L’économiste chouchou de l’extrême gauche propose une analyse claire et articulée, mais avec un raisonnement subtilement orienté.

Les milliardaires ne paient pas d’impôt sur le revenu et nous allons y mettre fin : tel est le titre accrocheur et guerrier du libelle de Gabriel Zucman récemment publié au Seuil. Saluons en premier lieu la clarté de ce texte. L’argumentation est construite, les fondements idéologiques sont énoncés sans détour, les conclusions et propositions d’action publique sont limpides. C’est un monument de raisonnement apparemment scientifique tout en étant profondément faux. En voici le lucide décryptage.
Gabriel Zucman convoque d’abord les mânes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui a portée constitutionnelle : son célèbre article 13 énonce le principe de l’égalité devant les charges publiques. Il en déduit que l’impôt ne devrait pas être « régressif », c’est-à-dire que les personnes les plus riches ne devraient pas pouvoir payer moins, en proportion de leurs revenus, que les catégories sociales moins fortunées qu’elles. Rappelons les dispositions de l’article 13 : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »
Le Conseil constitutionnel retient ainsi que l’impôt doit être proportionné aux capacités contributives, qu’il doit être non discriminatoire et général (par exemple, ne pas concerner seulement les pauvres ou seulement les riches).
La croissance annuelle du patrimoine, c’est en fait du revenu, selon M. Zucman !
Ensuite, Gabriel Zucman étend la notion de revenu imposable en y intégrant la croissance annuelle du patrimoine. Il argue que les distributions de dividendes à des sociétés holdings ne subissent généralement qu’une faible taxe dans le cadre des dispositifs fiscaux les plus courants prévalant sur l’ensemble de la planète (1,25% en France), pour peu que ces revenus ne soient pas redistribués au niveau des actionnaires de ces holdings. Ils peuvent dès lors être conservés en trésorerie (produits financiers) ou réinvestis dans le capital d’entreprises et de l’immobilier, sans imposition supplémentaire. Pour lui, un revenu non distribué permet en fait de constituer une forme d’épargne, au-delà d’une consommation personnelle peu importante en termes relatifs pour un ultra-riche. Ce revenu non distribué doit dès lors être imposable comme le serait le revenu d’un contribuable moyen, qui lui est, soit consommé, soit épargné. Glissement sémantique étrange pour un économiste qui a enseigné à Berkeley et à la London School of Economics (mais qui n’a certes pas été accepté à Harvard) et qui est désormais professeur à Normale Sup Ulm.
Sur la base de ces considérations générales, il constate que les Français voient leurs revenus taxés en moyenne à 51 %, tous impôts et cotisations sociales confondus, alors que les « ultra-riches » (au-dessus de 100 M€ de patrimoine) n’acquitteraient que 2% en impôt sur le revenu stricto sensu en France et 23% en impôts sur les sociétés payés par leurs entreprises, soit au total 25% en prélèvements obligatoires (13% en France et 12% à l’étranger). Deuxième anomalie de raisonnement, l’impôt sur les sociétés payé par les entreprises des ultra-riches est ainsi considéré comme devant être intégré à un impôt sur le « revenu théorique global » les concernant, alors même qu’il s’agit de personnes physiques distinctes des personnes morales payant l’impôt sur les sociétés.
Il en déduit qu’il convient de faire passer les ultra-riches à un niveau de taxation sur le revenu se rapprochant de celui de la moyenne des Français.
Pour Gabriel Zucman, 2% de taxation annuelle plancher sur les patrimoines au-dessus de 100 M€ permettrait de faire respecter le principe constitutionnel d’égalité devant l’impôt
S’ensuit un calcul d’une simplicité biblique. Les ultra-riches enregistrent un rendement annuel moyen autour de 6% par an sur leur patrimoine, bien mieux que le livret A ou l’assurance-vie des Français moyens. Donc, en leur prélevant globalement 2% par an sur ce patrimoine, en tenant compte des impôts sur le revenu déjà payés par ailleurs en France, cela correspond à un impôt global de 33% sur le rendement théorique annuel d’un tel patrimoine (2 divisé par 6 égale 33 %). Ce 2% d’impôt plancher sur la fortune, ce serait pour Gabriel Zucman le taux « scientifiquement » calculé pour faire respecter le principe d’égalité devant l’impôt.
Incidemment, on comprend que la taxation Zucman des milliardaires français atteindrait dans ce schéma 33 (France)+12 (étranger) = 45 % en moyenne, soit un taux proche de la moyenne française de 51%. Ainsi, chers « ultra-riches », vous devriez remercier Gabriel Zucman que, via ce 2% de taxation annuelle sur le patrimoine, l’on ne vous prenne pas plus que 33% de votre « revenu théorique global » annuel en France ! Car 33%, ce n’est pas confiscatoire au sens du Conseil constitutionnel.
