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De quelques Français en 2025

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Joël est inquiet. En ce soir de juin, il se demande si les 350 litres du réservoir de son tracteur n’auront pas été siphonnés durant la nuit. C’est la troisième fois que son exploitation est visitée en deux mois. Mais ce qui le préoccupe davantage, c’est sa production. La semaine dernière, dans le canton voisin, un exploitant a vu sa récolte de pêches intégralement dévalisée en une nuit. Les voleurs avaient tout prévu, les camions, les caisses, la main d’œuvre. Agriculteurs et gendarmerie sont démunis : comment surveiller des centaines d’hectares ? Ce week-end, une réunion est prévue à la coopérative pour étudier le financement d’équipements de sécurité.

Comme tous les mercredis, Ingrid se rend sur l’aire de repos de la D1, un peu à l’écart de Château-Thierry. Elle y achète ses fruits et légumes moins chers de 15% qu’aux supermarchés du coin. « Prix producteurs », est-il indiqué sur la pancarte. Elle s’étonne parfois que des pêches soient produites dans l’Aisne, mais comme celles-ci sont vraiment bon marché, et plutôt bonnes, elle les achète quand même.

Eddy est content, il vient d’acheter son canapé sur le « Bon Coin ». Il a réalisé une excellente affaire en le payant près de 70% moins cher qu’en magasin. Ce n’est pas du neuf évidemment, mais la qualité reste acceptable. Au chômage depuis un peu plus d’un an, Eddy aime encore consommer. Il a décidé d’arrondir ses allocations en se lançant dans le e-commerce. Il a ouvert une boutique sur e-bay sur laquelle il vend des objets, achetés sur Internet ou récupérés dans la rue. Il les retape à peu de frais puis les vend à un prix raisonnable. Aussi trouve-t-il souvent des acheteurs. Pas mal de transactions se font en espèces si bien qu’Eddy arrive largement à joindre les deux bouts, d’autant qu’il utilise ses produits en attendant de les revendre. Comme son affaire tourne assez bien, il envisage de continuer ainsi une fois qu’il touchera le RSA.

Garance peut souffler, elle vient de boucler son article « Système D, nous aussi on veut des bons plans ! » pour le numéro du mois de septembre de 30 ans. Après une rapide enquête sur le web, elle a trouvé plusieurs sites alternatifs à l’économie « classique » qui raviront ses lectrices, puisqu’elles sont de plus en plus nombreuses, d’après les enquêtes sur son lectorat, à vouloir donner du sens à leur acte d’achat. En vrac : sites de récup’, bourses d’échanges de services, moteurs de recherche pour trouver les boutiques de destock’ des marques de luxe, voyages à prix cassés, échanges d’appart’, collectifs de partage de « hot spots Internet », coopératives parentales pour gardes d’enfants assurées par les mamans, elle a même trouvé à Nantes une fille qui brade les invendus des supermarchés pour lutter contre le consumérisme et le gaspillage. Elle n’a pas trop creusé la question des normes sanitaires de l’assoc’, mais bon, maintenant, elle peut enfin partir en vacances.

Frédéric se frotte les mains. Il vient de réaliser avec ImmoBiens une superbe affaire en revendant à l’entreprise des bureaux qu’il possède à Montrouge. L’affaire a été facilitée dès lors qu’il a annoncé sa candidature à la mairie. Sur son terrain, ImmoBiens va construire le nouveau « Centre des Rapports et de l’Aide à la Prospective Stratégique (CRAPS) » annoncé il y a un an par François Hollande qui souhaite réunir sous un même toit toutes les commissions au service de l’Etat. Il sera organisé autour d’une vaste bibliothèque où seront compilés tous les rapports réalisés sous la Ve République. Le Président a affirmé que le regroupement des spécialistes permettrait de mettre en commun les idées et de proposer des synthèses plus innovantes. Frédéric a reçu d’ImmoBiens 75 000 euros en cash. De quoi préparer sa campagne et, pour ImmoBiens, une manière simple de conclure la vente et de réduire ses frais de transaction.

France 2015

Depuis que la fiscalité environnementale a fait grimper le prix du gasoil de 30% (en deux fois) au prétexte de favoriser la transition énergétique promise par le gouvernement, Joël ne cesse de lutter contre les pilleurs. Tout y passe : tracteurs, camions, citernes, même les réservoirs de ses pompes d’irrigation sont fracturés pour voler le diesel. L’exaspération est à son comble dans les campagnes. On évite de le crier sur les toits mais des milices agricoles se créent un peu partout pour protéger les exploitations. La gendarmerie, impuissante à identifier les voleurs et souvent occupée à d’autres affaires, ne regarde pas de trop près. Pour l’instant, on a surtout entendu des coups de fusils tirés en l’air. Tant qu’il n’y a pas mort d’homme…

De toute façon, les forces de sécurité nationales sont davantage préoccupées à résoudre les violences urbaines. Depuis deux ans déjà, la pègre marseillaise s’étripe à coups de règlements de compte. Pendant longtemps l’opinion publique ne s’est pas trop alarmée de ces meurtres à répétition. Après tout, c’était toujours autant de voyous en moins. Hier soir cependant, une fusillade dans les quartiers nord de la ville a impliqué pas moins de 50 délinquants. La police a relevé 3500 impacts de balles sur le parking du centre commercial où la fusillade s’est produite. Mais tout a changé. Parmi les victimes, on a relevé les cadavres de neufs passants dont ceux de trois enfants – sans compter les blessés. Le ministre de l’Intérieur s’est rendu aussitôt sur place pour annoncer une batterie de mesures : tolérance zéro, effectifs de police judiciaire en hausse et renfort de trois compagnies de CRS. Dans le contexte actuel de prostration, personne dans la presse n’a jugé bon de rappeler que ces mesures étaient presque identiques à celles de 2013. Pour satisfaire une opinion alarmée, le ministre a aussi annoncé la signature d’une « convention sécurité » avec le collectif « Paix civique », qui revendique depuis deux ans l’officialisation de ses « milices citoyennes ».

À Matignon, le Premier ministre reçoit le ministre des Finances et le ministre de l’Emploi et des Solidarités. Les chiffres de la croissance ne sont toujours pas réjouissants et paraissent de plus en plus ingérables. Le déficit extérieur continue son repli depuis deux ans en raison de la baisse des importations de biens de consommation. En 2013, on s’en réjouissait. Mais à présent que la consommation intérieure diminue également, on s’inquiète des rentrées de TVA. La hausse de 0,5 points l’année dernière ne va pas compenser les pertes à venir de 2015 et il va sans doute falloir relever le taux une nouvelle fois. Un conseiller souligne qu’une bonne partie des pertes est liée à l’économie souterraine et qu’il faudrait envisager de taxer toutes les activités de « Système D ». Mais depuis que le Président a annoncé aux Français le 14 juillet dernier que l’économie de l’avenir était celle de la récup’, plus écologique, plus responsable, plus nationale aussi, difficile de mettre une trop forte pression fiscale sur ce marché qui semble profiter aux plus modestes. En attendant, les chiffres du chômage sont en hausse. Aux Finances et à l’Emploi, on sait bien que cette « économie de la débrouille » fonctionne en parallèle des allocations, mais depuis qu’elle a été officialisée, comment supprimer les aides publiques ?

En attendant, pour la quatrième année consécutive, le barème de l’IR restera désindexé. C’est un coup dur pour les 40% de Français qui continuent de le payer mais comme les dépenses publiques, en particulier sociales, ont été sanctuarisées pour protéger les plus modestes, cette décision est rendue nécessaire.  Pour combler les déficits, on envisage aussi de relever de 0,1 point l’intégralité de tous les impôts existants, y compris les contributions sociales. Un pis-aller dont on sait déjà qu’il sera insuffisant. A la gauche de la gauche, on continue de clamer qu’il faut taxer d’abord les revenus du capital et les entreprises, mais c’est pour la bonne bouche. On sait que la partie est bientôt gagnée puisque le nombre de salariés « déclarés » est en baisse constante. Comment imposer des travailleurs invisibles ? L’ancien monde est en train de craquer.

France 2025

Depuis plusieurs années maintenant, la société française s’est durcie. Pour vivoter, on a de plus en plus recours aux bons plans, à la solidarité communautaire, aux petits larcins que la police et la gendarmerie, pas plus que la justice, ne peuvent traiter, car il faut d’abord poursuivre les filières organisées du marché noir qui ont proliféré.

Le fils de Joël, qui a repris l’exploitation de son père, s’est équipé de drones et de robots-chiens pour empêcher les intrusions et les vols. Pour cela, il a passé un examen et a obtenu sa licence « d’exploitant labellisé auto-défense », un statut inventé par la droite forte sous la présidence de NKM après un intense lobbying. Désormais, s’il peut faire la preuve qu’un vol se déroulait sur son exploitation, il a permis de tuer et dispose de l’impunité pénale. Il est en quelque sorte devenu un auxiliaire de police.

Ingrid continue d’acheter sa nourriture au producteur. Aujourd’hui, grâce à une application cryptée par un collectif de cyber-activistes qui défendent le droit à la nourriture gratuite, elle géolocalise les lieux de distribution de produits volés signalés à la dernière minute pour déjouer les autorités. Il faut certes encore payer les coûts de l’organisation mais les prix sont tellement dérisoires que la nourriture est vraiment presque donnée. Garance suit attentivement l’évolution de cette organisation. Après son premier article de 2013, les courriers de lectrices ont tellement fait part de leur satisfaction qu’elle a obtenu la rédaction d’un papier mensuel et est rapidement devenue la spécialiste de « l’économie D », comme elle l’appelle, en référence à sa chronique « D’Eco-D ». Dès qu’elle le peut, elle fait la promotion des structures qui permettent de contourner l’économie de marché capitaliste « dont les valeurs ont implosé lors de la crise de 2008. Les gens ont alors aspiré à une nouvelle quête de sens », se plaît-elle à rappeler souvent.

Frédéric se frotte les mains. Sa carrière ministérielle s’arrête cette année, mais il a bien su négocier sa reconversion. En gardant de bonnes relations avec ImmoBiens lorsqu’il était ministre du Logement et des Solidarités locales sous le second gouvernement de la présidence NKM, il part dans deux mois diriger le pôle « prospective et marchés » du groupe en Afrique. Certes, il lui faut s’expatrier, mais vu la situation actuelle en France, il ne lui déplaît pas de prendre un peu l’air. De toute façon, il ne doute pas qu’il saura rendre son nouveau poste suffisamment rémunérateur, malgré un salaire officiellement assez bas.

Sylvain regarde ses valises posées dans l’entrée et attend que sa femme ait fini d’habiller les enfants. Ce soir, il sera à Londres, et pour longtemps. Il patiente en feuilletant avec nostalgie le rapport « France 2025 » remis à François Hollande à l’été 2013 qu’il a retrouvé dans un carton resté ouvert. « Que c’était bon de faire semblant d’y croire », soupire-t-il.

Marine Le Pen est depuis deux semaines la nouvelle Présidente de la République. Sylvain n’a pas attendu le deuxième tour pour préparer son départ. Ses anciennes relations politiques lui avaient laissé entendre très tôt que la partie était pliée. Il faut dire que cinq ans de présidence NKM après cinq ans de hollandisme avaient bien préparé le terrain. Oscillant entre étatisme, solidarisme, écologisme, « libéralisme dirigé » (le concept de la campagne de NKM), la droite n’avait su, une fois de plus, ni défaire les mesures désastreuses prises par la gauche à l’époque de Hollande, ni définir une ligne politique claire avant les élections de 2017. On avait donc navigué à vue tout le long du quinquennat en essayant de réaliser la quadrature du cercle : à savoir baisser la fiscalité sur le travail et les entreprises sans réduire les dépenses de l’Etat, puisque le pouvoir n’avait cessé de promettre d’intervenir à chaque nouvelle actualité. Les dépenses avaient donc continué de croître au niveau de l’inflation, un « succès historique » selon les mots de la Présidente lors de la campagne pour sa réélection (mais ses chiffres ne prenaient pas en compte le service de la dette).

En regardant son appartement, Sylvain a quand même le cœur gros. Il l’aimait bien et lui avait coûté très cher au début mine de rien. Il part sans le vendre et sait qu’après son départ, il sera immédiatement squatté. Certes, depuis dix ans, comme tout le monde, il ne rembourse plus le prêt à sa banque. Quand Cécile Duflot prit la décision en 2014 d’empêcher toutes les exclusions au nom du droit opposable au logement, les locataires arrêtèrent de payer. Alors les propriétaires en firent autant, au nom de l’égalité de traitement. D’abord ceux qui louaient, puisqu’ils ne pouvaient plus compter sur les loyers ni expulser les mauvais payeurs, et puis ensuite tous les autres. Aujourd’hui, chaque Français reste accroché à son logement car il n’y a plus de marché. L’absence de mobilité salariale a fini de ruiner un peu plus la reprise de la croissance, mais comme c’est un phénomène difficilement traduisible par des chiffres, tout le monde a préféré profiter de l’aubaine immédiate de posséder un logement gratuit. Bien sûr, au nom de la défense du pouvoir d’achat, la droite n’a pas été capable ensuite de renverser la situation.

