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Éva Joly recycle la justice

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Éva Joly
Éva Joly : inflexible un jour, inflexible toujours.

C’est Claude Chabrol qui avait raison. Dans L’ivresse du pouvoir, le réalisateur confiait à Isabelle Huppert le rôle d’une juge d’instruction qui enquête sur une affaire politico-financière et se retrouve vite grisée par la toute-puissance qu’elle croit être la sienne. Le « troisième pouvoir », nous dit Chabrol, n’est pas indemne des tares dont on afflige à l’habitude les deux premiers. C’est que l’ordre judiciaire est aussi un pouvoir. Il traque le soupçon, mais n’est jamais au-delà de tout soupçon.

La faculté de juger ? Non, « l’envie du pénal »

De la rue bordelaise des Frères-Bonie (siège de l’École nationale de la magistrature, ENM) à la Cour de cassation, la magistrature connaît brigues et intrigues, bassesses et manipulations, course aux honneurs et marche forcée vers le déshonneur.

Elle n’est pas un club fermé d’anciens enfants de Marie qui auraient recyclé leur vocation précoce dans un statut de vestales républicaines. Chabrol a trop lu Balzac pour savoir que, dans la comédie humaine qui se joue devant nous et à laquelle nous participons, le pouvoir corrompt. C’est sa nature ; et c’est la raison pour laquelle Montesquieu peut écrire qu’on pourrait bien former « une république de démons ». L’angélisme n’est pas requis en république.

À la sortie du film, Éva Joly avait pourtant jugé bon de juger le scénario. Dénuée de toute compétence cinématographique et dotée d’un goût artistique proche de celui du saumon (l’animal est doué pour remonter tous les courants), elle aurait pu s’abstenir. Non. Il fallait qu’elle juge. Elle le jugea mauvais. Car juger, l’ex-juge d’instruction du pôle financier de Paris ne sait faire que ça. C’est sa marotte. Plus encore, sa raison de vivre. On ne parle même pas, ici, de ce que Kant appelait la « faculté de juger » et qui est le b-a-ba de la raison critique, c’est-à-dire de la modernité. Non. Rien à voir. Pour Éva Joly, le jugement n’est pas cette faculté qu’exerce sur le monde tout être doué de raison, c’est l’expression d’un bon gros « désir de pénal » : un « tous pourris » universel opposé à la sainteté du corps glorieux du Juge.

[access capability= »lire_inedits »]Il y a du Torquemada chez cette femme-là : cette idée présomptueuse selon laquelle la magistrature serait platoniquement syndiquée au Juste, au Bon et au Bien (d’où, certainement, le nom de Syndicat de la magistrature) et le vulgaire (entendez le bas peuple, la valetaille, qui n’a pas réussi le concours de l’ENM et se complaît en cette situation) un être malade qu’il faudrait sans cesse corriger de sa singulière appétence à faire le Mal.

Nous avons déjà eu une Éva Joly dans l’histoire : elle s’appelait Robespierre

Fin août, la jugesse était à Groix pour préparer la rentrée politique d’Europe Écologie (le parti qu’elle a rallié, après avoir dansé le tango, dans une valse-hésitation qui dura près d’un an, avec François Bayrou). Interrogée sur ses désaccords avec le Parti socialiste et Martine Aubry, elle confie à Mathieu Escoffier, journaliste à Libération, qu’elle ne connaît pas la première secrétaire, mais qu’elle a « mis Dominique Strauss-Kahn en examen ». C’est son ça-m’suffit politique : rien à cirer des idées de DSK, de ce qu’il fait au FMI, de ce qu’il aurait à proposer, le cas échéant, pour la France, en 2012.

La jugesse a jugé : elle l’a mis en examen. Elle ne précise pas si elle l’a conduit elle-même au poste. Même l’implacable Javert, qui avait passé sa vie à traquer Valjean, s’est mis à douter à la fin des Misérables. Au vrai, il douta si fort de la culpabilité de Valjean qu’il se noya dans la Seine. Pas Mme la juge ! Elle est plus fortiche que l’inspecteur Javert. La présomption d’innocence, c’est pas son truc. Elle se contente de nous la jouer façon Schpountz de Marcel Pagnol : « Tout condamné à mort aura la tête tranchée. »

Elle s’en bat même le coquillard de savoir si la mise en examen de Dominique Strauss-Kahn avait un début de bien-fondé. L’histoire nous dit que non. Les annales judiciaires nous racontent que la juge la plus zélée de France et de Norvège réunies se serait mis le doigt dans l’œil. Pas le petit doigt, mais le gros orteil du pied : la mise en examen se conclut par un non-lieu.

Mais de ça, un non-lieu, pensez bien, la dame n’a rien à faire. Qu’elle ait pu, à l’époque, commettre un impair, pour ne pas se laisser distancier par des collègues et néanmoins concurrents, éloignez de vous cette idée ou vous aurez, vous aussi, la tête tranchée ! Un, deux, trois : retenez la leçon. Un, deux, trois : Éva Joly a raison.

Le problème, c’est que nous avons déjà eu, en France, une Éva Joly. Elle s’appelait Maximilien Robespierre. « Tout ce qui est moral est politique et tout ce qui est politique doit être moral. » On a vu la suite. On a vu où conduisait le gouvernement des juges : à la Terreur, c’est-à-dire à la destruction totale de l’état civil. Bon, vous me direz, parce que vous avez lu Jean-Jacques Rousseau, qu’à l’état civil s’oppose l’état de nature. D’accord : l’état de nature, c’est écolo. Mais si Mme Joly pouvait remplacer par une bouteille de vodka le verre de rhum habituel, ça nous arrangerait.[/access]

Chabrol, mort d’un sniper

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« Le terrorisme gauchiste et le terrorisme étatique, quoique leurs mobiles soient incomparables, sont les deux mâchoires du même piège à cons. » La phrase est de Jean-Patrick Manchette dans Nada mais elle est reprise telle quelle dans l’adaptation que Claude Chabrol fit en 1974 de ce roman noir vachard et très politique. Nada raconte comment un groupe d’extrême gauche décide d’enlever l’ambassadeur des Etats Unis, se fait manipuler par le pouvoir et les polices parallèles avant de terminer son épopée dérisoire dans un carnage général. Le film est une critique impitoyable des années Marcellin quand on pratiquait la chasse à l’ennemi intérieur dans des 404 bourrées d’hommes de main du SAC et que les gauchistes flirtaient avec des envies de lutte armée. Nada résume ainsi très bien la façon madrée dont Chabrol procédait: se décentrer en permanence pour trouver l’angle de tir qui permet d’aligner en sniper de la caméra une société dans son ensemble.

Pas de chef d’œuvre, peut-être, mais une œuvre

L’erreur serait de penser que dans ce film comme dans tant d’autres, il renvoie tout le monde dos à dos et adopte une posture d’anar de droite à laquelle on l’a trop souvent réduit. D’abord, l’appellation ne veut pas dire grand chose puisque l’anar de droite n’est ni anar ni de droite mais plutôt égaré dans une rêverie féodale où l’amitié et la loyauté seraient les seules valeurs d’usage acceptables. Ensuite Chabrol était plutôt un bourgeois sceptique, jouisseur, provincial, cachant derrière ses satires de mœurs et sa bonhomie rigolarde une inquiétude permanente et réelle devant la seule chose qu’il estimait hautement comique mais aussi très dangereuse : la bêtise.

Il n’était pas fils de pharmaciens de la Creuse pour rien et il s’est tout le temps souvenu de la figure de Homais, au point de confier le rôle du potard normand positiviste à un de ses acteurs fétiche, Jean Yanne, quand il adapta Madame Bovary en 1991.

En ce moment, donc, c’est Nada notre Chabrol préféré, celui que nous avons revu hier soir en DVD pour rendre notre hommage personnel à un cinéaste qui nous a appris, notamment, le mauvais esprit ou l’esprit de contradiction, comme on voudra. C’était un DVD import de surcroît, commandé sur Internet il y a quelques temps déjà : la politique de réédition des grands cinéastes de la Nouvelle Vague, qu’il s’agisse de Rohmer ou de Godard est en effet soumise à un arbitraire aléatoire qui laisse de grands trous dans les collections de l’amateur.

La question de l’œuvre préférée chez un artiste qu’on aime est finalement la seule qui vaille. Surtout quand l’artiste en question en a produit beaucoup : Chabrol n’avait pas la prolixité foutraque de son copain Mocky mais il est tout de même l’auteur d’une bonne soixantaine de films pour le cinéma et d’une vingtaine pour la télévision.

Chabrol aimait beaucoup Simenon et Balzac. On a tous, par exemple, un Simenon préféré. Ou un Balzac. D’ailleurs, souvent, cela change avec les saisons, l’âge, les circonstances. Nada laissera peut-être chez moi la place un de ces jours, je ne sais pas, à La femme infidèle (1968) où Maurice Ronet joue le rôle d’un écrivain à l’époque où c’était encore un métier presque sérieux et vit dans une garçonnière de rêve. On explique souvent que si Chabrol aimait Simenon et Balzac, c’est parce que ces deux romanciers conjuguent peinture plus ou moins critique de la société et exploration de l’âme humaine. Sans doute.

Mais c’est aussi parce que Chabrol, comme Simenon ou Balzac, avait parfaitement conscience qu’il n’était pas homme à produire un chef d’œuvre, cette rareté encombrante, mais qu’il pouvait au moins, à défaut, réussir à faire une œuvre, ce qui souvent vaut mieux pour la postérité. Les chefs d’œuvre, comme les monuments, ont en effet ceci d’un peu triste qu’on passe tout le temps devant mais qu’on n’y entre plus.

Tandis qu’une œuvre se joue sur la longueur et c’est quand on se retourne et que l’on regarde l’ensemble qu’on s’aperçoit de la dimension réelle de l’édifice. Si aucun film de Chabrol n’est génial en soi – quelques-uns sont de vrais navets -, le panorama général d’un demi-siècle d’histoire de la société française qu’il a peint en direct est unique en son genre.

L’ivresse d’Eva Joly

Donc, si vous aimez Chabrol, demandez-vous tout de suite, sans réfléchir, celui que vous voudriez revoir. France 2 a choisi très vite, dès dimanche soir. La chaine de service public a diffusé L’ivresse du pouvoir qui date de 2006. On serait Eva Joly, on ne serait pas particulièrement heureuse. L’Ivresse du pouvoir, c’est l’affaire Elf à peine transposée. Alors que Loïk Le Floch Prigent (joué à l’époque par François Berléand) vient de retourner en prison et que la luthérienne verte se voit un destin national, Isabelle Huppert qui l’incarnait dans le film montre à quel point la future candidate libérale-libertaire à la présidentielle a su utiliser la détention provisoire comme moyen de pression avec une rigueur distante qui ferait passer Torquemada pour un humaniste chaleureux.

Elle avait été très fâchée d’ailleurs, Eva Joly, par le film, lors de sa sortie. Elle pensait que tous les cinéastes français qui traitaient de sujets de société, comme on dit, le faisaient avec les gros sabots manichéens, certes efficaces mais gros sabots tout de même, d’un Yves Boisset. Pas de chance, dans ce film comme dans Nada ou dans Violette Nozière, Chabrol aurait trouvé du dernier mauvais goût d’opposer des bons à des méchants étant donné qu’il s’est toujours méfié de ce genre de catégorie.

C’est pour cela qu’il s’est tant intéressé au polar. Quand ce genre est traité de manière adulte, il est le terrain de toutes les ambiguïtés. C’est pour cela aussi que Chabrol a choisi si souvent pour scénariste Paul Gégauff jusqu’à la mort de ce dernier en 1983. Le tandem Chabrol-Gégauff est redoutable parce qu’il joue sur l’horreur et l’ironie avec une insoutenable légèreté mâtinée d’une certaine audace comme dans le thriller lesbien violemment sexy, Les Biches avec Stéphane Audran et la très belle Jacqueline Sassard qui devait disparaître des écrans après ce film.

Chabrol avait signé des reconnaissances de dette esthétique, entre autres, à Fritz Lang et à Hitchcock. Il est pourtant le plus français de nos cinéastes ou, pour dire les choses autrement, celui dont la manière d’être français (causticité, précision, esprit de contradiction) est la plus aimable.
Ce qui fait que sa mort nous laisse un peu plus seul. Les mâchoires du piège à cons se sont encore resserrées.

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Bravo, Angela Merkel !

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« La liberté de religion ne signifie pas que la charia se situe au-dessus de la Constitution allemande. Aucune différence culturelle ne peut justifier le manque du respect pour les droits fondamentaux. » C’est dans ces termes dépourvus d’ambiguïté et devant deux cents personnalités du monde politique et médiatique rassemblées à Postdam pour honorer Kurt Westergaard, auteur de la célèbre caricature du prophète Mahomet coiffé d’un turban en forme de bombe, qu’Angela Merkel a exprimé son attachement à la liberté d’expression. Certains ont dû se demander si c’était la même, qui, quelques jours auparavant, jugeait « inacceptable » la thèse de Thilo Sarrazin sur l’incapacité des immigrants d’origine musulmane à s’intégrer dans la société allemande. « Le secret de la liberté c’est le courage, a déclaré la chancelière. La liberté de la presse constitue le trait essentiel de la démocratie libérale ».