Triple glissement technique et sémantique de la part de l’excellent Gabriel Zucman : la croissance annuelle du patrimoine, c’est du revenu plein pot pour les vilains ultra-riches ; ils doivent être imposés sur le revenu comme tous les Français selon le principe d’égalité devant l’impôt ; 2% d’imposition sur la fortune, cela les aligne sur l’imposition moyenne des Français. La justice fiscale est en marche, d’inspiration révolutionnaire comme il se doit. Un magnifique sophisme.
Je me garderai bien ici de développer les multiples considérations techniques, économiques, juridiques, fiscales, financières et constitutionnelles qui ont été largement médiatisées depuis quelques semaines, et qui expriment généralement de solides critiques de la taxe dite Zucman. Ne parlons pas non plus de l’incroyable cécité, pour ne pas dire plus, de nos représentants à l’Assemblée nationale qui l’ont adoptée en première lecture en février 2025.
Néanmoins, une vraie problématique d’inégalités de patrimoine croissantes
Je terminerai en soulignant que Gabriel Zucman, comme d’autres économistes d’horizons divers, a orienté les projecteurs sur une évolution notable des structures de patrimoine dans le monde, qui soulève une réelle problématique de cohésion des sociétés et des démocraties. La croissance et la concentration des patrimoines sur des catégories sociales restreintes se sont en effet accélérées au cours des dernières décennies. La mondialisation des activités économiques avec la montée en puissance du Sud global ainsi que la dissymétrie des progressions respectives des revenus du capital et des revenus du travail ont contribué à polariser les différentes catégories sociales sur toute la planète, et en particulier dans les pays occidentaux.
Nous ne pouvons pas rester indifférents en France au fait que les 500 premières fortunes professionnelles françaises, suivies depuis 1996 par Challenges, détenaient un patrimoine correspondant à 6% du PIB en 1996 et qu’aujourd’hui, cette proportion atteint 42% du PIB, quelle que soit l’interprétation que l’on peut en faire (au choix, « les inégalités explosent » ou « les entrepreneurs français ont réussi leur intégration dans la compétition internationale »). Néanmoins, force est de constater que le patrimoine des Français a sensiblement progressé entre 1996 et 2024, de sorte que le patrimoine des 500 premières fortunes professionnelles françaises représente en réalité toujours autour de 6% du patrimoine national net de la France au sens de la comptabilité nationale, en 2024 comme en 1996. Il est vrai que ce patrimoine national net est passé d’environ 5 fois le PIB à 6,7 fois le PIB sur la période, traduisant ainsi la progression de valeur des actions et de l’immobilier.
L’enjeu pour les années à venir, c’est en réalité de définir quel rééquilibrage devrions et pourrions-nous mettre en œuvre, individuellement et collectivement, pour que n’apparaissent pas des sociétés à trois vitesses, avec un « lumpenproletariat » sans espoir, une large classe moyenne appauvrie, frustrée et sans perspective d’ascenseur social, et une classe de super-privilégiés, vivant en cercle fermé sur un Olympe inatteignable pour 99,99% de la population (scénario de nombreux films de science-fiction, dont nous ne sommes désormais plus si éloignés).
Répondre à cette problématique par une approche centrée non sur une taxation punitive, mais sur le service du bien commun
Pour ma part, je crois plus au développement d’un mécénat et d’une philanthropie privés, volontaires et responsables, portés par des fondations d’entreprises et des familles, qu’à une taxation publique punitive, supposée promouvoir une hypothétique justice fiscale (que personne ne sait du reste définir), dévastatrice pour l’esprit d’entreprise, la croissance et l’innovation.
Il est à cet égard patent que la sphère privée est, au XXIème siècle, plus à même de soutenir des initiatives d’envergure en faveur du bien commun que ne l’est désormais la sphère publique, minée par l’absence de vision, la bureaucratie et l’inefficacité, qu’elle soit nationale ou multilatérale.
Enfin, pour revenir à l’esprit de la Constitution, la « contribution indispensable », c’est-à-dire nécessaire, est destinée à couvrir « l’entretien de la force publique » et « les dépenses d’administration ». En termes contemporains, il s’agit des dépenses régaliennes (sécurité intérieure, justice, défense, diplomatie) ainsi que de l’administration de l’État et des collectivités locales. Il y a donc eu, là aussi, un glissement sémantique progressif et insidieux au cours de cette longue période de deux siècles et demi. Nous sommes à l’évidence bien loin, en cette fin du XVIIIème siècle, du financement par les prélèvements obligatoires de notre actuel si dispendieux et si peu efficace État providence, qui pose désormais le problème du consentement à l’impôt.
Mais c’est un autre débat, qui appelle une reconfiguration de ce que l’on appelait autrefois l’intérêt général, défini par la sphère publique, et qui aujourd’hui est le bien commun, porté par la sphère publique et la sphère privée.
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