Ancien haut fonctionnaire de Bercy sous la présidence de Hollande, Sylvain avait bien vu, avec ses collègues, que l’Etat perdait pied dès 2015. Il avait alors commencé à mettre de côté tout ce qu’il pouvait de son salaire qui était alors confortable. Il n’avait rien placé bien sûr puisque le capital avait été la cible privilégiée du fisc et qu’il avait lui-même un temps été chargé de « l’innovation fiscale ». Lorsque le gouvernement avait annoncé le gel des salaires des fonctionnaires, il était devenu conseiller d’un parlementaire européen. Il avait commencé à acheter des livres sterlings et les avait déposées sur un compte ouvert au Luxembourg qu’il approvisionnait régulièrement lorsqu’il se rendait en Belgique. Lorsque la France avait dû quitter l’euro en 2023, et sortir de l’UE, il avait perdu son emploi à Bruxelles.  Depuis deux ans, il était retourné à Bercy mais le cœur n’y était plus d’autant que le statut des fonctionnaires avait été modifié en « contrat d’avenir pérenne », garantissant l’emploi mais pas le niveau des salaires. Heureusement, la livre était restée au plus haut. Maintenant que la plupart des Français se retrouvaient avec des francs dépréciés, lui pouvait partir et continuer sa vie ailleurs. En Angleterre, il ne serait certes pas riche, mais au moins là-bas, il pourrait vivre à l’aise avec son pécule de départ et retrouver un travail, un vrai.

*Photo : noodlepie.

Québec : finis les accommodements déraisonnables

quebec laicite multiculturalismeAlors que Vincent Peillon a annoncé la mise en place dès la rentrée d’une charte de la laïcité dans les écoles, au Québec une charte du même nom est au cœur de tous les débats. Le Parti Québécois du premier ministre Pauline Marois, « social-démocrate et nationaliste » (ces deux termes n’étant pas incompatibles de l’autre côté de l’Atlantique) a déposé un projet de loi prévoyant l’interdiction du port de signes religieux dans la fonction publique. « Croix ostensible, voile intégral comme le niqab ou la burqa, le hijab, le turban sikh et la kippa juive seront tous interdits dans les ministères, organismes, sociétés d’État, tribunaux et corps policiers », peut-on lire dans le Journal de Montréal. Ce qui reviendrait à importer au Québec le modèle français d’une laïcité fermée. Enfin, pas complètement : le fameux crucifix qui trône dans l’enceinte de l’Assemblée nationale sera épargné, au motif qu’il « fait partie du patrimoine culturel du Québec ». Ce qui fait dire à certains que la charte serait l’instauration d’une « catho-laïcité », et d’un deux poids-deux mesures visant à stigmatiser certaines communautés.

Pourquoi la laïcité fait-elle tant débat au Québec ? Exception en Amérique du Nord où le Canada et les Etats-Unis ont tous deux adopté le modèle multiculturel du « melting-pot », le Québec, parce qu’il est un îlot français dans des terres anglo-saxonnes, cultive sa spécificité. C’est ainsi qu’à la fin des années 80, la Belle Province s’est désigné comme « société distincte » au sein du Canada : un statut qui lui permet de limiter certains droits individuels au nom de la survivance collective du peuple. Par exemple, les québécois sont « obligés » de parler français dans les entreprises de plus de 50 employés. Confrontés aux problèmes engendrés par un multiculturalisme de fait, les Québécois ont inventé un modèle intermédiaire de laïcité qui sera formulé dans  le rapport Bouchard-Taylor de 2007 sous le nom d’« accommodements raisonnables ». Il s’agit d’assouplir la norme générale pour l’adapter aux pratiques culturelles et religieuses des individus, dans la mesure où celles-ci ne portent pas atteinte aux droits et libertés fondamentales des individus.  Ainsi, des élèves sikhs ont obtenu le droit de porter le turban et le kirpan (arme symbolique) à l’école. Par contre, un parent témoin de Jéhovah n’a pas le droit d’interdire une transfusion sanguine à son enfant mourant.

Cette négociation permanente aux contours flous agace une grande partie de la population et que résume ainsi Bernard Drainville, un ministre péquiste (du Parti Québécois) : « C’est le cas par cas qui a divisé les Québécois. Il faut des règles claires !». D’ailleurs, trois québécois sur cinq appuient l’interdiction du port de signes religieux dans la fonction publique. Pour Pauline Marois, cela ne fait aucun doute : « (La future charte) va devenir, j’en suis certaine, un élément fort d’unité entre les Québécois comme c’est le cas pour la loi 101 qui nous a réunis plutôt que nous diviser».

Le rappel de la loi 101, qui avait fait du français la langue officielle du Québec, n’est pas anodin : il inscrit le projet de loi dans la continuité de la lutte pour la survie de l’identité québécoise. En l’occurrence, le gouvernement ne brandit pas l’argument de la laïcité, qui n’est qu’un prétexte (difficile à défendre à cause du fameux crucifix de l’Assemblée nationale), mais celui de « l’égalité homme-femme », principe pour l’instant ignoré par les accommodements raisonnables, et qui, selon les péquistes, devrait primer sur la liberté de religion. Cet argument (qui avait été utilisé en France au moment de la loi sur la burqa) vise évidement la communauté musulmane. Une population en augmentation de 141.8% depuis 1991, de plus en plus mal perçue par la société québécoise.

Pourtant, avec 11 minorités autochtones, une minorité anglophone, et des communautés issues de l’immigration, le Québec, qui est lui-même une minorité au Canada, ne semble pas le lieu idéal où importer le modèle français universaliste et homogénéisant d’une laïcité rigide.

Le philosophe Charles Taylor s’est d’ailleurs fermement opposé au projet, rappelant que si l’Etat devait être neutre, les individus, eux, sont libres. Ce dernier avait théorisé la position dite communautarienne qui avait le mérite de la subtilité, en mettant en place un libéralisme ouvert à la différence, arbitré par un Etat neutre mais non hostile au phénomène religieux, tout en donnant au Québec les moyens d’une survivance collective. Il s’agissait alors d’éviter le double écueil du repli identitaire et de l’homogénéisation culturelle.

Mais la subtilité est compliquée, et coûteuse, elle exige des efforts, et en renonçant aux accommodements raisonnables, le parti de Pauline Marois a préféré lancer une poutine électoraliste. Une position parfaitement résumée par un spécialiste de l’opinion : « Contrairement à l’économie, où on est souvent victime de grands courants internationaux, l’identité, c’est une question sur laquelle le gouvernement a une poignée. Et il y a clairement un appétit pour cela dans l’opinion publique.»

 

*Photo: le crucifix de l’Assemblée Nationale

 

Mariage, prison : dernières nouvelles des lois Taubira

Tout va bien dans la France du taubiranisme triomphant. La loi étendant le mariage à deux personnes de même sexe est passée comme une lettre à la poste. Des manifestations ? Où ça ? Des contestations ? Nulle part. Le pays est apaisé comme jamais. A tel point que semblables à la première nation scandinave venue, nous en sommes réduits presque malgré nous à vider les prisons. Et c’est là que l’ironie taubirique fait la preuve de sa logique totale.

Les pauvres maires qui se plaignent des épreuves qui les attendent s’ils refusent, en accord avec leur conscience, de célébrer – j’ignore s’il faut encore employer ce terme à connotation fortement religieuse, faudrait que je demande à Peillon – ce nouveau mariage témoignent de la confusion intellectuelle la plus complète, ou de leur ignorance crasse, à moins que ce soit de la mauvaise foi la plus profonde. Que risquent-ils en effet ? Selon le bon édile d’Exoudun (Deux-Sèvres) par exemple, ce refus assimilé à un délit de discrimination leur vaudrait, si les deux époux portaient plainte contre eux, une peine de 75 000 euros d’amende et 5 ans d’engeôlement. Dur dur d’être un héros.

Voire. La réforme pénale que propose aujourd’hui le Garde des Sceaux pour réduire la population carcérale devrait faire respirer ces maires proto-délictueux : tout délit valant une peine maximale de 5 ans de prison, précisément, serait puni in fine, outre quelques TIG (Travaux d’Intérêt Général), d’un « stage de sensibilisation », agrémenté par exemple, comme au Canada, d’un « programme de gestion de la colère ». Nos élus ne risqueront donc presque rien sous le joug de cette nouvelle loi à refuser d’appliquer la précédente. Au pire, un lavage de cerveau dans le programme de gestion des instincts rebelles, ou dans le stage de sensibilisation à l’homophilie.

Alors, finies les petites inquiétudes, les poses à la Che Guevara, ou au martyr sous Néron. Vive Taubira et à nous la belle vie. Tous rebelles, tous stagiaires !

Syrie : L’UMP et le PS sont-ils devenus néoconservateurs ?

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hollande obama syrie

« Comment le virus néoconservateur a-t-il pu gagner ainsi tous les esprits ? » s’interrogeait Dominique de Villepin au moment de l’intervention française au Mali. Se doutait-il que quelques mois plus tard notre gouvernement appellerait à frapper la Syrie avec le soutien enthousiaste de l’UMP ?

En matière de politique étrangère, ce « virus néoconservateur » juge bienfondée l’ingérence d’un Etat démocratique dans les affaires d’un pays irrespectueux des droits de l’homme. Cette maladie n’a pas encore atteint tous les citoyens français : si 45% d’entre eux se disent favorables à une intervention armée contre la Syrie, pas moins de 40% s’y opposent. Les deux « gros » partis français, eux, semblent s’être laissés dompter par cette idéologie néoconservatrice. Il y a dix ans, un gouvernement de droite refusait, avec la solidarité du premier parti de gauche, de renverser par la force un gouvernement étranger accusé fallacieusement de détenir des armes de destruction massive. Aujourd’hui, un gouvernement de gauche, avec le soutien du premier parti de droite, se dit prêt à bombarder un régime étranger, pour cause de bombardement chimique dont la nature n’a pas encore été prouvée par les experts de l’ONU.

En France – contrairement, par exemple, au Japon – les relations internationales ne font pas l’objet d’un clivage droite-gauche. Il n’existe pas de politique étrangère estampillée « UMP », ni de politique étrangère marquée « PS ». Chacune des principales formations de gauche et de droite sont parcourues par deux lignes de conduite des affaires extérieures : la ligne « atlantiste », et celle que les ouvrages universitaires et médias qualifient de « gaullo-mitterrandiste ». Les partisans de cette dernière prônent, schématiquement, l’autonomie de la France vis-à-vis de l’hyperpuissance américaine et un soutien aux revendications des pays du « Sud ».

Sans doute par sympathie pour le messianisme démocratique perpétué par l’administration américaine, certains intellectuels français, finissent par épouser des positions néoconservatrices : Alain Madelin, BHL, Guy Millière ou encore Alexandre Adler font ainsi de la guerre humanitaire un idéal.

En 2003 le « gaullo-mitterrandisme » de Chirac semblait faire consensus chez les deux grands partis français : l’aura du président de la République et la fidélité de l’UMP à son gouvernement étouffaient l’atlantisme à droite, tandis que le tropisme néoconservateur de la gauche se voyait laminé par l’impopularité de Bush. Obama rendit tolérable, pour une gauche française en mal d’icônes universelles, une politique étrangère dans les faits peu différente de celle de son prédécesseur. À droite, Sarkozy « l’Américain » se chargea d’éradiquer les vestiges des fantasmes gaulliens. Ainsi, Alain Juppé, le doyen gaulliste, se fit le héraut de la croisade anti-Kadhafi lorsque Nicolas Sarkozy lui confia le quai d’Orsay. Depuis, ses convictions interventionnistes ne cessent de croître : le même homme qui, en 2003, soutenait à la tête de l’UMP le parti-pris non-interventionniste de Jacques Chirac, appelle aujourd’hui, aux côtés de Bernard Kouchner et BHL, à violer la souveraineté syrienne à coups de missiles ! François Fillon, qui aime également se dire gaulliste, semble avoir perdu ses repères. Les deux têtes de l’UMP – Copé et Fillon – ont formulé un soutien commun, bien que modéré, aux appels à « punir » la Syrie du président Hollande. Les voix qui se sont élevées, à droite, contre un tel projet sont plutôt marginales (Longuet et Marini) ou extérieures à l’UMP (en plus d’être marginales) : Dupont-Aignan ou Frank Margain (Parti chrétien-démocrate). À gauche, le Parti socialiste, logiquement, approuve les vues du président. Bien plus lourd de signification pour le PS : Laurent Fabius, traditionnellement décrit comme le contrepoids idéologique au néoconservatisme de Moscovici, envisage désormais, en ministre des Affaires étrangères qu’il est, l’usage de la force contre la Syrie. Les discours pacifistes aux saveurs antiimpérialistes, dont la gauche a le secret, ont été relégués hors des frontières du parti, du côté de chez Mélenchon.

La tactique de l’écran de fumée masque les « vrais problèmes » du chômage et du déficit public. Toutefois, la conversion du gaulliste Juppé et du souverainiste Fabius à l’idée de guerre humanitaire témoigne d’un climat idéologique plutôt neuf à l’UMP et au PS. Dans les cas de Juppé et de Fabius, mais également de Fillon, cet esprit de paladin ne peut même pas s’expliquer par quelque admiration ou docilité à l’égard de l’oncle Sam. Ces hommes politiques sont devenus néoconservateurs sans être atlantistes. Ils font du zèle dans l’interventionnisme armé au nom des droits de l’Homme, veulent être en avance sur l’agenda néoconservateur des Américains. Comme s’ils adhéraient sincèrement à une telle politique étrangère – même lorsqu’elle semble condamnée à l’échec. Trouver des explications moins avouables à cette posture interventionniste est difficile : on ne voit guère, en effet, quels froids intérêts aurait la France à tenter l’aventure syrienne.

 

 

 

Guerre en Syrie : encore une ?

