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Sarah Halimi : autopsie d’un crime antisémite


L’assassinat de Sarah Halimi pendant l’entre-deux-tours de la dernière élection présidentielle a longtemps été considéré comme l’acte d’un déséquilibré. Brisant l’omerta, la journaliste Noémie Halioua établit le caractère antisémite de ce crime islamiste. La justice vient de lui donner raison.


En juin 2017, Noémie Halioua, journaliste à l’hebdomadaire Actualités juives, exposait sur le site Causeur.fr les premiers résultats de son enquête sur le meurtre de Sarah Halimi, une juive orthodoxe de 65 ans, torturée et défenestrée de son appartement du 11e arrondissement de Paris dans la nuit du 4 au 5 avril 2017. Son assassin est un voisin, Kobili Traoré, un Franco-Malien de 27 ans, petit délinquant multirécidiviste, toxicomane, fréquentant régulièrement la mosquée voisine de tendance salafiste de la rue Jean-Pierre-Timbaud.

Ouf ! c’est un dingue, on zappe

Il est arrêté sur les lieux de son crime par les policiers de la BAC appelés par les voisins, mais qui n’étaient pas intervenus, les hurlements de Traoré, tourmentant sa victime aux cris de « Allahou Akbar ! » les ayant dissuadés de pénétrer dans l’appartement. Craignant de se trouver face à un terroriste lourdement armé, ils ont attendu l’arrivée de leurs collègues de la BRI, entraînés et équipés pour ce genre d’opération. Ce choix s’est avéré fatal pour la victime, qui avait déjà été frappée de plusieurs coups de couteau, mais était encore vivante lorsque Traoré l’a précipitée du haut de son balcon.

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Pendant plusieurs mois, la thèse du crime commis par un déséquilibré a prévalu dans les médias, confortée par une instruction judiciaire qui n’avait pas retenu le caractère antisémite de ce crime et avait placé Traoré en hôpital psychiatrique, après qu’il eut été jugé par un médecin inapte à être interrogé par la police. L’Affaire Sarah Halimi, de Noémie Halioua, poursuit cette enquête, nourrie d’entretiens avec un grand nombre de protagonistes : la famille, les voisins, les avocats, les journalistes ayant eu à la traiter, des responsables de la communauté juive. Ce texte précis, nerveux, sans grandiloquence, est implacable dans son exposé du mécanisme de déni collectif : ce crime atroce a une composante antisémite évidente, en dépit de la volonté du criminel de se présenter comme un délirant habité par un « sheitan », un diable abolissant son discernement. Pendant dix mois, la juge d’instruction chargée de l’affaire, soutenue par le procureur général de Paris, François Molins, a refusé d’appliquer à l’acte de Kobili Traoré la charge aggravante de crime de haine antisémite. Les mises en garde contre une qualification trop rapide de ce crime – formulées à l’adresse de la rue juive par des responsables de la communauté juive, Francis Kalifat pour le CRIF et Joël Mergui pour le Consistoire, informés par le procureur Molins de l’état du dossier quelques jours après les faits – deviennent prétexte, pour les grands médias, à classer ce crime dans la case des faits divers urbains. Ouf ! c’est un dingue, on zappe.

Pas de crime antisémite pendant la présidentielle !

Nous sommes alors, rappelons-le, entre les deux tours d’une élection présidentielle, avec une bête immonde présente au second tour, à laquelle il ne faut surtout pas fournir de grain islamophobe à moudre. La palme de l’aveuglement revient à Claude Askolovitch qui, trois jours après le crime, expose doctement sur Slate.fr que le problème n’est pas l’antisémitisme radical dans lequel baignent nombre de ses amis musulmans, mais la paranoïa communautariste des juifs de France.

Grâce à Noémie Halioua, et à d’autres hommes de bonne volonté comme Michel Onfray et Luc Ferry, peu suspects de communautarisme exacerbé, la justice s’est, enfin, résolue à appeler un chat un chat et un crime antisémite par son nom.

 

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Laïcité: il y a 15 ans, nous avions déjà renoncé

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Il y a 15 ans, en 2003, la commission Stasi dépêchée par le président Chirac pour réfléchir « sur l’application du principe de laïcité dans la République » avait repéré les premiers signes d’islamisation de certains territoires de la République. Et il parlait déjà de la laïcité à l’imparfait…


Le premier tome d’une saga est souvent le plus intéressant. Il plante le décor, dessine les personnages, ouvre le champ des possibles. La tétralogie des rapports StasiDeydierObinClavreul illustre ce propos. Son premier opus témoigne d’un temps où l’on s’autorisait encore à utiliser les mots « culture » et  «identité », où la peur de stigmatiser n’orientait pas les protocoles de  recueil des  faits. Il est la preuve matérielle de la mise au centre de l’échiquier du vivre-ensemble, concept flouteur de  réalité, conçu sur mesure pour renoncer à voir. Il est aussi la démonstration du choix de réduire ce que Gilles Clavreul nomme « une façon de vivre en société qui est, par endroits, contestée » aux seules attaques contre la laïcité qui ne sont pourtant qu’une des  conséquences parmi d’autres de ce refus.

« Oui, des groupes extrémistes sont à l’œuvre dans notre pays » (rapport Stasi, décembre 2003)

La volumineuse production de rapports aux constats inquiétants débute en 2003. Le 3 juillet, Jacques Chirac charge Bernard Stasi, alors médiateur de la République de réunir une commission pour « qu’une réflexion approfondie et sereine s’engage sur les exigences concrètes  qui doivent découler pour chacun du respect du principe de laïcité » car, ce dernier « fait aujourd’hui l’objet d’interrogations. Sa mise en œuvre dans le monde du travail, dans les services publics et notamment l’école, se heurte à des difficultés nouvelles ». En 1989, l’affaire des trois lycéennes voilées, à Creil, s’était terminée par un simple avis du conseil d’Etat explicitant l’action possible des chefs d’établissement en la matière, en vertu de leur rôle de gardien de l’ordre public. Il semble donc que cela ne soit plus suffisant et que le questionnement s’étende désormais bien au-delà des murs de l’école.

A lire aussi: Pascal Boniface et Médine contre « l’islamophobie » de la France « laïcarde »

Bernard Stasi réunit 13 hommes et 6 femmes. Des universitaires, Henri  Peňa-Ruiz, Jean Baubérot, Gilles Kepel, Mohammed Arkoun, Régis  Debray, Jacqueline Costa-Lascloux, René Rémond, Alain Touraine et Patrick Weil donnent l’éclairage historique, sociologique, philosophique et politique. Deux juristes du Conseil d’Etat : Marceau Long et Rémi Schwartz apportent leur expertise. Le monde politique est présent au travers de Nelly Olin (RPR/UMP) et Michel Delebarre (PS). Nicole Guedj  (UMP) représente le monde associatif en tant que fondatrice de l’Observatoire des écoles, ainsi que Gaye Petek militante de terrain pour l’intégration des populations turques grâce à  son association Elele. Trois cadres de l’Education nationale,  Hanifa Chérifi, Ghislaine Hudson, Maurice Quenet et l’entrepreneur, expert en négociations Raymond Soubie complètent le groupe.

