partie de cette catégorie rare d’êtres, où, plus forte que les dissemblances, surgissait une trouble empathie, en dépit du gouffre qui les séparait du commun.

Je ne sais si, chez moi, cette dilection constante pour les ombres plus que pour les lumières a préexisté à une vie professionnelle me contraignant à considérer les premières bien plus que les secondes ou si, dans un même mouvement, ma sensibilité ne s’est pas conjuguée avec ma mission d’accusateur public, que j’ai toujours perçue d’abord comme une salubre opération de débroussaillage intellectuel, judiciaire et humain.

On a souvent fait un sort à sa défense de la police qui aurait dû être soutenue parce qu’elle relevait d’un prolétariat avec lequel ses agresseurs pouvaient être complices socialement.

Comment aurais-je pu demeurer, surtout, indifférent à cette réflexion, si actuelle, de Pasolini dans les Lettres luthériennes, qui dit tout du renversement de nos valeurs, de nos hiérarchies éclatées, de la pauvreté et de la confusion de notre langage, de la perversion de nos principes et de nos idées : « Le fascisme peut revenir sur la scène à condition qu’il s’appelle antifascisme ».

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Avec cette pensée, dont la densité signifie plus et mieux que bien des verbeuses dénonciations, on est immédiatement saisi par un double constat : le fascisme, sur tous les plans, a changé de camp ; il n’est plus là où l’on avait l’habitude de le trouver et de le blâmer, et il sert désormais, dans une odieuse banalisation, à frapper d’opprobre toute contradiction qui ne serait pas conforme à cet antifascisme de pacotille, à ses diktats inspirés par la bonne conscience et par une idéologie qui se flatte de laisser le réel à ses portes.

Aussi la gauche et l’extrême gauche traitent-elles de fascistes, de nazis, ceux qui ont l’impudence de les contester ; les conservateurs sont stigmatisés, et les réactionnaires assimilés aux bourreaux d’hier. Il ne se passe pas une journée sans qu’on ne nous annonce que le fascisme serait à notre porte – et, le lendemain, tout étonnés de nous découvrir encore vivants, nous nous réveillons et ouvrons les yeux sur la démocratie.

Oui, Pasolini est un mort proche, si familier, à la fois tellement à part, mais si terriblement, si tragiquement, si lucidement humain, qu’il demeure, malgré le passage du temps, en nous, tel un mystère que nous n’essayons pas de déchiffrer à notre mesure.

Parce que ce mystère, c’est moi, c’est nous – avec lui.

Mon ami et allié David Carr-Brown

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Le réalisateur de documentaires britannique David Carr-Brown © Photo : Philippe Lacoche

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Comme toutes les très jeunes femmes, ma Sauvageonne adore sortir. Il y a peu, c’était encore l’été, nous nous sommes rendus au quartier Saint-Leu, à Amiens, et abreuvés au bar Le O’Bélu, en contemplant la Somme et les chevesnes et vandoises qui s’y trouvaient encore. Nous avons eu le plaisir de boire quelques verres en compagnie du cinéaste-documentariste David Carr-Brown. Connu internationalement pour ses réalisations – souvent d’investigation – de grande qualité, il a choisi de s’établir à Amiens en juillet 2022. J’ai fait sa connaissance grâce à mon copain Arnaud Viviant, écrivain, journaliste, critique littéraire (en particulier au Masque et la Plume, sur France Inter) et psychanalyste que j’avais côtoyé quand j’étais journaliste chez Best. « Fais-lui découvrir la ville ! » me dit un soir Arnaud. Ce que je fis tout de go.

Nous prîmes l’habitude, David et moi, de nous retrouver au Cheers, un café très cosmopolite de Saint-Leu qu’il fréquenta jusqu’à se récente fermeture. Et nous sympathisâmes. J’ai toujours aimé les Britanniques (et nos alliés en général) qui nous ont aidé à vaincre, d’abord, nos bons amis d’Outre-Rhin porteurs de casques pointus comme de petits et ridicules paratonnerres, puis ces fumiers de nazis qu’on ne détestera jamais assez et sur lesquels je déverserai de la haine jusqu’à mon dernier souffle. Or, David est l’incarnation même de l’Anglais avec son élégance so british, son léger accent birkinien, et son goût pour nos meilleurs vins rouges. Bref : rapidement, David et moi sommes devenus amis. J’admire ses créations, sa carrière. N’a-t-il pas constitué un fonds d’archives sous forme d’entretiens avec des personnalités aussi diverses qu’épatantes : Susie Delaire, Claude Autant-Lara, Charles Vanel, René Char, etc. ? N’est-ce pas à lui que nous devons le documentaire Tranquillement la peur, diffusé sur Antenne 2, qui connut un franc succès ? N’est-ce pas lui encore qui, en 1983, co-fonda Gamma Télévision, département audiovisuel de l’agence Gamma ? A la même époque, il réalisa une série de trois émissions sous la houlette du philosophe Michel Foucault, notamment sur les Brigades rouges et la Cisjordanie. Puis, dans les années 90, il conçut pour Arte, un film audacieux et très lucide sur l’islam, qui, selon lui, serait impossible à diffuser aujourd’hui. A cela s’ajoute un portrait édifiant de Tony Blair diffusé juste après son élection, et bien d’autres œuvres puisqu’il est l’auteur de quelque cent cinquante films, documentaires, courts-métrages, etc.

De tout cela, nous avons parlé souvent. Mais secrètement, je me demandai ce qui avait bien pu l’attirer dans notre bonne ville d’Amiens. Un jour, il m’a avoué qu’il sentait ici, tout le poids de la Première Guerre mondiale et qu’il avait l’impression que les plaines du Santerre étaient imbibées par le sang de ses ancêtres. Ce n’est pas tout : à Amiens, il adore la gare, la Tour Perret, la cathédrale, l’architecture du club nautique et vénère le quartier Saint-Leu où il rêve d’habiter un de ces jours. Tout de suite, il s’est constitué un réseau d’amis. Dois-je avouer à mon tour que je suis très fier d’en faire partie ?

Taïwan, l’autre front du monde libre

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Le président américain Donald Trump rencontre le dirigeant chinois Xi Jinping en Corée du Sud, à Busan, le 29 octobre 2025 © The White House/UPI/Shutterstock/SIPA

Malgré sa réussite démocratique et économique, Taïwan demeure un paria diplomatique. Pourtant, Taïwan représente désormais un enjeu plus important encore que l’Ukraine, estime notre contributeur.


Donald Trump termine une tournée asiatique qui l’a conduit en Malaisie, en Corée du Sud et au Japon, mais non à Taïwan. Une telle visite aurait été interprétée par Pékin comme une provocation directe. Ce choix illustre le paradoxe d’une situation devenue centrale : Taïwan demeure l’un des plus anciens alliés des États-Unis, tout en représentant la ligne rouge absolue de la République populaire de Chine.

Le véritable test stratégique pour l’Occident ne se situe plus en Europe, mais en Asie, autour de la défense de Taïwan. Pékin revendique sa souveraineté sur l’île et multiplie les démonstrations de force : incursions aériennes, manœuvres navales et attaques informatiques. Une annexion de Taïwan ne constituerait pas seulement une tragédie régionale, mais un bouleversement mondial. Les États-Unis subiraient un revers historique ; le Japon, la Corée du Sud et l’Australie se retrouveraient fragilisés, et l’ensemble du système d’alliances occidental serait ébranlé.

