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Tapie le Magnifique


Tapie le Magnifique

bernard tapie gatsbyÀ la fin de Gatsby le Magnifique, l’intrus est éjecté de la bonne société. Ceux qui l’avaient encensé se détournent avec dégoût. Les vieilles familles reprennent leurs femmes, leurs bijoux et leurs affaires, alors que le vrai salaud se trouve dans leurs rangs.  Gatsby a voulu entrer par effraction dans leur monde, s’alliant pour y parvenir à des aventuriers aux méthodes plus ou moins louches. Mais pas beaucoup plus, finalement, que celles des Arnault, Pinault, Bébéar, Steve Jobs, dont un livre remarquable[1.  Portrait de l’homme d’affaires en prédateur, Villette et Vuillermot, La Découverte 2005.]montre que leurs premiers succès ont souvent tenu à des « coups » à la limite de la  morale.

Bernard Tapie fut le chouchou de l’appareil socialiste – et même, pendant quelque temps, le champion de la gauche contre Le Pen. Comme Gatsby, il est aujourd’hui montré du doigt comme un voyou et condamné avec une sévérité qui doit peut-être autant au mépris de classe qu’à l’indignation morale. Au temps de sa splendeur, quand les puissants s’encanaillaient sur son Phocéa, le Crédit Lyonnais, alors bras armé du pouvoir, fut sommé de lui sauver la mise – et s’exécuta en organisant le rachat d’Adidas. Peu reconnaissant, il trouva fort de café que le Lyonnais empochât, à la revente, un coquet bénéfice dont il ne vit pas la couleur, et estima qu’il avait été lésé par cette banque peuplée de hauts fonctionnaires – dont la déconfiture coûta 130 milliards de francs au contribuable, soit, à la louche, une bonne vingtaine de milliards d’euros. Les tribunaux lui ont donné tantôt raison tantôt tort et, comme on le sait, pour en finir une bonne fois pour toutes, il a été décidé de recourir à un arbitrage qui lui a accordé 403 millions d’euros. Au moment où Bernard Tapie est mis en examen pour « escroquerie en bande organisée », toute la question est de savoir  si cet arbitrage fut complaisant.  Ce qui n’empêcherait pas – malheureusement – qu’il ait pu être juste. La Justice sous-évalue souvent les préjudices. [access capability= »lire_inedits »]

Mais un détail dans le dossier intrigue : si certains soupçonnent l’entourloupe, c’est notamment  parce qu’en 2005, trois huiles de l’État, deux magistrats et un inspecteur des finances, avaient posé trois conditions à une transaction, notamment qu’aucune somme ne lui soit versée en numéraire. Or, soit Tapie a droit à un certain dédommagement, soit il n’y a pas droit. En fait, cette exigence, qui n’a rien de juridique, sonne comme une vengeance à l’égard d’un homme qui a dérangé une certaine nomenklatura.

Il est frappant que, dans le scandale du Crédit Lyonnais, aucun cacique de l’État (Trésor, Banque de France, Commission bancaire…), n’ait jamais été inquiété pour la défaillance des pouvoirs publics sous les années Mitterrand. Est-il donc normal que des  fonctionnaires, cités comme oracles par Mediapart, jouent le rôle de sages dans un conflit opposant un particulier à l’État ?  N’y a-t-il pas là l’un de ces conflits d’intérêts qui soulèvent les cœurs intègres ? Les fonctionnaires des finances, favorables ou non à l’arbitrage, interviennent-ils vraiment au nom de l’intérêt général ? On parle d’un arbitre qui aurait déjà travaillé avec l’avocat de Tapie. Mais quid d’un inspecteur des finances ou d’un magistrat de la Cour des comptes qui ont fréquenté toute leur vie les hiérarques du ministère des Finances ? Peuvent-ils donner un avis sur un conflit entre l’État, leur employeur, et un particulier ?

On n’a pas spontanément envie de défendre Tapie. Mais dans le soulagement d’honorables hauts fonctionnaires et de vertueux parlementaires face à la chute d’un homme qui n’est pas de leur monde, on sent les remugles d’une vieille société d’ordres. Du haut de son impartialité autoproclamée, l’aristocratie d’État reste intouchable, quelles que soient ses défaillances avérées. Les salauds ordinaires, qui ne commettent que des « délits de bureau », ont tôt fait d’enterrer définitivement Gatsby.[/access]

 *Photo: France 2

 

Eté 2013 #4

Article extrait du Magazine Causeur



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