Ces membres recueillent les témoignages des « hommes et femmes de terrain ». Le rapport est remis le 11 décembre 2003. Dans le courrier d’accompagnement, Bernard Stasi écrit : «Il faut être lucide : oui, des groupes extrémistes sont à l’œuvre dans notre pays pour tester la résistance de la République et pour pousser certains jeunes à rejeter la France et ses valeurs ».

Accommodements raisonnables: c’était écrit…

Tout ce que certains font mine de découvrir aujourd’hui est déjà écrit et sera publié dans Le Monde du 12 décembre 2003. A l’école, ce sont les contestations de « pans entiers des programmes d’histoire et de sciences de la vie et de la terre », les certificats médicaux des filles pour ne pas faire sport ou leur refus de passer des examens devant un examinateur masculin, la déscolarisation pour motif religieux, le jeûne des élèves… A l’hôpital sont relatés les cas de femmes privées de péridurale ou refusant un médecin homme, les couloirs devenant des lieux de prière pour le personnel… Dans le secteur de la justice, les pressions des détenus radicaux pour soumettre les autres aux prescriptions religieuses sont déjà là. Et puis, il y a le refus des cours de secourisme mixtes lors des journées d’appel pour la défense, les demandes de créneaux de piscine spécifiques dans les communes… Dans les entreprises, le refus de l’autorité des femmes et de leur poignée de main, la difficulté de relations « que l’on souhaite empreintes de neutralité » lorsque les salariées souhaitent porter le voile. Désarroi et souffrance des fonctionnaires face à ces phénomènes sont clairement décrits, tout comme la régression des libertés des femmes, le racisme antimusulman mais aussi le « nouvel » antisémitisme. Toutes ces revendications ne concernent que la religion musulmane, seul le refus de transfusion chez les témoins de Jéhovah et la question des absences les jours de fête qui s’observent également chez les Juifs, permettent d’inclure les autres religions, de façon marginale, dans la problématique. Enfin, les atteintes terribles aux droits des femmes sont détaillées : mutilations sexuelles, polygamie, répudiation, mariage forcé et la « résurgence d’un sexisme qui se traduit par diverses pressions et par des violences verbales, psychologiques ou physiques ».

« Notre philosophie politique était fondée sur la défense de l’unité du corps social. » (rapport Stasi, décembre 2003)

L’ampleur du phénomène montre que l’on est bien au delà d’entorses à la laïcité telle que les textes juridiques la définissent. Ce ne sont pas quelques pratiques religieuses un peu envahissantes qu’il faudrait ponctuellement remettre dans les limites que la loi définit. Les rédacteurs se veulent optimistes, mais nomment clairement les deux forces antagonistes, en des termes que certains des auteurs récuseraient aujourd’hui : « La force de notre identité culturelle française peut favoriser le creuset de l’intégration » et « la culture musulmane peut trouver dans son histoire les ressources lui permettant de s’accommoder d’un cadre laïque ». Il faut le souhaiter car même les plus ardents défenseurs actuels de l’universalisme de la laïcité se rangent derrière une rédaction qui reconnaît sa nature historico-culturelle : « La laïcité est constitutive de notre histoire collective. Elle se réfère à la Grèce Antique, la Renaissance et la Réforme, l’Edit de Nantes, les Lumières ». Les auteurs actent donc pleinement l’apparition d’un conflit atteignant le champ du culturel.

Un peu de la saveur de l’ancien monde subsiste, mais le renoncement est déjà là et le choix idéologique fait. Quelques lignes à l’imparfait, en début de dossier, en gardent l’empreinte: « Notre philosophie politique était fondée sur la défense de l’unité du corps social. Ce souci d’uniformité l’emportait sur toute expression de la différence perçue comme menaçante. Aujourd’hui la diversité est parfois présentée sous un jour positif : le respect de droits culturels est revendiqué par certains qui les considèrent comme un aspect essentiel de leur identité ». Tout est donc bon à prendre et tout est compatible, inutile d’apprendre aux nouveaux venus à marcher jusqu’à nos valeurs et usages. Une certaine prudence incite cependant les experts à explorer ce que donne l’application de ce principe ailleurs. Le bilan est sans appel : « La plupart des pays européens avaient opté pour une logique communautaire. Mais, face à la montée des tensions, la tendance s’inverse aujourd’hui et revient vers une politique d’intégration plus volontariste. » Le cas des Pays-Bas est particulièrement souligné dans sa politique de rupture du multiculturalisme et d’exigence exprimée aux nouveaux immigrants « d’adhésion aux valeurs fondatrices de la société néerlandaise ».

Et le « vivre-ensemble » a triomphé…

Face à l’injonction paradoxale que constitue la volonté de « concilier l’unité et le respect de la diversité », la Commission choisit de voir en la laïcité « une façon de structurer le vivre ensemble ». Le mot est lâché : voici donc inséré dans le dispositif le concept ectoplasmique du « vivre ensemble », terme sans réelle définition, chimère née de l’espoir qu’il existerait  un communautarisme acceptable. Le rapport Stasi en fait particulièrement bien ressortir le caractère flottant et inconsistant, sans structure propre, puisqu’il ne s’agit que de se maintenir « en suspens » quelque part entre le refus de l’unité du corps social considérée comme obsolète et celui du communautarisme, reconnu comme dangereux. Présent ici, comme dans les medias et même dans les programmes scolaires, le « vivre-ensemblisme » va se répandre, et, c’est un comble pour une injonction à se rassembler, permettra d’ostraciser tous ceux qui, sur la base des faits, questionneront sa validité. Sa fragilité dans la confrontation au réel nécessitera, tout de même, ultérieurement, l’ajout de quelques locutions complémentaires, telles que « ne pas stigmatiser » et « pas d’amalgame » pour museler efficacement les esprits critiques.

La mémoire collective ne retiendra de cette commission que la loi sur le port des signes religieux. Sa relecture, quinze ans plus tard, nous offre bien plus. Elle est  l’occasion de voir juxtaposés les faits et le choix de ne pas les voir. Elle permet aussi la mise en lumière des contradictions internes : accueillir l’Autre dans sa pleine différence tout en demeurant inflexible sur certains principes propres à notre culture. Il en découle la négation de  la part non négociable de nos valeurs et usages et l’impossibilité d’accueillir l’autre comme notre égal jusque dans le droit que l’on se donne à dire et refuser sa part d’ombre. Ce relativisme culturel assumé, part visible d’un rejet chez certains de notre propre histoire, les conduit parfois aujourd’hui à justifier au nom du vivre-ensemble des pratiques contraires à la laïcité ou à d’autres champs distincts tels l’égalité homme-femme ou la défense des droits des enfants. Enfin, le rapport Stasi matérialise la ligne qui consiste à prendre le symptôme que sont les attaques contre la laïcité pour la maladie et donc à penser que de la stricte application de la loi de 1905 naîtra la guérison totale.

