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Bravo, Angela Merkel !


Bravo, Angela Merkel !

« La liberté de religion ne signifie pas que la charia se situe au-dessus de la Constitution allemande. Aucune différence culturelle ne peut justifier le manque du respect pour les droits fondamentaux. » C’est dans ces termes dépourvus d’ambiguïté et devant deux cents personnalités du monde politique et médiatique rassemblées à Postdam pour honorer Kurt Westergaard, auteur de la célèbre caricature du prophète Mahomet coiffé d’un turban en forme de bombe, qu’Angela Merkel a exprimé son attachement à la liberté d’expression. Certains ont dû se demander si c’était la même, qui, quelques jours auparavant, jugeait « inacceptable » la thèse de Thilo Sarrazin sur l’incapacité des immigrants d’origine musulmane à s’intégrer dans la société allemande. « Le secret de la liberté c’est le courage, a déclaré la chancelière. La liberté de la presse constitue le trait essentiel de la démocratie libérale ».

Le M100 Media Prize a pour l’objectif d’honorer les Européens dont le travail contribue à préserver la liberté d’expression et à renforcer l’esprit démocratique dans les pays de l’Union. Cette année, il a été décerné sous haute surveillance au caricaturiste danois du journal Jyllands Posten, pour son refus de céder à l’intimidation. Le lauréat affirmé qu’il n’avait « pas de problème avec les autres religions », mais uniquement avec les islamistes. Eux, en tout cas, en ont un avec lui. Âgé de 75 ans, Kurt Westergaard a échappé de justesse à la mort, quand un musulman d’origine somalienne s’est introduit dans sa maison en janvier dernier. Une première tentative d’attentat contre Westergaard avait été déjouée par la police danoise en février 2008.

Faut-il du courage pour défendre la liberté d’expression ?

Dans l’atmosphère tendue qui règne depuis la parution du livre de Thilo Sarrazin fin août, le choix du jury et le discours d’Angela Merkel ont été diversement appréciés. Une partie de la gauche allemande, Verts en tête, et les représentants de la communauté musulmane ont qualifié la cérémonie de « très problématique ». Pour Aiman Mazyek, le secrétaire général du Conseil central des musulmans d’Allemagne, « Merkel a honoré un caricaturiste qui avait foulé au pied le Prophète et tous les musulmans avec. » En revanche, la presse s’est plutôt rangée, dans l’ensemble, derrière le conservateur Bild qui estime que Merkel a accompli le geste le plus courageux dans sa carrière politique. « Merkel n’est certainement pas indifférente à la réaction du monde musulman, suite à son discours. Néanmoins, elle ne s’est pas laissé dicter son comportement. Peu de leaders européens seraient prêts à la suivre. »

Il faudrait donc féliciter nos dirigeants quand ils réaffirment les valeurs pourtant décrétées fondamentales par tous les textes fondateurs de l’Union européenne et de ses Etats-membres. Et pourquoi pas ? Flectamus genua ! Après tout, durant les cinq années qui se sont écoulées depuis les manifestations plus ou moins violentes contre les dessins danois, aucun responsable politique européen n’avait aussi résolument, défendu l’Europe comme espace où il est précisément permis de caricaturer et Dieu et ses prophètes – quels qu’ils soient. Que cela déplaise aux croyants, on le comprend. Mais en Europe, on accepte d’entendre des choses déplaisantes. Et on combat les idées par les idées.

Il ne s’agit de se demander si les caricatures étaient « nécessaires » ou « provocatrices », « légitimes » ou « offensantes ». Il faut rappeler qu’au moment où les islamistes défilant dans les rues de Londres criaient « Mort à ceux qui insultent l’islam ! », Jack Straw, alors chef de la diplomatie britannique déclarait qu’une publication des dessins en Grande- Bretagne n’était « pas nécessaire », voire qu’elle serait « mauvaise ». Gerhard Schröder avait peut-être eu raison de plaider, au Forum économique de Djeddah, pour davantage de compréhension à l’égard des sentiments religieux des musulmans. L’ennui est qu’au même moment, l’Organisation de la Conférence islamique et la Ligue arabe tentaient, à l’ONU, d’obtenir des sanctions contre les pays ou institutions ayant insulté ou méprisé les religions.

On a donc le sentiment qu’au lieu de se montrer solidaire et ferme quand les circonstances l’exigent, la classe politique européenne poursuit ses intérêts à court terme, parfois contradictoires et souvent opportunistes, ce qui finit par décrédibiliser les valeurs qu’elle prétend protéger. Mais le plus inquiétant, finalement, est que l’apparition d’Angela Merkel aux côtés de Kurt Westergraad soit considérée comme l’acte le plus courageux de sa carrière politique. En somme, défendre la liberté d’expression, c’est prendre un risque. On en est là.

Coup de folie, ras-le-bol, ou coming out planifié, on ne sait quelle mouche a piqué la chancelière. Pasteur et activiste des droit de l’homme en Allemagne de l’Est, Joachim Gauck a ainsi résumé la cérémonie du M100 Prize : « Chacun devrait se demander soi-même s’il montre toujours suffisamment du courage pour la liberté ». À l’approche de la commémoration de la chute du régime communiste et de la réunification du pays, voilà un beau sujet de réflexion. Pour les Allemands et pour tous les Européens.



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Paulina Dalmayer est journaliste et travaille dans l'édition.

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