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Victor Young Perez, un détournement de boxeur

victor young perez

Tunis 1911, Auschwitz, 1945. Deux dates, deux lieux qui résument le destin de Victor Young Perez, le plus jeune champion du monde poids mouche de l’histoire de la boxe, encore aujourd’hui.

Il existe très peu d’écrits sur Young. Le livre « référence » est celui d’André Nahum, mon père (sur Wikipedia, à la rubrique Young Perez, on dénombre 106 notes, dont 97 sur le livre d’André Nahum). André Nahum, ancien médecin à Sarcelles, était hanté depuis l’enfance par le champion oublié. Il s’est battu pour sa mémoire et a passé vingt ans de sa vie à faire des recherches dans la presse sportive, auprès de ses vieux patients, de Margaux et Benjamin Perez, la sœur et le frère, etc. En un mot, il a élevé ses enfants avec la figure de Young comme s’il faisait partie de la famille.

Young Perez, c’est l’histoire d’un gosse de la Hara, pauvre ghetto juif de Tunis. Belle gueule, farceur, bagarreur, un peu voyou, écolier buissonnier de l’Alliance israélite, Victor a une passion, la boxe. À cette époque, le noble art fait rêver la rue comme le foot aujourd’hui. Victor et sa bande de copains parviennent à intégrer une salle d’entraînement grâce à la générosité d’un mécène de la communauté. Très vite, il est repéré comme le plus prometteur. Petit, léger, souple il est d’une rapidité époustouflante et son jeu de jambes devient vite unique.

Il remporte le titre mondial contre Franckie Genaro à Paris en 1931, à 20 ans. 5 petites minutes d’un combat victorieux le propulsent vers la gloire.

Young, soudain riche et célèbre, croule sous les invitations dans le beau monde. La star du moment, c’est lui. Ces années 30 sont folles de jazz, de boites de nuit, de jolies filles, de jolis garçons et de boxe. Pas un jour sans combat. Le tout-Paris des Arts et des lettres remplit les salles de boxe. On y croise Cocteau, qui soutient le grand Al Brown, ou Joséphine Baker, pour ne citer qu’eux. Dans cette ambiance vertigineuse, le jeune juif tunisien rencontre une starlette débutante, de deux ans son aînée, l’adorable Mireille Balin. Ils deviennent amants. On les voit partout ensemble.Young la couvre de cadeaux somptueux. Il gâte pareillement ses parents et son entourage. Il n’oublie pas d’où il vient. Il ne refuse rien à personne. Un cœur gros comme ça. L’argent doit profiter à ceux qui en ont besoin et même si certains exagèrent, il s’en fiche. Mireille tire profit des projecteurs sur Young, elle se montre, fait sa pub, dirait-on maintenant. Elle est élégante, éduquée, et sophistiquée. Tout la sépare de son amoureux : le milieu social, la culture, la religion. L’époque n’est pas à la mixité. Elle se lasse, s’éloigne de Young peu à peu, tourne et monte à son tour vers les sommets. Il en souffre atrocement, la poursuit, prend du poids, se laisse aller, et perd son titre mondial.

Les fidèles copains l’entourent, mais beaucoup sont rentrés chez eux, dont le grand frère, Benjamin, boxeur lui aussi qui choisit la raison et s’en va ouvrir un commerce à Tunis. L’époque s’est durcie. L’heure est à la haine des Juifs. Young devrait rentrer à Tunis, mais il n’écoute personne. Il croit que rien ne peut lui arriver, à lui, le champion du monde. Il va se refaire et conquérir à nouveau sa belle Mireille, il en est sûr. Inconscient ou naïf, il acceptera un combat à Berlin en 1938. Il y vit l’horreur de l’humiliation et de la peur.

De son coté, Mireille , après une passion torride avec Tino Rossi est à présent  au bras d’un bel officier allemand. Elle paiera cher cet amour, sera arrêtée et violée à la fin de la guerre. Young Perez est arrêté en septembre 1943. Embarqué à Drancy, puis déporté à Auschwitz et assassiné. Que s’est-il passé ? Qui l’a dénoncé ? Des témoins ont émi des hypothèses. On ne saura jamais.

Comment M. Ouaniche a-t-il rendu ce matériau extraordinaire dans son film ? On ne retrouve rien. Le film tient tout entier dans le dernier combat de Young contre un allemand à Auschwitz. Une séquence très longue, où le boxeur Brahim Asloum donne le meilleur de lui-même. Asloum fait le boulot comme personne, il boxe. Le choix de faire jouer Young Perez par Brahim Asloum, champion du monde comme lui est la grande trouvaille du réalisateur.

Sinon ?

Quoi de la Hara de Tunis dans les années 20 ? De l’ambiance décrite pourtant dans tellement d’ouvrages (très bizarre, l’accent parisien des copains de Young dans les ruelles du ghetto! L’accent tune, c’est quand même typique). Quoi du Paris des années 30 que Young va découvrir dans sa nouvelle vie de champion ? (quelle lourdeur,  cette scène sensée nous montrer ses conquêtes, où l’on voit Young dans le tourniquet d’un palace au bras d’ une nouvelle femme à chaque sortie du tourniquet!)

Quoi de son retour triomphal à Tunis, en héros, retour pourtant historique ? De l’accueil national ? De la fierté de la Hara ? De la générosité légendaire de Young  pour son ghetto? Rien. Pourquoi le choix de cette actrice qui joue Mireille avec un fort accent italien ? Pourquoi son frère Benjamin à Auschwitz alors que dans la réalité, il était à Tunis et n’a jamais été déporté ? (cette invention donne lieu à des scènes de mélo fraternel digne d’un soap opera!) Parce que c’est de la fiction ? Et que la fiction a tous les droits ? C’est vrai.

Mais notre droit est d’écrire que le Young  du film n’a pas grand-chose à voir avec le vrai Young Perez. La production n’avait pas les droits du livre d’André Nahum (il les a vendus à un autre producteur). Or comment écrire l’histoire de Young en ignorant le seul récit existant, de crainte d’être accusé de plagiat ? Pas d’autre choix que de suivre la trame de ce  récit[1. Quatre boules de cuir, d’André Nahum est réédité sous le titre : Young Perez Champion, de Tunis à Auschwitz, éditions Télémaque. En librairie le 25 novembre.] mais en le vidant de sa substance, en inventant des anecdotes, en changeant même l’histoire de Benjamin, mais aussi en transformant l’Histoire.

Le résumé annonce le récit de « la jeunesse insouciante (de Young) à Tunis avec Rachid, Maxo et Benjamin ». Or, comme dans toutes les bandes du ghetto, au côté de Young, les gosses étaient juifs. À cette époque, il y avait peu d’interférences entre les communautés en dehors des relations professionnelles. Chacune vivait cloisonnée.

Que dire aussi de cette assemblée d’hommes en seroual et chéchias, manifestement tous musulmans, acclamant Young au début du film ? Pourquoi donner une image aussi simple d’une société bien plus complexe, à l’ombre du drapeau français ?

C’est vrai, c’est une fiction. L’artiste a tous les droits, jusqu’au détournement de boxeur. Mais cette vision  liftée du passé ne fera pas avancer la paix. Elle fausse le jeu, entre Juifs et Arabes liés par une Histoire plus que complexe.

 

 

Touche pas à cette pute, c’est mon pote

bois-de-boulogne-prostitution

« Touche pas à ma pute ! » Ô le joli slogan ! On achète, allez– le slogan, pas la pute.

« Touche pas à ma pute », déclarez-vous, comme d’autres, sans doute mieux inspirés, disaient « Touche pas à mon pote ! » Votre pute, Messieurs, qui n’est pas votre pote, justement ; parce que les putes, ça s’achète, pas les potes. Encore une lubie de notre État liberticide qui interdit l’achat d’amis?

Touche pas à ma pute, touche pas à mon plaisir, touche pas à cette mauvaise conscience qui voudrait faire croire qu’elle aime ça, ma pute : se vendre. C’est bien ce qu’on lui demande, non ? Donner l’impression qu’elle aime ça.

Vous n’aimez pas la violence, vous n’aimez pas l’exploitation ni la traite des êtres humains ? Laissons vos putes vous répondre.[access capability= »lire_inedits »]

Le quotidien d’une personne en situation de prostitution, c’est la violence, la peur au ventre : « Ils vous regardent comme du bétail en vous examinant les dents, en vous tâtant les fesses », témoigne Fiona. « Certains, sadiques ou frustrés, viennent juste pour humilier les prostitués ; leur faire sentir une infériorité, en tant que prostitués, en tant que gays », nous dit Thomas. « Quand on subit ces violence. On se dit : c’est comme ça, on l’intègre au fond de soi. » Pour Naïma : « Apparemment, le pouvoir pour eux, c’est aussi la possession de la femme. »

Le quotidien d’une personne en situation de prostitution, c’est l’exploitation : « J’ai le sentiment que les clients préfèrent celles qui sont en pleine détresse, ça les excite plus. »

Le quotidien d’une personne en situation de prostitution, c’est le trafic des êtres humains : « Mais là, vous êtes dans une chambre, il n’y a pas de caméras, et il est interdit au patron d’intervenir. Vous êtes seule. De toute façon, il ne dirait rien pour ne pas ternir la réputation de l’établissement ; il n’y a que le business qui compte. Et puis le mec paye, il a le droit de faire ce qu’il veut. C’est l’idée que tout le monde a intégrée dans ce milieu, à commencer par nous. »

Alors, « chacun a le droit de vendre librement ses charmes – et même d’aimer ça » : la belle histoire… Laissons Thomas vous répondre : « Aucun étudiant sain d’esprit ne se prostitue par plaisir. » Les histoires de vie de femmes françaises en situation de prostitution ne racontent pour la plupart que le monde de la rue, des parcours chaotiques depuis l’enfance. Certaines se persuadent qu’elles ne savent faire que « ça », parfois elles en deviennent esclaves : « Ça rapporte plus qu’être caissière. » D’autres sont poussées sur les trottoirs par la précarité, la drogue, une mauvaise rencontre… Cessons de nous laisser aveugler par Belle de jour ! La réalité n’est ni tendre, ni glamour. A., 40 ans, toxicomane et fille de la DDASS, comme sa mère, parle d’un « choix » : en est-ce vraiment un ? Les rares femmes qui mettent en avant ce « choix » sont poussées par des associations militantes. Et que dire des étrangères ? La proposition de loi rappelle que si « seulement 20 % des personnes prostituées dans l’espace public étaient de nationalité étrangère en 1990, elles en représentent aujourd’hui, et depuis les années 2000, près de 90 %. Les pays d’origine sont bien connus (Roumanie, Bulgarie, Nigeria et Chine principalement) et démontrent l’emprise croissante des réseaux de traite sur la prostitution ».

Messieurs, les avez-vous écoutées, vos putes et leurs souffrances ? Êtes-vous encore assez naïfs – ou cyniques –pour croire qu’elles « aiment ça » ?

Vous évoquez des « partenaires » : parlez plutôt de « fournisseurs de corps ». Vous invoquez la « liberté » : triste liberté qui se fonde sur l’aliénation de l’autre. Triste revendication d’une virilité qui ne s’exhibe que pour soi. Triste marchandisation du corps qui ne susciterait ni faille éthique ni détresse psychologique pourvu que ce soit « consentant ». Triste rébellion où la pose artiste et dandy consiste dans la revendication la plus tristement conventionnelle qui soit depuis le début du monde.

Quelles sont cette « littérature » et cette « intimité » dont vous faites si grand cas ? La littérature est fiction quand vous revendiquez le passage à l’acte. L’intimité, c’est le respect, pas le droit de souiller. Quant à votre liberté, elle est symptomatique d’une époque : une « liberté » d’enfant tyran, une « liberté » d’avant la prise de conscience de l’altérité, de cet autre avec qui je suis relié, de son visage qui construit ma personne. Regardez-les en face, ces visages de vos putes !

Alors, rassurez-vous, le législateur ne tient pas à réguler vos fantasmes ni à « s’occuper de vos fesses», simplement vous interdire d’acheter celles des autres. Pour plus d’humanisation, pas de marchandisation de l’humain : c’est tout.

Dans ce contexte, quelle est la pertinence de la proposition de loi de « lutte contre le système prostitutionnel » soutenue par le gouvernement ? Loin de mettre la liberté en péril, la loi ne prévoit qu’une peine de contravention pour les « clients », assortie d’un stage de sensibilisation. Des ONG, en particulier aux États-Unis, ont mis en place des formations s’appuyant sur les témoignages d’ancien(ne)s prostitué(e)s. Résultat assuré… Qui n’est pas sensible à la souffrance d’autrui ?

En les contraignant à vivre caché(e)s et donc moins protégé(e)s, la pénalisation des clients augmenterait le risque pour les prostitué(e)s ? Un argument relayé par des associations militant pour la dépénalisation de la prostitution et du proxénétisme… Aucune recherche sérieuse ne permet de l’étayer. Les études montrent en revanche que les pays ayant adopté la législation la plus sévère ont fait baisser l’emprise des réseaux de proxénétisme. La pénalisation permet surtout une prise de conscience. Non, les personnes en situation de prostitution n’éprouvent pas de plaisir. Non, elles ne sont pas différentes de vos femmes ou de vous-mêmes. Et souhaiteriez-vous un seul instant ce « métier » pour vos propres enfants ?

Il existe une cohérence dans la lutte contre la marchandisation de l’humain, qu’il s’agisse du recours à la prostitution, au trafic d’organes ou aux mères porteuses. Tout est lié. Pour changer les regards, il faut aussi travailler en amont, encourager à l’école de nouvelles propositions d’éducation affective. Enfin, rien ne pourra changer en profondeur sans sevrer notre génération de la pornographie de masse, ce business florissant d’images d’une chair prête à baiser. Exiger des sites pornos un accès payant systématique permettrait de protéger les plus jeunes tout en vous permettant, Messieurs, d’exercer votre liberté d’acheter pour voir, puisque votre portefeuille et votre liberté semblent si intimement liés…[1. Les témoignages proviennent de rencontres vécues et de ce site internet][/access]

*Photo : ERIC BAUDET/JDD/SIPA. 00669559_0000090. 

Nous n’avons pas les mêmes vieux !

Une question me taraude : pourquoi n’avons-nous pas les mêmes vieux en France et en Russie ?