Faire l’inventaire de la République ?

Les rapports suivants ne sortiront pas de cette grille d’analyse. Des constats chauds, des propositions tièdes et le vide interstellaire glacial de l’inaction. Aujourd’hui, cependant, parmi les membres de la Commission, Gilles Kepel nous offre un éclairage lucide sur le phénomène dans toute son ampleur. Gaye Petek œuvre toujours à l’intégration des migrants venus de Turquie et affirme « qu’il faut avoir la clarté de (leur) dire : « Il y a des choses dans votre culture qu’il va falloir aussi laisser au portillon, parce que battre sa femme, marier de force sa fille, sont des choses que nous, nous n’acceptons pas ». D’autres rédacteurs du rapport, en revanche sont devenus entrepreneurs d’une laïcité de salon, concept désincarné et fourre-tout, vidé de sa substance culturelle qu’ils évitent de toute façon soigneusement de pousser jusqu’à sa mise en pratique sur des cas concrets.

Le quinquennat Macron parviendra–t-il à rompre la malédiction ? Le caractère très convenu du rapport Clavreul, qui n’apporte rien de nouveau, et sa foi béate en les pouvoirs de la seule laïcité « par voie administrative » laissent perplexe. La crainte de ne voir émerger, une fois de plus, que de grands principes, laissant les acteurs de terrain sans directives claires et fermes est réelle. On continuerait  ainsi  à afficher des chartes de la laïcité dans les écoles, tout en fermant les yeux sur des enfants de huit ans assumant une journée de classe sous des températures caniculaires sans boire ni manger, à parler de « nouvel antisémitisme » pour un phénomène identifié dès les années 1990, à détourner les yeux des rues désertées par les femmes… Alors serait fait le choix d’un abandon définitif des territoires perdus de la République par un ajustement des droits et des devoirs des citoyens à chaque zone géographique, ce dont certains s’accommoderaient fort bien, puisque, somme toute, ce ne serait là que des parts de marché comme les autres.

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« Nico, 1988 », un biopic complètement raté encensé par la critique

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On attendait beaucoup du biopic sur Nico. La réalisatrice, Susanna Nicchiarelli, avait choisi de s’inspirer des dernières années de sa vie. Mais l’ex-chanteuse du Velvet Underground semble absente du film qui lui est consacré. Pourtant, Nico, 1988 a reçu les meilleures critiques…


Bien reçu dans les festivals, le biopic Nico, 1988 vient de sortir en France. Occasion d’essayer de comprendre le propos de Susanna Nicchiarelli qui a construit son film à partir des trois dernières années de la vie d’une icône, et de vérifier si les éloges des critiques sont fondés.

Deux scènes magnifiques, et puis…

La première image de Nico, 1988 autorise tous les espoirs : on y voit une enfant fascinée par un spectacle nocturne, de feu et de tonnerre. Comme la scène fait penser à un célèbre plan de La Cicatrice intérieure où Nico pose sur fond de volcans en éruption, le spectateur se dit qu’elle en est l’origine : devant la maison de Lübbenau où sa mère l’a emmenée s’abriter des bombardements qui rasent les grandes villes de l’Allemagne nazie, Christa Päffgen regarde les lumières de l’incendie qui consume Berlin, à 80 km plus au nord. Origine de l’œuvre. Magnifique ouverture.

Le plan suivant est situé 43 ans plus tard, à Ibiza, au moment où Nico s’apprête à partir pour la promenade à vélo qui lui sera fatale. Filmée à contrejour, l’actrice qui l’incarne est d’abord une silhouette se détachant dans une porte – on cherchera la ressemblance plus tard, si nécessaire. On sait depuis le Barbara d’Amalric qu’elle n’est plus un pré-requis du biopic (post-)moderne. C’est encore à La Cicatrice intérieure que la Nico de Trine Dyrholm emprunte la robe blanche qui lui tiendra lieu de suaire. L’exactitude historique ne sera pas le propos du film. La fidélité au modèle se situera ailleurs : dans ce nuage de fumée recraché par l’actrice.

Et puis c’est tout : après deux scènes inaugurales prometteuses, c’est la débandade. Passe encore le générique, collage de célèbres archives prélevées dans le journal filmé de Jonas Mekas, WaldenDiaries, Notes and Sketches, qui montre des extraits du premier concert donné par le Velvet Underground et sa nouvelle chanteuse au diner annuel des psychiatres de New York, séquence remontée en flash-back, avec des images d’un autre film de Mekas, Scenes from the Life of Andy Warhol, lorsque « Nico » interprètera une chanson du Velvet. On pouvait espérer un dispositif qui, comme celui mis en place par Amalric, mêlerait documents et reconstitutions, mais les images d’époque ne servent qu’à embrayer des séquences nostalgie tournées en focalisation interne sur l’héroïne du film.

Nico, beauté sacrifiée

Nico fut cette beauté blonde qui interprétait les ballades de Lou Reed au cœur du chaos électrique du Velvet, avant de devenir la déesse drapée de capes noires qui chantait dans les cathédrales et les théâtres antiques, s’accompagnant de son seul harmonium. Dans les années 1980, elle s’est réinventée en rockeuse à pantalon de cuir couturé, chaussée de bottes de motard dont les boucles sonnaient à chacun de ses pas. Le projet d’adaptation à l’écran de Nico – Songs They Never Play On The Radio remonte à 2005. Dans ce livre paru en 1992, James Young, son pianiste, racontait les dernières tournées, ces quelque 1200 concerts donnés par Nico entre 1982 et 1988, en Amérique, au Japon, dans les deux Europe et en Australie, sous l’égide du manager Alan Wise, figure haute en couleur ici portraiturée de manière bien pâle sous les traits de « Richard » (référence au prénom du biographe Richard Witts, auteur de Nico, The Life and Lies of an Icon ?). Tilda Swinton était alors pressentie pour incarner la chanteuse allemande, et en imaginant la fascinante héroïne de Only Lovers Left Alive dans le rôle de la femme fatale, on mesure tout le gâchis auquel aboutit Nico, 1988.[tooltips content= »Au petit jeu des comédiennes idéales, on pouvait imaginer aussi Cate Blanchett, voire Emmanuelle Seigner — hautes pommettes, actrices hantées, beautés hautaines. »]1[/tooltips] Trine Dyrholm – vue chez Thomas Vinterberg – arpente le film d’une démarche lourde, hagarde, la tête enfoncée dans les épaules, le visage figé, incapable d’un sourire. Il faut n’avoir vu aucune image de Nico marchant, se déplaçant, se tenant simplement sur scène, pour la réincarner ainsi : Dyrholm interprète « My Heart Is Empty » le micro à la main, le poing levé comme une hard-rockeuse. C’est qu’elle chante, ce soir-là, en état de manque, et par conséquent livre, on vous le fait obligeamment comprendre, une de ses meilleures performances : rapport de cause à effet absurde, malhonnête, peu crédible. Autour d’elle, les personnages secondaires ne sont guère plus convaincants. Il ne suffit pas de les montrer en train de flirter pour leur conférer une épaisseur psychologique.