Le M100 Media Prize a pour l’objectif d’honorer les Européens dont le travail contribue à préserver la liberté d’expression et à renforcer l’esprit démocratique dans les pays de l’Union. Cette année, il a été décerné sous haute surveillance au caricaturiste danois du journal Jyllands Posten, pour son refus de céder à l’intimidation. Le lauréat affirmé qu’il n’avait « pas de problème avec les autres religions », mais uniquement avec les islamistes. Eux, en tout cas, en ont un avec lui. Âgé de 75 ans, Kurt Westergaard a échappé de justesse à la mort, quand un musulman d’origine somalienne s’est introduit dans sa maison en janvier dernier. Une première tentative d’attentat contre Westergaard avait été déjouée par la police danoise en février 2008.

Faut-il du courage pour défendre la liberté d’expression ?

Dans l’atmosphère tendue qui règne depuis la parution du livre de Thilo Sarrazin fin août, le choix du jury et le discours d’Angela Merkel ont été diversement appréciés. Une partie de la gauche allemande, Verts en tête, et les représentants de la communauté musulmane ont qualifié la cérémonie de « très problématique ». Pour Aiman Mazyek, le secrétaire général du Conseil central des musulmans d’Allemagne, « Merkel a honoré un caricaturiste qui avait foulé au pied le Prophète et tous les musulmans avec. » En revanche, la presse s’est plutôt rangée, dans l’ensemble, derrière le conservateur Bild qui estime que Merkel a accompli le geste le plus courageux dans sa carrière politique. « Merkel n’est certainement pas indifférente à la réaction du monde musulman, suite à son discours. Néanmoins, elle ne s’est pas laissé dicter son comportement. Peu de leaders européens seraient prêts à la suivre. »

Il faudrait donc féliciter nos dirigeants quand ils réaffirment les valeurs pourtant décrétées fondamentales par tous les textes fondateurs de l’Union européenne et de ses Etats-membres. Et pourquoi pas ? Flectamus genua ! Après tout, durant les cinq années qui se sont écoulées depuis les manifestations plus ou moins violentes contre les dessins danois, aucun responsable politique européen n’avait aussi résolument, défendu l’Europe comme espace où il est précisément permis de caricaturer et Dieu et ses prophètes – quels qu’ils soient. Que cela déplaise aux croyants, on le comprend. Mais en Europe, on accepte d’entendre des choses déplaisantes. Et on combat les idées par les idées.

Il ne s’agit de se demander si les caricatures étaient « nécessaires » ou « provocatrices », « légitimes » ou « offensantes ». Il faut rappeler qu’au moment où les islamistes défilant dans les rues de Londres criaient « Mort à ceux qui insultent l’islam ! », Jack Straw, alors chef de la diplomatie britannique déclarait qu’une publication des dessins en Grande- Bretagne n’était « pas nécessaire », voire qu’elle serait « mauvaise ». Gerhard Schröder avait peut-être eu raison de plaider, au Forum économique de Djeddah, pour davantage de compréhension à l’égard des sentiments religieux des musulmans. L’ennui est qu’au même moment, l’Organisation de la Conférence islamique et la Ligue arabe tentaient, à l’ONU, d’obtenir des sanctions contre les pays ou institutions ayant insulté ou méprisé les religions.

On a donc le sentiment qu’au lieu de se montrer solidaire et ferme quand les circonstances l’exigent, la classe politique européenne poursuit ses intérêts à court terme, parfois contradictoires et souvent opportunistes, ce qui finit par décrédibiliser les valeurs qu’elle prétend protéger. Mais le plus inquiétant, finalement, est que l’apparition d’Angela Merkel aux côtés de Kurt Westergraad soit considérée comme l’acte le plus courageux de sa carrière politique. En somme, défendre la liberté d’expression, c’est prendre un risque. On en est là.

Coup de folie, ras-le-bol, ou coming out planifié, on ne sait quelle mouche a piqué la chancelière. Pasteur et activiste des droit de l’homme en Allemagne de l’Est, Joachim Gauck a ainsi résumé la cérémonie du M100 Prize : « Chacun devrait se demander soi-même s’il montre toujours suffisamment du courage pour la liberté ». À l’approche de la commémoration de la chute du régime communiste et de la réunification du pays, voilà un beau sujet de réflexion. Pour les Allemands et pour tous les Européens.

Camarones tueuses chez Cameron

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On ne les arrête plus. Après les Roms, les Roumains nous envoient une nouvelle calamité, la crevette tueuse ou Dikerogammarus villosus, détectée pour la première fois au Royaume-Uni dans un réservoir du Cambridgeshire. Ce redoutable prédateur est originaire du Danube mais elle l’a quitté il y a belle lurette, traquée par les pêcheurs du Delta. Forcément, elle vous nettoie par le vide l’écosystème fluvial à la vitesse d’une caravane tirée par un cheval au galop. Trente millimètres de voracité et de furie pure, elle tue pour le plaisir tous les invertébrés qui croisent sa route sanglante et s’attaque aussi à de petits poissons. Encore une chance qu’elle ne s’en prenne pas aux poules, ne mange pas les enfants et ne collectionne pas le cuivre et l’aluminium.

La biosécurité du royaume étant en grand danger, on ignore si David Cameron a appelé Nicolas Sarkozy pour lui demander conseil. Après qu’un député de sa majorité et toute la presse brit ont gracieusement comparé l’expulsion des Roms aux méthodes de la Gestapo, il est possible que le président manque de motivation et les laisse se débrouiller avec ce dernier cadeau roumain que les écologistes, pour le coup, n’hésitent pas à qualifier d’ « espèce invasive »

La France d’avant, c’est la Corse !

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photo: Andrea Kirkby

Enfin je quittais le Paris murayifié pour rejoindre mes précieuses et sauvages montagnes corses. J’espérais y trouver une zone de résistance face à l’invasion du festif si terriblement visible en période estivale. Depuis que je lis Muray, je vois du Muray partout. Dans le Paris plagisé et touristifié, c’était facile. Mais en Corse, sur cette île où les pompiers et les chasseurs boivent ensemble un pastis dans le bar du village et parlent du sanglier tué, de la prochaine procession ou du meurtre dans le village voisin, ça devait forcément être différent.

Je ne suis pas assez naïve pour croire que l’insularité constitue une barrière infranchissable par le despotisme festif. Festivus festivus a bien débarqué sur l’île et il est d’abord rassuré.

Festivus festivus fait trempette au bord de la mer jetskiisée et pneumatisée. Entouré de marmaille criante sur bouée, il jette un regard perplexe aux quelques nageurs intrépides de longue durée, en se disant qu’il faudrait peut-être les encadrer afin qu’ils ne nuisent pas trop aux véliplanchistes et aux jets-skieurs. Et d’ailleurs, il pense que Delanoë devrait organiser tous les vendredis soirs, sur la Seine, une parade de jets-skis encadrée par les vedettes de la police fluviale : après la rue, il faut se réapproprier le fleuve.

Enfin cramé, tranquillisé et benoîtement engourdi par la sono technoisée de la paillote et du doux bourdonnement des Flippers motorisés, Festivus festivus va se gaufriser, se pizzatiser et s’haagendazsiser avant de déambuler, avec la douceur et la sérénité d’un saint approchant les portes du Paradis, dans les rues d’Ajaccio théâtralisées par le Shopping de nuit. Pour fêter ses emplettes bon marché, rien de tel qu’un délirant karaoké, où sa voix se perd dans le vacarme des concerts pop rock et dans les hurlements des animateurs de rues, déguisés en écrevisses géantes et juchés sur des échasses.

Demain, il descendra dans le sud. Il a hâte de voir le Porto-Vecchio pipolisé et de s’amuser avec toute sa tribu dans Bonifacio disneylandisé par une infantile chasse au trésor, où le Capitaine Crochet et les Clochettes boudinées, monoisées et raybanisées, font une halte fraîcheur dans ces lieux d’obscurantisme que sont les églises.

Festivus festivus est donc tout content de lui. Il rentabilise bien son séjour. Il a la mer et le parc d’attraction, l’île de Beauté et l’île aux enfants. Il squatte la plage et les villes en fêtant la fête de ses vacances festives.

Mais voilà, Festivus festivus a oublié qu’il se trouvait en Corse et dans cette île, le Réel ne se planque pas sous le tapis, comme dirait Muray. Au contraire, il sort comme un diable hors de sa boîte, pour briser la douce illusion onirico-fusionnelle dans laquelle baigne béatement Festivus festivus. Car en Corse, il reste encore de l’Histoire.

La Corse n’est pas le pays des Bisounours, mais une terre de conflit, d’amour et de haine, de bénédiction et de malédiction, où la Mort fait partie de la Vie, où le Bien n’existe que parce qu’il affronte le Mal. C’est donc une terre de contradiction, une terre humaine.

En Corse, la mort s’invite à la fête. Et bas les masques. Les boîtes de nuit deviennent des boîtes à massacre. Carré VIP saccagé et fusillade sur la piste.
De quoi est-il question ? De vengeance bien sûr. Tuer pour venger l’honneur sali, n’est pas un mythe mais une réalité.

En Corse, le déshonneur signifie encore quelque chose et ne peut être lavé que par le sang et c’est comme ça depuis des générations. Il ne s’agit pas seulement de se venger soi-même, mais de préserver l’honneur du nom de la famille. Les calibres sont dans les boîtes à gant, et une affaire de femme, de terre ou de bétail, suffit pour dégainer.

Mais si les pétards sortent des placards, les secrets, eux y restent parce qu’en Corse, la délation institutionnalisée n’existe pas. Alors, Festivus festivus, mouchard vigilant, sbire discipliné de la Transparence généralisée, s’indigne de cette loi du silence, de cette loi d’honneur, de cette Omerta qui est toujours dans les gènes des Corses. Ce n’est pas un hasard, si la Corse va bientôt être désignée Juste parmi les Justes pour son comportement exemplaire envers les Juifs pendant l’occupation nazie.

Qu’attendent les Chiennes de Garde ?

En prime, les Corses aiment « la bagnole » comme disait Pompidou. Et la vitesse. Et tout ça pour épater les filles, et elles aiment ça. Ô Sacrilège, le prolongement phallique de l’homme fait encore fantasmer les vraies femmes que sont les Corses !

Festivus festivus se sent mal devant cette société archaïque, hétérogène, animée par le principe de contradiction, où les frontières existent encore.

La séparation hommes-femmes, notamment pendant les cérémonies funéraires, et la transmission inaltérable du nom du Père, donc du modèle patriarcal structurant, inquiètent beaucoup Festivus festivus qui se demande ce qu’attendent les Chiennes de Garde agir.

Ici les chiens ne gardent pas, ils chassent, ô horreur, les animaux. Et les hommes les tuent par tradition et par plaisir. Ici, les bêtes ne sont pas les égales de l’homme, n’en déplaise aux zoophiles de tout poil. Et de surcroît, les Corses pensent que l’homme n’est pas l’égal de Dieu. Alors, Festivus festivus, athéiste cathophobe, est pris d’effroi devant la visibilité de la foi religieuse. Comme au Mont Sinaï, Dieu a besoin du silence des montagnes pour se manifester. En Corse, chaque village a un Saint, célébré par une messe et une procession. Parce que les Corses n’ont pas oublié la Chute, ceux qui portent la statue du Saint sont des vrais pénitents, rien à voir avec les thalassophiles en peignoirs blancs qui sortent, mines réjouies, de leur cure et viennent se prosterner devant le Dieu soleil. En Corse, les églises sont rénovées, les cloches, les maisons et les voitures sont bénies, plus de 50% des nouveaux-nés sont baptisés, les plus beaux emplacements sont ceux des cimetières, la fête nationale est celle de la Marie, et suprême injure pour l’Onfrayisé estivant, l’hymne national corse, Dio Vi Salvi Regina, est dédié à la mère de Jésus et reine de la l’Île !

Dieu est visible et la Mort aussi. À l’image du Maure du drapeau, dont les yeux sont restés ouverts, le mort en Corse ne meurt jamais. La Mort est célébrée, chantée, exhibée. Le cercueil du défunt traverse le village, touché et baisé par tous les habitants. Oui, le mort ne meurt jamais parce qu’il saisit le vif. Il arrive même que certains continuent de payer leurs factures et de voter.

Après toutes ces résurgences apocalyptiques de l’Ancien Monde, Festivus festivus a besoin de se restaurer dans un établissement typique. Manque de chance, le menu est imposé : pâté de merle, cabri, et fromage de brebis habité (par des vers). Que fait la Commission européenne ?

Pour digérer ce repas si salé, rien de tel qu’une bonne marche en montagne pour retrouver la nature rassurante et bienfaitrice. Encore une fois, le Réel rattrape Festivus festivus. Bourrasques, mini tornades, trombes d’eau et froid glacial s’abattent sur lui, sur les chemins escarpés parsemés de croix. Stop. C’en est trop pour Festivus festivus qui n’a qu’une hâte, quitter cette île pour téter de nouveau la terre maternante et infantilisante du continent. Mais le Réel ne lâche pas sa proie si facilement.

Imaginez Festivus Festivus ne pouvant pas rendre sa voiture de location ni reprendre son avion parce que les nationalistes bloquent l’accès au tarmac. Il panique, trépigne, jure, pleure de rage et implore les secours de Big Mother, l’Etat, qui finira par le délivrer de cet Enfer.

Les secrets d’Etat du secrétaire d’Etat

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Si la quête du scoop à tout prix n’est pas la principale raison d’exister de Causeur, on n’y méprise pas pour autant l’art de la divulgation embarrassante, pour peu qu’on soit sûr de ce qu’on avance : on est old school et on ne se refera pas.