Ma grand-mère française est hyperactive, elle court toujours, elle court pour ne pas sentir le vide de l’ âge. Elle veut vivre et le revendique. Elle appartient à la France qui se lève tôt. Elle exige l’accès à ses droits. Le droit à l’élégance. Le droit de séduire. Le droit d’être respectée. Le droit de dépenser. Elle abolit les conventions, une grand-mère peut danser, boire et faire l’amour. Elle peut parler de tout et a le droit de ne pas être choquée. Ce n’est pas son rôle. Elle est la meilleure amie des jeunes. Elle aime écouter leurs intrigues. Elle réclame qu’on lui accorde du temps, de l’attention, de l’affection.  Elle est géniale, pleine d’idée, créative, inventive, et réalisatrice.

Elle contraste grandement avec  les babouchkas que je connais.

Les babouchkas sont résolues et soumises. Elles habitent souvent dans leur appartement  avec  leur fille et leur gendre. Ce dernier ne leur parle pas mais elles s’en accommodent. Elles ont l’air vieilles et usées.  Elles ne font plus attention à leur apparence. Elles sont marquées par leur vie et leur expérience. Le temps les a apprivoisées. Elles sont sages et calmes. Elles s’accoutument de tout. Leur destin est de rester à la surface, sans faire de remous. Elles n’embêtent pas même si elles influent. Elles écoutent tout mais n’attendent pas qu’on les écoute. Elles reprennent leur rôle premier de nourricière. Elles attendent patiemment leur fin.

Pourquoi sont-elles si différentes ? Est-ce notre côté revendicateur qui a transformé le fondement de nos grands-parents ? Est-ce la santé qui les secoue jusqu’au bout ? L’image véhiculée d’une jeunesse éternelle qui leur a donné de mauvaises idées ?

La volonté de rester jeune tue la sagesse, qui fait la richesse de l’âge. Nos vieux ont acquis de nouveaux privilèges. Mais ce n’est pas certain qu’ils soient plus heureux.

France-Ukraine, et si…

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france ukraine foot

France-Ukraine : 0-3

La preuve est faite, si besoin en était : la France va mal, très mal. L’échec de cette équipe multiraciale nous renvoie à un échec flagrant, celui de l’intégration. Une France communautarisée qui ne se vit plus comme nation ne peut briller dans la compétition internationale – qu’elle soit sportive ou économique. Cette défaite humiliante avec l’expulsion de Ribéry, les mauvais gestes, les insultes et l’arrogance de ces joueurs sans repères, c’est aussi l’héritage de mai 68 et d’une éducation qui a naufragé sous les coups de boutoirs de l’individualisme hédoniste, du pédagogisme et du McDo.

On est étonné que des émeutes n’aient pas succédé à ce Waterloo sportif, politique et moral. On murmure que monsieur Valls avait renforcé de manière spectaculaire les renforts policiers autour des lieux de pouvoir et notamment de l’Assemblée Nationale car on craignait, du côté de la DCRI, des cortèges spontanés de supporters bien décidés à transformer ce 19 novembre en 6 février footballistique.

En même temps, peut-on en vouloir vraiment à ces joueurs, imposés à 75%, d’être démotivés ? Ils illustrent de manière symbolique cette démotivation qui est aussi celle des entrepreneurs français sous la tyrannie fiscale et incompétente du tandem Hollande-Ayrault.

Il faudrait, décidément, que François Hollande abrège ce calvaire et, comme l’a fait Didier Deschamps à la FFF, présente sa démission, une fois pour toutes.

France-Ukraine : 0-0

Un match terne et une élimination sans gloire. L’impuissance des joueurs français devant les buts, c’est celle de notre pays aujourd’hui. Un pays sans volonté, sans dessein qui évolue dans une grisaille de mauvais rêve, entrecoupée seulement de colères brèves, de sursauts d’orgueil à l’image des bonnets rouges ou des accélérations courageuses mais inutiles de Ribéry.

Dans cette histoire, Didier Deschamps, c’est Jean-Marc Ayrault. Son changement de système pour un 4-3-3 qui n’a rien prouvé fait penser au premier ministre et à ses reculades timorées, ses changements de pied qui ne résolvent aucun problème et ne font qu’accentuer le sentiment d’une absence de vision.  Encore une fois, une France qui perd sans perdre avec des joueurs eux aussi sans doute touchés par le ras-le-bol fiscal à l’image des classes moyennes, ne peut pas gagner. Il faudrait, du côté de la Fédération Française de Football comme de l’Elysée, accepter de tirer les conséquences soit en changeant de paradigme, soit en partant. On oserait à peine imaginer quel serait ce matin le climat dans le pays si la défaite avait été plus lourde.

France-Ukraine : 2-0 (élimination de la France par tirs aux buts)

Quels regrets ! Merveilleusement fringante et collective en première mi-temps, marquant deux buts admirables, l’équipe de France s’est trouvée privée de volonté dans la seconde période, comme prise d’une étrange langueur. Comment ne pas voir une parfaite allégorie de la situation de la France ? Les fondamentaux sont là, le désir d’entreprendre malgré la politique fiscale désastreuse qui n’a pas démotivé des joueurs pourtant taxés à 75%.

Mais, au bout du compte, Didier Deschamps comme la FFF se sont contentés de demi-mesures, de celle qui ne permettent pas la victoire décisive sur une crise que l’on pourrait pourtant aisément surmonter avec un peu de courage. Mais ce courage manque comme il manque à l’exécutif.

On n’aime plus l’équipe de France, on n’aime plus ce gouvernement. Les deux, plombés par l’impopularité, ne sont plus en mesure d’agir sur les événements, de renverser la tendance. Ce n’est pas l’aggiornamento promis par Jean-Marc Ayrault sur les impôts qui changera grand-chose au problème.

Le match d’hier soir a signé la fin d’une génération de joueurs et, espérons-le, de dirigeants. On peut espérer que les prochaines élections, municipales et européennes, indiqueront aussi au gouvernement la porte de sortie. Il est tout de même dommage que les belles choses que nous avons vues hier soir et que nous voyons chaque jour dans le pays réel qui continue à se battre, ne nous amène pas à la victoire par la seule faute d’un président de la république qui ne veut pas comprendre les enjeux.

France-Ukraine : 6-0

Le coup du chapeau de Sakho, le but de Benzema, le but de Ribéry, sans compter le but ukrainien contre son camp, et voilà une incroyable victoire qui va faire taire les déclinistes de tout poil. Ce qu’on a vu hier, sur le terrain, c’est la France de 98. Loin de la peinture apocalyptique des médias, la France reste malgré la crise un pays capable de faire de ses différences une richesse et surtout de jouer collectif. On ne peut que reconsidérer, après un tel match, la politique de François Hollande qui lui aussi finira par trouver sur le plan politique son billet pour Rio. Après tout, avec son gouvernement si critiqué, son premier ministre si moqué, le Président, comme Didier Deschamps, a refusé la fatalité. C’est difficile, ce n’est pas compris de l’opinion ou pas tout de suite, mais ça finit par payer.

On a oublié que la semaine dernière, malgré quelques réticences, Bruxelles avait avalisé le budget 2014 présenté par Paris, ce qui prouve que nous sommes sur la bonne voie d’une mise en conformité de notre système au normes européennes. Bien sûr, la Commission a indiqué que notre marge de manœuvre était très faible et que nous n’avions pas le droit à l’erreur. Exactement comme l’équipe de France hier soir qui a prouvé, et de quelle manière merveilleuse, que rien n’est jamais joué d’avance quand le courage est au rendez-vous.

*Photo : PDN/SIPA.  00669772_000006 .

Où va le président ?

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crise hollande ayrault

On a beau chercher dans sa mémoire, on ne retrouve pas de moment, sous la Ve République, où le pouvoir exécutif a été si affaibli. Même pendant la phase 1991-1993, sous les gouvernements d’Edith Cresson et de Pierre Béregovoy, même dans les pires périodes d’impopularité du couple Chirac-Juppé ou de Nicolas Sarkozy, on ne percevait pas le duo Elysée-Matignon aussi faible.

Conscient du problème, le couple exécutif tente de réagir et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas très heureux. Ainsi depuis  la fin de semaine dernière a-t-on assisté à deux épisodes assez révélateurs de ses difficultés. Samedi, le conseil national du PS se réunissait afin de désigner les têtes de liste pour les élections européennes de mai 2014 qui s’annoncent périlleuses – c’est un euphémisme – pour le parti majoritaire.

Primo, Vincent Peillon affrontera bien, selon son propre vœu, Jean-Marie Le Pen dans la circonscription sud-est, ce qui pose une question : siégera-t-il oui ou non ? S’il annonce vouloir faire campagne sans siéger ensuite à Strasbourg, il aura du mal à l’expliquer aux électeurs. Si en revanche, il affirme vouloir redevenir député européen, il fragilise encore un peu plus sa position de ministre, ce qui, en ces temps de contestation de la réforme des rythmes scolaires, n’est pas une bonne nouvelle pour le gouvernement.

Secundo, la tête de liste pour la circonscription Île-de-France revient à Harlem Désir. En temps normal, il est effectivement logique que le Premier secrétaire conduise une liste afin de représenter le PS dans les débats télévisés ou radiophoniques. Le problèmec’est que Harlem Désir, surnommé « SOS Charisme » par les députés socialistes, apparaît, tous les jours un peu plus comme une erreur de casting. Fin octobre, il avait aussi mis, dit-on, le Président dans une colère noire. Désir l’avait publiquement contredit moins de trente minutes après l’allocution présidentielle sur l’affaire Léonarda. Pour une fois qu’Harlem décide de montrer un peu de  personnalité, c’est pour faire une bêtise au pire des moments. Cette désignation comme tête de liste n’a pas réduit la déprime dans les rangs socialistes. Certains participants au conseil national nous confiaient dimanche leur crainte que leur liste en  Île-de-France batte non seulement le vieux record de Michel Rocard (sur la France entière, en 1994) de 14 % mais, qu’en sus, elle finisse à la quatrième place, derrière les listes UMP, FN et Front de Gauche. Ce qu’on a du mal à comprendre, ce n’est pas que Désir croie en sa bonne étoile, mais que l’Elysée et Matignon n’aient pas tenté d’empêcher cette investiture catastrophique. Voilà un premier épisode qui en dit long sur la faiblesse –ou pire, l’aveuglement complet-  du duo Hollande-Ayrault.

Le second épisode est intervenu ce mardi lorsque le Premier Ministre a annoncé une «  remise à plat » de la fiscalité française. Il s’agirait de déterrer la vieille proposition de fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu, préconisée par l’économiste Thomas Piketty. Le candidat Hollande l’avait reprise à son compte au début de sa campagne. Mais comme cette proposition révolutionne le calcul de l’impôt, qui serait désormais calculé par personne fiscale et non plus par foyer fiscal, il avait consenti à ne plus la porter en bandoulière pour ne pas prêter le flanc aux griefs de Nicolas Sarkozy qui lui reprochait « d’attaquer les familles ». Une fois élu, François Hollande aurait pu néanmoins lancer cette réforme dans les trois premiers mois de son mandat, arguant qu’elle figurait en toutes lettres dans son programme. Profitant de la légitimité que conférait une élection très récente, c’était le moment ou jamais de mener cette révolution fiscale. Tel Nicolas Sarkozy qui avait renoncé à mettre en œuvre la TVA sociale qui lui avait pourtant fait perdre une cinquantaine de députés en juin 2007 (quitte à avoir perdu autant en l’annonçant, autant la faire !), le président de la République a loupé cette occasion unique. Mais la ressortir maintenant alors que le pouvoir n’arrive même pas, effrayé par des bonnets rouges, à appliquer une écotaxe pourtant votée à la quasi-unanimité, prouve que le pouvoir est, littéralement, aux fraises. Il ne sait plus où il va, comment rebondir. Il n’a plus de visibilité au-delà de deux semaines. Jamais pouvoir exécutif n’avait été aussi faible et on peut trouver facilement les raisons qui ont mené à ce désastre.

Depuis début septembre, le Président de la République n’a cessé de ménager la chèvre et le chou alors que la contestation montait au sein même de son gouvernement. Son ministre de l’Intérieur, qui est aussi le plus populaire (voire le seul) de son équipe a été contesté voire attaqué violemment. Il fallait à l’évidence le soutenir, bruyamment, à chaque fois. Au lieu de cela, il a géré l’affaire en Premier secrétaire du PS qu’il fut, a mécontenté tout le monde mais surtout, a montré à la France entière que la contestation était possible puisque Cécile Duflot, par exemple, pouvait  la mener sans que ça n’émeuve le Président de la République. On se désole que le 11 novembre soit pris en otage par quelques siffleurs qui manifestent leur hostilité au Chef de l’Etat, ou que des portiques « écotaxe » soient saccagés, ou encore que des maires refusent d’appliquer le décret mettant en œuvre les rythmes scolaires mais l’exemple de la contestation n’est-il pas venu d’en haut ? L’affaire Léonarda a symbolisé en quelques jours cette séquence de deux mois. Le jour même, l’affaire commence à faire le buzz dans les médias. Dès le lendemain, nous expliquions, notamment grâce aux communiqués de la préfecture du Doubs, ce que l’inspection générale de l’administration avait détaillé trois jours plus tard. Dès le mercredi soir, donc, le Président aurait pu apporter son soutien à Manuel Valls et à ses services, affirmant l’autorité de l’Etat, quitte à prier Mme Duflot de quitter le gouvernement si elle et ses amis persistaient à contester l’autorité de l’Etat. Au lieu de cela, il a laissé dire n’importe quoi dans ses propres rangs, tolérant que certains traînent le ministre de l’Intérieur dans la boue. Même sa compagne fut de la partie. Et il a conclu en beauté, avec la tragi-comédie  « Léonarda peut revenir, mais sans sa famille », ce qui fut immédiatement contesté par la première intéressée, en direct du Kosovo !

Le roi est nu. Mais c’est lui qui s’est dévêtu devant tout le monde. Dans ces conditions, François Hollande devra donner pas mal de coups de rame avant de recouvrer son autorité présidentielle. Encore faudra-t-il qu’il s’assure, préalablement, que la barque est bien dans l’eau et non à terre.

*Photo : SIPA/ 00668981_000030.