Une chute de Taïwan entraînerait le basculement du Pacifique sous influence chinoise, d’autant que plusieurs États insulaires de la région sont déjà passés dans l’orbite de Pékin. L’île n’est pourtant nullement un « morceau de Chine égaré », mais un État souverain, libre, prospère et démocratique, tout ce que le régime communiste n’est pas.

Une province chinoise ?

L’argument historique selon lequel Taïwan serait une province chinoise ne résiste pas à l’examen. L’île fut d’abord peuplée par des populations aborigènes austronésiennes. Au XVIIᵉ siècle, les Néerlandais et les Espagnols y établirent des comptoirs fortifiés. Ce n’est qu’à la fin du XVIIᵉ siècle qu’elle fut rattachée à la Chine impériale, et pour une période relativement brève au regard des cinq millénaires d’histoire chinoise.

En 1895, à la suite du traité de Shimonoseki, Taïwan devint une colonie japonaise et le resta jusqu’à la défaite de Tokyo en 1945. Après la victoire communiste de 1949, les nationalistes du Kuomintang, dirigés par Tchang Kaï-chek, se réfugièrent sur l’île et y instaurèrent un régime autoritaire sous loi martiale. Depuis cette date, Pékin n’a plus jamais exercé le moindre contrôle sur le territoire. Autrement dit, depuis plus d’un siècle, la Chine ne gouverne pas Taïwan, et le régime communiste actuel ne l’a jamais administrée.

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La transition démocratique débuta à la fin des années 1980 avec la levée de la loi martiale et la création du Parti démocrate progressiste (DPP). Les premières élections libres se tinrent au début des années 1990 et, en 2000, la victoire du DPP marqua la première alternance politique. Taïwan est aujourd’hui une démocratie pleine et stable, dotée d’institutions solides, d’une presse libre et d’une justice indépendante.

Une puissance technologique, un paria diplomatique

Malgré sa réussite démocratique et économique, Taïwan demeure marginalisée sur la scène internationale. Avec ses 23 millions d’habitants, elle n’a ni siège à l’ONU, ni reconnaissance diplomatique de la part des grandes puissances. L’île ne conserve que quelques ambassades, dont celle du Vatican, et reste exclue de l’Organisation Mondiale de la Santé, comme si l’absence de reconnaissance politique suffisait à la soustraire aux épidémies.

Cette situation est la conséquence directe du chantage diplomatique imposé par la Chine populaire, qui exige la rupture de tout lien officiel avec Taipei de la part des États entretenant des relations avec Pékin. Taïwan est donc traitée en paria, malgré une réussite économique spectaculaire. L’île produit plus de 60% des semi-conducteurs mondiaux et près de 90% des puces électroniques de haute performance. Sans elle, les chaînes industrielles mondiales s’interrompraient : plus d’iPhones, plus d’automobiles, plus d’intelligence artificielle.

Une dissuasion fragile, une liberté menacée

La position militaire de Taïwan est singulière. Le Japon, la Corée du Sud et les Philippines bénéficient de traités bilatéraux de défense mutuelle avec les États-Unis : une attaque contre eux entraînerait une réponse automatique. Taïwan n’a pas de traité d’alliance formel avec les États-Unis. Washington n’est donc pas juridiquement tenu d’intervenir en cas d’agression chinoise. Le Taiwan Relations Act de 1979 définit néanmoins une coopération de défense : les États-Unis s’engagent à fournir les armes nécessaires à la défense de l’île et à maintenir une capacité d’intervention dissuasive. Cette « ambiguïté stratégique » vise à décourager Pékin sans provoquer une confrontation directe.

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Dans les années 1970, Taipei avait envisagé un programme nucléaire avant d’y renoncer. Si elle disposait aujourd’hui de l’arme atomique, la Chine oserait-elle encore envisager une invasion ? Le général de Gaulle parlait de la « dissuasion du faible au fort » : l’idée qu’un pays capable de riposter empêche le plus puissant de l’attaquer. Appliqué à Taïwan, ce concept aurait sans doute dissuadé Pékin et renforcé la stabilité régionale.

Un impératif stratégique

Soutenir Taïwan relève d’un impératif stratégique. Une annexion chinoise constituerait une défaite majeure pour l’Occident, une déstabilisation durable du Pacifique — désormais cœur de l’économie mondiale — et un message de faiblesse adressé à toutes les démocraties asiatiques.

Taïwan représente ainsi un enjeu plus important que l’Ukraine. Donald Trump semble l’avoir compris : il a hâte de faire la paix en Ukraine pour que l’Amérique puisse se concentrer sur son seul adversaire véritable, la Chine.

Rio, les faubourgs du désordre

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Une vaste opération policière a été menée ce mardi 28 octobre 2025 dans les quartiers de Penha et d’Alemão, à Rio de Janeiro © IMAGO/Jose Lucena/SIPA

Au Brésil, l’État a cédé le terrain aux seigneurs de guerre des favelas. Face à cet abandon, le gouverneur de Rio de Janeiro, Claudio Castro, figure de la droite brésilienne, a lancé le mardi 28 octobre une opération pour capturer les chefs du Comando Vermelho. Résultat: 121 morts. Dans ces labyrinthes de béton où la loi officielle ne passe plus, les habitants vivent sous l’autorité du crime, plutôt qu’à l’ombre de la loi, raconte Driss Ghali.


Imaginez la Seine-Saint-Denis sans police durant cinq ans. À votre avis, dans quel état sera le département le plus dangereux de France ? C’est à ce jeu stupide et irresponsable que joue Rio de Janeiro depuis 2020. Les génies qui peuplent la Cour suprême brésilienne (STF) ont décidé que la police n’avait plus le droit de mettre les pieds dans les nombreuses favelas de la ville, au nom des droits de l’homme. Résultat : les favelas de Rio de Janeiro sont devenues la capitale du crime au Brésil, attirant des criminels en fuite qui les ont transformées en bastions imprenables. La règle a été légèrement assouplie en avril 2025, permettant le retour timide et temporaire de la police. L’opération de la police carioca qui a fait 121 morts cette semaine s’inscrit dans ce contexte. Son but est très limité, il s’agit simplement d’atténuer les effets de cinq ans de délire légal en pénétrant, ne serait-ce que quelques heures, dans le sanctuaire de la mafia et au passage y saisir des armes et des individus recherchés. Quant à libérer la population du joug des trafiquants, il n’en est pas question, la police locale étant dépassée et le gouvernement de Lula tout à fait opposé à une quelconque remise en cause de l’impunité du Comando Vermelho, la mafia préférée de la gauche brésilienne.

