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La victoire du RN en 2027 est-elle acquise?

Sauf en matière de régalien, les idées du mouvement de Marine Le Pen et Jordan Bardella peuvent être fluctuantes – ce qui pourrait inquiéter l’électorat. Mais, le parti à la flamme reste actuellement largement en tête des sondages d’opinion pour l’élection présidentielle, avec parfois près de 20 points (!) d’avance sur le second.


Le Rassemblement national est annoncé, de manière certaine, comme présent au second tour de la future élection présidentielle. Il me semble cependant qu’on aurait tort de considérer que sa victoire est acquise, malgré la baisse actuelle, dans les sondages, des rivaux plausibles de Marine Le Pen ou de Jordan Bardella.

Capture BFMTV, 3 novembre 2025.

Joute finale

Il est sans doute difficile de se risquer à des pronostics alors qu’il reste environ dix-huit mois avant la joute finale, mais si les choses demeuraient en l’état – avec ce mélange de désordre politique et social, d’accroissement de l’insécurité et de terrorisme ponctuel d’un côté et, de l’autre, de désaffection de la chose publique et de lassitude démocratique -, on pourrait tenter d’identifier ce qui serait susceptible de décevoir à nouveau le RN, quel que soit son candidat.

A coup sûr, la présence de Jean-Luc Mélenchon au second tour – elle n’est pas inconcevable, compte tenu de son exploitation effrénée, clientéliste et démagogique des cités dites sensibles, ainsi que d’une certaine jeunesse peu regardante sur les moyens de la convaincre – constituerait pour le RN la garantie absolue de triompher. Des enquêtes d’opinion l’ont confirmé, avec un écart net en faveur de Mme Le Pen, et l’intuition générale selon laquelle tout vaudrait mieux – abstention ou adhésion – qu’un M. Mélenchon traitant la France comme il gère LFI, ses opposants, ses adversaires, les médias, les problèmes régaliens, l’urbanité républicaine et sa vision internationale.

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L’argument qui consisterait à « essayer », pour une fois, le RN serait d’autant moins discuté que l’autre branche de l’alternative concernerait Jean-Luc Mélenchon.

J’espère qu’aussi forte que soit son emprise sur ses fidèles et les députés de son groupe, quelqu’un, le moment venu, osera rappeler les chiffres et la certitude de sa défaite face au RN. Il sera sans doute difficile de faire admettre ce constat par celui qui en niera forcément la validité. Jusqu’à subir un ultime désaveu en 2027.

Nouvelle France électorale

Par ailleurs, pour ceux qui pourraient juger mon analyse immature à cause de son excessive personnalisation, je souhaiterais évoquer l’étrange nouvelle configuration du RN, au moins dans sa version parlementaire: un alliage fait d’une banalisation poursuivie et d’une imprévisibilité, voire d’une incohérence, assumées.

Avec le risque de décevoir aussi bien les soutiens friands de provocations que les citoyens soucieux de rectitude programmatique. Quoi qu’on pense du RN – la cravate et la tenue ne sont pas tout ! -, l’inquiétude peut surgir des volte-face et des embardées, ainsi que des coups tactiques susceptibles de faire douter de la profondeur et de la constance d’idées en effet fluctuantes, sauf en matière régalienne.

Enfin il y a Marine Le Pen elle-même. Peut-être son principal obstacle ? Non qu’elle n’ait pas accompli d’énormes progrès médiatiques – alors que souvent elle n’est pas ménagée, puisque la plupart des médias français ne se rappellent leur devoir de questionner à fond et rudement que lorsqu’il s’agit du RN.

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Je ne sais pas si, un jour, elle saura être à la hauteur du débat du second tour, ou si elle demeurera seulement excellente et convaincante entre les élections présidentielles. Parviendra-t-elle, au cours des ultimes échanges, à retrouver la même force d’argumentation, la même ironie, la même maîtrise que celles dont elle fait preuve dans le remarquable entretien qu’elle a donné à Causeur – questionnée, il est vrai, sans complaisance mais sans hargne ?

Certes ce n’est pas la même chose, techniquement, que la joute suprême qui décide de tout, ou que le dialogue médiatique de fond… Dans ce dernier, on relève tout de même cette brillante formule : « La France, c’est le pire du libéralisme et le pire du socialisme », ainsi que le fait que Marine Le Pen se montre définitivement hostile à l’union des droites à la française.

Je n’oublie pas Jordan Bardella. Même si les enquêtes d’opinion le placent parfois devant Marine Le Pen, il me semblerait plus facile à déstabiliser dans un débat capital, car il me donne toujours l’impression de suivre une ligne bien ordonnée – un canevas rigide, fond et forme -, et de pouvoir être troublé par la moindre imprévisibilité ou le moindre changement de direction. Dans les questions de cours, pour peu qu’on les présente autrement, il ne le suivra plus!

J’apprécie, comme citoyen libre – avec ses choix qui relèvent du for intérieur et sa curiosité qui l’autorise à papillonner de parti en parti -, d’avoir le droit de projeter sur une réalité complexe un regard d’un analyste au petit pied. Je ne me pousse pas du col mais c’est mon col. Le RN n’a pas encore gagné en 2027…

Apostats 2.0

Les prédicateurs 2.0 qui radicalisent leurs milliers d’abonnés sur le web ont de nouveaux adversaires: des apostats youtubeurs. Ces libres-penseurs s’appuient sur leur connaissance des textes en V.O., un sérieux bagout et autant d’humour pour éveiller le sens critique des croyants.


Rendu public le 21 mai, le rapport gouvernemental sur les Frères musulmans a souligné la montée en puissance des « prédicateurs 2.0 », ces islamistes qui utilisent les réseaux sociaux pour répandre leur doctrine. Dans la foulée, Le Figaro a révélé la teneur d’un document confidentiel complémentaire, dans lequel TikTok est identifié comme « l’un des viviers d’audiences les plus conséquents » pour ces influenceurs, qui cumulent parfois des centaines de milliers d’abonnés. Selon la note, les « prédicateurs 2.0 », qui sont parvenus à construire sur la plateforme des « communautés significatives », suscitent de la part de celles-ci « des commentaires appelant explicitement à la haine ou la violence ».

Le boulevard numérique dont profitent les islamo-influenceurs pour déverser le poison de l’obscurantisme commence néanmoins à se rétrécir. Des ex-croyants et des athées ont décidé de mener sur Youtube et TikTok une contre-offensive fondée sur la connaissance et la raison. Leur arme favorite : des lives durant lesquels ils dialoguent avec des internautes musulmans convaincus de leur foi, font témoigner des apostats et réfutent les dogmes les plus rétrogrades ou absurdes. S’ils ont pour objectif revendiqué de décrédibiliser l’islam, le but est aussi, a minima, d’inciter le public religieux à se poser des questions.

Éveiller l’esprit critique

Plusieurs fois par semaine, Amir, Alicia* et Bilal diffusent en direct et à visage découvert leur critique de l’islam. Et régulièrement, ils joignent leurs forces en se rendant sur les directs des uns et des autres ; des extraits sont ensuite découpés en vidéos qu’ils mettent en ligne, chacun sur leur chaîne YouTube, pour les rendre accessibles au plus grand nombre. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils ne font pas dans la dentelle. « Vous dites tous que Mohammed est un homme parfait. Mais comment ça se fait qu’un homme parfait se tape une gamine ? » La question posée par Bilal, un soir de débat sur son compte TikTok « Alibabal – Sagesse d’islam » avec un internaute qui se définit comme musulman, revient régulièrement dans les conversations.

Selon l’islam sunnite et chiite, le prophète Mohammed, âgé de 53 ans, a épousé l’une de ses femmes, Aïcha alors qu’elle avait 6 ans, et a consommé le mariage quand elle a atteint l’âge de 9 ans. Les textes rapportant cette histoire sont encore souvent utilisés pour justifier le mariage religieux des fillettes dans le monde musulman. En août 2024, les conservateurs chiites du parlement irakien ont tenté d’introduire un amendement accordant aux autorités religieuses la liberté de régir les mariages selon l’interprétation de leur école de jurisprudence. Ce projet de loi, qui ne comportait pas de limite d’âge, aurait ainsi de facto légalisé le mariage des enfants.

« Moi j’ai eu des échos comme quoi il a patienté », répond l’interlocuteur de Bilal. Cocasse. Mais là n’est pas la question. Le problème, lui fait remarquer l’apostat, est que des musulmans, parce qu’ils acceptent sans réserve l’histoire d’Aïcha, acceptent les pratiques qui la prennent pour modèle : « C’est-à-dire des vieux croûtons qui se marient à des gamines aujourd’hui. Parce que dire à ces vieux croûtons “Qu’est-ce que tu fais !” ça reviendrait à dire, dans une société islamique, que Mohammed avait tort et ça, c’est pas possible. » Tout au long de la discussion, la gêne du jeune croyant est palpable. « Mais moi, je suis contre le mariage des petites filles », se défend-il. « Toi, t’es contre, Allah est pour, qui a raison ? » rebondit Ali, citant le Coran, sourate 65, verset 4, qui porte sur la répudiation des femmes mariées, dont « celles qui n’ont pas encore de règles ». Son interlocuteur s’emmure dans le silence.

« Je ne vois pas l’utilité de ce type de live à part pour provoquer, choquer, énerver des gens qui sont dans une croyance », s’agace un jour un autre internaute. « L’objectif, c’est de vous choquer et de vous provoquer », rétorque Bilal. Pour éveiller l’esprit critique au sein de leur public, les débatteurs ne s’imposent en effet aucun tabou : du mariage d’Aïcha à la flagellation des « fornicateurs » prescrite par le Coran, ils décortiquent les textes les plus violents et demandent aux fidèles de se positionner sur ces préceptes qui contredisent l’image vertueuse de l’islam qu’ils défendent. « L’islam, en tant que religion prétendument parfaite, sacralise l’ignorance et n’incite pas à la remise en cause », estime Bilal.

Cet ingénieur médical de 33 ans, originaire de Syrie, est arrivé en France vers l’âge de 8 ans. Apostat depuis une dizaine d’années, c’est en mai 2023 qu’il lance ses débats, après avoir vu sa sœur se mettre à porter le voile : « Sur internet, il n’y avait que des vidéos qui expliquent aux femmes qu’elles doivent se voiler. » Il décide alors d’imposer un contre-discours. Corrosif et pince-sans-rire, il déstabilise ses contradicteurs en pointant du doigt leurs raisonnements circulaires et les tentatives de diversion pour ne pas répondre aux questions gênantes, surtout lorsqu’il sent que ses arguments font mouche. Émerge alors le doute.

« Il y a des musulmans qui me disent être allés vérifier les textes et qui se sont trouvés en désaccord avec ce qu’ils rapportaient », témoigne Alicia. Cette jeune femme de 34 ans, musicienne et originaire de Haute-Savoie, qui n’est pas une apostate et n’a aucune ascendance arabo-musulmane, a lancé ses débats en ligne il y a un an sous le pseudonyme de CasusLady. Elle souligne l’importance du travail de critique qu’apportent les musulmans sceptiques avec lesquels elle débat : « Si on veut que cesse la stigmatisation des musulmans, il faut que ceux qui s’opposent à certains textes n’aient pas peur de le dire, parce que c’est leur droit ! »

En témoigne ce direct lors duquel un musulman en plein questionnement lui fait ces confessions : « Je me pose encore plus de questions en lisant les textes, je ne m’attendais pas à ça, je suis choqué […] par rapport au mariage des petites filles, [le fait de] frapper les femmes, l’esclavage. […] Je dors mal parce que tout ce que j’ai cru jusqu’à présent, c’était des foutaises ! » Ainsi, des croyants qui leur étaient parfois hostiles en les écoutant la première fois reviennent leur dire qu’ils ont fini par apostasier et les remercient du rôle qu’ils ont joué dans ce cheminement.

Normaliser la critique de l’islam

« La majorité des musulmans ne connaissent pas leur religion », affirme Amir, apostat de 43 ans qui débat sur ses chaînes YouTube et Tiktok AmirApostat. On s’en aperçoit en écoutant les conversations, qui cumulent à des centaines d’heures : de nombreux musulmans n’ont jamais vraiment lu ni le Coran, ni les hadiths, ces recueils qui racontent la vie du prophète par la voix de ses compagnons. Ils admettent que leur connaissance dérive le plus souvent d’une autorité quelconque ; en premier lieu, le cercle familial. « Ils n’ont jamais entendu de vraie critique de leur dogme, encore moins de la façon dont on le fait nous, en utilisant la raison et la méthode scientifique », explique Amir.

Né au Maroc et venu en France à l’âge de 21 ans, l’apostat a été pieux musulman jusqu’à sa trentaine. Ce passionné de musique joue de plusieurs instruments, et avec d’autant plus d’enthousiasme que la musique est interdite ou restreinte par plusieurs écoles de pensée. Normaliser la critique de l’islam en France comme l’est celle des autres religions est un de ses objectifs : « Contrairement à la critique de l’islam, celle du catholicisme par exemple est si répandue que les catholiques y sont habitués. »

Pour preuve, en janvier 2020, sur France inter, est diffusée une chanson humoristique intitulée « Jésus est pédé » aux termes très crus. Si elle suscite évidemment l’indignation parmi les chrétiens, elle ne génère pas les graves menaces auxquelles doit faire face Mila Orriols le même mois pour ses propos sur l’islam dans une vidéo Instagram. Amir reconnaît dans cette intolérance une atmosphère sociétale autour de l’islam similaire à celle du Maroc, où le délit de blasphème perdure : « Il est inacceptable que dans le pays du blasphème et de la laïcité, on n’ose pas critiquer ou ridiculiser une religion. »

Dans cet exercice, l’outrance est un outil, et Alicia la manie particulièrement bien. Lors de ses directs, la jeune femme revêt parfois un hijab au-dessus d’un décolleté. Un jour, un internaute musulman lui demande pour quelle raison. « Parce que j’ai le droit », répond-elle. Bien sûr, le contraste a pour ambition de dénoncer le voile islamique, comme elle l’explique à son interlocuteur : « Il représente la ségrégation entre les femmes musulmanes libres, les femmes musulmanes esclaves et les mécréantes. » L’internaute est un peu piqué. « D’accord, c’est ce que t’as compris de l’histoire », commente-t-il sur un ton dubitatif. « C’est ce que j’ai lu chez Ibn Kathîr et Tabarî », répond Alicia, citant deux exégètes reconnus dans l’islam sunnite.

La discussion se poursuit sur le mariage des petites filles mais l’interlocuteur persiste à répondre à côté pour ne pas désavouer la parole d’Allah. Alicia n’hésite alors pas à le congédier sans ménagement : « Dégage, t’es incapable de répondre. Ton Dieu, c’est un dieu de merde, il existe pas ! » Des termes quasi-identiques à ceux tenus par Mila en 2020. Mais aujourd’hui, les militants étant de plus en plus nombreux à s’autoriser ces humeurs, ils permettent, tel que le décrit Amir, de « rendre la cible plus floue ».

Car dans toute cause, l’union fait la force et la normalisation de la critique de l’islam passe par sa démocratisation. S’il y a des internautes frustrés qui leur souhaitent d’aller « cramer en enfer », beaucoup sont disposés à débattre, même si les conversations peuvent être vives. L’objectif n’est pas de faire des vues sur des disputes stériles, mais de dialoguer avec ces musulmans qui apportent leurs sources et qui sont prêts à se voir contredits. Ceux qui violent la règle en utilisant cet espace de discussion pour proférer des insultes ne sont pas autorisés à faire long feu sur le direct et servent d’exemple : « J’en fais des pièces à conviction », s’amuse Alicia.

Issue de la communauté des joueurs de jeux vidéo en ligne, la jeune femme ne s’était jamais vraiment intéressée à l’islam avant de visionner les débats de JackLeFou, autre débatteur athée populaire sur YouTube. En découvrant les textes et la difficulté d’en débattre, elle a pu mettre le doigt sur un malaise qu’elle ressentait dans le débat public : « Il y a une indulgence envers l’islam parce qu’on la voit comme une religion d’étrangers. Mais elle fait maintenant partie de la France et il faut la traiter comme toutes les autres religions. »

Campagne de désensibilisation

Dans la prolongation de son travail, Bilal est l’auteur d’une satire à l’ironie aussi mordante que celle dont il fait usage dans ses débats, Incroyable Islam, parue en février sous le nom de plume Cheikh Ali. « T’as pas l’impression qu’on te prend pour un con ? » demande-t-il souvent à ses interlocuteurs en riant, généralement après avoir fait le récit d’une absurdité relevée dans les textes. Ainsi, lors de ces débats dynamiques, les plaisanteries fusent et le rire s’invite. « Parfois, quand les musulmans avec lesquels on débat se rendent compte qu’il y a des choses absurdes, ils en rigolent avec nous », note Alicia. « C’est aussi une campagne de désensibilisation qu’on fait. »

Et Dieu sait, pourrait-on dire, le rôle important que jouent l’humour et la caricature face à l’obscurantisme religieux. Dix ans après le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo, qui avait osé caricaturer le prophète, ces débatteurs s’autorisent aujourd’hui à se moquer de lui à visage découvert, malgré le danger que pose encore cette liberté fondamentale. « Les musulmans qui me liront ne vont sans doute pas me croire mais si je fais ce travail, c’est parce que je les aime et je les respecte », conclut Amir. Car pousser le croyant à penser par lui-même témoigne d’une considération à son égard dont les prédicateurs 2.0, eux, sont entièrement dépourvus.

* Les deux prénoms ont été modifiés.

France-Afrique du Sud: une défaite un peu courue d’avance…

La France s’est inclinée face à l’Afrique du Sud samedi soir. Néanmoins, l’entraineur Fabien Galthié n’a pas semblé déçu et esquissait presqu’un sourire à la fin de la rencontre. Voici pourquoi.


Au coup d’envoi du test-match France-Afrique du Sud, samedi à 21h au Stade de France, dans le cadre de la traditionnelle Tournée dite d’automne où les sélections de l’hémisphère sud viennent se mesurer amicalement, et néanmoins pour l’honneur, à celles nordiques du Tournoi des Six nations, Fabien Galthié, entraîneur-sélectionneur des Bleus, ne se faisait certainement pas beaucoup d’illusions sur l’issue de la rencontre. Une victoire sur les doubles champions du monde en titre, lui semblait bien peu probable.