Souffrance animale : l’exception corrida !

corrida verts tauromachie

Le 27 octobre, 750 manifestants anti-corrida se sont retrouvés à Rodilhan dans le Gard pour bloquer l’accès aux arènes. En pointe dans cette lutte, des membres du Comité Radicalement Anti-corrida avaient été évacués manu militari lors d’une précédente action pendant laquelle ils s’étaient enchaînés entre eux. Dans le Sud de la France, les corridas et les écoles de tauromachie ne désemplissent pas, ce qui inquiète les associations. Aussi mènent-elles des actions coup de poing. Des défenseurs de la cause animale venant du monde entier y participent. Ils tentent de mettre fin à ce spectacle cruel qui fait de la résistance au nom de l’exception culturelle et du régionalisme. Pourtant, en Catalogne, le sujet n’a pas suscité tant d’atermoiements de la part des pouvoirs publics lorsqu’on y a interdit la corrida.

Importée d’Espagne, la tauromachie s’implante dans le Midi au milieu du XIXe siècle. Ses défenseurs arguent de sa dimension « patrimoniale » pour que les corridas n’entrent pas sous le coup de la loi sanctionnant les « actes de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité ». À l’heure où une quinzaine d’intellectuels ont signé un manifeste pour le bien-être animal et que la Commission Européenne s’attaque au problème, on s’étonne que la souffrance flagrante de bêtes à qui on coupe oreilles et queue, puis que l’on met à mort, soit encore tolérée. De fait, il semble qu’en la matière le lobby de la tauromachie soit plus puissant que celui des agriculteurs et des chasseurs. En effet, pour ces derniers, leurs activités sont strictement encadrées.

Les militants anti-corrida sont confrontés à l’immobilisme des pouvoirs publics qui considèrent qu’une interdiction entraînerait une perte notable de voix aux prochaines élections. Pour occulter le clientélisme local, la corrida devient une manifestation populaire que l’on pare d’une ancestralité fallacieuse. Or, force est de constater que les notables ne sont pas en reste pour assister à l’agonie programmée d’une bête qui n’a aucune chance de survie dès qu’elle fait son entrée dans l’arène. Ce spectacle sanglant est un retour des combats du cirque. En l’occurrence, la vaillance du taureau prime peu car une corrida serait dénaturée sans mise à mort. Les taureaux graciés sont suffisamment rares pour faire la Une des journaux régionaux. L’un des cas les plus éclatants est survenu en 2008, dans les arènes de Dax. Agitant des mouchoirs blancs, les spectateurs ont trouvé suffisamment de qualités à Desgarbado pour solliciter sa « grâce ». Mais cela n’est pas vraiment du goût des responsables qui estiment que cela doit rester exceptionnel. Le fond de commerce reste le sang. Un taureau qui ressort vivant de l’arène pour devenir un reproducteur n’est apparemment pas bon pour les affaires.

Les professionnels du secteur soulignent les pertes économiques qui découleraient de la fin des mises à mort ou d’une éventuelle interdiction de la corrida. Ainsi, ils avancent que le pays d’Arles, notamment, y perdrait son âme. Au nom de l’exception régionale et culturelle, on maintient donc un spectacle où le taureau effrayé ou enragé, à force de sévices, agonise lentement sous les « vivas ». Pour justifier la tauromachie, certains en seraient presque à dire que les banderilles ne font pas souffrir le taureau. Le lobby économique et politique a réussi à annihiler tout débat sur la question. Face à cela, les défenseurs de la cause animale se trouvent étrangement démunis alors que la souffrance est au cœur du spectacle taurin. Pendant de longues heures, la résistance de l’animal est vaincue par les assauts du torero. De longues trainées de sang s’étalent le long de ses flancs. Parfois même la fin du « combat » intervient plus tôt car, affaibli, le taureau ne peut même plus tenir debout. Cela ne suscitera que rarement l’empathie d’un public transporté par la performance du matador.

Pour lui, c’est un exploit sportif et artistique. La portée esthétique transparaît dans la chorégraphie de l’homme face à la bête. En habit de lumière, il virevolte et met en échec les cornes de l’animal à chacune de ses approches. C’est un entraînement de nombreuses années et les toreros sont idolâtrés dans certaines régions. Pourtant, quelle perspective esthétique peut-on bien trouver à un spectacle qui se clôture immuablement par la mise à mort du taureau ? Si l’on ne peut interdire la corrida pour cause de régionalisme, au moins pourrait-on voir quelques concessions de la part des aficionados pour épargner les taureaux à la fin du « show » ? Il y a sans doute là quelque chose de la barrière d’incompréhension et de l’absence de dialogue entre les deux partis.

Les nombreuses propositions de lois en faveur d’une interdiction de la corrida ont été invariablement rejetées par le Conseil Constitutionnel qui la juge « conforme » à la loi. Pour supprimer cette dérogation du code pénal, les députés Verts, Barbara Pompili et François de Rugy, ont déposé un nouveau texte le 19 septembre dernier. Celui-ci préserve les courses camarguaises et landaises.

Déjà au XVIIe siècle, La Fontaine dans son fameux Discours à Madame de La Sablière critiquait les « animaux-machines » de Descartes, qui les réduisait à l’instinct. La Fontaine résume ainsi cette manière de considérer une bête : « Nul sentiment, point d’âme, en elle tout est corps ». Le fabuliste rétorque par l’habileté du cerf échappant aux chasseurs ou encore par le soin des alouettes envers leurs petits. La Fontaine leur accordait une petite âme qui raisonne et qui souffre à son échelle.

Aujourd’hui, il est frappant de constater qu’au nom de considérations politiciennes, les élus locaux participent massivement à la défense de la corrida. Ils sont humanistes quand cela les arrange. Ils trouvent ce spectacle « magnifique » pour « faire populaire ». En réalité, c’est surtout pour complaire à une notabilité locale férue de ce genre de manifestations. Apparemment, les prochaines élections municipales exigent de la part des élus qu’ils mettent leur énergie à la défense de ce « patrimoine » plutôt qu’au redressement de leurs communes surendettées et de l’emploi de leurs concitoyens. Tout cela n’est aucunement urgent. Il n’y a qu’à voir la récente enquête de l’OCDE. Même si les Français sont ronchons, ils sont champions du « bien-être » en Europe malgré la crise. On est rassuré, les élus ont tout compris, tant qu’il restera du pain et du jeu, tout ira bien !

*Photo : Daniel Ochoa de Olza/AP/SIPA. AP21447050_000009.

Facebook : la page François Hollande à la dérive

hollande page facebook

Notre président, dès qu’il a été élu, a cessé d’actualiser sa page Facebook pour passer le relais à la page de « l’Elysée». C’était sans compter avec le besoin des Français de communiquer, notamment en ces temps de crise. Aujourd’hui, chaque photo et chaque post de la page de François Hollande sont couverts d’attaques, de moqueries et d’insultes. « Taxeland dégage », « un mec à ajouter en ennemi », voilà ce que l’on peut y lire, pendant que la page officielle de notre président de la République, elle, est restée totalement inactive depuis le 12 mai 2012. Tout un symbole.

Dès son élection gagnée avec 51,64% des voix, François Hollande gratifie la communauté Facebook d’un dernier post. Il passe le relais à la page de l’Elysée. Depuis, plus rien, si ce n’est cette avalanche de milliers de commentaires, à 90% négatifs qui jonchent sa page. Le déluge s’intensifie sur cette page inactive. Le président est tombé à 15% d’opinions favorables cette semaine. C’est le pire score de popularité jamais atteint par un président sous la Vème République. Les raisons de cette impopularité sautent aux yeux.

D’abord, il y a sa « photo de couverture » (inchangée depuis le 7 mai 2012), sur laquelle est affiché un grand « Merci » qui jouxte le visage bonhomme du président paré d’un large sourire se voulant plein de connivence avec ses supporters. Les internautes s’en donnent à cœur-joie. Elle est garnie de quelque 6266 commentaires. Un collégien lui dit « merci pour l’écotaxe », pendant qu’une danseuse, Ilona Gabriel, s’interroge : « merci pour quoi? Un pays en crise? ». Une certaine Bérénice Massilia Trota évoque une « monarchie modernisée à coups de taxes ». Un autre, Sébastien Deutsch, conseille au président de se comporter en homme courageux et de démissionner, pendant qu’un autre insulte carrément le président: « Chute de 22 à 15% en trois jours, vous êtes le plus benêt des hommes politiques ». Le 9 mai 2013, un « casse-toi, t’es un incapable » récolte 15 like!

Le physique du président n’est pas en reste, plusieurs internautes remarquant que son régime a vraisemblablement changé depuis qu’il est à l’Elysée.

Outre les insultes, les appels à la démission et les attaques récentes mais nombreuses sur l’écotaxe, un certain type de commentaire revient. Il s’agit de textes un peu plus longs, publiés par des Français qui ne parviennent pas à joindre les deux bouts et décrivent leur enfer. La pression fiscale fait partie de cet enfer. Jean-Loup se plaint du fait que « pour 60€ d’augmentation par mois (1240 à 1300€) salaire élevé à vos dires. Je passe de 200€ à 1100 d’impôts. » S’ensuit un long commentaire sur les trop nombreux étrangers qui, selon cet homme, profitent de notre système et le grèvent. Sur cette page, l’exaspération gronde depuis un an et demi dans le vide. Le 2 janvier, on peut lire à demi-mots des menaces: « vous êtes nés du bon côté de la barrière monsieur François Hollande mais cette barrière n’existera bientôt plus et ce jour-là j’espère que vous serez dans votre bunker avec tous les gens de votre espèce car nous n’aurons nous non plus aucune pitié pour vous. Sincèrement. Une mère au bout du rouleau. » Pendant des kilomètres de commentaires, datant de mai 2012 à aujourd’hui, on a l’impression d’entendre cette mère de famille alsacienne qui au mois d’octobre s’en était pris à Jean-François Copé, lui présentant ses doléances via webcam, à la télévision. Sauf que là, c’est toute la France qui s’exprime, de manière anonyme, sans filtre et surtout sans obtenir de réponse. Rappelons que cette page avait été ouverte en novembre 2009, à l’époque où François Hollande essayait de devenir présidentiable et tachait d’instaurer un dialogue avec le peuple.

Il n’y a guère qu’une quinquagénaire de Dijon, Marie-France Afeissa, pour s’interroger : « Mais pourquoi ne réagissez-vous pas? ». Grande question. En effet, s’il n’y a rien d’étonnant à découvrir l’ampleur de la grogne des Français par ces commentaires, il est permis de se demander comment François Hollande a pu laisser à l’abandon sa page officielle. Les autres hommes d’Etat, en Europe aux Etats-Unis et partout dans le monde, continuent, une fois élus d’alimenter la leur. Par exemple, la chancelière Merkel, si elle ne dépasse pas de beaucoup le nombre de fans de Hollande (425 000 contre 417 000), est bien plus assidue. Son équipe met en ligne un article tous les quatre ou cinq jours à peu près, au gré des évènements. Chez Obama, on publie tous les deux ou trois jours, normal : il a 37 millions de fans. Notons toutefois que l’impopularité d’Obama, tombée au seuil record de 39%, lui vaut bien des commentaires négatifs du type « impeachment is remedy » voire des insultes. Mais il continue d’afficher ses politiques sur le réseau social, sans que cela n’empiète sur la page de la Maison Blanche.

Notre président envisage-t-il reprendre le contrôle de sa page, et ainsi tenter de réamorcer un dialogue avec les mécontents? Lit-il seulement les commentaires des Français?  Tentez toujours de lui donner votre avis sur la question en commentant cet article qui, lui, sera lu à coup sûr par les services de communication de l’Élysée !

*Photo : Jacques Brinon/AP/SIPA.AP21330388_000002.

L’homme, une erreur de casting

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La télévision a sa petite idée sur ce qu’est un homme, ou en tout cas sur ce qu’il devrait être. Très terne.

Il y a une quinzaine de jours, en allumant la télé, je suis tombé sur une émission de télé-réalité. Ça m’a tout de suite intéressé. Elle présentait des agriculteurs célibataires qui devaient sélectionner des « prétendantes ». Tous semblaient bien contents qu’on amène à chacun, sur un plateau, une dizaine de femmes ! Joyeux comme des enfants ! Ils n’avaient plus qu’à choisir, croyaient-ils. À vrai dire, tout le monde avait l’air optimiste. Hommes et femmes croyaient fermement à l’amour romantique. Leur capacité à aimer paraissait intacte. Le bonheur semblait donc à portée de main.

Tout a commencé à se gâter au fromage. Un homme et une femme sont entrés, pour un premier tête-à-tête, dans un beau restaurant. Ils semblaient éblouis par le choix de la production. Surtout lui, qui marchait derrière.[access capability= »lire_inedits »] Un premier drame a failli se produire au moment où il s’est baissé pour s’asseoir. Le serveur, pensant l’aider, a brusquement tiré son fauteuil en arrière. C’était peut-être un gag prévu par les organisateurs ! Mais j’ai vu la femme se rembrunir. Elle commençait à avoir des doutes sur l’agriculteur. Elle lui a demandé s’il allait souvent au restaurant, si c’était important, selon lui, d’y amener une femme régulièrement, à quelle fréquence précisément ils s’y rendraient, au cas où ils feraient affaire tous les deux. J’ai compris qu’il commençait à perdre pied quand il a dit : « Dans l’agriculture, avec les bêtes, il y a du travail tout le temps. » Je crois qu’il s’appelait Albert ou peut-être bien Gérard. Disons Gérard ! Je ne me souviens plus vraiment des détails. Je mélange sûrement avec d’autres émissions. En tout cas, je m’identifiais à ce pauvre Gérard.