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norman mailer syrie

Pourquoi sommes nous au Vietnam ? demandait Norman Mailer dans le titre d’un de ses grands romans paru en 1967. Il n’y était pas question du Vietnam, qui pourtant battait son plein, mais d’une partie de chasse racontée d’une manière incroyablement brutale et hallucinée, dont les principaux protagonistes étaient un père et un fils issus de la haute société de Dallas. Obsession des armes, de la virilité, désir de retrouver un contact primitif et même sauvage avec la nature comme reflet de la vie américaine elle-même. Et Mailer concluait son roman de cette façon : « Réfléchis, Amérique à tête de cul et médite un peu sur ton con. Peut-être comprendras-tu pourquoi nous sommes au Vietnam. » On ne saurait mieux faire comprendre qu’une guerre menée par un pays loin de ses frontières n’est pas forcément dictée par de grands idéaux, droits de l’homme, lutte contre le communisme totalitaire, ou même par des considérations géopolitiques rationnelles, mais par quelque chose d’obscur qui s’apparente à la pulsion. On peut faire la guerre pour oublier qu’on ne va pas bien, que notre société s’embourbe dans la désespérance sociale, économique et qu’on est en pleine névrose collective.

C’est un petit peu l’impression que j’ai ressentie en apprenant que les USA, la Grande Bretagne et la France décidément atlantisée jusqu’à l’os depuis son retour dans l’Otan, ont décidé, alors que la mission de l’ONU n’est même pas terminée, de bombarder la Syrie.

Daoud Boughezala a  montré que cette opération a toutes les chances d’être un écran de fumée dont les auteurs eux-mêmes espèrent que ça ne bouscule pas trop la situation sur place.

Il n’empêche, à voir la joie mauvaise des experts militaires ou non qui se précipitent sur les plateaux, l’excitation médiatique qui règne comme une électricité malsaine, on comprend bien que la guerre, ça occupe et ça fait du bien. Surtout quand on vient d’annoncer une énième réforme des retraites qui se résume à une baisse du pouvoir d’achat des salariés.

En fait, on fait la guerre tout le temps, du côté de l’Occident et en particulier du triumvirat militaire USA-GB-France. Ça en devient une habitude.

Je suis né en 1964. Entre 1964 et 1990, à part les paras sur Kolwezi et l’engagement de casques bleus français au Liban, avec la tragédie du Drakkar, je n’ai pas le souvenir que l’on partait en guerre à tout bout de champ.

Depuis 1990, ça n’arrête plus.

Irak (avec un match retour à 12 ans d’intervalle), Yougoslavie, Kosovo, Afghanistan, Libye et maintenant Syrie. Vraiment ? Vous remarquerez que je mets le Mali à part, au Mali, la France a fait la guerre pour préserver une zone d’influence et sauver la population d’une dictature islamique alors que je n’ai pas l’impression que la Libye, l’Afghanistan ou même l’Irak soient en passe de devenir des démocraties multipartites avec alcool en terrasse des bistrots et femmes nues à la téloche.

Il faut dire qu’en plus, pendant toutes ces années, un dispositif politico-médiatique néoconservateur  a substitué à la peur du communisme le choc des civilisations et la lutte du Bien contre le Mal, célébré par des intellectuels autoproclamés chefs militaires. Il est du coup très difficile de vouloir même nuancer ce bel élan moral vers des carnages et des lendemains qui déchantent. Objectivement, calmement, même dans une perspective de guerre contre le terrorisme et contre l’axe du mal, l’Irak, c’était mieux avant ou après les deux conflits ? Et l’Afghanistan ? Et la Libye ? Si le Bien consiste à remplacer des bouchers par des fous furieux ou vice-versa, et qui sont tout aussi menaçants pour leurs propres populations et à notre égard, moi, j’aime mieux le Mal, quitte à me faire traiter de munichois.

Oui, décidément, il est dommage que Norman Mailer soit mort. Il aurait peut-être répondu à cette question simple : Pourquoi sommes nous en Syrie ? Je crains que les réponses implicites du roman de 67 ne soient les mêmes aujourd’hui. Parce que nous n’allons pas bien dans nos sociétés et que nous sommes aussi violents que trouillards, malades que brutaux.

Le pire des mélanges qui soit.

Syrie : La France ne doit pas légitimer l’ingérence américaine

philippot florian marine le pen

Gil Mihaely : Alors que des frappes américano-occidentales sur la Syrie semblent imminentes, vous vous opposez à toute intervention étrangère en expliquant qu’on ne peut pas engager un conflit sur la foi d’images télévisées, aussi choquantes soient-elles. Êtes-vous certain que les Etats-Unis et la France ne possèdent pas de preuves plus solides d’un bombardement au gaz ?

Florian Philippot : Dans cette affaire, personne ne paraît certain de rien. Le président Hollande lui-même semble davantage motiver ses décisions par des supputations que par des certitudes (« tout porte à croire » a-t-il employé comme formule). Il y a quelques mois Carla Del Ponte, commissaire à l’ONU, affirmait que les rebelles islamistes étaient en possession de ces armes…En tout cas, la charge de la preuve revient aux belligérants : cet événement nous étant présenté comme le casus belli d’éventuelles frappes occidentales, on ne peut tolérer que demeure sur son origine un flou, même infime.

Mais l’administration américaine fait état de renseignements recueillis par ses alliés et même de conversations entre officiers de l’armée syrienne interceptées par l’US army…

Ce pays a montré par le passé qu’il n’hésitait pas à mentir à la planète entière, la parole du gouvernement américain n’a donc que très peu de crédibilité.En tout état de cause, je ne m’intéresse qu’à ce que dit le gouvernement français, dont les décisions engagent la France.

Justement, considérez-vous comme François Hollande et Laurent Fabius que l’emploi d’armes chimiques constitue une « ligne rouge » que l’armée syrienne ne doit pas franchir ?

Nous demandons naturellement aux deux parties du conflit d’éviter toute escalade guerrière, notamment l’emploi d’armes chimiques. Mais évoquer une « ligne rouge » reviendrait à nous placer dans une perspective américaine, ce qui ne correspond pas à notre analyse de la situation.

Autrement dit, même si leur usage était définitivement avéré, vous vous opposeriez toujours à une intervention armée en Syrie ? 

Quand bien même l’origine des attaques chimiques serait connue avec certitude, une intervention armée poserait deux types de problèmes. D’abord, elle ne ferait qu’aggraver la situation. Cette région est une véritable poudrière, nul ne sait dans quel engrenage nous mettrons le doigt si le conflit s’internationalise. Les bénéficiaires d’une telle intervention occidentale seraient naturellement les islamistes radicaux présentés comme rebelles, qui se livreraient immédiatement à des exactions contre les Chrétiens de Syrie, mais aussi les Alaouites, sans parler du droit des femmes ! L’unité de la Syrie volerait en éclats. Les récentes interventions, en Irak ou en Libye, ont été des fiascos encore durement payés par les populations civiles et qui traumatisent durablement ces régions : nous avons le devoir de tenir compte de l’expérience du passé. Second problème majeur, celui de la légalité d’une intervention occidentale. Dès lors que le Conseil de sécurité de l’ONU ne donne pas son aval, ce qui est certain du fait de l’opposition de la Russie, les tentatives de trouver une base légale sont pour le moins hasardeuses. Ce n’est pas à la France de légitimer le droit d’ingérence que s’octroient les Etats-Unis !

Le parallèle avec l’Irak et la Libye ne tient pas vraiment. Depuis deux ans, les Etats-Unis  brillent par leur inaction en Syrie et semblent invoquer tous les prétextes possibles pour ne pas intervenir. Tout indique qu’Obama n’agira que de manière ponctuelle et limitée pour répondre à l’émoi qu’a suscité le bombardement de la Ghouta. Il a même déjà annoncé qu’il ne tenterait pas de renverser le régime d’Assad !

J’ai le sentiment que comme d’habitude depuis la première guerre d’Irak, les chancelleries occidentales, menées par les Etats-Unis, cherchent à présenter à l’opinion publique des motivations « nobles » pour déclencher des guerres qui servent des intérêts bien moins présentables… En Syrie, il ne s’agit pas de déclencher une guerre, elle dure déjà depuis plus de deux ans, mais d’en modifier le cours en impliquant les forces armées occidentales.
On l’a bien vu suite à l’attaque au gaz : avant-même les conclusions de la commission d’enquête de l’ONU, le régime était coupable. Et si aucune preuve n’est trouvée, cela prouvera aussi sa culpabilité parce qu’il les aura faites disparaître… De qui se moque-t-on ? On voit clairement qu’il faut à tout prix trouver des prétextes pour venir en aide, financer, armer et si possible mettre au pouvoir les rebelles islamistes. Comme en Libye. L’Histoire nous expliquera bien plus tard les ressorts réels de ce conflit.

Vous défendez une diplomatie gaulliste « libre et indépendante ». En quoi consiste-t-elle, sinon en une opposition systématique aux Etats-Unis ?

Une diplomatie d’inspiration gaulliste n’est pas une opposition systématique aux Etats-Unis, mais elle doit permettre à la France de s’exprimer en toute indépendance, sous la coupe d’aucune puissance étrangère, pour défendre en toute circonstance ses intérêts nationaux. C’est à peu près l’inverse de la diplomatie hollando-sarkozyste qui systématiquement se range docilement derrière la bannière américaine, voire même la devance dans un zèle qui fait peine à voir.
En 2003, quand Jacques Chirac a porté le non de la France à la croisade américaine en Irak, les peuples du monde se sont immédiatement et naturellement rangés derrière le drapeau français, ce qui prouve que la voix de la France libre est attendue sur la scène internationale. Pour rappel, si nous n’avons pas suivi les Américains en Irak en 2003 c’est notamment parce que nous avions nos propres satellites, nous permettant de ne pas être dépendants d’images américaines manipulées ou volontairement incomplètes. Evidemment, une diplomatie indépendante suppose un outil de défense et de renseignement indépendant et efficace !

Concrètement, qu’est-ce qu’un gaulliste ferait face au dossier syrien ?

Avant toute chose,  un gaulliste commencerait par se dégager de l’influence délétère du Qatar et de l’Arabie Saoudite. Il s’agirait ensuite d’assurer  que la France remplisse son rôle traditionnel de puissance d’équilibre dans la région,  refusant l’ingérence et cherchant à éviter la guerre plutôt que de l’alimenter par des interventions hasardeuses et brutales.

Tapie le Magnifique

bernard tapie gatsbyÀ la fin de Gatsby le Magnifique, l’intrus est éjecté de la bonne société. Ceux qui l’avaient encensé se détournent avec dégoût. Les vieilles familles reprennent leurs femmes, leurs bijoux et leurs affaires, alors que le vrai salaud se trouve dans leurs rangs.  Gatsby a voulu entrer par effraction dans leur monde, s’alliant pour y parvenir à des aventuriers aux méthodes plus ou moins louches. Mais pas beaucoup plus, finalement, que celles des Arnault, Pinault, Bébéar, Steve Jobs, dont un livre remarquable[1.  Portrait de l’homme d’affaires en prédateur, Villette et Vuillermot, La Découverte 2005.]montre que leurs premiers succès ont souvent tenu à des « coups » à la limite de la  morale.

Bernard Tapie fut le chouchou de l’appareil socialiste – et même, pendant quelque temps, le champion de la gauche contre Le Pen. Comme Gatsby, il est aujourd’hui montré du doigt comme un voyou et condamné avec une sévérité qui doit peut-être autant au mépris de classe qu’à l’indignation morale. Au temps de sa splendeur, quand les puissants s’encanaillaient sur son Phocéa, le Crédit Lyonnais, alors bras armé du pouvoir, fut sommé de lui sauver la mise – et s’exécuta en organisant le rachat d’Adidas. Peu reconnaissant, il trouva fort de café que le Lyonnais empochât, à la revente, un coquet bénéfice dont il ne vit pas la couleur, et estima qu’il avait été lésé par cette banque peuplée de hauts fonctionnaires – dont la déconfiture coûta 130 milliards de francs au contribuable, soit, à la louche, une bonne vingtaine de milliards d’euros. Les tribunaux lui ont donné tantôt raison tantôt tort et, comme on le sait, pour en finir une bonne fois pour toutes, il a été décidé de recourir à un arbitrage qui lui a accordé 403 millions d’euros. Au moment où Bernard Tapie est mis en examen pour « escroquerie en bande organisée », toute la question est de savoir  si cet arbitrage fut complaisant.  Ce qui n’empêcherait pas – malheureusement – qu’il ait pu être juste. La Justice sous-évalue souvent les préjudices. [access capability= »lire_inedits »]

Mais un détail dans le dossier intrigue : si certains soupçonnent l’entourloupe, c’est notamment  parce qu’en 2005, trois huiles de l’État, deux magistrats et un inspecteur des finances, avaient posé trois conditions à une transaction, notamment qu’aucune somme ne lui soit versée en numéraire. Or, soit Tapie a droit à un certain dédommagement, soit il n’y a pas droit. En fait, cette exigence, qui n’a rien de juridique, sonne comme une vengeance à l’égard d’un homme qui a dérangé une certaine nomenklatura.

Il est frappant que, dans le scandale du Crédit Lyonnais, aucun cacique de l’État (Trésor, Banque de France, Commission bancaire…), n’ait jamais été inquiété pour la défaillance des pouvoirs publics sous les années Mitterrand. Est-il donc normal que des  fonctionnaires, cités comme oracles par Mediapart, jouent le rôle de sages dans un conflit opposant un particulier à l’État ?  N’y a-t-il pas là l’un de ces conflits d’intérêts qui soulèvent les cœurs intègres ? Les fonctionnaires des finances, favorables ou non à l’arbitrage, interviennent-ils vraiment au nom de l’intérêt général ? On parle d’un arbitre qui aurait déjà travaillé avec l’avocat de Tapie. Mais quid d’un inspecteur des finances ou d’un magistrat de la Cour des comptes qui ont fréquenté toute leur vie les hiérarques du ministère des Finances ? Peuvent-ils donner un avis sur un conflit entre l’État, leur employeur, et un particulier ?