Un début de match de bon augure

N’avait-il pas dit à plusieurs reprises, et notamment lors de la conférence de presse annonçant la liste des quinze Bleus qui allaient entrer sur le terrain, à propos des Springboks, leurs adversaires : « C’est la meilleure équipe du monde, peut-être la meilleure qui ait jamais existé » ? Ainsi, avec cet art de l’euphémisme dont il est adepte, il suggérait que la défaite était courue d’avance, même si en sport, comme en toute chose, il ne faut jamais exclure que l’improbable advienne. Et, en effet, durant les 60ème premières minutes, soit sur les ¾ de la durée de la rencontre, les faits parurent, pour la plus grande joie des supporteurs, le contredire, la France menant au score.

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À peine le match entamé, à la 4ème minute, l’arrière Thomas Ramos, toujours à l’affût de la moindre opportunité, envoie au pied une diagonale derrière la défense sud-africaine que récupère Damian Penaud et va aplatir derrière l’en-but marquant son 39ème essai sous le maillot des Tricolores. Par la même occasion, il dépossède Serge Blanco de son titre de meilleur aplatisseur en bleu avec 38 réalisations à son palmarès. De son côté, en le transformant, Ramos lave l’affront que lui avait infligé ces mêmes Springboks, en 2023, en quart de finale de la Coupe du monde. La France à qui cette coupe lui avait été un peu trop légèrement promise avait été éliminée après avoir perdu d’un petit point (28-29) ce match à cause justement de l’interception, fait extrêmement rarissime, d’une transformation, Ramos ayant un peu lambiné à la tirer et le joueur intercepteur ayant monté un peu trop tôt capter la balle, à la limite, pour ne pas dire carrément, du hors-jeu…

Samedi soir, vingt-trois minutes plus tard, sur un pénaltouche, resservi cette fois à la main par Ramos, Penaud récidive, porte son record à 40 essais qui ne s’arrêtera pas là (à 29 ans, il a quelques années de carrière devant lui) ; Ramos le transforme. Tout cela est de très bon augure. D’autant qu’entretemps, l’Afrique du Sud n’a pu engranger que deux pénalités… Avec un 14-6 à son actif, la France paraît avoir pris le bon cap pour se venger de son élimination deux ans plus tôt – pas seulement à cause de la transformation ratée de Ramos mais aussi, selon d’aucuns, d’une impartialité défaillante de l’arbitrage en sa défaveur.

La peau de l’ours…

Le public exulte… mais un peu trop tôt. À cinq minutes de la pause, le demi-de-mêlée des Verts-et-Jaunes, Cobus Reinach, dans une fulgurance à la sortie d’un ruck, plonge derrière la ligne d’en-but. Après transformation, le tableau affiche un 14-13. Le doute s’installe mais pour peu de temps…

À deux minutes de la pause, le deuxième ligne sud-africain, un vrai colosse, Lood de Jager, écope d’un carton rouge pour avoir percuté, dans un placage à retardement, la tête de Ramos de l’épaule qui n’a pas cependant paru en pâtir. Mais le geste est dangereux et ne peut que se solder par une exclusion. Une aubaine, mais hélas, de cet avantage numérique inespéré, les Bleus ne sauront en tirer avantage.

À la reprise, leur jeu, pour parodier Victor Hugo, s’apparente à une mer agitée qui bute sans cesse sur falaise de granit inébranlable. Deux possibilités d’essai françaises échouent d’un poil. Par fébrilité, les Bleus cumulent quelques inopportunes fautes. À l’orée des vingt dernières minutes, Ramos redonne espoir en passant une pénalité donnant à son équipe un maigre avantage de 4 points (17-13).

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C’était sans compter sur un sort contraire qui peu de temps après s’est abattu sur elle : Louis Bielle-Biarrey commet du bout des doigts, dans une tentative d’interception haut en l’air, un inopportun avant « furtif » mais considéré comme volontaire ce qui lui vaut un carton jaune donc à une exclusion temporaire. Les deux équipes ramenées à la parité numérique, 14 contre 14, le match bascule sans conteste à l’avantage des Springboks. En dix minutes, ils marquent trois essais consécutifs dont deux transformés.

Sous l’ère Galthié, l’équipe de France venait d’encaisser sa deuxième plus grosse défaite (17-32) après celle concédée l’an dernier en ouverture du Tournoi des Six nations face à l’Irlande (17-38), ce qui ne l’avait pas empêché de remporter ce dernier avec brio. Paradoxalement, à la fin du match, face à la caméra de TF1, Galthié ne donnait pas l’image d’un entraîneur dépité. Visiblement il s’y attendait et ça ne l’émouvait pas… « Ce n’est pas la première fois, dira-t-il impavide, qu’on subit une défaite… » Et avec un sourire en coin, il a fait remarquer que la moyenne d’âge de ses joueurs est en dessous de 30 ans et celle des Springboks au-dessus.

Il y a un peu moins d’un mois, il avait déclaré avec une pointe d’ironie distante qu’il valait « mieux gagner un hypothétique match de phase finale dans deux ans (ndlr : allusion à la Coupe du monde qui aura lieu en 2027 en Australie) que celui qui vient ». Il rappelait implicitement qu’en 2022, la France avait battu en test-match l’Afrique du Sud à Marseille par 30 à 26, et un an plus tard elle s’inclinait, ric-rac, devant la même en quart de finale du mondial.

En somme, pour lui un test-match c’est fait pour tester des joueurs et des tactiques. Ce qu’il a fait samedi en incluant dans sa sélection du sang neuf. Il ne s’en cache pas : il a un objectif prioritaire, donner à la France sa première Coupe du monde. Il a deux ans pour s’y préparer[1].

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[1] La Coupe du monde se déroulera du 1er octobre au 13 novembre 2027. Dans le cadre de l’actuelle tournée, la France jouera contre les Fidji samedi prochain et l’Australie le 22 novembre.  

Pologne: la musique cachée derrière le rideau

En Pologne, un compositeur a entrepris de ressusciter les enregistrements de milliers de musiques de scène écrites dans son pays pour le théâtre depuis la fin de la guerre de 39-45. Un océan sonore d’une richesse inouïe


C’est en redécouvrant fortuitement l’enregistrement oublié d’une ancienne de ses compositions écrite dans les années 1980 pour un drame représenté dans un théâtre polonais, que le compositeur Janusz Stoklosa a soudainement pris conscience du formidable patrimoine musical constitué par toutes les musiques de scène produites en Pologne depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Petits ou grands, tous genres confondus, on a recensé près de 888 théâtres dans le pays de Jerzy Grotowski et de Witold Gombrowicz. Dont quatre scènes nationales,  43 régionales, 73 municipales. Et parmi eux 91 théâtres dramatiques et 40 théâtres musicaux. Il s’y monte entre 600 et 800 productions nouvelles chaque année. 771 par exemple en 2022. Et cela sans compter la politique culturelle de la télévision nationale qui diffuse chaque semaine, le lundi, une production théâtrale de qualité spécialement adaptée pour le petit écran.

Toutes les écoles musicales

Pour la plupart des spectacles, depuis des décennies, on a commandé et on commande encore à des compositeurs des partitions originales qui illustrent, commentent, soutiennent, agrémentent, dramatisent l’action.

« J’ai réalisé que ces innombrables musiques de scène enregistrées, une fois que la production a définitivement quitté l’affiche, étaient en voie de disparaître avec leur support devenu obsolète, confie Janusz Stoklosa. Et j’ai pris ainsi conscience des dommages considérables que cela constituerait pour notre patrimoine musical, chose dont personne ne s’était soucié jusque là.

Même si toutes les partitions ne sont pas inoubliables, elles demeurent quoi qu’il en soit des témoignages éloquents de leur époque. Tous les styles y sont représentés et ce foisonnement est le reflet des innombrables tendances de l’histoire musicale du XXe siècle. Il y a par exemple beaucoup de musique expérimentale, de musique concrète, de musique sérielle. De musique électronique ou minimaliste. Pour ne rien dire des compositions d’esprit classique ou romantique, voire baroque ou médiéval. Grâce entre autres à l’Automne de Varsovie (festival de musique contemporaine fondé en 1956), toutes les innovations ont fait souche en Pologne. Nous avons eu un centre de musique expérimentale à Varsovie comme un centre de musique électronique à Cracovie. Et de plus, ces partitions ont été écrites en écho à des textes de Shakespeare, de Molière, de Tchekhov… Cela seul déjà leur confère un intérêt certain. Puisque nous conservons des photographies de spectacles aujourd’hui devenus légendaires, pourquoi ne conserverait-on pas aussi les musiques qui les ont illustrés ? »

Les plus illustres compositeurs

Tragédies, drames romantiques, fresques historiques, comédies, pièces de boulevard, ouvrages à destination de la jeunesse: rien dans le pays de Chopin et de Szymanowski n’a échappé à l’emprise de la musique. Et surtout pas le théâtre pour enfants et le théâtre de marionnettes sous un régime politique aujourd’hui aboli qui, malgré toutes ses tares, prenait à cœur l’éducation artistique des jeunes générations.

Les compositeurs ont été des dizaines, voire des centaines à travailler pour le théâtre de texte ou le théâtre de pantomime depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Et parmi eux, les plus illustres : Witold Lutoslawski, Krzysztof Penderecki,  Henryk Górecki,  Zygmunt Krauze, Wojchiech Kilar, Elzbieta Sikora…. Ils ont œuvré en collaboration plus ou moins étroite avec les metteurs en scène d’un pays où la vie théâtrale est parmi les plus fécondes au monde et où l’on s’est autorisé toutes les audaces… enfin celles qu’on pouvait se permettre sous un régime totalitaire, mais plus libéral, plus souple (parce que polonais) que celui de ses voisins plus dogmatiques du bloc communiste.

En France, on n’a aucune idée de la richesse et de l’abondance d’une telle production. L’usage de créer un climat musical au théâtre, de soutenir, d’accompagner un texte avec tout un orchestre ou seulement quelques solistes, ou plus couramment à l’aide d’enregistrements de ces derniers, n’est pas ici si courant. Il a cours parfois au Théâtre Français, et sur des scènes subventionnées, à Paris comme en province, mais ce sont le plus souvent des productions sonores électroniques plutôt que d’authentiques compositions musicales. Et il n’est pas courant de faire appel expressément à un compositeur contemporain de quelque envergure comme l’a fait le directeur du Théâtre de la Colline  Wajdi Mouawad avec le compositeur Pawel Mykietyn, un Polonais justement. Même si les interventions de musiciens patentés existent, elles demeurent généralement discrètes. Et l’on ne se souvient plus guère que des pages de Lully du temps qu’il collaborait avec Molière dans Le Bourgeois gentilhomme ou Le Malade imaginaire. Ou de la musique de scène de L’Arlésienne pensée par Georges Bizet pour le drame d’Alphonse Daudet. On n’a pas oublié non plus celle d’Edouard Grieg pour le Peer Gynt d’Henrik Ibsen.

En Pologne en revanche, du moins depuis l’après-guerre, car on ne sait au fond plus grand chose de la production musicale pour le théâtre entre les deux guerres faute d’enregistrements, la présence de la musique de scène est quasiment systématique. A tel point que les théâtres les plus importants étaient tous et sont encore dotés d’un directeur musical. C’est souvent lui qui composait à la demande des metteurs en scène ou de la direction du théâtre. C’est lui encore, dans le cas où l’on pensait à recourir à des ouvrages du répertoire, qui proposait un choix de partitions au metteur en scène.

La volonté du metteur en scène

« En fait, tout a toujours dépendu des volontés du metteur en scène, souligne Janusz Stoklosa. Mais la tendance à recourir à la musique au théâtre s’est si bien ancrée dans les mentalités que presque tous s’y sont pliés. Et c’est immédiatement à la suite de son nom et de celui du scénographe qu’apparaît celui du musicien dans les programmes, aussi brèves que puissent être parfois les interventions de ce dernier. »

« Il ne faut pas oublier, reprend-il, qu’à l’époque communiste, tout dépendait de l’Etat. S’il était nécessaire d’avoir recours à un orchestre symphonique pour enregistrer une partition, c’était normalement accordé et ça ne coûtait pas plus cher à l’institution. Il suffisait que le directeur du théâtre s’adressât à celui de l’orchestre philharmonique local pour qui ce n’était qu’une tâche supplémentaire se glissant dans le travail des musiciens (chichement) rémunéré par l’Etat : les heures de répétition et d’enregistrement des interprètes étaient comprises dans leurs salaires immuables. Même chose si les musiciens exécutaient des morceaux sur scène ou dans la fosse d’orchestre. Ce n’est que dès les années 1970 que les théâtres puiseront dans leurs propres budgets pour payer aux musiciens leur surcroît de travail. Compositeurs et exécutants étaient alors défrayés selon le nombre de mesures. Et c’est en 1994, avec l’apparition en Pologne des droits d’auteurs, que les tarifs varieront d’un compositeur à l’autre. L’œuvre sera considérée dès lors comme un produit acquis à un prix débattu avec l’auteur. S’il est salarié par un théâtre en tant que directeur musical, il est désormais payé en sus pour ses compositions ».

Des compositeurs attitrés

Tout dépendait aussi de la nature de la mise en scène. Dans un théâtre très plastique comme celui de Tadeusz Kantor ou de Janusz Wisniewski par exemple, là où nombre de scènes se déroulaient sans texte, la part de la musique (ou de silence) était d’autant plus importante. Wisniewski pouvait alors demander des partitions imposantes à son compositeur attitré, Jerzy Satanowski. Comme aujourd’hui le metteur en sccène Krystian Lupa qui fait appel à Jacek Ostaszewski ou Krzysztof Warlikowski travaillant avec Pawel Mykietyn.

Quand Bogdan Tosza demande à Janusz Stoklosa d’accompagner sa mise en scène des Trois Sœurs de Tchekhov, où le texte demeure évidemment primordial, il leur faudra s’entendre à la fois sur un style musical en accord avec le propos du metteur en scène et sur la place qu’on donnera à la musique, sur sa façon de se marier au climat du spectacle. Pour coller aux intentions du metteur en scène, le compositeur en viendra à concevoir une partition dans l’esprit de l’époque où Tchekhov situe ses personnages.

Dans Les Aïeux, le grand drame romantique de Mickiewicz alors mis en scène par Maciej Prus, le poète, dans ses didascalies, signale que la scène de bal doit se dérouler sur le menuet extrait du Don Giovanni de Mozart. Le même Stoklosa métamorphosera cependant progressivement le dit menuet mozartien en polonaise enflammée jusqu’à l’incandescence au fur et à mesure de la montée de la tension dramatique établie entre un notable à la solde de l’oppresseur et une mère venue demander la grâce de son fils.

200 compositions pour le théâtre

Des partitions composées pour des spectacles créées un peu partout en Pologne (mais aussi pour le Burgtheater de Vienne, le Schauspielhaus de Zürich, le Théâtre flamand de Bruxelles, le Berliner Ensemble, la Volksbühne ou le  Deutches Theater de Berlin), Janusz Stoklosa en a lui-même plus de 200 à son actif. C’est ce qui lui a ouvert aisément les portes des théâtres pour lesquels il avait travaillé naguère. Entretemps, il s’est rendu extrêmement célèbre dans son pays avec la création de comédies musicales dont Métro, en 1991, fut la toute première à voir le jour dans un pays de l’ancien bloc communiste.  

Muni de ce double viatique, il a pu ainsi entreprendre la tâche gigantesque d’explorer les archives de nombreux théâtres choisis pour la qualité de leur répertoire et d’y retrouver les enregistrements de l’époque.

A lire aussi, du même auteur: Concours Chopin: déroute européenne, raz de marée asiatique

Mais là, surprise ! Ou demi-surprise. Et qui en dit long sur le peu d’intérêt que bien des gens de théâtre portent à leur propre histoire, comme à la musique considérée sans doute comme n’étant rien d’autre qu’un accompagnement sonore. Si bien des salles ont certes conservé leurs archives musicales, enregistrements ou simples partitions, elles l’ont fait souvent dans des conditions précaires, sinon déplorables. Plusieurs ont carrément tout perdu. Ou sciemment tout détruit, dans la plus parfaite inconscience de ce qui constitue le patrimoine d’une institution. Au mieux, sinon au pire, les archives des théâtres ont été déposées à l’Institut théâtral (Instytut Teatralny) à Varsovie où elles ne sont ni réellement exploitées, ni restaurées, faute de moyens, et se retrouvent ainsi définitivement enterrées comme dans un tombeau.

« J’ai exploré 20 théâtres parmi ceux que j’avais retenus et dans lesquels se sont  déroulées près de 1500 productions au fil des décennies passées, précise Janusz Stoklosa. Et j’en ai encore 50 autres à visiter. Dans un seul établissement comme le Théâtre Bagatella à Cracovie, il a fallu se pencher sur 400 créations du passé. C’est de là d’ailleurs que provient le plus vieil enregistrement que nous ayons retrouvé. Il date de 1949 et c’est une composition d’Artur Malawski (1904-1957), chef d’orchestre alors renommé et compositeur prolifique. Une composition conçue pour une adaptation théâtrale de l’Oiseau bleu de Maurice Maeterlink ».

Pour chaque théâtre : 1200 heures de labeur en moyenne

« Après remise des bandes magnétique en nos mains, il faudra entre deux et trois heures pour que chacune d’entre elles puisse être écoutée attentivement. Puis elles doivent être restaurées en fonction de leur état de conservation, digitalisées ensuite. Quarante minutes de musique enregistrée peuvent compter jusqu’à vingt fragments différents ayant accompagné autant de séquences théâtrales ou s’y étant intercalées. De fait, j’ai calculé que pour chacun des théâtres que nous avons répertoriés pour cette opération de sauvegarde, il fallait compter en moyenne près de 1200 heures de labeur ».

Pour ce faire, il a fallu à Janusz Stoklosa s’entourer de collaborateurs familiers du monde musical et du monde théâtral tout à la fois. Et d’informaticiens solidement formés et équipés pour cette tâche si particulière de restauration et de transposition sur des supports modernes.

Pour travailler, ces derniers bénéficient du studio d’enregistrement dont dispose le compositeur et qui est situé en plein cœur de Varsovie, au-dessus de ce Teatr Studio Buffo où se jouent à guichets fermés ses comédies musicales.

