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Syrie : Obama adepte de la méthode Clinton?


Syrie : Obama adepte de la méthode Clinton?

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L’indignation est bien mauvaise conseillère. Surtout en politique étrangère, où les grandes valeurs humanistes servent souvent de cache-sexe aux intérêts bien compris. Mais si les droits de l’hommistes s’aveuglent derrière des grands mots lénifiants, les souverainistes partisans de la realpolitik peinent à comprendre le poids de l’opinion dans les relations internationales. Ainsi de l’attaque chimique contre des civils qu’auraient perpétrée les troupes d’Assad dans la Ghouta, aux abords de Damas. Bien que la nature de ce bombardement ne soit ni plus ni moins avérée que ceux de ces derniers  mois, Obama, Hollande et les autres dirigeants occidentaux estiment qu’une ligne rouge a été franchie[1. Comme le confirment les archives déclassifiées de la CIA, lorsque Saddam Hussein employait des armes chimiques contre les civils iraniens, l’administration américaine Reagan fermait les yeux. À indignation sélective, ligne rouge sélective…]

Tous jugent l’« action de force » inévitable, dussent-ils se passer de l’aval d’une ONU paralysée par les vetos chinois et russes. Mais les mots sont des pièges : dans l’esprit d’Obama, une « action forte » ne signifie ni une opération militaire terrestre ni même des frappes aériennes massives susceptibles d’extirper Bachar Al-Assad de son palais ou de renverser la vapeur en faveur de l’Armée syrienne libre. Le chef des armées américaines voudrait frapper l’opinion, éviter de se dédire et ne pas pouvoir prêter le flanc aux accusations d’inaction, en ne visant que quelques cibles plus symboliques que stratégiques, histoire de ne pas trop remuer la poudrière moyen-orientale. Bref, justifier son prix Nobel 2008, décerné alors qu’il restait vierge de toute action présidentielle !

D’après certaines sources diplomatiques, on s’acheminerait vers une opération à grand spectacle, une sorte de répétition du rideau de fumée que le président Clinton avait orchestré à la fin de l’été 1998, en réponse au double attentat antiaméricain qui venait de secouer l’est de l’Afrique. Souvenez-vous, alors que l’affaire Monica Lewinsky battait son plein à Washington, deux explosions visèrent les ambassades américaines de Nairobi (Kenya) et Dar-es-Salam (Tanzanie), causant 224 morts et plusieurs milliers de blessés. À l’époque, on entendit pour la première fois parler d’un milliardaire saoudien hébergé par le régime des talibans, un certain Oussama Ben Laden, mécène du terrorisme jihadiste. Pour ne pas rester les bras ballants, Clinton lança précipitamment l’opération « Infinite Reach » moins de quinze jours après les attentats. S’ensuivit une série de bombardements de missiles Tomahawk sur des camps d’entraînement  afghans d’Al Qaïda et une usine pharmaceutique soudanaise suspectée de produire des armes chimiques. Bilan des courses : pas plus d’une trentaine de jihadistes tués, Ben Laden rehaussé d’un prestige international, et des milliers de Soudanais privés de médicaments, alors qu’aucune preuve tangible n’établissait le caractère suspect de l’usine Al-Shifa. Trois ans après ce baroud d’honneur, le 11 septembre 2001 remit sur le tapis la responsabilité du président Clinton : en avait-il vraiment fait assez contre Al Qaïda et son chef ? Les historiens nous le diront.

« Infinite Reach » ne se répétera peut-être pas sur les bords de l’Euphrate et de l’Oronte. C’est du moins ce qu’espère l’opposition syrienne qui, toutes tendances confondues, mise plutôt sur une resucée de la guerre d’Irak déclenchée en 2003, tant du côté des libéraux et des Frères musulmans que des salafistes qui rêvent d’en découdre avec l’armée américaine une fois les forces loyalistes syriennes définitivement défaites.

Obama et ses alliés étant acculés à l’action par la tyrannie médiatique, on peut raisonnablement parier sur une riposte graduée, voire une intervention express, qu’on nous annonce pour jeudi, au détriment de tous les autres scénarii. Contrairement aux apparences, cette hypothèse devrait ravir les tenants du statu quo. Dans une région morcelée par les conflits, ouvrir un nouveau front exposerait Israël sur son flanc nord et redorerait le blason des Frères musulmans après leur fiasco égyptien. Sans parler de ses possibles répercussions sur la situation de l’Irak et la question kurde ni des éventuelles représailles de l’État syrien, affaibli mais toujours debout, contre ses voisins turcs, jordaniens ou israéliens…  Vous avez dit Orient compliqué ? Afin de ne pas attiser le feu, la Maison blanche voudrait agir avec parcimonie, quitte à tourner bride le moment venu. Cela tombe bien, tous les pays indignés par les exactions de l’armée syrienne renâclent à engager leurs combattants sur un terrain d’opération aussi miné.

Ni maître du monde ni humaniste naïf, Obama risque de se comporter en chef d’Etat normal. Trop normal ?



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