Malgré sa réussite démocratique et économique, Taïwan demeure un paria diplomatique. Pourtant, Taïwan représente désormais un enjeu plus important encore que l’Ukraine, estime notre contributeur.
Donald Trump termine une tournée asiatique qui l’a conduit en Malaisie, en Corée du Sud et au Japon, mais non à Taïwan. Une telle visite aurait été interprétée par Pékin comme une provocation directe. Ce choix illustre le paradoxe d’une situation devenue centrale : Taïwan demeure l’un des plus anciens alliés des États-Unis, tout en représentant la ligne rouge absolue de la République populaire de Chine.
Le véritable test stratégique pour l’Occident ne se situe plus en Europe, mais en Asie, autour de la défense de Taïwan. Pékin revendique sa souveraineté sur l’île et multiplie les démonstrations de force : incursions aériennes, manœuvres navales et attaques informatiques. Une annexion de Taïwan ne constituerait pas seulement une tragédie régionale, mais un bouleversement mondial. Les États-Unis subiraient un revers historique ; le Japon, la Corée du Sud et l’Australie se retrouveraient fragilisés, et l’ensemble du système d’alliances occidental serait ébranlé.
Une chute de Taïwan entraînerait le basculement du Pacifique sous influence chinoise, d’autant que plusieurs États insulaires de la région sont déjà passés dans l’orbite de Pékin. L’île n’est pourtant nullement un « morceau de Chine égaré », mais un État souverain, libre, prospère et démocratique, tout ce que le régime communiste n’est pas.
Une province chinoise ?
L’argument historique selon lequel Taïwan serait une province chinoise ne résiste pas à l’examen. L’île fut d’abord peuplée par des populations aborigènes austronésiennes. Au XVIIᵉ siècle, les Néerlandais et les Espagnols y établirent des comptoirs fortifiés. Ce n’est qu’à la fin du XVIIᵉ siècle qu’elle fut rattachée à la Chine impériale, et pour une période relativement brève au regard des cinq millénaires d’histoire chinoise.
En 1895, à la suite du traité de Shimonoseki, Taïwan devint une colonie japonaise et le resta jusqu’à la défaite de Tokyo en 1945. Après la victoire communiste de 1949, les nationalistes du Kuomintang, dirigés par Tchang Kaï-chek, se réfugièrent sur l’île et y instaurèrent un régime autoritaire sous loi martiale. Depuis cette date, Pékin n’a plus jamais exercé le moindre contrôle sur le territoire. Autrement dit, depuis plus d’un siècle, la Chine ne gouverne pas Taïwan, et le régime communiste actuel ne l’a jamais administrée.
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La transition démocratique débuta à la fin des années 1980 avec la levée de la loi martiale et la création du Parti démocrate progressiste (DPP). Les premières élections libres se tinrent au début des années 1990 et, en 2000, la victoire du DPP marqua la première alternance politique. Taïwan est aujourd’hui une démocratie pleine et stable, dotée d’institutions solides, d’une presse libre et d’une justice indépendante.
Une puissance technologique, un paria diplomatique
Malgré sa réussite démocratique et économique, Taïwan demeure marginalisée sur la scène internationale. Avec ses 23 millions d’habitants, elle n’a ni siège à l’ONU, ni reconnaissance diplomatique de la part des grandes puissances. L’île ne conserve que quelques ambassades, dont celle du Vatican, et reste exclue de l’Organisation Mondiale de la Santé, comme si l’absence de reconnaissance politique suffisait à la soustraire aux épidémies.
Cette situation est la conséquence directe du chantage diplomatique imposé par la Chine populaire, qui exige la rupture de tout lien officiel avec Taipei de la part des États entretenant des relations avec Pékin. Taïwan est donc traitée en paria, malgré une réussite économique spectaculaire. L’île produit plus de 60% des semi-conducteurs mondiaux et près de 90% des puces électroniques de haute performance. Sans elle, les chaînes industrielles mondiales s’interrompraient : plus d’iPhones, plus d’automobiles, plus d’intelligence artificielle.
Une dissuasion fragile, une liberté menacée
La position militaire de Taïwan est singulière. Le Japon, la Corée du Sud et les Philippines bénéficient de traités bilatéraux de défense mutuelle avec les États-Unis : une attaque contre eux entraînerait une réponse automatique. Taïwan n’a pas de traité d’alliance formel avec les États-Unis. Washington n’est donc pas juridiquement tenu d’intervenir en cas d’agression chinoise. Le Taiwan Relations Act de 1979 définit néanmoins une coopération de défense : les États-Unis s’engagent à fournir les armes nécessaires à la défense de l’île et à maintenir une capacité d’intervention dissuasive. Cette « ambiguïté stratégique » vise à décourager Pékin sans provoquer une confrontation directe.
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Dans les années 1970, Taipei avait envisagé un programme nucléaire avant d’y renoncer. Si elle disposait aujourd’hui de l’arme atomique, la Chine oserait-elle encore envisager une invasion ? Le général de Gaulle parlait de la « dissuasion du faible au fort » : l’idée qu’un pays capable de riposter empêche le plus puissant de l’attaquer. Appliqué à Taïwan, ce concept aurait sans doute dissuadé Pékin et renforcé la stabilité régionale.
Un impératif stratégique
Soutenir Taïwan relève d’un impératif stratégique. Une annexion chinoise constituerait une défaite majeure pour l’Occident, une déstabilisation durable du Pacifique — désormais cœur de l’économie mondiale — et un message de faiblesse adressé à toutes les démocraties asiatiques.
Taïwan représente ainsi un enjeu plus important que l’Ukraine. Donald Trump semble l’avoir compris : il a hâte de faire la paix en Ukraine pour que l’Amérique puisse se concentrer sur son seul adversaire véritable, la Chine.
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