Résurrection : un océan sonore

Restituer des enregistrements mis à mal par le temps et la dégradation de leurs supports en les restaurant méticuleusement et en les rétablissant dans leur intégrité sonore revient donc à les ressusciter. Et cette résurrection n’a de sens que si l’on peut les réutiliser. Car c’est bien le but de cette vaste opération de sauvetage :  rendre vie à ces compositions, avec l’accord dûment signé de leurs auteurs ou de leurs ayants droit, afin de pouvoir les réutiliser pour sonoriser des documentaires, des films, des reportages, de nouvelles mises en scène, des spectacles de danse, des émissions radiophoniques… ou pour quelque utilisation commerciale. A condition toutefois que la plateforme donne son aval à une utilisation légitimée par tout utilisateur répondant à un simple formulaire en ligne.

Mais l’entreprise vaut aussi pour contribuer à la formation de nouveaux compositeurs au moment où nombre d’entre eux se revendiquent désormais comme musiciens spécialisés pour le théâtre. Ou pour mettre ces musiques à la disposition gratuite du plus vaste public, maintenant qu’elles sont accessibles à tout un chacun.

Pour faciliter les recherches au sein de cet océan sonore qui regroupe désormais plus de 3115 fragments musicaux enregistrés (ceux composés par Andrzej Zarycki pour La Visite de la Vieille Dame de Friedrich Dürrenmatt se montent à eux seuls à une vingtaine), on les a classés sous de multiples clefs de recherche. Sur le site Musicgranar.com figurent les noms des compositeurs évidemment, avec leur biographie, les dates de création des spectacles, mais surtout les thèmes, le caractère de chaque morceau musical, sa forme d’interprétation (qu’il s’agisse de musique instrumentale ou vocale, d’ensembles symphoniques ou de musique de chambre, de solistes, de formations vocales a capella ou accompagnées de musiciens, d’instruments utilisés, de compositions acoustiques…)

Michał Pepol interprète la pièce Kartka z kalendarza (« Une page du calendrier ») de Paweł Mykietyn. Photo : Tal Bitton.

Angéliques et colériques

Et puis on définit les morceaux musicaux en fonction du climat, de la couleur, des impressions qu’ils dégagent. Et les nuances sont infinies. Il y a les agressifs (on en trouve 99) les angéliques (51), les colériques (67), ceux qui dégagent une atmosphère d’anxiété (ils sont 439).  Il y a les mystérieux, les joyeux, les festifs, les fantasques… Tout cela est minutieusement analysé (de façon obligatoirement subjective) afin de permettre de cerner aisément le genre d’intervention sonore que l’on recherche et de dénicher une musique correspondant à ses desiderata.

Une composition orchestrale de Jolanta Szczerba est ainsi décrite comme expressive, bizarre, froide, désespérée, inquiétante, dramatique, étrange, cafardeuse, sinistre, psychédélique… ce qui a bien de quoi combler celui qui recherche une musique anxiogène pour un film d’horreur.

Alors que chez Adam Opatowicz, telle séquence au piano illustrant une adaptation scénique du Maître et Marguerite est qualifiée de brillante, sarcastique, folle, naïve, nerveuse, espiègle et excentrique tout à la fois.

L’ensemble des enregistrements est mis en place et facilement consultable sur un site coloré et infiniment séduisant. Sauf qu’on attend encore le recensement de milliers d’autres moments musicaux pour étoffer cet immense répertoire, pour ouvrir son exploitation publique et pour asseoir définitivement sa position unique dans les cercles musicaux.

Ce qui vaut pour la Pologne est évidemment accessible pour le monde entier et offre à ces enregistrements exhumés de l’oubli un immense champ d’exploitation, alors les droits d’auteur seront reversés aux compositeurs par l’intermédiaire de ZAiKS (Association des Auteurs et Compositeurs de la scène), la SACEM polonaise qui occupe un beau palais néo-classique au centre  de Varsovie.

C’est une tâche phénoménale qu’ont entreprise Janusz Stoklosa et sa quinzaine de collaborateurs depuis maintenant trois ans. Même si chacun applaudit à cette initiative, jusqu’à aujourd’hui, et à l’exception de trois aides modestes de l’Etat polonais, c’est le compositeur de Metro qui a financé à lui seul cette considérable entreprise. Car les institutions peinent par principe à s’allier à une initiative privée.

« Ces musiques sont le plus souvent très accessibles au grand public. J’en sais quelque chose pour avoir dirigé des orchestres symphoniques interprétant mes compositions pour le théâtre, comme on le fait pour des musiques de film, devant des auditoires très chaleureux. Cela suscite une forte adhésion. Mais bien évidemment Musicgranar doit avant tout trouver un écho dans les milieux du cinéma, du documentaire, du théâtre, de la danse, dans ceux de la publicité aussi.  Je compte que dans cinq ans, nous soyons parvenus à maturité, que la plateforme démontre pleinement son utilité et que ce formidable répertoire musical qu’il fallait absolument sauvegarder retrouve bientôt une vie nouvelle. »

Il n’est toutefois pas nécessaire de rechercher dans Musicgranar quelque chose qui soit utile à un artiste ou à un quelconque professionnel des mondes de la culture, de la publicité ou du commerce. Parcourir le site au hasard, c’est voler de surprise en surprise, se divertir et découvrir un florilège de fragments musicaux d’une diversité inouïe. Un amusement de haut vol qui s’enracine dans sept décennies de création musicale. Et qui pourrait être un exemple à suivre dans bien d’autres pays que la Pologne.

Pourquoi Gabriel Zucman a tout faux

L’économiste chouchou de l’extrême gauche propose une analyse claire et articulée, mais avec un raisonnement subtilement orienté.


Les milliardaires ne paient pas d’impôt sur le revenu et nous allons y mettre fin : tel est le titre accrocheur et guerrier du libelle de Gabriel Zucman récemment publié au Seuil. Saluons en premier lieu la clarté de ce texte. L’argumentation est construite, les fondements idéologiques sont énoncés sans détour, les conclusions et propositions d’action publique sont limpides. C’est un monument de raisonnement apparemment scientifique tout en étant profondément faux. En voici le lucide décryptage.

Gabriel Zucman convoque d’abord les mânes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui a portée constitutionnelle : son célèbre article 13 énonce le principe de l’égalité devant les charges publiques. Il en déduit que l’impôt ne devrait pas être « régressif », c’est-à-dire que les personnes les plus riches ne devraient pas pouvoir payer moins, en proportion de leurs revenus, que les catégories sociales moins fortunées qu’elles. Rappelons les dispositions de l’article 13 : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »

Le Conseil constitutionnel retient ainsi que l’impôt doit être proportionné aux capacités contributives, qu’il doit être non discriminatoire et général (par exemple, ne pas concerner seulement les pauvres ou seulement les riches).

La croissance annuelle du patrimoine, c’est en fait du revenu, selon M. Zucman !

Ensuite, Gabriel Zucman étend la notion de revenu imposable en y intégrant la croissance annuelle du patrimoine. Il argue que les distributions de dividendes à des sociétés holdings ne subissent généralement qu’une faible taxe dans le cadre des dispositifs fiscaux les plus courants prévalant sur l’ensemble de la planète (1,25% en France), pour peu que ces revenus ne soient pas redistribués au niveau des actionnaires de ces holdings. Ils peuvent dès lors être conservés en trésorerie (produits financiers) ou réinvestis dans le capital d’entreprises et de l’immobilier, sans imposition supplémentaire. Pour lui, un revenu non distribué permet en fait de constituer une forme d’épargne, au-delà d’une consommation personnelle peu importante en termes relatifs pour un ultra-riche. Ce revenu non distribué doit dès lors être imposable comme le serait le revenu d’un contribuable moyen, qui lui est, soit consommé, soit épargné. Glissement sémantique étrange pour un économiste qui a enseigné à Berkeley et à la London School of Economics (mais qui n’a certes pas été accepté à Harvard) et qui est désormais professeur à Normale Sup Ulm.

Sur la base de ces considérations générales, il constate que les Français voient leurs revenus taxés en moyenne à 51 %, tous impôts et cotisations sociales confondus, alors que les « ultra-riches » (au-dessus de 100 M€ de patrimoine) n’acquitteraient que 2% en impôt sur le revenu stricto sensu en France et 23% en impôts sur les sociétés payés par leurs entreprises, soit au total 25% en prélèvements obligatoires (13% en France et 12% à l’étranger). Deuxième anomalie de raisonnement, l’impôt sur les sociétés payé par les entreprises des ultra-riches est ainsi considéré comme devant être intégré à un impôt sur le « revenu théorique global » les concernant, alors même qu’il s’agit de personnes physiques distinctes des personnes morales payant l’impôt sur les sociétés.

Il en déduit qu’il convient de faire passer les ultra-riches à un niveau de taxation sur le revenu se rapprochant de celui de la moyenne des Français.

Pour Gabriel Zucman, 2% de taxation annuelle plancher sur les patrimoines au-dessus de 100 M€ permettrait de faire respecter le principe constitutionnel d’égalité devant l’impôt

S’ensuit un calcul d’une simplicité biblique. Les ultra-riches enregistrent un rendement annuel moyen autour de 6% par an sur leur patrimoine, bien mieux que le livret A ou l’assurance-vie des Français moyens. Donc, en leur prélevant globalement 2% par an sur ce patrimoine, en tenant compte des impôts sur le revenu déjà payés par ailleurs en France, cela correspond à un impôt global de 33% sur le rendement théorique annuel d’un tel patrimoine (2 divisé par 6 égale 33 %). Ce 2% d’impôt plancher sur la fortune, ce serait pour Gabriel Zucman le taux « scientifiquement » calculé pour faire respecter le principe d’égalité devant l’impôt.

Incidemment, on comprend que la taxation Zucman des milliardaires français atteindrait dans ce schéma 33 (France)+12 (étranger) = 45 % en moyenne, soit un taux proche de la moyenne française de 51%. Ainsi, chers « ultra-riches », vous devriez remercier Gabriel Zucman que, via ce 2% de taxation annuelle sur le patrimoine, l’on ne vous prenne pas plus que 33% de votre « revenu théorique global » annuel en France ! Car 33%, ce n’est pas confiscatoire au sens du Conseil constitutionnel.

Triple glissement technique et sémantique de la part de l’excellent Gabriel Zucman : la croissance annuelle du patrimoine, c’est du revenu plein pot pour les vilains ultra-riches ; ils doivent être imposés sur le revenu comme tous les Français selon le principe d’égalité devant l’impôt ; 2% d’imposition sur la fortune, cela les aligne sur l’imposition moyenne des Français. La justice fiscale est en marche, d’inspiration révolutionnaire comme il se doit. Un magnifique sophisme.

Je me garderai bien ici de développer les multiples considérations techniques, économiques, juridiques, fiscales, financières et constitutionnelles qui ont été largement médiatisées depuis quelques semaines, et qui expriment généralement de solides critiques de la taxe dite Zucman. Ne parlons pas non plus de l’incroyable cécité, pour ne pas dire plus, de nos représentants à l’Assemblée nationale qui l’ont adoptée en première lecture en février 2025.

Néanmoins, une vraie problématique d’inégalités de patrimoine croissantes

Je terminerai en soulignant que Gabriel Zucman, comme d’autres économistes d’horizons divers, a orienté les projecteurs sur une évolution notable des structures de patrimoine dans le monde, qui soulève une réelle problématique de cohésion des sociétés et des démocraties. La croissance et la concentration des patrimoines sur des catégories sociales restreintes se sont en effet accélérées au cours des dernières décennies. La mondialisation des activités économiques avec la montée en puissance du Sud global ainsi que la dissymétrie des progressions respectives des revenus du capital et des revenus du travail ont contribué à polariser les différentes catégories sociales sur toute la planète, et en particulier dans les pays occidentaux.

Nous ne pouvons pas rester indifférents en France au fait que les 500 premières fortunes professionnelles françaises, suivies depuis 1996 par Challenges, détenaient un patrimoine correspondant à 6% du PIB en 1996 et qu’aujourd’hui, cette proportion atteint 42% du PIB, quelle que soit l’interprétation que l’on peut en faire (au choix, « les inégalités explosent » ou « les entrepreneurs français ont réussi leur intégration dans la compétition internationale »). Néanmoins, force est de constater que le patrimoine des Français a sensiblement progressé entre 1996 et 2024, de sorte que le patrimoine des 500 premières fortunes professionnelles françaises représente en réalité toujours autour de 6% du patrimoine national net de la France au sens de la comptabilité nationale, en 2024 comme en 1996. Il est vrai que ce patrimoine national net est passé d’environ 5 fois le PIB à 6,7 fois le PIB sur la période, traduisant ainsi la progression de valeur des actions et de l’immobilier.

L’enjeu pour les années à venir, c’est en réalité de définir quel rééquilibrage devrions et pourrions-nous mettre en œuvre, individuellement et collectivement, pour que n’apparaissent pas des sociétés à trois vitesses, avec un « lumpenproletariat » sans  espoir, une large classe moyenne appauvrie, frustrée et sans perspective d’ascenseur social, et une classe de super-privilégiés, vivant en cercle fermé sur un Olympe inatteignable pour 99,99% de la population (scénario de nombreux films de science-fiction, dont nous ne sommes désormais plus si éloignés).

Répondre à cette problématique par une approche centrée non sur une taxation punitive, mais sur le service du bien commun

Pour ma part, je crois plus au développement d’un mécénat et d’une philanthropie privés, volontaires et responsables, portés par des fondations d’entreprises et des familles, qu’à une taxation publique punitive, supposée promouvoir une hypothétique justice fiscale (que personne ne sait du reste définir), dévastatrice pour l’esprit d’entreprise, la croissance et l’innovation.

Il est à cet égard patent que la sphère privée est, au XXIème siècle, plus à même de soutenir des initiatives d’envergure en faveur du bien commun que ne l’est désormais la sphère publique, minée par l’absence de vision, la bureaucratie et l’inefficacité, qu’elle soit nationale ou multilatérale.

Enfin, pour revenir à l’esprit de la Constitution, la « contribution indispensable », c’est-à-dire nécessaire, est destinée à couvrir « l’entretien de la force publique » et « les dépenses d’administration ». En termes contemporains, il s’agit des dépenses régaliennes (sécurité intérieure, justice, défense, diplomatie) ainsi que de l’administration de l’État et des collectivités locales. Il y a donc eu, là aussi, un glissement sémantique progressif et insidieux au cours de cette longue période de deux siècles et demi. Nous sommes à l’évidence bien loin, en cette fin du XVIIIème siècle, du financement par les prélèvements obligatoires de notre actuel si dispendieux et si peu efficace État providence, qui pose désormais le problème du consentement à l’impôt.

Mais c’est un autre débat, qui appelle une reconfiguration de ce que l’on appelait autrefois l’intérêt général, défini par la sphère publique, et qui aujourd’hui est le bien commun, porté par la sphère publique et la sphère privée.

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Cet étouffoir démocratique qui rend l’atmosphère révolutionnaire

La « stabilité » défendue par l’oligarchie agrippée à ses pouvoirs n’est rien d’autre que de l’immobilité politique. Calme trompeur. Refuser de donner la parole au peuple renforce les frustrations des dégagistes.


Le mot nouveau est arrivé : « stabilité ». Il est répété par ceux qui ont choisi de soutenir Sébastien Lecornu, ultime bouée d’Emmanuel Macron, en espérant se sauver eux-mêmes. Le 16 octobre, la plupart des députés PS et LR ont ainsi joint leurs voix à celles des macronistes en perdition pour rejeter (à 18 voix près) la censure du gouvernement au nom de la préservation de l’ordre républicain. Mais ce retour au calme institutionnel est aussi trompeur que le fut la « concorde », cet autre mot qui fit florès en 1793… juste avant la Terreur. Dans leur obsession à faire taire les Français, de peur qu’ils renforcent la droite chamboule-tout, les ralliés au chef de l’État et à son Premier ministre partageront leur sort : ils tomberont ensemble. Derrière la stabilité psalmodiée se profile la possible table rase.

L’étouffoir démocratique a rendu l’atmosphère révolutionnaire. Toutefois, l’embastillement de Nicolas Sarkozy est un signe trompeur. Son incarcération à la Santé, le 21 octobre, est l’effet du dérèglement du système, confisqué par des castes. Le choix des juges d’humilier l’ancien chef de l’État n’exprime qu’en apparence la colère du peuple contre ses élites. Alors qu’aucune preuve d’un financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007 ni aucun enrichissement personnel n’ont été retenus contre le prévenu, son emprisonnement avant l’appel signe la dérive moraliste d’un pouvoir judiciaire gagné par l’arbitraire et la revanche politique. Les magistrats qui espèrent entraver Marine Le Pen aggravent le sentiment des électeurs d’être dépossédés de leurs voix.

A lire aussi, du même auteur: Quand la question algérienne rassemble les droites

Ceux qui écartent l’arbitrage du peuple programment leur déroute. La droite de gouvernement est déjà en lambeaux. Les Républicains qui se sont alliés aux socialistes à l’Assemblée, eux-mêmes désireux de suspendre la réforme des retraites et de taxer les riches, ont achevé de rompre leur union avec le courant souverainiste de leur parti. Jean-François Copé (LR), qui accuse le RN d’avoir un programme socialiste, est resté muet devant l’incohérence de la fausse droite cheminant avec Olivier Faure (PS). Bruno Retailleau, président d’un parti qui ne lui obéit qu’à moitié, n’a d’autre choix rationnel que de s’éloigner de ces politiciens et de leurs tambouilles pour rejoindre les nationaux d’en face : c’est dans ce creuset et sur les ruines du progressisme que l’histoire s’écrit.

Dans leur refus de se tourner vers les citoyens, les squatteurs de la démocratie reconnaissent implicitement la victoire idéologique de Marine Le Pen. Elle est une menace à leur survie. Dans son bureau à l’Assemblée, le portrait d’un chat, posé sur la cheminée, sert de fond visuel à ses interventions à côté du drapeau tricolore. Le 3 octobre, la fondatrice du RN, éleveuse diplômée de félins, s’est rendue à une invitation du Premier ministre à Matignon accompagnée d’un chaton qu’elle nourrissait au biberon. Cette passion ne fait pas un programme. Toutefois sa proximité affichée avec les animaux parle à ceux qui vivent avec les 17 millions de chats que compterait la France. Elle parle aussi aux Français qui n’existent plus aux yeux des boutiquiers de la politique soucieux d’eux-mêmes.

La stabilité, telle qu’elle est défendue par l’oligarchie agrippée à ses pouvoirs, signifie l’immobilité, le statu quo, le silence dans les rangs. Elle est une violence pour les indésirables qui réclament des élections clarificatrices. Retarder ces échéances démocratiques ne fera que renforcer les frustrations des dégagistes.