Une table ronde très encombrée séparait les deux convives. De petite taille, tassé dans un fauteuil excessivement moelleux, Gérard regardait cette femme en contre-plongée et il peinait à l’entendre. Les serveurs ont apporté des buissons de crustacés. Elle a répété une question : « Gérard ! Est-ce que tu as bien réfléchi à ce que tu peux apporter à une femme ? » Il a hésité. Puis il a tenté, goguenard : « Eh bé ! C’est pas bien difficile ! » Il pensait être tiré d’affaire. Mais elle s’est mise à lui poser des questions de plus en plus détaillées et insistantes. Elle le regardait fixement. Ses sourcils étaient épilés et remplacés par des traits noirs en forme d’accent circonflexe. La conversation entre Gérard et cette femme virait à l’entretien d’embauche. Gérard perdait pied. Il coulait à vue d’œil. C’était flippant.
Tout à coup, il s’est affaissé sur le côté. « Il se passe quelque chose », a exulté la commentatrice. La caméra s’est avancée et a zoomé sur Gérard qui cachait son visage sous une serviette. Il était agité de soubresauts. On a compris qu’il sanglotait comme un enfant. La scène a été coupée là. On est passé à la pub. D’abord des voitures. Ensuite des gâteaux secs. Puis un clip a évoqué avec beaucoup de tact l’existence de nouveaux traitements contre l’impuissance. L’émission a repris avec le débriefing des protagonistes. La scène se situait quelques jours après ce dîner calamiteux. Gérard avait retrouvé sa bonne humeur. Il était avec ses potes. Tous ensemble, ils buvaient des canons et jouaient aux cartes. Gérard a reconnu sportivement qu’il avait loupé son coup, mais il n’en faisait pas un drame. La femme aux sourcils épilés s’est exprimée à son tour. Elle a méthodiquement dressé la liste des qualités qu’un homme doit réunir pour être utile à une femme. En effet, insistait-elle, l’homme doit être utile à la femme, car trop longtemps ça a été le contraire. Il n’était plus question, à ce stade de l’émission, d’amour « romantique ». D’autres prétendantes sont intervenues au sujet de leurs dîners respectifs. Les avis concordaient. Dans un nombre de cas limité, c’était vrai, certains hommes pouvaient les faire vibrer. Mais ce que ces prétendantes attendaient unanimement en matière de compagnon, c’était quelqu’un « qui participe », « qui partage », « un homme sur qui compter ». Elles ne voulaient pas « un enfant de plus ». Elles disaient toutes cela, même celles qui envisageaient d’avoir des enfants, des vrais. Cette expression est revenue plusieurs fois pour définir l’homme idéal : IL N’EST PAS UN ENFANT DE PLUS. Ça m’a fait mal, car ce qui me plaît le plus, justement, ce sont les enfantillages ! L’insouciance ! L’inattendu ! La belle vie !
Quelques jours après, j’ai vu une autre émission consacrée à la vie de couple. La question de l’utilité effective de l’homme revenait sans arrêt. Je me souviens, en particulier, d’une certaine Marina qui gagnait deux fois plus que son Thierry. Ils étaient au bord de la séparation. Pour « sauver son couple», Marina a proposé à Thierry de se porter volontaire pour un projet test : rénover la salle de bains. Ça n’avait pas l’air de l’emballer, mais il a accepté. Dans une autre famille, Philippe était chômeur. Ses indemnités excédaient le salaire de Nathalie, mais il se sentait dévalué. La situation semblait sans issue, mais il a eu, de lui-même, une idée : « se lancer dans des travaux de jardinage pour reconquérir le cœur de Nathalie ».

Certaines femmes faisaient preuve d’une détermination stupéfiante. Je me souviens, notamment, d’une certaine Valérie qui s’exprimait en tenue de jogging. Elle a expliqué pourquoi la question du partage des rôles revêtait pour elle une importance cruciale. Il s’agissait d’une affaire remontant à son enfance. Chez ses parents, quand elle était petite, sa mère faisait tout, mais c’était son père qui choisissait le programme télé. Tous les soirs, western ! L’épouse apportait des steaks-frites, ou des plats de ce genre, puis elle regardait le film avec son mari. Mais, d’après Valérie, ce n’était pas normal. Sa mère n’aurait pas dû accepter tant de machisme. Avec un homme, d’après elle, il faut être « cadrante ». D’ailleurs, elle a souvent dit à sa mère qu’elle aurait dû divorcer. Pourtant, ça faisait de la peine à cette femme d’entendre ce genre de reproche venant de sa fille. Mais Valérie aime le parler-vrai. Et elle ne voulait pour rien au monde avoir une vie comme celle de sa mère. Dans son couple, c’était elle qui tenait la zappette, et elle était bien décidée à ne pas la lâcher. Beaucoup d’autres témoignages allaient dans le même sens. La question du partage des rôles et des tâches est un point névralgique pour de nombreux couples. Certains hommes jouent le jeu, d’autres rechignent.

On a quand même l’impression que les choses avancent. Qui s’en plaindrait ? Cependant, le diable se loge dans les détails, surtout dans les détails du quotidien. L’accumulation de prescriptions génère parfois de la tristesse. En mettant l’accent sur les services attendus et les fonctions à remplir, on peut laisser au second plan ce qui fait le sel d’une relation. L’homme utile n’est pas forcément un individu attirant. Les trop bons élèves peuvent devenir des êtres ternes, de gentils toutous, voire de pauvres types. En résumé, il y a un peu de morosité dans l’air. On peut dire que parfois, pour les hommes, ce n’est pas si facile. Et en prime, très ennuyeux pour les femmes.[/access]

Au Chili, le marteau n’est pas fossile

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On sait que le PCF, lors de son dernier congrès, le 36ème qui s’est tenu à Aubervilliers en février 2013, a abandonné la faucille et le marteau qui n’occupaient d’ailleurs plus sur les cartes des adhérents qu’une place seulement visible à l’aide d’un microscope électronique, et même plus de fabrication est-allemande. Comme la presse bourgeoise s’était emparée de l’anecdote pour oublier de parler des propositions du Parti,  nous avions décidé de ne pas communiquer à l’époque sur la question, déjà assez malheureux comme ça de voir notre identité s’effacer un peu plus car on sait que le diable du réformisme se niche dans les détails graphiques.

Or je m’aperçois aujourd’hui à quel point j’avais raison. Ce symbole, la faucille et le marteau,  a un pouvoir presque magique et peut dynamiser une candidature, même très moyennement sexy comme  celle de Camila Vallejo, leader chilienne du mouvement étudiant qui a mené la vie dure au président ultralibéral Pinera.

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Soyons honnête : alors qu’elle n’est pas très jolie,  par la seule grâce du symbole historique de l’alliance entre ouvriers et paysans, Camila, étudiante au physique ingrat a été élue députée, ce qui lui évitera d’avoir à trouver un mari, chose presque impossible, il faut être réaliste. Précisons que Camila Vallejo a été élue dans le sillage de la très probable victoire de Michelle Bachelet à la présidentielle à la tête d’une horrible coalition socialo-comuniste qui lui a permis de réunir 47% des voix au premier tour, ce dimanche 17 novembre contre 25% à sa rivale de droite.

Grâce à la faucille et au marteau, sans aucun doute.

Petit complément à l’année Diderot qui s’achève

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Je ris assez moi-même des littéraires qui philosophent pour… prendre le risque d’être ridicule.
« Retour du religieux » est, au mieux, une expression approximative. Ce qui revient depuis une quarantaine d’années (en fait, depuis que l’économie libérale, en chancelant, a cessé d’apporter sa justification au positivisme du XIXème siècle, qui fut la base théorique de l’expansion capitaliste) est moins le religieux que la superstition — et non, ce n’est pas la même chose. La foi, pour autant que j’aie pu comprendre un état auquel je ne comprends rien, appartient aux convictions intimes. Au cœur, aurait-on dit dans les siècles passés. Mais la superstition, somme de comportements aveugles et réitérés, mécanique plaquée sur du vivant, ne vient ni du cœur ni de l’esprit. Ni sentiment, ni rationalité : la superstition se complaît dans une extériorité, dans des démonstrations qui abolissent l’être au profit du pantin. Le fanatique est un robot qui veut réduire autrui aux mêmes automatismes — reductio ad absurdum. Un voile, dix voiles, cent mille voiles. Trois cents personnes prosternées sur un tapis de prière au milieu de la rue. Une barbe, dix barbes, trois cents millions de barbes. Il n’est pas simple d’être Blaise Pascal, mais il est aisé d’être un intégriste : c’est une foi réduite à sa grimace.
Et nous, nous les rationalistes sévères, y sommes un peu beaucoup pour quelque chose.
Notre façon de rapporter les fins de l’action à celles de la connaissance (c’est cela, n’est-ce pas, le rationalisme), et, depuis le XVIIIème siècle, de condamner les passions, de récuser la folie, de prétendre que sous les Lumières il n’y avait pas d’ombre, a laissé à l’irrationnel tout le champ des fantasmes. Or, asséner aux autres son fantasme, là commence le totalitarisme, politique et religieux — et les deux confondus, tant qu’à faire.

Petit détour par Molière et Diderot.
Harpagon est possédé par la passion de l’argent, d’accord. Mais l’avarice n’est que la transcription d’un délire autrement ravageur, qui fait le fond de la pièce : la manie du contrôle. Le personnage de Molière prétend contrôler le corps des autres (et donc le sien : c’est un constipé chronique qui refuse de rendre quoi que ce soit), via des restrictions alimentaires cocasses et criminelles (Molière excelle à montrer combien le criminel est cocasse). Il prétend aussi régir la sexualité de ses enfants — il n’est pas de père chez Molière qui ne soit abusif. Dans Le Tartuffe, Orgon est un obsédé du même acabit, sauf que cette fois ce sont les gesticulations religieuses qui remplacent les abstinences d’Harpagon (en fait, L’Avare vient après Tartuffe : Molière, échaudé par les menaces de mort que lui avait values sa grande pièce religieuse, a préféré après 1666 passer par la métaphore pour attaquer les bigots de toutes farines). Tous les barbons de Molière, avec « cette large barbe au milieu du visage », sont taillés dans le même tissu passionnel, pantins dont la Compagnie du Saint-Sacrement tirait les ficelles.

L’islamisme opère de même — et nous ne saluerons jamais assez Ariane Mnouchkine pour avoir pensé, en 1995, à transposer Tartuffe dans une Egypte fondamentaliste — oserait-on encore le faire ? Contrôle abusif du corps (ramadan et interdits divers pris au pied de la lettre), contrôle des habits et des emplois du temps — police de la pensée. Le libre-arbitre que le dieu des religions monothéistes accordait à l’homme disparaît, dans ces caricatures de la foi, au profit d’une servitude stricte : des « born again christians » aux salafistes en passant par les haredim purs et durs, la caricature religieuse offre la possibilité de réintégrer l’univers des passions, récusées depuis Descartes, d’Alembert, Condorcet ou Hegel (qui sur ce plan oublie volontiers la dialectique), abolition qui a trouvé en Auguste Comte son jusqu’auboutiste. Mais chassez les passions, elles reviennent par la fenêtre. Faute de les intégrer dans le plan, elles s’aigrissent et nourrissent les intégrismes — ou le racisme, qui procède de la même haine de cette rationalité qui nous enjoint de considérer l’Autre comme un autre nous-même. Et à force de nous prescrire l’amour du prochain, alors même que nous avons parfois envie de l’envoyer à tous les diables, nous obtenons l’effet inverse — on le voit bien en classe où le discours antiraciste finit par générer son contraire.
Nous sommes très loin d’avoir éprouvé tous les effets de la crise, et très loin d’avoir vu monter tous les délires. Sartre avait raison de dire qu’on ne convainc pas un raciste avec des arguments rationnels, parce qu’il est dans la passion. Il n’a pas assez insisté sur le fait que cette passion est le produit de la rationalité imposée sans reste — au sens mathématique du terme.
Diderot seul (il faut lire et relire Le Neveu de Rameau) a compris qu’il fallait tenir compte du reste, et qu’on ne pouvait opposer un Moi rationnel à un alter ego passionnel. Dans Le Neveu, la dialectique entre Moi et Lui n’oppose pas le Philosophe à l’énergumène du café de la Régence : il construit, en interaction entre les deux débatteurs, un personnage complexe et sans cesse changeant — un certain Diderot — qui est la somme de Moi et de Lui. Somme impossible d’ailleurs : on n’additionne pas davantage les exigences rationnelles de l’un et la folie de l’autre que les torchons et les lanternes. Nous sommes, dit Diderot, un manteau d’Arlequin tissé de bon sens et de folie douce. Et exclure la folie au nom d’une vision étroite du rationalisme l’a transformée en folie furieuse. Récuser le désordre au nom de l’unicité du Moi lui donne un bon prétexte pour aller se réfugier chez tous les paumés de la terre, les sacrifiés de la croissance défunte, qui se forgent une identité dans le délire et la violence.

Montaigne avait bien senti que nous sommes, à son image, « ondoyants et divers ». Mais le culte de la norme, depuis l’âge classique, nous a fait oublier sa leçon, et les passions récusées sont allées se réfugier chez les extrémistes de tout poil. Imposer un corset de restrictions au croyant, le pousser au fanatisme, c’est la pratique ordinaire de la superstition, qui ne vit que dans l’air raréfié des extrémismes superlatifs. Croyants ordinaires ou athées, nous sommes un mixte d’ange et de bête, de lumière et de nuit. Et réfréner à tout prix ses désirs, se refuser aux péchés capiteux, au verre de Rioja sur une chiffonnade de pata negra, à la main qui se glisse et à la bouche qui consent, nous expose à glisser vers l’ultra-violence et le prosélytisme militant, seuls défoulements autorisés à ces cocottes-minute sans soupape que sont les intégristes de toutes obédiences. Jamais un voile n’abolira le désir : autant vivre ses désirs plutôt que de se couvrir la tête en croyant — c’est le cas de le dire — qu’un bout de tissu fait taire les pulsions sous prétexte qu’il les cache. Jeunes musulmanes, mes sœurs, mes amies, allez au bout de vos désirs, mangez, buvez, baisez — le Ciel peut attendre, et il n’y a qu’une vie. Comme on disait jadis, jouissez sans entraves. Que des anciens de 68, au NPA ou ailleurs, se fassent les propagandistes du voile prouve assez que ce n’est vraiment pas beau de vieillir… Tout est bon dans le cochon, un verre ça va, mais trois verres aussi, et la sodomie ouvre l’esprit — souris qui n’a qu’un trou est bientôt prise. Seul le libertinage (tous les libertinages : « Mes pensées, ce sont mes catins », disait Diderot) confère la liberté, tout le reste est prétexte et servitude involontaire. La vraie raison est dans l’acceptation de notre part de folie. Quand vous serez bien vieilles, assises au coin du feu, que vous rappellerez-vous ? Vos excès, et non vos précautions. Vos cuites mieux que vos pénitences. Le désordre du lit mieux que les ordres donnés. Récusons les rationalismes qui récusent l’ivresse. Ils alimentent les jeûnes sans le savoir, et fomentent les horreurs, sans le vouloir. Bref, relisons, revivons Diderot, qui fut le dernier esprit libre, le dernier libertin.