Insurgés

Le Brésil fait face à une offensive majeure du crime organisé. PCC, BDM, OKD, SDC, CV, GDE, TCP, ADA, les murs du pays sont recouverts de sigles remettant à des groupes mafieux qui contrôlent des territoires entiers.  Pendant que les veaux qui peuplent les rédactions mainstream brésiliennes et leurs correspondants bovins dans les chancelleries européennes n’ont d’yeux que pour « la menace Bolsonaro », les Brésiliens, eux, sont soumis à la terreur de la mafia. Un institut très officiel a révélé il y a quelques jours que 25% des Brésiliens sont soumis aux lois du syndicat du crime. Au Ceara, au nord-est du pays, un village entier a été vidé de ses habitants sur ordre du crime organisé qui a loué leurs maisons à d’autres. L’Etat ne fait rien.

Rio de Janeiro exprime l’aboutissement de cette dérive. La police préparée pour lutter contre des bandits fait face à des insurgés. Mardi dernier, 400 hommes lourdement armés ont fait face à la police. 400 hommes ! Ce n’est pas un gang, c’est une force insurrectionnelle. Il a fallu rassembler 2500 hommes pour les encercler et les obliger à se mettre à découvert dans une zone boisée au-dessus d’une colline où les forces spéciales les attendaient en embuscade.

La police de Rio de Janeiro a toujours été structurellement incapable de contrôler les favelas. Depuis que la Cour suprême lui met des bâtons dans les roues, la situation a dégénéré d’une délinquance aggravée vers une insurrection de moyenne intensité.

Depuis cinq ans, 5000 barrières en béton ont fait leur apparition autour des favelas. À l’intérieur de ces frontières nouvelles, la mafia prélève l’impôt, elle dispose du monopole de la vente du gaz butane, de celui de l’internet et de la bière. Uber est interdit, les mototaxis de la mafia s’occupent de la mobilité urbaine. Le trafic de drogue est assez secondaire désormais, le territoire en lui-même rapporte plus. Au-delà des activités économiques que nous venons de décrire, il y a l’usage des favelas comme entrepôt accueillant les centaines de cargaisons dévalisées chaque mois aux quatre coins de la ville : viande rouge, électronique, voitures, médicaments qui amaigrissent etc.

Zones interdites à la police

Plusieurs milliers d’hommes s’entraînent et se réfugient dans les zones interdites à la police. Quatre millions de cariocas y sont coincées et n’ont d’autre choix que de baisser les yeux. Chaque jour, ils voient défiler des hommes en camouflage militaire, portant grenades et fusils d’assaut. Des drones volent constamment au dessus de leur tête, pour l’observation à longue distance mais aussi pour l’attaque au sol. Des anciens soldats ont été recrutés par la mafia et les bonnes pratiques de la guerre ukrainienne ont atterri sous les tropiques plus rapidement que prévu. Les hélicos de la police ne sont plus adaptés, ils sont trop fragiles au vu du calibre des armes utilisées. Il faut des Black Hawk ou des Caracal maintenant. Les blindés de la police sont inutiles, il faut des blindés à chenille pour passer au-dessus des barrières en béton.

La police de Rio de Janeiro appelle à l’aide depuis des mois, l’État fédéral ne répond pas.  Pas question de céder les moyens de l’armée, pourtant stationnée en nombre à Rio de Janeiro, ancienne capitale du pays. Elle dispose des armes et des hommes à la hauteur de la tâche, elle l’a déjà fait brillamment à la veille de la Coupe du Monde de 2014. C’est la guerre mais Lula et l’establishment veulent que la police de Rio de Janeiro la mène avec des pistolets à eau.

Quand la nouvelle a filtré que plusieurs dizaines de criminels ont été abattus par la police de Rio, Lula s’est dit « sidéré ». Il n’a jamais versé la moindre larme lorsque les trafiquants ont massacré des civils ou violé des jeunes filles qui refusaient de participer à leurs fêtes. Quand Trump lui a proposé de classer les deux plus grandes mafias brésiliennes comme groupes terroristes, il a refusé arguant de la souveraineté nationale (mai 2025). Dans son cynisme infini, il fait semblant de croire qu’il est souverain là où la mafia fait la loi. Quand on lui pose la question du trafic de drogue, il répond que « les trafiquants sont victimes des drogués » et qu’il faut les protéger des consommateurs de drogue avant toute chose (octobre 2025).

Aucun mot de consolation pour les quatre policiers morts, pour le commissaire de police amputé de la jambe suite à un tir dans la veine fémorale ni pour les 80 agents des forces de l’ordre blessés.

Le Cour suprême fait encore parler d’elle

On peut croire que le président est fou, cynique ou même complice du trafic, mais comment comprendre l’attitude scandaleuse de la Cour suprême ?

Quelques heures après l’apparition des cadavres de trafiquants, le juge le plus en vue de la Cour suprême, Alexandre de Moraes, a demandé des explications écrites au gouverneur de Rio de Janeiro. Puis, il a annoncé se rendre dans la ville, la semaine suivante, pour vérifier de lui-même le respect des droits de l’homme (des bandits…).  Lui qui ne s’est jamais ému des violations des droits de l’homme des habitants des favelas, victimes d’atrocités aux mains des trafiquants. Il est vrai que comme le juge de Moraes est très occupé à persécuter l’ancien président Bolsonaro, il ne lui reste pas beaucoup de temps pour pourchasser la mafia. Il l’accuse d’avoir mis en danger l’Etat de droit alors qu’il a été aboli dans les favelas de Rio de Janeiro…

Tout porte à croire que l’establishment politico-juridique brésilien favorise la mafia. Comment interpréter autrement la décision surprenante de la plus haute cour électorale du pays de remettre sur la table deux vieux procès contre le gouverneur de Rio de Janeiro, quelques heures à peine après le déclenchement de l’opération dans les favelas ? Il risque d’y perdre son mandat, ce qui serait le meilleur cadeau de Noël à faire au crime organisé. D’ailleurs, le principal chef du Comando Vermelho, la mafia prise pour cible cette semaine, a le droit de publier sur Instagram depuis sa prison ! Il a pu dénoncer l’opération de la police en toute impunité alors qu’il est sous la surveillance de l’Etat fédéral, c’est-à-dire de Lula en définitive. (Il sera transféré dans une prison de haute sécurité par la suite.)

Ce « civil » selon la terminologie employée par le Ministre de la Justice, Ricardo Lewandowski, pour qualifier les membres de la mafia, ce civil donc est accusé d’avoir fait couper les oreilles d’un jeune homme qui a osé draguer sa femme. Quel humaniste ! Quel homme de gauche !

En effet, le Comando Vermelho est né en 1979 dans une prison où étaient mélangés des détenus politiques de gauche et des criminels de droit commun. Les premiers ont converti les seconds aux valeurs de la justice sociale et aux techniques insurrectionnelles. Est née ainsi A Falange Vermelha (la phalange rouge) qui plus tard deviendra O Comando Vermelho (le commandement rouge, aussi appelé CV par ses initiales). L’organisation a depuis longtemps essaimé hors de Rio de Janeiro. Elle contrôle plusieurs corridors de transport de la drogue et de la contrebande à travers le pays. En Amazonie, elle déboise en toute liberté, elle s’active dans l’orpaillage illégal et dans toutes sortes d’activités criminelles. Elle bute sur le PCC, son grand concurrent, basé à São Paulo, et qui se distingue par sa discrétion. Là où le PCC cherche à soigner les apparences, le CV se distingue par son côté scandaleux. L’un fait profil bas et fait croire aux naïfs que la police a le dernier mot, l’autre empêche la police de circuler. Deux philosophies différentes pour un même cancer.