On n’a pas spontanément envie de défendre Tapie. Mais dans le soulagement d’honorables hauts fonctionnaires et de vertueux parlementaires face à la chute d’un homme qui n’est pas de leur monde, on sent les remugles d’une vieille société d’ordres. Du haut de son impartialité autoproclamée, l’aristocratie d’État reste intouchable, quelles que soient ses défaillances avérées. Les salauds ordinaires, qui ne commettent que des « délits de bureau », ont tôt fait d’enterrer définitivement Gatsby.[/access]

 *Photo: France 2

 

Les patrons en treillis

Nous, on veut bien admettre que la lutte des classes n’existe plus, que seule la CGT (et encore) et quelques syndicats archaïques refusent un dialogue social modernisé, détendu avec le patronat et que cela donne des accords win win à la clef,  du genre de l’ANI : « Tu te flexibilises quand je te le dis et je te sécurise quand j’aurai le temps ». C’est passé comme une lettre à la poste en janvier pendant que l’on s’étripait allègrement sur le mariage pour tous. Mais si la lutte des classes n’existe plus, il faudrait aussi l’expliquer au Medef qui tient à partir du 28 août son université d’été, la première de l’ère Pierre Gattaz.

Le langage est en effet plutôt guerrier, voire franchement belliciste. On sent que ça manquait de testostérone du temps de Laurence Parisot qui pourtant n’a pas démérité. Il est en effet question d ‘« art de la guerre », de « faire partager le goût du combat », de « chasser en meute ». On trouvera d’ailleurs parmi les intervenants un militaire de haut rang directeur du renseignement militaire et un universitaire, Xavier Raufer, spécialiste des « menaces criminelles contemporaines ». Classes laborieuses, classes dangereuses ?

On objectera qu’il s’agit sans doute de faire face pour nos patrons du Medef à une concurrence internationale féroce. Ca ne nous rassurera pas forcément. On sait bien que dans toutes les guerres, même économiques, c’est toujours la piétaille qui sert de variable d’ajustement et que les généraux meurent assez rarement au combat.

Syrie : Obama adepte de la méthode Clinton?

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obama clinton syrie

L’indignation est bien mauvaise conseillère. Surtout en politique étrangère, où les grandes valeurs humanistes servent souvent de cache-sexe aux intérêts bien compris. Mais si les droits de l’hommistes s’aveuglent derrière des grands mots lénifiants, les souverainistes partisans de la realpolitik peinent à comprendre le poids de l’opinion dans les relations internationales. Ainsi de l’attaque chimique contre des civils qu’auraient perpétrée les troupes d’Assad dans la Ghouta, aux abords de Damas. Bien que la nature de ce bombardement ne soit ni plus ni moins avérée que ceux de ces derniers  mois, Obama, Hollande et les autres dirigeants occidentaux estiment qu’une ligne rouge a été franchie[1. Comme le confirment les archives déclassifiées de la CIA, lorsque Saddam Hussein employait des armes chimiques contre les civils iraniens, l’administration américaine Reagan fermait les yeux. À indignation sélective, ligne rouge sélective…]

Tous jugent l’« action de force » inévitable, dussent-ils se passer de l’aval d’une ONU paralysée par les vetos chinois et russes. Mais les mots sont des pièges : dans l’esprit d’Obama, une « action forte » ne signifie ni une opération militaire terrestre ni même des frappes aériennes massives susceptibles d’extirper Bachar Al-Assad de son palais ou de renverser la vapeur en faveur de l’Armée syrienne libre. Le chef des armées américaines voudrait frapper l’opinion, éviter de se dédire et ne pas pouvoir prêter le flanc aux accusations d’inaction, en ne visant que quelques cibles plus symboliques que stratégiques, histoire de ne pas trop remuer la poudrière moyen-orientale. Bref, justifier son prix Nobel 2008, décerné alors qu’il restait vierge de toute action présidentielle !

D’après certaines sources diplomatiques, on s’acheminerait vers une opération à grand spectacle, une sorte de répétition du rideau de fumée que le président Clinton avait orchestré à la fin de l’été 1998, en réponse au double attentat antiaméricain qui venait de secouer l’est de l’Afrique. Souvenez-vous, alors que l’affaire Monica Lewinsky battait son plein à Washington, deux explosions visèrent les ambassades américaines de Nairobi (Kenya) et Dar-es-Salam (Tanzanie), causant 224 morts et plusieurs milliers de blessés. À l’époque, on entendit pour la première fois parler d’un milliardaire saoudien hébergé par le régime des talibans, un certain Oussama Ben Laden, mécène du terrorisme jihadiste. Pour ne pas rester les bras ballants, Clinton lança précipitamment l’opération « Infinite Reach » moins de quinze jours après les attentats. S’ensuivit une série de bombardements de missiles Tomahawk sur des camps d’entraînement  afghans d’Al Qaïda et une usine pharmaceutique soudanaise suspectée de produire des armes chimiques. Bilan des courses : pas plus d’une trentaine de jihadistes tués, Ben Laden rehaussé d’un prestige international, et des milliers de Soudanais privés de médicaments, alors qu’aucune preuve tangible n’établissait le caractère suspect de l’usine Al-Shifa. Trois ans après ce baroud d’honneur, le 11 septembre 2001 remit sur le tapis la responsabilité du président Clinton : en avait-il vraiment fait assez contre Al Qaïda et son chef ? Les historiens nous le diront.

« Infinite Reach » ne se répétera peut-être pas sur les bords de l’Euphrate et de l’Oronte. C’est du moins ce qu’espère l’opposition syrienne qui, toutes tendances confondues, mise plutôt sur une resucée de la guerre d’Irak déclenchée en 2003, tant du côté des libéraux et des Frères musulmans que des salafistes qui rêvent d’en découdre avec l’armée américaine une fois les forces loyalistes syriennes définitivement défaites.

Obama et ses alliés étant acculés à l’action par la tyrannie médiatique, on peut raisonnablement parier sur une riposte graduée, voire une intervention express, qu’on nous annonce pour jeudi, au détriment de tous les autres scénarii. Contrairement aux apparences, cette hypothèse devrait ravir les tenants du statu quo. Dans une région morcelée par les conflits, ouvrir un nouveau front exposerait Israël sur son flanc nord et redorerait le blason des Frères musulmans après leur fiasco égyptien. Sans parler de ses possibles répercussions sur la situation de l’Irak et la question kurde ni des éventuelles représailles de l’État syrien, affaibli mais toujours debout, contre ses voisins turcs, jordaniens ou israéliens…  Vous avez dit Orient compliqué ? Afin de ne pas attiser le feu, la Maison blanche voudrait agir avec parcimonie, quitte à tourner bride le moment venu. Cela tombe bien, tous les pays indignés par les exactions de l’armée syrienne renâclent à engager leurs combattants sur un terrain d’opération aussi miné.

Ni maître du monde ni humaniste naïf, Obama risque de se comporter en chef d’Etat normal. Trop normal ?

Grand Journal deviendra petit

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grand journal caunesLe « Grand Journal » va mal. Good news !

« Assieds-toi au bord de la rivière, tu verras passer le cadavre de tes ennemis. » Ce proverbe supposément africain est assurément applicable sur tous les continents. Le « Grand Journal » n’est pas encore un cadavre, mais il est bien cabossé.

Pourquoi l’émission-phare de Canal+ serait-elle le symbole de l’ennemi alors qu’elle colle si bien à notre époque ? Eh bien précisément pour cela, même si elle semble aujourd’hui menacée de perdre son statut de porte-parole autorisé de l’air du temps, en l’occurrence du conformisme médiatique paré des atours de la rebellitude.

Le « Grand Journal » a perdu 13% d’audience entre avril 2012 et avril 2013, pendant que les talk-shows de France 5 et de Direct 8 explosaient ! Personnellement, le premier indice de cette chute m’a été fourni par une attachée de presse qui s’occupait d’un de mes livres : « Bon, on a le choix entre le “Grand Journal” et Alexandra Sublet. Y’a pas photo, j’envoie paître Canal, hein ? » Moi, je ne connaissais même pas « C à vous », mais l’idée de me friter avec Jean-Michel Aphatie au « Grand Journal » me plaisait bien. J’ai dû m’incliner.

Côté Canal, cela a commencé à turbuler à l’étage du management : les séquences en clair sont le tiroir-caisse de la chaîne. Évidemment, c’est Michel Denisot, le patron de l’émission, qui a dégusté. Ce qui a nourri dans tout le PAF les discussions de cafétéria. Pour les uns, c’était la mort du « Grand Journal » car une émission, « c’est d’abord un visage ». D’autres se sont félicités du coup de balai, sur le thème « place aux jeunes », ignorant que Denisot, loin de prendre sa retraite, s’apprêtait à lancer avec tambours et trompettes publicitaires un Vanity Fair français assuré d’une grande prospérité grâce au prestige du titre chez les annonceurs et les régies.

Quant au chroniqueur littéraire, Augustin Trapenard, qui a dû se fader la difficile succession d’Ollivier Pourriol, auteur d’un succulent On/Off (NiL), il a soutenu la direction avec toute la puissance de son petit cerveau, en affirmant en substance que, désormais, la culture ne pouvait plus être diffusée que sous forme de « piqûres légères ». Avec de tels défenseurs, la culture n’a pas besoin de fossoyeurs.

Pensant que la crise du « Grand Journal » était la crise du politiquement correct, je me demandais quel concept les dirigeants de Canal allaient sortir de leur chapeau pour sauver l’émission. Je me trompais. Salué par presque toute la profession et les journalistes média comme un génie du PAF, le directeur général de Canal, Rodolphe Belmer, a choisi l’option vintage – autrement appelée « c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes ». Pour succéder à Denisot, il a choisi Antoine de Caunes, un pionnier du « Grand Journal » : un peu court. En effet, si l’époque demande la fin de l’émission (sujet qui devra être traité au fond), comme elle a naguère exécuté le « Bébête Show » et bien d’autres, Antoine de Caunes aura du mal à la sauver, et ça ne fera pas pleurer dans les chaumières où l’on lit Causeur, en tout cas pas dans la mienne. [access capability= »lire_inedits »]Dans le cas inverse, je mangerai mon chapeau. Mais comme il est confectionné en fraises Tagada, je ne souffrirai pas trop.

L’Obs, au bazar des manifestes

Ce qu’il y a de bien dans la crise de la presse, c’est qu’elle stimule la créativité des éditeurs. Désolé, mais c’est encore Le Nouvel Observateur – après l’affaire Marcela Iacub, ici-même rapportée – que revient ce mois-ci la palme du foutage de gueule des lecteurs. Le 19 juin, veille de la parution de l’hebdomadaire qui, il y a quarante-deux ans, affichait en « une » le Manifeste des « 343 salopes » en faveur de l’avortement, le buzz commence dans les journaux radio : l’Obs s’apprête à publier un appel historique, signé par une dizaine de députés de droite et de gauche. Historique, assurément, à en juger par le titre : « Élus, abolissons nos privilèges ! » Une nouvelle Nuit du 4 août. C’est le moment, en effet, de tondre nos politiques, leurs retraites à double tiroir, leurs frais de mandats, leur réserve parlementaire opaque, etc.

Agacé d’avance par cette débauche de transparence, mais intrigué, on achète le journal, et là, on est scotché par le culot de l’éditeur. En fait de manifeste, les plumitifs se sont contentés de demander (par téléphone, imagine-t-on) à une dizaine de députés quelle réforme du Parlement ils jugeaient prioritaire. Traduction : « Dix propositions choc ». Aucun des députés ne savait que son interview constituerait la partie d’un tout présenté comme un manifeste. Aucun, a fortiori, ne connaissait l’identité de ses « co-signataires ». Toute la subtilité de l’opération, qui frisait la publicité mensongère, résidait dans la répartition prévisible des rôles : le journal annonçait en titre « Le coup de gueule de 10 députés » – qui était presque véridique –, laissant à la buzzosphère le soin de propager le terme « manifeste » – compte tenu de son caractère moutonnier, il suffisait d’un ou deux tweets pour que tout le monde suive. Il faut dire aussi que certains des députés victimes de cette opération de com’ ont trouvé l’idée fort judicieuse puisqu’on les a entendus défendre un appel qu’ils n’avaient pas signé.

Merci Mauroy !

On peut dire merci à Pierre Mauroy ! Le brave vétéran socialiste – dont tout le monde a oublié qu’il a quand même convaincu Mitterrand de prendre le tournant européiste et néolibéral de 1983, mais passons – a eu la vista de décéder au moment où se lançait une formidable campagne autour de la mort du jeune science-potard Clément Méric. Tout était en place : Méric était la victime d’un « printemps facho », perceptible à l’activisme de quelques groupes supposés être la face cachée du marinisme. Comme lors de l’incroyable affaire de Carpentras, où le Front national avait immédiatement été désigné comme le responsable des horreurs commises dans le cimetière juif de la ville, nombre d’éditocrates se tenaient prêts à dérouler l’habituelle rhétorique qui a propulsé le FN là où il est aujourd’hui : le langage de haine et de xénophobie constitue le terreau (qui lui ne ment pas) et entretient le climat propice au passage à l’acte des nazillons. Il y aurait donc une ligne continue allant de Marine Le Pen au skinhead bas du front et plein de bière qui chasse l’immigré ou l’antifa (au fait, quelqu’un peut-il m’expliquer pourquoi et quand a été supprimé le « f » de « faf » ?). Ce qui prouverait bien que le FN est « anti-républicain », et que l’UMP buissonisée prendrait le même chemin. Nous avons échappé à ce Carpentras-bis, de peu. La mort de Pierre Mauroy a raflé tout le gâteau télévisuel pendant trois jours, offrant au public ce que, sans doute, il adore : la nostalgie des années Mitterrand.[/access]

*Photo: Canal Plus

De quelques Français en 2025

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trappes emeutes france

nkm emeutes france

Joël est inquiet. En ce soir de juin, il se demande si les 350 litres du réservoir de son tracteur n’auront pas été siphonnés durant la nuit. C’est la troisième fois que son exploitation est visitée en deux mois. Mais ce qui le préoccupe davantage, c’est sa production. La semaine dernière, dans le canton voisin, un exploitant a vu sa récolte de pêches intégralement dévalisée en une nuit. Les voleurs avaient tout prévu, les camions, les caisses, la main d’œuvre. Agriculteurs et gendarmerie sont démunis : comment surveiller des centaines d’hectares ? Ce week-end, une réunion est prévue à la coopérative pour étudier le financement d’équipements de sécurité.