Les portes de l’imperception

Dans Control, les interprétations des chansons de Ian Curtis par Sam Riley donnaient un supplément d’âme à la reconstitution biographique d’Anton Corbijn. La cinéaste Susanna Nicchiarelli a choisi de faire réenregistrer les morceaux de Nico par son actrice, accompagnée par la formation italienne Gatto Ciliegia contro il Grande Freddo. Hélas, ces nouvelles versions ne disent rien de la spécificité de la musique de Nico, et tendent à en gommer l’originalité : si on la voit bien assise à l’harmonium, le groupe l’accompagne sur « Janitor of Lunacy », cet hymne qu’elle a toujours interprété héroïquement seule face à des publics parfois hostiles dès qu’elle s’éloignait du répertoire du Velvet.

Qu’est-ce, d’ailleurs, que cette formation classique avec guitare, basse, batterie, quand The Faction comprenait deux claviers et deux batteurs percussionnistes, qui s’échangeaient parfois leurs rôles, pour improviser derrière le chant de Nico des accompagnements autrement plus aventureux que ce qu’on entend là ? Qu’est-ce que cette violoniste dont « Nico » dit qu’elle est de ses musiciens la seule qui ait du talent ? Un avatar de John Cale, féminisé par souci de parité ? Et à quoi bon cette reprise de « Nature Boy », que Nico n’a jamais chanté, en lieu et place de « My Funny Valentine » ?

Nico avait des problèmes de justesse, mais fallait-il, pour le faire comprendre au spectateur, que Trine Dyrholm chante systématiquement faux ? Etait-on obligé de lui faire réinterpréter tous les morceaux de Nico que l’on entend, même « Nibelungenland », qui n’apparaît qu’en off, que Nico a enregistré vingt ans plus tôt, et qui n’a été publié qu’après sa mort ? Dans ce biopic consacré à la chanteuse la plus originale de l’histoire du rock, la seule chanson d’époque que l’on entend – à deux reprises, afin de bien faire ressentir le décalage entre la musique de Nico et ce qui passait sur les ondes – est « Big In Japan », sur quoi défile le générique final. Au moins a-t-on échappé à l’une des chansonnettes gravées dans les années 1980 par Trine Dyrholm, mais voilà ce que vous fait ce film : vous allez voir Nico, 1988, et vous en sortez avec dans la tête un tube d’Alphaville.

Strange Nico

« Je voulais faire un film sur la femme qui se cachait derrière l’artiste Nico, la vraie Christa », se justifie la réalisatrice, que les clichés ne rebutent pas. Ainsi tous les personnages du film appellent-ils Christa Päffgen par son vrai prénom, quand ses véritables musiciens, son manager même, l’appelaient Nico. Susanna Nicchiarelli ne craint pas de se contredire, qui parle de « la vraie Christa » et ajoute que la volonté de reconstitution historique lui était étrangère, puisque ce qu’elle voulait, c’était inventer sa Nico, indépendamment de ce que fut réellement l’artiste dont elle s’est inspirée. Dans ce cas, pourquoi ne pas assumer pleinement cette position en inventant un personnage ? Tout le monde sait que les frères Coen ont modelé Llewyn Davies sur Dave van Ronk, mais en assumant leur choix de créer un personnage de fiction, ils ont évité les écueils du biopic, et créé une œuvre universelle qui ressuscite le New York du début des années 1960. En optant pour une image carrée et une palette de couleurs pâles, sans éclat, Susanna Nicchiarelli prétend reconstituer l’atmosphère de l’Europe des années 1980. Elle ne fait qu’en restituer la mémoire vidéo.

Où se trouve Nico elle-même, dans ce film où une vieille femme laide, qui lui ressemble comme un piètre sosie de cabaret, s’ennuie et chante faux ? Où sont l’humour, la grâce, la beauté qu’elle a gardés jusqu’à la fin ?

Qu’en est-il de 1988, si rien n’est dit ni montré de l’ultime concert, grandiose, donné au Planétarium de Berlin ?

De tous les proches de Nico, son fils Ari est le seul qui soit remercié au générique. Qu’allait-il faire dans cette galère ? Son nom est une caution imméritée pour un projet dont on se demande quelle était la finalité exacte. Les réactions élogieuses de la critique montrent qu’elle connaît peu, ou mal, Nico. C’est la même qui, il y a vingt ans, portait aux nues Nico Icon, le documentaire de mauvais goût réalisé par Susanne Ofteringer.

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Massacre de Munich: Plenel m’indigne


Quand il écrivait pour Rouge en 1972, Edwy Plenel a défendu l’organisation terroriste Septembre Noir, responsable de la prise d’otages et du massacre d’athlètes israéliens lors des Jeux olympiques de Munich. Il tente aujourd’hui de s’en dédouaner, mais Plenel l’ancien n’est pas si différent de Plenel le jeune. Une tribune de Gilles-William Goldnadel.


Dans le Médiapart du 10 avril, Edwy Plenel suggère que j’aurais « publicisé » son approbation du massacre des athlètes israéliens par le groupe terroriste palestinien Septembre Noir en raison de l’enquête de son journal concernant l’affaire libyenne mettant en cause Nicolas Sarkozy…

J’espérais qu’il était de la faculté de mes pires contempteurs de ne pas sous-estimer mon attachement au peuple israélien sans avoir à me prêter des arrière-pensées subalternes. À moins qu’Edwy Plenel pense qu’il vaut mieux rabaisser les motivations de ses contradicteurs, dans la pure tradition de combat d’un trotskisme culturel qu’il ne récuse pas.

Mais trêve de querelle personnelle, le propos de cette chronique étant d’analyser les explications idéologiques livrées par Plenel à Libération à la suite de la polémique liée à ces révélations.

Encore faut-il grandement relativiser le mot « révélations », puisque l’approbation par le directeur de Médiapart du massacre de Munich était connue de quelques initiés, figurait dans la biographie Wikipédia de l’intéressé et avait été, pour le coup, « révélée » par la grâce d’un livre écrit par Laurent Huberson : Enquête sur Edwy Plenel, en 2008.

Hier encore, j’avais 20 ans…

Dès lors, force est de constater qu’il aura fallu une décennie pour que cette révélation passe le barrage de la résistance médiatique, moins en raison de l’industrie de l’auteur du présent article que du fait que l’étoile de la star journalistique avait déjà pâli.

