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Peines de probation : L’indécence d’Etat

taubira peines probation

Le président de la République, certes, ne fait pas honte à ceux qui l’ont élu à cause de son comportement personnel et de sa pratique du pouvoir. Le fond de sa politique, c’est autre chose !
Le Premier ministre ne cesse de rappeler, tant l’inverse est éclatant, que la seule ligne du gouvernement est de vouloir instaurer une justice à la fois ferme et efficace (France 2).
Mais, quand on a pris acte de cette dignité présidentielle et de cet affichage de rigueur, il y a le reste. Tout le reste.

Ce rapprochement ne regarde que moi mais je n’ai pu m’empêcher de relier ces derniers jours les reniements à répétition faussement habiles de Manuel Valls, le délire des jeunes socialistes éperdus devant Christiane Taubira, le triomphe de celle-ci à La Rochelle, l’annonce de la peine de probation et la mort héroïque, à 61 ans, de Jacques Blondel à la suite d’un vol à main armée à Marignane, dans un bar-tabac, par deux jeunes malfaiteurs dont l’un a tué celui qui avait eu le courage d’intervenir (Le JDD, Le Parisien, Le Figaro).

Une indécence déchirante et scandaleuse entre la réalité d’une société et ses tragédies au quotidien d’une part et de l’autre les jeux politiciens, le laxisme auquel l’idéologie de Christiane Taubira prétend donner ses lettres de noblesse et les applaudissements frénétiques de militants aveuglés.

Il est évident que le garde des Sceaux n’est pas coupable de chaque transgression délictuelle et /ou criminelle. Elle n’est pas embusquée derrière chaque acte odieux, chaque sauvagerie, chaque dysfonctionnement judiciaire mais le climat qu’elle crée par sa politique ou plutôt son absence oralement somptueuse de politique – attendons le 30 août – ne manque pas d’avoir une incidence sur l’inventivité sombre de notre société et de certains de ses membres, tant la faiblesse proclamée, théorisée et approuvée au plus haut niveau facilite la libération des pulsions délétères de citoyens qui s’accommodent fort bien d’une France qui se laisse aller, qui laisse aller.

Comment en effet ne pas s’émouvoir de l’unique préoccupation de la ministre qui est de réduire la surpopulation carcérale au risque, démontré chaque jour, d’amplifier l’insécurité ? Comment les transgresseurs d’aujourd’hui ou de demain, qui ne sont pas tous obtus et engendrés par la désinsertion sociale, seraient-ils retenus d’accomplir le pire quand seule la prison est dénoncée, et ses conséquences néfastes réelles ou fantasmées, mais jamais son utilité et sa triste nécessité affirmées ?

Le problème crucial, en ces temps où, quoi qu’on pense des statistiques, la délinquance et la criminalité ne baissent pas impose non pas d’éviter coûte que coûte l’enfermement à ceux qui le méritent mais au contraire de mettre fin à la scandaleuse inexécution d’au moins 100 000 peines. Si on tient à s’apitoyer avec efficacité, il s’agit au moins en même temps de composer avec cette surpopulation – qui est une donnée incontestable – en tentant par diverses modalités d’y remédier, tout en assurant la sauvegarde des personnes et des biens. La surpopulation ne démontre pas qu’il y a trop de condamnés mais qu’il n’y a pas assez de prisons. Et qu’on me fasse la grâce de ne pas prendre une telle pensée pour une sévérité maladive mais pour un constat lucide.

Ce qui me semble vicier fondamentalement la mansuétude doctrinaire de la garde des Sceaux est le soupçon absurde, implicitement ou explicitement exprimé, qu’une pluralité de possibles, en face des infractions de toutes sortes, est à la disposition des magistrats qui pourraient choisir à tout coup les solutions non carcérales sans offenser l’intérêt social ni sous-estimer la dangerosité de certains parcours de rupture et de violence.

Cette approche si peu fondée est d’autant plus aberrante que notre système judiciaire, gauche et droite confondues, a poussé jusqu’à ses extrêmes limites, voire ses limites insupportables, l’exigence de la répression, notamment avec le recours carcéral, et sa négation immédiate avec les aménagements. Christiane Taubira n’est pas l’initiatrice de cette contradiction entre la fermeté de la décision pénale et, sans attendre, l’indulgence de son exécution. Rachida Dati, le 28 juillet 2008, avait déjà évoqué la prison hors les murs avant de faire voter la loi pénitentiaire, par certains côtés burlesque, du 24 novembre 2009 qui permettait de désavouer sur-le-champ les jugements des tribunaux correctionnels.

La différence considérable entre l’une et l’autre de ces gardes des Sceaux est que la première agissait avec un empirisme dévastateur et sans souci de logique tandis que la seconde se pique de doctrine, de philosophie et de dogmatisme. Dati improvisait avec désinvolture tandis que Taubira prend sans cesse l’air important pour faire illusion. Le flou désordonné puis le flou pédant maintenant.

Maintenant – quelle gloire d’annoncer cela à La Rochelle devant des militants en manque de vraie gauche compassionnelle, abstraite et absolument pas opératoire ! -, Christiane Taubira sort de l’imagination de ses services influencés et de sa Commission du consensus gouvernée, la peine de probation. Comme si elle faisait un cadeau à la société.

Pour les infractions punies par 5 ans d’emprisonnement au maximum, le tribunal correctionnel pourra ajouter à sa panoplie la peine de probation excluant la prison et prévoyant un encadrement et un soutien pour le prévenu laissé en liberté parmi nous.

Cette sanction, outre qu’elle va encombrer une palette répressive déjà fournie et largement suffisante pour des juges capables d’appréhender la complexité des situations et des mis en cause, la nature de leur profil judiciaire – notamment le sursis avec mise à l’épreuve du même registre -, va obérer encore davantage, sur le plan des moyens humains et matériels, la pénurie des services de l’application des peines.
Celle de probation doit être vraiment inadaptée et impraticable puisque la gauche judiciaire, représentée médiatiquement par Le Monde, en dépit de son inconditionnalité pour la ministre et de son hostilité pour son collègue de l’Intérieur, n’a pas hésité à l’apprécier déjà négativement. C’est dire !

Pour finir, penchons-nous sur le jeune destin – 18 ans – de l’un des deux malfaiteurs, l’autre étant toujours recherché, impliqué dans le vol à main armée et directement ou indirectement dans le meurtre de Jacques Blondel. On a appris qu’il avait été condamné pour une douzaine de délits, notamment pour des vols avec dégradation ou effraction, et à trois reprises par des juges pour enfants. Lors de la perpétration du « braquage », il exécutait une sanction de quatre mois avec sursis probatoire (quasiment la peine de probation !) et avait répondu à la plupart des convocations. Ce contrôle et cette surveillance avaient été aisément compatibles, pour lui, avec l’acte criminel commis avec un jeune inconnu dans l’intervalle de son apparente normalité (nouvelobs.com).

La peine de probation, si elle est adoptée, aura-t-elle cet effet nul et lamentable sur la sécurité de tous et la sauvegarde des commerces ? A force de vouloir éviter la prison même quand elle est nécessaire, va-t-on laisser les citoyens à la discrétion de la seule bonne volonté de tel ou tel, penchant du bon côté ou acharné à récidiver gravement ?

Je ne veux pas voir se multiplier les victimes, les héros comme Jacques Blondel. Dans une démocratie exemplaire, les caractères d’élite et de courage, les civismes admirables renforcent l’action persévérante et efficace de l’État.

Ils ne s’y substituent pas.

Frigide Barjot : Pour tous!

frigide barjot pour tousDepuis le 23 avril, la loi Taubira est votée. Et depuis le 23 avril, l’appareil de La Manif pour Tous ne sait plus où il habite. Les nouveaux dirigeants de LMPT l’ont fait muter en LMPT-SCQSPCN, La Manif Pour Tous-Sauf Ceux Qui Sont Pas Comme Nous.

En continuant d’exiger le retrait pur et simple de la loi Taubira, on joue à faire « comme si ». Comme si le temps s’était arrêté. Comme si cette loi n’avait pas été légalement votée, promulguée et déjà appliquée. Comme si notre mouvement n’avait pas, dès l’origine, mis sur la table la question des droits légitimes des homosexuels.

Pourtant il était convenu de longue date avec l’aile « réseaux-cathos» de  LMPT qu’en cas de vote de la loi, on ne se braquerait pas sur l’ « abrogation sèche » du texte, désormais impensable même en cas de changement de majorité ! On passerait à la phase 2  du mouvement : la revendication d’une réforme de fond inscrivant dans la Constitution la filiation issue de l’union homme/femme, donc du mariage, et le remplacement du psychédélique « mariage-pour-tous » par une loi d’alliance civile, garantissant des droits égaux à tous les couples en tant que tels, quelle que soit leur orientation sexuelle.

Le 23 avril, cette évolution républicaine de la contestation nous été refusée. Une savante orchestration interne de commandos « anti-CUC[1. Contrat d’Union civile]», avec SMS menaçants, lettres anonymes, banderoles et pancartes ad hoc, ont eu raison de notre ligne d’avenir « pour tous », garantie d’origine. Devant l’interdiction de prononcer l’expression désormais blasphématoire d’ « union civile », c’est la mort dans l’âme et les larmes aux yeux que j’ai choisi de ne pas venir manifester le 26 mai dernier.[access capability= »lire_inedits »]

Être interdite de parole dans un mouvement dont on est la porte-parole « historique », surtout quand il se revendique de la liberté d’expression n’est pas bon signe pour le mouvement.

Certes il est normal qu’une telle mobilisation spontanée excite aujourd’hui nombre de convoitises. Elle fut riche à millions de bonnes volontés et d’enthousiasmes désintéressés. Mais qu’en faire maintenant ? Le danger, c’est la mentalité obsidionale, le repli sur soi et finalement la stérilisation – au nom de la vie !

Ainsi les « Hommen » mènent-ils désormais une campagne répugnante contre Hervé Mariton, qui fut pourtant notre meilleur mousquetaire parlementaire. L’impardonnable crime de cet élu du peuple ? Avoir affirmé qu’il respectait la loi, et ne refuserait donc pas de marier des couples homos en sa mairie de Crest. Hérétique, schismatique et scandaleux !

Il y a aussi Laurence Tcheng, pionnière de l’aile gauche de LMPT, instamment priée de retourner en « Noichie » par des « identitaires » qui ne déclinent même pas leur propre identité. Sans parler de ma tignasse menacée d’être « tondue » pour l’exemple.

J’en appelle aux cathos authentiques, sortis enfin des catacombes pour communier avec le pays entier. Ils commettraient une grave erreur en suivant ceux qui les incitent à retourner au chaud dans leur ghetto. Le dogme catholique sans l’humanisme chrétien, c’est la lettre sans l’esprit; c’est la cerise confite sans le gâteau.

Notre mouvement doit rester en phase avec la société tout entière. Depuis le début du débat, celle-ci n’a cessé de dire majoritairement oui à l’union des homosexuels, et massivement non à la perspective d’une procréation artificielle et tarifée. Sous peine de tout perdre, c’est sur cet essentiel qu’il ne faut « rien lâcher ». Ni personne.[/access]

Discours du MJS à La Rochelle : le best of

Aux distraits qui ont raté le discours de Thierry Marchal-Beck, président du MJS, à l’université d’été du PS ce week-end à La Rochelle, nous livrons la substantifique moelle de ce long poème bureaucratique. Puisque l’art de l’éloquence ne connaît aucune règle fixe depuis Cicéron, flânons au gré de nos envies.

Une petite digression utopique : « la plus grande révolution de la France de 2025 c’est que la Nation est devenue un symbole de l’égalité femme-homme à travers le monde. Notre service public de la petite enfance est à faire pâlir ceux d’Europe du nord et on ne compte plus les crèches s’appelant Olympe de Gouges, Suzanne Lacore, Yvette Roudy, Simone Weil, Najat Vallaud-Belkacem ».  Pris par sa faconde progressiste, le jeune homme à l’éternel t-shirt pense sans doute que Simone Weil a légalisé l’IVG, au lieu d’être l’auteur de L’enracinement

Passons du coq à l’âne. Lorsque Marchal-Beck pérore au terme d’une université d’été tout entière axée sur la lutte contre le FN – Harlem Désir n’étant toujours pas décidé à changer une technique qui perd… -, la vérité s’ouvre enfin à nous. Un spectre hante la France : l’islamophobie ! « Permettez-moi, car trop de choses ont été dites depuis dix ans, car trop de mal a été fait, de m’adresser aux français de confession musulmane. Je n’aurais que quelques mots à vous dire : les Jeunes Socialistes feront tout leur possible pour qu’on vous fiche la paix (…) Nous n’accepterons jamais que certains posent une question musulmane comme hier d’autres posaient une question juive. » Bref, back to the thirties !