La mansuétude avec le CV ne doit pas faire oublier l’attitude globale des autorités fédérales avec le crime organisé, qu’il soit lié à la gauche ou à la droite. C’est en général une douceur infinie, bien plus ample que ce que l’on constate dans les tribunaux français (c’est dire…). A Rio de Janeiro, par exemple, une mafia que l’on dit proche de la droite prospère tranquillement, elle investit les quartiers ouest de la ville depuis vingt ans : il s’agit de la milice (milicia), composée de policiers et de pompiers renégats.

En réalité, le Brésil est devenu un des premiers pays occidentaux à avoir confié au crime organisé le contrôle de ses périphéries. L’Etat s’organise, ouvertement ou subrepticement, pour que les pauvres soient confiés à la mafia, du moment qu’ils votent comme il se doit aux élections. Le Brésil est un pays à deux vitesses. Il y a le pays utile qui est fliqué constamment par une administration tatillonne, et il y a le pays délégué aux mafias qui produit moins certes mais apporte une ressource inestimable aux yeux de l’establishment : des millions de votes captifs. Mais, ne vous inquiétez-pas, Lula est là et Bolsonaro est en résidence surveillée. La démocratie a donc triomphé !

Arnaud Desplechin: secrets d’artistes

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François Civil et Charlotte Rampling, "Deux pianos" d'Arnaud Desplechin (2025) © Emmanuelle Firman / Why Not Productions

Arnaud Desplechin a, comme tout grand cinéaste, une manière bien à lui de filmer sa propre histoire, avec la distanciation voulue, mais aussi la plus grande sincérité à fleur de peau. Son projet artistique est une passionnante révélation de lui-même. Il reprend avec régularité le même fil narratif, auquel il ne fait subir aucune distorsion majeure. Seuls les personnages changent et apparaissent avec leurs contradictions, et souvent la fatalité de leur existence. C’est que Desplechin ne filme pas d’abord les événements, mais ce qu’ils cachent. Non pas tant le phénomène, pour reprendre le langage de Kant, que le noumène, c’est-à-dire tout ce qui n’apparaît pas à première vue, mais qui est derrière, sous-jacent et que parfois l’art peut rendre visible aux spectateurs attentifs.

Amour de jeunesse et paternité

Quel est le personnage principal du nouveau film de Desplechin, Deux pianos ? Mathias Vogler, pianiste virtuose qui revient du Japon où il s’était volontairement enterré ? Ou Claude, son amour de jeunesse, mariée à Pierre, jadis le meilleur ami de Mathias ? De fait, Deux pianos s’ouvre sur l’image de Claude reflétée dans un miroir, comme pour nous dire que c’est sur elle que le cinéaste veut s’attarder. Sur elle, et sur son fils Simon. Comme toujours, chez Desplechin, l’enfant est celui des autres, même si en réalité le vrai père de Simon se révèle être Mathias. D’où des rapports extrêmement apaisés entre Mathias et Simon, car tous deux sont placés dans une situation idéale pour que leur relation trouve son équilibre. Il y a là une représentation symbolique plutôt intéressante de la paternité, qui ne nie pas la filiation, mais la sublime.

Des personnages « dostoïevskiens »

Deux pianos donne souvent l’impression d’une vie de chaos. La caméra de Desplechin est imprévisible, et toutes les scènes défilent de manière inattendue. Nous sommes loin du classicisme. Aussi bien, le comportement de Mathias échappe à toute logique. C’est un personnage « dostoïevskien » au sens plein du terme. Malgré son talent de pianiste, il erre dans l’existence, sans but. Heureusement, il est flanqué d’un bon génie, Max, son agent, joué par Hippolyte Girardot, qui le sort de toutes les embrouilles dans lesquelles il se fourvoie. Il y a aussi, face à lui, la grande figure impériale, mais déjà sur le déclin, d’Elena, son professeur de piano, jouée superbement par Charlotte Rampling. Elena est une artiste d’une exigence folle, qui ne passe rien à quiconque, pas même à elle-même. Ainsi, elle confie au seul Mathias un secret qui l’obsède : « J’ai un secret, lui dit-elle, je vais arrêter la musique… » Sa mémoire la quitte, elle ne parvient plus à mémoriser les partitions qu’elle joue. Plus grave : « Je perds qui je suis. » Le thème du silence, et de son corollaire, la mort, obsède Desplechin. C’est pourquoi sans doute a-t-il choisi pour cette fois de nous parler du monde de la musique et de ses « virtuoses » déracinés.

Une culture juive essentielle

Comme à son habitude, Desplechin se plaît à multiplier les références au judaïsme et à la culture juive. Cela donne à son propos une belle profondeur. Par exemple, le mari de Claude, Pierre, est juif. Il racontait à sa jeune femme des histoires juives puisées chez Martin Buber, qui la faisaient se tordre de rire. À tel point — moment extraordinaire — que celle-ci, lors de l’enterrement de son mari, va essayer, devant l’assemblée présente, d’en raconter une, mais elle le fait si maladroitement que, dans ces tristes circonstances, sa blague fait un flop retentissant. Du moins, ce détour par l’humour juif pour évoquer l’adultère permet-il à Claude de soulager sa conscience, et peut-être de se réconcilier, au-delà de la mort, avec Pierre.

Un univers désaxé

J’ai eu, au tout début, un peu de mal à entrer dans Deux pianos. Je me demandais comment il fallait comprendre les premières scènes avec Mathias, interprété par le jeune acteur François Civil. Le film, pour moi, a commencé à marcher vraiment à partir du moment où je me suis dit que Mathias n’était pas dans un état psychologique normal, mais que très probablement il luttait contre une « psychose » latente qui, peu à peu, l’envahissait. J’ai pensé alors au Journal d’Hélène Berr, où l’on suit une jeune fille juive, agrégée d’anglais, dans sa vie quotidienne sous l’Occupation allemande, jusqu’au moment où le piège, qu’elle sentait arriver inconsciemment, se referme sur elle. Je dois dire que la manière dont Desplechin arrive à transposer ce climat hypnotique au cinéma, c’est du très grand art.

Nadia Tereszkiewicz © Emmanuelle Firman

La prestation de Nadia Tereszkiewicz dans le rôle de Claude est mémorable. Elle porte le film sur ses épaules, et c’est son interprétation qui, à elle seule, donne son sens à l’histoire. Si tout se termine bien, c’est grâce à elle. Le personnage de Claude rééquilibre parfaitement le propos pessimiste du cinéaste, elle redonne de la joie et de la gaieté à ce qui n’en avait plus. La force de Deux pianos repose sur ce personnage de Claude et son amour de la vie. Le film de Desplechin s’incarne en elle.


Arnaud Desplechin, Deux pianos. Avec Charlotte Rampling, Nadia Tereszkiewicz, François Civil. Drame, 1 h 55. En salle depuis le 15 octobre. 1h 55min

« Histoires ordinaires et extraordinaires », le dernier film de Laurent Firode…

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"Histoires ordinaires et extraordinaires" de Laurent Firode. DR.