Comme tous les mercredis, Ingrid se rend sur l’aire de repos de la D1, un peu à l’écart de Château-Thierry. Elle y achète ses fruits et légumes moins chers de 15% qu’aux supermarchés du coin. « Prix producteurs », est-il indiqué sur la pancarte. Elle s’étonne parfois que des pêches soient produites dans l’Aisne, mais comme celles-ci sont vraiment bon marché, et plutôt bonnes, elle les achète quand même.

Eddy est content, il vient d’acheter son canapé sur le « Bon Coin ». Il a réalisé une excellente affaire en le payant près de 70% moins cher qu’en magasin. Ce n’est pas du neuf évidemment, mais la qualité reste acceptable. Au chômage depuis un peu plus d’un an, Eddy aime encore consommer. Il a décidé d’arrondir ses allocations en se lançant dans le e-commerce. Il a ouvert une boutique sur e-bay sur laquelle il vend des objets, achetés sur Internet ou récupérés dans la rue. Il les retape à peu de frais puis les vend à un prix raisonnable. Aussi trouve-t-il souvent des acheteurs. Pas mal de transactions se font en espèces si bien qu’Eddy arrive largement à joindre les deux bouts, d’autant qu’il utilise ses produits en attendant de les revendre. Comme son affaire tourne assez bien, il envisage de continuer ainsi une fois qu’il touchera le RSA.

Garance peut souffler, elle vient de boucler son article « Système D, nous aussi on veut des bons plans ! » pour le numéro du mois de septembre de 30 ans. Après une rapide enquête sur le web, elle a trouvé plusieurs sites alternatifs à l’économie « classique » qui raviront ses lectrices, puisqu’elles sont de plus en plus nombreuses, d’après les enquêtes sur son lectorat, à vouloir donner du sens à leur acte d’achat. En vrac : sites de récup’, bourses d’échanges de services, moteurs de recherche pour trouver les boutiques de destock’ des marques de luxe, voyages à prix cassés, échanges d’appart’, collectifs de partage de « hot spots Internet », coopératives parentales pour gardes d’enfants assurées par les mamans, elle a même trouvé à Nantes une fille qui brade les invendus des supermarchés pour lutter contre le consumérisme et le gaspillage. Elle n’a pas trop creusé la question des normes sanitaires de l’assoc’, mais bon, maintenant, elle peut enfin partir en vacances.

Frédéric se frotte les mains. Il vient de réaliser avec ImmoBiens une superbe affaire en revendant à l’entreprise des bureaux qu’il possède à Montrouge. L’affaire a été facilitée dès lors qu’il a annoncé sa candidature à la mairie. Sur son terrain, ImmoBiens va construire le nouveau « Centre des Rapports et de l’Aide à la Prospective Stratégique (CRAPS) » annoncé il y a un an par François Hollande qui souhaite réunir sous un même toit toutes les commissions au service de l’Etat. Il sera organisé autour d’une vaste bibliothèque où seront compilés tous les rapports réalisés sous la Ve République. Le Président a affirmé que le regroupement des spécialistes permettrait de mettre en commun les idées et de proposer des synthèses plus innovantes. Frédéric a reçu d’ImmoBiens 75 000 euros en cash. De quoi préparer sa campagne et, pour ImmoBiens, une manière simple de conclure la vente et de réduire ses frais de transaction.

France 2015

Depuis que la fiscalité environnementale a fait grimper le prix du gasoil de 30% (en deux fois) au prétexte de favoriser la transition énergétique promise par le gouvernement, Joël ne cesse de lutter contre les pilleurs. Tout y passe : tracteurs, camions, citernes, même les réservoirs de ses pompes d’irrigation sont fracturés pour voler le diesel. L’exaspération est à son comble dans les campagnes. On évite de le crier sur les toits mais des milices agricoles se créent un peu partout pour protéger les exploitations. La gendarmerie, impuissante à identifier les voleurs et souvent occupée à d’autres affaires, ne regarde pas de trop près. Pour l’instant, on a surtout entendu des coups de fusils tirés en l’air. Tant qu’il n’y a pas mort d’homme…

De toute façon, les forces de sécurité nationales sont davantage préoccupées à résoudre les violences urbaines. Depuis deux ans déjà, la pègre marseillaise s’étripe à coups de règlements de compte. Pendant longtemps l’opinion publique ne s’est pas trop alarmée de ces meurtres à répétition. Après tout, c’était toujours autant de voyous en moins. Hier soir cependant, une fusillade dans les quartiers nord de la ville a impliqué pas moins de 50 délinquants. La police a relevé 3500 impacts de balles sur le parking du centre commercial où la fusillade s’est produite. Mais tout a changé. Parmi les victimes, on a relevé les cadavres de neufs passants dont ceux de trois enfants – sans compter les blessés. Le ministre de l’Intérieur s’est rendu aussitôt sur place pour annoncer une batterie de mesures : tolérance zéro, effectifs de police judiciaire en hausse et renfort de trois compagnies de CRS. Dans le contexte actuel de prostration, personne dans la presse n’a jugé bon de rappeler que ces mesures étaient presque identiques à celles de 2013. Pour satisfaire une opinion alarmée, le ministre a aussi annoncé la signature d’une « convention sécurité » avec le collectif « Paix civique », qui revendique depuis deux ans l’officialisation de ses « milices citoyennes ».

À Matignon, le Premier ministre reçoit le ministre des Finances et le ministre de l’Emploi et des Solidarités. Les chiffres de la croissance ne sont toujours pas réjouissants et paraissent de plus en plus ingérables. Le déficit extérieur continue son repli depuis deux ans en raison de la baisse des importations de biens de consommation. En 2013, on s’en réjouissait. Mais à présent que la consommation intérieure diminue également, on s’inquiète des rentrées de TVA. La hausse de 0,5 points l’année dernière ne va pas compenser les pertes à venir de 2015 et il va sans doute falloir relever le taux une nouvelle fois. Un conseiller souligne qu’une bonne partie des pertes est liée à l’économie souterraine et qu’il faudrait envisager de taxer toutes les activités de « Système D ». Mais depuis que le Président a annoncé aux Français le 14 juillet dernier que l’économie de l’avenir était celle de la récup’, plus écologique, plus responsable, plus nationale aussi, difficile de mettre une trop forte pression fiscale sur ce marché qui semble profiter aux plus modestes. En attendant, les chiffres du chômage sont en hausse. Aux Finances et à l’Emploi, on sait bien que cette « économie de la débrouille » fonctionne en parallèle des allocations, mais depuis qu’elle a été officialisée, comment supprimer les aides publiques ?

En attendant, pour la quatrième année consécutive, le barème de l’IR restera désindexé. C’est un coup dur pour les 40% de Français qui continuent de le payer mais comme les dépenses publiques, en particulier sociales, ont été sanctuarisées pour protéger les plus modestes, cette décision est rendue nécessaire.  Pour combler les déficits, on envisage aussi de relever de 0,1 point l’intégralité de tous les impôts existants, y compris les contributions sociales. Un pis-aller dont on sait déjà qu’il sera insuffisant. A la gauche de la gauche, on continue de clamer qu’il faut taxer d’abord les revenus du capital et les entreprises, mais c’est pour la bonne bouche. On sait que la partie est bientôt gagnée puisque le nombre de salariés « déclarés » est en baisse constante. Comment imposer des travailleurs invisibles ? L’ancien monde est en train de craquer.

France 2025

Depuis plusieurs années maintenant, la société française s’est durcie. Pour vivoter, on a de plus en plus recours aux bons plans, à la solidarité communautaire, aux petits larcins que la police et la gendarmerie, pas plus que la justice, ne peuvent traiter, car il faut d’abord poursuivre les filières organisées du marché noir qui ont proliféré.

Le fils de Joël, qui a repris l’exploitation de son père, s’est équipé de drones et de robots-chiens pour empêcher les intrusions et les vols. Pour cela, il a passé un examen et a obtenu sa licence « d’exploitant labellisé auto-défense », un statut inventé par la droite forte sous la présidence de NKM après un intense lobbying. Désormais, s’il peut faire la preuve qu’un vol se déroulait sur son exploitation, il a permis de tuer et dispose de l’impunité pénale. Il est en quelque sorte devenu un auxiliaire de police.

Ingrid continue d’acheter sa nourriture au producteur. Aujourd’hui, grâce à une application cryptée par un collectif de cyber-activistes qui défendent le droit à la nourriture gratuite, elle géolocalise les lieux de distribution de produits volés signalés à la dernière minute pour déjouer les autorités. Il faut certes encore payer les coûts de l’organisation mais les prix sont tellement dérisoires que la nourriture est vraiment presque donnée. Garance suit attentivement l’évolution de cette organisation. Après son premier article de 2013, les courriers de lectrices ont tellement fait part de leur satisfaction qu’elle a obtenu la rédaction d’un papier mensuel et est rapidement devenue la spécialiste de « l’économie D », comme elle l’appelle, en référence à sa chronique « D’Eco-D ». Dès qu’elle le peut, elle fait la promotion des structures qui permettent de contourner l’économie de marché capitaliste « dont les valeurs ont implosé lors de la crise de 2008. Les gens ont alors aspiré à une nouvelle quête de sens », se plaît-elle à rappeler souvent.

Frédéric se frotte les mains. Sa carrière ministérielle s’arrête cette année, mais il a bien su négocier sa reconversion. En gardant de bonnes relations avec ImmoBiens lorsqu’il était ministre du Logement et des Solidarités locales sous le second gouvernement de la présidence NKM, il part dans deux mois diriger le pôle « prospective et marchés » du groupe en Afrique. Certes, il lui faut s’expatrier, mais vu la situation actuelle en France, il ne lui déplaît pas de prendre un peu l’air. De toute façon, il ne doute pas qu’il saura rendre son nouveau poste suffisamment rémunérateur, malgré un salaire officiellement assez bas.

Sylvain regarde ses valises posées dans l’entrée et attend que sa femme ait fini d’habiller les enfants. Ce soir, il sera à Londres, et pour longtemps. Il patiente en feuilletant avec nostalgie le rapport « France 2025 » remis à François Hollande à l’été 2013 qu’il a retrouvé dans un carton resté ouvert. « Que c’était bon de faire semblant d’y croire », soupire-t-il.

Marine Le Pen est depuis deux semaines la nouvelle Présidente de la République. Sylvain n’a pas attendu le deuxième tour pour préparer son départ. Ses anciennes relations politiques lui avaient laissé entendre très tôt que la partie était pliée. Il faut dire que cinq ans de présidence NKM après cinq ans de hollandisme avaient bien préparé le terrain. Oscillant entre étatisme, solidarisme, écologisme, « libéralisme dirigé » (le concept de la campagne de NKM), la droite n’avait su, une fois de plus, ni défaire les mesures désastreuses prises par la gauche à l’époque de Hollande, ni définir une ligne politique claire avant les élections de 2017. On avait donc navigué à vue tout le long du quinquennat en essayant de réaliser la quadrature du cercle : à savoir baisser la fiscalité sur le travail et les entreprises sans réduire les dépenses de l’Etat, puisque le pouvoir n’avait cessé de promettre d’intervenir à chaque nouvelle actualité. Les dépenses avaient donc continué de croître au niveau de l’inflation, un « succès historique » selon les mots de la Présidente lors de la campagne pour sa réélection (mais ses chiffres ne prenaient pas en compte le service de la dette).

En regardant son appartement, Sylvain a quand même le cœur gros. Il l’aimait bien et lui avait coûté très cher au début mine de rien. Il part sans le vendre et sait qu’après son départ, il sera immédiatement squatté. Certes, depuis dix ans, comme tout le monde, il ne rembourse plus le prêt à sa banque. Quand Cécile Duflot prit la décision en 2014 d’empêcher toutes les exclusions au nom du droit opposable au logement, les locataires arrêtèrent de payer. Alors les propriétaires en firent autant, au nom de l’égalité de traitement. D’abord ceux qui louaient, puisqu’ils ne pouvaient plus compter sur les loyers ni expulser les mauvais payeurs, et puis ensuite tous les autres. Aujourd’hui, chaque Français reste accroché à son logement car il n’y a plus de marché. L’absence de mobilité salariale a fini de ruiner un peu plus la reprise de la croissance, mais comme c’est un phénomène difficilement traduisible par des chiffres, tout le monde a préféré profiter de l’aubaine immédiate de posséder un logement gratuit. Bien sûr, au nom de la défense du pouvoir d’achat, la droite n’a pas été capable ensuite de renverser la situation.