Nous sommes donc assez fiers que l’info révélée ici même, mercredi, par Luc Rosenzweig dans son article La Belgique en soins palliatifs, sur une réunion au sommet « discrète, sinon secrète » autour Pierre Lellouche pour évaluer les conséquences d’une partition éventuelle chez nos voisins du dessus ait été largement repris par toute la presse, à commencer par le quotidien de référence du soir, sous la plume de Jean-Pierre Stroobants, ainsi que par l’ensemble de la presse belge. On notera aussi, au passage, que les services du secrétaire d’Etat aux affaires européennes ont fini par confirmer l’info.

« Ce rire-là ne pense pas »

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Alain Finkielkraut
Alain Finkielkraut.

Vous aimez Muray. Vous lui avez d’ailleurs consacré, sur France Culture, une éblouissante émission avec Fabrice Luchini. Et pourtant, cet entretien vous a considérablement agacé. Du coup, alors que je me demandais qui pourrait faire, pour ce dossier, une critique dure mais intelligente – ce qui n’était pas une mince affaire, ses adversaires n’ayant pas brillé par leur subtilité −, vous vous êtes, à votre corps défendant, désigné comme volontaire. Pourquoi tant de colère contre feu notre ami ?

Dans cet entretien, Philippe Muray est au pire de lui-même. Son anthropologie géniale de l’hypermodernité verse dans l’anti-américanisme fanatique. Il ne rit plus, il grimace, il ne critique plus, je dirais presque qu’il éructe. Nous sommes tous sujets à ces débordements, moi comme un autre. Il appartient à la postérité d’être généreuse et de faire un tri. Vous avez fait un autre choix. Je ne peux que détailler mon désaccord, même si c’est une opération délicate puisque je le fais in abstentia : il n’est plus là pour me répondre, c’est-à-dire sans doute pour me pourfendre.

Dans ce texte et ailleurs, Muray reproche à l’« Empire du Bien » son manichéisme. Mais que fait-il, sinon doter cet Empire du Bien de tous les attributs canoniques du Mal ? Une des expressions les plus fortes de ce texte extrêmement violent est : « les Caligula de Washington », c’est-à-dire les instigateurs de la guerre en Irak. Autrement dit, les Américains sont des monstres et, face à eux, l’ironiste Muray n’est plus qu’un ange en colère, un fanatique du Bien. Il dit : « Le Bien ment. Il cogne et il tue. » Quelle différence y a-t-il entre le Bien ainsi défini par le mensonge éhonté et le Mal des contes pour enfants ? À ce moment-là, l’univers mental de Muray se rapproche de Hollywood et même de Disneyland. Le simplisme règne en lieu et place de l’ambivalence, de la complexité, des problèmes et des dilemmes de la vie réelle.

Il me semble que le simplisme était aussi du côté de Bush et de son discours. Et Philippe analysait les discours autant, sinon plus, que les politiques concrètes…

Pour vous répondre, je dois préciser et approfondir ma critique. Muray transforme le 11-Septembre en non-événement et en événement prétexte, puisque tout le mal doit être du côté de ce qu’il appelle le Bien, ce qui fait de lui, bien sûr, le représentant du Bien réel. L’Occident n’a pas d’ennemi, dit-il, l’Occident est lui-même l’ennemi. Voilà qui ne risque pas de choquer le politiquement correct et ses « mutins de Panurge ». Parce que, pour la bien-pensance que Muray dénonce inlassablement, l’ère de l’opposition ami/ennemi est close. Sa religion, c’est la religion de l’humanité. L’humanité est une, le sentiment du semblable est plus fort que tout et toutes les différences sont appelées à se dissoudre dans le grand bain du métissage universel. Tous ceux qui refusent ce destin ou contestent ce diagnostic dérogent au sentiment du semblable et se constituent dès lors en ennemis du genre humain. Je prétends que, sur ce terrain de l’anti-américanisme, Philippe Muray, le grand démystificateur d’Homo festivus, et la bien-pensance sont exactement sur la même longueur d’onde.

[access capability= »lire_inedits »]Là, vous exagérez ! Pour Muray, la fin de l’Histoire advient précisément parce que le nouvel homme, Homo festivus, et son descendant, Festivus Festivus, prétendent éradiquer les différences, les divergences, les dissidences !

Bien sûr, et c’est la raison pour laquelle c’est un grand paradoxe de voir Muray rejoindre, au moment de la guerre en Irak, ceux que d’habitude il fustige. Si Muray n’avait dit que cela contre le politiquement correct, le politiquement correct n’aurait rien trouvé à redire à Muray.

Par ailleurs, il ne dit pas que l’Occident est l’ennemi, mais son propre ennemi. Ainsi compare-t-il les « djihadistes » à des éléphants entrant dans un magasin de porcelaine dont les propriétaires ont déjà tout saccagé.

C’est une idée très forte mais précisément, contrairement à ce que dit Muray, le 11-Septembre est un événement absolument capital. Je citerai à ce sujet Pierre Manent, qui écrit, dans La Raison des nations : « L’information la plus profondément troublante apportée par l’événement ne fut pas la révélation paroxystique du terrorisme comme phénomène majeur. Mais elle résida plutôt en ceci : l’humanité présente est marquée par des séparations bien plus profondes, bien plus intraitables que nous ne le pensions. […] Le 11-Septembre révèle l’impénétrabilité réciproque des communautés humaines en dépit de la prodigieuse et toujours croissante facilité des communications. » La réponse américaine au 11-Septembre n’était sans doute pas la bonne. Elle était naïve. Mais quand on envisage des questions internationales, il faut avoir la modestie des faits précis et singuliers. L’intervention américaine n’a pas eu que des résultats négatifs, notamment si l’on songe à la relative émancipation des Kurdes et des chiites. Alors, justement, qui tire son épingle du jeu ? L’Iran, et donc une version particulièrement sophistiquée et redoutable de l’islamisme radical. L’ennemi est-il affaibli ou renforcé ? On ne peut pas apporter à cette question de réponse catégorique, mais on est quand même en droit de s’inquiéter et cette inquiétude est aggravée par le fait que l’hostilité à la civilisation occidentale sous toutes ses facettes est en quelque sorte redoublée par la mauvaise conscience d’un Occident qui ne cesse de se fustiger lui-même et de dire à ceux qui le haïssent : « Vous avez raison de nous haïr. » En se fustigeant, il se défait de l’identité qu’il devrait au contraire préserver et défendre.

En supposant qu’il soit encore temps. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas tant la guerre américaine qui a provoqué la colère de Philippe, même s’il l’a désapprouvée, que la conclusion que beaucoup en ont tirée, à savoir que, comme le 11-Septembre, elle invalidait la thèse de la « fin de l’Histoire ».

Une thèse comme celle de la fin de l’Histoire est constamment menacée d’invalidation. Les Européens vivent dans une espèce de parenthèse historique. Ils sont au balcon ou, pour employer une autre métaphore, ils sont en vacances, mais il est probable que les vacances se terminent un jour ou l’autre. Muray prend sans doute pour une fin ce qui n’est qu’une parenthèse. Il devrait être un peu plus humble et plus prudent. Nul n’est Dieu. Nul ne peut prononcer le mot « fin » sans risquer d’être démenti. Surtout, il faut faire attention à cette susceptibilité d’auteur : « J’ai une thèse et je crispe, je m’énerve quand les faits semblent la démentir. » C’est un peu ce qui lui est arrivé, et c’est sans doute l’une des raisons de l’incroyable mauvaise humeur dont il fait preuve dans cet entretien.

Mais pensez-vous que, quand il y a de la guerre, il y a de l’Histoire ?

La guerre n’est pas la seule preuve d’historicité qu’on puisse brandir mais, en effet, la fin de l’Histoire, c’est, comme disait Hegel, le « dimanche de la vie ». Et dimanche, on ne fait pas la guerre.

La thèse d’une humanité qui conspire à sa propre destruction en éradiquant les différences, et en particulier la première d’entre elles, la différence des sexes, vous paraît-elle pour autant inopérante ?

Bien sûr que non, mais il faut être capable de penser plusieurs choses à la fois. Nous sommes sous la menace d’une indifférenciation généralisée d’une part, et d’autre part nous devons réagir face à ceux qui veulent en finir avec le régime européen de la différence des sexes.

Quand surviennent les affaires du voile islamique à l’école ou, plus récemment, la polémique sur la burqa, l’Occident est rappelé à lui-même. Ceux qui préconisent la prohibition du voile dans les écoles ou de la burqa dans l’espace public ne le font pas au nom de l’indifférenciation, mais au nom d’une certaine idée du commerce entre les hommes et les femmes. Celle-ci doit être défendue deux fois, contre ceux qui veulent abolir la différence des sexes au nom du « genre » et contre ceux qui pensent que cette différence doit se manifester par une inégalité des droits. Mais les progrès de l’indifférenciation ne doivent pas nous rendre insensibles à cette hostilité extérieure qui est toujours plus préoccupante.

Nous sommes en tout cas d’accord pour observer que Muray nous manque. Je me demande souvent ce qu’il aurait pensé et écrit de l’évolution de l’islam de France et de ceux qui demandent, avec la bénédiction des médias, que l’espace public s’adapte à la « deuxième religion de France ». Je ne crois pas qu’il aurait partagé l’enthousiasme des zélateurs de la diversité.

Je ne le crois pas non plus. Je me demande aussi ce qu’il aurait pensé de l’élection d’Obama. Cette élection, je l’ai saluée non pas seulement parce qu’un Noir accédait à la présidence des États-Unis, mais parce qu’il s’agit d’un intellectuel, ce qui va à l’encontre de la caricature d’une société abêtie par les médias de masse. Il n’empêche, et ce sont les tortuosités et les paradoxes de l’Histoire : Obama a beaucoup plus à voir avec l’Empire du Bien que les néo-conservateurs. Que faire de cette réalité ?

Quant à la France, je soupçonne que Muray aurait détesté ce que j’ai décrit comme le redoublement de la haine par la mauvaise conscience. Il avait une faconde que malheureusement je ne possède pas. Et j’imagine l’article extraordinaire qu’il aurait écrit après avoir entendu Martin Hirsch déclarer, sur Canal+, que « l’intégration en France sera réussie le jour où les catholiques appelleront leurs enfants Mohammed ». C’était une phrase pour Philippe Muray.[/access]

Respectons les règles

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On le soupçonnait déjà, mais cela se confirme : on n’arrête pas le progrès. Et l’humanité vient encore de faire un grand pas en avant grâce à Monsieur Jon Rose. Son patronyme le prédisposait sans doute à s’intéresser à la gent féminine. Ce qu’il fit. Car Jon Rose vient de mettre au point une nouvelle application pour l’iPad : le Code Red, qui a la particularité de vous avertir, Messieurs, lorsque l’élue de votre cœur a ses règles. C’est évidemment une invention cruciale et qui va sans aucun doute révolutionner la planète. Toutefois, il existe encore, dans des coins reculés, des gens qui n’ont pas d’iPad ou pas de 3G ni de wifi ou qui n’ont pas compris le mode d’emploi. On ne saurait trop conseiller à ces retardataires de s’en remettre à la méthode artisanale.

Si Madame fond en larmes parce qu’elle a oublié de ramener du café, qu’elle vous dit, dans la même minute « Ne me touche pas, j’ai mal partout! » et « Mais diiiiiiis, prends-moi dans tes bras, j’ai besoin de câlins! », qu’elle hurle comme une walkyrie parce que vos godasses traînent dans le corridor, comme elles le font depuis 15 ans et qu’elle ne veut même plus téléphoner à sa mère tellement tout le monde l’énerve, il semblerait que ce ne soit pas trop le moment de la ramener. Un peu de patience. Et évitez à tout prix les questions du style « Ben qu’est-ce qui se passe? T’es de mauvais poil? » Vous risqueriez de vous prendre un iPad en pleine poire !

Ground Zero, la mosquée de trop

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Ground Zero : image de désolation.

Les Américains ne s’enthousiasment pas pour le projet de construction d’une mosquée à proximité de Ground Zero. Faut-il en conclure qu’ils sont islamophobes, rétrogrades et définitivement perdus pour le progressisme ?

Sur le papier, le projet a tout pour séduire: le soutien des autres autorités religieuses, un objectif affiché et incontestable de dialogue interreligieux, tolérance et ouverture à l’autre. Il est d’ailleurs dénommé « la maison de Cordoue », en mémoire du « siècle d’or » des Omeyyades qui aurait fait cohabiter paisiblement toutes les religions. De plus le bâtiment ne sera pas situé sur Ground Zero, mais à ses abords, et sera « invisible » depuis la Tour qui remplacera les Twin Towers.

Rajoutons pour faire bonne mesure que le maire de New York définit ce projet comme correspondant à l’esprit de sa ville, « la plus libre au monde », dans laquelle les musulmans sont traités sur un pied d’égalité avec les autres communautés. Cerise sur le gâteau, le Président lui-même y serait favorable, ou en tous les cas, il ne saurait s’y opposer au nom du sacro-saint principe de la liberté religieuse.

On peut toujours se raconter que l’opposition, conduite par les forces réactionnaires de la droite américaine, les « Tea party », Sarah Palin et de dangereux évangélistes illuminés qui veulent ressusciter une guerre de religion, serait disqualifiée. C’est une erreur grossière.