Last but not least, admirons cette envolée d’une rare audace : « Et si tous ensemble nous affirmons haut et fort que nous sommes le camp du progrès, que nous sommes le camp de l’égalité. » Tout à fait Thierry…

Valls hésitation

manuel valls taubira

Manuel Valls est à la fois remarquable et décevant. Bien avant la primaire socialiste pour l’élection présidentielle, on n’ignorait pas que grâce à lui on aurait l’avantage d’un socialisme de la vérité plutôt que de la vérité d’un socialisme avec tout ce qu’elle impliquerait d’idéalisme et de dogmatisme mêlés. Il y avait déjà, latente, invisible, l’opposition à venir entre lui et une Christiane Taubira.

Omniprésent et rigoureux lors de la campagne victorieuse de François Hollande, il était attendu, espéré comme ministre de l’Intérieur et, pour ma part, je continue à penser que, dans ses actions et ses propos, non seulement il n’a pas déçu mais qu’il est parvenu à porter haut et clair l’affirmation d’un réalisme non cynique et et d’un pragmatisme tentant au mieux de concilier efficacité et humanisme, le cœur et les mains si j’ose dire.

Le reproche qui lui a été souvent fait de « faire » du sarkozysme est absurde. D’une part le bilan de Nicolas Sarkozy comme ministre de l’Intérieur à deux reprises n’a pas été à ce point brillant qu’il puisse servir de modèle et constituer un terreau à partir duquel il aurait fallu forcément concevoir ses entreprises. D’autre part, la structure même du ministère de la Place Beauvau conduit son titulaire à multiplier les interventions, les déplacements et les prises de position.

L’essentiel n’est pas dans la forme de l’action mais dans le fond, dans le contenu de l’action elle-même et dans la substance des discours et des explications qui l’accompagnent, dans le climat qui l’entoure. Sur ce plan, rien à voir entre entre l’exacerbation agitée de Sarkozy et le volontarisme pugnace mais maîtrisé de Valls. Puis-je soutenir que je suis rassuré quand j’entends ou je lis les contradictions que les adversaires de Manuel Valls prétendent lui opposer ?

Pour Razzy Hammadi, « Manuel Valls ne rend pas service à la gauche en mettant au centre de la rentrée les questions de l’immigration, du voile à l’université ou de la compatibilité de l’islam avec la démocratie. » (Libération). Alors que c’est exactement l’inverse. C’est en les faisant entrer dans le débat socialiste, grâce à sa force d’argumentation et au nom de convictions déjà anciennes, que le ministre console ceux qui en ont assez du seul ciel idéal des principes pour compenser la dureté de situations sociales et transgressives, et pas seulement à Marseille. Manuel Valls oblige à un retour au réel pour mieux le transformer une fois qu’il est connu et analysé sans fard. Dur pour les éthérés de rejoindre la terre.

Cécile Duflot et les écologistes se vantent, par ailleurs, d’être très hostiles aux conceptions et à la politique de sécurité et de justice de Manuel Valls. Mais j’ai beau apprécier la première, je ne suis pas étonné que son ignorance de ces problèmes et son rousseauisme superficiel lui fassent prendre parti en faveur de Christiane Taubira. Les poncifs pénitentiaires qu’elle égrène quand elle se pique de se mêler de de ce qui n’est pas son champ de compétence sont navrants (Libération).

Je sais bien aussi qu’on dit le président de la République agacé par l’éclat médiatique et la surabondance ostensible de ce ministre. Mais François Hollande est trop fin pour ne pas vite recouvrer son calme. Il ne peut pas se permettre de perdre à nouveau un ministre brillant alors qu’il a déjà dû se séparer heureusement de Jérôme Cahuzac, malhonnête homme mais professionnel redoutable et avisé.

Le président de la République aurait d’autant moins de justification de s’en prendre, fût-ce du bout de son ironie ou de sa causticité, à Manuel Valls et que ce dernier – c’est ce que je lui reproche fondamentalement – ne sort pas d’une Valls hésitation à la longue épuisante pour ceux qui rêvaient de lui voir non seulement une compétence et une excellence ministérielles – elles ont été démontrées – mais un caractère et un courage politiques – on les attend. Tout recadrage présidentiel est inutile puisque Manuel Valls anticipe et se replie.

On va taxer d’immature mon grief en me traitant de naïf ignorant des subtilités de la solidarité gouvernementale, des aléas de la politique politicienne et de la construction d’un destin présidentiel, le moment venu, qui impose des silences, des abstentions, des lâchetés et des rétractations.

Mais tout de même !

Alors qu’il a marqué au fer rouge l’antagonisme fondamental – une vraie fracture au sein de la gauche – entre Christiane Taubira et lui-même en prenant la peine de le formaliser dans un courrier au président de la République, à peine l’orage levé, au lieu de l’exploiter et d’en tirer profit pour son avenir et son identité, il rebrousse chemin, affiche une réconciliation ostensible avec le garde des Sceaux et rentre dans le rang avec une flatterie tactique à l’égard du gouvernement et du président qui trancheront. Je regrette que Manuel Valls propose des avancées, formule des provocations et proclame sa singularité puis qu’il nous contraigne à les tenir pour rien puisque chaque lendemain détruit les fulgurances nécessaires de la veille.

Il a jeté, paraît-il, « un froid polaire » lors du séminaire gouvernemental consacré à cet avenir consolant arrêté en 2025 en évoquant nettement et sans complaisance les risques futurs de l’islam, de l’immigration, si on laissait faire, et les limites du regroupement familial (Le Parisien). Quel bonheur de lire cela pour tous les adeptes, dans notre démocratie, d’une gauche plausible et opératoire, ne se cachant pas derrière ses valeurs qui ne s’usent jamais car trop rarement confrontées à la vie collective et à l’inventivité sociale avec ses effets déplorables.

Mais, à peine l’information dévoilée, Manuel Valls l’a occultée, en a amoindri les conséquences roboratives en déclarant n’avoir jamais parlé du regroupement familial lors de cette réunion gouvernementale. Son intelligence et son intégrité l’incitent à la vérité mais son sens politique, croit-il, lui impose le devoir de la dissimuler ou de l’atténuer. Ses avancées de lucidité sont altérées par ses reculs de manœuvrier.

Pire que tout, les interventions de Manuel Valls, notamment devant les socialistes réunis pour juger de sa conformité à la ligne, ont viré au désastre parce que Christiane Taubira, infiniment plus fine que lui, a obtenu un accueil de star, délirant d’enthousiasme, en flattant les jeunes socialistes dans le sens du poil idéologique et irresponsable et en recueillant une embrassade de son amie Martine Aubry présente et silencieuse à la fois (JDD).

Ne cédant rien au ministre de l’Intérieur, elle a rétrospectivement rendu dérisoires et décalées les protestations de socialisme de ce dernier, son affirmation enflammée sur son appartenance à la gauche et quasiment sa rétractation sur ses propos lucides sur l’islam et l’immigration tenus quelques jours auparavant. Il poussait même le masochisme lors de cette séance de repentance jusqu’à rendre hommage au garde des Sceaux qui elle-même se gardait bien de lui rendre la pareille.

Christiane Taubira a peut-être commis une seule erreur résultant directement de sa certitude de se trouver en terrain conquis à La Rochelle, victorieuse sans avoir été obligée de livrer bataille, son adversaire apparent ayant jeté l’éponge par cette étrange manie, chez lui, de manquer d’audace et de ne jamais oser franchir à temps la ligne d’avantage.Trop préoccupé par la ligne socialiste. La ministre a annoncé ses projets comme si l’arbitrage prévu le 30 août avait déjà été rendu et qu’elle était assurée de l’avoir remporté. Certes, le Premier ministre a rectifié cette arrogance prématurée mais j’espère qu’il n’oubliera pas cette désinvolture si persuadée de son triomphe à venir.

Si Manuel Valls continue sur ce registre, il est clair qu’on ne pourra plus jamais compter sur lui pour opposer la réalité à sa collègue éprise d’elle-même et de ses fantasmes. Mon seul espoir réside en André Vallini qui pour être à l’extérieur du gouvernement développe une vision de la sécurité et de la justice dont notre garde des Sceaux aurait dû s’inspirer.

Je serais désolé si cette Valls hésitation, ces contritions systématiques, en définitive le réduisaient sur les deux plans, celui du socialisme de la vérité et celui de Manuel Valls espoir pour une autre gauche.

Demain.

Fini les cachotteries !

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Eugene-ZamiatineCes derniers mois, la transparence est la grande affaire de la France. Les élus déclarent leur patrimoine et les journaux publient des listes qui ressemblent à des proscriptions. Même le « mariage pour tous », quoi qu’en pensent ses partisans comme ses opposants, répond à cette exigence de transparence. Les homosexuels mariés veulent être vus : ils veulent en finir avec l’opacité et la marge. On peut les comprendre. Mais cela crée un climat étrange, dans lequel tout est surexposé au nom de la pureté des intentions. C’est l’enfer de la gentillesse, l’intrusion bienveillante et permanente dans l’intimité, à l’image de la convivialité obligatoire dans les zones pavillonnaires rurbanisées de la classe moyenne. Un enfer climatisé et translucide anticipé par Eugène Zamiatine dans Nous autres, publié en 1923.

Zamiatine est le moins connu des trois grands prophètes de malheur du XXe siècle. Il est resté dans l’ombre d’Orwell et de Huxley. Tous ont été rattrapés par le réel. La lecture de 1984 a, depuis longtemps, dépassé la dénonciation du stalinisme et s’applique merveilleusement à nos sociétés occidentales : réécriture permanente du passé, « Semaine de la Haine » désignant les monstres du moment à la vindicte universelle, ou encore surveillance panoptique de nos rues et de nos ordinateurs. Le Meilleur des mondes de Huxley érige l’eugénisme en méthode de gouvernement.[access capability= »lire_inedits »] Nous y sommes aussi, ou presque : on s’amuse à faire à peu près n’importe quoi avec le vivant, on congèle des embryons pour d’éventuelles manipulations et des ventres sont loués par des mères porteuses, en attendant que les fœtus se développent dans des utérus artificiels.

Zamiatine décrit une société fondée sur l’harmonie mathématique − on dirait aujourd’hui informatique − d’une fourmilière. Chaque citoyen est désigné par un numéro – le narrateur, par exemple, s’appelle « D-503 ».Mais la fourmilière est transparente. C’est la grande intuition de Nous autres. Le terme n’est pas à prendre de manière métaphorique. Les citoyens vivent vraiment dans les « divins parallélépipèdes des habitations transparentes » d’où ils se voient les uns les autres.

Le système a tout de même prévu deux « Heures personnelles ». Vous pouvez vous promener à votre guise. Ou vous cacher pour faire l’amour : « À ces heures, certains ont baissé sagement les rideaux de leurs chambres. » Mais D-503, comme tous ses concitoyens, espère tôt ou tard en finir avec cet archaïsme des « Heures personnelles ». Pourquoi ai-je la fâcheuse impression que nous autres, ces jours-ci, nous devenons tous des D-503 ?[/access]

*Photo: Playtime, de Jacque Tati

Liban : vous avez dit FPLP-CG ?

Vendredi matin, l’aviation israélienne a bombardé une base libanaise du « Front Populaire de Libération de la Palestine-Commandement Général » en riposte au tir de quatre missiles lancés depuis le sud du pays du Cèdre. Bien qu’un étrange groupuscule affilié à Al-Qaïda ait revendiqué l’attaque anti-israélienne, Tsahal comme des officiers de renseignements libanais montrent du doigt le fameux « FPLP-CG ». Quésaco ? Ce mouvement à l’appellation martiale est une des multiples scissions du Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP) créé par Georges Habache en 1967[1. Parmi les innombrables ramifications issues de cette même souche, citons également le FPLP-Opérations Spéciales de Wadie Haddad, célèbre pour ses attentats spectaculaires commis avec le concours du vénézuélien Carlos, ou encore le Front Démocratique de Libération de la Palestine (FDLP) que Nayef Hawatmeh fonda en 1969 au nom de la lutte idéologique maoïste. Cette dernière branche se voit dénoncée pour sa trop grande modération depuis la poignée de mains entre son fondateur et le président israélien en 1999. Le 11 septembre 2001, il se trouva pourtant un petit plaisantin pour revendiquer les attentats contre l’Amérique au nom du FDLP en téléphonant à une chaîne satellitaire arabe !], qui compta notamment parmi ses compagnons de route le captif amoureux Jean Genet.