Ancien haut fonctionnaire de Bercy sous la présidence de Hollande, Sylvain avait bien vu, avec ses collègues, que l’Etat perdait pied dès 2015. Il avait alors commencé à mettre de côté tout ce qu’il pouvait de son salaire qui était alors confortable. Il n’avait rien placé bien sûr puisque le capital avait été la cible privilégiée du fisc et qu’il avait lui-même un temps été chargé de « l’innovation fiscale ». Lorsque le gouvernement avait annoncé le gel des salaires des fonctionnaires, il était devenu conseiller d’un parlementaire européen. Il avait commencé à acheter des livres sterlings et les avait déposées sur un compte ouvert au Luxembourg qu’il approvisionnait régulièrement lorsqu’il se rendait en Belgique. Lorsque la France avait dû quitter l’euro en 2023, et sortir de l’UE, il avait perdu son emploi à Bruxelles.  Depuis deux ans, il était retourné à Bercy mais le cœur n’y était plus d’autant que le statut des fonctionnaires avait été modifié en « contrat d’avenir pérenne », garantissant l’emploi mais pas le niveau des salaires. Heureusement, la livre était restée au plus haut. Maintenant que la plupart des Français se retrouvaient avec des francs dépréciés, lui pouvait partir et continuer sa vie ailleurs. En Angleterre, il ne serait certes pas riche, mais au moins là-bas, il pourrait vivre à l’aise avec son pécule de départ et retrouver un travail, un vrai.

*Photo : noodlepie.

Québec : finis les accommodements déraisonnables

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quebec laicite multiculturalisme

quebec laicite multiculturalismeAlors que Vincent Peillon a annoncé la mise en place dès la rentrée d’une charte de la laïcité dans les écoles, au Québec une charte du même nom est au cœur de tous les débats. Le Parti Québécois du premier ministre Pauline Marois, « social-démocrate et nationaliste » (ces deux termes n’étant pas incompatibles de l’autre côté de l’Atlantique) a déposé un projet de loi prévoyant l’interdiction du port de signes religieux dans la fonction publique. « Croix ostensible, voile intégral comme le niqab ou la burqa, le hijab, le turban sikh et la kippa juive seront tous interdits dans les ministères, organismes, sociétés d’État, tribunaux et corps policiers », peut-on lire dans le Journal de Montréal. Ce qui reviendrait à importer au Québec le modèle français d’une laïcité fermée. Enfin, pas complètement : le fameux crucifix qui trône dans l’enceinte de l’Assemblée nationale sera épargné, au motif qu’il « fait partie du patrimoine culturel du Québec ». Ce qui fait dire à certains que la charte serait l’instauration d’une « catho-laïcité », et d’un deux poids-deux mesures visant à stigmatiser certaines communautés.

Pourquoi la laïcité fait-elle tant débat au Québec ? Exception en Amérique du Nord où le Canada et les Etats-Unis ont tous deux adopté le modèle multiculturel du « melting-pot », le Québec, parce qu’il est un îlot français dans des terres anglo-saxonnes, cultive sa spécificité. C’est ainsi qu’à la fin des années 80, la Belle Province s’est désigné comme « société distincte » au sein du Canada : un statut qui lui permet de limiter certains droits individuels au nom de la survivance collective du peuple. Par exemple, les québécois sont « obligés » de parler français dans les entreprises de plus de 50 employés. Confrontés aux problèmes engendrés par un multiculturalisme de fait, les Québécois ont inventé un modèle intermédiaire de laïcité qui sera formulé dans  le rapport Bouchard-Taylor de 2007 sous le nom d’« accommodements raisonnables ». Il s’agit d’assouplir la norme générale pour l’adapter aux pratiques culturelles et religieuses des individus, dans la mesure où celles-ci ne portent pas atteinte aux droits et libertés fondamentales des individus.  Ainsi, des élèves sikhs ont obtenu le droit de porter le turban et le kirpan (arme symbolique) à l’école. Par contre, un parent témoin de Jéhovah n’a pas le droit d’interdire une transfusion sanguine à son enfant mourant.

Cette négociation permanente aux contours flous agace une grande partie de la population et que résume ainsi Bernard Drainville, un ministre péquiste (du Parti Québécois) : « C’est le cas par cas qui a divisé les Québécois. Il faut des règles claires !». D’ailleurs, trois québécois sur cinq appuient l’interdiction du port de signes religieux dans la fonction publique. Pour Pauline Marois, cela ne fait aucun doute : « (La future charte) va devenir, j’en suis certaine, un élément fort d’unité entre les Québécois comme c’est le cas pour la loi 101 qui nous a réunis plutôt que nous diviser».

Le rappel de la loi 101, qui avait fait du français la langue officielle du Québec, n’est pas anodin : il inscrit le projet de loi dans la continuité de la lutte pour la survie de l’identité québécoise. En l’occurrence, le gouvernement ne brandit pas l’argument de la laïcité, qui n’est qu’un prétexte (difficile à défendre à cause du fameux crucifix de l’Assemblée nationale), mais celui de « l’égalité homme-femme », principe pour l’instant ignoré par les accommodements raisonnables, et qui, selon les péquistes, devrait primer sur la liberté de religion. Cet argument (qui avait été utilisé en France au moment de la loi sur la burqa) vise évidement la communauté musulmane. Une population en augmentation de 141.8% depuis 1991, de plus en plus mal perçue par la société québécoise.

Pourtant, avec 11 minorités autochtones, une minorité anglophone, et des communautés issues de l’immigration, le Québec, qui est lui-même une minorité au Canada, ne semble pas le lieu idéal où importer le modèle français universaliste et homogénéisant d’une laïcité rigide.

Le philosophe Charles Taylor s’est d’ailleurs fermement opposé au projet, rappelant que si l’Etat devait être neutre, les individus, eux, sont libres. Ce dernier avait théorisé la position dite communautarienne qui avait le mérite de la subtilité, en mettant en place un libéralisme ouvert à la différence, arbitré par un Etat neutre mais non hostile au phénomène religieux, tout en donnant au Québec les moyens d’une survivance collective. Il s’agissait alors d’éviter le double écueil du repli identitaire et de l’homogénéisation culturelle.

Mais la subtilité est compliquée, et coûteuse, elle exige des efforts, et en renonçant aux accommodements raisonnables, le parti de Pauline Marois a préféré lancer une poutine électoraliste. Une position parfaitement résumée par un spécialiste de l’opinion : « Contrairement à l’économie, où on est souvent victime de grands courants internationaux, l’identité, c’est une question sur laquelle le gouvernement a une poignée. Et il y a clairement un appétit pour cela dans l’opinion publique.»

 

*Photo: le crucifix de l’Assemblée Nationale

 

Mariage, prison : dernières nouvelles des lois Taubira

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Tout va bien dans la France du taubiranisme triomphant. La loi étendant le mariage à deux personnes de même sexe est passée comme une lettre à la poste. Des manifestations ? Où ça ? Des contestations ? Nulle part. Le pays est apaisé comme jamais. A tel point que semblables à la première nation scandinave venue, nous en sommes réduits presque malgré nous à vider les prisons. Et c’est là que l’ironie taubirique fait la preuve de sa logique totale.

Les pauvres maires qui se plaignent des épreuves qui les attendent s’ils refusent, en accord avec leur conscience, de célébrer – j’ignore s’il faut encore employer ce terme à connotation fortement religieuse, faudrait que je demande à Peillon – ce nouveau mariage témoignent de la confusion intellectuelle la plus complète, ou de leur ignorance crasse, à moins que ce soit de la mauvaise foi la plus profonde. Que risquent-ils en effet ? Selon le bon édile d’Exoudun (Deux-Sèvres) par exemple, ce refus assimilé à un délit de discrimination leur vaudrait, si les deux époux portaient plainte contre eux, une peine de 75 000 euros d’amende et 5 ans d’engeôlement. Dur dur d’être un héros.

Voire. La réforme pénale que propose aujourd’hui le Garde des Sceaux pour réduire la population carcérale devrait faire respirer ces maires proto-délictueux : tout délit valant une peine maximale de 5 ans de prison, précisément, serait puni in fine, outre quelques TIG (Travaux d’Intérêt Général), d’un « stage de sensibilisation », agrémenté par exemple, comme au Canada, d’un « programme de gestion de la colère ». Nos élus ne risqueront donc presque rien sous le joug de cette nouvelle loi à refuser d’appliquer la précédente. Au pire, un lavage de cerveau dans le programme de gestion des instincts rebelles, ou dans le stage de sensibilisation à l’homophilie.

Alors, finies les petites inquiétudes, les poses à la Che Guevara, ou au martyr sous Néron. Vive Taubira et à nous la belle vie. Tous rebelles, tous stagiaires !

Syrie : L’UMP et le PS sont-ils devenus néoconservateurs ?

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hollande obama syrie

hollande obama syrie

« Comment le virus néoconservateur a-t-il pu gagner ainsi tous les esprits ? » s’interrogeait Dominique de Villepin au moment de l’intervention française au Mali. Se doutait-il que quelques mois plus tard notre gouvernement appellerait à frapper la Syrie avec le soutien enthousiaste de l’UMP ?

En matière de politique étrangère, ce « virus néoconservateur » juge bienfondée l’ingérence d’un Etat démocratique dans les affaires d’un pays irrespectueux des droits de l’homme. Cette maladie n’a pas encore atteint tous les citoyens français : si 45% d’entre eux se disent favorables à une intervention armée contre la Syrie, pas moins de 40% s’y opposent. Les deux « gros » partis français, eux, semblent s’être laissés dompter par cette idéologie néoconservatrice. Il y a dix ans, un gouvernement de droite refusait, avec la solidarité du premier parti de gauche, de renverser par la force un gouvernement étranger accusé fallacieusement de détenir des armes de destruction massive. Aujourd’hui, un gouvernement de gauche, avec le soutien du premier parti de droite, se dit prêt à bombarder un régime étranger, pour cause de bombardement chimique dont la nature n’a pas encore été prouvée par les experts de l’ONU.

En France – contrairement, par exemple, au Japon – les relations internationales ne font pas l’objet d’un clivage droite-gauche. Il n’existe pas de politique étrangère estampillée « UMP », ni de politique étrangère marquée « PS ». Chacune des principales formations de gauche et de droite sont parcourues par deux lignes de conduite des affaires extérieures : la ligne « atlantiste », et celle que les ouvrages universitaires et médias qualifient de « gaullo-mitterrandiste ». Les partisans de cette dernière prônent, schématiquement, l’autonomie de la France vis-à-vis de l’hyperpuissance américaine et un soutien aux revendications des pays du « Sud ».

Sans doute par sympathie pour le messianisme démocratique perpétué par l’administration américaine, certains intellectuels français, finissent par épouser des positions néoconservatrices : Alain Madelin, BHL, Guy Millière ou encore Alexandre Adler font ainsi de la guerre humanitaire un idéal.

En 2003 le « gaullo-mitterrandisme » de Chirac semblait faire consensus chez les deux grands partis français : l’aura du président de la République et la fidélité de l’UMP à son gouvernement étouffaient l’atlantisme à droite, tandis que le tropisme néoconservateur de la gauche se voyait laminé par l’impopularité de Bush. Obama rendit tolérable, pour une gauche française en mal d’icônes universelles, une politique étrangère dans les faits peu différente de celle de son prédécesseur. À droite, Sarkozy « l’Américain » se chargea d’éradiquer les vestiges des fantasmes gaulliens. Ainsi, Alain Juppé, le doyen gaulliste, se fit le héraut de la croisade anti-Kadhafi lorsque Nicolas Sarkozy lui confia le quai d’Orsay. Depuis, ses convictions interventionnistes ne cessent de croître : le même homme qui, en 2003, soutenait à la tête de l’UMP le parti-pris non-interventionniste de Jacques Chirac, appelle aujourd’hui, aux côtés de Bernard Kouchner et BHL, à violer la souveraineté syrienne à coups de missiles ! François Fillon, qui aime également se dire gaulliste, semble avoir perdu ses repères. Les deux têtes de l’UMP – Copé et Fillon – ont formulé un soutien commun, bien que modéré, aux appels à « punir » la Syrie du président Hollande. Les voix qui se sont élevées, à droite, contre un tel projet sont plutôt marginales (Longuet et Marini) ou extérieures à l’UMP (en plus d’être marginales) : Dupont-Aignan ou Frank Margain (Parti chrétien-démocrate). À gauche, le Parti socialiste, logiquement, approuve les vues du président. Bien plus lourd de signification pour le PS : Laurent Fabius, traditionnellement décrit comme le contrepoids idéologique au néoconservatisme de Moscovici, envisage désormais, en ministre des Affaires étrangères qu’il est, l’usage de la force contre la Syrie. Les discours pacifistes aux saveurs antiimpérialistes, dont la gauche a le secret, ont été relégués hors des frontières du parti, du côté de chez Mélenchon.

La tactique de l’écran de fumée masque les « vrais problèmes » du chômage et du déficit public. Toutefois, la conversion du gaulliste Juppé et du souverainiste Fabius à l’idée de guerre humanitaire témoigne d’un climat idéologique plutôt neuf à l’UMP et au PS. Dans les cas de Juppé et de Fabius, mais également de Fillon, cet esprit de paladin ne peut même pas s’expliquer par quelque admiration ou docilité à l’égard de l’oncle Sam. Ces hommes politiques sont devenus néoconservateurs sans être atlantistes. Ils font du zèle dans l’interventionnisme armé au nom des droits de l’Homme, veulent être en avance sur l’agenda néoconservateur des Américains. Comme s’ils adhéraient sincèrement à une telle politique étrangère – même lorsqu’elle semble condamnée à l’échec. Trouver des explications moins avouables à cette posture interventionniste est difficile : on ne voit guère, en effet, quels froids intérêts aurait la France à tenter l’aventure syrienne.

 

 

 

Guerre en Syrie : encore une ?