Les Etats-Unis d’Amérique ont, depuis leur indépendance, ceci de spécifique qu’ils n’ont jamais été envahis. À l’exception de la Guerre civile et de ses suites et de quelques escarmouches en Californie avec le Mexique au 19ème siècle, aucun conflit ne s’est déroulé sur leur territoire. Le long des routes américaines, aucun monument ne rappelle une invasion étrangère. La terre américaine décrite par Jim Harrison se caractérise autant par son immensité et sa virginité que par son inviolabilité. Quel autre peuple jouant un rôle si considérable dans la marche du monde peut-il s’enorgueillir d’un tel privilège ? L’URSS a payé sa puissance par le sang versé, comme l’Amérique (même si les chiffres ne sont pas comparables), mais aussi par la ruine d’une partie considérable de son territoire. Depuis la Gaule chevelue jusqu’à la « Drôle de guerre », nous avons connu de multiples invasions.

La réaction épidermique des citoyens au projet de « la maison Cordoba mosquée » puise d’abord dans ce sentiment d’invulnérabilité. C’est à cette aune qu’il faut comprendre le traumatisme créé par la seule attaque qui ait atteint le sol national, le 11 septembre 2001.
Cette guerre, ou, pour ne pas céder à un bushisme qui n’est plus de saison, cet acte terroriste, a été perpétré au nom de l’islam, d’un islam certes dévoyé, instrumentalisé par des extrémistes ou des fanatiques, mais tout de même au nom d’Allah et de la lutte contre des valeurs occidentales dénoncées comme diaboliques.

Songeons à la commémoration du massacre de Katyn intervenue cette année dans les tragiques circonstances que l’on sait. Polonais et Russes se sont associés pour honorer les victimes. Mais personne n’a eu l’idée de demander que soit érigé à cet endroit précis un monument à la gloire de « l’idéal communiste » au prétexte que c’est au nom de sa descendance pervertie par Staline que des milliers d’officiers polonais ont été assassinés dans les forêts de Smolensk.

Il aura fallu 70 ans pour que ce passé indigeste commence à passer. À New York, le sang à peine séché, l’agression à peine digérée, il faudrait faire œuvre de pédagogie et de tolérance ? Neuf années suffiraient pour que l’on donne un blanc-seing à une religion susceptible de lectures si contradictoires, sans oser exiger qu’elle fasse préalablement son aggiornamento ? Le minimum est d’observer un délai de décence.

Dès lors, il faudrait être insensible ou inconscient pour reprocher à certains citoyens américains leur manque d’enthousiasme à l’idée de voir érigé, sur le lieu où ont péri 2780 personnes, un lieu de culte consacré à celui au nom duquel l’hécatombe a été commise. Sans adhérer aux slogans outranciers comparant le projet Ground Zero à un monument érigé à la gloire des nazis sur le site d’Auschwitz, sans accepter l’alternative infernale « choc des civilisations versus stigmatisation d’une communauté », on peut raisonner et faire preuve de délicatesse.

Si l’on en croit ses partisans, l’objectif des partisans du centre Cordoba est précisément d’éviter les amalgames entre le « bon islam » et le mauvais et d’éviter la « stigmatisation » du premier en raison des crimes du second. Ce travail indispensable peut être mené sans tambours et trompettes et sans heurter la peine des victimes. La maison de Cordoue peut être construite ailleurs et, en attendant, New York ne manque pas de lieux de culte où les croyants peuvent montrer que la religion de « paix et de tolérance » n’a rien à voir, sinon le nom, avec celle des assassins.

L’islam modéré, celui de la majorité des musulmans d’Occident, subit sans doute les conséquences de l’islam des tueurs. Cette injustice doit être combattue. Reste que la seule symbolique de Ground Zero est celle des victimes, c’est-à-dire des deux mille sept cent quatre vingt innocents, morts parce qu’ils étaient au mauvais endroit au mauvais moment. Tout le reste est littérature.

Lettre ouverte à Renaud Camus

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Renaud Camus, Autoportrait sur fond bleu, avril 2010
Renaud Camus, Autoportrait sur fond bleu, avril 2010.

Depuis un certain temps, je me demandais si je pourrais contribuer un jour à étayer ou à invalider une hypothèse. L’entretien que vous avez accordé à Causeur cet été, Monsieur, a accru l’urgence de ce questionnement. Serait-il possible, à travers mon « vécu », de renforcer ou de contester votre assertion que « ce sont des hommes, des femmes et des enfants qui peuvent être assimilés au sein d’un peuple, pas des peuples » ?

Deux éléments, dites-vous, peuvent encore créer des Français : l’héritage et le désir. Je ne suis pas française, précisons-le. J’habite en France. J’habite Paris. Je suis dotée d’un héritage qui est − indépendamment de ma volonté − multiculturel, multiconfessionnel, multiethnique. Je n’ai conservé aucune espèce d’affinité particulière avec un Kowalski absorbé par la version polonaise de « L’Île de la tentation », et encore moins avec son lointain cousin qui, crucifix en main, manifeste contre l’organisation de la Gay Pride de Varsovie. Nous partageons, les Kowalski et moi, une langue et un passeport. Est-ce assez pour évoquer une « appartenance commune » ? Ceci étant, je n’ai pas non plus d’affinité particulière avec un Dupont-Durand prêt à monter sur la barricade pour défendre les 35 heures ou son bloc de foie gras. Je ne désire pas appartenir à une nation de Dupont-Durand, ce qui par ailleurs ne m’empêche nullement de vouer à cette nation une certaine admiration et un franc attachement.

Voyez-vous, cher Renaud Camus, je crois que ce qui peut créer encore des Français, à part l’héritage et le désir, c’est le simple hasard de la vie. Ensuite, il ne me paraît pas extravagant d’envisager l’intégration d’un étranger à la culture française, voire à sa civilisation, sans nécessairement insister sur la « fabrication des Français ».

[access capability= »lire_inedits »]Pour moi, la France n’a pas été un choix mais un ensorcellement

J’éprouve un curieux plaisir à me convaincre que mon choix de vivre en France a été purement esthétique − un caprice plutôt qu’un désir. Or je me mens. Tout d’abord, cela n’a pas été un choix, plutôt un ensorcellement. La France a été le premier pays occidental que j’ai visité à l’âge de 13 ou 14 ans, au lendemain de la chute du Mur. Si, au lieu de m’expédier en vacances au bord de la Loire, mes parents avaient décidé de m’envoyer faire un séjour linguistique quelque part dans l’Oxfordshire, peut-être aurais-je « choisi » de m’installer en Angleterre. Peut-être. Encore que… Ensuite, j’ai toujours eu un fâcheux penchant snobinard. Il était donc hors de question que je me fonde, ou me « confonde », ou plus exactement que je me laisse fondre ou confondre avec la masse des Polacks vivotant dans d’obscurs quartiers de Berlin ou de New York. La diaspora polonaise de France jouissait encore, me disais-je à l’époque, du lustre de Mickiewicz et de sa Tribune des peuples. Inutile d’ajouter que c’était bien avant que le commissaire Bolkestein décide de faire de la pub au « plombier polonais », soutenu dans cette entreprise et de manière plutôt inespérée par un certain Philippe de Villiers.

Dans les banlieues blanches de Pologne, on passe les « pédés » à tabac

De mon « cas », cher Renaud Camus, que déduisez-vous ? Le parti de l’In-nocence reconnaît qu’entre la qualité de citoyen et le statut de non-citoyen, il existe et doit exister un état intermédiaire qui est celui de ressortissant de l’Union européenne. Faut-il en conclure que peu importent mes sentiments d’appartenance ou de non-appartenance, mes caprices, mon désir et mon héritage bâtard, tant que je ne brûle pas les voitures de mes voisins, que je ne mets pas les pieds sur les banquettes du métro et que je n’ai pas l’intention de me reproduire en dix exemplaires ?

J’ignore pourquoi, mais je n’ai jamais ressenti la moindre tentation de vous traiter de réac’ ou de raciste. Peut-être parce que je me méfie de ce que Morin appelle les « mots-panzers » qui intimident et terrorisent, me rappelant par ailleurs trop bien les images des premières grèves de l’ère postcommuniste en Pologne, quand les ouvriers menacés de licenciement brandissaient des pancartes où l’on pouvait lire : « Les capitalistes, ce sont les communistes ! » Ou peut-être parce que les jappements dénonciateurs des Inrocks ou autres Caroline Fourest m’agacent profondément. Ou peut-être encore, et c’est l’explication la plus plausible, parce qu’il me semble avoir compris que ce n’est nullement la couleur de la peau qui vous dérange ou qui vous fait peur, mais la quantité d’êtres humains. Or, comme vous le notez dans un communiqué du parti de l’In-nocence, la quantité influence la qualité : la « qualité de la vie », la « qualité des rapports entre les êtres », la « qualité humaine de ces êtres eux-mêmes ».

Espérant ne pas avoir dénaturé vos idées et vos convictions, je tiens à vous signaler que les banlieues polonaises − blanches, catholiques et unilingues − qui ne subissent en aucune manière les méfaits de ce que vous nommez la « contre-colonisation » sont sur la voie d’un niveau de « ré-ensauvagement », pour reprendre à nouveau votre vocabulaire, tout à fait comparable à celui que vous constatez dans les banlieues françaises multiethniques. Certes, on n’y excise pas les femmes. Mais on y passe à tabac les « pédés » ou ceux qui sont supposés l’être. On n’y brûle pas de voitures, mais on y démonte celles qui ont été volées aux Allemands.

J’ignore également pourquoi je ne vous trouve pas exagérément pessimiste. Pourtant, à l’exception près du très guerrier « réagir, résister, refuser » que vous proposez comme remède à la difficulté d’intégration des « Français d’origine étrangère », l’ensemble de votre discours aboutit au constat qu’« il n’y a plus grand-chose à faire ». Voilà donc que le peuple français se laisse « mener béatement dans les poubelles de l’Histoire », qu’il se résigne à disparaître et, pis encore, à se persuader « qu’il n’a jamais existé, qu’il a rêvé son histoire et son existence ». Voilà que le territoire de la France devient le polygone d’une opération de « Grand Remplacement » d’une population par une ou plusieurs autres.

Ce « Grand Remplacement » en cours, que vous observez en France et en Europe, se serait effectué sous la pression idéologique égalitariste et dogmatiquement antiraciste. Ainsi, et en deux formules supplémentaires, déculturation et décivilisation, vous parviendriez à radiographier la tumeur qui ronge subrepticement l’une des nations ou des civilisations les plus illustres de l’histoire de l’humanité. Sans vouloir faire de vous un adepte de Spengler, je ne peux m’empêcher de citer ici l’auteur du Déclin de l’Occident  : « Ne nous berçons pas d’illusion, nous connaissons notre sort, et nous aurons sur le monde antique cette supériorité qu’au lieu de mourir sans le savoir, nous mourrons en pleine conscience et nous suivrons tous les stades de notre dissolution avec le coup d’œil sûr du médecin expérimenté. »

« C’est où, le terrorisme ? »

J’ignore la raison pour laquelle je ne vous traite pas d’hystérique. Autant que je sache, nous ne sommes ni à la veille ni au lendemain d’un cataclysme comparable à celui des années 1914-1918. La seule guerre à laquelle participent des Occidentaux, si je ne me trompe pas, est celle-là même d’où nous sont parvenues, par le biais de nos chaînes de télévision, les images d’une petite boulotte rigolarde prénommée Lynndie tenant en laisse un barbare à poil et à quatre pattes. Ah non, il y a encore cette autre guerre, moins photogénique ou plus difficile à photographier, que nous livrons, nous les Occidentaux, aux monstres barbus cachés quelque part entre les grottes de Tora Bora et lesdites « régions tribales » du Pakistan. Il a été convenu de l’appeler la « guerre au terrorisme », préférant laisser rhétorique la question posée par un philosophe français fort provocateur : « C’est où, le terrorisme ? »

J’ignore pourquoi, Monsieur, je n’oserai jamais vous demander de relativiser les choses. Peut-être parce que je crains votre disparition. Je crains l’extinction de votre race. La race des êtres infiniment raffinés et raisonnablement excentriques, combattant, à leur manière et avec leurs moyens, pour le maintien de l’étrangeté dans le monde et contre l’abêtissement universel, pour ce qu’on dénomme à présent la « grande culture » et ce qui, naguère, s’appelait encore la « culture générale ». J’exagère peut-être. Peut-être pas. Enfin, les filles et les garçons ayant reçu une solide kinderstube à la maison et des leçons d’in-nocence dans des « écoles-sanctuaires » continueront à vous rendre hommage, respectant scrupuleusement les règles dans les échanges entre le maître et les disciples. Sans doute ne s’agira-t-il pas d’un groupe très nombreux, sauf succès électoral du parti de l’In-nocence, lequel demeure à ce jour l’unique espoir de la création de telles « écoles-sanctuaires », ainsi que de la transmission par leur biais des principes de citoyenneté, de savoir-vivre et d’humanisme. Les enfants issus de la « contre-colonisation », directement exposés aux effets dévastateurs du processus de prolétarisation du corps enseignant, les enfants facilement repérables tant par la trivialité de leur langage que par le relâchement de leur costume, seront mille fois plus nombreux à taguer les noms de leurs idoles sur les murs des monuments historiques. Mais bon, ce n’est pas la quantité qui compte.

Quant à moi, à défaut de savoir si je peux contribuer à valider une hypothèse, je persévérerai dans la jouissance bébête d’une vieille fille en fleurs, à considérer ce merveilleux hasard de la vie qui fait que je suis là où je suis, en train de lire et de savourer, cher Renaud Camus, votre manuscrit dont je prépare la prochaine parution.[/access]

Éva Joly recycle la justice

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Éva Joly
Éva Joly : inflexible un jour, inflexible toujours.
Éva Joly
Éva Joly : inflexible un jour, inflexible toujours.