Comme Habache, Ahmed Jibril appartient à la diaspora palestinienne et se revendique nationaliste, marxiste et laïc. Mais en 1969, la proximité de Jibril avec le régime syrien (déjà) baathiste – qui emprisonna un temps Habache – provoque le divorce entre les deux hommes, et la création d’un groupe inféodé à Damas, le FPLP-CG. Longtemps, Jibril a vécu dans la capitale syrienne, avant que les remous de la guerre civile ne l’incitent à déménager sur la côte alaouite, à Tartous, près du fief historique des Assad. Sa modeste unité de combat vivant au rythme des intérêts syriens, on entend rarement parler du FPLP-CG depuis la grande réconciliation libanaise scellée à Taëf (1990).

En ce mois d’août, peu après que le président libanais Michel Sleimane a attaqué dans des mots à peines couverts l’Etat dans l’Etat que forme le Hezbollah libanais, une pluie de roquettes s’est abattue aux alentours de son palais de Baabda. L’enquête semble orienter l’origine du tir vers des positions du… FPLP-CG, non loin de la frontière syrienne. À plus de quatre-vingt-cinq ans, Ahmed Jibril vit les dernières heures du terrorisme palestinien d’extrême gauche, aujourd’hui à son crépuscule. Citant Che Guevara, son meilleur ennemi Habache aimait plastronner que «les révolutionnaires ne meurent jamais». On peut sans doute en dire autant des terroristes.

Tinto Brass, le vénitien cul…te

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tinto brass la cle cinemaLa silhouette rondouillarde de Tinto Brass est aussi célèbre en Italie que les frasques de Berlusconi ou les facéties de Beppe Grillo. Lunettes noires, cigare égrillard, cheveux plaqués, le verbe haut, la main baladeuse, Tinto aime choquer les bien-pensants, la morale bourgeoise et les cul-bénits. Subversif et sensuel comme tous les vénitiens qui se respectent, il est un visage familier de la télé transalpine depuis une quarantaine d’années. Il ne rate pas une occasion de provoquer, de transgresser, d’apporter sa petite note grivoise sur les plateaux : une hygiène de vie respectable, voire salutaire, dans un pays englué dans les affaires de calotte et de parlotte.

Massimiliano Zanin lui rend hommage dans un documentaire projeté à la Mostra de Venise (du 28 août au 7 septembre) qui retrace sa carrière. Ses manières bouffonnes, cette lippe goulue, cette faconde de bonimenteur ont toujours été sa façon à lui de promouvoir un cinéma érotique original et de braver la censure. Ne vous fiez pas aux apparences, si le cinéaste filme ostensiblement les fesses (les pleines et entières ont sa préférence), les poitrines généreuses et le sexe des femmes, il n’appartient pas à la catégorie infâmante des pornocrates de bas étage. Tinto Brass est l’inventeur d’un cinéma joyeux où le désir est au centre des ébats, mais aussi d’un cinéma politique, éminemment révolutionnaire, où le machisme méditerranéen est mis à mal. C’est aussi et surtout un cinéma nostalgique : celui de l’enfance, de la montée du fascisme, de l’attrait des bordels et du secret des alcôves. Tinto Brass est déroutant à plus d’un titre. Inclassable. À la fois héritier de la comédie italienne et de la Nouvelle Vague. Populaire et érudit. D’une grande culture, il poursuit ses obsessions (le voyeurisme en fait partie) et plaque sur les bobines ses pulsions, troublant le spectateur qui s’attendait seulement à voir des filles à poil.

Avec Tinto, vous en verrez, rassurez-vous : il ne trompe pas sur la marchandise. Mais il a le don de brouiller les pistes, de vous acculer dans votre fauteuil. Vous n’êtes pas prêts d’oublier certaines scènes de « Salon Kitty » (1975) où le cinéaste mêle prostitution et espionnage dans la reconstitution historique d’une maison close berlinoise durant la Seconde guerre mondiale. Âmes sensibles s’abstenir. Tinto Brass va très loin. Peu de cinéastes ont aussi bien retranscrit à l’écran, ces années noires, son réquisitoire contre Hitler et Mussolini vaut toutes les leçons de morale. L’abjection nazie y est probante. On est loin des gentilles potacheries érotiques de Max Pécas et Philippe Clair. Diplômé en droit, Tinto Brass travailla trois ans à la fin des années 50 comme archiviste à la Cinémathèque Française qui lui a consacré une rétrospective en 2002 intitulée « Eloge de la chair ». Son séjour à Paris le marqua durablement. Ce francophile de cœur qui ose tout, Stendhal et gros tétons, Chateaubriand et touffes foisonnantes, garde un attachement à notre culture. « En France, le sexe est considéré comme un grand spectacle et on me reconnaît la qualité d’auteur » se réjouit-il. Avant de se lancer dans le cinéma cochon, Brass a été assistant réalisateur chez Rossellini, et au début des années 60, il a même dirigé Alberto Sordi, Silvana Mangano ou encore Jean-Louis Trintignant (La mia signora, Il disco volante, Col cuore in gola, etc…) dans des longs métrages salués par la critique.

Après le succès de Caligula en 1979, film à gros budget dans lequel il réussit deux exploits : renier totalement cette œuvre car son producteur y avait inséré des scènes « porno » sans son accord et dénuder « The Queen », l’actrice Helen Mirren qui y apparaissait en tenue d’Eve, Tinto s’est donné pour mission de mettre à nu de plantureuses actrices. Les sylphides peuvent passer leur chemin, elles n’intéressent pas le réalisateur. Ses faits d’armes paraissent impensables à notre époque où les actrices gèrent leur carrière comme des expertes-comptables. En 1983, il convainc Stefania Sandrelli de jouer nue dans La Clé. Stefania a tourné avec Ettore Scola, Melville, Chabrol, Bertolucci, Comencini, etc…Elle est une figure du cinéma italien pas une strip-teaseuse qui cachetonne. Elle accepte pourtant de se montrer sans artifice, corps mature, peau laiteuse, rondeurs charnelles, nous donnant rendez-vous alors avec Renoir et Rubens. Frank Finlay, acteur de théâtre britannique, nommé aux Oscars accepte de l’accompagner dans le Venise des années 40. L’Italie pudibonde la conspue, la presse dite sérieuse l’insulte, mais Stefania prouve qu’elle est une immense actrice. Tinto ne s’était pas trompé en la choisissant. La Clé ouvre la porte à un cinéma érotique italien audacieux, irrévérencieux et glandilleux à souhait. En 1985, Tinto Brass récidivera avec Serena Grandi, brune charpentée, danseuse de Mambo italiano, impudique et perverse qui exaltera une puissance érotique peu commune. Et beaucoup d’autres actrices suivront ce chemin coquin : Deborah Caprioglio dans Paprika, Claudia Koll dans All ladies do it ou l’inoubliable Anna Galiena dans Senso 45. Depuis la mort en 2004 de Russ Meyer et la disparition en fin d’année dernière de Bénazéraf, Tinto Brass est le dernier survivant d’un cinéma cul-te.

*Photo: La clé, Tinto Brass avec Stefania Sandrelli

Gandolfini, contrat rempli

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james gandolfini soprano

Il est toujours troublant d’être dévasté par la disparition d’un homme qu’on n’a jamais rencontré. Je me souviens parfaitement du jour où j’ai vu Les Soprano pour la première fois.  Je travaillais à Télérama à l’époque, et nous avions reçu les premiers épisodes en version non sous-titrée, un tas de cassettes VHS reliées par un élastique. Je m’y étais collé, car personne d’autre ne pipait un mot d’anglais dans la rédaction. J’avais regardé les six premiers épisodes d’une traite dans un bocal de visionnage de la rue de Naples. Un choc majeur. J’en étais ressorti sidéré par la qualité des dialogues, du casting, de la réalisation, la beauté subjuguante des images du directeur photo Alik Sakharov, et la présence animale, inquiétante et douce à la fois de l’ours Gandolfini. Personne n’avait jamais filmé le New Jersey et ses habitants avec un tel réalisme. On était chez Bruce Springsteen période Nebraska, un truc gris et triste, où chacun survit comme il peut, y compris les petites mains de Cosa Nostra et leur famille. La série était une grande claque dans la figure, une révolution dans la manière de raconter des histoires à la télévision.  Il s’agissait à l’évidence d’un chef-d’œuvre, tourné en 35mm, avec les moyens du cinéma, et la volonté de redonner toute sa noblesse au concept de série, en ignorant les grosses ficelles qui plaisent aux annonceurs et aux ménagères. David Lynch avait tenté le coup avec son formidable Twin Peaks, mais n’avait pas tenu la distance.  Les Soprano était armé pour réussir l’improbable grand chelem : plaire à la fois aux cinéphiles et au grand public.[access capability= »lire_inedits »] La série était tellement géniale et si bien documentée que même les vrais mafieux sont rapidement devenus accros, comme en ont témoigné des écoutes du FBI.

J’avais immédiatement pris le premier avion pour Los Angeles pour rencontrer David Chase, le créateur et showrunner[[1].  D’après Wikipedia, le showrunner,  ou auteur-producteur est, dans l’univers du cinéma et de la télévision, la personne responsable du travail quotidien sur une émission ou une série télévisée.] de la série. Chase est un intello italo-américain, modeste et raisonnablement dépressif (comme beaucoup de gens intéressants), un amoureux du cinéma européen, qui se sentait mal à l’aise devant ce succès improbable au royaume de l’entertainment. Il n’en revenait pas qu’on vienne de France pour le faire parler de son travail. Il n’avait qu’une crainte : celle que le buzz retombe comme un soufflé, et que la chaîne HBO (le Canal Plus américain) ne signe pas pour une saison supplémentaire. De retour à Paris, une interview-fleuve sous le bras, je réclamais le minimum : la couverture du journal. Les Soprano ne méritait rien de moins. Je me souviens, pour l’anecdote, d’un débat improbable avec la rédac’ chef, l’inénarrable Fabienne Pascaud, qui ne comprenait pas l’intérêt de gâcher des pages pour ce machin amerloque. À sa décharge, sa série préférée était Derrick, ce qui résume bien ses critères esthétiques et explique ses choix éditoriaux parfois hasardeux. Bref, adieu la « une ».

Non seulement HBO a signé pour une deuxième saison, mais la série est devenue un phénomène grandissant tout au long de ses six saisons d’existence. Et ce, uniquement pour de bonnes raisons : aucune autre série n’arrive à la cheville de cette saga addictive, drôle et cruelle, et James Gandolfini réalise quatre-vingt-six heures durant — mention spéciale aux séquences récurrentes chez sa psy — une performance d’acteur unique dans les annales du cinéma et de la télévision. Tony Soprano est gros, vulgaire, violent, inculte, mais il est aussi doux comme un agneau, proche de sa famille, et se sent coupable à chaque fois qu’il rentre à la maison après avoir baisé une pute ou exécuté un concurrent. C’est tout le talent de James Gandolfini, acteur au charisme unique, que de susciter une empathie universelle pour son personnage. Les mecs rêvent d’être Tony Soprano pour inspirer le respect et vivre une vie de gangster (cigare, sexe, alcool, pas d’horaires de bureau). Et toutes les femmes aiment Tony car c’est un bon père de famille, une bête de sexe, un ours en peluche puissant et rassurant – et en prime il gagne bien sa vie.

En faisant d’un mauvais garçon le héros d’une saga de cette ampleur, Chase et Gandolfini ont réinventé la série américaine, et singulièrement ringardisé le cinéma traditionnel. Comment raconter quoi que ce soit de nuancé et détaillé en 90 minutes quand on peut suivre des personnages pendant 86 heures ? Depuis Les Soprano, le « format série » a prouvé qu’il pouvait être au cinéma ce que le roman russe est à la brève de comptoir : une ambition supérieure. Depuis le clap de fin, les héritiers de David Chase se sont enfoncés dans la brèche avec talent : il y a plus de créativité et d’intelligence dans un épisode de Mad Men ou de Breaking Bad que dans l’immense majorité des films qui sortent en salle.

Gandolfini est mort foudroyé par une crise cardiaque en Italie. Pour les amoureux des Soprano, l’info n’est pas anecdotique. Le parrain de la mafia du New Jersey était en vacances « in the old country », comme disent les Italo-Américains, « le pays des origines », qui faisait l’objet d’un culte dans la série (et d’un épisode d’anthologie, « Commendatori », saison 2, épisode 4). C’est idiot mais cela me réchauffe un peu le cœur de savoir que Gandolfini a terminé sa vie en Italie, en mangeant ses plats favoris, les célèbres « gabagool », « scharole » et autres « canolli », dont il s’empiffrait goulûment à chaque épisode.[/access]

So long, Tony.