Le maître des horloges

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Dans une biographie consacrée à François Nourissier (1927-2011), pape florentin de l’édition aux éditions Le cherche midi, l’historien François Chaubet nous invite à un voyage au cœur des lettres françaises…


C’était donc ça, le pays imaginaire des éditeurs et des prix d’automne, de l’influence de la critique à l’arithmétique des jurys, des puissantes rédactions de « News magazine » aux Académies nourricières. Du manuscrit à la dotation, il y avait un « seul » homme, architecte neurasthénique, lecteur aussi avide que désespéré, barbe blanche et grisaille permanente, moteur du Goncourt et inlassable manouvrier de Grasset, derrière cette machinerie des livres. Un peu vaine et qui, cependant, mobilisa tant de connivences, d’amertumes et de talents durant la deuxième moitié du XXème siècle. Il fallait voir ça au moins une fois dans sa vie, vivre les intenses tractations de l’été avant la distribution de novembre, les combinazione, les coulisses, les passations de contrat, les jalousies entre maisons, les fausses valeurs et les vrais écrivains au coude-à-coude, l’esprit boutiquier au service de la littérature. Balzac en mondovision. Un homme maîtrisait à la perfection cette grammaire des égos. Un homme de pouvoir, touché par la maladie, longtemps considéré comme le grand manitou des rentrées, faiseur de prix et déclencheur de vocations, aujourd’hui totalement oublié. On le voyait chez Pivot à côté de Jean d’O ou d’Hergé et au premier étage du Drouant rue Gaillon sous une nuée de photographes, à Trente Millions d’amis et dans les colonnes du Figaro Magazine, Ardisson lui réservait une table de choix le samedi soir. L’édition a changé. Plus éphémère, plus brutale aussi, soumise à la concurrence d’autres sources de « distraction » et à une certaine indifférence. Elle ne fait plus recette. Les bibliothèques ont disparu des intérieurs bourgeois. Même si le livre résiste quelque peu dans notre pays par habitude, il n’a plus l’aura, l’éclat et le ressac du passé. François Nourissier était le dépositaire de cette vieille fille qui avait le charme des veuves anglaises de guerre à ombrelles et à voilettes. Sous son règne, la vieille dame perdue dans son cottage avait encore du ressort et des secrets à nous dire.

A lire aussi: « L’Étranger » de François Ozon est-il politiquement correct?

Aux éditions Le cherche midi, François Chaubet s’est lancé dans une sérieuse biographie qui éclaire ce personnage jadis central des lettres françaises à travers son parcours professionnel et surtout ses livres. L’historien a le désir de percer le mystère de cet écrivain compliqué, oscillant entre la détestation de lui-même et porté par de hautes ambitions créatrices. Un personnage impénétrable, honni par certains, à la fois grenouillant dans la mare aux livres et jamais dupe de son propre manège. Dans son entreprise de réhabilitation, Chaubet veut sauver le « soldat » Nourissier de l’oubli. Que l’on ne garde pas seulement en mémoire cette image de commandeur des lettres aux méthodes florentines. Nourissier a incarné les dérives d’un système où la tractation et le « lobbying » étaient érigés en art de la conquête commerciale. C’est oublier que le livre demeure un produit intellectuel et marchand, cette dualité-là implique des accommodements avec la vérité. « Mais qu’advient-il de son œuvre, dissimulée au fil des ans derrière ce profil exclusif d’un homme de pur pouvoir ? » se demande l’historien, dès le préambule. Nourissier a tout fait pour rendre cette tâche ardue tant par son caractère sombre que par ses manières « grand siècle ». Nourissier avait une très haute estime de la littérature et du dénigrement de soi. Chaubet remonte le fil de cette enfance gênée en mal d’amour, le garçon a perdu tôt son père dans un cinéma, la défaite de 40, les lectures intensives et enfin la découverte d’un idéal : écrire. Il écrira beaucoup dans les journaux entre des mariages ratés et des achats compulsifs de belles demeures. Chez Nourissier, la réussite professionnelle cache maladroitement un désarroi profond. La défaite intérieure l’emporte sur le brio extérieur. Bernard Frank a écrit: « Nourissier, c’est une nature malheureuse » lors de la parution de La Crève. Chaubet nous invite à (re)lire Un petit bourgeois ou Le Musée de l’Homme, il le défend avec conviction et loue son style : « Mais quel gouffre entre son art ciselé, tremblé mais distillé (style, rythme, accélérations et ralentissements) et celui de certains auteurs contemporains (é)perdus dans leur narcissisme victimaire sans filtre, où l’univers de surcroît, n’est plus que le reflet d’eux-mêmes ». Chaubert a du souffle pour rameuter de nouveaux lecteurs tentés par l’expérience d’une écriture abrasive. Cette biographie vaut aussi pour l’atmosphère d’époque, elle nous révèle jusqu’aux détails chiffrés des avances et des pourcentages de vente et revient sur les amitiés sincères et durables avec Christine de Rivoyre, Edmonde Charles-Roux, Michel Déon ou Jacques Chessex. Souvent rattaché, par facilité, à la galaxie des Hussards, il partageait avec Nimier la même exigence littéraire, il fut notamment coopté par Chardonne et Morand, il dirigea la rédaction de La Parisienne sous la tutelle de Jacques Laurent, Nourissier était assez éloigné politiquement d’eux sur les questions de décolonisation. Mendésiste de cœur, puis chiraquien de « raison », compagnon de route d’Aragon et fidèle de Pauwels, ancien « pauvre » devenu « riche », sa trajectoire n’a rien de linéaire. « Je voudrais mourir sans qu’on m’accuse d’être un homme de droite » déclara-t-il dans Bouillon de culture en avril 2000.


François Nourissier – Au cœur des lettres françaises de François Chaubet – le cherche midi 368 pages

François Nourissier, au cœur des lettres françaises

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Toussaint africaine

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Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Voulait-elle l’ensoleiller ? Cela restera toujours pour moi un mystère. Une chose est sûre : ma Sauvageonne a fait de ce samedi 1er novembre 2025, une Toussaint africaine. Elle avait reçu une invitation du peintre-chanteur-musicien François Mafoua qui, ce jour-là, procédait à l’inauguration de son exposition au Marott Street, à Amiens. « Je l’ai croisé à Amiens il y a longtemps, très longtemps », me dit-elle, en passant une main distraite dans sa crinière folle et ébouriffée. Cet artiste a de la mémoire.

La Toussaint, tout novembre, en fait, m’en procure à moi aussi. Les chrysanthèmes font fleurir en moins des souvenirs enfantins. Tergnier. Le cimetière ; la brume. Des tombes. Celle de mes grands-parents partenels, d’abord, à partir de 1968, puis celle d’oncles, de tantes, d’amis, au fil des années qui s’égrenèrent, lamentables, bien plus vite que je ne l’eusse souhaité. La Toussaint ; fêter les morts. Tu parles ! Je préfèrerai boire un verre avec eux. Avec mes copains, dans le désordre : Gilles Gaudefroy dit Fabert, Michel Laurent (que j’ai surnommé Rico dans mon roman Des petits bals sans importance ; il repose dans le cimetière de Beautor caressé par les odeurs de métal écorché des ALB – Aciéries et Laminoirs de Beautor -), Jean Brugnon, éclusier et roadie élégant comme un Ray Davies de Fargniers, Gérard Lopez, dit Dadack (ami de la prime enfance ; je lui avais appris à faire du vélo ; pour me remercier, dix ans plus tard, il me fit découvrir Procol Harum et Rory Gallagher, puis devint le bassiste-chanteur de notre groupe de rock Purin au cours des glorieuses seventies), Catherine Caille et Florence Bacro, petites-amies trop tôt parties, Frédéric Dejuck, guitariste au phrasé claptonnien, Joël Caron, saxophoniste-flûtiste de mes années saint-quentinoises, et d’autres, tant d’autres, trop d’autres.

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Vous le voyez, lectrices adulées, novembre me rend joyeux. C’est dire si j’avais besoin de lumière, de soleil. La Sauvageonne et François Mafoua m’en procurèrent. Ce dernier a vécu à Amiens du début des années 90 jusqu’en 2004. Au Marott Street où il exposait une cinquantaine de toiles colorées, réalisées à partir du monde végétal et animal (il utilise des feuilles dans ses toiles et, parfois, des coquilles d’escargots comme pinceaux), et inspirés par son pays d’origine : le Congo ; il avait convié ses amis. Agé de 75 ans, arrivé en France il y a quarante ans, après avoir vécu à Paris, il réside aujourd’hui à Caen, dans le Calvados où il a ouvert une galerie. Ses œuvres ont été appréciées par des célébrités puisque le couple Mitterrand lui acheta des toiles ; il en fut de même pour Raymond Devos. En novembre 1990, il avait été invité dans une école primaire à Allonville, près d’Amiens, en même temps que Danielle Mitterrand, épouse du briseur du Parti communiste français. Ensemble, ils avaient créé une sculpture qui ressemblait à un masque africain. Puis avaient fait connaissance…

Au Marott Street, il agrémenta l’inauguration d’un concert en compagnie de son groupe African’Rumba (Pablo, batterie ; Vincent, guitare ; Jack, basse). L’artiste chante et joue aussi du kalimba. « Notre musique est un mélange de soul, de rumba, de reggae et de musiques caribéennes. Mon kalimba, je l’ai agrandi et électrifié ; c’est mon Mafouaphone », sourit-il. Le 22 novembre, il exposera à la galerie du Delta, 26, rue de Delta, dans le XIXe arrondissement, à Paris. Début décembre, il présentera et jouera, accompagné d’une chorale, dans une église de Verdun. Il n’arrête pas, ma foi !

Yann Andréa, viagra littéraire de Duras

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Yann Andréa, qui ne s’appelait pas encore Andréa, est entré dans la vie de Marguerite Duras un été de pluie et de vent, en 1980. Il a frappé à la porte de son appartement des Roches noires, un ancien hôtel de luxe face à la mer. Elle s’ennuyait, Duras, regardait la mer jusqu’au rien, avec cette mélancolie des pétroliers au large du cap d’Antifer dans le cœur. Elle écrivait des chroniques commandées par Serge July, le patron de Libération. Elle mélangeait fiction et réel. Elle écrivait, mais la pluie d’été la tenait éloignée de l’écriture médiumnique, celle qui bouleverse et permet d’entrer dans l’univers hypnotique, le sien. Elle buvait beaucoup, allait au Central, commandait toujours la même chose, langoustines et vin blanc ; elle avait 66 ans, le visage détruit, éboulé d’un coup. Elle portait sa jupe pied-de-poule, son gilet de cuir marron, ses grosses lunettes. Yann Andréa était plus jeune, presque 40 ans de moins, il rêvait de Duras depuis la lecture des Petits Chevaux de Tarquinia. Il buvait un Campari et fantasmait sur la romancière. Il était homosexuel, fréquentait Barthes, mais c’était avec Duras qu’il voulait vivre. Il lui avait écrit, elle n’avait pas répondu.

Cet amour-là

Il l’avait rencontrée en 1975, après la projection de India Song, sur le parking du cinéma Lux, à Caen, en novembre. Yann s’appelait encore Lemée, c’était un jeune homme un peu paumé, ailleurs, maigre et élégant, il avait suivi des études de philosophie en Khâgne et fait la fête dans des boites branchées. Il a revu Duras, le destin l’exigeait. Il ne l’a plus jamais quittée. Il est devenu le fantôme auprès d’elle, venu de nulle part et reparti nulle part. Il a veillé sur l’auteure de L’Amant, prix Goncourt 84, jusqu’à ce jour funeste de mars, le 3, un dimanche, où elle a quitté la piste du bal du casino de la vie, où l’on finit toujours par miser sur la mauvaise couleur. Mais, privilège exorbitant de l’écrivain, ses personnages, leur inoubliable nom, les ambiances portuaires propices au secret, la robe rouge d’Anne-Marie Stretter, l’absence des regards au retour de La Douleur, l’amour sans cesse contrarié et sans cesse recommencé – « il n’y a pas de vacances à l’amour » –, le Gange millénaire, embarqués sur Le Navire Night, perdurent toujours. Yann Andréa a continué seul son errance dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés, à la recherche du fantôme de M.D., lui le fantôme sans identité. Il a fini par mourir dans une chambre, un jour indéterminé de juillet 2014. Les voisins ont appelé la police, incommodés par l’odeur du corps en décomposition. Après la mort de M.D., il avait signé le poignant Cet amour-là.

Frustration

Ce « Bartleby au glorieux désœuvrement » méritait bien un livre. Julie Brafman, chroniqueuse judiciaire, a relevé le défi d’écrire sur un homme qui a tout fait pour qu’on ne parlât jamais de lui. Son récit, Yann dans la nuit, se lit comme un roman, et cela tient en éveil tard dans la nuit, justement. Ce couple baroque, Duras/Yann, décidément, fascine. Julie Brafman a mené une enquête existentielle qui l’a conduite à l’IMEC, d’abord, où elle n’a pu consulter que quelques cartons « Yann Andréa », la plupart étant estampillés « non consultable ». Mais elle ne s’est pas découragée. Elle a cherché, plusieurs lettres, des phrases écrites sur le dos d’un chèque, des notes ici ou là, une piste ténue pour un homme en pointillé, hanté par quelque chose qui le dépassait : vivre. Elle a ensuite découvert la « chambre rose » avec un meuble en plastique où les traces de l’existence de Yann Lemée, devenu Yann Andréa, puis Yann Andréa Steiner, débordaient des tiroirs, comme le Gange sort de son lit à la mousson. Après avoir refermé le livre, on en sait un peu plus sur l’amant maltraité par Duras. Il y a les colères, les réconciliations, la chanson Capri c’est fini en boucle, la soupe aux poireaux avec l’indispensable pomme de terre, l’alcool jusqu’à l’hospitalisation… Yann est là, il veille sur M.D. qui lui en veut de ne pas répondre à son désir. Elle devient grossière, méchante, elle écrit La Maladie de la mort, on lui reproche ce court récit violent contre l’homosexualité. Yann tape le texte dirigé contre lui. Il est au bord des larmes, mais il le fait, il le tape, il le lit même à haute voix, exigence de M.D. Julie Brafman dit : « Alors il répète que la fusion impossible des corps est une fatalité. Une malédiction. Une désolation. Il répète la tragédie de cet homme qui paye une jeune femme pour avoir des relations sexuelles. » C’est « l’aventure tragique de l’écriture. » Elle brûle tout sur son passage, consume les êtres, abolit le temps. Julie Brafman rappelle que Duras et Yann étaient deux experts en fausse confession. Ils ont dupé les biographes ; ils ont trompé les lecteurs, mais ils ont rêvé, ces lecteurs, et ils rêvent encore au ravissement de cette Lol V. Stein. Duras invente le monde entier. « L’illusion marche parfaitement, ajoute Brafman, Le Gange coule sous les viaducs de la Seine-et-Oise. Personne n’oserait prétendre le contraire. » La transfiguration, chez Duras, atteint la perfection somnambulique.

Yann Andréa est un élément clé dans la vie de Duras. Ce fantôme en cravate coccinelles sillonne entre les lignes des meilleurs récits de M.D. Il a régénéré sa puissance créatrice ensablée sur la plage de Trouville. Alors est né le « cycle atlantique ». On le devine dans les bars de palace, il arpente les collines normandes à la recherche de beaux corps virils, il est lui-même ce corps allongé et nu dans Les Yeux bleus cheveux noirs, il est partout de 1980 à 1993, et elle, elle attend l’impossible pénétration. Julie Brafman écrit : « Yann Andréa traverse les textes, de page en page, avec son sac en toile et son parapluie noir alors qu’il fait beau. Incapable d’aimer. »

La frustration, moteur durassien ? Il ne me déplait pas de le penser.

Julie Brafman, Yann dans la nuit, Flammarion. 336 pages

Yann dans la nuit

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Une histoire belge (pas drôle)

À l’inverse des États-Unis, du Royaume-Uni et de la Suède, la France, la Belgique et l’UE continuent de promouvoir le transgenrisme.


En France, le 16 juin, une décision-cadre du Défenseur des droits, Claire Hédon, « relative au respect de l’identité de genre des personnes transgenres » a vu le jour dans l’indifférence générale. Elle préconise pourtant « d’autoriser les mineurs non émancipés à changer de sexe à l’état civil » et de faire respecter le choix de l’identité de genre des jeunes « au niveau des établissements scolaires » et dans les milieux sportifs. De son côté, la Commission européenne a présenté le 8 octobre sa « Stratégie pour l’égalité LGBTQI+ 2026-2030 » prévoyant la possibilité d’une « auto-détermination genrée libre de restrictions d’âge ». D’aucuns pensaient que la Belgique était seulement corrompue par l’islamisation de sa société ; ils avaient tort car l’épidémie woke s’y répand également. Les délires des « déconstructeurs » touchent maintenant tous les milieux.

A lire aussi, du même auteur: Chronique d’un scandale politico-médiatique dont France Inter se serait bien passé

Ainsi dans le Brabant flamand, le directeur adjoint d’une école catholique a déclaré être « une personne non binaire » et, par conséquent, ne plus « se reconnaître dans les formules monsieur ou madame ». Cet être incertain demande qu’on l’appelle simplement « adjoint ». Magnanime, il concède que des professeurs et des élèves puissent encore « utiliser le mot “monsieur” par mégarde ». Il leur recommande toutefois d’éviter de se tromper à l’avenir. Un professeur de droit interviewé par le média belge Sudinfo rappelle en effet que le « non-respect de l’identité de genre » peut entraîner des sanctions pénales : « Un employeur risque jusqu’à six mois de salaire brut de dédommagement, et un collègue des poursuites pénales. En ce qui concerne les élèves mineurs, la responsabilité légale incombe aux parents. »

Le souvenir d’un texte juridique permettant de punir des personnes ayant appelé un homme « monsieur » amusera sûrement les juristes de la fin de ce siècle. Surtout si, comme le laissent craindre les transformations en cours en Belgique et ailleurs en Europe, de nouvelles lois religieuses finissent par supplanter les ordonnances wokes.

La victoire du RN en 2027 est-elle acquise?

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Marine Le Pen photographiée dans son bureau parisien, octobre 2025 © Hannah Assouline / Causeur.

Sauf en matière de régalien, les idées du mouvement de Marine Le Pen et Jordan Bardella peuvent être fluctuantes – ce qui pourrait inquiéter l’électorat. Mais, le parti à la flamme reste actuellement largement en tête des sondages d’opinion pour l’élection présidentielle, avec parfois près de 20 points (!) d’avance sur le second.