C’est Claude Chabrol qui avait raison. Dans L’ivresse du pouvoir, le réalisateur confiait à Isabelle Huppert le rôle d’une juge d’instruction qui enquête sur une affaire politico-financière et se retrouve vite grisée par la toute-puissance qu’elle croit être la sienne. Le « troisième pouvoir », nous dit Chabrol, n’est pas indemne des tares dont on afflige à l’habitude les deux premiers. C’est que l’ordre judiciaire est aussi un pouvoir. Il traque le soupçon, mais n’est jamais au-delà de tout soupçon.

La faculté de juger ? Non, « l’envie du pénal »

De la rue bordelaise des Frères-Bonie (siège de l’École nationale de la magistrature, ENM) à la Cour de cassation, la magistrature connaît brigues et intrigues, bassesses et manipulations, course aux honneurs et marche forcée vers le déshonneur.

Elle n’est pas un club fermé d’anciens enfants de Marie qui auraient recyclé leur vocation précoce dans un statut de vestales républicaines. Chabrol a trop lu Balzac pour savoir que, dans la comédie humaine qui se joue devant nous et à laquelle nous participons, le pouvoir corrompt. C’est sa nature ; et c’est la raison pour laquelle Montesquieu peut écrire qu’on pourrait bien former « une république de démons ». L’angélisme n’est pas requis en république.

À la sortie du film, Éva Joly avait pourtant jugé bon de juger le scénario. Dénuée de toute compétence cinématographique et dotée d’un goût artistique proche de celui du saumon (l’animal est doué pour remonter tous les courants), elle aurait pu s’abstenir. Non. Il fallait qu’elle juge. Elle le jugea mauvais. Car juger, l’ex-juge d’instruction du pôle financier de Paris ne sait faire que ça. C’est sa marotte. Plus encore, sa raison de vivre. On ne parle même pas, ici, de ce que Kant appelait la « faculté de juger » et qui est le b-a-ba de la raison critique, c’est-à-dire de la modernité. Non. Rien à voir. Pour Éva Joly, le jugement n’est pas cette faculté qu’exerce sur le monde tout être doué de raison, c’est l’expression d’un bon gros « désir de pénal » : un « tous pourris » universel opposé à la sainteté du corps glorieux du Juge.

[access capability= »lire_inedits »]Il y a du Torquemada chez cette femme-là : cette idée présomptueuse selon laquelle la magistrature serait platoniquement syndiquée au Juste, au Bon et au Bien (d’où, certainement, le nom de Syndicat de la magistrature) et le vulgaire (entendez le bas peuple, la valetaille, qui n’a pas réussi le concours de l’ENM et se complaît en cette situation) un être malade qu’il faudrait sans cesse corriger de sa singulière appétence à faire le Mal.

Nous avons déjà eu une Éva Joly dans l’histoire : elle s’appelait Robespierre

Fin août, la jugesse était à Groix pour préparer la rentrée politique d’Europe Écologie (le parti qu’elle a rallié, après avoir dansé le tango, dans une valse-hésitation qui dura près d’un an, avec François Bayrou). Interrogée sur ses désaccords avec le Parti socialiste et Martine Aubry, elle confie à Mathieu Escoffier, journaliste à Libération, qu’elle ne connaît pas la première secrétaire, mais qu’elle a « mis Dominique Strauss-Kahn en examen ». C’est son ça-m’suffit politique : rien à cirer des idées de DSK, de ce qu’il fait au FMI, de ce qu’il aurait à proposer, le cas échéant, pour la France, en 2012.

La jugesse a jugé : elle l’a mis en examen. Elle ne précise pas si elle l’a conduit elle-même au poste. Même l’implacable Javert, qui avait passé sa vie à traquer Valjean, s’est mis à douter à la fin des Misérables. Au vrai, il douta si fort de la culpabilité de Valjean qu’il se noya dans la Seine. Pas Mme la juge ! Elle est plus fortiche que l’inspecteur Javert. La présomption d’innocence, c’est pas son truc. Elle se contente de nous la jouer façon Schpountz de Marcel Pagnol : « Tout condamné à mort aura la tête tranchée. »

Elle s’en bat même le coquillard de savoir si la mise en examen de Dominique Strauss-Kahn avait un début de bien-fondé. L’histoire nous dit que non. Les annales judiciaires nous racontent que la juge la plus zélée de France et de Norvège réunies se serait mis le doigt dans l’œil. Pas le petit doigt, mais le gros orteil du pied : la mise en examen se conclut par un non-lieu.

Mais de ça, un non-lieu, pensez bien, la dame n’a rien à faire. Qu’elle ait pu, à l’époque, commettre un impair, pour ne pas se laisser distancier par des collègues et néanmoins concurrents, éloignez de vous cette idée ou vous aurez, vous aussi, la tête tranchée ! Un, deux, trois : retenez la leçon. Un, deux, trois : Éva Joly a raison.

Le problème, c’est que nous avons déjà eu, en France, une Éva Joly. Elle s’appelait Maximilien Robespierre. « Tout ce qui est moral est politique et tout ce qui est politique doit être moral. » On a vu la suite. On a vu où conduisait le gouvernement des juges : à la Terreur, c’est-à-dire à la destruction totale de l’état civil. Bon, vous me direz, parce que vous avez lu Jean-Jacques Rousseau, qu’à l’état civil s’oppose l’état de nature. D’accord : l’état de nature, c’est écolo. Mais si Mme Joly pouvait remplacer par une bouteille de vodka le verre de rhum habituel, ça nous arrangerait.[/access]

Chabrol, mort d’un sniper

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« Le terrorisme gauchiste et le terrorisme étatique, quoique leurs mobiles soient incomparables, sont les deux mâchoires du même piège à cons. » La phrase est de Jean-Patrick Manchette dans Nada mais elle est reprise telle quelle dans l’adaptation que Claude Chabrol fit en 1974 de ce roman noir vachard et très politique. Nada raconte comment un groupe d’extrême gauche décide d’enlever l’ambassadeur des Etats Unis, se fait manipuler par le pouvoir et les polices parallèles avant de terminer son épopée dérisoire dans un carnage général. Le film est une critique impitoyable des années Marcellin quand on pratiquait la chasse à l’ennemi intérieur dans des 404 bourrées d’hommes de main du SAC et que les gauchistes flirtaient avec des envies de lutte armée. Nada résume ainsi très bien la façon madrée dont Chabrol procédait: se décentrer en permanence pour trouver l’angle de tir qui permet d’aligner en sniper de la caméra une société dans son ensemble.

Pas de chef d’œuvre, peut-être, mais une œuvre

L’erreur serait de penser que dans ce film comme dans tant d’autres, il renvoie tout le monde dos à dos et adopte une posture d’anar de droite à laquelle on l’a trop souvent réduit. D’abord, l’appellation ne veut pas dire grand chose puisque l’anar de droite n’est ni anar ni de droite mais plutôt égaré dans une rêverie féodale où l’amitié et la loyauté seraient les seules valeurs d’usage acceptables. Ensuite Chabrol était plutôt un bourgeois sceptique, jouisseur, provincial, cachant derrière ses satires de mœurs et sa bonhomie rigolarde une inquiétude permanente et réelle devant la seule chose qu’il estimait hautement comique mais aussi très dangereuse : la bêtise.

Il n’était pas fils de pharmaciens de la Creuse pour rien et il s’est tout le temps souvenu de la figure de Homais, au point de confier le rôle du potard normand positiviste à un de ses acteurs fétiche, Jean Yanne, quand il adapta Madame Bovary en 1991.

En ce moment, donc, c’est Nada notre Chabrol préféré, celui que nous avons revu hier soir en DVD pour rendre notre hommage personnel à un cinéaste qui nous a appris, notamment, le mauvais esprit ou l’esprit de contradiction, comme on voudra. C’était un DVD import de surcroît, commandé sur Internet il y a quelques temps déjà : la politique de réédition des grands cinéastes de la Nouvelle Vague, qu’il s’agisse de Rohmer ou de Godard est en effet soumise à un arbitraire aléatoire qui laisse de grands trous dans les collections de l’amateur.

La question de l’œuvre préférée chez un artiste qu’on aime est finalement la seule qui vaille. Surtout quand l’artiste en question en a produit beaucoup : Chabrol n’avait pas la prolixité foutraque de son copain Mocky mais il est tout de même l’auteur d’une bonne soixantaine de films pour le cinéma et d’une vingtaine pour la télévision.

Chabrol aimait beaucoup Simenon et Balzac. On a tous, par exemple, un Simenon préféré. Ou un Balzac. D’ailleurs, souvent, cela change avec les saisons, l’âge, les circonstances. Nada laissera peut-être chez moi la place un de ces jours, je ne sais pas, à La femme infidèle (1968) où Maurice Ronet joue le rôle d’un écrivain à l’époque où c’était encore un métier presque sérieux et vit dans une garçonnière de rêve. On explique souvent que si Chabrol aimait Simenon et Balzac, c’est parce que ces deux romanciers conjuguent peinture plus ou moins critique de la société et exploration de l’âme humaine. Sans doute.

Mais c’est aussi parce que Chabrol, comme Simenon ou Balzac, avait parfaitement conscience qu’il n’était pas homme à produire un chef d’œuvre, cette rareté encombrante, mais qu’il pouvait au moins, à défaut, réussir à faire une œuvre, ce qui souvent vaut mieux pour la postérité. Les chefs d’œuvre, comme les monuments, ont en effet ceci d’un peu triste qu’on passe tout le temps devant mais qu’on n’y entre plus.

Tandis qu’une œuvre se joue sur la longueur et c’est quand on se retourne et que l’on regarde l’ensemble qu’on s’aperçoit de la dimension réelle de l’édifice. Si aucun film de Chabrol n’est génial en soi – quelques-uns sont de vrais navets -, le panorama général d’un demi-siècle d’histoire de la société française qu’il a peint en direct est unique en son genre.

L’ivresse d’Eva Joly

Donc, si vous aimez Chabrol, demandez-vous tout de suite, sans réfléchir, celui que vous voudriez revoir. France 2 a choisi très vite, dès dimanche soir. La chaine de service public a diffusé L’ivresse du pouvoir qui date de 2006. On serait Eva Joly, on ne serait pas particulièrement heureuse. L’Ivresse du pouvoir, c’est l’affaire Elf à peine transposée. Alors que Loïk Le Floch Prigent (joué à l’époque par François Berléand) vient de retourner en prison et que la luthérienne verte se voit un destin national, Isabelle Huppert qui l’incarnait dans le film montre à quel point la future candidate libérale-libertaire à la présidentielle a su utiliser la détention provisoire comme moyen de pression avec une rigueur distante qui ferait passer Torquemada pour un humaniste chaleureux.

Elle avait été très fâchée d’ailleurs, Eva Joly, par le film, lors de sa sortie. Elle pensait que tous les cinéastes français qui traitaient de sujets de société, comme on dit, le faisaient avec les gros sabots manichéens, certes efficaces mais gros sabots tout de même, d’un Yves Boisset. Pas de chance, dans ce film comme dans Nada ou dans Violette Nozière, Chabrol aurait trouvé du dernier mauvais goût d’opposer des bons à des méchants étant donné qu’il s’est toujours méfié de ce genre de catégorie.

C’est pour cela qu’il s’est tant intéressé au polar. Quand ce genre est traité de manière adulte, il est le terrain de toutes les ambiguïtés. C’est pour cela aussi que Chabrol a choisi si souvent pour scénariste Paul Gégauff jusqu’à la mort de ce dernier en 1983. Le tandem Chabrol-Gégauff est redoutable parce qu’il joue sur l’horreur et l’ironie avec une insoutenable légèreté mâtinée d’une certaine audace comme dans le thriller lesbien violemment sexy, Les Biches avec Stéphane Audran et la très belle Jacqueline Sassard qui devait disparaître des écrans après ce film.

Chabrol avait signé des reconnaissances de dette esthétique, entre autres, à Fritz Lang et à Hitchcock. Il est pourtant le plus français de nos cinéastes ou, pour dire les choses autrement, celui dont la manière d’être français (causticité, précision, esprit de contradiction) est la plus aimable.
Ce qui fait que sa mort nous laisse un peu plus seul. Les mâchoires du piège à cons se sont encore resserrées.

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Bravo, Angela Merkel !

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« La liberté de religion ne signifie pas que la charia se situe au-dessus de la Constitution allemande. Aucune différence culturelle ne peut justifier le manque du respect pour les droits fondamentaux. » C’est dans ces termes dépourvus d’ambiguïté et devant deux cents personnalités du monde politique et médiatique rassemblées à Postdam pour honorer Kurt Westergaard, auteur de la célèbre caricature du prophète Mahomet coiffé d’un turban en forme de bombe, qu’Angela Merkel a exprimé son attachement à la liberté d’expression. Certains ont dû se demander si c’était la même, qui, quelques jours auparavant, jugeait « inacceptable » la thèse de Thilo Sarrazin sur l’incapacité des immigrants d’origine musulmane à s’intégrer dans la société allemande. « Le secret de la liberté c’est le courage, a déclaré la chancelière. La liberté de la presse constitue le trait essentiel de la démocratie libérale ».