Depuis que l’intéressé, après avoir couvert d’une discrétion inaccoutumée les viols reprochés à Tariq Ramadan et avoir été brocardé pour cela par Charlie hebdo, avait répliqué en affirmant que le journal martyr prenait part à une campagne « générale » de « guerre aux musulmans », celui-ci n’inspire plus la crainte révérencieuse d’antan.

Mais avant cette période fatale, il n’était pas question de poser la question.

A lire aussi: Elisabeth Lévy: Plenel contre Charlie, j’ai choisi mon camp

A côté de l’interminable immunité du journaliste-militant, apparaît également cette indulgence toujours coupable et parfois connivente qu’inspirent au monde médiatique les insanités de l’extrême gauche que je dénonce à longueur de chroniques.

En matière d’insanités, celles dont fut capable le jeune Plenel en 1972 lorsqu’il se faisait appeler « Joseph Krasny », écrivait dans Rouge et qu’il récuse 46 ans plus tard avec une touchante spontanéité lorsqu’on lui met sous le nez, ne sont pas très ragoûtantes : « L’action de Septembre Noir a fait éclater la mascarade olympique, a bouleversé les arrangements à l’amiable que les réactionnaires arabes s’apprêtaient à conclure avec Israël. (…) Aucun révolutionnaire ne peut se désolidariser de Septembre Noir. Nous devons défendre inconditionnellement face à la répression les militants de cette organisation. » (Rouge, numéro 171).

Il en faut de la haine, lorsqu’on a 20 ans, pour écrire de telles lignes et approuver le massacre de sportifs innocents. Comme l’écrit très bien le député LR Jean-Charles Taugourdeau : « En 1972, vous aviez 20 ans… J’en avais 19… Et contrairement à vous, je n’ai jamais écrit, ni même pensé une once de ce que vous avez pu écrire au sujet de l’assassinat des athlètes israéliens. Non, moi j’en ai pleuré. Et 46 ans après, je suis toujours très fier d’avoir pleuré ».

J’étais pas le seul, m’sieur !

J’en viens à présent aux deux justifications apportées par Plenel à Libération.

La première est de faire observer qu’à cette époque lointaine, à l’extrême gauche, une telle approbation du terrorisme palestinien était monnaie courante. L’argument relève lui de la fausse monnaie et est caractéristique de cette faculté de l’extrême gauche de vouloir s’exonérer à bon marché de tous ses péchés.

Il est vrai que la faute est ancienne. Encore faut-il relativiser l’ancienneté. Et l’extrême gauche est bien mal placée en matière de pardon des péchés. Il n’y a pas plus hyper-mnésique ou anachronique qu’un militant trotskiste ou communiste. Il est capable de reprocher à un homme de droite de 2018 l’attitude d’un Croix-de-Feu en 1934 ou d’un collaborateur en 1940. Ou à un résistant héroïque contre les nazis d’avoir été pour l’Algérie française et d’être ainsi déchu de tout droit à une rue.

Plenel et ses amis ont la rancune aussi tenace que sélective.

Il est vrai également que l’extrême gauche en 1972 était fort bienveillante à l’égard du terrorisme palestinien aveugle. Plenel a parfaitement raison. Sauf que je passe encore aujourd’hui une bonne partie de ma vie intellectuelle à continuer à lui reprocher de continuer. Je mets au défi Plenel de me mettre sous les yeux un article dans lequel il condamnerait avec la vigueur dont il sait être capable le terrorisme du Hamas. Il fut au contraire le thuriféraire le plus exalté de Stéphane Hessel à qui j’ai reproché (dans Le vieil homme m’indigne) ses faiblesses insignes pour le mouvement islamiste.

Quelques mois après les attentats terroristes antijuifs à Paris, je reprochais aux Insoumis leur intention funeste d’avoir voulu rendre visite dans sa prison en Israël à un terroriste palestinien coupable d’attentat contre des civils. Je n’aurais pas assez d’un livre en dix volumes pour consigner à gauche cette complaisance extrême pour la violence contre les innocents qui transcende largement le conflit israélo-palestinien. Dois-je rappeler la complaisance des camarades de Mélenchon pour Fidel Castro,  Guevara ou Robespierre ? Dois-je rappeler enfin que j’attends qu’ils reconnaissent le génocide vendéen ?

Edwy « Zola » Plenel

Seconde observation d’Edwy Plenel : « J’ai toujours dénoncé et combattu l’antisémitisme mais je refuse l’intimidation qui consiste à taxer d’antisémite toute critique de la politique de l’État d’Israël ».

La véracité contenue dans la première partie de l’argument ne me saute pas aux yeux.

Pour ne prendre qu’un seul exemple, son long flirt avec Ramadan, sa complaisance à l’égard des Frères musulmans et ses sympathies pour Mehdi Meklat ne m’incitent pas à le ranger dans le même Panthéon qu’Émile Zola.

Mais trêve de persiflage, j’en viens à ce refus offusqué du chantage à l’antisémitisme qui relève chez Plenel et ses amis du mantra. Sorte d’amulette magique, d’eau bénite, de gousse d’ail protectrice à brandir lorsqu’un vampire sioniste tente de mordre le cou d’anti-israéliens radicaux.

Ils voudraient que tout adversaire d’Israël, même le plus violent, se voit ipso facto et de plein droit, décerné un certificat de non-antisémitisme. Glissons sur ce sophisme ou cette perversion intellectuelle.

J’ai toujours refusé d’utiliser l’argument antisémite pour reprocher à un anti-Israélien pathologique ou seulement injuste ce que je considère, à tort ou à raison, comme une attitude excessive.

Encore que je conçoive aisément qu’on puisse être à la fois antisémite et anti-Israélien, il ne m’apparaît pas que ce soit en toutes circonstances l’explication causale. Et je ne place pas non plus forcément l’antisémitisme au sommet de la hiérarchie maléfique. L’ignorance, la sottise, la méchanceté, le goût pour la provocation, la jalousie -encore qu’ils ne soient pas incompatibles avec la haine des Juifs – me paraissant largement aussi redoutables.

Plenel ou le philosémitisme schizophrénique 

Je reviens, pour terminer, vers M. Plenel. J’écris ici que je ne le crois pas un seul instant antisémite. J’écris encore que je le crois plutôt philosémite. Mais de ce philosémitisme névrotique que j’ai passé une bonne partie de ma vie intellectuelle à étudier et à combattre (Le Nouveau Breviaire de la Haine, Ramsay, 2001). M. Plenel en est même une des incarnations les plus dangereusement emblématiques.

M. Plenel, hanté et fasciné par la Shoah, adore le juif en pyjama rayé mais il l’abhorre en uniforme kaki. Au sein de sa religion athée post-chrétienne, il le vénère, christique et décharné quand il ne se défend pas. Mais il considère que le juif vivant violent est son nouveau Judas.

Voilà pourquoi, dans son inconscient tourmenté, M. Plenel considère que le musulman, victime du nouveau juif vivant, est devenu son nouveau Juif rêvé.

Et tant pis si son fantasme tourne le dos à la réalité.

