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La France d’avant, c’est la Corse !


La France d’avant, c’est la Corse !
photo: Andrea Kirkby
photo: Andrea Kirkby

Enfin je quittais le Paris murayifié pour rejoindre mes précieuses et sauvages montagnes corses. J’espérais y trouver une zone de résistance face à l’invasion du festif si terriblement visible en période estivale. Depuis que je lis Muray, je vois du Muray partout. Dans le Paris plagisé et touristifié, c’était facile. Mais en Corse, sur cette île où les pompiers et les chasseurs boivent ensemble un pastis dans le bar du village et parlent du sanglier tué, de la prochaine procession ou du meurtre dans le village voisin, ça devait forcément être différent.

Je ne suis pas assez naïve pour croire que l’insularité constitue une barrière infranchissable par le despotisme festif. Festivus festivus a bien débarqué sur l’île et il est d’abord rassuré.

Festivus festivus fait trempette au bord de la mer jetskiisée et pneumatisée. Entouré de marmaille criante sur bouée, il jette un regard perplexe aux quelques nageurs intrépides de longue durée, en se disant qu’il faudrait peut-être les encadrer afin qu’ils ne nuisent pas trop aux véliplanchistes et aux jets-skieurs. Et d’ailleurs, il pense que Delanoë devrait organiser tous les vendredis soirs, sur la Seine, une parade de jets-skis encadrée par les vedettes de la police fluviale : après la rue, il faut se réapproprier le fleuve.

Enfin cramé, tranquillisé et benoîtement engourdi par la sono technoisée de la paillote et du doux bourdonnement des Flippers motorisés, Festivus festivus va se gaufriser, se pizzatiser et s’haagendazsiser avant de déambuler, avec la douceur et la sérénité d’un saint approchant les portes du Paradis, dans les rues d’Ajaccio théâtralisées par le Shopping de nuit. Pour fêter ses emplettes bon marché, rien de tel qu’un délirant karaoké, où sa voix se perd dans le vacarme des concerts pop rock et dans les hurlements des animateurs de rues, déguisés en écrevisses géantes et juchés sur des échasses.

Demain, il descendra dans le sud. Il a hâte de voir le Porto-Vecchio pipolisé et de s’amuser avec toute sa tribu dans Bonifacio disneylandisé par une infantile chasse au trésor, où le Capitaine Crochet et les Clochettes boudinées, monoisées et raybanisées, font une halte fraîcheur dans ces lieux d’obscurantisme que sont les églises.

Festivus festivus est donc tout content de lui. Il rentabilise bien son séjour. Il a la mer et le parc d’attraction, l’île de Beauté et l’île aux enfants. Il squatte la plage et les villes en fêtant la fête de ses vacances festives.

Mais voilà, Festivus festivus a oublié qu’il se trouvait en Corse et dans cette île, le Réel ne se planque pas sous le tapis, comme dirait Muray. Au contraire, il sort comme un diable hors de sa boîte, pour briser la douce illusion onirico-fusionnelle dans laquelle baigne béatement Festivus festivus. Car en Corse, il reste encore de l’Histoire.

La Corse n’est pas le pays des Bisounours, mais une terre de conflit, d’amour et de haine, de bénédiction et de malédiction, où la Mort fait partie de la Vie, où le Bien n’existe que parce qu’il affronte le Mal. C’est donc une terre de contradiction, une terre humaine.

En Corse, la mort s’invite à la fête. Et bas les masques. Les boîtes de nuit deviennent des boîtes à massacre. Carré VIP saccagé et fusillade sur la piste.
De quoi est-il question ? De vengeance bien sûr. Tuer pour venger l’honneur sali, n’est pas un mythe mais une réalité.

En Corse, le déshonneur signifie encore quelque chose et ne peut être lavé que par le sang et c’est comme ça depuis des générations. Il ne s’agit pas seulement de se venger soi-même, mais de préserver l’honneur du nom de la famille. Les calibres sont dans les boîtes à gant, et une affaire de femme, de terre ou de bétail, suffit pour dégainer.