Le M100 Media Prize a pour l’objectif d’honorer les Européens dont le travail contribue à préserver la liberté d’expression et à renforcer l’esprit démocratique dans les pays de l’Union. Cette année, il a été décerné sous haute surveillance au caricaturiste danois du journal Jyllands Posten, pour son refus de céder à l’intimidation. Le lauréat affirmé qu’il n’avait « pas de problème avec les autres religions », mais uniquement avec les islamistes. Eux, en tout cas, en ont un avec lui. Âgé de 75 ans, Kurt Westergaard a échappé de justesse à la mort, quand un musulman d’origine somalienne s’est introduit dans sa maison en janvier dernier. Une première tentative d’attentat contre Westergaard avait été déjouée par la police danoise en février 2008.

Faut-il du courage pour défendre la liberté d’expression ?

Dans l’atmosphère tendue qui règne depuis la parution du livre de Thilo Sarrazin fin août, le choix du jury et le discours d’Angela Merkel ont été diversement appréciés. Une partie de la gauche allemande, Verts en tête, et les représentants de la communauté musulmane ont qualifié la cérémonie de « très problématique ». Pour Aiman Mazyek, le secrétaire général du Conseil central des musulmans d’Allemagne, « Merkel a honoré un caricaturiste qui avait foulé au pied le Prophète et tous les musulmans avec. » En revanche, la presse s’est plutôt rangée, dans l’ensemble, derrière le conservateur Bild qui estime que Merkel a accompli le geste le plus courageux dans sa carrière politique. « Merkel n’est certainement pas indifférente à la réaction du monde musulman, suite à son discours. Néanmoins, elle ne s’est pas laissé dicter son comportement. Peu de leaders européens seraient prêts à la suivre. »

Il faudrait donc féliciter nos dirigeants quand ils réaffirment les valeurs pourtant décrétées fondamentales par tous les textes fondateurs de l’Union européenne et de ses Etats-membres. Et pourquoi pas ? Flectamus genua ! Après tout, durant les cinq années qui se sont écoulées depuis les manifestations plus ou moins violentes contre les dessins danois, aucun responsable politique européen n’avait aussi résolument, défendu l’Europe comme espace où il est précisément permis de caricaturer et Dieu et ses prophètes – quels qu’ils soient. Que cela déplaise aux croyants, on le comprend. Mais en Europe, on accepte d’entendre des choses déplaisantes. Et on combat les idées par les idées.

Il ne s’agit de se demander si les caricatures étaient « nécessaires » ou « provocatrices », « légitimes » ou « offensantes ». Il faut rappeler qu’au moment où les islamistes défilant dans les rues de Londres criaient « Mort à ceux qui insultent l’islam ! », Jack Straw, alors chef de la diplomatie britannique déclarait qu’une publication des dessins en Grande- Bretagne n’était « pas nécessaire », voire qu’elle serait « mauvaise ». Gerhard Schröder avait peut-être eu raison de plaider, au Forum économique de Djeddah, pour davantage de compréhension à l’égard des sentiments religieux des musulmans. L’ennui est qu’au même moment, l’Organisation de la Conférence islamique et la Ligue arabe tentaient, à l’ONU, d’obtenir des sanctions contre les pays ou institutions ayant insulté ou méprisé les religions.

On a donc le sentiment qu’au lieu de se montrer solidaire et ferme quand les circonstances l’exigent, la classe politique européenne poursuit ses intérêts à court terme, parfois contradictoires et souvent opportunistes, ce qui finit par décrédibiliser les valeurs qu’elle prétend protéger. Mais le plus inquiétant, finalement, est que l’apparition d’Angela Merkel aux côtés de Kurt Westergraad soit considérée comme l’acte le plus courageux de sa carrière politique. En somme, défendre la liberté d’expression, c’est prendre un risque. On en est là.

Coup de folie, ras-le-bol, ou coming out planifié, on ne sait quelle mouche a piqué la chancelière. Pasteur et activiste des droit de l’homme en Allemagne de l’Est, Joachim Gauck a ainsi résumé la cérémonie du M100 Prize : « Chacun devrait se demander soi-même s’il montre toujours suffisamment du courage pour la liberté ». À l’approche de la commémoration de la chute du régime communiste et de la réunification du pays, voilà un beau sujet de réflexion. Pour les Allemands et pour tous les Européens.

Camarones tueuses chez Cameron

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On ne les arrête plus. Après les Roms, les Roumains nous envoient une nouvelle calamité, la crevette tueuse ou Dikerogammarus villosus, détectée pour la première fois au Royaume-Uni dans un réservoir du Cambridgeshire. Ce redoutable prédateur est originaire du Danube mais elle l’a quitté il y a belle lurette, traquée par les pêcheurs du Delta. Forcément, elle vous nettoie par le vide l’écosystème fluvial à la vitesse d’une caravane tirée par un cheval au galop. Trente millimètres de voracité et de furie pure, elle tue pour le plaisir tous les invertébrés qui croisent sa route sanglante et s’attaque aussi à de petits poissons. Encore une chance qu’elle ne s’en prenne pas aux poules, ne mange pas les enfants et ne collectionne pas le cuivre et l’aluminium.

La biosécurité du royaume étant en grand danger, on ignore si David Cameron a appelé Nicolas Sarkozy pour lui demander conseil. Après qu’un député de sa majorité et toute la presse brit ont gracieusement comparé l’expulsion des Roms aux méthodes de la Gestapo, il est possible que le président manque de motivation et les laisse se débrouiller avec ce dernier cadeau roumain que les écologistes, pour le coup, n’hésitent pas à qualifier d’ « espèce invasive »

La France d’avant, c’est la Corse !

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photo: Andrea Kirkby
photo: Andrea Kirkby

Enfin je quittais le Paris murayifié pour rejoindre mes précieuses et sauvages montagnes corses. J’espérais y trouver une zone de résistance face à l’invasion du festif si terriblement visible en période estivale. Depuis que je lis Muray, je vois du Muray partout. Dans le Paris plagisé et touristifié, c’était facile. Mais en Corse, sur cette île où les pompiers et les chasseurs boivent ensemble un pastis dans le bar du village et parlent du sanglier tué, de la prochaine procession ou du meurtre dans le village voisin, ça devait forcément être différent.

Je ne suis pas assez naïve pour croire que l’insularité constitue une barrière infranchissable par le despotisme festif. Festivus festivus a bien débarqué sur l’île et il est d’abord rassuré.

Festivus festivus fait trempette au bord de la mer jetskiisée et pneumatisée. Entouré de marmaille criante sur bouée, il jette un regard perplexe aux quelques nageurs intrépides de longue durée, en se disant qu’il faudrait peut-être les encadrer afin qu’ils ne nuisent pas trop aux véliplanchistes et aux jets-skieurs. Et d’ailleurs, il pense que Delanoë devrait organiser tous les vendredis soirs, sur la Seine, une parade de jets-skis encadrée par les vedettes de la police fluviale : après la rue, il faut se réapproprier le fleuve.

Enfin cramé, tranquillisé et benoîtement engourdi par la sono technoisée de la paillote et du doux bourdonnement des Flippers motorisés, Festivus festivus va se gaufriser, se pizzatiser et s’haagendazsiser avant de déambuler, avec la douceur et la sérénité d’un saint approchant les portes du Paradis, dans les rues d’Ajaccio théâtralisées par le Shopping de nuit. Pour fêter ses emplettes bon marché, rien de tel qu’un délirant karaoké, où sa voix se perd dans le vacarme des concerts pop rock et dans les hurlements des animateurs de rues, déguisés en écrevisses géantes et juchés sur des échasses.

Demain, il descendra dans le sud. Il a hâte de voir le Porto-Vecchio pipolisé et de s’amuser avec toute sa tribu dans Bonifacio disneylandisé par une infantile chasse au trésor, où le Capitaine Crochet et les Clochettes boudinées, monoisées et raybanisées, font une halte fraîcheur dans ces lieux d’obscurantisme que sont les églises.

Festivus festivus est donc tout content de lui. Il rentabilise bien son séjour. Il a la mer et le parc d’attraction, l’île de Beauté et l’île aux enfants. Il squatte la plage et les villes en fêtant la fête de ses vacances festives.

Mais voilà, Festivus festivus a oublié qu’il se trouvait en Corse et dans cette île, le Réel ne se planque pas sous le tapis, comme dirait Muray. Au contraire, il sort comme un diable hors de sa boîte, pour briser la douce illusion onirico-fusionnelle dans laquelle baigne béatement Festivus festivus. Car en Corse, il reste encore de l’Histoire.

La Corse n’est pas le pays des Bisounours, mais une terre de conflit, d’amour et de haine, de bénédiction et de malédiction, où la Mort fait partie de la Vie, où le Bien n’existe que parce qu’il affronte le Mal. C’est donc une terre de contradiction, une terre humaine.

En Corse, la mort s’invite à la fête. Et bas les masques. Les boîtes de nuit deviennent des boîtes à massacre. Carré VIP saccagé et fusillade sur la piste.
De quoi est-il question ? De vengeance bien sûr. Tuer pour venger l’honneur sali, n’est pas un mythe mais une réalité.

En Corse, le déshonneur signifie encore quelque chose et ne peut être lavé que par le sang et c’est comme ça depuis des générations. Il ne s’agit pas seulement de se venger soi-même, mais de préserver l’honneur du nom de la famille. Les calibres sont dans les boîtes à gant, et une affaire de femme, de terre ou de bétail, suffit pour dégainer.

Mais si les pétards sortent des placards, les secrets, eux y restent parce qu’en Corse, la délation institutionnalisée n’existe pas. Alors, Festivus festivus, mouchard vigilant, sbire discipliné de la Transparence généralisée, s’indigne de cette loi du silence, de cette loi d’honneur, de cette Omerta qui est toujours dans les gènes des Corses. Ce n’est pas un hasard, si la Corse va bientôt être désignée Juste parmi les Justes pour son comportement exemplaire envers les Juifs pendant l’occupation nazie.

Qu’attendent les Chiennes de Garde ?

En prime, les Corses aiment « la bagnole » comme disait Pompidou. Et la vitesse. Et tout ça pour épater les filles, et elles aiment ça. Ô Sacrilège, le prolongement phallique de l’homme fait encore fantasmer les vraies femmes que sont les Corses !

Festivus festivus se sent mal devant cette société archaïque, hétérogène, animée par le principe de contradiction, où les frontières existent encore.

La séparation hommes-femmes, notamment pendant les cérémonies funéraires, et la transmission inaltérable du nom du Père, donc du modèle patriarcal structurant, inquiètent beaucoup Festivus festivus qui se demande ce qu’attendent les Chiennes de Garde agir.

Ici les chiens ne gardent pas, ils chassent, ô horreur, les animaux. Et les hommes les tuent par tradition et par plaisir. Ici, les bêtes ne sont pas les égales de l’homme, n’en déplaise aux zoophiles de tout poil. Et de surcroît, les Corses pensent que l’homme n’est pas l’égal de Dieu. Alors, Festivus festivus, athéiste cathophobe, est pris d’effroi devant la visibilité de la foi religieuse. Comme au Mont Sinaï, Dieu a besoin du silence des montagnes pour se manifester. En Corse, chaque village a un Saint, célébré par une messe et une procession. Parce que les Corses n’ont pas oublié la Chute, ceux qui portent la statue du Saint sont des vrais pénitents, rien à voir avec les thalassophiles en peignoirs blancs qui sortent, mines réjouies, de leur cure et viennent se prosterner devant le Dieu soleil. En Corse, les églises sont rénovées, les cloches, les maisons et les voitures sont bénies, plus de 50% des nouveaux-nés sont baptisés, les plus beaux emplacements sont ceux des cimetières, la fête nationale est celle de la Marie, et suprême injure pour l’Onfrayisé estivant, l’hymne national corse, Dio Vi Salvi Regina, est dédié à la mère de Jésus et reine de la l’Île !

Dieu est visible et la Mort aussi. À l’image du Maure du drapeau, dont les yeux sont restés ouverts, le mort en Corse ne meurt jamais. La Mort est célébrée, chantée, exhibée. Le cercueil du défunt traverse le village, touché et baisé par tous les habitants. Oui, le mort ne meurt jamais parce qu’il saisit le vif. Il arrive même que certains continuent de payer leurs factures et de voter.

Après toutes ces résurgences apocalyptiques de l’Ancien Monde, Festivus festivus a besoin de se restaurer dans un établissement typique. Manque de chance, le menu est imposé : pâté de merle, cabri, et fromage de brebis habité (par des vers). Que fait la Commission européenne ?

Pour digérer ce repas si salé, rien de tel qu’une bonne marche en montagne pour retrouver la nature rassurante et bienfaitrice. Encore une fois, le Réel rattrape Festivus festivus. Bourrasques, mini tornades, trombes d’eau et froid glacial s’abattent sur lui, sur les chemins escarpés parsemés de croix. Stop. C’en est trop pour Festivus festivus qui n’a qu’une hâte, quitter cette île pour téter de nouveau la terre maternante et infantilisante du continent. Mais le Réel ne lâche pas sa proie si facilement.

Imaginez Festivus Festivus ne pouvant pas rendre sa voiture de location ni reprendre son avion parce que les nationalistes bloquent l’accès au tarmac. Il panique, trépigne, jure, pleure de rage et implore les secours de Big Mother, l’Etat, qui finira par le délivrer de cet Enfer.

Les secrets d’Etat du secrétaire d’Etat

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Si la quête du scoop à tout prix n’est pas la principale raison d’exister de Causeur, on n’y méprise pas pour autant l’art de la divulgation embarrassante, pour peu qu’on soit sûr de ce qu’on avance : on est old school et on ne se refera pas.