Victor Young Perez, un détournement de boxeur

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victor young perez

victor young perez

Tunis 1911, Auschwitz, 1945. Deux dates, deux lieux qui résument le destin de Victor Young Perez, le plus jeune champion du monde poids mouche de l’histoire de la boxe, encore aujourd’hui.

Il existe très peu d’écrits sur Young. Le livre « référence » est celui d’André Nahum, mon père (sur Wikipedia, à la rubrique Young Perez, on dénombre 106 notes, dont 97 sur le livre d’André Nahum). André Nahum, ancien médecin à Sarcelles, était hanté depuis l’enfance par le champion oublié. Il s’est battu pour sa mémoire et a passé vingt ans de sa vie à faire des recherches dans la presse sportive, auprès de ses vieux patients, de Margaux et Benjamin Perez, la sœur et le frère, etc. En un mot, il a élevé ses enfants avec la figure de Young comme s’il faisait partie de la famille.

Young Perez, c’est l’histoire d’un gosse de la Hara, pauvre ghetto juif de Tunis. Belle gueule, farceur, bagarreur, un peu voyou, écolier buissonnier de l’Alliance israélite, Victor a une passion, la boxe. À cette époque, le noble art fait rêver la rue comme le foot aujourd’hui. Victor et sa bande de copains parviennent à intégrer une salle d’entraînement grâce à la générosité d’un mécène de la communauté. Très vite, il est repéré comme le plus prometteur. Petit, léger, souple il est d’une rapidité époustouflante et son jeu de jambes devient vite unique.

Il remporte le titre mondial contre Franckie Genaro à Paris en 1931, à 20 ans. 5 petites minutes d’un combat victorieux le propulsent vers la gloire.

Young, soudain riche et célèbre, croule sous les invitations dans le beau monde. La star du moment, c’est lui. Ces années 30 sont folles de jazz, de boites de nuit, de jolies filles, de jolis garçons et de boxe. Pas un jour sans combat. Le tout-Paris des Arts et des lettres remplit les salles de boxe. On y croise Cocteau, qui soutient le grand Al Brown, ou Joséphine Baker, pour ne citer qu’eux. Dans cette ambiance vertigineuse, le jeune juif tunisien rencontre une starlette débutante, de deux ans son aînée, l’adorable Mireille Balin. Ils deviennent amants. On les voit partout ensemble.Young la couvre de cadeaux somptueux. Il gâte pareillement ses parents et son entourage. Il n’oublie pas d’où il vient. Il ne refuse rien à personne. Un cœur gros comme ça. L’argent doit profiter à ceux qui en ont besoin et même si certains exagèrent, il s’en fiche. Mireille tire profit des projecteurs sur Young, elle se montre, fait sa pub, dirait-on maintenant. Elle est élégante, éduquée, et sophistiquée. Tout la sépare de son amoureux : le milieu social, la culture, la religion. L’époque n’est pas à la mixité. Elle se lasse, s’éloigne de Young peu à peu, tourne et monte à son tour vers les sommets. Il en souffre atrocement, la poursuit, prend du poids, se laisse aller, et perd son titre mondial.

Les fidèles copains l’entourent, mais beaucoup sont rentrés chez eux, dont le grand frère, Benjamin, boxeur lui aussi qui choisit la raison et s’en va ouvrir un commerce à Tunis. L’époque s’est durcie. L’heure est à la haine des Juifs. Young devrait rentrer à Tunis, mais il n’écoute personne. Il croit que rien ne peut lui arriver, à lui, le champion du monde. Il va se refaire et conquérir à nouveau sa belle Mireille, il en est sûr. Inconscient ou naïf, il acceptera un combat à Berlin en 1938. Il y vit l’horreur de l’humiliation et de la peur.

De son coté, Mireille , après une passion torride avec Tino Rossi est à présent  au bras d’un bel officier allemand. Elle paiera cher cet amour, sera arrêtée et violée à la fin de la guerre. Young Perez est arrêté en septembre 1943. Embarqué à Drancy, puis déporté à Auschwitz et assassiné. Que s’est-il passé ? Qui l’a dénoncé ? Des témoins ont émi des hypothèses. On ne saura jamais.

Comment M. Ouaniche a-t-il rendu ce matériau extraordinaire dans son film ? On ne retrouve rien. Le film tient tout entier dans le dernier combat de Young contre un allemand à Auschwitz. Une séquence très longue, où le boxeur Brahim Asloum donne le meilleur de lui-même. Asloum fait le boulot comme personne, il boxe. Le choix de faire jouer Young Perez par Brahim Asloum, champion du monde comme lui est la grande trouvaille du réalisateur.

Sinon ?

Quoi de la Hara de Tunis dans les années 20 ? De l’ambiance décrite pourtant dans tellement d’ouvrages (très bizarre, l’accent parisien des copains de Young dans les ruelles du ghetto! L’accent tune, c’est quand même typique). Quoi du Paris des années 30 que Young va découvrir dans sa nouvelle vie de champion ? (quelle lourdeur,  cette scène sensée nous montrer ses conquêtes, où l’on voit Young dans le tourniquet d’un palace au bras d’ une nouvelle femme à chaque sortie du tourniquet!)

Quoi de son retour triomphal à Tunis, en héros, retour pourtant historique ? De l’accueil national ? De la fierté de la Hara ? De la générosité légendaire de Young  pour son ghetto? Rien. Pourquoi le choix de cette actrice qui joue Mireille avec un fort accent italien ? Pourquoi son frère Benjamin à Auschwitz alors que dans la réalité, il était à Tunis et n’a jamais été déporté ? (cette invention donne lieu à des scènes de mélo fraternel digne d’un soap opera!) Parce que c’est de la fiction ? Et que la fiction a tous les droits ? C’est vrai.

Mais notre droit est d’écrire que le Young  du film n’a pas grand-chose à voir avec le vrai Young Perez. La production n’avait pas les droits du livre d’André Nahum (il les a vendus à un autre producteur). Or comment écrire l’histoire de Young en ignorant le seul récit existant, de crainte d’être accusé de plagiat ? Pas d’autre choix que de suivre la trame de ce  récit[1. Quatre boules de cuir, d’André Nahum est réédité sous le titre : Young Perez Champion, de Tunis à Auschwitz, éditions Télémaque. En librairie le 25 novembre.] mais en le vidant de sa substance, en inventant des anecdotes, en changeant même l’histoire de Benjamin, mais aussi en transformant l’Histoire.

Le résumé annonce le récit de « la jeunesse insouciante (de Young) à Tunis avec Rachid, Maxo et Benjamin ». Or, comme dans toutes les bandes du ghetto, au côté de Young, les gosses étaient juifs. À cette époque, il y avait peu d’interférences entre les communautés en dehors des relations professionnelles. Chacune vivait cloisonnée.

Que dire aussi de cette assemblée d’hommes en seroual et chéchias, manifestement tous musulmans, acclamant Young au début du film ? Pourquoi donner une image aussi simple d’une société bien plus complexe, à l’ombre du drapeau français ?

C’est vrai, c’est une fiction. L’artiste a tous les droits, jusqu’au détournement de boxeur. Mais cette vision  liftée du passé ne fera pas avancer la paix. Elle fausse le jeu, entre Juifs et Arabes liés par une Histoire plus que complexe.

 

 

Touche pas à cette pute, c’est mon pote

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bois-de-boulogne-prostitution

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« Touche pas à ma pute ! » Ô le joli slogan ! On achète, allez– le slogan, pas la pute.

« Touche pas à ma pute », déclarez-vous, comme d’autres, sans doute mieux inspirés, disaient « Touche pas à mon pote ! » Votre pute, Messieurs, qui n’est pas votre pote, justement ; parce que les putes, ça s’achète, pas les potes. Encore une lubie de notre État liberticide qui interdit l’achat d’amis?

Touche pas à ma pute, touche pas à mon plaisir, touche pas à cette mauvaise conscience qui voudrait faire croire qu’elle aime ça, ma pute : se vendre. C’est bien ce qu’on lui demande, non ? Donner l’impression qu’elle aime ça.

Vous n’aimez pas la violence, vous n’aimez pas l’exploitation ni la traite des êtres humains ? Laissons vos putes vous répondre.[access capability= »lire_inedits »]

Le quotidien d’une personne en situation de prostitution, c’est la violence, la peur au ventre : « Ils vous regardent comme du bétail en vous examinant les dents, en vous tâtant les fesses », témoigne Fiona. « Certains, sadiques ou frustrés, viennent juste pour humilier les prostitués ; leur faire sentir une infériorité, en tant que prostitués, en tant que gays », nous dit Thomas. « Quand on subit ces violence. On se dit : c’est comme ça, on l’intègre au fond de soi. » Pour Naïma : « Apparemment, le pouvoir pour eux, c’est aussi la possession de la femme. »

Le quotidien d’une personne en situation de prostitution, c’est l’exploitation : « J’ai le sentiment que les clients préfèrent celles qui sont en pleine détresse, ça les excite plus. »

Le quotidien d’une personne en situation de prostitution, c’est le trafic des êtres humains : « Mais là, vous êtes dans une chambre, il n’y a pas de caméras, et il est interdit au patron d’intervenir. Vous êtes seule. De toute façon, il ne dirait rien pour ne pas ternir la réputation de l’établissement ; il n’y a que le business qui compte. Et puis le mec paye, il a le droit de faire ce qu’il veut. C’est l’idée que tout le monde a intégrée dans ce milieu, à commencer par nous. »

Alors, « chacun a le droit de vendre librement ses charmes – et même d’aimer ça » : la belle histoire… Laissons Thomas vous répondre : « Aucun étudiant sain d’esprit ne se prostitue par plaisir. » Les histoires de vie de femmes françaises en situation de prostitution ne racontent pour la plupart que le monde de la rue, des parcours chaotiques depuis l’enfance. Certaines se persuadent qu’elles ne savent faire que « ça », parfois elles en deviennent esclaves : « Ça rapporte plus qu’être caissière. » D’autres sont poussées sur les trottoirs par la précarité, la drogue, une mauvaise rencontre… Cessons de nous laisser aveugler par Belle de jour ! La réalité n’est ni tendre, ni glamour. A., 40 ans, toxicomane et fille de la DDASS, comme sa mère, parle d’un « choix » : en est-ce vraiment un ? Les rares femmes qui mettent en avant ce « choix » sont poussées par des associations militantes. Et que dire des étrangères ? La proposition de loi rappelle que si « seulement 20 % des personnes prostituées dans l’espace public étaient de nationalité étrangère en 1990, elles en représentent aujourd’hui, et depuis les années 2000, près de 90 %. Les pays d’origine sont bien connus (Roumanie, Bulgarie, Nigeria et Chine principalement) et démontrent l’emprise croissante des réseaux de traite sur la prostitution ».

Messieurs, les avez-vous écoutées, vos putes et leurs souffrances ? Êtes-vous encore assez naïfs – ou cyniques –pour croire qu’elles « aiment ça » ?

Vous évoquez des « partenaires » : parlez plutôt de « fournisseurs de corps ». Vous invoquez la « liberté » : triste liberté qui se fonde sur l’aliénation de l’autre. Triste revendication d’une virilité qui ne s’exhibe que pour soi. Triste marchandisation du corps qui ne susciterait ni faille éthique ni détresse psychologique pourvu que ce soit « consentant ». Triste rébellion où la pose artiste et dandy consiste dans la revendication la plus tristement conventionnelle qui soit depuis le début du monde.

Quelles sont cette « littérature » et cette « intimité » dont vous faites si grand cas ? La littérature est fiction quand vous revendiquez le passage à l’acte. L’intimité, c’est le respect, pas le droit de souiller. Quant à votre liberté, elle est symptomatique d’une époque : une « liberté » d’enfant tyran, une « liberté » d’avant la prise de conscience de l’altérité, de cet autre avec qui je suis relié, de son visage qui construit ma personne. Regardez-les en face, ces visages de vos putes !

Alors, rassurez-vous, le législateur ne tient pas à réguler vos fantasmes ni à « s’occuper de vos fesses», simplement vous interdire d’acheter celles des autres. Pour plus d’humanisation, pas de marchandisation de l’humain : c’est tout.

Dans ce contexte, quelle est la pertinence de la proposition de loi de « lutte contre le système prostitutionnel » soutenue par le gouvernement ? Loin de mettre la liberté en péril, la loi ne prévoit qu’une peine de contravention pour les « clients », assortie d’un stage de sensibilisation. Des ONG, en particulier aux États-Unis, ont mis en place des formations s’appuyant sur les témoignages d’ancien(ne)s prostitué(e)s. Résultat assuré… Qui n’est pas sensible à la souffrance d’autrui ?

En les contraignant à vivre caché(e)s et donc moins protégé(e)s, la pénalisation des clients augmenterait le risque pour les prostitué(e)s ? Un argument relayé par des associations militant pour la dépénalisation de la prostitution et du proxénétisme… Aucune recherche sérieuse ne permet de l’étayer. Les études montrent en revanche que les pays ayant adopté la législation la plus sévère ont fait baisser l’emprise des réseaux de proxénétisme. La pénalisation permet surtout une prise de conscience. Non, les personnes en situation de prostitution n’éprouvent pas de plaisir. Non, elles ne sont pas différentes de vos femmes ou de vous-mêmes. Et souhaiteriez-vous un seul instant ce « métier » pour vos propres enfants ?

Il existe une cohérence dans la lutte contre la marchandisation de l’humain, qu’il s’agisse du recours à la prostitution, au trafic d’organes ou aux mères porteuses. Tout est lié. Pour changer les regards, il faut aussi travailler en amont, encourager à l’école de nouvelles propositions d’éducation affective. Enfin, rien ne pourra changer en profondeur sans sevrer notre génération de la pornographie de masse, ce business florissant d’images d’une chair prête à baiser. Exiger des sites pornos un accès payant systématique permettrait de protéger les plus jeunes tout en vous permettant, Messieurs, d’exercer votre liberté d’acheter pour voir, puisque votre portefeuille et votre liberté semblent si intimement liés…[1. Les témoignages proviennent de rencontres vécues et de ce site internet][/access]

*Photo : ERIC BAUDET/JDD/SIPA. 00669559_0000090. 

Nous n’avons pas les mêmes vieux !

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Une question me taraude : pourquoi n’avons-nous pas les mêmes vieux en France et en Russie ?