 

 

Quand les espagnols libéraient Paris

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Tu t’appelais Fermín, Manuel, Germán, Faustino, Luis, Daniel, Victor, Rafael,…

Tu étais « rouge », « anar », « syndicaliste », épris de liberté, généreux et désintéressé

Tu venais d’Aragon, d’Estrémadure, de Galice, d’Andalousie, des Asturies, …

Avec tes cheveux en pagaille et ton œil noir, tu avais pleuré un soir devant Saragosse

Le sang espagnol avait beaucoup coulé cette année-là

Tu avais fui ta République chérie, ton Pays aimé, ta colonne Durutti, tu avais tout perdu jusqu’à ton honneur, ton dernier éclair d’humanité

On avait confisqué ta victoire, sali ta mémoire, souillé tes espérances

Tu avais le cœur en miettes, la rage intacte et la farouche envie d’en découdre,

Tu avais vu la bête immonde au plus près, tu l’avais vue t’encercler, t’anéantir dans son dessein funeste

Dans l’infamie des camps, dans ces baraquements de fortune transpercés par le froid des Pyrénées-Orientales, tu avais souffert de ces indignes officiers français, de leurs coups et de leur haine

À Dachau, les autres avaient le même regard froid et satisfait

Pour eux, toi et les tiens n’étiez qu’une engeance à éradiquer

Puis un jour, le grand Antonio Machado est mort à Collioure, c’était un peu de ton âme qu’on arrachait

Toi, le combattant déchu, tu n’avais qu’un désir ardent, repartir au combat, mourir pour tes idées

Tu avais fini par rejoindre la France Libre, ces autres officiers avaient la même flamme que toi dans leurs yeux, vous apparteniez à cette race d’Hommes qui n’abdique jamais

En Angleterre, avant de le Débarquement, on t’avait encore regardé comme une curiosité, certains doutaient même de ta discipline, on disait que tu étais antimilitariste, c’était vrai, tu étais libre, terriblement libre

Mais, tu avais reçu en partage la confiance de Dronne et de Leclerc, ils avaient reconnu en toi, ce guerrier noble, ce chevalier qui ne recule jamais, cet Homme debout

Alors, tu as libéré Paris au son de Guadalajara, Ebro, Belchite, Guernica, Madrid,…

Jusqu’au nid d’aigle, tu as été l’honneur d’une Nation, d’un Continent

Tu pensais retrouver ton Espagne, la libérer elle aussi, mais les vainqueurs de l’Histoire en avaient décidé autrement

Blessé une seconde foi, un immense chagrin a fini par t’emporter

Bien longtemps après, personne ne connaissait tes exploits, ta droiture, ton courage, ta bonté, ta folie aussi,

On faisait comme si tu n’avais pas existé, on pillait même ta mémoire

Soldat de la Nueve, nous ne t’oublions pas, ton désespoir, ta nature tempétueuse, tes élans de générosité, nous les chérissons.

À lire sur ce sujet : La Nueve 24 août 1944 – Ces républicains espagnols qui ont libéré Paris – de Evelyn Mesquida – Le Cherche Midi

Axel le bienheureux

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Le généticien engagé en politique Axel Kahn a traversé la France entre le 8 mai et le 1er août. Il a rencontré les Français de l’autre côté du péage, et il se confie, encore horrifié, à Rue89. « Alors moi je trouve que les gens ne font pas d’efforts ! », « les gens ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, moi si j’étais à leur place je… », « les gens ne s’intéressent à rien », les gens sont vraiment trop cons, moi je… », « décidément les gens ne comprennent rien à rien. »
Des phrases comme celles-ci, on a l’habitude d’en entendre à tous les mariages, à toutes les réunions de famille, à tous les pots de départ ou de fin d’année ou les repas de Noël, à chaque fois, en somme, que les incidences de la vie familiale ou de la vie professionnelle nous mettent en contact avec un de ces insupportables donneurs de leçons que l’existence semble avoir doté d’un ego surdimensionné et d’une suffisance à la mesure de cette vilaine excroissance. Souvent, il s’agit d’un individu d’âge mûr s’estimant « arrivé » dans la vie par les moyens les plus nobles et les voies les plus respectables, caractéristique qui l’autorise à pontifier interminablement sur le manque de courage des jeunes d’aujourd’hui, sur le manque de lucidité de ses contemporains, sur le manque d’intelligence et d’initiative de ses pairs, bref sur tout ce qui peut lui permettre de mettre en valeur sa propre réussite et sa propre intelligence. Peu d’écrivains ont su avec autant de justesse que Henry David Thoreau, intimer le silence à ces terribles vieillards auxquels les années n’ont même pas pu enseigner les vertus de l’humilité :

« L’âge n’est pas mieux qualifié, à peine l’est-il autant, pour donner des leçons, que la jeunesse, car il n’a pas autant profité qu’il a perdu. On peut à la rigueur se demander si l’homme le plus sage a appris quelque chose de réelle valeur au cours de sa vie. Pratiquement les vieux n’ont pas de conseil important à donner aux jeunes, tant a été partiale leur propre expérience, tant leur existence a été une triste erreur, pour de particulier motifs, suivant ce qu’ils doivent croire (…). »
Bien sûr,  on dira que la sagesse des aînés est précieuse mais les années qui s’accumulent apprennent finalement que cette sagesse est toujours trop lointaine pour ne pas savoir que le silence est d’or. François Mauriac a souffleté cent moralistes en écrivant simplement que le seul défaut qu’il ne pouvait pardonner chez un homme, c’est d’être content de soi.
Axel Kahn a toutes les raisons d’être content de lui. C’est un jeune retraité « monté sur ressort », comme le décrit Rue89, qui reçoit avec simplicité les journalistes venus l’interviewer « sur ses terres familiales » en Champagne. C’est un  scientifique renommé, médecin généticien, essayiste, directeur de recherche à l’INSERM, ancien directeur de l’Institut Cochin, ancien président de l’université Paris Descartes, bref, c’est un homme comblé qui parle de politique en rigolant et en bichonnant ses juments sur ses terres de bord de Seine. Axel Kahn a toutes les raisons de faire profiter le monde de sa sagesse.
Ainsi, quand le jeune retraité dynamique s’est lassé de murmurer à l’oreille des juments sur les terres de ses ancêtres, il a pris son bâton de pèlerin pour partir à pied à la rencontre des Français, dans un périple qui l’a conduit de la frontière belge à la frontière espagnole, 2160 km précise à Rue89, le « penseur-marcheur » qui s’avère donc être le membre le plus endurant du quarteron de philosophes à la retraite constitué par lui et ses pairs : Jean-Christophe Ruffin, Jean-Paul Kauffmann et Jean Lassale.
La « longue marche » d’Axel Kahn l’a mené à la découverte des Français, un peu comme Edouard Balladur avait découvert le métro en 1993. Ce n’est pas parce que l’on est tout en haut de l’échelle qu’il ne faut pas, de temps à autre, jeter un coup d’oeil en contrebas. Des Ardennes au pays basque, Axel Kahn a donc « chaque soir rencontré ses fans, publié sur son blog, échangé sur les réseaux sociaux, et créé l’événement dans la presse locale » mais il a surtout alimenté sa réflexion sur l’état du pays en rencontrant les agriculteurs qui tiennent les chambre d’hôtes dans lesquelles il a fait halte au cours de son voyage, les commerçants, les bistrotiers, les artisans, bref, le peuple, humble, modeste et, si l’on en croit Axel Kahn, complètement arriéré.
Des gens qu’il a rencontrés au cours de son périple, Axel Kahn a retenu un certain nombre de traits qu’il condense en un portrait synthétique : « cela correspond à cette France qui considère que le monde tel qu’il va n’est que menaces, et que ça n’ira qu’en s’aggravant demain. Les valeurs auxquelles ces gens étaient attachés sont dénoncées, comme la chasse par exemple, ils sont de moins en moins maîtres de leur avenir qui se décide à Bruxelles, et pensent que leurs enfants le seront encore moins. » Des inquiets, donc, des rétrogrades et des passéistes, des perdants que l’on observe un peu comme les espèces en voie de disparition derrière les grilles des zoos, des idiots bornés qui, évidemment, votent beaucoup pour le Front National, éprouvent un sentiment de crainte vulgaire en entendant parler des émeutes de Trappes, qui critiquent l’euro et l’Europe et qui ne sont même pas fichus de se tenir au courant pour recevoir comme il se doit la sommité qui leur fait l’honneur de leur rendre visite :
Un jour, il pleuvait sur le chemin de halage du canal de la Marne au Rhin. Frigorifié, je m’arrête dans le seul bistrot de marinier. L’Union de Reims avait fait ses cinq colonnes à la une sur moi. Le tenancier m’accueille et me demande qui je suis, où je vais, et je me rends compte qu’il ne regardait de la presse locale que ce qui l’intéressait, rien du reste, alors qu’il avait un journal sous les yeux.
Eberlué, Axel Kahn, savant, généticien, chimiste, ancien directeur d’université et peut-être un jour, qui sait, directeur de cabinet (ah si seulement Martine Aubry avait été premier ministre !), découvre que tous ces reclus ne lisent pas régulièrement le journal et se préoccupent surtout de leurs soucis quotidiens, c’est tout bonnement incroyable. « Je me suis rendu compte que cette population était uniquement centrée sur sa quotidienneté. C’est une réaction un peu autistique », conclut, un peu dépité, le bon professeur Kahn. Heureusement que ces sauvages ont le bon goût de ne pas élever le ton : « ils ne vocifèrent pas, mais s’éloignent de la rationalité et de la modernité. » Qu’ils restent polis, c’est la moindre des choses.
Mais Axel Kahn n’est pas là seulement pour tracer avec subtilité le portrait psychologique de cette France de l’envers qu’il découvre avec l’émerveillement du docteur Livingstone parcourant la vallée du Zambèze en 1860. Il fait aussi œuvre de géographe, classant les régions qu’il a parcourues dans différentes catégories, « région sinistrée », « région rurale désertifiée », « région rurale en renouveau », « région proche d’un bassin d’emploi »…C’est beau comme une mission ministérielle et on attend avec impatience le manuel de géographie qui va suivre, d’autant qu’Axel Kahn livre au journaliste qui l’interroge quelques fulgurances : « A contrario, les pays qui n’ont jamais été industrialisés ont échappé à la crise industrielle. » Si son prochain brûlot, L’homme, le libéralisme et le bien commun, est du même tonneau, les émules de Ronald Reagan et les tristes séides du FMI peuvent commencer à trembler…
Heureusement pour Axel Kahn, cette traversée déprimante de la France arriérée, raciste, sinistrée et qui ne lit pas les journaux n’a pas pu entamer le moral ou les convictions de cet incorruptible qui avoue avoir su rester suffisamment insensible à tous les paysages et terroirs traversés pour puiser en lui-même la matière de sa réflexion sur l’état du pays. Voilà qui est tout à fait louable et comme le confie, admiratif, le journaliste de Rue89 : « Il y a des gens chez qui la marche bouscule les certitudes. Il n’en fait pas partie. » C’est bien. Rien donc, en 2160 kilomètres, n’a pu faire que cet humaniste moderne, cet aristocrate de la pensée, ne se départisse de la condescendance qui imprègne chacune des lignes de l’entretien accordé à Rue89. Aucune rencontre, aucune conversation ne lui auront fait quitter son Olympe, elles l’auront, comme c’est le cas chez tous ces inénarrables donneurs de leçons, conforté dans la certitude de sa supériorité.
Il est très incorrect de parler au nom de ceux qui ne vous ont rien demandé, cependant je voudrais faire ici une exception et faire savoir à M. Kahn, qui ne lira sans doute jamais ceci, qu’au nom de tous les ploucs et les bouseux qui n’ont pas la chance de songer à briguer la mairie du Ve, au nom de tous ceux qui ont occupé leur enfance de pécores à parcourir mille fois en vélo les rues désertes de leur bled merdique, au nom des pézoufs qui ne lisent pas le journal, tes convictions et ta condescendance Axel, tu peux te les rouler en cône et te les insérer là où le soleil ne brille jamais.
*Photo : Parti socialiste.