…ou comment raconter merveilleusement l’histoire de personnes racontant des histoires.


Au cinéma L’Espace Saint-Michel, à Paris, le samedi à 18h20

Le scénariste et réalisateur Laurent Firode continue de nous enchanter. En plus de ses courts Films à l’arrache mettant en pièces l’écologisme, le progressisme et le wokisme, et après les très réussis Monde d’après 1, 2 et 3 et le magistral Ce qui se voit et ce qui ne se voit pas[1], il vient de réaliser un nouveau petit bijou cinématographique, loin des films subventionnés ressassant les mêmes sujets politiquement corrects. Il y est parvenu avec un budget dérisoire. Le scénario et la réalisation résultent d’une évidente maîtrise technique et esthétique. Les comédiens et les comédiennes sont tous remarquables. La musique d’Igor Dvorkin (Pale Shadow) ponctue idéalement les chapitres de ce magnifique livre d’images filmées. Oyez, oyez, braves gens, le cinéma français n’est peut-être pas (totalement) mort ! 

Film à l’arrache à l’atmosphère troublante

Onze personnes participant à un stage d’écriture doivent écrire une histoire. Tel est le sujet du merveilleux film de Laurent Firode, Histoires ordinaires et extraordinaires[2]. Onze saynètes drôles, poétiques, étranges, bouleversantes ou surprenantes, montrent ces personnes tentant de raconter l’histoire qu’ils doivent écrire. La vie est pleine d’événements qui n’attendent que d’être racontés. La tête des hommes est pleine de rêves et de cauchemars qui n’attendent que d’être écrits. La source des histoires n’est pas près de se tarir. Mais quelle histoire raconter ?
Et comment la raconter ?

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Il existe mille et une manières d’inventer puis de raconter une histoire. Laurent Firode se propose de nous en dévoiler quelques-unes à travers ces personnages qui, rêvant, affabulant, s’inventant une autre vie, tentant désespérément de lutter contre la solitude, de tromper l’ennui ou d’enjoliver une expérience douloureuse, nous ressemblent tant. Des sentiments contradictoires nous envahissent au fil des scènes abordant subtilement différents genres littéraires ou cinématographiques: fantastique, polar, drame, comédie, etc. Une élégante et troublante atmosphère entoure ces êtres en quête d’inspiration. Laurent Firode est un poète facétieux qui use avec humour et tendresse de tous les moyens que son art met à sa disposition pour contrarier la mélancolie qui afflige certains de ses personnages et nous atteint aussi parfois. Lui aussi raconte des histoires. En l’occurence, des histoires de gens racontant des histoires tour à tour distrayantes, cruelles, baroques ou tout bonnement incroyables. Des histoires pleines des désirs, des déceptions, des espérances qui animent et souvent tourmentent les hommes. Le réel, dit le réalisateur en voix off, regorge d’histoires extraordinaires. Il suffit d’être attentif aux détails, aux petites choses inhabituelles, aux circonstances étonnantes. La sensibilité et le pouvoir imaginatif de chacun se chargeront du reste. Car nous sommes tous des inventeurs d’histoires en puissance.

Surprises

Dès les premières secondes de chacune de ces onze histoires, le spectateur ne pourra d’ailleurs pas s’empêcher de chercher à deviner à quel genre littéraire ou cinématographique elle fait référence – romantique, dramatique, fantastique, policier, etc. – et, croyant l’avoir découvert, d’en échafauder la suite. Mais il y aura des surprises. Les histoires de nos écrivains en herbe aboutiront souvent à des dénouements inattendus – l’art du conteur sera d’avoir su retenir l’attention du lecteur ou du spectateur jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’au moment de la récompense suprême : la perceptible émotion de ces derniers, preuve indiscutable d’une histoire réussie. À ce propos, une chose est certaine : l’art de raconter une histoire est un art que, pour notre plus grand plaisir, Laurent Firode maîtrise de bout en bout.

P.S : Laurent Firode prépare en ce moment son prochain long-métrage, Jupiter II – Le Retour, un film satirique sur la réélection d’Emmanuel Macron. Sachant pertinemment qu’aucune subvention publique ne lui sera octroyée, le réalisateur a lancé un appel aux dons privés via son site. 


[1] Ces films sont disponibles en VOD : https://lesfilmslarrache.vhx.tv/products    

[2] Ce film n’est malheureusement visible qu’au cinéma L’Espace Saint-Michel, dans le 5ème arrondissement de Paris, le samedi, séance de 18h20. 

Main basse sur le cinématographe

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Non, Ségolène Royal, les citoyens ne sont pas des petits enfants!

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Ségolène Royal photographiée à Paris le 10 mars 2025 © LAURENT BENHAMOU/SIPA

Coucou! revoilà Maman…


Ségolène Royal publie Mais qui va garder les enfants ? et rappelle aux Français qu’elle est disponible pour 2027, avec un slogan inattendu: « Il est peut-être temps d’avoir une mère de la nation. » Dans son livre, en plus d’un réquisitoire contre le machisme en politique dont elle dit avoir fait les frais pendant des années, en particulier lors de la campagne présidentielle de 2007, Ségolène Royal érige la maternité en modèle de gouvernement : « Présider, c’est aimer, écouter, dialoguer. Comme une mère aime ses enfants », affirme-t-elle, convaincue que « les qualités que l’on prête à l’amour maternel : vigilance, patience, constance, exigence, sont précisément celles que les citoyens inquiets attendent de leurs dirigeants. » Comme c’est touchant…

La France présidente met en garde contre le poison de l’ego

Ségo a raison sur un point : sans les qualités ci-dessus énumérées, le pouvoir peut en effet se déconnecter du réel et devenir une gouvernance narcissique, livrée à des humeurs changeantes, celles d’un enfant-roi ivre de son ego. « Trop de politiques s’aiment eux-mêmes, avec ce poison de l’ego, au lieu d’aimer les autres, ce pour quoi ils ont été élus », tranche-t-elle. Une pique à peine voilée contre l’actuel président.

Notons en premier lieu que ce positionnement materno-politique a de quoi surprendre : au moment où l’esprit du temps célèbre le « no kids » et pratique volontiers le mother-bashing, Ségolène Royal endosse la figure de la « petite mère du peuple » et transforme ainsi un stigmate sexiste en bannière politique. Mais le plus piquant, c’est qu’en plaidant pour la réhabilitation de la maternité, Ségolène Royal se retrouve finalement en rupture avec la gauche qu’elle incarne. Cette vieille figure du socialisme, et très probable future candidate aux primaires de son parti, défend aujourd’hui ce que l’idéologie écoféministe s’emploie à délégitimer : la maternité.

En effet, l’idéologie verte mâtinée de néoféminisme et de millénarisme collapsologique culpabilise à tout va tout projet de reproduction au nom de la planète, transformant le berceau en menace écologique et la maternité en péché contre la grande prêtresse du climat : Gaïa. Comme l’a analysé la journaliste Gabrielle Cluzel dans son essai Yes Kids : enfanter, c’est polluer. Avoir des enfants, c’est égoïste. Fonder une famille, c’est patriarcal ! Ce discours antinataliste infuse dans la société et dans les jeunes générations biberonnées aux discours woke et écolos. Il constitue d’ailleurs l’une des raisons qui expliquent l’effondrement inédit du taux de fécondité, tombé à 1,59 enfant par femme, un record depuis la Première Guerre mondiale. Selon l’INSEE, 15% des jeunes ne veulent plus avoir d’enfants du tout, trois fois plus qu’en 2005.