Ma grand-mère française est hyperactive, elle court toujours, elle court pour ne pas sentir le vide de l’ âge. Elle veut vivre et le revendique. Elle appartient à la France qui se lève tôt. Elle exige l’accès à ses droits. Le droit à l’élégance. Le droit de séduire. Le droit d’être respectée. Le droit de dépenser. Elle abolit les conventions, une grand-mère peut danser, boire et faire l’amour. Elle peut parler de tout et a le droit de ne pas être choquée. Ce n’est pas son rôle. Elle est la meilleure amie des jeunes. Elle aime écouter leurs intrigues. Elle réclame qu’on lui accorde du temps, de l’attention, de l’affection.  Elle est géniale, pleine d’idée, créative, inventive, et réalisatrice.

Elle contraste grandement avec  les babouchkas que je connais.

Les babouchkas sont résolues et soumises. Elles habitent souvent dans leur appartement  avec  leur fille et leur gendre. Ce dernier ne leur parle pas mais elles s’en accommodent. Elles ont l’air vieilles et usées.  Elles ne font plus attention à leur apparence. Elles sont marquées par leur vie et leur expérience. Le temps les a apprivoisées. Elles sont sages et calmes. Elles s’accoutument de tout. Leur destin est de rester à la surface, sans faire de remous. Elles n’embêtent pas même si elles influent. Elles écoutent tout mais n’attendent pas qu’on les écoute. Elles reprennent leur rôle premier de nourricière. Elles attendent patiemment leur fin.

Pourquoi sont-elles si différentes ? Est-ce notre côté revendicateur qui a transformé le fondement de nos grands-parents ? Est-ce la santé qui les secoue jusqu’au bout ? L’image véhiculée d’une jeunesse éternelle qui leur a donné de mauvaises idées ?

La volonté de rester jeune tue la sagesse, qui fait la richesse de l’âge. Nos vieux ont acquis de nouveaux privilèges. Mais ce n’est pas certain qu’ils soient plus heureux.

France-Ukraine, et si…

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france ukraine foot

france ukraine foot

France-Ukraine : 0-3

La preuve est faite, si besoin en était : la France va mal, très mal. L’échec de cette équipe multiraciale nous renvoie à un échec flagrant, celui de l’intégration. Une France communautarisée qui ne se vit plus comme nation ne peut briller dans la compétition internationale – qu’elle soit sportive ou économique. Cette défaite humiliante avec l’expulsion de Ribéry, les mauvais gestes, les insultes et l’arrogance de ces joueurs sans repères, c’est aussi l’héritage de mai 68 et d’une éducation qui a naufragé sous les coups de boutoirs de l’individualisme hédoniste, du pédagogisme et du McDo.

On est étonné que des émeutes n’aient pas succédé à ce Waterloo sportif, politique et moral. On murmure que monsieur Valls avait renforcé de manière spectaculaire les renforts policiers autour des lieux de pouvoir et notamment de l’Assemblée Nationale car on craignait, du côté de la DCRI, des cortèges spontanés de supporters bien décidés à transformer ce 19 novembre en 6 février footballistique.

En même temps, peut-on en vouloir vraiment à ces joueurs, imposés à 75%, d’être démotivés ? Ils illustrent de manière symbolique cette démotivation qui est aussi celle des entrepreneurs français sous la tyrannie fiscale et incompétente du tandem Hollande-Ayrault.

Il faudrait, décidément, que François Hollande abrège ce calvaire et, comme l’a fait Didier Deschamps à la FFF, présente sa démission, une fois pour toutes.

France-Ukraine : 0-0

Un match terne et une élimination sans gloire. L’impuissance des joueurs français devant les buts, c’est celle de notre pays aujourd’hui. Un pays sans volonté, sans dessein qui évolue dans une grisaille de mauvais rêve, entrecoupée seulement de colères brèves, de sursauts d’orgueil à l’image des bonnets rouges ou des accélérations courageuses mais inutiles de Ribéry.

Dans cette histoire, Didier Deschamps, c’est Jean-Marc Ayrault. Son changement de système pour un 4-3-3 qui n’a rien prouvé fait penser au premier ministre et à ses reculades timorées, ses changements de pied qui ne résolvent aucun problème et ne font qu’accentuer le sentiment d’une absence de vision.  Encore une fois, une France qui perd sans perdre avec des joueurs eux aussi sans doute touchés par le ras-le-bol fiscal à l’image des classes moyennes, ne peut pas gagner. Il faudrait, du côté de la Fédération Française de Football comme de l’Elysée, accepter de tirer les conséquences soit en changeant de paradigme, soit en partant. On oserait à peine imaginer quel serait ce matin le climat dans le pays si la défaite avait été plus lourde.

France-Ukraine : 2-0 (élimination de la France par tirs aux buts)

Quels regrets ! Merveilleusement fringante et collective en première mi-temps, marquant deux buts admirables, l’équipe de France s’est trouvée privée de volonté dans la seconde période, comme prise d’une étrange langueur. Comment ne pas voir une parfaite allégorie de la situation de la France ? Les fondamentaux sont là, le désir d’entreprendre malgré la politique fiscale désastreuse qui n’a pas démotivé des joueurs pourtant taxés à 75%.

Mais, au bout du compte, Didier Deschamps comme la FFF se sont contentés de demi-mesures, de celle qui ne permettent pas la victoire décisive sur une crise que l’on pourrait pourtant aisément surmonter avec un peu de courage. Mais ce courage manque comme il manque à l’exécutif.

On n’aime plus l’équipe de France, on n’aime plus ce gouvernement. Les deux, plombés par l’impopularité, ne sont plus en mesure d’agir sur les événements, de renverser la tendance. Ce n’est pas l’aggiornamento promis par Jean-Marc Ayrault sur les impôts qui changera grand-chose au problème.

Le match d’hier soir a signé la fin d’une génération de joueurs et, espérons-le, de dirigeants. On peut espérer que les prochaines élections, municipales et européennes, indiqueront aussi au gouvernement la porte de sortie. Il est tout de même dommage que les belles choses que nous avons vues hier soir et que nous voyons chaque jour dans le pays réel qui continue à se battre, ne nous amène pas à la victoire par la seule faute d’un président de la république qui ne veut pas comprendre les enjeux.

France-Ukraine : 6-0

Le coup du chapeau de Sakho, le but de Benzema, le but de Ribéry, sans compter le but ukrainien contre son camp, et voilà une incroyable victoire qui va faire taire les déclinistes de tout poil. Ce qu’on a vu hier, sur le terrain, c’est la France de 98. Loin de la peinture apocalyptique des médias, la France reste malgré la crise un pays capable de faire de ses différences une richesse et surtout de jouer collectif. On ne peut que reconsidérer, après un tel match, la politique de François Hollande qui lui aussi finira par trouver sur le plan politique son billet pour Rio. Après tout, avec son gouvernement si critiqué, son premier ministre si moqué, le Président, comme Didier Deschamps, a refusé la fatalité. C’est difficile, ce n’est pas compris de l’opinion ou pas tout de suite, mais ça finit par payer.

On a oublié que la semaine dernière, malgré quelques réticences, Bruxelles avait avalisé le budget 2014 présenté par Paris, ce qui prouve que nous sommes sur la bonne voie d’une mise en conformité de notre système au normes européennes. Bien sûr, la Commission a indiqué que notre marge de manœuvre était très faible et que nous n’avions pas le droit à l’erreur. Exactement comme l’équipe de France hier soir qui a prouvé, et de quelle manière merveilleuse, que rien n’est jamais joué d’avance quand le courage est au rendez-vous.

*Photo : PDN/SIPA.  00669772_000006 .

Où va le président ?

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crise hollande ayrault

crise hollande ayrault

On a beau chercher dans sa mémoire, on ne retrouve pas de moment, sous la Ve République, où le pouvoir exécutif a été si affaibli. Même pendant la phase 1991-1993, sous les gouvernements d’Edith Cresson et de Pierre Béregovoy, même dans les pires périodes d’impopularité du couple Chirac-Juppé ou de Nicolas Sarkozy, on ne percevait pas le duo Elysée-Matignon aussi faible.

Conscient du problème, le couple exécutif tente de réagir et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas très heureux. Ainsi depuis  la fin de semaine dernière a-t-on assisté à deux épisodes assez révélateurs de ses difficultés. Samedi, le conseil national du PS se réunissait afin de désigner les têtes de liste pour les élections européennes de mai 2014 qui s’annoncent périlleuses – c’est un euphémisme – pour le parti majoritaire.

Primo, Vincent Peillon affrontera bien, selon son propre vœu, Jean-Marie Le Pen dans la circonscription sud-est, ce qui pose une question : siégera-t-il oui ou non ? S’il annonce vouloir faire campagne sans siéger ensuite à Strasbourg, il aura du mal à l’expliquer aux électeurs. Si en revanche, il affirme vouloir redevenir député européen, il fragilise encore un peu plus sa position de ministre, ce qui, en ces temps de contestation de la réforme des rythmes scolaires, n’est pas une bonne nouvelle pour le gouvernement.

Secundo, la tête de liste pour la circonscription Île-de-France revient à Harlem Désir. En temps normal, il est effectivement logique que le Premier secrétaire conduise une liste afin de représenter le PS dans les débats télévisés ou radiophoniques. Le problèmec’est que Harlem Désir, surnommé « SOS Charisme » par les députés socialistes, apparaît, tous les jours un peu plus comme une erreur de casting. Fin octobre, il avait aussi mis, dit-on, le Président dans une colère noire. Désir l’avait publiquement contredit moins de trente minutes après l’allocution présidentielle sur l’affaire Léonarda. Pour une fois qu’Harlem décide de montrer un peu de  personnalité, c’est pour faire une bêtise au pire des moments. Cette désignation comme tête de liste n’a pas réduit la déprime dans les rangs socialistes. Certains participants au conseil national nous confiaient dimanche leur crainte que leur liste en  Île-de-France batte non seulement le vieux record de Michel Rocard (sur la France entière, en 1994) de 14 % mais, qu’en sus, elle finisse à la quatrième place, derrière les listes UMP, FN et Front de Gauche. Ce qu’on a du mal à comprendre, ce n’est pas que Désir croie en sa bonne étoile, mais que l’Elysée et Matignon n’aient pas tenté d’empêcher cette investiture catastrophique. Voilà un premier épisode qui en dit long sur la faiblesse –ou pire, l’aveuglement complet-  du duo Hollande-Ayrault.

Le second épisode est intervenu ce mardi lorsque le Premier Ministre a annoncé une «  remise à plat » de la fiscalité française. Il s’agirait de déterrer la vieille proposition de fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu, préconisée par l’économiste Thomas Piketty. Le candidat Hollande l’avait reprise à son compte au début de sa campagne. Mais comme cette proposition révolutionne le calcul de l’impôt, qui serait désormais calculé par personne fiscale et non plus par foyer fiscal, il avait consenti à ne plus la porter en bandoulière pour ne pas prêter le flanc aux griefs de Nicolas Sarkozy qui lui reprochait « d’attaquer les familles ». Une fois élu, François Hollande aurait pu néanmoins lancer cette réforme dans les trois premiers mois de son mandat, arguant qu’elle figurait en toutes lettres dans son programme. Profitant de la légitimité que conférait une élection très récente, c’était le moment ou jamais de mener cette révolution fiscale. Tel Nicolas Sarkozy qui avait renoncé à mettre en œuvre la TVA sociale qui lui avait pourtant fait perdre une cinquantaine de députés en juin 2007 (quitte à avoir perdu autant en l’annonçant, autant la faire !), le président de la République a loupé cette occasion unique. Mais la ressortir maintenant alors que le pouvoir n’arrive même pas, effrayé par des bonnets rouges, à appliquer une écotaxe pourtant votée à la quasi-unanimité, prouve que le pouvoir est, littéralement, aux fraises. Il ne sait plus où il va, comment rebondir. Il n’a plus de visibilité au-delà de deux semaines. Jamais pouvoir exécutif n’avait été aussi faible et on peut trouver facilement les raisons qui ont mené à ce désastre.

Depuis début septembre, le Président de la République n’a cessé de ménager la chèvre et le chou alors que la contestation montait au sein même de son gouvernement. Son ministre de l’Intérieur, qui est aussi le plus populaire (voire le seul) de son équipe a été contesté voire attaqué violemment. Il fallait à l’évidence le soutenir, bruyamment, à chaque fois. Au lieu de cela, il a géré l’affaire en Premier secrétaire du PS qu’il fut, a mécontenté tout le monde mais surtout, a montré à la France entière que la contestation était possible puisque Cécile Duflot, par exemple, pouvait  la mener sans que ça n’émeuve le Président de la République. On se désole que le 11 novembre soit pris en otage par quelques siffleurs qui manifestent leur hostilité au Chef de l’Etat, ou que des portiques « écotaxe » soient saccagés, ou encore que des maires refusent d’appliquer le décret mettant en œuvre les rythmes scolaires mais l’exemple de la contestation n’est-il pas venu d’en haut ? L’affaire Léonarda a symbolisé en quelques jours cette séquence de deux mois. Le jour même, l’affaire commence à faire le buzz dans les médias. Dès le lendemain, nous expliquions, notamment grâce aux communiqués de la préfecture du Doubs, ce que l’inspection générale de l’administration avait détaillé trois jours plus tard. Dès le mercredi soir, donc, le Président aurait pu apporter son soutien à Manuel Valls et à ses services, affirmant l’autorité de l’Etat, quitte à prier Mme Duflot de quitter le gouvernement si elle et ses amis persistaient à contester l’autorité de l’Etat. Au lieu de cela, il a laissé dire n’importe quoi dans ses propres rangs, tolérant que certains traînent le ministre de l’Intérieur dans la boue. Même sa compagne fut de la partie. Et il a conclu en beauté, avec la tragi-comédie  « Léonarda peut revenir, mais sans sa famille », ce qui fut immédiatement contesté par la première intéressée, en direct du Kosovo !

Le roi est nu. Mais c’est lui qui s’est dévêtu devant tout le monde. Dans ces conditions, François Hollande devra donner pas mal de coups de rame avant de recouvrer son autorité présidentielle. Encore faudra-t-il qu’il s’assure, préalablement, que la barque est bien dans l’eau et non à terre.

*Photo : SIPA/ 00668981_000030.

Souffrance animale : l’exception corrida !