Peines de probation : L’indécence d’Etat

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taubira peines probation

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Le président de la République, certes, ne fait pas honte à ceux qui l’ont élu à cause de son comportement personnel et de sa pratique du pouvoir. Le fond de sa politique, c’est autre chose !
Le Premier ministre ne cesse de rappeler, tant l’inverse est éclatant, que la seule ligne du gouvernement est de vouloir instaurer une justice à la fois ferme et efficace (France 2).
Mais, quand on a pris acte de cette dignité présidentielle et de cet affichage de rigueur, il y a le reste. Tout le reste.

Ce rapprochement ne regarde que moi mais je n’ai pu m’empêcher de relier ces derniers jours les reniements à répétition faussement habiles de Manuel Valls, le délire des jeunes socialistes éperdus devant Christiane Taubira, le triomphe de celle-ci à La Rochelle, l’annonce de la peine de probation et la mort héroïque, à 61 ans, de Jacques Blondel à la suite d’un vol à main armée à Marignane, dans un bar-tabac, par deux jeunes malfaiteurs dont l’un a tué celui qui avait eu le courage d’intervenir (Le JDD, Le Parisien, Le Figaro).

Une indécence déchirante et scandaleuse entre la réalité d’une société et ses tragédies au quotidien d’une part et de l’autre les jeux politiciens, le laxisme auquel l’idéologie de Christiane Taubira prétend donner ses lettres de noblesse et les applaudissements frénétiques de militants aveuglés.

Il est évident que le garde des Sceaux n’est pas coupable de chaque transgression délictuelle et /ou criminelle. Elle n’est pas embusquée derrière chaque acte odieux, chaque sauvagerie, chaque dysfonctionnement judiciaire mais le climat qu’elle crée par sa politique ou plutôt son absence oralement somptueuse de politique – attendons le 30 août – ne manque pas d’avoir une incidence sur l’inventivité sombre de notre société et de certains de ses membres, tant la faiblesse proclamée, théorisée et approuvée au plus haut niveau facilite la libération des pulsions délétères de citoyens qui s’accommodent fort bien d’une France qui se laisse aller, qui laisse aller.

Comment en effet ne pas s’émouvoir de l’unique préoccupation de la ministre qui est de réduire la surpopulation carcérale au risque, démontré chaque jour, d’amplifier l’insécurité ? Comment les transgresseurs d’aujourd’hui ou de demain, qui ne sont pas tous obtus et engendrés par la désinsertion sociale, seraient-ils retenus d’accomplir le pire quand seule la prison est dénoncée, et ses conséquences néfastes réelles ou fantasmées, mais jamais son utilité et sa triste nécessité affirmées ?

Le problème crucial, en ces temps où, quoi qu’on pense des statistiques, la délinquance et la criminalité ne baissent pas impose non pas d’éviter coûte que coûte l’enfermement à ceux qui le méritent mais au contraire de mettre fin à la scandaleuse inexécution d’au moins 100 000 peines. Si on tient à s’apitoyer avec efficacité, il s’agit au moins en même temps de composer avec cette surpopulation – qui est une donnée incontestable – en tentant par diverses modalités d’y remédier, tout en assurant la sauvegarde des personnes et des biens. La surpopulation ne démontre pas qu’il y a trop de condamnés mais qu’il n’y a pas assez de prisons. Et qu’on me fasse la grâce de ne pas prendre une telle pensée pour une sévérité maladive mais pour un constat lucide.

Ce qui me semble vicier fondamentalement la mansuétude doctrinaire de la garde des Sceaux est le soupçon absurde, implicitement ou explicitement exprimé, qu’une pluralité de possibles, en face des infractions de toutes sortes, est à la disposition des magistrats qui pourraient choisir à tout coup les solutions non carcérales sans offenser l’intérêt social ni sous-estimer la dangerosité de certains parcours de rupture et de violence.

Cette approche si peu fondée est d’autant plus aberrante que notre système judiciaire, gauche et droite confondues, a poussé jusqu’à ses extrêmes limites, voire ses limites insupportables, l’exigence de la répression, notamment avec le recours carcéral, et sa négation immédiate avec les aménagements. Christiane Taubira n’est pas l’initiatrice de cette contradiction entre la fermeté de la décision pénale et, sans attendre, l’indulgence de son exécution. Rachida Dati, le 28 juillet 2008, avait déjà évoqué la prison hors les murs avant de faire voter la loi pénitentiaire, par certains côtés burlesque, du 24 novembre 2009 qui permettait de désavouer sur-le-champ les jugements des tribunaux correctionnels.

La différence considérable entre l’une et l’autre de ces gardes des Sceaux est que la première agissait avec un empirisme dévastateur et sans souci de logique tandis que la seconde se pique de doctrine, de philosophie et de dogmatisme. Dati improvisait avec désinvolture tandis que Taubira prend sans cesse l’air important pour faire illusion. Le flou désordonné puis le flou pédant maintenant.

Maintenant – quelle gloire d’annoncer cela à La Rochelle devant des militants en manque de vraie gauche compassionnelle, abstraite et absolument pas opératoire ! -, Christiane Taubira sort de l’imagination de ses services influencés et de sa Commission du consensus gouvernée, la peine de probation. Comme si elle faisait un cadeau à la société.

Pour les infractions punies par 5 ans d’emprisonnement au maximum, le tribunal correctionnel pourra ajouter à sa panoplie la peine de probation excluant la prison et prévoyant un encadrement et un soutien pour le prévenu laissé en liberté parmi nous.

Cette sanction, outre qu’elle va encombrer une palette répressive déjà fournie et largement suffisante pour des juges capables d’appréhender la complexité des situations et des mis en cause, la nature de leur profil judiciaire – notamment le sursis avec mise à l’épreuve du même registre -, va obérer encore davantage, sur le plan des moyens humains et matériels, la pénurie des services de l’application des peines.
Celle de probation doit être vraiment inadaptée et impraticable puisque la gauche judiciaire, représentée médiatiquement par Le Monde, en dépit de son inconditionnalité pour la ministre et de son hostilité pour son collègue de l’Intérieur, n’a pas hésité à l’apprécier déjà négativement. C’est dire !

Pour finir, penchons-nous sur le jeune destin – 18 ans – de l’un des deux malfaiteurs, l’autre étant toujours recherché, impliqué dans le vol à main armée et directement ou indirectement dans le meurtre de Jacques Blondel. On a appris qu’il avait été condamné pour une douzaine de délits, notamment pour des vols avec dégradation ou effraction, et à trois reprises par des juges pour enfants. Lors de la perpétration du « braquage », il exécutait une sanction de quatre mois avec sursis probatoire (quasiment la peine de probation !) et avait répondu à la plupart des convocations. Ce contrôle et cette surveillance avaient été aisément compatibles, pour lui, avec l’acte criminel commis avec un jeune inconnu dans l’intervalle de son apparente normalité (nouvelobs.com).

La peine de probation, si elle est adoptée, aura-t-elle cet effet nul et lamentable sur la sécurité de tous et la sauvegarde des commerces ? A force de vouloir éviter la prison même quand elle est nécessaire, va-t-on laisser les citoyens à la discrétion de la seule bonne volonté de tel ou tel, penchant du bon côté ou acharné à récidiver gravement ?

Je ne veux pas voir se multiplier les victimes, les héros comme Jacques Blondel. Dans une démocratie exemplaire, les caractères d’élite et de courage, les civismes admirables renforcent l’action persévérante et efficace de l’État.

Ils ne s’y substituent pas.

Frigide Barjot : Pour tous!

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frigide barjot pour tous

frigide barjot pour tousDepuis le 23 avril, la loi Taubira est votée. Et depuis le 23 avril, l’appareil de La Manif pour Tous ne sait plus où il habite. Les nouveaux dirigeants de LMPT l’ont fait muter en LMPT-SCQSPCN, La Manif Pour Tous-Sauf Ceux Qui Sont Pas Comme Nous.

En continuant d’exiger le retrait pur et simple de la loi Taubira, on joue à faire « comme si ». Comme si le temps s’était arrêté. Comme si cette loi n’avait pas été légalement votée, promulguée et déjà appliquée. Comme si notre mouvement n’avait pas, dès l’origine, mis sur la table la question des droits légitimes des homosexuels.

Pourtant il était convenu de longue date avec l’aile « réseaux-cathos» de  LMPT qu’en cas de vote de la loi, on ne se braquerait pas sur l’ « abrogation sèche » du texte, désormais impensable même en cas de changement de majorité ! On passerait à la phase 2  du mouvement : la revendication d’une réforme de fond inscrivant dans la Constitution la filiation issue de l’union homme/femme, donc du mariage, et le remplacement du psychédélique « mariage-pour-tous » par une loi d’alliance civile, garantissant des droits égaux à tous les couples en tant que tels, quelle que soit leur orientation sexuelle.

Le 23 avril, cette évolution républicaine de la contestation nous été refusée. Une savante orchestration interne de commandos « anti-CUC[1. Contrat d’Union civile]», avec SMS menaçants, lettres anonymes, banderoles et pancartes ad hoc, ont eu raison de notre ligne d’avenir « pour tous », garantie d’origine. Devant l’interdiction de prononcer l’expression désormais blasphématoire d’ « union civile », c’est la mort dans l’âme et les larmes aux yeux que j’ai choisi de ne pas venir manifester le 26 mai dernier.[access capability= »lire_inedits »]

Être interdite de parole dans un mouvement dont on est la porte-parole « historique », surtout quand il se revendique de la liberté d’expression n’est pas bon signe pour le mouvement.

Certes il est normal qu’une telle mobilisation spontanée excite aujourd’hui nombre de convoitises. Elle fut riche à millions de bonnes volontés et d’enthousiasmes désintéressés. Mais qu’en faire maintenant ? Le danger, c’est la mentalité obsidionale, le repli sur soi et finalement la stérilisation – au nom de la vie !

Ainsi les « Hommen » mènent-ils désormais une campagne répugnante contre Hervé Mariton, qui fut pourtant notre meilleur mousquetaire parlementaire. L’impardonnable crime de cet élu du peuple ? Avoir affirmé qu’il respectait la loi, et ne refuserait donc pas de marier des couples homos en sa mairie de Crest. Hérétique, schismatique et scandaleux !

Il y a aussi Laurence Tcheng, pionnière de l’aile gauche de LMPT, instamment priée de retourner en « Noichie » par des « identitaires » qui ne déclinent même pas leur propre identité. Sans parler de ma tignasse menacée d’être « tondue » pour l’exemple.

J’en appelle aux cathos authentiques, sortis enfin des catacombes pour communier avec le pays entier. Ils commettraient une grave erreur en suivant ceux qui les incitent à retourner au chaud dans leur ghetto. Le dogme catholique sans l’humanisme chrétien, c’est la lettre sans l’esprit; c’est la cerise confite sans le gâteau.

Notre mouvement doit rester en phase avec la société tout entière. Depuis le début du débat, celle-ci n’a cessé de dire majoritairement oui à l’union des homosexuels, et massivement non à la perspective d’une procréation artificielle et tarifée. Sous peine de tout perdre, c’est sur cet essentiel qu’il ne faut « rien lâcher ». Ni personne.[/access]

Discours du MJS à La Rochelle : le best of

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Aux distraits qui ont raté le discours de Thierry Marchal-Beck, président du MJS, à l’université d’été du PS ce week-end à La Rochelle, nous livrons la substantifique moelle de ce long poème bureaucratique. Puisque l’art de l’éloquence ne connaît aucune règle fixe depuis Cicéron, flânons au gré de nos envies.

Une petite digression utopique : « la plus grande révolution de la France de 2025 c’est que la Nation est devenue un symbole de l’égalité femme-homme à travers le monde. Notre service public de la petite enfance est à faire pâlir ceux d’Europe du nord et on ne compte plus les crèches s’appelant Olympe de Gouges, Suzanne Lacore, Yvette Roudy, Simone Weil, Najat Vallaud-Belkacem ».  Pris par sa faconde progressiste, le jeune homme à l’éternel t-shirt pense sans doute que Simone Weil a légalisé l’IVG, au lieu d’être l’auteur de L’enracinement

Passons du coq à l’âne. Lorsque Marchal-Beck pérore au terme d’une université d’été tout entière axée sur la lutte contre le FN – Harlem Désir n’étant toujours pas décidé à changer une technique qui perd… -, la vérité s’ouvre enfin à nous. Un spectre hante la France : l’islamophobie ! « Permettez-moi, car trop de choses ont été dites depuis dix ans, car trop de mal a été fait, de m’adresser aux français de confession musulmane. Je n’aurais que quelques mots à vous dire : les Jeunes Socialistes feront tout leur possible pour qu’on vous fiche la paix (…) Nous n’accepterons jamais que certains posent une question musulmane comme hier d’autres posaient une question juive. » Bref, back to the thirties !