On assiste donc à l’étrange invocation, par Ségolène Royal, du désir d’être la « mère de la nation », au moment où une partie de la société se détourne de la maternité. Mais au-delà de ce paradoxe truculent, l’ambition matriarcale de Ségolène Royal pose un problème philosophique qui réside dans la confusion des rôles.

Un peu de philosophie…

Car si s’inspirer des qualités morales liées à la maternité (vigilance, constance, exigence, soin) élève la politique, réduire la nation à une famille avec, à sa tête, une mère symbolique, l’infantilise. Et Ségolène Royal pousse la métaphore jusqu’au bout : « D’ailleurs, la République ne les appelle-t-elle pas “les enfants de la patrie” ? Et que dit-on de notre planète, sinon qu’elle est notre Terre-mère ? » Sans en avoir pleinement conscience, Ségolène Royal renoue sans doute avec une tradition que son patronyme résume à lui seul : celle d’un pouvoir héréditaire et domestique, hérité des penseurs de la monarchie absolue du XVIIᵉ siècle, pour qui la nation n’était qu’une grande famille. Grotius (1583-1645), puis surtout Robert Filmer (1588-1653), imaginaient le pouvoir politique sur le modèle du pater familias : le roi, comme le père, devait aimer, protéger et corriger ses enfants. Une théorie du pouvoir « naturel », organique, affectif — bref, autoritaire.

C’est précisément contre cette vision domestiquée et patriarcale de la politique que le philosophe anglais libéral John Locke (1632-1704) s’est insurgé : le pouvoir ne procède pas de la filiation, mais du consentement libre des citoyens. Une nation n’est pas une famille : c’est un contrat entre des adultes responsables, unis par des lois qu’ils se sont librement données et non par un lien de sang ou d’affection. L’amour peut donc inspirer l’action publique, mais il ne fonde pas la légitimité du pouvoir. Gouverner, ce n’est pas materner. Gouverner, ce n’est pas aimer le peuple comme un parent, mais le servir et lui répondre.

La retraite n’existe pas vraiment dans la politique française. Les anciens candidats à l’élection suprême ne quittent jamais tout à fait la scène publique ; ils y reviennent toujours, avec des livres et des promesses… Après tout, pourquoi pas. Le problème de Ségolène Royal c’est qu’elle n’apporte rien.

340 pages

Mais qui va garder les enfants ?

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Yes Kids: La colère d'une mère face aux nouveaux diktats de la famille

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Une gueule d’écrivain

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Jean Cocteau © Yves Debraine

Les Éditions Noir sur Blanc ont réuni une quarantaine de portraits d’écrivains signés Yves Debraine (1925-2011) dans un beau volume à offrir en fin d’année. Les grands « monstres » de la littérature mondiale, Simenon, Nabokov, Giono ou encore Pagnol sont saisis dans leur intimité et nous délivrent une part de leur vérité…


Il ne suffit pas d’avoir écrit un livre. Ce n’est qu’un point de départ. Minuscule, presque dérisoire à l’aune de la montagne à gravir. Encore faut-il le porter, le soutenir, l’incarner et le faire voyager à travers les âges. Au-delà de la qualité intrinsèque d’une œuvre, la tambouille interne, c’est-à-dire le ton, le rythme et le fond ; l’écrivain est le miroir de sa propre création qu’il le veuille ou non ; son image sera plus forte que ses mots. Elle le trahira même souvent. Une gueule d’écrivain, ce n’est pas donné à tout le monde. C’est un cadeau du ciel et ça peut compliquer la vie au quotidien. Malheur à celui qui ne dégage rien devant l’objectif, mollesse du visage, regard absent, traits fades, expressions éteintes, physique transparent, ni beau, ni laid, cette médiocrité-là, moyenne et lasse, est de nature à inquiéter les libraires. Ils veulent des personnalités, des aspérités, en somme des personnages pour leurs séances de signature à la rentrée littéraire.

La tête de l’emploi

Pour un éditeur, une gueule passe-partout est une faute professionnelle : Faites quelque chose pour capter l’attention de vos lecteurs, je ne sais pas moi, laissez-vous poussez la moustache, enlevez cette cravate à pois, bougez-vous, mon vieux ! Si vous croyez que vos phrases suffiront à vendre le premier tirage…On ne le dit pas assez mais le drame involontaire pour un auteur aussi talentueux soit-il est la profonde indifférence qu’il inspire. Sans saisissement instantané de la rétine, les listes de prix s’éloignent. Depuis l’apparition de la photographie, et encore plus avec l’émergence de la télévision qui oblige à des contorsions scabreuses, l’écrivain doit montrer sa bobine dans les journaux pour exister. Avant d’entamer la lecture d’un pavé, le lecteur se renseigne d’abord sur cet auteur inconnu. A-t-il la gueule de l’emploi pour que je dépense le double d’un ticket de cinéma ? Dans ses Portraits d’écrivains, ouvrage élégant réalisé sous la direction de son fils Luc, le travail d’Yves Debraine, Suisse d’origine française atteint des hauteurs esthétiques et une sincérité journalistique, cet alliage-là est précieux. Il y a une forme de religiosité à pénétrer l’intimité d’un écrivain à travers sa silhouette, son corps et sa présence. Le photographe s’était installé à Lausanne dès la fin des années 1940 et deviendra la référence helvétique du reportage-photo dans le monde entier, une pointure des grands prix de Formule 1 et notamment le portraitiste fidèle de Chaplin, de la famille Dominici au procès du vieux ou de Simenon dans son château d’Echandens. Ses portraits dans la presse magazine d’après-guerre alors florissante ont fait les grandes heures de Life, Time, Paris-Match, L’Express, Stern ou Epoca.

Bibliothèque idéale

L’ex-engagé dans un corps franc à 18 ans, incorporé dans la 1ère armée du général de Lattre de Tassigny a résisté au sensationnalisme. Son goût pour la lecture se remarque au premier coup d’œil. Il l’a sauvé des travers de la profession de reporter, croulant sous les conquêtes, homme pressé dévalant les Nationales en roadster, un soir à Portofino, au petit matin chez Castel. La mythologie de cette époque-là est tenace. Au contraire, « sa vie durant, Yves Debraine a aimé les romans, les ouvrages d’histoire, les polars, les essais, les biographies, sans compter les magazines et les journaux auxquels il collaborait » écrit son fils, en préambule. « L’hommage d’un photographe à l’acte d’écrire » est une épitaphe qui convient à ce recueil soyeux, nostalgique, une plongée dans le monde d’avant avec cette galerie de gueules pas possibles.