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corrida verts tauromachie

corrida verts tauromachie

Le 27 octobre, 750 manifestants anti-corrida se sont retrouvés à Rodilhan dans le Gard pour bloquer l’accès aux arènes. En pointe dans cette lutte, des membres du Comité Radicalement Anti-corrida avaient été évacués manu militari lors d’une précédente action pendant laquelle ils s’étaient enchaînés entre eux. Dans le Sud de la France, les corridas et les écoles de tauromachie ne désemplissent pas, ce qui inquiète les associations. Aussi mènent-elles des actions coup de poing. Des défenseurs de la cause animale venant du monde entier y participent. Ils tentent de mettre fin à ce spectacle cruel qui fait de la résistance au nom de l’exception culturelle et du régionalisme. Pourtant, en Catalogne, le sujet n’a pas suscité tant d’atermoiements de la part des pouvoirs publics lorsqu’on y a interdit la corrida.

Importée d’Espagne, la tauromachie s’implante dans le Midi au milieu du XIXe siècle. Ses défenseurs arguent de sa dimension « patrimoniale » pour que les corridas n’entrent pas sous le coup de la loi sanctionnant les « actes de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité ». À l’heure où une quinzaine d’intellectuels ont signé un manifeste pour le bien-être animal et que la Commission Européenne s’attaque au problème, on s’étonne que la souffrance flagrante de bêtes à qui on coupe oreilles et queue, puis que l’on met à mort, soit encore tolérée. De fait, il semble qu’en la matière le lobby de la tauromachie soit plus puissant que celui des agriculteurs et des chasseurs. En effet, pour ces derniers, leurs activités sont strictement encadrées.

Les militants anti-corrida sont confrontés à l’immobilisme des pouvoirs publics qui considèrent qu’une interdiction entraînerait une perte notable de voix aux prochaines élections. Pour occulter le clientélisme local, la corrida devient une manifestation populaire que l’on pare d’une ancestralité fallacieuse. Or, force est de constater que les notables ne sont pas en reste pour assister à l’agonie programmée d’une bête qui n’a aucune chance de survie dès qu’elle fait son entrée dans l’arène. Ce spectacle sanglant est un retour des combats du cirque. En l’occurrence, la vaillance du taureau prime peu car une corrida serait dénaturée sans mise à mort. Les taureaux graciés sont suffisamment rares pour faire la Une des journaux régionaux. L’un des cas les plus éclatants est survenu en 2008, dans les arènes de Dax. Agitant des mouchoirs blancs, les spectateurs ont trouvé suffisamment de qualités à Desgarbado pour solliciter sa « grâce ». Mais cela n’est pas vraiment du goût des responsables qui estiment que cela doit rester exceptionnel. Le fond de commerce reste le sang. Un taureau qui ressort vivant de l’arène pour devenir un reproducteur n’est apparemment pas bon pour les affaires.

Les professionnels du secteur soulignent les pertes économiques qui découleraient de la fin des mises à mort ou d’une éventuelle interdiction de la corrida. Ainsi, ils avancent que le pays d’Arles, notamment, y perdrait son âme. Au nom de l’exception régionale et culturelle, on maintient donc un spectacle où le taureau effrayé ou enragé, à force de sévices, agonise lentement sous les « vivas ». Pour justifier la tauromachie, certains en seraient presque à dire que les banderilles ne font pas souffrir le taureau. Le lobby économique et politique a réussi à annihiler tout débat sur la question. Face à cela, les défenseurs de la cause animale se trouvent étrangement démunis alors que la souffrance est au cœur du spectacle taurin. Pendant de longues heures, la résistance de l’animal est vaincue par les assauts du torero. De longues trainées de sang s’étalent le long de ses flancs. Parfois même la fin du « combat » intervient plus tôt car, affaibli, le taureau ne peut même plus tenir debout. Cela ne suscitera que rarement l’empathie d’un public transporté par la performance du matador.

Pour lui, c’est un exploit sportif et artistique. La portée esthétique transparaît dans la chorégraphie de l’homme face à la bête. En habit de lumière, il virevolte et met en échec les cornes de l’animal à chacune de ses approches. C’est un entraînement de nombreuses années et les toreros sont idolâtrés dans certaines régions. Pourtant, quelle perspective esthétique peut-on bien trouver à un spectacle qui se clôture immuablement par la mise à mort du taureau ? Si l’on ne peut interdire la corrida pour cause de régionalisme, au moins pourrait-on voir quelques concessions de la part des aficionados pour épargner les taureaux à la fin du « show » ? Il y a sans doute là quelque chose de la barrière d’incompréhension et de l’absence de dialogue entre les deux partis.

Les nombreuses propositions de lois en faveur d’une interdiction de la corrida ont été invariablement rejetées par le Conseil Constitutionnel qui la juge « conforme » à la loi. Pour supprimer cette dérogation du code pénal, les députés Verts, Barbara Pompili et François de Rugy, ont déposé un nouveau texte le 19 septembre dernier. Celui-ci préserve les courses camarguaises et landaises.

Déjà au XVIIe siècle, La Fontaine dans son fameux Discours à Madame de La Sablière critiquait les « animaux-machines » de Descartes, qui les réduisait à l’instinct. La Fontaine résume ainsi cette manière de considérer une bête : « Nul sentiment, point d’âme, en elle tout est corps ». Le fabuliste rétorque par l’habileté du cerf échappant aux chasseurs ou encore par le soin des alouettes envers leurs petits. La Fontaine leur accordait une petite âme qui raisonne et qui souffre à son échelle.

Aujourd’hui, il est frappant de constater qu’au nom de considérations politiciennes, les élus locaux participent massivement à la défense de la corrida. Ils sont humanistes quand cela les arrange. Ils trouvent ce spectacle « magnifique » pour « faire populaire ». En réalité, c’est surtout pour complaire à une notabilité locale férue de ce genre de manifestations. Apparemment, les prochaines élections municipales exigent de la part des élus qu’ils mettent leur énergie à la défense de ce « patrimoine » plutôt qu’au redressement de leurs communes surendettées et de l’emploi de leurs concitoyens. Tout cela n’est aucunement urgent. Il n’y a qu’à voir la récente enquête de l’OCDE. Même si les Français sont ronchons, ils sont champions du « bien-être » en Europe malgré la crise. On est rassuré, les élus ont tout compris, tant qu’il restera du pain et du jeu, tout ira bien !

*Photo : Daniel Ochoa de Olza/AP/SIPA. AP21447050_000009.

Facebook : la page François Hollande à la dérive

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hollande page facebook

hollande page facebook

Notre président, dès qu’il a été élu, a cessé d’actualiser sa page Facebook pour passer le relais à la page de « l’Elysée». C’était sans compter avec le besoin des Français de communiquer, notamment en ces temps de crise. Aujourd’hui, chaque photo et chaque post de la page de François Hollande sont couverts d’attaques, de moqueries et d’insultes. « Taxeland dégage », « un mec à ajouter en ennemi », voilà ce que l’on peut y lire, pendant que la page officielle de notre président de la République, elle, est restée totalement inactive depuis le 12 mai 2012. Tout un symbole.

Dès son élection gagnée avec 51,64% des voix, François Hollande gratifie la communauté Facebook d’un dernier post. Il passe le relais à la page de l’Elysée. Depuis, plus rien, si ce n’est cette avalanche de milliers de commentaires, à 90% négatifs qui jonchent sa page. Le déluge s’intensifie sur cette page inactive. Le président est tombé à 15% d’opinions favorables cette semaine. C’est le pire score de popularité jamais atteint par un président sous la Vème République. Les raisons de cette impopularité sautent aux yeux.

D’abord, il y a sa « photo de couverture » (inchangée depuis le 7 mai 2012), sur laquelle est affiché un grand « Merci » qui jouxte le visage bonhomme du président paré d’un large sourire se voulant plein de connivence avec ses supporters. Les internautes s’en donnent à cœur-joie. Elle est garnie de quelque 6266 commentaires. Un collégien lui dit « merci pour l’écotaxe », pendant qu’une danseuse, Ilona Gabriel, s’interroge : « merci pour quoi? Un pays en crise? ». Une certaine Bérénice Massilia Trota évoque une « monarchie modernisée à coups de taxes ». Un autre, Sébastien Deutsch, conseille au président de se comporter en homme courageux et de démissionner, pendant qu’un autre insulte carrément le président: « Chute de 22 à 15% en trois jours, vous êtes le plus benêt des hommes politiques ». Le 9 mai 2013, un « casse-toi, t’es un incapable » récolte 15 like!

Le physique du président n’est pas en reste, plusieurs internautes remarquant que son régime a vraisemblablement changé depuis qu’il est à l’Elysée.

Outre les insultes, les appels à la démission et les attaques récentes mais nombreuses sur l’écotaxe, un certain type de commentaire revient. Il s’agit de textes un peu plus longs, publiés par des Français qui ne parviennent pas à joindre les deux bouts et décrivent leur enfer. La pression fiscale fait partie de cet enfer. Jean-Loup se plaint du fait que « pour 60€ d’augmentation par mois (1240 à 1300€) salaire élevé à vos dires. Je passe de 200€ à 1100 d’impôts. » S’ensuit un long commentaire sur les trop nombreux étrangers qui, selon cet homme, profitent de notre système et le grèvent. Sur cette page, l’exaspération gronde depuis un an et demi dans le vide. Le 2 janvier, on peut lire à demi-mots des menaces: « vous êtes nés du bon côté de la barrière monsieur François Hollande mais cette barrière n’existera bientôt plus et ce jour-là j’espère que vous serez dans votre bunker avec tous les gens de votre espèce car nous n’aurons nous non plus aucune pitié pour vous. Sincèrement. Une mère au bout du rouleau. » Pendant des kilomètres de commentaires, datant de mai 2012 à aujourd’hui, on a l’impression d’entendre cette mère de famille alsacienne qui au mois d’octobre s’en était pris à Jean-François Copé, lui présentant ses doléances via webcam, à la télévision. Sauf que là, c’est toute la France qui s’exprime, de manière anonyme, sans filtre et surtout sans obtenir de réponse. Rappelons que cette page avait été ouverte en novembre 2009, à l’époque où François Hollande essayait de devenir présidentiable et tachait d’instaurer un dialogue avec le peuple.

Il n’y a guère qu’une quinquagénaire de Dijon, Marie-France Afeissa, pour s’interroger : « Mais pourquoi ne réagissez-vous pas? ». Grande question. En effet, s’il n’y a rien d’étonnant à découvrir l’ampleur de la grogne des Français par ces commentaires, il est permis de se demander comment François Hollande a pu laisser à l’abandon sa page officielle. Les autres hommes d’Etat, en Europe aux Etats-Unis et partout dans le monde, continuent, une fois élus d’alimenter la leur. Par exemple, la chancelière Merkel, si elle ne dépasse pas de beaucoup le nombre de fans de Hollande (425 000 contre 417 000), est bien plus assidue. Son équipe met en ligne un article tous les quatre ou cinq jours à peu près, au gré des évènements. Chez Obama, on publie tous les deux ou trois jours, normal : il a 37 millions de fans. Notons toutefois que l’impopularité d’Obama, tombée au seuil record de 39%, lui vaut bien des commentaires négatifs du type « impeachment is remedy » voire des insultes. Mais il continue d’afficher ses politiques sur le réseau social, sans que cela n’empiète sur la page de la Maison Blanche.

Notre président envisage-t-il reprendre le contrôle de sa page, et ainsi tenter de réamorcer un dialogue avec les mécontents? Lit-il seulement les commentaires des Français?  Tentez toujours de lui donner votre avis sur la question en commentant cet article qui, lui, sera lu à coup sûr par les services de communication de l’Élysée !

*Photo : Jacques Brinon/AP/SIPA.AP21330388_000002.

L’homme, une erreur de casting

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amour pre homme

amour pre homme

La télévision a sa petite idée sur ce qu’est un homme, ou en tout cas sur ce qu’il devrait être. Très terne.

Il y a une quinzaine de jours, en allumant la télé, je suis tombé sur une émission de télé-réalité. Ça m’a tout de suite intéressé. Elle présentait des agriculteurs célibataires qui devaient sélectionner des « prétendantes ». Tous semblaient bien contents qu’on amène à chacun, sur un plateau, une dizaine de femmes ! Joyeux comme des enfants ! Ils n’avaient plus qu’à choisir, croyaient-ils. À vrai dire, tout le monde avait l’air optimiste. Hommes et femmes croyaient fermement à l’amour romantique. Leur capacité à aimer paraissait intacte. Le bonheur semblait donc à portée de main.

Tout a commencé à se gâter au fromage. Un homme et une femme sont entrés, pour un premier tête-à-tête, dans un beau restaurant. Ils semblaient éblouis par le choix de la production. Surtout lui, qui marchait derrière.[access capability= »lire_inedits »] Un premier drame a failli se produire au moment où il s’est baissé pour s’asseoir. Le serveur, pensant l’aider, a brusquement tiré son fauteuil en arrière. C’était peut-être un gag prévu par les organisateurs ! Mais j’ai vu la femme se rembrunir. Elle commençait à avoir des doutes sur l’agriculteur. Elle lui a demandé s’il allait souvent au restaurant, si c’était important, selon lui, d’y amener une femme régulièrement, à quelle fréquence précisément ils s’y rendraient, au cas où ils feraient affaire tous les deux. J’ai compris qu’il commençait à perdre pied quand il a dit : « Dans l’agriculture, avec les bêtes, il y a du travail tout le temps. » Je crois qu’il s’appelait Albert ou peut-être bien Gérard. Disons Gérard ! Je ne me souviens plus vraiment des détails. Je mélange sûrement avec d’autres émissions. En tout cas, je m’identifiais à ce pauvre Gérard.