Voilà pourquoi, sans doute, Plenel jeune comme Plenel l’ancien, quoique hantés tous deux par la Shoah, sont incapables de ressentir combien assassiner des  juifs musclés mais innocents à quelques kilomètres de Dachau demeure une ignominie toute particulière.

Mais si Mark Zuckerberg, Facebook fait de la politique

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Rien d’étonnant à ce que le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, soit pressenti à la Maison blanche. Même s’il s’en défend, son réseau social fait depuis longtemps de la politique: c’est le plus grand réseau moral.


Les auditions de Mark Zuckerberg, créateur et PDG de l’entreprise Facebook, les 10 et 11 avril par le Sénat et la Chambre des représentants américains, se sont déroulées dans le cadre du scandale de la fuite des données personnelles de 87 millions d’utilisateurs du réseau social vers la société Cambridge Analytica à des fins notamment électorales.

Mark Zuckerberg est-il un robot ?

Les internautes et téléspectateurs du monde entier ont pu observer la manière dont ce grand poupon de 33 ans au visage prépubère et qui pèse tout de même la coquette somme de 71 milliards de dollars parvenait à esquiver, glisser, se faufiler, et même parfois répondre aux questions qui lui ont été posées pendant une dizaine d’heures, bref à se sortir de cette épreuve qui avait tout du show hollywoodien mais aussi de la grande aventure démocratique propre aux institutions américaines.

La Toile a immédiatement regorgé de commentaires amusés, « gifs » et « memes » particulièrement comiques, relatifs à la gestuelle, aux expressions et postures de Mark Zuckerberg (« Is Mark Zuckerberg a robot ? », « penser à boire de l’eau ; les humains boivent de l’eau »…), lequel avait exceptionnellement troqué son sweat-shirt à capuche pour un costume de grande personne. Sur le fond en revanche, tout le monde reste un peu sur sa faim.

Mark Zuckerberg est « sorry »

Dans la grande tradition puritaine anglo-saxonne, le jeune patron s’est excusé mille fois, a battu sa coulpe comme il en a désormais l’habitude, a fait acte de contrition, ce qui plaît en général beaucoup outre-Atlantique et convient parfaitement à son allure de premier communiant dont on peut d’ailleurs se demander s’il ne l’a pas opportunément un peu renforcée pour l’occasion. Rien n’a toutefois vraiment été clarifié. On ne sait finalement toujours pas, malgré les démentis, si Facebook espionne les comportements de ses membres en dehors de leurs connexions (utilisation des micros de nos terminaux), on ne sait pas vraiment quel genre de protection des données personnelles la firme entend mettre en place ; on apprend que conformément aux rumeurs qui circulaient les non utilisateurs sont également pistés ; il est confirmé que les dirigeants de l’entreprise savent pertinemment que leurs clients ne lisent pas vraiment les Conditions générales d’utilisation globalement illisibles (les fameuses CGU) dans lesquelles on les informe que leurs données seront réutilisées par d’autres, etc.

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On pourrait se réjouir de cette soudaine prise de conscience des élus américains pour la protection des données privées, sur le modèle européen du futur RGPD (règlement général sur la protection des données) qui entrera en vigueur le 25 mai 2018, texte désormais considéré par nombre d’entre eux comme novateur après avoir été longtemps fustigé par tous les défenseurs des GAFA comme étant un frein rétrograde et anti-libéral au développement technologique et économique des grandes entreprises du net. Mais cette prise de conscience est tardive et ses motivations profondes laissent songeur.

Les adversaires de Trump n’acceptent pas leur défaite

Outre la sacro-sainte question commerciale de la position de monopole de Facebook (2 milliards de clients à travers le monde) qui commence à faire quelques jaloux, ce qui frappe surtout c’est le contexte politique dans lequel cette affaire Cambridge Analytica est soudain montée en épingle. Ce qui est en effet reproché à Facebook, c’est d’avoir contribué à l’élection de Donald Trump en rendant possible l’exploitation des données personnelles de ses utilisateurs par des tiers dans des procédures de micro-ciblages électoraux. Or, cette technique a été utilisée sur une cinquantaine de millions d’usagers du réseau social lors des élections d’Obama en 2008 et surtout en 2012, et cela n’a curieusement fait aucune vague. On a même alors pu se féliciter de ces nouvelles technologies algorithmiques permettant d’affiner l’analyse de l’électorat en ciblant notamment les électeurs indécis. Ces utilisations de data sont également mises en cause dans le vote en faveur du Brexit, sans qu’on puisse toutefois évaluer avec précision l’impact réel de ces techniques sur les différents scrutins. Dans tous les cas, le réseau social est accusé de n’avoir pas su lutter efficacement contre la circulation d’informations jugées fausses (« fake news ») en provenance d’une Russie érigée en épouvantail, et l’on repointe du doigt l’ « Internet Research Agency », célèbre usine à trolls russe, sans toutefois pouvoir avancer de preuves. Celle-ci aurait créé environ 400 faux profils Facebook pendant la campagne 2016 qui auraient permis de répandre de l’information falsifiée et tendancieuse (et l’on suppose bien évidemment que personne en Occident n’utilise ces techniques pour tenter d’infiltrer les réseaux et contrôler l’information). Dans ce contexte de paranoïa et d’hypocrisie dignes de la Guerre froide, de manipulations à grande échelle et de luttes entre systèmes de propagande, l’entreprise Facebook est en quelque sorte sommée de verrouiller ses voies d’accès mais aussi, dans le fond, de renforcer la surveillance des contenus qu’elle accepte de véhiculer, ce qui constitue donc une gigantesque tentative de musellement de la liberté d’expression. Les opposants de Donald Trump n’acceptent pas leur défaite et cherchent à provoquer par différents moyens une procédure d’impeachment. Mark Zuckerberg apparaît plutôt comme un pion dans cette partie.

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Facebook affirme toutefois ne pas faire de politique. Ce n’est pas l’avis de la spécialiste Jillian C.York, responsable des questions de liberté d’expression à l’Electronic Frontier Foundation, qui a vertement répondu aux allégations de pluralisme et de neutralité politiques de Mark Zuckerberg devant le Congrès : « Non, vous n’êtes pas [une plateforme pour toutes les idées] et j’ai une décennie de recherches pour le prouver ».

Pas de politique, donc, paraît-il, mais cela n’empêche toutefois pas le PDG de Facebook de manifester un intérêt certain pour la future présidence de son pays, bien qu’il s’en défende officiellement. Et après tout, quoi de mieux, pour conquérir la première puissance mondiale que d’avoir accès aux données personnelles ainsi qu’aux informations échangées de près d’une partie non négligeable de la population de la planète ? En matière de propagande, comme en tout, on n’est jamais mieux servi que par soi-même.