Le Rassemblement national est annoncé, de manière certaine, comme présent au second tour de la future élection présidentielle. Il me semble cependant qu’on aurait tort de considérer que sa victoire est acquise, malgré la baisse actuelle, dans les sondages, des rivaux plausibles de Marine Le Pen ou de Jordan Bardella.

Capture BFMTV, 3 novembre 2025.

Joute finale

Il est sans doute difficile de se risquer à des pronostics alors qu’il reste environ dix-huit mois avant la joute finale, mais si les choses demeuraient en l’état – avec ce mélange de désordre politique et social, d’accroissement de l’insécurité et de terrorisme ponctuel d’un côté et, de l’autre, de désaffection de la chose publique et de lassitude démocratique -, on pourrait tenter d’identifier ce qui serait susceptible de décevoir à nouveau le RN, quel que soit son candidat.

A coup sûr, la présence de Jean-Luc Mélenchon au second tour – elle n’est pas inconcevable, compte tenu de son exploitation effrénée, clientéliste et démagogique des cités dites sensibles, ainsi que d’une certaine jeunesse peu regardante sur les moyens de la convaincre – constituerait pour le RN la garantie absolue de triompher. Des enquêtes d’opinion l’ont confirmé, avec un écart net en faveur de Mme Le Pen, et l’intuition générale selon laquelle tout vaudrait mieux – abstention ou adhésion – qu’un M. Mélenchon traitant la France comme il gère LFI, ses opposants, ses adversaires, les médias, les problèmes régaliens, l’urbanité républicaine et sa vision internationale.

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L’argument qui consisterait à « essayer », pour une fois, le RN serait d’autant moins discuté que l’autre branche de l’alternative concernerait Jean-Luc Mélenchon.

J’espère qu’aussi forte que soit son emprise sur ses fidèles et les députés de son groupe, quelqu’un, le moment venu, osera rappeler les chiffres et la certitude de sa défaite face au RN. Il sera sans doute difficile de faire admettre ce constat par celui qui en niera forcément la validité. Jusqu’à subir un ultime désaveu en 2027.

Nouvelle France électorale

Par ailleurs, pour ceux qui pourraient juger mon analyse immature à cause de son excessive personnalisation, je souhaiterais évoquer l’étrange nouvelle configuration du RN, au moins dans sa version parlementaire: un alliage fait d’une banalisation poursuivie et d’une imprévisibilité, voire d’une incohérence, assumées.

Avec le risque de décevoir aussi bien les soutiens friands de provocations que les citoyens soucieux de rectitude programmatique. Quoi qu’on pense du RN – la cravate et la tenue ne sont pas tout ! -, l’inquiétude peut surgir des volte-face et des embardées, ainsi que des coups tactiques susceptibles de faire douter de la profondeur et de la constance d’idées en effet fluctuantes, sauf en matière régalienne.

Enfin il y a Marine Le Pen elle-même. Peut-être son principal obstacle ? Non qu’elle n’ait pas accompli d’énormes progrès médiatiques – alors que souvent elle n’est pas ménagée, puisque la plupart des médias français ne se rappellent leur devoir de questionner à fond et rudement que lorsqu’il s’agit du RN.

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Je ne sais pas si, un jour, elle saura être à la hauteur du débat du second tour, ou si elle demeurera seulement excellente et convaincante entre les élections présidentielles. Parviendra-t-elle, au cours des ultimes échanges, à retrouver la même force d’argumentation, la même ironie, la même maîtrise que celles dont elle fait preuve dans le remarquable entretien qu’elle a donné à Causeur – questionnée, il est vrai, sans complaisance mais sans hargne ?

Certes ce n’est pas la même chose, techniquement, que la joute suprême qui décide de tout, ou que le dialogue médiatique de fond… Dans ce dernier, on relève tout de même cette brillante formule : « La France, c’est le pire du libéralisme et le pire du socialisme », ainsi que le fait que Marine Le Pen se montre définitivement hostile à l’union des droites à la française.

Je n’oublie pas Jordan Bardella. Même si les enquêtes d’opinion le placent parfois devant Marine Le Pen, il me semblerait plus facile à déstabiliser dans un débat capital, car il me donne toujours l’impression de suivre une ligne bien ordonnée – un canevas rigide, fond et forme -, et de pouvoir être troublé par la moindre imprévisibilité ou le moindre changement de direction. Dans les questions de cours, pour peu qu’on les présente autrement, il ne le suivra plus!

J’apprécie, comme citoyen libre – avec ses choix qui relèvent du for intérieur et sa curiosité qui l’autorise à papillonner de parti en parti -, d’avoir le droit de projeter sur une réalité complexe un regard d’un analyste au petit pied. Je ne me pousse pas du col mais c’est mon col. Le RN n’a pas encore gagné en 2027…

Apostats 2.0

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Les chaînes YouTube d’ex-musulmans et d’athées, nouvelles voix critiques de l’islam en ligne. DR.

Les prédicateurs 2.0 qui radicalisent leurs milliers d’abonnés sur le web ont de nouveaux adversaires: des apostats youtubeurs. Ces libres-penseurs s’appuient sur leur connaissance des textes en V.O., un sérieux bagout et autant d’humour pour éveiller le sens critique des croyants.


Rendu public le 21 mai, le rapport gouvernemental sur les Frères musulmans a souligné la montée en puissance des « prédicateurs 2.0 », ces islamistes qui utilisent les réseaux sociaux pour répandre leur doctrine. Dans la foulée, Le Figaro a révélé la teneur d’un document confidentiel complémentaire, dans lequel TikTok est identifié comme « l’un des viviers d’audiences les plus conséquents » pour ces influenceurs, qui cumulent parfois des centaines de milliers d’abonnés. Selon la note, les « prédicateurs 2.0 », qui sont parvenus à construire sur la plateforme des « communautés significatives », suscitent de la part de celles-ci « des commentaires appelant explicitement à la haine ou la violence ».

Le boulevard numérique dont profitent les islamo-influenceurs pour déverser le poison de l’obscurantisme commence néanmoins à se rétrécir. Des ex-croyants et des athées ont décidé de mener sur Youtube et TikTok une contre-offensive fondée sur la connaissance et la raison. Leur arme favorite : des lives durant lesquels ils dialoguent avec des internautes musulmans convaincus de leur foi, font témoigner des apostats et réfutent les dogmes les plus rétrogrades ou absurdes. S’ils ont pour objectif revendiqué de décrédibiliser l’islam, le but est aussi, a minima, d’inciter le public religieux à se poser des questions.

Éveiller l’esprit critique

Plusieurs fois par semaine, Amir, Alicia* et Bilal diffusent en direct et à visage découvert leur critique de l’islam. Et régulièrement, ils joignent leurs forces en se rendant sur les directs des uns et des autres ; des extraits sont ensuite découpés en vidéos qu’ils mettent en ligne, chacun sur leur chaîne YouTube, pour les rendre accessibles au plus grand nombre. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils ne font pas dans la dentelle. « Vous dites tous que Mohammed est un homme parfait. Mais comment ça se fait qu’un homme parfait se tape une gamine ? » La question posée par Bilal, un soir de débat sur son compte TikTok « Alibabal – Sagesse d’islam » avec un internaute qui se définit comme musulman, revient régulièrement dans les conversations.

Selon l’islam sunnite et chiite, le prophète Mohammed, âgé de 53 ans, a épousé l’une de ses femmes, Aïcha alors qu’elle avait 6 ans, et a consommé le mariage quand elle a atteint l’âge de 9 ans. Les textes rapportant cette histoire sont encore souvent utilisés pour justifier le mariage religieux des fillettes dans le monde musulman. En août 2024, les conservateurs chiites du parlement irakien ont tenté d’introduire un amendement accordant aux autorités religieuses la liberté de régir les mariages selon l’interprétation de leur école de jurisprudence. Ce projet de loi, qui ne comportait pas de limite d’âge, aurait ainsi de facto légalisé le mariage des enfants.

« Moi j’ai eu des échos comme quoi il a patienté », répond l’interlocuteur de Bilal. Cocasse. Mais là n’est pas la question. Le problème, lui fait remarquer l’apostat, est que des musulmans, parce qu’ils acceptent sans réserve l’histoire d’Aïcha, acceptent les pratiques qui la prennent pour modèle : « C’est-à-dire des vieux croûtons qui se marient à des gamines aujourd’hui. Parce que dire à ces vieux croûtons “Qu’est-ce que tu fais !” ça reviendrait à dire, dans une société islamique, que Mohammed avait tort et ça, c’est pas possible. » Tout au long de la discussion, la gêne du jeune croyant est palpable. « Mais moi, je suis contre le mariage des petites filles », se défend-il. « Toi, t’es contre, Allah est pour, qui a raison ? » rebondit Ali, citant le Coran, sourate 65, verset 4, qui porte sur la répudiation des femmes mariées, dont « celles qui n’ont pas encore de règles ». Son interlocuteur s’emmure dans le silence.

« Je ne vois pas l’utilité de ce type de live à part pour provoquer, choquer, énerver des gens qui sont dans une croyance », s’agace un jour un autre internaute. « L’objectif, c’est de vous choquer et de vous provoquer », rétorque Bilal. Pour éveiller l’esprit critique au sein de leur public, les débatteurs ne s’imposent en effet aucun tabou : du mariage d’Aïcha à la flagellation des « fornicateurs » prescrite par le Coran, ils décortiquent les textes les plus violents et demandent aux fidèles de se positionner sur ces préceptes qui contredisent l’image vertueuse de l’islam qu’ils défendent. « L’islam, en tant que religion prétendument parfaite, sacralise l’ignorance et n’incite pas à la remise en cause », estime Bilal.

Cet ingénieur médical de 33 ans, originaire de Syrie, est arrivé en France vers l’âge de 8 ans. Apostat depuis une dizaine d’années, c’est en mai 2023 qu’il lance ses débats, après avoir vu sa sœur se mettre à porter le voile : « Sur internet, il n’y avait que des vidéos qui expliquent aux femmes qu’elles doivent se voiler. » Il décide alors d’imposer un contre-discours. Corrosif et pince-sans-rire, il déstabilise ses contradicteurs en pointant du doigt leurs raisonnements circulaires et les tentatives de diversion pour ne pas répondre aux questions gênantes, surtout lorsqu’il sent que ses arguments font mouche. Émerge alors le doute.

« Il y a des musulmans qui me disent être allés vérifier les textes et qui se sont trouvés en désaccord avec ce qu’ils rapportaient », témoigne Alicia. Cette jeune femme de 34 ans, musicienne et originaire de Haute-Savoie, qui n’est pas une apostate et n’a aucune ascendance arabo-musulmane, a lancé ses débats en ligne il y a un an sous le pseudonyme de CasusLady. Elle souligne l’importance du travail de critique qu’apportent les musulmans sceptiques avec lesquels elle débat : « Si on veut que cesse la stigmatisation des musulmans, il faut que ceux qui s’opposent à certains textes n’aient pas peur de le dire, parce que c’est leur droit ! »

En témoigne ce direct lors duquel un musulman en plein questionnement lui fait ces confessions : « Je me pose encore plus de questions en lisant les textes, je ne m’attendais pas à ça, je suis choqué […] par rapport au mariage des petites filles, [le fait de] frapper les femmes, l’esclavage. […] Je dors mal parce que tout ce que j’ai cru jusqu’à présent, c’était des foutaises ! » Ainsi, des croyants qui leur étaient parfois hostiles en les écoutant la première fois reviennent leur dire qu’ils ont fini par apostasier et les remercient du rôle qu’ils ont joué dans ce cheminement.

Normaliser la critique de l’islam

« La majorité des musulmans ne connaissent pas leur religion », affirme Amir, apostat de 43 ans qui débat sur ses chaînes YouTube et Tiktok AmirApostat. On s’en aperçoit en écoutant les conversations, qui cumulent à des centaines d’heures : de nombreux musulmans n’ont jamais vraiment lu ni le Coran, ni les hadiths, ces recueils qui racontent la vie du prophète par la voix de ses compagnons. Ils admettent que leur connaissance dérive le plus souvent d’une autorité quelconque ; en premier lieu, le cercle familial. « Ils n’ont jamais entendu de vraie critique de leur dogme, encore moins de la façon dont on le fait nous, en utilisant la raison et la méthode scientifique », explique Amir.

Né au Maroc et venu en France à l’âge de 21 ans, l’apostat a été pieux musulman jusqu’à sa trentaine. Ce passionné de musique joue de plusieurs instruments, et avec d’autant plus d’enthousiasme que la musique est interdite ou restreinte par plusieurs écoles de pensée. Normaliser la critique de l’islam en France comme l’est celle des autres religions est un de ses objectifs : « Contrairement à la critique de l’islam, celle du catholicisme par exemple est si répandue que les catholiques y sont habitués. »

Pour preuve, en janvier 2020, sur France inter, est diffusée une chanson humoristique intitulée « Jésus est pédé » aux termes très crus. Si elle suscite évidemment l’indignation parmi les chrétiens, elle ne génère pas les graves menaces auxquelles doit faire face Mila Orriols le même mois pour ses propos sur l’islam dans une vidéo Instagram. Amir reconnaît dans cette intolérance une atmosphère sociétale autour de l’islam similaire à celle du Maroc, où le délit de blasphème perdure : « Il est inacceptable que dans le pays du blasphème et de la laïcité, on n’ose pas critiquer ou ridiculiser une religion. »

Dans cet exercice, l’outrance est un outil, et Alicia la manie particulièrement bien. Lors de ses directs, la jeune femme revêt parfois un hijab au-dessus d’un décolleté. Un jour, un internaute musulman lui demande pour quelle raison. « Parce que j’ai le droit », répond-elle. Bien sûr, le contraste a pour ambition de dénoncer le voile islamique, comme elle l’explique à son interlocuteur : « Il représente la ségrégation entre les femmes musulmanes libres, les femmes musulmanes esclaves et les mécréantes. » L’internaute est un peu piqué. « D’accord, c’est ce que t’as compris de l’histoire », commente-t-il sur un ton dubitatif. « C’est ce que j’ai lu chez Ibn Kathîr et Tabarî », répond Alicia, citant deux exégètes reconnus dans l’islam sunnite.

La discussion se poursuit sur le mariage des petites filles mais l’interlocuteur persiste à répondre à côté pour ne pas désavouer la parole d’Allah. Alicia n’hésite alors pas à le congédier sans ménagement : « Dégage, t’es incapable de répondre. Ton Dieu, c’est un dieu de merde, il existe pas ! » Des termes quasi-identiques à ceux tenus par Mila en 2020. Mais aujourd’hui, les militants étant de plus en plus nombreux à s’autoriser ces humeurs, ils permettent, tel que le décrit Amir, de « rendre la cible plus floue ».

Car dans toute cause, l’union fait la force et la normalisation de la critique de l’islam passe par sa démocratisation. S’il y a des internautes frustrés qui leur souhaitent d’aller « cramer en enfer », beaucoup sont disposés à débattre, même si les conversations peuvent être vives. L’objectif n’est pas de faire des vues sur des disputes stériles, mais de dialoguer avec ces musulmans qui apportent leurs sources et qui sont prêts à se voir contredits. Ceux qui violent la règle en utilisant cet espace de discussion pour proférer des insultes ne sont pas autorisés à faire long feu sur le direct et servent d’exemple : « J’en fais des pièces à conviction », s’amuse Alicia.

Issue de la communauté des joueurs de jeux vidéo en ligne, la jeune femme ne s’était jamais vraiment intéressée à l’islam avant de visionner les débats de JackLeFou, autre débatteur athée populaire sur YouTube. En découvrant les textes et la difficulté d’en débattre, elle a pu mettre le doigt sur un malaise qu’elle ressentait dans le débat public : « Il y a une indulgence envers l’islam parce qu’on la voit comme une religion d’étrangers. Mais elle fait maintenant partie de la France et il faut la traiter comme toutes les autres religions. »

Campagne de désensibilisation

Dans la prolongation de son travail, Bilal est l’auteur d’une satire à l’ironie aussi mordante que celle dont il fait usage dans ses débats, Incroyable Islam, parue en février sous le nom de plume Cheikh Ali. « T’as pas l’impression qu’on te prend pour un con ? » demande-t-il souvent à ses interlocuteurs en riant, généralement après avoir fait le récit d’une absurdité relevée dans les textes. Ainsi, lors de ces débats dynamiques, les plaisanteries fusent et le rire s’invite. « Parfois, quand les musulmans avec lesquels on débat se rendent compte qu’il y a des choses absurdes, ils en rigolent avec nous », note Alicia. « C’est aussi une campagne de désensibilisation qu’on fait. »

Et Dieu sait, pourrait-on dire, le rôle important que jouent l’humour et la caricature face à l’obscurantisme religieux. Dix ans après le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo, qui avait osé caricaturer le prophète, ces débatteurs s’autorisent aujourd’hui à se moquer de lui à visage découvert, malgré le danger que pose encore cette liberté fondamentale. « Les musulmans qui me liront ne vont sans doute pas me croire mais si je fais ce travail, c’est parce que je les aime et je les respecte », conclut Amir. Car pousser le croyant à penser par lui-même témoigne d’une considération à son égard dont les prédicateurs 2.0, eux, sont entièrement dépourvus.

* Les deux prénoms ont été modifiés.

France-Afrique du Sud: une défaite un peu courue d’avance…

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L'Africain Sacha Feinberg et le Français Louis Bielle-Biarrey, Stade de France, Saint-Denis, 8 novembre 2025 © J Cash/Shutterstock/SIPA

La France s’est inclinée face à l’Afrique du Sud samedi soir. Néanmoins, l’entraineur Fabien Galthié n’a pas semblé déçu et esquissait presqu’un sourire à la fin de la rencontre. Voici pourquoi.


Au coup d’envoi du test-match France-Afrique du Sud, samedi à 21h au Stade de France, dans le cadre de la traditionnelle Tournée dite d’automne où les sélections de l’hémisphère sud viennent se mesurer amicalement, et néanmoins pour l’honneur, à celles nordiques du Tournoi des Six nations, Fabien Galthié, entraîneur-sélectionneur des Bleus, ne se faisait certainement pas beaucoup d’illusions sur l’issue de la rencontre. Une victoire sur les doubles champions du monde en titre, lui semblait bien peu probable.