Nous sommes donc assez fiers que l’info révélée ici même, mercredi, par Luc Rosenzweig dans son article La Belgique en soins palliatifs, sur une réunion au sommet « discrète, sinon secrète » autour Pierre Lellouche pour évaluer les conséquences d’une partition éventuelle chez nos voisins du dessus ait été largement repris par toute la presse, à commencer par le quotidien de référence du soir, sous la plume de Jean-Pierre Stroobants, ainsi que par l’ensemble de la presse belge. On notera aussi, au passage, que les services du secrétaire d’Etat aux affaires européennes ont fini par confirmer l’info.

« Ce rire-là ne pense pas »

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Alain Finkielkraut mariage gay
Alain Finkielkraut
Alain Finkielkraut.

Vous aimez Muray. Vous lui avez d’ailleurs consacré, sur France Culture, une éblouissante émission avec Fabrice Luchini. Et pourtant, cet entretien vous a considérablement agacé. Du coup, alors que je me demandais qui pourrait faire, pour ce dossier, une critique dure mais intelligente – ce qui n’était pas une mince affaire, ses adversaires n’ayant pas brillé par leur subtilité −, vous vous êtes, à votre corps défendant, désigné comme volontaire. Pourquoi tant de colère contre feu notre ami ?

Dans cet entretien, Philippe Muray est au pire de lui-même. Son anthropologie géniale de l’hypermodernité verse dans l’anti-américanisme fanatique. Il ne rit plus, il grimace, il ne critique plus, je dirais presque qu’il éructe. Nous sommes tous sujets à ces débordements, moi comme un autre. Il appartient à la postérité d’être généreuse et de faire un tri. Vous avez fait un autre choix. Je ne peux que détailler mon désaccord, même si c’est une opération délicate puisque je le fais in abstentia : il n’est plus là pour me répondre, c’est-à-dire sans doute pour me pourfendre.

Dans ce texte et ailleurs, Muray reproche à l’« Empire du Bien » son manichéisme. Mais que fait-il, sinon doter cet Empire du Bien de tous les attributs canoniques du Mal ? Une des expressions les plus fortes de ce texte extrêmement violent est : « les Caligula de Washington », c’est-à-dire les instigateurs de la guerre en Irak. Autrement dit, les Américains sont des monstres et, face à eux, l’ironiste Muray n’est plus qu’un ange en colère, un fanatique du Bien. Il dit : « Le Bien ment. Il cogne et il tue. » Quelle différence y a-t-il entre le Bien ainsi défini par le mensonge éhonté et le Mal des contes pour enfants ? À ce moment-là, l’univers mental de Muray se rapproche de Hollywood et même de Disneyland. Le simplisme règne en lieu et place de l’ambivalence, de la complexité, des problèmes et des dilemmes de la vie réelle.

Il me semble que le simplisme était aussi du côté de Bush et de son discours. Et Philippe analysait les discours autant, sinon plus, que les politiques concrètes…

Pour vous répondre, je dois préciser et approfondir ma critique. Muray transforme le 11-Septembre en non-événement et en événement prétexte, puisque tout le mal doit être du côté de ce qu’il appelle le Bien, ce qui fait de lui, bien sûr, le représentant du Bien réel. L’Occident n’a pas d’ennemi, dit-il, l’Occident est lui-même l’ennemi. Voilà qui ne risque pas de choquer le politiquement correct et ses « mutins de Panurge ». Parce que, pour la bien-pensance que Muray dénonce inlassablement, l’ère de l’opposition ami/ennemi est close. Sa religion, c’est la religion de l’humanité. L’humanité est une, le sentiment du semblable est plus fort que tout et toutes les différences sont appelées à se dissoudre dans le grand bain du métissage universel. Tous ceux qui refusent ce destin ou contestent ce diagnostic dérogent au sentiment du semblable et se constituent dès lors en ennemis du genre humain. Je prétends que, sur ce terrain de l’anti-américanisme, Philippe Muray, le grand démystificateur d’Homo festivus, et la bien-pensance sont exactement sur la même longueur d’onde.

[access capability= »lire_inedits »]Là, vous exagérez ! Pour Muray, la fin de l’Histoire advient précisément parce que le nouvel homme, Homo festivus, et son descendant, Festivus Festivus, prétendent éradiquer les différences, les divergences, les dissidences !

Bien sûr, et c’est la raison pour laquelle c’est un grand paradoxe de voir Muray rejoindre, au moment de la guerre en Irak, ceux que d’habitude il fustige. Si Muray n’avait dit que cela contre le politiquement correct, le politiquement correct n’aurait rien trouvé à redire à Muray.

Par ailleurs, il ne dit pas que l’Occident est l’ennemi, mais son propre ennemi. Ainsi compare-t-il les « djihadistes » à des éléphants entrant dans un magasin de porcelaine dont les propriétaires ont déjà tout saccagé.

C’est une idée très forte mais précisément, contrairement à ce que dit Muray, le 11-Septembre est un événement absolument capital. Je citerai à ce sujet Pierre Manent, qui écrit, dans La Raison des nations : « L’information la plus profondément troublante apportée par l’événement ne fut pas la révélation paroxystique du terrorisme comme phénomène majeur. Mais elle résida plutôt en ceci : l’humanité présente est marquée par des séparations bien plus profondes, bien plus intraitables que nous ne le pensions. […] Le 11-Septembre révèle l’impénétrabilité réciproque des communautés humaines en dépit de la prodigieuse et toujours croissante facilité des communications. » La réponse américaine au 11-Septembre n’était sans doute pas la bonne. Elle était naïve. Mais quand on envisage des questions internationales, il faut avoir la modestie des faits précis et singuliers. L’intervention américaine n’a pas eu que des résultats négatifs, notamment si l’on songe à la relative émancipation des Kurdes et des chiites. Alors, justement, qui tire son épingle du jeu ? L’Iran, et donc une version particulièrement sophistiquée et redoutable de l’islamisme radical. L’ennemi est-il affaibli ou renforcé ? On ne peut pas apporter à cette question de réponse catégorique, mais on est quand même en droit de s’inquiéter et cette inquiétude est aggravée par le fait que l’hostilité à la civilisation occidentale sous toutes ses facettes est en quelque sorte redoublée par la mauvaise conscience d’un Occident qui ne cesse de se fustiger lui-même et de dire à ceux qui le haïssent : « Vous avez raison de nous haïr. » En se fustigeant, il se défait de l’identité qu’il devrait au contraire préserver et défendre.

En supposant qu’il soit encore temps. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas tant la guerre américaine qui a provoqué la colère de Philippe, même s’il l’a désapprouvée, que la conclusion que beaucoup en ont tirée, à savoir que, comme le 11-Septembre, elle invalidait la thèse de la « fin de l’Histoire ».

Une thèse comme celle de la fin de l’Histoire est constamment menacée d’invalidation. Les Européens vivent dans une espèce de parenthèse historique. Ils sont au balcon ou, pour employer une autre métaphore, ils sont en vacances, mais il est probable que les vacances se terminent un jour ou l’autre. Muray prend sans doute pour une fin ce qui n’est qu’une parenthèse. Il devrait être un peu plus humble et plus prudent. Nul n’est Dieu. Nul ne peut prononcer le mot « fin » sans risquer d’être démenti. Surtout, il faut faire attention à cette susceptibilité d’auteur : « J’ai une thèse et je crispe, je m’énerve quand les faits semblent la démentir. » C’est un peu ce qui lui est arrivé, et c’est sans doute l’une des raisons de l’incroyable mauvaise humeur dont il fait preuve dans cet entretien.

Mais pensez-vous que, quand il y a de la guerre, il y a de l’Histoire ?

La guerre n’est pas la seule preuve d’historicité qu’on puisse brandir mais, en effet, la fin de l’Histoire, c’est, comme disait Hegel, le « dimanche de la vie ». Et dimanche, on ne fait pas la guerre.

La thèse d’une humanité qui conspire à sa propre destruction en éradiquant les différences, et en particulier la première d’entre elles, la différence des sexes, vous paraît-elle pour autant inopérante ?

Bien sûr que non, mais il faut être capable de penser plusieurs choses à la fois. Nous sommes sous la menace d’une indifférenciation généralisée d’une part, et d’autre part nous devons réagir face à ceux qui veulent en finir avec le régime européen de la différence des sexes.

Quand surviennent les affaires du voile islamique à l’école ou, plus récemment, la polémique sur la burqa, l’Occident est rappelé à lui-même. Ceux qui préconisent la prohibition du voile dans les écoles ou de la burqa dans l’espace public ne le font pas au nom de l’indifférenciation, mais au nom d’une certaine idée du commerce entre les hommes et les femmes. Celle-ci doit être défendue deux fois, contre ceux qui veulent abolir la différence des sexes au nom du « genre » et contre ceux qui pensent que cette différence doit se manifester par une inégalité des droits. Mais les progrès de l’indifférenciation ne doivent pas nous rendre insensibles à cette hostilité extérieure qui est toujours plus préoccupante.

Nous sommes en tout cas d’accord pour observer que Muray nous manque. Je me demande souvent ce qu’il aurait pensé et écrit de l’évolution de l’islam de France et de ceux qui demandent, avec la bénédiction des médias, que l’espace public s’adapte à la « deuxième religion de France ». Je ne crois pas qu’il aurait partagé l’enthousiasme des zélateurs de la diversité.

Je ne le crois pas non plus. Je me demande aussi ce qu’il aurait pensé de l’élection d’Obama. Cette élection, je l’ai saluée non pas seulement parce qu’un Noir accédait à la présidence des États-Unis, mais parce qu’il s’agit d’un intellectuel, ce qui va à l’encontre de la caricature d’une société abêtie par les médias de masse. Il n’empêche, et ce sont les tortuosités et les paradoxes de l’Histoire : Obama a beaucoup plus à voir avec l’Empire du Bien que les néo-conservateurs. Que faire de cette réalité ?

Quant à la France, je soupçonne que Muray aurait détesté ce que j’ai décrit comme le redoublement de la haine par la mauvaise conscience. Il avait une faconde que malheureusement je ne possède pas. Et j’imagine l’article extraordinaire qu’il aurait écrit après avoir entendu Martin Hirsch déclarer, sur Canal+, que « l’intégration en France sera réussie le jour où les catholiques appelleront leurs enfants Mohammed ». C’était une phrase pour Philippe Muray.[/access]

Respectons les règles

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On le soupçonnait déjà, mais cela se confirme : on n’arrête pas le progrès. Et l’humanité vient encore de faire un grand pas en avant grâce à Monsieur Jon Rose. Son patronyme le prédisposait sans doute à s’intéresser à la gent féminine. Ce qu’il fit. Car Jon Rose vient de mettre au point une nouvelle application pour l’iPad : le Code Red, qui a la particularité de vous avertir, Messieurs, lorsque l’élue de votre cœur a ses règles. C’est évidemment une invention cruciale et qui va sans aucun doute révolutionner la planète. Toutefois, il existe encore, dans des coins reculés, des gens qui n’ont pas d’iPad ou pas de 3G ni de wifi ou qui n’ont pas compris le mode d’emploi. On ne saurait trop conseiller à ces retardataires de s’en remettre à la méthode artisanale.

Si Madame fond en larmes parce qu’elle a oublié de ramener du café, qu’elle vous dit, dans la même minute « Ne me touche pas, j’ai mal partout! » et « Mais diiiiiiis, prends-moi dans tes bras, j’ai besoin de câlins! », qu’elle hurle comme une walkyrie parce que vos godasses traînent dans le corridor, comme elles le font depuis 15 ans et qu’elle ne veut même plus téléphoner à sa mère tellement tout le monde l’énerve, il semblerait que ce ne soit pas trop le moment de la ramener. Un peu de patience. Et évitez à tout prix les questions du style « Ben qu’est-ce qui se passe? T’es de mauvais poil? » Vous risqueriez de vous prendre un iPad en pleine poire !

Ground Zero, la mosquée de trop

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Ground Zero : image de désolation.
Ground Zero : image de désolation.

Les Américains ne s’enthousiasment pas pour le projet de construction d’une mosquée à proximité de Ground Zero. Faut-il en conclure qu’ils sont islamophobes, rétrogrades et définitivement perdus pour le progressisme ?

Sur le papier, le projet a tout pour séduire: le soutien des autres autorités religieuses, un objectif affiché et incontestable de dialogue interreligieux, tolérance et ouverture à l’autre. Il est d’ailleurs dénommé « la maison de Cordoue », en mémoire du « siècle d’or » des Omeyyades qui aurait fait cohabiter paisiblement toutes les religions. De plus le bâtiment ne sera pas situé sur Ground Zero, mais à ses abords, et sera « invisible » depuis la Tour qui remplacera les Twin Towers.

Rajoutons pour faire bonne mesure que le maire de New York définit ce projet comme correspondant à l’esprit de sa ville, « la plus libre au monde », dans laquelle les musulmans sont traités sur un pied d’égalité avec les autres communautés. Cerise sur le gâteau, le Président lui-même y serait favorable, ou en tous les cas, il ne saurait s’y opposer au nom du sacro-saint principe de la liberté religieuse.

On peut toujours se raconter que l’opposition, conduite par les forces réactionnaires de la droite américaine, les « Tea party », Sarah Palin et de dangereux évangélistes illuminés qui veulent ressusciter une guerre de religion, serait disqualifiée. C’est une erreur grossière.