Debraine a photographié notre bibliothèque idéale. On y voit, entre autres, Cocteau cabot et songeur à Milly-la-Forêt ; Patrick Rambaud chevelu et barbu jouant au billard ; Chessex faux sergent Garcia et vrai ogre littéraire à sa table de travail ; Clavel stoïque, les pieds plantés dans des vignes ; Albert Cohen en pyjama de soie et pochette blanche ne sachant pas s’il va guincher ou se coucher ; Giono tapant la conversation avec son facteur du côté de Manosque ; Henri Guillemin et ses longues mains ; les sourcils broussailleux et inquiétants de John Le Carré ; la veste « Pinder » de Paul Morand ; le profil de sénateur romain de Nabokov ; Pagnol faisant la fête à son chien ; le carré strict de Han Suyin ou l’œil farceur d’Henri Vincenot dans son village de Bourgogne. Et puis, Debraine stoppe des moments d’histoire comme cette rencontre « froide » de septembre 1963 entre Ian Fleming et Simenon, le père de Maigret avec sa pipe à la Tati observe, le dos courbé la Studebaker de l’espion de sa majesté, un brin facétieux et moqueur. La série consacrée à Frédéric Dard datant de novembre 1976 est splendide, l’auteur ressemble tantôt à un patron de boîte de nuit, cintré dans un caban en cuir, tantôt en bourgeois lyonnais installé à son bureau, un basset hound à ses pieds. Debraine nous fait aimer les écrivains, c’est une étape essentielle pour aimer la littérature.

Portraits d’écrivains – De Cocteau à Simenon – Yves Debraine – Les Éditions Noir sur Blanc 198 pages

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RN gagnant

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Marine Le Pen à l'Assemblée nationale, hier © NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Le mouvement de Marine Le Pen a profité hier de sa niche parlementaire et de l’absence de nombreux députés pour faire adopter une résolution visant à dénoncer les accords migratoires de 1968 avec l’Algérie, révélant à la même occasion l’effritement du fameux «front républicain». Malgré l’inapplicabilité juridique de son initiative, le RN parvient à capitaliser sur l’impuissance perçue de la France face à l’Algérie, et renforce son influence auprès de l’opinion.


Qui ira dire encore que Marine Le Pen, ses députés, son camp ne sont pas en politique de bons manœuvriers ? Voilà qu’ils viennent de s’offrir une jolie petite victoire. Petite parce que sans véritable effet concret sur la donne du moment puisque essentiellement symbolique, mais victoire quand même, d’une part du fait du score et plus encore en considération de l’habileté avec laquelle le piège RN a été ourdi.

185 voix contre 184 en faveur du rejet des accords de 1968 régissant les relations franco-algériennes en matière d’immigration et d’accueil sur le sol de France des ressortissants d’outre-Méditerranée. Voilà pour le score.

A lire aussi: La peur du peuple, dernier programme politique à la mode

La subtilité du piège RN consistait tout simplement à profiter de la fenêtre de tir de sa niche parlementaire pour, sur ce sujet particulier, acculer quelques dizaines de bonnes âmes de notre représentation nationale à mettre leurs actes en conformité avec leurs paroles. Bonnes âmes qui, depuis des mois, ne cessaient de critiquer lesdits accords, notamment depuis le sort ignoble réservé à notre écrivain Boualem Sansal et au journaliste Christophe Gleizes. Par son initiative parlementaire, Marine Le Pen et ses élus ont contraint ces beaux parleurs tout simplement à passer du blablabla de convenance pour plateaux TV au geste solennel du vote. On imagine assez bien combien certains d’entre eux ne l’ont accompli, ce geste, que de l’extrême bout de la conscience, en se pinçant le nez et en serrant les fesses de trouille dans la perspective des représailles à venir de leurs habituels supplétifs électoraux gauchos-écolos-insoumis lors des prochains scrutins, notamment locaux.

Une voix, une voix seulement, se gaussent les mauvais perdants. Mais c’est aussi à une voix seulement que, le 30 janvier 1875, lors du vote d’un article additionnel présenté par le député Wallon que le mot République a fait son entrée dans notre arsenal constitutionnel, ce qui a fait dire que la République, notre République, doit donc à un seul suffrage, à un cheveu donc, d’avoir vu réellement le jour.

Victoire, indéniablement, pour Marine Le Pen et le RN. Certes, ce n’est pas encore tout à fait l’union des droites que d’aucuns appellent de leurs vœux. Mais c’est bel et bien la désunion du camp des têtes molles, des mous du genou. C’est surtout, qu’on le veuille ou non, une brèche ouverte dans le mur des contres. Un tabou est tombé : l’interdit suprême de mêler son vote à celui du diable et sa voix au chœur des tenants de la peste brune ! Pensez ! Le front du rejet, prétendument républicain, se trouve effrité, entamé. Là est bien un des aspects de la victoire en effet. Elle réside aussi, cette victoire, dans le fait que les lâches ont été forcés en la circonstance de tomber le masque. Ainsi de M. Attal. Excusé, semble-t-il. Faute d’avoir sérieusement enquêté sur la question, je ne saurais dire s’il avait à ce moment-là piscine ou poney. Je penche pour poney car, bien que rêvant de grand bain, l’intéressé, à la piscine comme en politique, ne réussit guère à passer au-delà de la pataugeoire.

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Victoire toujours du RN – et non la moindre de mon point de vue – pour avoir réussi l’exploit qu’un vote de la représentation nationale se révèle enfin conforme à ce que pense et attend la population dans son ensemble. Rappelons-le, elle est à plus de 72% (voire davantage selon certains sondages) favorable au rejet pur et simple des accords en question. Rejet, non renégociation, n’en déplaise à la contrefaçon de gouvernement que nous subissons en ce moment.

Cela dit, il en faudra bien d’autres, des votes de cette nature, en phase avec les aspirations du pays réel, pour que sa classe politique recouvre une once de crédit. Mais ne boudons pas notre plaisir. Et saluons comme il convient cette victoire. Accessoirement, voyons-y un premier pas des plus encourageants…

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Gaza: une milice peut en cacher une autre

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Des membres des Brigades Al-Qods, la branche militaire du groupe Jihad islamique palestinien dirigé par Ziyad al-Nakhalah, défilent dans les rues de la ville de Gaza, octobre 2018 © Mahmoud Issa / SOPA Image/SIPA

La place du futur ennemi numéro un d’Israël serait-elle à prendre ? Le Jihad islamique palestinien apparait comme l’organisation la mieux placée pour prendre la tête du terrorisme palestinien à la place du Hamas en cas de neutralisation de ce dernier. Analyse.


La libération des 20 derniers otages vivants retenus dans la bande de Gaza le 13 octobre dernier a constitué un immense soulagement que l’on doit en grande partie à Donald Trump. Dans la poursuite de sa quête avouée d’obtenir le prix Nobel de la paix, le Républicain a actionné tous les leviers à sa disposition pour aboutir à un résultat qui paraissait difficilement envisageable ; permettant ainsi de paver la voie à une possible cohabitation pacifique entre Palestiniens et Israéliens. Néanmoins, le plan Trump comprend plusieurs incertitudes.

Angles morts

Si l’on part du postulat que le Hamas acceptera de déposer les armes, ce qui semble par ailleurs hautement improbable, le danger que constituent les nombreux autres groupes terroristes disséminés dans l’enclave se situe dans un des angles morts du plan.