Last but not least, admirons cette envolée d’une rare audace : « Et si tous ensemble nous affirmons haut et fort que nous sommes le camp du progrès, que nous sommes le camp de l’égalité. » Tout à fait Thierry…

Valls hésitation

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manuel valls taubira

manuel valls taubira

Manuel Valls est à la fois remarquable et décevant. Bien avant la primaire socialiste pour l’élection présidentielle, on n’ignorait pas que grâce à lui on aurait l’avantage d’un socialisme de la vérité plutôt que de la vérité d’un socialisme avec tout ce qu’elle impliquerait d’idéalisme et de dogmatisme mêlés. Il y avait déjà, latente, invisible, l’opposition à venir entre lui et une Christiane Taubira.

Omniprésent et rigoureux lors de la campagne victorieuse de François Hollande, il était attendu, espéré comme ministre de l’Intérieur et, pour ma part, je continue à penser que, dans ses actions et ses propos, non seulement il n’a pas déçu mais qu’il est parvenu à porter haut et clair l’affirmation d’un réalisme non cynique et et d’un pragmatisme tentant au mieux de concilier efficacité et humanisme, le cœur et les mains si j’ose dire.

Le reproche qui lui a été souvent fait de « faire » du sarkozysme est absurde. D’une part le bilan de Nicolas Sarkozy comme ministre de l’Intérieur à deux reprises n’a pas été à ce point brillant qu’il puisse servir de modèle et constituer un terreau à partir duquel il aurait fallu forcément concevoir ses entreprises. D’autre part, la structure même du ministère de la Place Beauvau conduit son titulaire à multiplier les interventions, les déplacements et les prises de position.

L’essentiel n’est pas dans la forme de l’action mais dans le fond, dans le contenu de l’action elle-même et dans la substance des discours et des explications qui l’accompagnent, dans le climat qui l’entoure. Sur ce plan, rien à voir entre entre l’exacerbation agitée de Sarkozy et le volontarisme pugnace mais maîtrisé de Valls. Puis-je soutenir que je suis rassuré quand j’entends ou je lis les contradictions que les adversaires de Manuel Valls prétendent lui opposer ?

Pour Razzy Hammadi, « Manuel Valls ne rend pas service à la gauche en mettant au centre de la rentrée les questions de l’immigration, du voile à l’université ou de la compatibilité de l’islam avec la démocratie. » (Libération). Alors que c’est exactement l’inverse. C’est en les faisant entrer dans le débat socialiste, grâce à sa force d’argumentation et au nom de convictions déjà anciennes, que le ministre console ceux qui en ont assez du seul ciel idéal des principes pour compenser la dureté de situations sociales et transgressives, et pas seulement à Marseille. Manuel Valls oblige à un retour au réel pour mieux le transformer une fois qu’il est connu et analysé sans fard. Dur pour les éthérés de rejoindre la terre.

Cécile Duflot et les écologistes se vantent, par ailleurs, d’être très hostiles aux conceptions et à la politique de sécurité et de justice de Manuel Valls. Mais j’ai beau apprécier la première, je ne suis pas étonné que son ignorance de ces problèmes et son rousseauisme superficiel lui fassent prendre parti en faveur de Christiane Taubira. Les poncifs pénitentiaires qu’elle égrène quand elle se pique de se mêler de de ce qui n’est pas son champ de compétence sont navrants (Libération).

Je sais bien aussi qu’on dit le président de la République agacé par l’éclat médiatique et la surabondance ostensible de ce ministre. Mais François Hollande est trop fin pour ne pas vite recouvrer son calme. Il ne peut pas se permettre de perdre à nouveau un ministre brillant alors qu’il a déjà dû se séparer heureusement de Jérôme Cahuzac, malhonnête homme mais professionnel redoutable et avisé.

Le président de la République aurait d’autant moins de justification de s’en prendre, fût-ce du bout de son ironie ou de sa causticité, à Manuel Valls et que ce dernier – c’est ce que je lui reproche fondamentalement – ne sort pas d’une Valls hésitation à la longue épuisante pour ceux qui rêvaient de lui voir non seulement une compétence et une excellence ministérielles – elles ont été démontrées – mais un caractère et un courage politiques – on les attend. Tout recadrage présidentiel est inutile puisque Manuel Valls anticipe et se replie.

On va taxer d’immature mon grief en me traitant de naïf ignorant des subtilités de la solidarité gouvernementale, des aléas de la politique politicienne et de la construction d’un destin présidentiel, le moment venu, qui impose des silences, des abstentions, des lâchetés et des rétractations.

Mais tout de même !

Alors qu’il a marqué au fer rouge l’antagonisme fondamental – une vraie fracture au sein de la gauche – entre Christiane Taubira et lui-même en prenant la peine de le formaliser dans un courrier au président de la République, à peine l’orage levé, au lieu de l’exploiter et d’en tirer profit pour son avenir et son identité, il rebrousse chemin, affiche une réconciliation ostensible avec le garde des Sceaux et rentre dans le rang avec une flatterie tactique à l’égard du gouvernement et du président qui trancheront. Je regrette que Manuel Valls propose des avancées, formule des provocations et proclame sa singularité puis qu’il nous contraigne à les tenir pour rien puisque chaque lendemain détruit les fulgurances nécessaires de la veille.

Il a jeté, paraît-il, « un froid polaire » lors du séminaire gouvernemental consacré à cet avenir consolant arrêté en 2025 en évoquant nettement et sans complaisance les risques futurs de l’islam, de l’immigration, si on laissait faire, et les limites du regroupement familial (Le Parisien). Quel bonheur de lire cela pour tous les adeptes, dans notre démocratie, d’une gauche plausible et opératoire, ne se cachant pas derrière ses valeurs qui ne s’usent jamais car trop rarement confrontées à la vie collective et à l’inventivité sociale avec ses effets déplorables.

Mais, à peine l’information dévoilée, Manuel Valls l’a occultée, en a amoindri les conséquences roboratives en déclarant n’avoir jamais parlé du regroupement familial lors de cette réunion gouvernementale. Son intelligence et son intégrité l’incitent à la vérité mais son sens politique, croit-il, lui impose le devoir de la dissimuler ou de l’atténuer. Ses avancées de lucidité sont altérées par ses reculs de manœuvrier.

Pire que tout, les interventions de Manuel Valls, notamment devant les socialistes réunis pour juger de sa conformité à la ligne, ont viré au désastre parce que Christiane Taubira, infiniment plus fine que lui, a obtenu un accueil de star, délirant d’enthousiasme, en flattant les jeunes socialistes dans le sens du poil idéologique et irresponsable et en recueillant une embrassade de son amie Martine Aubry présente et silencieuse à la fois (JDD).

Ne cédant rien au ministre de l’Intérieur, elle a rétrospectivement rendu dérisoires et décalées les protestations de socialisme de ce dernier, son affirmation enflammée sur son appartenance à la gauche et quasiment sa rétractation sur ses propos lucides sur l’islam et l’immigration tenus quelques jours auparavant. Il poussait même le masochisme lors de cette séance de repentance jusqu’à rendre hommage au garde des Sceaux qui elle-même se gardait bien de lui rendre la pareille.

Christiane Taubira a peut-être commis une seule erreur résultant directement de sa certitude de se trouver en terrain conquis à La Rochelle, victorieuse sans avoir été obligée de livrer bataille, son adversaire apparent ayant jeté l’éponge par cette étrange manie, chez lui, de manquer d’audace et de ne jamais oser franchir à temps la ligne d’avantage.Trop préoccupé par la ligne socialiste. La ministre a annoncé ses projets comme si l’arbitrage prévu le 30 août avait déjà été rendu et qu’elle était assurée de l’avoir remporté. Certes, le Premier ministre a rectifié cette arrogance prématurée mais j’espère qu’il n’oubliera pas cette désinvolture si persuadée de son triomphe à venir.

Si Manuel Valls continue sur ce registre, il est clair qu’on ne pourra plus jamais compter sur lui pour opposer la réalité à sa collègue éprise d’elle-même et de ses fantasmes. Mon seul espoir réside en André Vallini qui pour être à l’extérieur du gouvernement développe une vision de la sécurité et de la justice dont notre garde des Sceaux aurait dû s’inspirer.

Je serais désolé si cette Valls hésitation, ces contritions systématiques, en définitive le réduisaient sur les deux plans, celui du socialisme de la vérité et celui de Manuel Valls espoir pour une autre gauche.

Demain.

Fini les cachotteries !

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Eugene-Zamiatine

Eugene-ZamiatineCes derniers mois, la transparence est la grande affaire de la France. Les élus déclarent leur patrimoine et les journaux publient des listes qui ressemblent à des proscriptions. Même le « mariage pour tous », quoi qu’en pensent ses partisans comme ses opposants, répond à cette exigence de transparence. Les homosexuels mariés veulent être vus : ils veulent en finir avec l’opacité et la marge. On peut les comprendre. Mais cela crée un climat étrange, dans lequel tout est surexposé au nom de la pureté des intentions. C’est l’enfer de la gentillesse, l’intrusion bienveillante et permanente dans l’intimité, à l’image de la convivialité obligatoire dans les zones pavillonnaires rurbanisées de la classe moyenne. Un enfer climatisé et translucide anticipé par Eugène Zamiatine dans Nous autres, publié en 1923.

Zamiatine est le moins connu des trois grands prophètes de malheur du XXe siècle. Il est resté dans l’ombre d’Orwell et de Huxley. Tous ont été rattrapés par le réel. La lecture de 1984 a, depuis longtemps, dépassé la dénonciation du stalinisme et s’applique merveilleusement à nos sociétés occidentales : réécriture permanente du passé, « Semaine de la Haine » désignant les monstres du moment à la vindicte universelle, ou encore surveillance panoptique de nos rues et de nos ordinateurs. Le Meilleur des mondes de Huxley érige l’eugénisme en méthode de gouvernement.[access capability= »lire_inedits »] Nous y sommes aussi, ou presque : on s’amuse à faire à peu près n’importe quoi avec le vivant, on congèle des embryons pour d’éventuelles manipulations et des ventres sont loués par des mères porteuses, en attendant que les fœtus se développent dans des utérus artificiels.

Zamiatine décrit une société fondée sur l’harmonie mathématique − on dirait aujourd’hui informatique − d’une fourmilière. Chaque citoyen est désigné par un numéro – le narrateur, par exemple, s’appelle « D-503 ».Mais la fourmilière est transparente. C’est la grande intuition de Nous autres. Le terme n’est pas à prendre de manière métaphorique. Les citoyens vivent vraiment dans les « divins parallélépipèdes des habitations transparentes » d’où ils se voient les uns les autres.

Le système a tout de même prévu deux « Heures personnelles ». Vous pouvez vous promener à votre guise. Ou vous cacher pour faire l’amour : « À ces heures, certains ont baissé sagement les rideaux de leurs chambres. » Mais D-503, comme tous ses concitoyens, espère tôt ou tard en finir avec cet archaïsme des « Heures personnelles ». Pourquoi ai-je la fâcheuse impression que nous autres, ces jours-ci, nous devenons tous des D-503 ?[/access]

*Photo: Playtime, de Jacque Tati

Liban : vous avez dit FPLP-CG ?

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Vendredi matin, l’aviation israélienne a bombardé une base libanaise du « Front Populaire de Libération de la Palestine-Commandement Général » en riposte au tir de quatre missiles lancés depuis le sud du pays du Cèdre. Bien qu’un étrange groupuscule affilié à Al-Qaïda ait revendiqué l’attaque anti-israélienne, Tsahal comme des officiers de renseignements libanais montrent du doigt le fameux « FPLP-CG ». Quésaco ? Ce mouvement à l’appellation martiale est une des multiples scissions du Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP) créé par Georges Habache en 1967[1. Parmi les innombrables ramifications issues de cette même souche, citons également le FPLP-Opérations Spéciales de Wadie Haddad, célèbre pour ses attentats spectaculaires commis avec le concours du vénézuélien Carlos, ou encore le Front Démocratique de Libération de la Palestine (FDLP) que Nayef Hawatmeh fonda en 1969 au nom de la lutte idéologique maoïste. Cette dernière branche se voit dénoncée pour sa trop grande modération depuis la poignée de mains entre son fondateur et le président israélien en 1999. Le 11 septembre 2001, il se trouva pourtant un petit plaisantin pour revendiquer les attentats contre l’Amérique au nom du FDLP en téléphonant à une chaîne satellitaire arabe !], qui compta notamment parmi ses compagnons de route le captif amoureux Jean Genet.