Un début de match de bon augure

N’avait-il pas dit à plusieurs reprises, et notamment lors de la conférence de presse annonçant la liste des quinze Bleus qui allaient entrer sur le terrain, à propos des Springboks, leurs adversaires : « C’est la meilleure équipe du monde, peut-être la meilleure qui ait jamais existé » ? Ainsi, avec cet art de l’euphémisme dont il est adepte, il suggérait que la défaite était courue d’avance, même si en sport, comme en toute chose, il ne faut jamais exclure que l’improbable advienne. Et, en effet, durant les 60ème premières minutes, soit sur les ¾ de la durée de la rencontre, les faits parurent, pour la plus grande joie des supporteurs, le contredire, la France menant au score.

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À peine le match entamé, à la 4ème minute, l’arrière Thomas Ramos, toujours à l’affût de la moindre opportunité, envoie au pied une diagonale derrière la défense sud-africaine que récupère Damian Penaud et va aplatir derrière l’en-but marquant son 39ème essai sous le maillot des Tricolores. Par la même occasion, il dépossède Serge Blanco de son titre de meilleur aplatisseur en bleu avec 38 réalisations à son palmarès. De son côté, en le transformant, Ramos lave l’affront que lui avait infligé ces mêmes Springboks, en 2023, en quart de finale de la Coupe du monde. La France à qui cette coupe lui avait été un peu trop légèrement promise avait été éliminée après avoir perdu d’un petit point (28-29) ce match à cause justement de l’interception, fait extrêmement rarissime, d’une transformation, Ramos ayant un peu lambiné à la tirer et le joueur intercepteur ayant monté un peu trop tôt capter la balle, à la limite, pour ne pas dire carrément, du hors-jeu…

Samedi soir, vingt-trois minutes plus tard, sur un pénaltouche, resservi cette fois à la main par Ramos, Penaud récidive, porte son record à 40 essais qui ne s’arrêtera pas là (à 29 ans, il a quelques années de carrière devant lui) ; Ramos le transforme. Tout cela est de très bon augure. D’autant qu’entretemps, l’Afrique du Sud n’a pu engranger que deux pénalités… Avec un 14-6 à son actif, la France paraît avoir pris le bon cap pour se venger de son élimination deux ans plus tôt – pas seulement à cause de la transformation ratée de Ramos mais aussi, selon d’aucuns, d’une impartialité défaillante de l’arbitrage en sa défaveur.

La peau de l’ours…

Le public exulte… mais un peu trop tôt. À cinq minutes de la pause, le demi-de-mêlée des Verts-et-Jaunes, Cobus Reinach, dans une fulgurance à la sortie d’un ruck, plonge derrière la ligne d’en-but. Après transformation, le tableau affiche un 14-13. Le doute s’installe mais pour peu de temps…

À deux minutes de la pause, le deuxième ligne sud-africain, un vrai colosse, Lood de Jager, écope d’un carton rouge pour avoir percuté, dans un placage à retardement, la tête de Ramos de l’épaule qui n’a pas cependant paru en pâtir. Mais le geste est dangereux et ne peut que se solder par une exclusion. Une aubaine, mais hélas, de cet avantage numérique inespéré, les Bleus ne sauront en tirer avantage.

À la reprise, leur jeu, pour parodier Victor Hugo, s’apparente à une mer agitée qui bute sans cesse sur falaise de granit inébranlable. Deux possibilités d’essai françaises échouent d’un poil. Par fébrilité, les Bleus cumulent quelques inopportunes fautes. À l’orée des vingt dernières minutes, Ramos redonne espoir en passant une pénalité donnant à son équipe un maigre avantage de 4 points (17-13).

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C’était sans compter sur un sort contraire qui peu de temps après s’est abattu sur elle : Louis Bielle-Biarrey commet du bout des doigts, dans une tentative d’interception haut en l’air, un inopportun avant « furtif » mais considéré comme volontaire ce qui lui vaut un carton jaune donc à une exclusion temporaire. Les deux équipes ramenées à la parité numérique, 14 contre 14, le match bascule sans conteste à l’avantage des Springboks. En dix minutes, ils marquent trois essais consécutifs dont deux transformés.

Sous l’ère Galthié, l’équipe de France venait d’encaisser sa deuxième plus grosse défaite (17-32) après celle concédée l’an dernier en ouverture du Tournoi des Six nations face à l’Irlande (17-38), ce qui ne l’avait pas empêché de remporter ce dernier avec brio. Paradoxalement, à la fin du match, face à la caméra de TF1, Galthié ne donnait pas l’image d’un entraîneur dépité. Visiblement il s’y attendait et ça ne l’émouvait pas… « Ce n’est pas la première fois, dira-t-il impavide, qu’on subit une défaite… » Et avec un sourire en coin, il a fait remarquer que la moyenne d’âge de ses joueurs est en dessous de 30 ans et celle des Springboks au-dessus.

Il y a un peu moins d’un mois, il avait déclaré avec une pointe d’ironie distante qu’il valait « mieux gagner un hypothétique match de phase finale dans deux ans (ndlr : allusion à la Coupe du monde qui aura lieu en 2027 en Australie) que celui qui vient ». Il rappelait implicitement qu’en 2022, la France avait battu en test-match l’Afrique du Sud à Marseille par 30 à 26, et un an plus tard elle s’inclinait, ric-rac, devant la même en quart de finale du mondial.

En somme, pour lui un test-match c’est fait pour tester des joueurs et des tactiques. Ce qu’il a fait samedi en incluant dans sa sélection du sang neuf. Il ne s’en cache pas : il a un objectif prioritaire, donner à la France sa première Coupe du monde. Il a deux ans pour s’y préparer[1].

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[1] La Coupe du monde se déroulera du 1er octobre au 13 novembre 2027. Dans le cadre de l’actuelle tournée, la France jouera contre les Fidji samedi prochain et l’Australie le 22 novembre.  

Pologne: la musique cachée derrière le rideau

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Janusz Stoklosa dirigeant l’Orchestre Philharmonique de la Baltique exécutant ses musiques de scène dans la cathédrale de l’Assomption de Pelplin. DR.

En Pologne, un compositeur a entrepris de ressusciter les enregistrements de milliers de musiques de scène écrites dans son pays pour le théâtre depuis la fin de la guerre de 39-45. Un océan sonore d’une richesse inouïe


C’est en redécouvrant fortuitement l’enregistrement oublié d’une ancienne de ses compositions écrite dans les années 1980 pour un drame représenté dans un théâtre polonais, que le compositeur Janusz Stoklosa a soudainement pris conscience du formidable patrimoine musical constitué par toutes les musiques de scène produites en Pologne depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Petits ou grands, tous genres confondus, on a recensé près de 888 théâtres dans le pays de Jerzy Grotowski et de Witold Gombrowicz. Dont quatre scènes nationales,  43 régionales, 73 municipales. Et parmi eux 91 théâtres dramatiques et 40 théâtres musicaux. Il s’y monte entre 600 et 800 productions nouvelles chaque année. 771 par exemple en 2022. Et cela sans compter la politique culturelle de la télévision nationale qui diffuse chaque semaine, le lundi, une production théâtrale de qualité spécialement adaptée pour le petit écran.

Toutes les écoles musicales

Pour la plupart des spectacles, depuis des décennies, on a commandé et on commande encore à des compositeurs des partitions originales qui illustrent, commentent, soutiennent, agrémentent, dramatisent l’action.

« J’ai réalisé que ces innombrables musiques de scène enregistrées, une fois que la production a définitivement quitté l’affiche, étaient en voie de disparaître avec leur support devenu obsolète, confie Janusz Stoklosa. Et j’ai pris ainsi conscience des dommages considérables que cela constituerait pour notre patrimoine musical, chose dont personne ne s’était soucié jusque là.

Même si toutes les partitions ne sont pas inoubliables, elles demeurent quoi qu’il en soit des témoignages éloquents de leur époque. Tous les styles y sont représentés et ce foisonnement est le reflet des innombrables tendances de l’histoire musicale du XXe siècle. Il y a par exemple beaucoup de musique expérimentale, de musique concrète, de musique sérielle. De musique électronique ou minimaliste. Pour ne rien dire des compositions d’esprit classique ou romantique, voire baroque ou médiéval. Grâce entre autres à l’Automne de Varsovie (festival de musique contemporaine fondé en 1956), toutes les innovations ont fait souche en Pologne. Nous avons eu un centre de musique expérimentale à Varsovie comme un centre de musique électronique à Cracovie. Et de plus, ces partitions ont été écrites en écho à des textes de Shakespeare, de Molière, de Tchekhov… Cela seul déjà leur confère un intérêt certain. Puisque nous conservons des photographies de spectacles aujourd’hui devenus légendaires, pourquoi ne conserverait-on pas aussi les musiques qui les ont illustrés ? »

Les plus illustres compositeurs

Tragédies, drames romantiques, fresques historiques, comédies, pièces de boulevard, ouvrages à destination de la jeunesse: rien dans le pays de Chopin et de Szymanowski n’a échappé à l’emprise de la musique. Et surtout pas le théâtre pour enfants et le théâtre de marionnettes sous un régime politique aujourd’hui aboli qui, malgré toutes ses tares, prenait à cœur l’éducation artistique des jeunes générations.

Les compositeurs ont été des dizaines, voire des centaines à travailler pour le théâtre de texte ou le théâtre de pantomime depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Et parmi eux, les plus illustres : Witold Lutoslawski, Krzysztof Penderecki,  Henryk Górecki,  Zygmunt Krauze, Wojchiech Kilar, Elzbieta Sikora…. Ils ont œuvré en collaboration plus ou moins étroite avec les metteurs en scène d’un pays où la vie théâtrale est parmi les plus fécondes au monde et où l’on s’est autorisé toutes les audaces… enfin celles qu’on pouvait se permettre sous un régime totalitaire, mais plus libéral, plus souple (parce que polonais) que celui de ses voisins plus dogmatiques du bloc communiste.

En France, on n’a aucune idée de la richesse et de l’abondance d’une telle production. L’usage de créer un climat musical au théâtre, de soutenir, d’accompagner un texte avec tout un orchestre ou seulement quelques solistes, ou plus couramment à l’aide d’enregistrements de ces derniers, n’est pas ici si courant. Il a cours parfois au Théâtre Français, et sur des scènes subventionnées, à Paris comme en province, mais ce sont le plus souvent des productions sonores électroniques plutôt que d’authentiques compositions musicales. Et il n’est pas courant de faire appel expressément à un compositeur contemporain de quelque envergure comme l’a fait le directeur du Théâtre de la Colline  Wajdi Mouawad avec le compositeur Pawel Mykietyn, un Polonais justement. Même si les interventions de musiciens patentés existent, elles demeurent généralement discrètes. Et l’on ne se souvient plus guère que des pages de Lully du temps qu’il collaborait avec Molière dans Le Bourgeois gentilhomme ou Le Malade imaginaire. Ou de la musique de scène de L’Arlésienne pensée par Georges Bizet pour le drame d’Alphonse Daudet. On n’a pas oublié non plus celle d’Edouard Grieg pour le Peer Gynt d’Henrik Ibsen.

En Pologne en revanche, du moins depuis l’après-guerre, car on ne sait au fond plus grand chose de la production musicale pour le théâtre entre les deux guerres faute d’enregistrements, la présence de la musique de scène est quasiment systématique. A tel point que les théâtres les plus importants étaient tous et sont encore dotés d’un directeur musical. C’est souvent lui qui composait à la demande des metteurs en scène ou de la direction du théâtre. C’est lui encore, dans le cas où l’on pensait à recourir à des ouvrages du répertoire, qui proposait un choix de partitions au metteur en scène.

La volonté du metteur en scène

« En fait, tout a toujours dépendu des volontés du metteur en scène, souligne Janusz Stoklosa. Mais la tendance à recourir à la musique au théâtre s’est si bien ancrée dans les mentalités que presque tous s’y sont pliés. Et c’est immédiatement à la suite de son nom et de celui du scénographe qu’apparaît celui du musicien dans les programmes, aussi brèves que puissent être parfois les interventions de ce dernier. »

« Il ne faut pas oublier, reprend-il, qu’à l’époque communiste, tout dépendait de l’Etat. S’il était nécessaire d’avoir recours à un orchestre symphonique pour enregistrer une partition, c’était normalement accordé et ça ne coûtait pas plus cher à l’institution. Il suffisait que le directeur du théâtre s’adressât à celui de l’orchestre philharmonique local pour qui ce n’était qu’une tâche supplémentaire se glissant dans le travail des musiciens (chichement) rémunéré par l’Etat : les heures de répétition et d’enregistrement des interprètes étaient comprises dans leurs salaires immuables. Même chose si les musiciens exécutaient des morceaux sur scène ou dans la fosse d’orchestre. Ce n’est que dès les années 1970 que les théâtres puiseront dans leurs propres budgets pour payer aux musiciens leur surcroît de travail. Compositeurs et exécutants étaient alors défrayés selon le nombre de mesures. Et c’est en 1994, avec l’apparition en Pologne des droits d’auteurs, que les tarifs varieront d’un compositeur à l’autre. L’œuvre sera considérée dès lors comme un produit acquis à un prix débattu avec l’auteur. S’il est salarié par un théâtre en tant que directeur musical, il est désormais payé en sus pour ses compositions ».

Des compositeurs attitrés

Tout dépendait aussi de la nature de la mise en scène. Dans un théâtre très plastique comme celui de Tadeusz Kantor ou de Janusz Wisniewski par exemple, là où nombre de scènes se déroulaient sans texte, la part de la musique (ou de silence) était d’autant plus importante. Wisniewski pouvait alors demander des partitions imposantes à son compositeur attitré, Jerzy Satanowski. Comme aujourd’hui le metteur en sccène Krystian Lupa qui fait appel à Jacek Ostaszewski ou Krzysztof Warlikowski travaillant avec Pawel Mykietyn.

Quand Bogdan Tosza demande à Janusz Stoklosa d’accompagner sa mise en scène des Trois Sœurs de Tchekhov, où le texte demeure évidemment primordial, il leur faudra s’entendre à la fois sur un style musical en accord avec le propos du metteur en scène et sur la place qu’on donnera à la musique, sur sa façon de se marier au climat du spectacle. Pour coller aux intentions du metteur en scène, le compositeur en viendra à concevoir une partition dans l’esprit de l’époque où Tchekhov situe ses personnages.

Dans Les Aïeux, le grand drame romantique de Mickiewicz alors mis en scène par Maciej Prus, le poète, dans ses didascalies, signale que la scène de bal doit se dérouler sur le menuet extrait du Don Giovanni de Mozart. Le même Stoklosa métamorphosera cependant progressivement le dit menuet mozartien en polonaise enflammée jusqu’à l’incandescence au fur et à mesure de la montée de la tension dramatique établie entre un notable à la solde de l’oppresseur et une mère venue demander la grâce de son fils.

200 compositions pour le théâtre

Des partitions composées pour des spectacles créées un peu partout en Pologne (mais aussi pour le Burgtheater de Vienne, le Schauspielhaus de Zürich, le Théâtre flamand de Bruxelles, le Berliner Ensemble, la Volksbühne ou le  Deutches Theater de Berlin), Janusz Stoklosa en a lui-même plus de 200 à son actif. C’est ce qui lui a ouvert aisément les portes des théâtres pour lesquels il avait travaillé naguère. Entretemps, il s’est rendu extrêmement célèbre dans son pays avec la création de comédies musicales dont Métro, en 1991, fut la toute première à voir le jour dans un pays de l’ancien bloc communiste.  

Muni de ce double viatique, il a pu ainsi entreprendre la tâche gigantesque d’explorer les archives de nombreux théâtres choisis pour la qualité de leur répertoire et d’y retrouver les enregistrements de l’époque.

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Mais là, surprise ! Ou demi-surprise. Et qui en dit long sur le peu d’intérêt que bien des gens de théâtre portent à leur propre histoire, comme à la musique considérée sans doute comme n’étant rien d’autre qu’un accompagnement sonore. Si bien des salles ont certes conservé leurs archives musicales, enregistrements ou simples partitions, elles l’ont fait souvent dans des conditions précaires, sinon déplorables. Plusieurs ont carrément tout perdu. Ou sciemment tout détruit, dans la plus parfaite inconscience de ce qui constitue le patrimoine d’une institution. Au mieux, sinon au pire, les archives des théâtres ont été déposées à l’Institut théâtral (Instytut Teatralny) à Varsovie où elles ne sont ni réellement exploitées, ni restaurées, faute de moyens, et se retrouvent ainsi définitivement enterrées comme dans un tombeau.

« J’ai exploré 20 théâtres parmi ceux que j’avais retenus et dans lesquels se sont  déroulées près de 1500 productions au fil des décennies passées, précise Janusz Stoklosa. Et j’en ai encore 50 autres à visiter. Dans un seul établissement comme le Théâtre Bagatella à Cracovie, il a fallu se pencher sur 400 créations du passé. C’est de là d’ailleurs que provient le plus vieil enregistrement que nous ayons retrouvé. Il date de 1949 et c’est une composition d’Artur Malawski (1904-1957), chef d’orchestre alors renommé et compositeur prolifique. Une composition conçue pour une adaptation théâtrale de l’Oiseau bleu de Maurice Maeterlink ».

Pour chaque théâtre : 1200 heures de labeur en moyenne

« Après remise des bandes magnétique en nos mains, il faudra entre deux et trois heures pour que chacune d’entre elles puisse être écoutée attentivement. Puis elles doivent être restaurées en fonction de leur état de conservation, digitalisées ensuite. Quarante minutes de musique enregistrée peuvent compter jusqu’à vingt fragments différents ayant accompagné autant de séquences théâtrales ou s’y étant intercalées. De fait, j’ai calculé que pour chacun des théâtres que nous avons répertoriés pour cette opération de sauvegarde, il fallait compter en moyenne près de 1200 heures de labeur ».

Pour ce faire, il a fallu à Janusz Stoklosa s’entourer de collaborateurs familiers du monde musical et du monde théâtral tout à la fois. Et d’informaticiens solidement formés et équipés pour cette tâche si particulière de restauration et de transposition sur des supports modernes.

Pour travailler, ces derniers bénéficient du studio d’enregistrement dont dispose le compositeur et qui est situé en plein cœur de Varsovie, au-dessus de ce Teatr Studio Buffo où se jouent à guichets fermés ses comédies musicales.