Une table ronde très encombrée séparait les deux convives. De petite taille, tassé dans un fauteuil excessivement moelleux, Gérard regardait cette femme en contre-plongée et il peinait à l’entendre. Les serveurs ont apporté des buissons de crustacés. Elle a répété une question : « Gérard ! Est-ce que tu as bien réfléchi à ce que tu peux apporter à une femme ? » Il a hésité. Puis il a tenté, goguenard : « Eh bé ! C’est pas bien difficile ! » Il pensait être tiré d’affaire. Mais elle s’est mise à lui poser des questions de plus en plus détaillées et insistantes. Elle le regardait fixement. Ses sourcils étaient épilés et remplacés par des traits noirs en forme d’accent circonflexe. La conversation entre Gérard et cette femme virait à l’entretien d’embauche. Gérard perdait pied. Il coulait à vue d’œil. C’était flippant.
Tout à coup, il s’est affaissé sur le côté. « Il se passe quelque chose », a exulté la commentatrice. La caméra s’est avancée et a zoomé sur Gérard qui cachait son visage sous une serviette. Il était agité de soubresauts. On a compris qu’il sanglotait comme un enfant. La scène a été coupée là. On est passé à la pub. D’abord des voitures. Ensuite des gâteaux secs. Puis un clip a évoqué avec beaucoup de tact l’existence de nouveaux traitements contre l’impuissance. L’émission a repris avec le débriefing des protagonistes. La scène se situait quelques jours après ce dîner calamiteux. Gérard avait retrouvé sa bonne humeur. Il était avec ses potes. Tous ensemble, ils buvaient des canons et jouaient aux cartes. Gérard a reconnu sportivement qu’il avait loupé son coup, mais il n’en faisait pas un drame. La femme aux sourcils épilés s’est exprimée à son tour. Elle a méthodiquement dressé la liste des qualités qu’un homme doit réunir pour être utile à une femme. En effet, insistait-elle, l’homme doit être utile à la femme, car trop longtemps ça a été le contraire. Il n’était plus question, à ce stade de l’émission, d’amour « romantique ». D’autres prétendantes sont intervenues au sujet de leurs dîners respectifs. Les avis concordaient. Dans un nombre de cas limité, c’était vrai, certains hommes pouvaient les faire vibrer. Mais ce que ces prétendantes attendaient unanimement en matière de compagnon, c’était quelqu’un « qui participe », « qui partage », « un homme sur qui compter ». Elles ne voulaient pas « un enfant de plus ». Elles disaient toutes cela, même celles qui envisageaient d’avoir des enfants, des vrais. Cette expression est revenue plusieurs fois pour définir l’homme idéal : IL N’EST PAS UN ENFANT DE PLUS. Ça m’a fait mal, car ce qui me plaît le plus, justement, ce sont les enfantillages ! L’insouciance ! L’inattendu ! La belle vie !
Quelques jours après, j’ai vu une autre émission consacrée à la vie de couple. La question de l’utilité effective de l’homme revenait sans arrêt. Je me souviens, en particulier, d’une certaine Marina qui gagnait deux fois plus que son Thierry. Ils étaient au bord de la séparation. Pour « sauver son couple», Marina a proposé à Thierry de se porter volontaire pour un projet test : rénover la salle de bains. Ça n’avait pas l’air de l’emballer, mais il a accepté. Dans une autre famille, Philippe était chômeur. Ses indemnités excédaient le salaire de Nathalie, mais il se sentait dévalué. La situation semblait sans issue, mais il a eu, de lui-même, une idée : « se lancer dans des travaux de jardinage pour reconquérir le cœur de Nathalie ».

Certaines femmes faisaient preuve d’une détermination stupéfiante. Je me souviens, notamment, d’une certaine Valérie qui s’exprimait en tenue de jogging. Elle a expliqué pourquoi la question du partage des rôles revêtait pour elle une importance cruciale. Il s’agissait d’une affaire remontant à son enfance. Chez ses parents, quand elle était petite, sa mère faisait tout, mais c’était son père qui choisissait le programme télé. Tous les soirs, western ! L’épouse apportait des steaks-frites, ou des plats de ce genre, puis elle regardait le film avec son mari. Mais, d’après Valérie, ce n’était pas normal. Sa mère n’aurait pas dû accepter tant de machisme. Avec un homme, d’après elle, il faut être « cadrante ». D’ailleurs, elle a souvent dit à sa mère qu’elle aurait dû divorcer. Pourtant, ça faisait de la peine à cette femme d’entendre ce genre de reproche venant de sa fille. Mais Valérie aime le parler-vrai. Et elle ne voulait pour rien au monde avoir une vie comme celle de sa mère. Dans son couple, c’était elle qui tenait la zappette, et elle était bien décidée à ne pas la lâcher. Beaucoup d’autres témoignages allaient dans le même sens. La question du partage des rôles et des tâches est un point névralgique pour de nombreux couples. Certains hommes jouent le jeu, d’autres rechignent.

On a quand même l’impression que les choses avancent. Qui s’en plaindrait ? Cependant, le diable se loge dans les détails, surtout dans les détails du quotidien. L’accumulation de prescriptions génère parfois de la tristesse. En mettant l’accent sur les services attendus et les fonctions à remplir, on peut laisser au second plan ce qui fait le sel d’une relation. L’homme utile n’est pas forcément un individu attirant. Les trop bons élèves peuvent devenir des êtres ternes, de gentils toutous, voire de pauvres types. En résumé, il y a un peu de morosité dans l’air. On peut dire que parfois, pour les hommes, ce n’est pas si facile. Et en prime, très ennuyeux pour les femmes.[/access]

Au Chili, le marteau n’est pas fossile

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On sait que le PCF, lors de son dernier congrès, le 36ème qui s’est tenu à Aubervilliers en février 2013, a abandonné la faucille et le marteau qui n’occupaient d’ailleurs plus sur les cartes des adhérents qu’une place seulement visible à l’aide d’un microscope électronique, et même plus de fabrication est-allemande. Comme la presse bourgeoise s’était emparée de l’anecdote pour oublier de parler des propositions du Parti,  nous avions décidé de ne pas communiquer à l’époque sur la question, déjà assez malheureux comme ça de voir notre identité s’effacer un peu plus car on sait que le diable du réformisme se niche dans les détails graphiques.

Or je m’aperçois aujourd’hui à quel point j’avais raison. Ce symbole, la faucille et le marteau,  a un pouvoir presque magique et peut dynamiser une candidature, même très moyennement sexy comme  celle de Camila Vallejo, leader chilienne du mouvement étudiant qui a mené la vie dure au président ultralibéral Pinera.

chili

Soyons honnête : alors qu’elle n’est pas très jolie,  par la seule grâce du symbole historique de l’alliance entre ouvriers et paysans, Camila, étudiante au physique ingrat a été élue députée, ce qui lui évitera d’avoir à trouver un mari, chose presque impossible, il faut être réaliste. Précisons que Camila Vallejo a été élue dans le sillage de la très probable victoire de Michelle Bachelet à la présidentielle à la tête d’une horrible coalition socialo-comuniste qui lui a permis de réunir 47% des voix au premier tour, ce dimanche 17 novembre contre 25% à sa rivale de droite.

Grâce à la faucille et au marteau, sans aucun doute.

Petit complément à l’année Diderot qui s’achève

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diderot libertin molere

diderot libertin molere

Je ris assez moi-même des littéraires qui philosophent pour… prendre le risque d’être ridicule.
« Retour du religieux » est, au mieux, une expression approximative. Ce qui revient depuis une quarantaine d’années (en fait, depuis que l’économie libérale, en chancelant, a cessé d’apporter sa justification au positivisme du XIXème siècle, qui fut la base théorique de l’expansion capitaliste) est moins le religieux que la superstition — et non, ce n’est pas la même chose. La foi, pour autant que j’aie pu comprendre un état auquel je ne comprends rien, appartient aux convictions intimes. Au cœur, aurait-on dit dans les siècles passés. Mais la superstition, somme de comportements aveugles et réitérés, mécanique plaquée sur du vivant, ne vient ni du cœur ni de l’esprit. Ni sentiment, ni rationalité : la superstition se complaît dans une extériorité, dans des démonstrations qui abolissent l’être au profit du pantin. Le fanatique est un robot qui veut réduire autrui aux mêmes automatismes — reductio ad absurdum. Un voile, dix voiles, cent mille voiles. Trois cents personnes prosternées sur un tapis de prière au milieu de la rue. Une barbe, dix barbes, trois cents millions de barbes. Il n’est pas simple d’être Blaise Pascal, mais il est aisé d’être un intégriste : c’est une foi réduite à sa grimace.
Et nous, nous les rationalistes sévères, y sommes un peu beaucoup pour quelque chose.
Notre façon de rapporter les fins de l’action à celles de la connaissance (c’est cela, n’est-ce pas, le rationalisme), et, depuis le XVIIIème siècle, de condamner les passions, de récuser la folie, de prétendre que sous les Lumières il n’y avait pas d’ombre, a laissé à l’irrationnel tout le champ des fantasmes. Or, asséner aux autres son fantasme, là commence le totalitarisme, politique et religieux — et les deux confondus, tant qu’à faire.

Petit détour par Molière et Diderot.
Harpagon est possédé par la passion de l’argent, d’accord. Mais l’avarice n’est que la transcription d’un délire autrement ravageur, qui fait le fond de la pièce : la manie du contrôle. Le personnage de Molière prétend contrôler le corps des autres (et donc le sien : c’est un constipé chronique qui refuse de rendre quoi que ce soit), via des restrictions alimentaires cocasses et criminelles (Molière excelle à montrer combien le criminel est cocasse). Il prétend aussi régir la sexualité de ses enfants — il n’est pas de père chez Molière qui ne soit abusif. Dans Le Tartuffe, Orgon est un obsédé du même acabit, sauf que cette fois ce sont les gesticulations religieuses qui remplacent les abstinences d’Harpagon (en fait, L’Avare vient après Tartuffe : Molière, échaudé par les menaces de mort que lui avait values sa grande pièce religieuse, a préféré après 1666 passer par la métaphore pour attaquer les bigots de toutes farines). Tous les barbons de Molière, avec « cette large barbe au milieu du visage », sont taillés dans le même tissu passionnel, pantins dont la Compagnie du Saint-Sacrement tirait les ficelles.

L’islamisme opère de même — et nous ne saluerons jamais assez Ariane Mnouchkine pour avoir pensé, en 1995, à transposer Tartuffe dans une Egypte fondamentaliste — oserait-on encore le faire ? Contrôle abusif du corps (ramadan et interdits divers pris au pied de la lettre), contrôle des habits et des emplois du temps — police de la pensée. Le libre-arbitre que le dieu des religions monothéistes accordait à l’homme disparaît, dans ces caricatures de la foi, au profit d’une servitude stricte : des « born again christians » aux salafistes en passant par les haredim purs et durs, la caricature religieuse offre la possibilité de réintégrer l’univers des passions, récusées depuis Descartes, d’Alembert, Condorcet ou Hegel (qui sur ce plan oublie volontiers la dialectique), abolition qui a trouvé en Auguste Comte son jusqu’auboutiste. Mais chassez les passions, elles reviennent par la fenêtre. Faute de les intégrer dans le plan, elles s’aigrissent et nourrissent les intégrismes — ou le racisme, qui procède de la même haine de cette rationalité qui nous enjoint de considérer l’Autre comme un autre nous-même. Et à force de nous prescrire l’amour du prochain, alors même que nous avons parfois envie de l’envoyer à tous les diables, nous obtenons l’effet inverse — on le voit bien en classe où le discours antiraciste finit par générer son contraire.
Nous sommes très loin d’avoir éprouvé tous les effets de la crise, et très loin d’avoir vu monter tous les délires. Sartre avait raison de dire qu’on ne convainc pas un raciste avec des arguments rationnels, parce qu’il est dans la passion. Il n’a pas assez insisté sur le fait que cette passion est le produit de la rationalité imposée sans reste — au sens mathématique du terme.
Diderot seul (il faut lire et relire Le Neveu de Rameau) a compris qu’il fallait tenir compte du reste, et qu’on ne pouvait opposer un Moi rationnel à un alter ego passionnel. Dans Le Neveu, la dialectique entre Moi et Lui n’oppose pas le Philosophe à l’énergumène du café de la Régence : il construit, en interaction entre les deux débatteurs, un personnage complexe et sans cesse changeant — un certain Diderot — qui est la somme de Moi et de Lui. Somme impossible d’ailleurs : on n’additionne pas davantage les exigences rationnelles de l’un et la folie de l’autre que les torchons et les lanternes. Nous sommes, dit Diderot, un manteau d’Arlequin tissé de bon sens et de folie douce. Et exclure la folie au nom d’une vision étroite du rationalisme l’a transformée en folie furieuse. Récuser le désordre au nom de l’unicité du Moi lui donne un bon prétexte pour aller se réfugier chez tous les paumés de la terre, les sacrifiés de la croissance défunte, qui se forgent une identité dans le délire et la violence.

Montaigne avait bien senti que nous sommes, à son image, « ondoyants et divers ». Mais le culte de la norme, depuis l’âge classique, nous a fait oublier sa leçon, et les passions récusées sont allées se réfugier chez les extrémistes de tout poil. Imposer un corset de restrictions au croyant, le pousser au fanatisme, c’est la pratique ordinaire de la superstition, qui ne vit que dans l’air raréfié des extrémismes superlatifs. Croyants ordinaires ou athées, nous sommes un mixte d’ange et de bête, de lumière et de nuit. Et réfréner à tout prix ses désirs, se refuser aux péchés capiteux, au verre de Rioja sur une chiffonnade de pata negra, à la main qui se glisse et à la bouche qui consent, nous expose à glisser vers l’ultra-violence et le prosélytisme militant, seuls défoulements autorisés à ces cocottes-minute sans soupape que sont les intégristes de toutes obédiences. Jamais un voile n’abolira le désir : autant vivre ses désirs plutôt que de se couvrir la tête en croyant — c’est le cas de le dire — qu’un bout de tissu fait taire les pulsions sous prétexte qu’il les cache. Jeunes musulmanes, mes sœurs, mes amies, allez au bout de vos désirs, mangez, buvez, baisez — le Ciel peut attendre, et il n’y a qu’une vie. Comme on disait jadis, jouissez sans entraves. Que des anciens de 68, au NPA ou ailleurs, se fassent les propagandistes du voile prouve assez que ce n’est vraiment pas beau de vieillir… Tout est bon dans le cochon, un verre ça va, mais trois verres aussi, et la sodomie ouvre l’esprit — souris qui n’a qu’un trou est bientôt prise. Seul le libertinage (tous les libertinages : « Mes pensées, ce sont mes catins », disait Diderot) confère la liberté, tout le reste est prétexte et servitude involontaire. La vraie raison est dans l’acceptation de notre part de folie. Quand vous serez bien vieilles, assises au coin du feu, que vous rappellerez-vous ? Vos excès, et non vos précautions. Vos cuites mieux que vos pénitences. Le désordre du lit mieux que les ordres donnés. Récusons les rationalismes qui récusent l’ivresse. Ils alimentent les jeûnes sans le savoir, et fomentent les horreurs, sans le vouloir. Bref, relisons, revivons Diderot, qui fut le dernier esprit libre, le dernier libertin.