Comme Habache, Ahmed Jibril appartient à la diaspora palestinienne et se revendique nationaliste, marxiste et laïc. Mais en 1969, la proximité de Jibril avec le régime syrien (déjà) baathiste – qui emprisonna un temps Habache – provoque le divorce entre les deux hommes, et la création d’un groupe inféodé à Damas, le FPLP-CG. Longtemps, Jibril a vécu dans la capitale syrienne, avant que les remous de la guerre civile ne l’incitent à déménager sur la côte alaouite, à Tartous, près du fief historique des Assad. Sa modeste unité de combat vivant au rythme des intérêts syriens, on entend rarement parler du FPLP-CG depuis la grande réconciliation libanaise scellée à Taëf (1990).

En ce mois d’août, peu après que le président libanais Michel Sleimane a attaqué dans des mots à peines couverts l’Etat dans l’Etat que forme le Hezbollah libanais, une pluie de roquettes s’est abattue aux alentours de son palais de Baabda. L’enquête semble orienter l’origine du tir vers des positions du… FPLP-CG, non loin de la frontière syrienne. À plus de quatre-vingt-cinq ans, Ahmed Jibril vit les dernières heures du terrorisme palestinien d’extrême gauche, aujourd’hui à son crépuscule. Citant Che Guevara, son meilleur ennemi Habache aimait plastronner que «les révolutionnaires ne meurent jamais». On peut sans doute en dire autant des terroristes.

Tinto Brass, le vénitien cul…te

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tinto brass la cle cinema

tinto brass la cle cinemaLa silhouette rondouillarde de Tinto Brass est aussi célèbre en Italie que les frasques de Berlusconi ou les facéties de Beppe Grillo. Lunettes noires, cigare égrillard, cheveux plaqués, le verbe haut, la main baladeuse, Tinto aime choquer les bien-pensants, la morale bourgeoise et les cul-bénits. Subversif et sensuel comme tous les vénitiens qui se respectent, il est un visage familier de la télé transalpine depuis une quarantaine d’années. Il ne rate pas une occasion de provoquer, de transgresser, d’apporter sa petite note grivoise sur les plateaux : une hygiène de vie respectable, voire salutaire, dans un pays englué dans les affaires de calotte et de parlotte.

Massimiliano Zanin lui rend hommage dans un documentaire projeté à la Mostra de Venise (du 28 août au 7 septembre) qui retrace sa carrière. Ses manières bouffonnes, cette lippe goulue, cette faconde de bonimenteur ont toujours été sa façon à lui de promouvoir un cinéma érotique original et de braver la censure. Ne vous fiez pas aux apparences, si le cinéaste filme ostensiblement les fesses (les pleines et entières ont sa préférence), les poitrines généreuses et le sexe des femmes, il n’appartient pas à la catégorie infâmante des pornocrates de bas étage. Tinto Brass est l’inventeur d’un cinéma joyeux où le désir est au centre des ébats, mais aussi d’un cinéma politique, éminemment révolutionnaire, où le machisme méditerranéen est mis à mal. C’est aussi et surtout un cinéma nostalgique : celui de l’enfance, de la montée du fascisme, de l’attrait des bordels et du secret des alcôves. Tinto Brass est déroutant à plus d’un titre. Inclassable. À la fois héritier de la comédie italienne et de la Nouvelle Vague. Populaire et érudit. D’une grande culture, il poursuit ses obsessions (le voyeurisme en fait partie) et plaque sur les bobines ses pulsions, troublant le spectateur qui s’attendait seulement à voir des filles à poil.

Avec Tinto, vous en verrez, rassurez-vous : il ne trompe pas sur la marchandise. Mais il a le don de brouiller les pistes, de vous acculer dans votre fauteuil. Vous n’êtes pas prêts d’oublier certaines scènes de « Salon Kitty » (1975) où le cinéaste mêle prostitution et espionnage dans la reconstitution historique d’une maison close berlinoise durant la Seconde guerre mondiale. Âmes sensibles s’abstenir. Tinto Brass va très loin. Peu de cinéastes ont aussi bien retranscrit à l’écran, ces années noires, son réquisitoire contre Hitler et Mussolini vaut toutes les leçons de morale. L’abjection nazie y est probante. On est loin des gentilles potacheries érotiques de Max Pécas et Philippe Clair. Diplômé en droit, Tinto Brass travailla trois ans à la fin des années 50 comme archiviste à la Cinémathèque Française qui lui a consacré une rétrospective en 2002 intitulée « Eloge de la chair ». Son séjour à Paris le marqua durablement. Ce francophile de cœur qui ose tout, Stendhal et gros tétons, Chateaubriand et touffes foisonnantes, garde un attachement à notre culture. « En France, le sexe est considéré comme un grand spectacle et on me reconnaît la qualité d’auteur » se réjouit-il. Avant de se lancer dans le cinéma cochon, Brass a été assistant réalisateur chez Rossellini, et au début des années 60, il a même dirigé Alberto Sordi, Silvana Mangano ou encore Jean-Louis Trintignant (La mia signora, Il disco volante, Col cuore in gola, etc…) dans des longs métrages salués par la critique.

Après le succès de Caligula en 1979, film à gros budget dans lequel il réussit deux exploits : renier totalement cette œuvre car son producteur y avait inséré des scènes « porno » sans son accord et dénuder « The Queen », l’actrice Helen Mirren qui y apparaissait en tenue d’Eve, Tinto s’est donné pour mission de mettre à nu de plantureuses actrices. Les sylphides peuvent passer leur chemin, elles n’intéressent pas le réalisateur. Ses faits d’armes paraissent impensables à notre époque où les actrices gèrent leur carrière comme des expertes-comptables. En 1983, il convainc Stefania Sandrelli de jouer nue dans La Clé. Stefania a tourné avec Ettore Scola, Melville, Chabrol, Bertolucci, Comencini, etc…Elle est une figure du cinéma italien pas une strip-teaseuse qui cachetonne. Elle accepte pourtant de se montrer sans artifice, corps mature, peau laiteuse, rondeurs charnelles, nous donnant rendez-vous alors avec Renoir et Rubens. Frank Finlay, acteur de théâtre britannique, nommé aux Oscars accepte de l’accompagner dans le Venise des années 40. L’Italie pudibonde la conspue, la presse dite sérieuse l’insulte, mais Stefania prouve qu’elle est une immense actrice. Tinto ne s’était pas trompé en la choisissant. La Clé ouvre la porte à un cinéma érotique italien audacieux, irrévérencieux et glandilleux à souhait. En 1985, Tinto Brass récidivera avec Serena Grandi, brune charpentée, danseuse de Mambo italiano, impudique et perverse qui exaltera une puissance érotique peu commune. Et beaucoup d’autres actrices suivront ce chemin coquin : Deborah Caprioglio dans Paprika, Claudia Koll dans All ladies do it ou l’inoubliable Anna Galiena dans Senso 45. Depuis la mort en 2004 de Russ Meyer et la disparition en fin d’année dernière de Bénazéraf, Tinto Brass est le dernier survivant d’un cinéma cul-te.

*Photo: La clé, Tinto Brass avec Stefania Sandrelli

Gandolfini, contrat rempli

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james gandolfini soprano

james gandolfini soprano

Il est toujours troublant d’être dévasté par la disparition d’un homme qu’on n’a jamais rencontré. Je me souviens parfaitement du jour où j’ai vu Les Soprano pour la première fois.  Je travaillais à Télérama à l’époque, et nous avions reçu les premiers épisodes en version non sous-titrée, un tas de cassettes VHS reliées par un élastique. Je m’y étais collé, car personne d’autre ne pipait un mot d’anglais dans la rédaction. J’avais regardé les six premiers épisodes d’une traite dans un bocal de visionnage de la rue de Naples. Un choc majeur. J’en étais ressorti sidéré par la qualité des dialogues, du casting, de la réalisation, la beauté subjuguante des images du directeur photo Alik Sakharov, et la présence animale, inquiétante et douce à la fois de l’ours Gandolfini. Personne n’avait jamais filmé le New Jersey et ses habitants avec un tel réalisme. On était chez Bruce Springsteen période Nebraska, un truc gris et triste, où chacun survit comme il peut, y compris les petites mains de Cosa Nostra et leur famille. La série était une grande claque dans la figure, une révolution dans la manière de raconter des histoires à la télévision.  Il s’agissait à l’évidence d’un chef-d’œuvre, tourné en 35mm, avec les moyens du cinéma, et la volonté de redonner toute sa noblesse au concept de série, en ignorant les grosses ficelles qui plaisent aux annonceurs et aux ménagères. David Lynch avait tenté le coup avec son formidable Twin Peaks, mais n’avait pas tenu la distance.  Les Soprano était armé pour réussir l’improbable grand chelem : plaire à la fois aux cinéphiles et au grand public.[access capability= »lire_inedits »] La série était tellement géniale et si bien documentée que même les vrais mafieux sont rapidement devenus accros, comme en ont témoigné des écoutes du FBI.

J’avais immédiatement pris le premier avion pour Los Angeles pour rencontrer David Chase, le créateur et showrunner[[1].  D’après Wikipedia, le showrunner,  ou auteur-producteur est, dans l’univers du cinéma et de la télévision, la personne responsable du travail quotidien sur une émission ou une série télévisée.] de la série. Chase est un intello italo-américain, modeste et raisonnablement dépressif (comme beaucoup de gens intéressants), un amoureux du cinéma européen, qui se sentait mal à l’aise devant ce succès improbable au royaume de l’entertainment. Il n’en revenait pas qu’on vienne de France pour le faire parler de son travail. Il n’avait qu’une crainte : celle que le buzz retombe comme un soufflé, et que la chaîne HBO (le Canal Plus américain) ne signe pas pour une saison supplémentaire. De retour à Paris, une interview-fleuve sous le bras, je réclamais le minimum : la couverture du journal. Les Soprano ne méritait rien de moins. Je me souviens, pour l’anecdote, d’un débat improbable avec la rédac’ chef, l’inénarrable Fabienne Pascaud, qui ne comprenait pas l’intérêt de gâcher des pages pour ce machin amerloque. À sa décharge, sa série préférée était Derrick, ce qui résume bien ses critères esthétiques et explique ses choix éditoriaux parfois hasardeux. Bref, adieu la « une ».

Non seulement HBO a signé pour une deuxième saison, mais la série est devenue un phénomène grandissant tout au long de ses six saisons d’existence. Et ce, uniquement pour de bonnes raisons : aucune autre série n’arrive à la cheville de cette saga addictive, drôle et cruelle, et James Gandolfini réalise quatre-vingt-six heures durant — mention spéciale aux séquences récurrentes chez sa psy — une performance d’acteur unique dans les annales du cinéma et de la télévision. Tony Soprano est gros, vulgaire, violent, inculte, mais il est aussi doux comme un agneau, proche de sa famille, et se sent coupable à chaque fois qu’il rentre à la maison après avoir baisé une pute ou exécuté un concurrent. C’est tout le talent de James Gandolfini, acteur au charisme unique, que de susciter une empathie universelle pour son personnage. Les mecs rêvent d’être Tony Soprano pour inspirer le respect et vivre une vie de gangster (cigare, sexe, alcool, pas d’horaires de bureau). Et toutes les femmes aiment Tony car c’est un bon père de famille, une bête de sexe, un ours en peluche puissant et rassurant – et en prime il gagne bien sa vie.

En faisant d’un mauvais garçon le héros d’une saga de cette ampleur, Chase et Gandolfini ont réinventé la série américaine, et singulièrement ringardisé le cinéma traditionnel. Comment raconter quoi que ce soit de nuancé et détaillé en 90 minutes quand on peut suivre des personnages pendant 86 heures ? Depuis Les Soprano, le « format série » a prouvé qu’il pouvait être au cinéma ce que le roman russe est à la brève de comptoir : une ambition supérieure. Depuis le clap de fin, les héritiers de David Chase se sont enfoncés dans la brèche avec talent : il y a plus de créativité et d’intelligence dans un épisode de Mad Men ou de Breaking Bad que dans l’immense majorité des films qui sortent en salle.