Résurrection : un océan sonore

Restituer des enregistrements mis à mal par le temps et la dégradation de leurs supports en les restaurant méticuleusement et en les rétablissant dans leur intégrité sonore revient donc à les ressusciter. Et cette résurrection n’a de sens que si l’on peut les réutiliser. Car c’est bien le but de cette vaste opération de sauvetage :  rendre vie à ces compositions, avec l’accord dûment signé de leurs auteurs ou de leurs ayants droit, afin de pouvoir les réutiliser pour sonoriser des documentaires, des films, des reportages, de nouvelles mises en scène, des spectacles de danse, des émissions radiophoniques… ou pour quelque utilisation commerciale. A condition toutefois que la plateforme donne son aval à une utilisation légitimée par tout utilisateur répondant à un simple formulaire en ligne.

Mais l’entreprise vaut aussi pour contribuer à la formation de nouveaux compositeurs au moment où nombre d’entre eux se revendiquent désormais comme musiciens spécialisés pour le théâtre. Ou pour mettre ces musiques à la disposition gratuite du plus vaste public, maintenant qu’elles sont accessibles à tout un chacun.

Pour faciliter les recherches au sein de cet océan sonore qui regroupe désormais plus de 3115 fragments musicaux enregistrés (ceux composés par Andrzej Zarycki pour La Visite de la Vieille Dame de Friedrich Dürrenmatt se montent à eux seuls à une vingtaine), on les a classés sous de multiples clefs de recherche. Sur le site Musicgranar.com figurent les noms des compositeurs évidemment, avec leur biographie, les dates de création des spectacles, mais surtout les thèmes, le caractère de chaque morceau musical, sa forme d’interprétation (qu’il s’agisse de musique instrumentale ou vocale, d’ensembles symphoniques ou de musique de chambre, de solistes, de formations vocales a capella ou accompagnées de musiciens, d’instruments utilisés, de compositions acoustiques…)

Michał Pepol interprète la pièce Kartka z kalendarza (« Une page du calendrier ») de Paweł Mykietyn. Photo : Tal Bitton.

Angéliques et colériques

Et puis on définit les morceaux musicaux en fonction du climat, de la couleur, des impressions qu’ils dégagent. Et les nuances sont infinies. Il y a les agressifs (on en trouve 99) les angéliques (51), les colériques (67), ceux qui dégagent une atmosphère d’anxiété (ils sont 439).  Il y a les mystérieux, les joyeux, les festifs, les fantasques… Tout cela est minutieusement analysé (de façon obligatoirement subjective) afin de permettre de cerner aisément le genre d’intervention sonore que l’on recherche et de dénicher une musique correspondant à ses desiderata.

Une composition orchestrale de Jolanta Szczerba est ainsi décrite comme expressive, bizarre, froide, désespérée, inquiétante, dramatique, étrange, cafardeuse, sinistre, psychédélique… ce qui a bien de quoi combler celui qui recherche une musique anxiogène pour un film d’horreur.

Alors que chez Adam Opatowicz, telle séquence au piano illustrant une adaptation scénique du Maître et Marguerite est qualifiée de brillante, sarcastique, folle, naïve, nerveuse, espiègle et excentrique tout à la fois.

L’ensemble des enregistrements est mis en place et facilement consultable sur un site coloré et infiniment séduisant. Sauf qu’on attend encore le recensement de milliers d’autres moments musicaux pour étoffer cet immense répertoire, pour ouvrir son exploitation publique et pour asseoir définitivement sa position unique dans les cercles musicaux.

Ce qui vaut pour la Pologne est évidemment accessible pour le monde entier et offre à ces enregistrements exhumés de l’oubli un immense champ d’exploitation, alors les droits d’auteur seront reversés aux compositeurs par l’intermédiaire de ZAiKS (Association des Auteurs et Compositeurs de la scène), la SACEM polonaise qui occupe un beau palais néo-classique au centre  de Varsovie.

C’est une tâche phénoménale qu’ont entreprise Janusz Stoklosa et sa quinzaine de collaborateurs depuis maintenant trois ans. Même si chacun applaudit à cette initiative, jusqu’à aujourd’hui, et à l’exception de trois aides modestes de l’Etat polonais, c’est le compositeur de Metro qui a financé à lui seul cette considérable entreprise. Car les institutions peinent par principe à s’allier à une initiative privée.

« Ces musiques sont le plus souvent très accessibles au grand public. J’en sais quelque chose pour avoir dirigé des orchestres symphoniques interprétant mes compositions pour le théâtre, comme on le fait pour des musiques de film, devant des auditoires très chaleureux. Cela suscite une forte adhésion. Mais bien évidemment Musicgranar doit avant tout trouver un écho dans les milieux du cinéma, du documentaire, du théâtre, de la danse, dans ceux de la publicité aussi.  Je compte que dans cinq ans, nous soyons parvenus à maturité, que la plateforme démontre pleinement son utilité et que ce formidable répertoire musical qu’il fallait absolument sauvegarder retrouve bientôt une vie nouvelle. »

Il n’est toutefois pas nécessaire de rechercher dans Musicgranar quelque chose qui soit utile à un artiste ou à un quelconque professionnel des mondes de la culture, de la publicité ou du commerce. Parcourir le site au hasard, c’est voler de surprise en surprise, se divertir et découvrir un florilège de fragments musicaux d’une diversité inouïe. Un amusement de haut vol qui s’enracine dans sept décennies de création musicale. Et qui pourrait être un exemple à suivre dans bien d’autres pays que la Pologne.

Pourquoi Gabriel Zucman a tout faux

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L'économiste de gauche Gabriel Zucman et le président de la commission des Finances de l'Assemblée nationale d'extrème gauche Eric Coquerel, Paris, 1er octobre 2025 © Stephane Lemouton/SIPA

L’économiste chouchou de l’extrême gauche propose une analyse claire et articulée, mais avec un raisonnement subtilement orienté.


Les milliardaires ne paient pas d’impôt sur le revenu et nous allons y mettre fin : tel est le titre accrocheur et guerrier du libelle de Gabriel Zucman récemment publié au Seuil. Saluons en premier lieu la clarté de ce texte. L’argumentation est construite, les fondements idéologiques sont énoncés sans détour, les conclusions et propositions d’action publique sont limpides. C’est un monument de raisonnement apparemment scientifique tout en étant profondément faux. En voici le lucide décryptage.

Gabriel Zucman convoque d’abord les mânes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui a portée constitutionnelle : son célèbre article 13 énonce le principe de l’égalité devant les charges publiques. Il en déduit que l’impôt ne devrait pas être « régressif », c’est-à-dire que les personnes les plus riches ne devraient pas pouvoir payer moins, en proportion de leurs revenus, que les catégories sociales moins fortunées qu’elles. Rappelons les dispositions de l’article 13 : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »

Le Conseil constitutionnel retient ainsi que l’impôt doit être proportionné aux capacités contributives, qu’il doit être non discriminatoire et général (par exemple, ne pas concerner seulement les pauvres ou seulement les riches).

La croissance annuelle du patrimoine, c’est en fait du revenu, selon M. Zucman !

Ensuite, Gabriel Zucman étend la notion de revenu imposable en y intégrant la croissance annuelle du patrimoine. Il argue que les distributions de dividendes à des sociétés holdings ne subissent généralement qu’une faible taxe dans le cadre des dispositifs fiscaux les plus courants prévalant sur l’ensemble de la planète (1,25% en France), pour peu que ces revenus ne soient pas redistribués au niveau des actionnaires de ces holdings. Ils peuvent dès lors être conservés en trésorerie (produits financiers) ou réinvestis dans le capital d’entreprises et de l’immobilier, sans imposition supplémentaire. Pour lui, un revenu non distribué permet en fait de constituer une forme d’épargne, au-delà d’une consommation personnelle peu importante en termes relatifs pour un ultra-riche. Ce revenu non distribué doit dès lors être imposable comme le serait le revenu d’un contribuable moyen, qui lui est, soit consommé, soit épargné. Glissement sémantique étrange pour un économiste qui a enseigné à Berkeley et à la London School of Economics (mais qui n’a certes pas été accepté à Harvard) et qui est désormais professeur à Normale Sup Ulm.

Sur la base de ces considérations générales, il constate que les Français voient leurs revenus taxés en moyenne à 51 %, tous impôts et cotisations sociales confondus, alors que les « ultra-riches » (au-dessus de 100 M€ de patrimoine) n’acquitteraient que 2% en impôt sur le revenu stricto sensu en France et 23% en impôts sur les sociétés payés par leurs entreprises, soit au total 25% en prélèvements obligatoires (13% en France et 12% à l’étranger). Deuxième anomalie de raisonnement, l’impôt sur les sociétés payé par les entreprises des ultra-riches est ainsi considéré comme devant être intégré à un impôt sur le « revenu théorique global » les concernant, alors même qu’il s’agit de personnes physiques distinctes des personnes morales payant l’impôt sur les sociétés.

Il en déduit qu’il convient de faire passer les ultra-riches à un niveau de taxation sur le revenu se rapprochant de celui de la moyenne des Français.

Pour Gabriel Zucman, 2% de taxation annuelle plancher sur les patrimoines au-dessus de 100 M€ permettrait de faire respecter le principe constitutionnel d’égalité devant l’impôt

S’ensuit un calcul d’une simplicité biblique. Les ultra-riches enregistrent un rendement annuel moyen autour de 6% par an sur leur patrimoine, bien mieux que le livret A ou l’assurance-vie des Français moyens. Donc, en leur prélevant globalement 2% par an sur ce patrimoine, en tenant compte des impôts sur le revenu déjà payés par ailleurs en France, cela correspond à un impôt global de 33% sur le rendement théorique annuel d’un tel patrimoine (2 divisé par 6 égale 33 %). Ce 2% d’impôt plancher sur la fortune, ce serait pour Gabriel Zucman le taux « scientifiquement » calculé pour faire respecter le principe d’égalité devant l’impôt.

Incidemment, on comprend que la taxation Zucman des milliardaires français atteindrait dans ce schéma 33 (France)+12 (étranger) = 45 % en moyenne, soit un taux proche de la moyenne française de 51%. Ainsi, chers « ultra-riches », vous devriez remercier Gabriel Zucman que, via ce 2% de taxation annuelle sur le patrimoine, l’on ne vous prenne pas plus que 33% de votre « revenu théorique global » annuel en France ! Car 33%, ce n’est pas confiscatoire au sens du Conseil constitutionnel.

Triple glissement technique et sémantique de la part de l’excellent Gabriel Zucman : la croissance annuelle du patrimoine, c’est du revenu plein pot pour les vilains ultra-riches ; ils doivent être imposés sur le revenu comme tous les Français selon le principe d’égalité devant l’impôt ; 2% d’imposition sur la fortune, cela les aligne sur l’imposition moyenne des Français. La justice fiscale est en marche, d’inspiration révolutionnaire comme il se doit. Un magnifique sophisme.

Je me garderai bien ici de développer les multiples considérations techniques, économiques, juridiques, fiscales, financières et constitutionnelles qui ont été largement médiatisées depuis quelques semaines, et qui expriment généralement de solides critiques de la taxe dite Zucman. Ne parlons pas non plus de l’incroyable cécité, pour ne pas dire plus, de nos représentants à l’Assemblée nationale qui l’ont adoptée en première lecture en février 2025.

Néanmoins, une vraie problématique d’inégalités de patrimoine croissantes

Je terminerai en soulignant que Gabriel Zucman, comme d’autres économistes d’horizons divers, a orienté les projecteurs sur une évolution notable des structures de patrimoine dans le monde, qui soulève une réelle problématique de cohésion des sociétés et des démocraties. La croissance et la concentration des patrimoines sur des catégories sociales restreintes se sont en effet accélérées au cours des dernières décennies. La mondialisation des activités économiques avec la montée en puissance du Sud global ainsi que la dissymétrie des progressions respectives des revenus du capital et des revenus du travail ont contribué à polariser les différentes catégories sociales sur toute la planète, et en particulier dans les pays occidentaux.

Nous ne pouvons pas rester indifférents en France au fait que les 500 premières fortunes professionnelles françaises, suivies depuis 1996 par Challenges, détenaient un patrimoine correspondant à 6% du PIB en 1996 et qu’aujourd’hui, cette proportion atteint 42% du PIB, quelle que soit l’interprétation que l’on peut en faire (au choix, « les inégalités explosent » ou « les entrepreneurs français ont réussi leur intégration dans la compétition internationale »). Néanmoins, force est de constater que le patrimoine des Français a sensiblement progressé entre 1996 et 2024, de sorte que le patrimoine des 500 premières fortunes professionnelles françaises représente en réalité toujours autour de 6% du patrimoine national net de la France au sens de la comptabilité nationale, en 2024 comme en 1996. Il est vrai que ce patrimoine national net est passé d’environ 5 fois le PIB à 6,7 fois le PIB sur la période, traduisant ainsi la progression de valeur des actions et de l’immobilier.

L’enjeu pour les années à venir, c’est en réalité de définir quel rééquilibrage devrions et pourrions-nous mettre en œuvre, individuellement et collectivement, pour que n’apparaissent pas des sociétés à trois vitesses, avec un « lumpenproletariat » sans  espoir, une large classe moyenne appauvrie, frustrée et sans perspective d’ascenseur social, et une classe de super-privilégiés, vivant en cercle fermé sur un Olympe inatteignable pour 99,99% de la population (scénario de nombreux films de science-fiction, dont nous ne sommes désormais plus si éloignés).

Répondre à cette problématique par une approche centrée non sur une taxation punitive, mais sur le service du bien commun

Pour ma part, je crois plus au développement d’un mécénat et d’une philanthropie privés, volontaires et responsables, portés par des fondations d’entreprises et des familles, qu’à une taxation publique punitive, supposée promouvoir une hypothétique justice fiscale (que personne ne sait du reste définir), dévastatrice pour l’esprit d’entreprise, la croissance et l’innovation.

Il est à cet égard patent que la sphère privée est, au XXIème siècle, plus à même de soutenir des initiatives d’envergure en faveur du bien commun que ne l’est désormais la sphère publique, minée par l’absence de vision, la bureaucratie et l’inefficacité, qu’elle soit nationale ou multilatérale.

Enfin, pour revenir à l’esprit de la Constitution, la « contribution indispensable », c’est-à-dire nécessaire, est destinée à couvrir « l’entretien de la force publique » et « les dépenses d’administration ». En termes contemporains, il s’agit des dépenses régaliennes (sécurité intérieure, justice, défense, diplomatie) ainsi que de l’administration de l’État et des collectivités locales. Il y a donc eu, là aussi, un glissement sémantique progressif et insidieux au cours de cette longue période de deux siècles et demi. Nous sommes à l’évidence bien loin, en cette fin du XVIIIème siècle, du financement par les prélèvements obligatoires de notre actuel si dispendieux et si peu efficace État providence, qui pose désormais le problème du consentement à l’impôt.

Mais c’est un autre débat, qui appelle une reconfiguration de ce que l’on appelait autrefois l’intérêt général, défini par la sphère publique, et qui aujourd’hui est le bien commun, porté par la sphère publique et la sphère privée.

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Cet étouffoir démocratique qui rend l’atmosphère révolutionnaire

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Gérard Larcher et Sébastien Lecornu photographiés au Sénat, à Paris, le 29 octobre 2025 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

La « stabilité » défendue par l’oligarchie agrippée à ses pouvoirs n’est rien d’autre que de l’immobilité politique. Calme trompeur. Refuser de donner la parole au peuple renforce les frustrations des dégagistes.


Le mot nouveau est arrivé : « stabilité ». Il est répété par ceux qui ont choisi de soutenir Sébastien Lecornu, ultime bouée d’Emmanuel Macron, en espérant se sauver eux-mêmes. Le 16 octobre, la plupart des députés PS et LR ont ainsi joint leurs voix à celles des macronistes en perdition pour rejeter (à 18 voix près) la censure du gouvernement au nom de la préservation de l’ordre républicain. Mais ce retour au calme institutionnel est aussi trompeur que le fut la « concorde », cet autre mot qui fit florès en 1793… juste avant la Terreur. Dans leur obsession à faire taire les Français, de peur qu’ils renforcent la droite chamboule-tout, les ralliés au chef de l’État et à son Premier ministre partageront leur sort : ils tomberont ensemble. Derrière la stabilité psalmodiée se profile la possible table rase.

L’étouffoir démocratique a rendu l’atmosphère révolutionnaire. Toutefois, l’embastillement de Nicolas Sarkozy est un signe trompeur. Son incarcération à la Santé, le 21 octobre, est l’effet du dérèglement du système, confisqué par des castes. Le choix des juges d’humilier l’ancien chef de l’État n’exprime qu’en apparence la colère du peuple contre ses élites. Alors qu’aucune preuve d’un financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007 ni aucun enrichissement personnel n’ont été retenus contre le prévenu, son emprisonnement avant l’appel signe la dérive moraliste d’un pouvoir judiciaire gagné par l’arbitraire et la revanche politique. Les magistrats qui espèrent entraver Marine Le Pen aggravent le sentiment des électeurs d’être dépossédés de leurs voix.

A lire aussi, du même auteur: Quand la question algérienne rassemble les droites

Ceux qui écartent l’arbitrage du peuple programment leur déroute. La droite de gouvernement est déjà en lambeaux. Les Républicains qui se sont alliés aux socialistes à l’Assemblée, eux-mêmes désireux de suspendre la réforme des retraites et de taxer les riches, ont achevé de rompre leur union avec le courant souverainiste de leur parti. Jean-François Copé (LR), qui accuse le RN d’avoir un programme socialiste, est resté muet devant l’incohérence de la fausse droite cheminant avec Olivier Faure (PS). Bruno Retailleau, président d’un parti qui ne lui obéit qu’à moitié, n’a d’autre choix rationnel que de s’éloigner de ces politiciens et de leurs tambouilles pour rejoindre les nationaux d’en face : c’est dans ce creuset et sur les ruines du progressisme que l’histoire s’écrit.

Dans leur refus de se tourner vers les citoyens, les squatteurs de la démocratie reconnaissent implicitement la victoire idéologique de Marine Le Pen. Elle est une menace à leur survie. Dans son bureau à l’Assemblée, le portrait d’un chat, posé sur la cheminée, sert de fond visuel à ses interventions à côté du drapeau tricolore. Le 3 octobre, la fondatrice du RN, éleveuse diplômée de félins, s’est rendue à une invitation du Premier ministre à Matignon accompagnée d’un chaton qu’elle nourrissait au biberon. Cette passion ne fait pas un programme. Toutefois sa proximité affichée avec les animaux parle à ceux qui vivent avec les 17 millions de chats que compterait la France. Elle parle aussi aux Français qui n’existent plus aux yeux des boutiquiers de la politique soucieux d’eux-mêmes.