La plupart des factions armées palestiniennes, ayant jusqu’ici bénéficié de l’ombre projetée par le Hamas, sont toujours actives et présentent des modus operandi qui nécessiteront des approches différentes pour les neutraliser. Si le scénario d’un désarmement du Hamas venait à se concrétiser, il est évident que ces nombreuses organisations continueront de faire planer une menace sécuritaire d’envergure sur Tel Aviv ; le Jihad islamique palestinien reprenant alors le rôle du Hamas comme élément le plus en vue du terrorisme palestinien.

Le Hamas, partie émergée de l’iceberg ?

Dès que les premières images des attaques terroristes du 7 octobre 2023 furent diffusées, le narratif quasi-unanimement proposé par les médias occidentaux laissait à penser que seuls les hommes de la branche armée du Hamas, les brigades Izz al-Din al-Qassam, avaient participé aux atrocités commises ce jour-là. Bien qu’orchestré par Yahya Sinwar, chef de la branche armée du Hamas, le « déluge d’al-Aqsa » a en réalité impliqué au moins cinq autres groupes palestiniens selon Moussa Abu Marzouk, l’un des responsables du Hamas[1].

L’un des ouvrages de Mohamed Sifaoui, spécialiste du terrorisme islamiste, a révélé que le pogrom du 7 octobre faisait l’objet d’une préparation minutieuse remontant à 2020 sous la direction d’un organe appelé « chambre des opérations »[2]. A l’exception notable du Fatah, cette chambre servait d’outil de communication et de coordination entre toutes les factions impliquées, ces dernières ayant mis de côté leurs divergences politiques ou religieuses pour se rassembler en son sein. Les brigades Abou Ali Mustapha, branche militaire du Front populaire de libération de la Palestine d’orientation marxiste-léniniste, ont ainsi participé aux attaques du 7 octobre.

A lire aussi, Gil Mihaely: Israël-Hamas: qui perd gagne?

Il en va de même pour les brigades An-Nasser Salah al-Din, faction de la bande de Gaza qui contribue également aux forces de police officiant dans l’enclave. Sa collaboration avec le Hamas n’est pas nouvelle puisque c’est à cette brigade que l’on attribue l’enlèvement du soldat israélien Gilad Shalit en 2006. Ce dernier sera libéré en 2011 en échange de plus de mille prisonniers palestiniens dont Yahya Sinwar[3]. Les Brigades des Martyrs d’al-Aqsa, qui comptaient 5 000 hommes avant les attentats du 7 octobre, autrefois associées au Fatah mais partageant l’idéologie islamiste du Hamas, ont aussi contribué aux attaques. Tout comme les Forces du martyr Omar al-Qassem, branche armée du Front démocratique de la libération de la Palestine qui ont revendiqué leur participation aux attaques et continuent d’émettre des communiqués établissant leur responsabilité dans d’autres opérations terroristes via des canaux tels que l’agence de presse yéménite Saba.

Dès lors, on voit bien qu’attribuer les attaques terroristes du 7 octobre aux seuls militants du Hamas est une lecture très incomplète des évènements qui permet indirectement aux autres factions terroristes impliquées de rester dans l’ombre. Il résulte de ces éléments que le simple fait de neutraliser le Hamas ne suffira pas à assurer la sécurité d’Israël, la menace terroriste s’en accommodera et changera tout simplement de visage.

Le Jihad islamique palestinien, futur ennemi numéro un d’Israël ?

Considérée comme la deuxième organisation terroriste la plus influente de la bande de Gaza, le Jihad islamique palestinien pouvait s’appuyer sur 10 000 combattants avant le 7 octobre 2023. Bien qu’émanant également des Frères musulmans, il se distingue du Hamas en ce qu’il lui reproche une approche insuffisamment islamique de la gouvernance de l’enclave. Il refuse par ailleurs catégoriquement tout rôle politique, une absence d’ambition politique qui permet aux deux groupes de collaborer. Cette organisation terroriste apparaît aujourd’hui comme la mieux placée pour prendre la tête du terrorisme palestinien à la place du Hamas en cas de neutralisation de ce dernier.

Fondé en 1981 par Fathi al-Shiqaqi, le Jihad islamique palestinien s’est signalé aux yeux du grand public par une série d’attentats suicides perpétrés afin d’enrayer la mécanique de paix enclenchée par les accords d’Oslo signés en 1993. A l’inverse du Hamas, ils refusent d’envisager toute négociation, y compris dans le but de mener à un cessez-le-feu. Ses militants se distinguent par des attaques au couteau et bien entendu par des attentats-suicides à la bombe, signature du groupe.

Contrairement au Hamas, la distinction entre branches politique et militaire n’a aucun sens pour le Jihad islamique palestinien. L’organisation en tant que telle se confond avec sa branche armée, les Brigades al-Qods, qui perpétue et revendique les attentats commis en son nom. La communication de ces Brigades, effectuée via leur site internet se confond avec celle du Jihad islamique palestinien qui met à profit ses propres médias[4].

Les ambitions pour l’enclave du groupe désormais dirigé par Ziad al-Nakhalah sont également plus radicales d’un point de vue religieux que celles du Hamas, de quoi laisser craindre un système d’endoctrinement encore plus prononcé que celui mis en place par le Hamas depuis sa création puis son élection. Si tous deux souhaitent une Palestine indépendante, le Jihad islamique palestinien entend en faire un État religieux plus proche de ce que fut le califat de l’État islamique en Irak et en Syrie. Sa propension à embrasser sans réserve les intérêts de Téhéran en fait par ailleurs un allié plus fiable aux yeux du régime des mollahs que le Hamas[5].

Enfin, contrairement au Hamas, le Jihad islamique palestinien dispose d’hommes en Cisjordanie. Le groupe accuse fréquemment Israël de vouloir annexer le territoire[6] et oblige Tsahal à devoir garder un œil sur les agissement du groupe terroriste depuis la Cisjordanie. Une récente opération menée par l’armée israélienne dans le nord de la Cisjordanie ayant permis la neutralisation de deux membres du Jihad islamique palestinien illustre que ce dernier peut frapper depuis l’ensemble du territoire palestinien[7].

La disparition du Hamas serait certes une première victoire d’importance, mais la guerre contre le terrorisme palestinien n’en serait donc pas achevée pour autant.


[1] https://www.bbc.com/afrique/articles/c99ezy1r55lo

[2] Mohamed Sifaoui, Hamas : plongée au cœur du groupe terroriste, 2024, p. 255.

[3] https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/yahya-sinwar-attentats-7-octobre-liberation

[4] https://www.nationalsecurity.gov.au/what-australia-is-doing/terrorist-organisations/listed-terrorist-organisations/palestinian-islamic-jihad

[5] https://fr.timesofisrael.com/liran-au-jihad-islamique-vous-avez-prouve-que-vous-pouvez-ecraser-lennemi

[6] https://www.lefigaro.fr/international/cisjordanie-le-djihad-islamique-accuse-israel-de-vouloir-annexer-le-territoire-occupe-20250224

[7] https://www.longwarjournal.org/archives/2025/09/israeli-operation-kills-2-palestinian-islamic-jihad-terrorists-in-west-bank.php