Gandolfini est mort foudroyé par une crise cardiaque en Italie. Pour les amoureux des Soprano, l’info n’est pas anecdotique. Le parrain de la mafia du New Jersey était en vacances « in the old country », comme disent les Italo-Américains, « le pays des origines », qui faisait l’objet d’un culte dans la série (et d’un épisode d’anthologie, « Commendatori », saison 2, épisode 4). C’est idiot mais cela me réchauffe un peu le cœur de savoir que Gandolfini a terminé sa vie en Italie, en mangeant ses plats favoris, les célèbres « gabagool », « scharole » et autres « canolli », dont il s’empiffrait goulûment à chaque épisode.[/access]

So long, Tony.

 

 

Quand les espagnols libéraient Paris

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Tu t’appelais Fermín, Manuel, Germán, Faustino, Luis, Daniel, Victor, Rafael,…

Tu étais « rouge », « anar », « syndicaliste », épris de liberté, généreux et désintéressé

Tu venais d’Aragon, d’Estrémadure, de Galice, d’Andalousie, des Asturies, …

Avec tes cheveux en pagaille et ton œil noir, tu avais pleuré un soir devant Saragosse

Le sang espagnol avait beaucoup coulé cette année-là

Tu avais fui ta République chérie, ton Pays aimé, ta colonne Durutti, tu avais tout perdu jusqu’à ton honneur, ton dernier éclair d’humanité

On avait confisqué ta victoire, sali ta mémoire, souillé tes espérances

Tu avais le cœur en miettes, la rage intacte et la farouche envie d’en découdre,

Tu avais vu la bête immonde au plus près, tu l’avais vue t’encercler, t’anéantir dans son dessein funeste

Dans l’infamie des camps, dans ces baraquements de fortune transpercés par le froid des Pyrénées-Orientales, tu avais souffert de ces indignes officiers français, de leurs coups et de leur haine

À Dachau, les autres avaient le même regard froid et satisfait

Pour eux, toi et les tiens n’étiez qu’une engeance à éradiquer

Puis un jour, le grand Antonio Machado est mort à Collioure, c’était un peu de ton âme qu’on arrachait

Toi, le combattant déchu, tu n’avais qu’un désir ardent, repartir au combat, mourir pour tes idées

Tu avais fini par rejoindre la France Libre, ces autres officiers avaient la même flamme que toi dans leurs yeux, vous apparteniez à cette race d’Hommes qui n’abdique jamais

En Angleterre, avant de le Débarquement, on t’avait encore regardé comme une curiosité, certains doutaient même de ta discipline, on disait que tu étais antimilitariste, c’était vrai, tu étais libre, terriblement libre

Mais, tu avais reçu en partage la confiance de Dronne et de Leclerc, ils avaient reconnu en toi, ce guerrier noble, ce chevalier qui ne recule jamais, cet Homme debout

Alors, tu as libéré Paris au son de Guadalajara, Ebro, Belchite, Guernica, Madrid,…

Jusqu’au nid d’aigle, tu as été l’honneur d’une Nation, d’un Continent

Tu pensais retrouver ton Espagne, la libérer elle aussi, mais les vainqueurs de l’Histoire en avaient décidé autrement

Blessé une seconde foi, un immense chagrin a fini par t’emporter

Bien longtemps après, personne ne connaissait tes exploits, ta droiture, ton courage, ta bonté, ta folie aussi,

On faisait comme si tu n’avais pas existé, on pillait même ta mémoire

Soldat de la Nueve, nous ne t’oublions pas, ton désespoir, ta nature tempétueuse, tes élans de générosité, nous les chérissons.

À lire sur ce sujet : La Nueve 24 août 1944 – Ces républicains espagnols qui ont libéré Paris – de Evelyn Mesquida – Le Cherche Midi

Axel le bienheureux

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axel kahn france

axel kahn france

Le généticien engagé en politique Axel Kahn a traversé la France entre le 8 mai et le 1er août. Il a rencontré les Français de l’autre côté du péage, et il se confie, encore horrifié, à Rue89. « Alors moi je trouve que les gens ne font pas d’efforts ! », « les gens ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, moi si j’étais à leur place je… », « les gens ne s’intéressent à rien », les gens sont vraiment trop cons, moi je… », « décidément les gens ne comprennent rien à rien. »
Des phrases comme celles-ci, on a l’habitude d’en entendre à tous les mariages, à toutes les réunions de famille, à tous les pots de départ ou de fin d’année ou les repas de Noël, à chaque fois, en somme, que les incidences de la vie familiale ou de la vie professionnelle nous mettent en contact avec un de ces insupportables donneurs de leçons que l’existence semble avoir doté d’un ego surdimensionné et d’une suffisance à la mesure de cette vilaine excroissance. Souvent, il s’agit d’un individu d’âge mûr s’estimant « arrivé » dans la vie par les moyens les plus nobles et les voies les plus respectables, caractéristique qui l’autorise à pontifier interminablement sur le manque de courage des jeunes d’aujourd’hui, sur le manque de lucidité de ses contemporains, sur le manque d’intelligence et d’initiative de ses pairs, bref sur tout ce qui peut lui permettre de mettre en valeur sa propre réussite et sa propre intelligence. Peu d’écrivains ont su avec autant de justesse que Henry David Thoreau, intimer le silence à ces terribles vieillards auxquels les années n’ont même pas pu enseigner les vertus de l’humilité :

« L’âge n’est pas mieux qualifié, à peine l’est-il autant, pour donner des leçons, que la jeunesse, car il n’a pas autant profité qu’il a perdu. On peut à la rigueur se demander si l’homme le plus sage a appris quelque chose de réelle valeur au cours de sa vie. Pratiquement les vieux n’ont pas de conseil important à donner aux jeunes, tant a été partiale leur propre expérience, tant leur existence a été une triste erreur, pour de particulier motifs, suivant ce qu’ils doivent croire (…). »
Bien sûr,  on dira que la sagesse des aînés est précieuse mais les années qui s’accumulent apprennent finalement que cette sagesse est toujours trop lointaine pour ne pas savoir que le silence est d’or. François Mauriac a souffleté cent moralistes en écrivant simplement que le seul défaut qu’il ne pouvait pardonner chez un homme, c’est d’être content de soi.
Axel Kahn a toutes les raisons d’être content de lui. C’est un jeune retraité « monté sur ressort », comme le décrit Rue89, qui reçoit avec simplicité les journalistes venus l’interviewer « sur ses terres familiales » en Champagne. C’est un  scientifique renommé, médecin généticien, essayiste, directeur de recherche à l’INSERM, ancien directeur de l’Institut Cochin, ancien président de l’université Paris Descartes, bref, c’est un homme comblé qui parle de politique en rigolant et en bichonnant ses juments sur ses terres de bord de Seine. Axel Kahn a toutes les raisons de faire profiter le monde de sa sagesse.
Ainsi, quand le jeune retraité dynamique s’est lassé de murmurer à l’oreille des juments sur les terres de ses ancêtres, il a pris son bâton de pèlerin pour partir à pied à la rencontre des Français, dans un périple qui l’a conduit de la frontière belge à la frontière espagnole, 2160 km précise à Rue89, le « penseur-marcheur » qui s’avère donc être le membre le plus endurant du quarteron de philosophes à la retraite constitué par lui et ses pairs : Jean-Christophe Ruffin, Jean-Paul Kauffmann et Jean Lassale.
La « longue marche » d’Axel Kahn l’a mené à la découverte des Français, un peu comme Edouard Balladur avait découvert le métro en 1993. Ce n’est pas parce que l’on est tout en haut de l’échelle qu’il ne faut pas, de temps à autre, jeter un coup d’oeil en contrebas. Des Ardennes au pays basque, Axel Kahn a donc « chaque soir rencontré ses fans, publié sur son blog, échangé sur les réseaux sociaux, et créé l’événement dans la presse locale » mais il a surtout alimenté sa réflexion sur l’état du pays en rencontrant les agriculteurs qui tiennent les chambre d’hôtes dans lesquelles il a fait halte au cours de son voyage, les commerçants, les bistrotiers, les artisans, bref, le peuple, humble, modeste et, si l’on en croit Axel Kahn, complètement arriéré.
Des gens qu’il a rencontrés au cours de son périple, Axel Kahn a retenu un certain nombre de traits qu’il condense en un portrait synthétique : « cela correspond à cette France qui considère que le monde tel qu’il va n’est que menaces, et que ça n’ira qu’en s’aggravant demain. Les valeurs auxquelles ces gens étaient attachés sont dénoncées, comme la chasse par exemple, ils sont de moins en moins maîtres de leur avenir qui se décide à Bruxelles, et pensent que leurs enfants le seront encore moins. » Des inquiets, donc, des rétrogrades et des passéistes, des perdants que l’on observe un peu comme les espèces en voie de disparition derrière les grilles des zoos, des idiots bornés qui, évidemment, votent beaucoup pour le Front National, éprouvent un sentiment de crainte vulgaire en entendant parler des émeutes de Trappes, qui critiquent l’euro et l’Europe et qui ne sont même pas fichus de se tenir au courant pour recevoir comme il se doit la sommité qui leur fait l’honneur de leur rendre visite :
Un jour, il pleuvait sur le chemin de halage du canal de la Marne au Rhin. Frigorifié, je m’arrête dans le seul bistrot de marinier. L’Union de Reims avait fait ses cinq colonnes à la une sur moi. Le tenancier m’accueille et me demande qui je suis, où je vais, et je me rends compte qu’il ne regardait de la presse locale que ce qui l’intéressait, rien du reste, alors qu’il avait un journal sous les yeux.
Eberlué, Axel Kahn, savant, généticien, chimiste, ancien directeur d’université et peut-être un jour, qui sait, directeur de cabinet (ah si seulement Martine Aubry avait été premier ministre !), découvre que tous ces reclus ne lisent pas régulièrement le journal et se préoccupent surtout de leurs soucis quotidiens, c’est tout bonnement incroyable. « Je me suis rendu compte que cette population était uniquement centrée sur sa quotidienneté. C’est une réaction un peu autistique », conclut, un peu dépité, le bon professeur Kahn. Heureusement que ces sauvages ont le bon goût de ne pas élever le ton : « ils ne vocifèrent pas, mais s’éloignent de la rationalité et de la modernité. » Qu’ils restent polis, c’est la moindre des choses.
Mais Axel Kahn n’est pas là seulement pour tracer avec subtilité le portrait psychologique de cette France de l’envers qu’il découvre avec l’émerveillement du docteur Livingstone parcourant la vallée du Zambèze en 1860. Il fait aussi œuvre de géographe, classant les régions qu’il a parcourues dans différentes catégories, « région sinistrée », « région rurale désertifiée », « région rurale en renouveau », « région proche d’un bassin d’emploi »…C’est beau comme une mission ministérielle et on attend avec impatience le manuel de géographie qui va suivre, d’autant qu’Axel Kahn livre au journaliste qui l’interroge quelques fulgurances : « A contrario, les pays qui n’ont jamais été industrialisés ont échappé à la crise industrielle. » Si son prochain brûlot, L’homme, le libéralisme et le bien commun, est du même tonneau, les émules de Ronald Reagan et les tristes séides du FMI peuvent commencer à trembler…
Heureusement pour Axel Kahn, cette traversée déprimante de la France arriérée, raciste, sinistrée et qui ne lit pas les journaux n’a pas pu entamer le moral ou les convictions de cet incorruptible qui avoue avoir su rester suffisamment insensible à tous les paysages et terroirs traversés pour puiser en lui-même la matière de sa réflexion sur l’état du pays. Voilà qui est tout à fait louable et comme le confie, admiratif, le journaliste de Rue89 : « Il y a des gens chez qui la marche bouscule les certitudes. Il n’en fait pas partie. » C’est bien. Rien donc, en 2160 kilomètres, n’a pu faire que cet humaniste moderne, cet aristocrate de la pensée, ne se départisse de la condescendance qui imprègne chacune des lignes de l’entretien accordé à Rue89. Aucune rencontre, aucune conversation ne lui auront fait quitter son Olympe, elles l’auront, comme c’est le cas chez tous ces inénarrables donneurs de leçons, conforté dans la certitude de sa supériorité.
Il est très incorrect de parler au nom de ceux qui ne vous ont rien demandé, cependant je voudrais faire ici une exception et faire savoir à M. Kahn, qui ne lira sans doute jamais ceci, qu’au nom de tous les ploucs et les bouseux qui n’ont pas la chance de songer à briguer la mairie du Ve, au nom de tous ceux qui ont occupé leur enfance de pécores à parcourir mille fois en vélo les rues désertes de leur bled merdique, au nom des pézoufs qui ne lisent pas le journal, tes convictions et ta condescendance Axel, tu peux te les rouler en cône et te les insérer là où le soleil ne brille jamais.
*Photo : Parti socialiste.