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norman mailer syrie

norman mailer syrie

Pourquoi sommes nous au Vietnam ? demandait Norman Mailer dans le titre d’un de ses grands romans paru en 1967. Il n’y était pas question du Vietnam, qui pourtant battait son plein, mais d’une partie de chasse racontée d’une manière incroyablement brutale et hallucinée, dont les principaux protagonistes étaient un père et un fils issus de la haute société de Dallas. Obsession des armes, de la virilité, désir de retrouver un contact primitif et même sauvage avec la nature comme reflet de la vie américaine elle-même. Et Mailer concluait son roman de cette façon : « Réfléchis, Amérique à tête de cul et médite un peu sur ton con. Peut-être comprendras-tu pourquoi nous sommes au Vietnam. » On ne saurait mieux faire comprendre qu’une guerre menée par un pays loin de ses frontières n’est pas forcément dictée par de grands idéaux, droits de l’homme, lutte contre le communisme totalitaire, ou même par des considérations géopolitiques rationnelles, mais par quelque chose d’obscur qui s’apparente à la pulsion. On peut faire la guerre pour oublier qu’on ne va pas bien, que notre société s’embourbe dans la désespérance sociale, économique et qu’on est en pleine névrose collective.

C’est un petit peu l’impression que j’ai ressentie en apprenant que les USA, la Grande Bretagne et la France décidément atlantisée jusqu’à l’os depuis son retour dans l’Otan, ont décidé, alors que la mission de l’ONU n’est même pas terminée, de bombarder la Syrie.

Daoud Boughezala a  montré que cette opération a toutes les chances d’être un écran de fumée dont les auteurs eux-mêmes espèrent que ça ne bouscule pas trop la situation sur place.

Il n’empêche, à voir la joie mauvaise des experts militaires ou non qui se précipitent sur les plateaux, l’excitation médiatique qui règne comme une électricité malsaine, on comprend bien que la guerre, ça occupe et ça fait du bien. Surtout quand on vient d’annoncer une énième réforme des retraites qui se résume à une baisse du pouvoir d’achat des salariés.

En fait, on fait la guerre tout le temps, du côté de l’Occident et en particulier du triumvirat militaire USA-GB-France. Ça en devient une habitude.

Je suis né en 1964. Entre 1964 et 1990, à part les paras sur Kolwezi et l’engagement de casques bleus français au Liban, avec la tragédie du Drakkar, je n’ai pas le souvenir que l’on partait en guerre à tout bout de champ.

Depuis 1990, ça n’arrête plus.

Irak (avec un match retour à 12 ans d’intervalle), Yougoslavie, Kosovo, Afghanistan, Libye et maintenant Syrie. Vraiment ? Vous remarquerez que je mets le Mali à part, au Mali, la France a fait la guerre pour préserver une zone d’influence et sauver la population d’une dictature islamique alors que je n’ai pas l’impression que la Libye, l’Afghanistan ou même l’Irak soient en passe de devenir des démocraties multipartites avec alcool en terrasse des bistrots et femmes nues à la téloche.

Il faut dire qu’en plus, pendant toutes ces années, un dispositif politico-médiatique néoconservateur  a substitué à la peur du communisme le choc des civilisations et la lutte du Bien contre le Mal, célébré par des intellectuels autoproclamés chefs militaires. Il est du coup très difficile de vouloir même nuancer ce bel élan moral vers des carnages et des lendemains qui déchantent. Objectivement, calmement, même dans une perspective de guerre contre le terrorisme et contre l’axe du mal, l’Irak, c’était mieux avant ou après les deux conflits ? Et l’Afghanistan ? Et la Libye ? Si le Bien consiste à remplacer des bouchers par des fous furieux ou vice-versa, et qui sont tout aussi menaçants pour leurs propres populations et à notre égard, moi, j’aime mieux le Mal, quitte à me faire traiter de munichois.

Oui, décidément, il est dommage que Norman Mailer soit mort. Il aurait peut-être répondu à cette question simple : Pourquoi sommes nous en Syrie ? Je crains que les réponses implicites du roman de 67 ne soient les mêmes aujourd’hui. Parce que nous n’allons pas bien dans nos sociétés et que nous sommes aussi violents que trouillards, malades que brutaux.

Le pire des mélanges qui soit.

Syrie : La France ne doit pas légitimer l’ingérence américaine

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philippot florian marine le pen

philippot florian marine le pen

Gil Mihaely : Alors que des frappes américano-occidentales sur la Syrie semblent imminentes, vous vous opposez à toute intervention étrangère en expliquant qu’on ne peut pas engager un conflit sur la foi d’images télévisées, aussi choquantes soient-elles. Êtes-vous certain que les Etats-Unis et la France ne possèdent pas de preuves plus solides d’un bombardement au gaz ?

Florian Philippot : Dans cette affaire, personne ne paraît certain de rien. Le président Hollande lui-même semble davantage motiver ses décisions par des supputations que par des certitudes (« tout porte à croire » a-t-il employé comme formule). Il y a quelques mois Carla Del Ponte, commissaire à l’ONU, affirmait que les rebelles islamistes étaient en possession de ces armes…En tout cas, la charge de la preuve revient aux belligérants : cet événement nous étant présenté comme le casus belli d’éventuelles frappes occidentales, on ne peut tolérer que demeure sur son origine un flou, même infime.

Mais l’administration américaine fait état de renseignements recueillis par ses alliés et même de conversations entre officiers de l’armée syrienne interceptées par l’US army…

Ce pays a montré par le passé qu’il n’hésitait pas à mentir à la planète entière, la parole du gouvernement américain n’a donc que très peu de crédibilité.En tout état de cause, je ne m’intéresse qu’à ce que dit le gouvernement français, dont les décisions engagent la France.

Justement, considérez-vous comme François Hollande et Laurent Fabius que l’emploi d’armes chimiques constitue une « ligne rouge » que l’armée syrienne ne doit pas franchir ?

Nous demandons naturellement aux deux parties du conflit d’éviter toute escalade guerrière, notamment l’emploi d’armes chimiques. Mais évoquer une « ligne rouge » reviendrait à nous placer dans une perspective américaine, ce qui ne correspond pas à notre analyse de la situation.

Autrement dit, même si leur usage était définitivement avéré, vous vous opposeriez toujours à une intervention armée en Syrie ? 

Quand bien même l’origine des attaques chimiques serait connue avec certitude, une intervention armée poserait deux types de problèmes. D’abord, elle ne ferait qu’aggraver la situation. Cette région est une véritable poudrière, nul ne sait dans quel engrenage nous mettrons le doigt si le conflit s’internationalise. Les bénéficiaires d’une telle intervention occidentale seraient naturellement les islamistes radicaux présentés comme rebelles, qui se livreraient immédiatement à des exactions contre les Chrétiens de Syrie, mais aussi les Alaouites, sans parler du droit des femmes ! L’unité de la Syrie volerait en éclats. Les récentes interventions, en Irak ou en Libye, ont été des fiascos encore durement payés par les populations civiles et qui traumatisent durablement ces régions : nous avons le devoir de tenir compte de l’expérience du passé. Second problème majeur, celui de la légalité d’une intervention occidentale. Dès lors que le Conseil de sécurité de l’ONU ne donne pas son aval, ce qui est certain du fait de l’opposition de la Russie, les tentatives de trouver une base légale sont pour le moins hasardeuses. Ce n’est pas à la France de légitimer le droit d’ingérence que s’octroient les Etats-Unis !

Le parallèle avec l’Irak et la Libye ne tient pas vraiment. Depuis deux ans, les Etats-Unis  brillent par leur inaction en Syrie et semblent invoquer tous les prétextes possibles pour ne pas intervenir. Tout indique qu’Obama n’agira que de manière ponctuelle et limitée pour répondre à l’émoi qu’a suscité le bombardement de la Ghouta. Il a même déjà annoncé qu’il ne tenterait pas de renverser le régime d’Assad !

J’ai le sentiment que comme d’habitude depuis la première guerre d’Irak, les chancelleries occidentales, menées par les Etats-Unis, cherchent à présenter à l’opinion publique des motivations « nobles » pour déclencher des guerres qui servent des intérêts bien moins présentables… En Syrie, il ne s’agit pas de déclencher une guerre, elle dure déjà depuis plus de deux ans, mais d’en modifier le cours en impliquant les forces armées occidentales.
On l’a bien vu suite à l’attaque au gaz : avant-même les conclusions de la commission d’enquête de l’ONU, le régime était coupable. Et si aucune preuve n’est trouvée, cela prouvera aussi sa culpabilité parce qu’il les aura faites disparaître… De qui se moque-t-on ? On voit clairement qu’il faut à tout prix trouver des prétextes pour venir en aide, financer, armer et si possible mettre au pouvoir les rebelles islamistes. Comme en Libye. L’Histoire nous expliquera bien plus tard les ressorts réels de ce conflit.

Vous défendez une diplomatie gaulliste « libre et indépendante ». En quoi consiste-t-elle, sinon en une opposition systématique aux Etats-Unis ?

Une diplomatie d’inspiration gaulliste n’est pas une opposition systématique aux Etats-Unis, mais elle doit permettre à la France de s’exprimer en toute indépendance, sous la coupe d’aucune puissance étrangère, pour défendre en toute circonstance ses intérêts nationaux. C’est à peu près l’inverse de la diplomatie hollando-sarkozyste qui systématiquement se range docilement derrière la bannière américaine, voire même la devance dans un zèle qui fait peine à voir.
En 2003, quand Jacques Chirac a porté le non de la France à la croisade américaine en Irak, les peuples du monde se sont immédiatement et naturellement rangés derrière le drapeau français, ce qui prouve que la voix de la France libre est attendue sur la scène internationale. Pour rappel, si nous n’avons pas suivi les Américains en Irak en 2003 c’est notamment parce que nous avions nos propres satellites, nous permettant de ne pas être dépendants d’images américaines manipulées ou volontairement incomplètes. Evidemment, une diplomatie indépendante suppose un outil de défense et de renseignement indépendant et efficace !

Concrètement, qu’est-ce qu’un gaulliste ferait face au dossier syrien ?

Avant toute chose,  un gaulliste commencerait par se dégager de l’influence délétère du Qatar et de l’Arabie Saoudite. Il s’agirait ensuite d’assurer  que la France remplisse son rôle traditionnel de puissance d’équilibre dans la région,  refusant l’ingérence et cherchant à éviter la guerre plutôt que de l’alimenter par des interventions hasardeuses et brutales.

Tapie le Magnifique

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bernard tapie gatsby

bernard tapie gatsbyÀ la fin de Gatsby le Magnifique, l’intrus est éjecté de la bonne société. Ceux qui l’avaient encensé se détournent avec dégoût. Les vieilles familles reprennent leurs femmes, leurs bijoux et leurs affaires, alors que le vrai salaud se trouve dans leurs rangs.  Gatsby a voulu entrer par effraction dans leur monde, s’alliant pour y parvenir à des aventuriers aux méthodes plus ou moins louches. Mais pas beaucoup plus, finalement, que celles des Arnault, Pinault, Bébéar, Steve Jobs, dont un livre remarquable[1.  Portrait de l’homme d’affaires en prédateur, Villette et Vuillermot, La Découverte 2005.]montre que leurs premiers succès ont souvent tenu à des « coups » à la limite de la  morale.

Bernard Tapie fut le chouchou de l’appareil socialiste – et même, pendant quelque temps, le champion de la gauche contre Le Pen. Comme Gatsby, il est aujourd’hui montré du doigt comme un voyou et condamné avec une sévérité qui doit peut-être autant au mépris de classe qu’à l’indignation morale. Au temps de sa splendeur, quand les puissants s’encanaillaient sur son Phocéa, le Crédit Lyonnais, alors bras armé du pouvoir, fut sommé de lui sauver la mise – et s’exécuta en organisant le rachat d’Adidas. Peu reconnaissant, il trouva fort de café que le Lyonnais empochât, à la revente, un coquet bénéfice dont il ne vit pas la couleur, et estima qu’il avait été lésé par cette banque peuplée de hauts fonctionnaires – dont la déconfiture coûta 130 milliards de francs au contribuable, soit, à la louche, une bonne vingtaine de milliards d’euros. Les tribunaux lui ont donné tantôt raison tantôt tort et, comme on le sait, pour en finir une bonne fois pour toutes, il a été décidé de recourir à un arbitrage qui lui a accordé 403 millions d’euros. Au moment où Bernard Tapie est mis en examen pour « escroquerie en bande organisée », toute la question est de savoir  si cet arbitrage fut complaisant.  Ce qui n’empêcherait pas – malheureusement – qu’il ait pu être juste. La Justice sous-évalue souvent les préjudices. [access capability= »lire_inedits »]

Mais un détail dans le dossier intrigue : si certains soupçonnent l’entourloupe, c’est notamment  parce qu’en 2005, trois huiles de l’État, deux magistrats et un inspecteur des finances, avaient posé trois conditions à une transaction, notamment qu’aucune somme ne lui soit versée en numéraire. Or, soit Tapie a droit à un certain dédommagement, soit il n’y a pas droit. En fait, cette exigence, qui n’a rien de juridique, sonne comme une vengeance à l’égard d’un homme qui a dérangé une certaine nomenklatura.

Il est frappant que, dans le scandale du Crédit Lyonnais, aucun cacique de l’État (Trésor, Banque de France, Commission bancaire…), n’ait jamais été inquiété pour la défaillance des pouvoirs publics sous les années Mitterrand. Est-il donc normal que des  fonctionnaires, cités comme oracles par Mediapart, jouent le rôle de sages dans un conflit opposant un particulier à l’État ?  N’y a-t-il pas là l’un de ces conflits d’intérêts qui soulèvent les cœurs intègres ? Les fonctionnaires des finances, favorables ou non à l’arbitrage, interviennent-ils vraiment au nom de l’intérêt général ? On parle d’un arbitre qui aurait déjà travaillé avec l’avocat de Tapie. Mais quid d’un inspecteur des finances ou d’un magistrat de la Cour des comptes qui ont fréquenté toute leur vie les hiérarques du ministère des Finances ? Peuvent-ils donner un avis sur un conflit entre l’État, leur employeur, et un particulier ?