Les Etats-Unis d’Amérique ont, depuis leur indépendance, ceci de spécifique qu’ils n’ont jamais été envahis. À l’exception de la Guerre civile et de ses suites et de quelques escarmouches en Californie avec le Mexique au 19ème siècle, aucun conflit ne s’est déroulé sur leur territoire. Le long des routes américaines, aucun monument ne rappelle une invasion étrangère. La terre américaine décrite par Jim Harrison se caractérise autant par son immensité et sa virginité que par son inviolabilité. Quel autre peuple jouant un rôle si considérable dans la marche du monde peut-il s’enorgueillir d’un tel privilège ? L’URSS a payé sa puissance par le sang versé, comme l’Amérique (même si les chiffres ne sont pas comparables), mais aussi par la ruine d’une partie considérable de son territoire. Depuis la Gaule chevelue jusqu’à la « Drôle de guerre », nous avons connu de multiples invasions.

La réaction épidermique des citoyens au projet de « la maison Cordoba mosquée » puise d’abord dans ce sentiment d’invulnérabilité. C’est à cette aune qu’il faut comprendre le traumatisme créé par la seule attaque qui ait atteint le sol national, le 11 septembre 2001.
Cette guerre, ou, pour ne pas céder à un bushisme qui n’est plus de saison, cet acte terroriste, a été perpétré au nom de l’islam, d’un islam certes dévoyé, instrumentalisé par des extrémistes ou des fanatiques, mais tout de même au nom d’Allah et de la lutte contre des valeurs occidentales dénoncées comme diaboliques.

Songeons à la commémoration du massacre de Katyn intervenue cette année dans les tragiques circonstances que l’on sait. Polonais et Russes se sont associés pour honorer les victimes. Mais personne n’a eu l’idée de demander que soit érigé à cet endroit précis un monument à la gloire de « l’idéal communiste » au prétexte que c’est au nom de sa descendance pervertie par Staline que des milliers d’officiers polonais ont été assassinés dans les forêts de Smolensk.

Il aura fallu 70 ans pour que ce passé indigeste commence à passer. À New York, le sang à peine séché, l’agression à peine digérée, il faudrait faire œuvre de pédagogie et de tolérance ? Neuf années suffiraient pour que l’on donne un blanc-seing à une religion susceptible de lectures si contradictoires, sans oser exiger qu’elle fasse préalablement son aggiornamento ? Le minimum est d’observer un délai de décence.

Dès lors, il faudrait être insensible ou inconscient pour reprocher à certains citoyens américains leur manque d’enthousiasme à l’idée de voir érigé, sur le lieu où ont péri 2780 personnes, un lieu de culte consacré à celui au nom duquel l’hécatombe a été commise. Sans adhérer aux slogans outranciers comparant le projet Ground Zero à un monument érigé à la gloire des nazis sur le site d’Auschwitz, sans accepter l’alternative infernale « choc des civilisations versus stigmatisation d’une communauté », on peut raisonner et faire preuve de délicatesse.

Si l’on en croit ses partisans, l’objectif des partisans du centre Cordoba est précisément d’éviter les amalgames entre le « bon islam » et le mauvais et d’éviter la « stigmatisation » du premier en raison des crimes du second. Ce travail indispensable peut être mené sans tambours et trompettes et sans heurter la peine des victimes. La maison de Cordoue peut être construite ailleurs et, en attendant, New York ne manque pas de lieux de culte où les croyants peuvent montrer que la religion de « paix et de tolérance » n’a rien à voir, sinon le nom, avec celle des assassins.

L’islam modéré, celui de la majorité des musulmans d’Occident, subit sans doute les conséquences de l’islam des tueurs. Cette injustice doit être combattue. Reste que la seule symbolique de Ground Zero est celle des victimes, c’est-à-dire des deux mille sept cent quatre vingt innocents, morts parce qu’ils étaient au mauvais endroit au mauvais moment. Tout le reste est littérature.

Lettre ouverte à Renaud Camus

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Renaud Camus, Autoportrait sur fond bleu, avril 2010
Renaud Camus, Autoportrait sur fond bleu, avril 2010.
Renaud Camus, Autoportrait sur fond bleu, avril 2010
Renaud Camus, Autoportrait sur fond bleu, avril 2010.

Depuis un certain temps, je me demandais si je pourrais contribuer un jour à étayer ou à invalider une hypothèse. L’entretien que vous avez accordé à Causeur cet été, Monsieur, a accru l’urgence de ce questionnement. Serait-il possible, à travers mon « vécu », de renforcer ou de contester votre assertion que « ce sont des hommes, des femmes et des enfants qui peuvent être assimilés au sein d’un peuple, pas des peuples » ?

Deux éléments, dites-vous, peuvent encore créer des Français : l’héritage et le désir. Je ne suis pas française, précisons-le. J’habite en France. J’habite Paris. Je suis dotée d’un héritage qui est − indépendamment de ma volonté − multiculturel, multiconfessionnel, multiethnique. Je n’ai conservé aucune espèce d’affinité particulière avec un Kowalski absorbé par la version polonaise de « L’Île de la tentation », et encore moins avec son lointain cousin qui, crucifix en main, manifeste contre l’organisation de la Gay Pride de Varsovie. Nous partageons, les Kowalski et moi, une langue et un passeport. Est-ce assez pour évoquer une « appartenance commune » ? Ceci étant, je n’ai pas non plus d’affinité particulière avec un Dupont-Durand prêt à monter sur la barricade pour défendre les 35 heures ou son bloc de foie gras. Je ne désire pas appartenir à une nation de Dupont-Durand, ce qui par ailleurs ne m’empêche nullement de vouer à cette nation une certaine admiration et un franc attachement.

Voyez-vous, cher Renaud Camus, je crois que ce qui peut créer encore des Français, à part l’héritage et le désir, c’est le simple hasard de la vie. Ensuite, il ne me paraît pas extravagant d’envisager l’intégration d’un étranger à la culture française, voire à sa civilisation, sans nécessairement insister sur la « fabrication des Français ».

[access capability= »lire_inedits »]Pour moi, la France n’a pas été un choix mais un ensorcellement

J’éprouve un curieux plaisir à me convaincre que mon choix de vivre en France a été purement esthétique − un caprice plutôt qu’un désir. Or je me mens. Tout d’abord, cela n’a pas été un choix, plutôt un ensorcellement. La France a été le premier pays occidental que j’ai visité à l’âge de 13 ou 14 ans, au lendemain de la chute du Mur. Si, au lieu de m’expédier en vacances au bord de la Loire, mes parents avaient décidé de m’envoyer faire un séjour linguistique quelque part dans l’Oxfordshire, peut-être aurais-je « choisi » de m’installer en Angleterre. Peut-être. Encore que… Ensuite, j’ai toujours eu un fâcheux penchant snobinard. Il était donc hors de question que je me fonde, ou me « confonde », ou plus exactement que je me laisse fondre ou confondre avec la masse des Polacks vivotant dans d’obscurs quartiers de Berlin ou de New York. La diaspora polonaise de France jouissait encore, me disais-je à l’époque, du lustre de Mickiewicz et de sa Tribune des peuples. Inutile d’ajouter que c’était bien avant que le commissaire Bolkestein décide de faire de la pub au « plombier polonais », soutenu dans cette entreprise et de manière plutôt inespérée par un certain Philippe de Villiers.

Dans les banlieues blanches de Pologne, on passe les « pédés » à tabac

De mon « cas », cher Renaud Camus, que déduisez-vous ? Le parti de l’In-nocence reconnaît qu’entre la qualité de citoyen et le statut de non-citoyen, il existe et doit exister un état intermédiaire qui est celui de ressortissant de l’Union européenne. Faut-il en conclure que peu importent mes sentiments d’appartenance ou de non-appartenance, mes caprices, mon désir et mon héritage bâtard, tant que je ne brûle pas les voitures de mes voisins, que je ne mets pas les pieds sur les banquettes du métro et que je n’ai pas l’intention de me reproduire en dix exemplaires ?

J’ignore pourquoi, mais je n’ai jamais ressenti la moindre tentation de vous traiter de réac’ ou de raciste. Peut-être parce que je me méfie de ce que Morin appelle les « mots-panzers » qui intimident et terrorisent, me rappelant par ailleurs trop bien les images des premières grèves de l’ère postcommuniste en Pologne, quand les ouvriers menacés de licenciement brandissaient des pancartes où l’on pouvait lire : « Les capitalistes, ce sont les communistes ! » Ou peut-être parce que les jappements dénonciateurs des Inrocks ou autres Caroline Fourest m’agacent profondément. Ou peut-être encore, et c’est l’explication la plus plausible, parce qu’il me semble avoir compris que ce n’est nullement la couleur de la peau qui vous dérange ou qui vous fait peur, mais la quantité d’êtres humains. Or, comme vous le notez dans un communiqué du parti de l’In-nocence, la quantité influence la qualité : la « qualité de la vie », la « qualité des rapports entre les êtres », la « qualité humaine de ces êtres eux-mêmes ».

Espérant ne pas avoir dénaturé vos idées et vos convictions, je tiens à vous signaler que les banlieues polonaises − blanches, catholiques et unilingues − qui ne subissent en aucune manière les méfaits de ce que vous nommez la « contre-colonisation » sont sur la voie d’un niveau de « ré-ensauvagement », pour reprendre à nouveau votre vocabulaire, tout à fait comparable à celui que vous constatez dans les banlieues françaises multiethniques. Certes, on n’y excise pas les femmes. Mais on y passe à tabac les « pédés » ou ceux qui sont supposés l’être. On n’y brûle pas de voitures, mais on y démonte celles qui ont été volées aux Allemands.

J’ignore également pourquoi je ne vous trouve pas exagérément pessimiste. Pourtant, à l’exception près du très guerrier « réagir, résister, refuser » que vous proposez comme remède à la difficulté d’intégration des « Français d’origine étrangère », l’ensemble de votre discours aboutit au constat qu’« il n’y a plus grand-chose à faire ». Voilà donc que le peuple français se laisse « mener béatement dans les poubelles de l’Histoire », qu’il se résigne à disparaître et, pis encore, à se persuader « qu’il n’a jamais existé, qu’il a rêvé son histoire et son existence ». Voilà que le territoire de la France devient le polygone d’une opération de « Grand Remplacement » d’une population par une ou plusieurs autres.

Ce « Grand Remplacement » en cours, que vous observez en France et en Europe, se serait effectué sous la pression idéologique égalitariste et dogmatiquement antiraciste. Ainsi, et en deux formules supplémentaires, déculturation et décivilisation, vous parviendriez à radiographier la tumeur qui ronge subrepticement l’une des nations ou des civilisations les plus illustres de l’histoire de l’humanité. Sans vouloir faire de vous un adepte de Spengler, je ne peux m’empêcher de citer ici l’auteur du Déclin de l’Occident  : « Ne nous berçons pas d’illusion, nous connaissons notre sort, et nous aurons sur le monde antique cette supériorité qu’au lieu de mourir sans le savoir, nous mourrons en pleine conscience et nous suivrons tous les stades de notre dissolution avec le coup d’œil sûr du médecin expérimenté. »

« C’est où, le terrorisme ? »

J’ignore la raison pour laquelle je ne vous traite pas d’hystérique. Autant que je sache, nous ne sommes ni à la veille ni au lendemain d’un cataclysme comparable à celui des années 1914-1918. La seule guerre à laquelle participent des Occidentaux, si je ne me trompe pas, est celle-là même d’où nous sont parvenues, par le biais de nos chaînes de télévision, les images d’une petite boulotte rigolarde prénommée Lynndie tenant en laisse un barbare à poil et à quatre pattes. Ah non, il y a encore cette autre guerre, moins photogénique ou plus difficile à photographier, que nous livrons, nous les Occidentaux, aux monstres barbus cachés quelque part entre les grottes de Tora Bora et lesdites « régions tribales » du Pakistan. Il a été convenu de l’appeler la « guerre au terrorisme », préférant laisser rhétorique la question posée par un philosophe français fort provocateur : « C’est où, le terrorisme ? »

J’ignore pourquoi, Monsieur, je n’oserai jamais vous demander de relativiser les choses. Peut-être parce que je crains votre disparition. Je crains l’extinction de votre race. La race des êtres infiniment raffinés et raisonnablement excentriques, combattant, à leur manière et avec leurs moyens, pour le maintien de l’étrangeté dans le monde et contre l’abêtissement universel, pour ce qu’on dénomme à présent la « grande culture » et ce qui, naguère, s’appelait encore la « culture générale ». J’exagère peut-être. Peut-être pas. Enfin, les filles et les garçons ayant reçu une solide kinderstube à la maison et des leçons d’in-nocence dans des « écoles-sanctuaires » continueront à vous rendre hommage, respectant scrupuleusement les règles dans les échanges entre le maître et les disciples. Sans doute ne s’agira-t-il pas d’un groupe très nombreux, sauf succès électoral du parti de l’In-nocence, lequel demeure à ce jour l’unique espoir de la création de telles « écoles-sanctuaires », ainsi que de la transmission par leur biais des principes de citoyenneté, de savoir-vivre et d’humanisme. Les enfants issus de la « contre-colonisation », directement exposés aux effets dévastateurs du processus de prolétarisation du corps enseignant, les enfants facilement repérables tant par la trivialité de leur langage que par le relâchement de leur costume, seront mille fois plus nombreux à taguer les noms de leurs idoles sur les murs des monuments historiques. Mais bon, ce n’est pas la quantité qui compte.

Quant à moi, à défaut de savoir si je peux contribuer à valider une hypothèse, je persévérerai dans la jouissance bébête d’une vieille fille en fleurs, à considérer ce merveilleux hasard de la vie qui fait que je suis là où je suis, en train de lire et de savourer, cher Renaud Camus, votre manuscrit dont je prépare la prochaine parution.[/access]