Pudibonds de souris

En admettant que Facebook ne fasse pas (pour l’instant) de politique, il fait en revanche de la morale. Et dans un système post-moderne où le sociétal a pris le pas sur le politique dans le débat public, cela revient très exactement à faire de la politique. Les fameux « standards de la communauté » contre lesquels butent tant de personnes à travers le monde – artistes, observateurs, libres penseurs – ne font que se resserrer toujours davantage sur ce que leur formulation énonce pourtant parfaitement : une standardisation à des fins communautarisées. Cela constitue en soi un projet de société.

L’expression des points de vue hostiles au communautarisme, au multiculturalisme, à tous ses avatars religieux y compris les moins recommandables, au militantisme sociétal, à la mondialisation ainsi qu’à son versant « libre flux de populations »  sera surveillée de très près et possiblement censurée. Des escouades de « modérateurs » veillent, sur la neutralité desquels il est permis de douter. Il faut s’attendre à un raidissement desdits standards dans les mois et années qui viennent, ce que Mark Zuckerberg a dans le fond déjà entériné en s’engageant à lutter davantage « contre la haine » : or, si personne ne souhaite voir le niveau effectif de haine ou de violence augmenter, on sait toutefois ce que cette sémantique recouvre en réalité de bien-pensance et de contrôle politiquement correct sur la liberté d’expression et d’opinion.

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Facebook fait de la morale, avec cette pudibonderie propre au puritanisme anglo-saxon sur le terreau duquel il a grandi. Que le plus grand réseau social du monde ne souhaite pas devenir un gigantesque lupanar, cela peut parfaitement se concevoir. Mais que les standards moraux de la communauté s’appliquent avec autant de puritanisme au moindre bout de sein qui pointe, à la moindre évocation érotique, quand bien même il s’agit d’œuvres d’art appartenant au patrimoine culturel de l’humanité, voilà qui est beaucoup plus grave en plus d’être parfois ridiculement absurde. On connaît les mésaventures de L’origine du monde de Gustave Courbet pour la publication de laquelle le compte de Frédéric Durand-Baïssas, cet instituteur français, a vu son compte purement et simplement supprimé. La justice française a reconnu le 15 mars la faute de Facebook dans cette affaire digne des censures du procureur Pinard, mais n’a reconnu aucun préjudice. Autant dire que cela n’a pas dû beaucoup empêcher Mark Zuckerberg de dormir ni de préparer sa ligne de défense face aux élus de son pays, lesquels ne se sont de toute façon pas penchés sur ces considérations érotiques. De même, la Venus de Willendorf, statuette paléolithique de près de 30 000 ans représentant la fécondité et appartenant au Museum d’histoire naturelle de Vienne, a été absurdement censurée. Devant l’indignation soulevée, Facebook a fait marche arrière, reconnaissant une « erreur ». Mais pour une erreur reconnue (sous la pression de l’opinion), combien de censures passées sous le silence des blocages de comptes ou des suppressions inopinées de contenus face auxquelles les usagers sont sans recours et sans voix ?

L’exploitation des données personnelles n’est qu’un des nombreux problèmes posés par le mode de fonctionnement de Facebook. Les libertés d’expression et d’opinion ne sont pas des questions subsidiaires.

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Macron: vous ne voulez plus de l’Europe? Vous aurez plus d’Europe!


Dites bonjour à la « souveraineté européenne »! C’est la dernière lubie du président Macron qui s’est exprimé, mardi 17 avril, devant le Parlement de Strasbourg. Et si après ça vous ne voulez toujours pas de l’Europe, c’est tout simplement parce qu’elle vous a trop gâté. 


Devant les députés du Parlement européen, Emmanuel Macron a livré sa vision pour l’Union européenne, dont on sait qu’elle constitue la matrice, la raison et le but de tout son projet politique. Il s’agit ici de faire suite aux principes posés lors de son discours de septembre 2017 à la Sorbonne, mais surtout de tenter d’insuffler une dynamique favorable aux positions et aux militants de La République en Marche (LREM) pour la prochaine échéance électorale de 2019 : des européennes qui ne s’annoncent pas si faciles que prévu pour la formation présidentielle.

L’Europe ? C’est nouveau, ça vient de sortir !

Depuis le pupitre du vaisseau spatial de Strasbourg – lequel co-préside autant que faire se peut à nos destinées et flotte dans quelque dimension spatio-temporelle improbable – et sous l’œil goguenard d’un Jean-Claude Juncker qui paraissait à peu près calme, le président français a proposé une conception qui se veut efficace, rajeunie, modernisée, dynamique de ce que devrait être désormais le projet européen. Conscient du ralentissement pour ne pas dire de l’enrayement du mécanisme de la grosse institution, l’un de ses plus fervents porte-paroles (et l’un de ses plus beaux produits) tente de promouvoir auprès de ses partenaires une Europe rénovée dont il serait de facto le leader.

L’idée au départ est claire bien que paradoxale : puisque les peuples semblent de plus en plus rejeter l’Union européenne (UE), il faut encore davantage d’Europe (il suffisait d’y penser). Dans une rhétorique incantatoire et hypnotique, les camouflets et méfiances, les doutes et souffrances exprimés de manière quasi métronomique désormais par les peuples d’Europe à l’encontre d’une UE qui refuse de les écouter, sont systématiquement renvoyés à la posture du « repli sur soi ». La logique est binaire et manichéenne, mais c’est celle qui permet à l’édifice de tenir encore un petit peu. Selon cet ordonnancement moralisateur des idées exprimées par les opinions publiques européennes, le rejet dont font l’objet les institutions de l’UE est imputé à quelque fascination obscure pour les dérives identitaires, pour les fantômes violents du passé, et pour appuyer cette assertion, la figure de la guerre est constamment évoquée en guise de point Godwin.

Vous, « somnambules » eurosceptiques

Pour le cas où tous les opposants à l’UE ne tomberaient pas sous le soupçon de fascisme, Emmanuel Macron a inventé aujourd’hui la figure originale du « somnambule » qui serait simplement une sorte d’enfant gâté de l’Europe, oublieux du passé douloureux de celle-ci et ingrat envers tout le travail pacifique réalisé depuis 70 ans. Dans cette conception, les eurosceptiques sont nécessairement délégitimés au regard de ce qui serait tout naturellement tourné vers l’avenir et le progrès (d’où l’importance de l’évocation des défis numériques dans cette affaire). Ils sont également considérés comme les fruits imbéciles d’une propagande plus ou moins fasciste constamment ourdie depuis la sombre Russie érigée, on le sait, en épouvantail antidémocratique à tout propos, sur tout sujet et en toutes circonstances.

Dans son discours donc, le président Macron a repris cette rhétorique devenue commune et qui a été celle de sa propre campagne électorale : d’un côté les frileux, les passéistes, les haineux, repliés sur eux tels de malingres petits bigorneaux, fascinés par l’émergence des démocraties illibérales, odieusement populistes, xénophobes, etc., de l’autre les visionnaires, les progressistes, les démocrates, les gens de bien, les gens du bien et qui n’ont jamais la moindre hésitation à vouloir justement faire le Bien des autres gens contre leur gré.