On n’a pas spontanément envie de défendre Tapie. Mais dans le soulagement d’honorables hauts fonctionnaires et de vertueux parlementaires face à la chute d’un homme qui n’est pas de leur monde, on sent les remugles d’une vieille société d’ordres. Du haut de son impartialité autoproclamée, l’aristocratie d’État reste intouchable, quelles que soient ses défaillances avérées. Les salauds ordinaires, qui ne commettent que des « délits de bureau », ont tôt fait d’enterrer définitivement Gatsby.[/access]

 *Photo: France 2

 

Les patrons en treillis

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Nous, on veut bien admettre que la lutte des classes n’existe plus, que seule la CGT (et encore) et quelques syndicats archaïques refusent un dialogue social modernisé, détendu avec le patronat et que cela donne des accords win win à la clef,  du genre de l’ANI : « Tu te flexibilises quand je te le dis et je te sécurise quand j’aurai le temps ». C’est passé comme une lettre à la poste en janvier pendant que l’on s’étripait allègrement sur le mariage pour tous. Mais si la lutte des classes n’existe plus, il faudrait aussi l’expliquer au Medef qui tient à partir du 28 août son université d’été, la première de l’ère Pierre Gattaz.

Le langage est en effet plutôt guerrier, voire franchement belliciste. On sent que ça manquait de testostérone du temps de Laurence Parisot qui pourtant n’a pas démérité. Il est en effet question d ‘« art de la guerre », de « faire partager le goût du combat », de « chasser en meute ». On trouvera d’ailleurs parmi les intervenants un militaire de haut rang directeur du renseignement militaire et un universitaire, Xavier Raufer, spécialiste des « menaces criminelles contemporaines ». Classes laborieuses, classes dangereuses ?

On objectera qu’il s’agit sans doute de faire face pour nos patrons du Medef à une concurrence internationale féroce. Ca ne nous rassurera pas forcément. On sait bien que dans toutes les guerres, même économiques, c’est toujours la piétaille qui sert de variable d’ajustement et que les généraux meurent assez rarement au combat.

Syrie : Obama adepte de la méthode Clinton?

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obama clinton syrie

obama clinton syrie

L’indignation est bien mauvaise conseillère. Surtout en politique étrangère, où les grandes valeurs humanistes servent souvent de cache-sexe aux intérêts bien compris. Mais si les droits de l’hommistes s’aveuglent derrière des grands mots lénifiants, les souverainistes partisans de la realpolitik peinent à comprendre le poids de l’opinion dans les relations internationales. Ainsi de l’attaque chimique contre des civils qu’auraient perpétrée les troupes d’Assad dans la Ghouta, aux abords de Damas. Bien que la nature de ce bombardement ne soit ni plus ni moins avérée que ceux de ces derniers  mois, Obama, Hollande et les autres dirigeants occidentaux estiment qu’une ligne rouge a été franchie[1. Comme le confirment les archives déclassifiées de la CIA, lorsque Saddam Hussein employait des armes chimiques contre les civils iraniens, l’administration américaine Reagan fermait les yeux. À indignation sélective, ligne rouge sélective…]

Tous jugent l’« action de force » inévitable, dussent-ils se passer de l’aval d’une ONU paralysée par les vetos chinois et russes. Mais les mots sont des pièges : dans l’esprit d’Obama, une « action forte » ne signifie ni une opération militaire terrestre ni même des frappes aériennes massives susceptibles d’extirper Bachar Al-Assad de son palais ou de renverser la vapeur en faveur de l’Armée syrienne libre. Le chef des armées américaines voudrait frapper l’opinion, éviter de se dédire et ne pas pouvoir prêter le flanc aux accusations d’inaction, en ne visant que quelques cibles plus symboliques que stratégiques, histoire de ne pas trop remuer la poudrière moyen-orientale. Bref, justifier son prix Nobel 2008, décerné alors qu’il restait vierge de toute action présidentielle !

D’après certaines sources diplomatiques, on s’acheminerait vers une opération à grand spectacle, une sorte de répétition du rideau de fumée que le président Clinton avait orchestré à la fin de l’été 1998, en réponse au double attentat antiaméricain qui venait de secouer l’est de l’Afrique. Souvenez-vous, alors que l’affaire Monica Lewinsky battait son plein à Washington, deux explosions visèrent les ambassades américaines de Nairobi (Kenya) et Dar-es-Salam (Tanzanie), causant 224 morts et plusieurs milliers de blessés. À l’époque, on entendit pour la première fois parler d’un milliardaire saoudien hébergé par le régime des talibans, un certain Oussama Ben Laden, mécène du terrorisme jihadiste. Pour ne pas rester les bras ballants, Clinton lança précipitamment l’opération « Infinite Reach » moins de quinze jours après les attentats. S’ensuivit une série de bombardements de missiles Tomahawk sur des camps d’entraînement  afghans d’Al Qaïda et une usine pharmaceutique soudanaise suspectée de produire des armes chimiques. Bilan des courses : pas plus d’une trentaine de jihadistes tués, Ben Laden rehaussé d’un prestige international, et des milliers de Soudanais privés de médicaments, alors qu’aucune preuve tangible n’établissait le caractère suspect de l’usine Al-Shifa. Trois ans après ce baroud d’honneur, le 11 septembre 2001 remit sur le tapis la responsabilité du président Clinton : en avait-il vraiment fait assez contre Al Qaïda et son chef ? Les historiens nous le diront.

« Infinite Reach » ne se répétera peut-être pas sur les bords de l’Euphrate et de l’Oronte. C’est du moins ce qu’espère l’opposition syrienne qui, toutes tendances confondues, mise plutôt sur une resucée de la guerre d’Irak déclenchée en 2003, tant du côté des libéraux et des Frères musulmans que des salafistes qui rêvent d’en découdre avec l’armée américaine une fois les forces loyalistes syriennes définitivement défaites.

Obama et ses alliés étant acculés à l’action par la tyrannie médiatique, on peut raisonnablement parier sur une riposte graduée, voire une intervention express, qu’on nous annonce pour jeudi, au détriment de tous les autres scénarii. Contrairement aux apparences, cette hypothèse devrait ravir les tenants du statu quo. Dans une région morcelée par les conflits, ouvrir un nouveau front exposerait Israël sur son flanc nord et redorerait le blason des Frères musulmans après leur fiasco égyptien. Sans parler de ses possibles répercussions sur la situation de l’Irak et la question kurde ni des éventuelles représailles de l’État syrien, affaibli mais toujours debout, contre ses voisins turcs, jordaniens ou israéliens…  Vous avez dit Orient compliqué ? Afin de ne pas attiser le feu, la Maison blanche voudrait agir avec parcimonie, quitte à tourner bride le moment venu. Cela tombe bien, tous les pays indignés par les exactions de l’armée syrienne renâclent à engager leurs combattants sur un terrain d’opération aussi miné.

Ni maître du monde ni humaniste naïf, Obama risque de se comporter en chef d’Etat normal. Trop normal ?

Grand Journal deviendra petit

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grand journal caunes

grand journal caunesLe « Grand Journal » va mal. Good news !

« Assieds-toi au bord de la rivière, tu verras passer le cadavre de tes ennemis. » Ce proverbe supposément africain est assurément applicable sur tous les continents. Le « Grand Journal » n’est pas encore un cadavre, mais il est bien cabossé.

Pourquoi l’émission-phare de Canal+ serait-elle le symbole de l’ennemi alors qu’elle colle si bien à notre époque ? Eh bien précisément pour cela, même si elle semble aujourd’hui menacée de perdre son statut de porte-parole autorisé de l’air du temps, en l’occurrence du conformisme médiatique paré des atours de la rebellitude.

Le « Grand Journal » a perdu 13% d’audience entre avril 2012 et avril 2013, pendant que les talk-shows de France 5 et de Direct 8 explosaient ! Personnellement, le premier indice de cette chute m’a été fourni par une attachée de presse qui s’occupait d’un de mes livres : « Bon, on a le choix entre le “Grand Journal” et Alexandra Sublet. Y’a pas photo, j’envoie paître Canal, hein ? » Moi, je ne connaissais même pas « C à vous », mais l’idée de me friter avec Jean-Michel Aphatie au « Grand Journal » me plaisait bien. J’ai dû m’incliner.

Côté Canal, cela a commencé à turbuler à l’étage du management : les séquences en clair sont le tiroir-caisse de la chaîne. Évidemment, c’est Michel Denisot, le patron de l’émission, qui a dégusté. Ce qui a nourri dans tout le PAF les discussions de cafétéria. Pour les uns, c’était la mort du « Grand Journal » car une émission, « c’est d’abord un visage ». D’autres se sont félicités du coup de balai, sur le thème « place aux jeunes », ignorant que Denisot, loin de prendre sa retraite, s’apprêtait à lancer avec tambours et trompettes publicitaires un Vanity Fair français assuré d’une grande prospérité grâce au prestige du titre chez les annonceurs et les régies.

Quant au chroniqueur littéraire, Augustin Trapenard, qui a dû se fader la difficile succession d’Ollivier Pourriol, auteur d’un succulent On/Off (NiL), il a soutenu la direction avec toute la puissance de son petit cerveau, en affirmant en substance que, désormais, la culture ne pouvait plus être diffusée que sous forme de « piqûres légères ». Avec de tels défenseurs, la culture n’a pas besoin de fossoyeurs.

Pensant que la crise du « Grand Journal » était la crise du politiquement correct, je me demandais quel concept les dirigeants de Canal allaient sortir de leur chapeau pour sauver l’émission. Je me trompais. Salué par presque toute la profession et les journalistes média comme un génie du PAF, le directeur général de Canal, Rodolphe Belmer, a choisi l’option vintage – autrement appelée « c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes ». Pour succéder à Denisot, il a choisi Antoine de Caunes, un pionnier du « Grand Journal » : un peu court. En effet, si l’époque demande la fin de l’émission (sujet qui devra être traité au fond), comme elle a naguère exécuté le « Bébête Show » et bien d’autres, Antoine de Caunes aura du mal à la sauver, et ça ne fera pas pleurer dans les chaumières où l’on lit Causeur, en tout cas pas dans la mienne. [access capability= »lire_inedits »]Dans le cas inverse, je mangerai mon chapeau. Mais comme il est confectionné en fraises Tagada, je ne souffrirai pas trop.

L’Obs, au bazar des manifestes

Ce qu’il y a de bien dans la crise de la presse, c’est qu’elle stimule la créativité des éditeurs. Désolé, mais c’est encore Le Nouvel Observateur – après l’affaire Marcela Iacub, ici-même rapportée – que revient ce mois-ci la palme du foutage de gueule des lecteurs. Le 19 juin, veille de la parution de l’hebdomadaire qui, il y a quarante-deux ans, affichait en « une » le Manifeste des « 343 salopes » en faveur de l’avortement, le buzz commence dans les journaux radio : l’Obs s’apprête à publier un appel historique, signé par une dizaine de députés de droite et de gauche. Historique, assurément, à en juger par le titre : « Élus, abolissons nos privilèges ! » Une nouvelle Nuit du 4 août. C’est le moment, en effet, de tondre nos politiques, leurs retraites à double tiroir, leurs frais de mandats, leur réserve parlementaire opaque, etc.

Agacé d’avance par cette débauche de transparence, mais intrigué, on achète le journal, et là, on est scotché par le culot de l’éditeur. En fait de manifeste, les plumitifs se sont contentés de demander (par téléphone, imagine-t-on) à une dizaine de députés quelle réforme du Parlement ils jugeaient prioritaire. Traduction : « Dix propositions choc ». Aucun des députés ne savait que son interview constituerait la partie d’un tout présenté comme un manifeste. Aucun, a fortiori, ne connaissait l’identité de ses « co-signataires ». Toute la subtilité de l’opération, qui frisait la publicité mensongère, résidait dans la répartition prévisible des rôles : le journal annonçait en titre « Le coup de gueule de 10 députés » – qui était presque véridique –, laissant à la buzzosphère le soin de propager le terme « manifeste » – compte tenu de son caractère moutonnier, il suffisait d’un ou deux tweets pour que tout le monde suive. Il faut dire aussi que certains des députés victimes de cette opération de com’ ont trouvé l’idée fort judicieuse puisqu’on les a entendus défendre un appel qu’ils n’avaient pas signé.

Merci Mauroy !

On peut dire merci à Pierre Mauroy ! Le brave vétéran socialiste – dont tout le monde a oublié qu’il a quand même convaincu Mitterrand de prendre le tournant européiste et néolibéral de 1983, mais passons – a eu la vista de décéder au moment où se lançait une formidable campagne autour de la mort du jeune science-potard Clément Méric. Tout était en place : Méric était la victime d’un « printemps facho », perceptible à l’activisme de quelques groupes supposés être la face cachée du marinisme. Comme lors de l’incroyable affaire de Carpentras, où le Front national avait immédiatement été désigné comme le responsable des horreurs commises dans le cimetière juif de la ville, nombre d’éditocrates se tenaient prêts à dérouler l’habituelle rhétorique qui a propulsé le FN là où il est aujourd’hui : le langage de haine et de xénophobie constitue le terreau (qui lui ne ment pas) et entretient le climat propice au passage à l’acte des nazillons. Il y aurait donc une ligne continue allant de Marine Le Pen au skinhead bas du front et plein de bière qui chasse l’immigré ou l’antifa (au fait, quelqu’un peut-il m’expliquer pourquoi et quand a été supprimé le « f » de « faf » ?). Ce qui prouverait bien que le FN est « anti-républicain », et que l’UMP buissonisée prendrait le même chemin. Nous avons échappé à ce Carpentras-bis, de peu. La mort de Pierre Mauroy a raflé tout le gâteau télévisuel pendant trois jours, offrant au public ce que, sans doute, il adore : la nostalgie des années Mitterrand.[/access]

*Photo: Canal Plus