Mais si les pétards sortent des placards, les secrets, eux y restent parce qu’en Corse, la délation institutionnalisée n’existe pas. Alors, Festivus festivus, mouchard vigilant, sbire discipliné de la Transparence généralisée, s’indigne de cette loi du silence, de cette loi d’honneur, de cette Omerta qui est toujours dans les gènes des Corses. Ce n’est pas un hasard, si la Corse va bientôt être désignée Juste parmi les Justes pour son comportement exemplaire envers les Juifs pendant l’occupation nazie.

Qu’attendent les Chiennes de Garde ?

En prime, les Corses aiment « la bagnole » comme disait Pompidou. Et la vitesse. Et tout ça pour épater les filles, et elles aiment ça. Ô Sacrilège, le prolongement phallique de l’homme fait encore fantasmer les vraies femmes que sont les Corses !

Festivus festivus se sent mal devant cette société archaïque, hétérogène, animée par le principe de contradiction, où les frontières existent encore.

La séparation hommes-femmes, notamment pendant les cérémonies funéraires, et la transmission inaltérable du nom du Père, donc du modèle patriarcal structurant, inquiètent beaucoup Festivus festivus qui se demande ce qu’attendent les Chiennes de Garde agir.

Ici les chiens ne gardent pas, ils chassent, ô horreur, les animaux. Et les hommes les tuent par tradition et par plaisir. Ici, les bêtes ne sont pas les égales de l’homme, n’en déplaise aux zoophiles de tout poil. Et de surcroît, les Corses pensent que l’homme n’est pas l’égal de Dieu. Alors, Festivus festivus, athéiste cathophobe, est pris d’effroi devant la visibilité de la foi religieuse. Comme au Mont Sinaï, Dieu a besoin du silence des montagnes pour se manifester. En Corse, chaque village a un Saint, célébré par une messe et une procession. Parce que les Corses n’ont pas oublié la Chute, ceux qui portent la statue du Saint sont des vrais pénitents, rien à voir avec les thalassophiles en peignoirs blancs qui sortent, mines réjouies, de leur cure et viennent se prosterner devant le Dieu soleil. En Corse, les églises sont rénovées, les cloches, les maisons et les voitures sont bénies, plus de 50% des nouveaux-nés sont baptisés, les plus beaux emplacements sont ceux des cimetières, la fête nationale est celle de la Marie, et suprême injure pour l’Onfrayisé estivant, l’hymne national corse, Dio Vi Salvi Regina, est dédié à la mère de Jésus et reine de la l’Île !

Dieu est visible et la Mort aussi. À l’image du Maure du drapeau, dont les yeux sont restés ouverts, le mort en Corse ne meurt jamais. La Mort est célébrée, chantée, exhibée. Le cercueil du défunt traverse le village, touché et baisé par tous les habitants. Oui, le mort ne meurt jamais parce qu’il saisit le vif. Il arrive même que certains continuent de payer leurs factures et de voter.

Après toutes ces résurgences apocalyptiques de l’Ancien Monde, Festivus festivus a besoin de se restaurer dans un établissement typique. Manque de chance, le menu est imposé : pâté de merle, cabri, et fromage de brebis habité (par des vers). Que fait la Commission européenne ?

Pour digérer ce repas si salé, rien de tel qu’une bonne marche en montagne pour retrouver la nature rassurante et bienfaitrice. Encore une fois, le Réel rattrape Festivus festivus. Bourrasques, mini tornades, trombes d’eau et froid glacial s’abattent sur lui, sur les chemins escarpés parsemés de croix. Stop. C’en est trop pour Festivus festivus qui n’a qu’une hâte, quitter cette île pour téter de nouveau la terre maternante et infantilisante du continent. Mais le Réel ne lâche pas sa proie si facilement.

Imaginez Festivus Festivus ne pouvant pas rendre sa voiture de location ni reprendre son avion parce que les nationalistes bloquent l’accès au tarmac. Il panique, trépigne, jure, pleure de rage et implore les secours de Big Mother, l’Etat, qui finira par le délivrer de cet Enfer.



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