La stabilité, telle qu’elle est défendue par l’oligarchie agrippée à ses pouvoirs, signifie l’immobilité, le statu quo, le silence dans les rangs. Elle est une violence pour les indésirables qui réclament des élections clarificatrices. Retarder ces échéances démocratiques ne fera que renforcer les frustrations des dégagistes.

Le maître des horloges

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L'écrivain français François Nourissier photographié en 2003 © IBO/SIPA

Dans une biographie consacrée à François Nourissier (1927-2011), pape florentin de l’édition aux éditions Le cherche midi, l’historien François Chaubet nous invite à un voyage au cœur des lettres françaises…


C’était donc ça, le pays imaginaire des éditeurs et des prix d’automne, de l’influence de la critique à l’arithmétique des jurys, des puissantes rédactions de « News magazine » aux Académies nourricières. Du manuscrit à la dotation, il y avait un « seul » homme, architecte neurasthénique, lecteur aussi avide que désespéré, barbe blanche et grisaille permanente, moteur du Goncourt et inlassable manouvrier de Grasset, derrière cette machinerie des livres. Un peu vaine et qui, cependant, mobilisa tant de connivences, d’amertumes et de talents durant la deuxième moitié du XXème siècle. Il fallait voir ça au moins une fois dans sa vie, vivre les intenses tractations de l’été avant la distribution de novembre, les combinazione, les coulisses, les passations de contrat, les jalousies entre maisons, les fausses valeurs et les vrais écrivains au coude-à-coude, l’esprit boutiquier au service de la littérature. Balzac en mondovision. Un homme maîtrisait à la perfection cette grammaire des égos. Un homme de pouvoir, touché par la maladie, longtemps considéré comme le grand manitou des rentrées, faiseur de prix et déclencheur de vocations, aujourd’hui totalement oublié. On le voyait chez Pivot à côté de Jean d’O ou d’Hergé et au premier étage du Drouant rue Gaillon sous une nuée de photographes, à Trente Millions d’amis et dans les colonnes du Figaro Magazine, Ardisson lui réservait une table de choix le samedi soir. L’édition a changé. Plus éphémère, plus brutale aussi, soumise à la concurrence d’autres sources de « distraction » et à une certaine indifférence. Elle ne fait plus recette. Les bibliothèques ont disparu des intérieurs bourgeois. Même si le livre résiste quelque peu dans notre pays par habitude, il n’a plus l’aura, l’éclat et le ressac du passé. François Nourissier était le dépositaire de cette vieille fille qui avait le charme des veuves anglaises de guerre à ombrelles et à voilettes. Sous son règne, la vieille dame perdue dans son cottage avait encore du ressort et des secrets à nous dire.

A lire aussi: « L’Étranger » de François Ozon est-il politiquement correct?

Aux éditions Le cherche midi, François Chaubet s’est lancé dans une sérieuse biographie qui éclaire ce personnage jadis central des lettres françaises à travers son parcours professionnel et surtout ses livres. L’historien a le désir de percer le mystère de cet écrivain compliqué, oscillant entre la détestation de lui-même et porté par de hautes ambitions créatrices. Un personnage impénétrable, honni par certains, à la fois grenouillant dans la mare aux livres et jamais dupe de son propre manège. Dans son entreprise de réhabilitation, Chaubet veut sauver le « soldat » Nourissier de l’oubli. Que l’on ne garde pas seulement en mémoire cette image de commandeur des lettres aux méthodes florentines. Nourissier a incarné les dérives d’un système où la tractation et le « lobbying » étaient érigés en art de la conquête commerciale. C’est oublier que le livre demeure un produit intellectuel et marchand, cette dualité-là implique des accommodements avec la vérité. « Mais qu’advient-il de son œuvre, dissimulée au fil des ans derrière ce profil exclusif d’un homme de pur pouvoir ? » se demande l’historien, dès le préambule. Nourissier a tout fait pour rendre cette tâche ardue tant par son caractère sombre que par ses manières « grand siècle ». Nourissier avait une très haute estime de la littérature et du dénigrement de soi. Chaubet remonte le fil de cette enfance gênée en mal d’amour, le garçon a perdu tôt son père dans un cinéma, la défaite de 40, les lectures intensives et enfin la découverte d’un idéal : écrire. Il écrira beaucoup dans les journaux entre des mariages ratés et des achats compulsifs de belles demeures. Chez Nourissier, la réussite professionnelle cache maladroitement un désarroi profond. La défaite intérieure l’emporte sur le brio extérieur. Bernard Frank a écrit: « Nourissier, c’est une nature malheureuse » lors de la parution de La Crève. Chaubet nous invite à (re)lire Un petit bourgeois ou Le Musée de l’Homme, il le défend avec conviction et loue son style : « Mais quel gouffre entre son art ciselé, tremblé mais distillé (style, rythme, accélérations et ralentissements) et celui de certains auteurs contemporains (é)perdus dans leur narcissisme victimaire sans filtre, où l’univers de surcroît, n’est plus que le reflet d’eux-mêmes ». Chaubert a du souffle pour rameuter de nouveaux lecteurs tentés par l’expérience d’une écriture abrasive. Cette biographie vaut aussi pour l’atmosphère d’époque, elle nous révèle jusqu’aux détails chiffrés des avances et des pourcentages de vente et revient sur les amitiés sincères et durables avec Christine de Rivoyre, Edmonde Charles-Roux, Michel Déon ou Jacques Chessex. Souvent rattaché, par facilité, à la galaxie des Hussards, il partageait avec Nimier la même exigence littéraire, il fut notamment coopté par Chardonne et Morand, il dirigea la rédaction de La Parisienne sous la tutelle de Jacques Laurent, Nourissier était assez éloigné politiquement d’eux sur les questions de décolonisation. Mendésiste de cœur, puis chiraquien de « raison », compagnon de route d’Aragon et fidèle de Pauwels, ancien « pauvre » devenu « riche », sa trajectoire n’a rien de linéaire. « Je voudrais mourir sans qu’on m’accuse d’être un homme de droite » déclara-t-il dans Bouillon de culture en avril 2000.


François Nourissier – Au cœur des lettres françaises de François Chaubet – le cherche midi 368 pages

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Toussaint africaine

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L'artiste François Mafoua © Philippe Lacoche-Novembre 2025

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Voulait-elle l’ensoleiller ? Cela restera toujours pour moi un mystère. Une chose est sûre : ma Sauvageonne a fait de ce samedi 1er novembre 2025, une Toussaint africaine. Elle avait reçu une invitation du peintre-chanteur-musicien François Mafoua qui, ce jour-là, procédait à l’inauguration de son exposition au Marott Street, à Amiens. « Je l’ai croisé à Amiens il y a longtemps, très longtemps », me dit-elle, en passant une main distraite dans sa crinière folle et ébouriffée. Cet artiste a de la mémoire.

La Toussaint, tout novembre, en fait, m’en procure à moi aussi. Les chrysanthèmes font fleurir en moins des souvenirs enfantins. Tergnier. Le cimetière ; la brume. Des tombes. Celle de mes grands-parents partenels, d’abord, à partir de 1968, puis celle d’oncles, de tantes, d’amis, au fil des années qui s’égrenèrent, lamentables, bien plus vite que je ne l’eusse souhaité. La Toussaint ; fêter les morts. Tu parles ! Je préfèrerai boire un verre avec eux. Avec mes copains, dans le désordre : Gilles Gaudefroy dit Fabert, Michel Laurent (que j’ai surnommé Rico dans mon roman Des petits bals sans importance ; il repose dans le cimetière de Beautor caressé par les odeurs de métal écorché des ALB – Aciéries et Laminoirs de Beautor -), Jean Brugnon, éclusier et roadie élégant comme un Ray Davies de Fargniers, Gérard Lopez, dit Dadack (ami de la prime enfance ; je lui avais appris à faire du vélo ; pour me remercier, dix ans plus tard, il me fit découvrir Procol Harum et Rory Gallagher, puis devint le bassiste-chanteur de notre groupe de rock Purin au cours des glorieuses seventies), Catherine Caille et Florence Bacro, petites-amies trop tôt parties, Frédéric Dejuck, guitariste au phrasé claptonnien, Joël Caron, saxophoniste-flûtiste de mes années saint-quentinoises, et d’autres, tant d’autres, trop d’autres.

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Vous le voyez, lectrices adulées, novembre me rend joyeux. C’est dire si j’avais besoin de lumière, de soleil. La Sauvageonne et François Mafoua m’en procurèrent. Ce dernier a vécu à Amiens du début des années 90 jusqu’en 2004. Au Marott Street où il exposait une cinquantaine de toiles colorées, réalisées à partir du monde végétal et animal (il utilise des feuilles dans ses toiles et, parfois, des coquilles d’escargots comme pinceaux), et inspirés par son pays d’origine : le Congo ; il avait convié ses amis. Agé de 75 ans, arrivé en France il y a quarante ans, après avoir vécu à Paris, il réside aujourd’hui à Caen, dans le Calvados où il a ouvert une galerie. Ses œuvres ont été appréciées par des célébrités puisque le couple Mitterrand lui acheta des toiles ; il en fut de même pour Raymond Devos. En novembre 1990, il avait été invité dans une école primaire à Allonville, près d’Amiens, en même temps que Danielle Mitterrand, épouse du briseur du Parti communiste français. Ensemble, ils avaient créé une sculpture qui ressemblait à un masque africain. Puis avaient fait connaissance…

Au Marott Street, il agrémenta l’inauguration d’un concert en compagnie de son groupe African’Rumba (Pablo, batterie ; Vincent, guitare ; Jack, basse). L’artiste chante et joue aussi du kalimba. « Notre musique est un mélange de soul, de rumba, de reggae et de musiques caribéennes. Mon kalimba, je l’ai agrandi et électrifié ; c’est mon Mafouaphone », sourit-il. Le 22 novembre, il exposera à la galerie du Delta, 26, rue de Delta, dans le XIXe arrondissement, à Paris. Début décembre, il présentera et jouera, accompagné d’une chorale, dans une église de Verdun. Il n’arrête pas, ma foi !

Yann Andréa, viagra littéraire de Duras

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La journaliste Julie Brafman © JP Baltel / Flammarion

Yann Andréa, qui ne s’appelait pas encore Andréa, est entré dans la vie de Marguerite Duras un été de pluie et de vent, en 1980. Il a frappé à la porte de son appartement des Roches noires, un ancien hôtel de luxe face à la mer. Elle s’ennuyait, Duras, regardait la mer jusqu’au rien, avec cette mélancolie des pétroliers au large du cap d’Antifer dans le cœur. Elle écrivait des chroniques commandées par Serge July, le patron de Libération. Elle mélangeait fiction et réel. Elle écrivait, mais la pluie d’été la tenait éloignée de l’écriture médiumnique, celle qui bouleverse et permet d’entrer dans l’univers hypnotique, le sien. Elle buvait beaucoup, allait au Central, commandait toujours la même chose, langoustines et vin blanc ; elle avait 66 ans, le visage détruit, éboulé d’un coup. Elle portait sa jupe pied-de-poule, son gilet de cuir marron, ses grosses lunettes. Yann Andréa était plus jeune, presque 40 ans de moins, il rêvait de Duras depuis la lecture des Petits Chevaux de Tarquinia. Il buvait un Campari et fantasmait sur la romancière. Il était homosexuel, fréquentait Barthes, mais c’était avec Duras qu’il voulait vivre. Il lui avait écrit, elle n’avait pas répondu.

Cet amour-là

Il l’avait rencontrée en 1975, après la projection de India Song, sur le parking du cinéma Lux, à Caen, en novembre. Yann s’appelait encore Lemée, c’était un jeune homme un peu paumé, ailleurs, maigre et élégant, il avait suivi des études de philosophie en Khâgne et fait la fête dans des boites branchées. Il a revu Duras, le destin l’exigeait. Il ne l’a plus jamais quittée. Il est devenu le fantôme auprès d’elle, venu de nulle part et reparti nulle part. Il a veillé sur l’auteure de L’Amant, prix Goncourt 84, jusqu’à ce jour funeste de mars, le 3, un dimanche, où elle a quitté la piste du bal du casino de la vie, où l’on finit toujours par miser sur la mauvaise couleur. Mais, privilège exorbitant de l’écrivain, ses personnages, leur inoubliable nom, les ambiances portuaires propices au secret, la robe rouge d’Anne-Marie Stretter, l’absence des regards au retour de La Douleur, l’amour sans cesse contrarié et sans cesse recommencé – « il n’y a pas de vacances à l’amour » –, le Gange millénaire, embarqués sur Le Navire Night, perdurent toujours. Yann Andréa a continué seul son errance dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés, à la recherche du fantôme de M.D., lui le fantôme sans identité. Il a fini par mourir dans une chambre, un jour indéterminé de juillet 2014. Les voisins ont appelé la police, incommodés par l’odeur du corps en décomposition. Après la mort de M.D., il avait signé le poignant Cet amour-là.

Frustration

Ce « Bartleby au glorieux désœuvrement » méritait bien un livre. Julie Brafman, chroniqueuse judiciaire, a relevé le défi d’écrire sur un homme qui a tout fait pour qu’on ne parlât jamais de lui. Son récit, Yann dans la nuit, se lit comme un roman, et cela tient en éveil tard dans la nuit, justement. Ce couple baroque, Duras/Yann, décidément, fascine. Julie Brafman a mené une enquête existentielle qui l’a conduite à l’IMEC, d’abord, où elle n’a pu consulter que quelques cartons « Yann Andréa », la plupart étant estampillés « non consultable ». Mais elle ne s’est pas découragée. Elle a cherché, plusieurs lettres, des phrases écrites sur le dos d’un chèque, des notes ici ou là, une piste ténue pour un homme en pointillé, hanté par quelque chose qui le dépassait : vivre. Elle a ensuite découvert la « chambre rose » avec un meuble en plastique où les traces de l’existence de Yann Lemée, devenu Yann Andréa, puis Yann Andréa Steiner, débordaient des tiroirs, comme le Gange sort de son lit à la mousson. Après avoir refermé le livre, on en sait un peu plus sur l’amant maltraité par Duras. Il y a les colères, les réconciliations, la chanson Capri c’est fini en boucle, la soupe aux poireaux avec l’indispensable pomme de terre, l’alcool jusqu’à l’hospitalisation… Yann est là, il veille sur M.D. qui lui en veut de ne pas répondre à son désir. Elle devient grossière, méchante, elle écrit La Maladie de la mort, on lui reproche ce court récit violent contre l’homosexualité. Yann tape le texte dirigé contre lui. Il est au bord des larmes, mais il le fait, il le tape, il le lit même à haute voix, exigence de M.D. Julie Brafman dit : « Alors il répète que la fusion impossible des corps est une fatalité. Une malédiction. Une désolation. Il répète la tragédie de cet homme qui paye une jeune femme pour avoir des relations sexuelles. » C’est « l’aventure tragique de l’écriture. » Elle brûle tout sur son passage, consume les êtres, abolit le temps. Julie Brafman rappelle que Duras et Yann étaient deux experts en fausse confession. Ils ont dupé les biographes ; ils ont trompé les lecteurs, mais ils ont rêvé, ces lecteurs, et ils rêvent encore au ravissement de cette Lol V. Stein. Duras invente le monde entier. « L’illusion marche parfaitement, ajoute Brafman, Le Gange coule sous les viaducs de la Seine-et-Oise. Personne n’oserait prétendre le contraire. » La transfiguration, chez Duras, atteint la perfection somnambulique.

Yann Andréa est un élément clé dans la vie de Duras. Ce fantôme en cravate coccinelles sillonne entre les lignes des meilleurs récits de M.D. Il a régénéré sa puissance créatrice ensablée sur la plage de Trouville. Alors est né le « cycle atlantique ». On le devine dans les bars de palace, il arpente les collines normandes à la recherche de beaux corps virils, il est lui-même ce corps allongé et nu dans Les Yeux bleus cheveux noirs, il est partout de 1980 à 1993, et elle, elle attend l’impossible pénétration. Julie Brafman écrit : « Yann Andréa traverse les textes, de page en page, avec son sac en toile et son parapluie noir alors qu’il fait beau. Incapable d’aimer. »

La frustration, moteur durassien ? Il ne me déplait pas de le penser.

Julie Brafman, Yann dans la nuit, Flammarion. 336 pages

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Une histoire belge (pas drôle)

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DR.

À l’inverse des États-Unis, du Royaume-Uni et de la Suède, la France, la Belgique et l’UE continuent de promouvoir le transgenrisme.


En France, le 16 juin, une décision-cadre du Défenseur des droits, Claire Hédon, « relative au respect de l’identité de genre des personnes transgenres » a vu le jour dans l’indifférence générale. Elle préconise pourtant « d’autoriser les mineurs non émancipés à changer de sexe à l’état civil » et de faire respecter le choix de l’identité de genre des jeunes « au niveau des établissements scolaires » et dans les milieux sportifs. De son côté, la Commission européenne a présenté le 8 octobre sa « Stratégie pour l’égalité LGBTQI+ 2026-2030 » prévoyant la possibilité d’une « auto-détermination genrée libre de restrictions d’âge ». D’aucuns pensaient que la Belgique était seulement corrompue par l’islamisation de sa société ; ils avaient tort car l’épidémie woke s’y répand également. Les délires des « déconstructeurs » touchent maintenant tous les milieux.

A lire aussi, du même auteur: Chronique d’un scandale politico-médiatique dont France Inter se serait bien passé

Ainsi dans le Brabant flamand, le directeur adjoint d’une école catholique a déclaré être « une personne non binaire » et, par conséquent, ne plus « se reconnaître dans les formules monsieur ou madame ». Cet être incertain demande qu’on l’appelle simplement « adjoint ». Magnanime, il concède que des professeurs et des élèves puissent encore « utiliser le mot “monsieur” par mégarde ». Il leur recommande toutefois d’éviter de se tromper à l’avenir. Un professeur de droit interviewé par le média belge Sudinfo rappelle en effet que le « non-respect de l’identité de genre » peut entraîner des sanctions pénales : « Un employeur risque jusqu’à six mois de salaire brut de dédommagement, et un collègue des poursuites pénales. En ce qui concerne les élèves mineurs, la responsabilité légale incombe aux parents. »

Le souvenir d’un texte juridique permettant de punir des personnes ayant appelé un homme « monsieur » amusera sûrement les juristes de la fin de ce siècle. Surtout si, comme le laissent craindre les transformations en cours en Belgique et ailleurs en Europe, de nouvelles lois religieuses finissent par supplanter les ordonnances wokes.