Dites bonjour à la « souveraineté européenne » !

A l’intérieur de ce dispositif narratif désormais parfaitement bien rodé et que l’on peut réutiliser en toutes circonstances, apparaît dans un halo surnaturel et pour le coup somnambulique la notion magique de « souveraineté européenne ». C’est cette idée précise qu’est venu défendre le président de la République au Parlement de Strasbourg. Tout se passe comme si la souveraineté nationale, c’est-à-dire la seule forme de souveraineté qui ait jamais été avalisée par la volonté populaire, et qui semble avoir disparu du champ démocratique depuis quelques années, – au moins depuis que le Traité constitutionnel européen de 2005, rejeté par référendum et chassé par la porte a été pourtant réintroduit par la fenêtre parlementaire -, réapparaissait miraculeusement au niveau européen à la façon du lapin sorti du chapeau. Tout a été fait pour que la souveraineté nationale, économique, juridique (donc législative) soit vidée de sa substance, et la voilà qui ressurgit soudainement comme au terme d’une transsubstantiation surnaturelle, sous une forme supposément rehaussée et légitime au niveau supranational.

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L’histoire récente de l’Union européenne pourrait se résumer à l’histoire des transferts et abandons de souveraineté. Les peuples n’ont plus la main et le déficit démocratique des institutions européennes a été maintes fois souligné. Qu’à cela ne tienne : donnons-leur encore plus de pouvoir !

Nul ne sait au nom de quoi ces transferts et abandons seraient positifs, puisque la logique discursive invoquée est exclusivement incantatoire et relève de la pensée magique : l’avenir, le progrès, la puissance démocratique, et l’on admire au passage la pirouette khâgneuse du président qui dit ne pas vouloir de « démocratie autoritaire » mais une « autorité de la démocratie » (qu’est-ce que ça peut vouloir dire ? Lui seul le sait peut-être…).

Il n’y a pas de culture européenne

De la même manière, les notions d’ « identité » et de « culture » ont soudainement réapparu et ont été prononcées maintes fois dans ce discours, ointes au niveau européen de toute la légitimité qu’on s’est évertué à leur faire perdre au plan national : il y aurait donc une « identité » européenne mais alors même qu’on s’évertue constamment à expliquer que l’identité nationale au mieux n’existe pas et au pire est un ferment réactionnaire du fascisme rampant et autres bruits de bottes. De même, Emmanuel Macron n’avait pas peur de lancer, pendant sa campagne, le désormais (tristement) célèbre « il n’y a pas de culture française ». En revanche donc, nous apprenons aujourd’hui avec plaisir qu’il y a bel et bien une « culture européenne ». On le voit, l’ennemi c’est la nation. Il existe pourtant, d’abord, une identité nationale, une culture nationale, qui, dans leurs dialogues avec les identités et cultures des autres nations, forment un ensemble culturel plus vaste, au point qu’on pourrait plutôt dire « il n’y a pas de culture européenne, il y a des cultures en Europe », ce qui serait pour le coup rigoureusement exact.

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Le projet, on le voit, est donc profond et se poursuit jusqu’à ce qui fait le cœur d’un peuple : son langage. Pour asseoir les transferts de souveraineté massifs, on doit procéder également à des transferts sémantiques. On téléporte au niveau européen ce que l’on retire du plan national : l’emploi des termes souveraineté, identité, culture ne sont donc légitimes désormais qu’à l’échelon supranational. Pas certain toutefois que les peuples se satisfassent de ces pirouettes rhétoriques…

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Corée du Nord : Trump dans le piège atomique


Malgré ses rodomontades, le président américain a accepté le principe d’un dialogue nucléaire direct avec son homologue nord-coréen. C’est sous-estimer la rouerie de Kim Jong-un, plus que jamais en position de force pour déstabiliser la région.


Dans la chronologie du contentieux nucléaire entre la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) avec le reste du monde, le mois de mars 2018 restera comme un jalon dont l’histoire dira s’il fut décisif. Commencé avec la promesse d’un sommet intercoréen pour le mois d’avril prochain, le dernier mois de l’hiver s’est poursuivi avec une annonce tonitruante de Washington : vendredi 9 mars 2018, la Maison-Blanche informait que le président Trump avait accepté une invitation de Kim Jong-un à le rencontrer « en un lieu et à une date à déterminer ». Plus tard dans la journée, Sarah Huckabee Sanders, la jeune porte-parole de la présidence précisait que la rencontre aurait lieu quand le régime nord-coréen aurait pris des initiatives « concrètes et vérifiables » sans que ces dernières fussent spécifiées. Enfin, un revirement moins officiel clôturait cette longue journée : l’invitation avait bien été acceptée sans condition.

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À l’annonce de cette grande première, la plupart des observateurs de la région nord-est asiatique firent part de leur surprise, de leurs doutes quant aux résultats tangibles, mais aussi de leur satisfaction devant cette opportunité de dialogue. Reste encore à savoir si la rencontre se tiendra dans la zone démilitarisée qui sépare les deux Corées, si la présidence américaine aura le temps de s’y préparer avant l’été et si les Américains seront assez malins pour ne pas se laisser duper par le talentueux Monsieur Kim.

Six essais nucléaires depuis septembre 2017

En attendant ce sommet encore hypothétique, il faut se pencher sur le nouveau rapport du Groupe d’experts qui assiste le comité chargé de suivre la mise en œuvre des sanctions prises contre les programmes d’armes de destruction massive de la RPDC depuis 2006 (résolution 1718). Publié dans une relative indifférence le 5 mars 2018, ce document de près de 300 pages dresse pourtant un bilan très critique de l’application des sanctions.

Il rappelle d’abord que la RPDC a procédé à son sixième essai nucléaire le 3 septembre 2017, le plus puissant à ce jour (près de 200 kilotonnes équivalent TNT). De plus, vingt missiles balistiques, dont trois missiles balistiques intercontinentaux, ont été tirés en 2017. « Rien n’indique, continue le document, qu’elle mettra un terme à ces activités, et l’objectif déclaré de parvenir à la dénucléarisation et de trouver une solution pacifique à la situation semble de plus en plus difficile à atteindre. » À propos du régime de sanctions en place, renforcé année après année et qui prévoit depuis l’année dernière un plafonnement des volumes de pétrole brut, l’on apprend que « non contente de poursuivre ses précédentes violations et de recourir à des pratiques de contournement de plus en plus sophistiquées, la République populaire démocratique de Corée bafoue déjà les dernières résolutions du Conseil en exploitant les chaînes mondiales de distribution de pétrole, la complicité de ressortissants étrangers, des sociétés offshore et le système bancaire international ». À ce jour, la RPDC exporte encore « presque tous les types de marchandises interdites par les résolutions » : 200 millions de dollars de devises ont ainsi été engrangés par le régime entre les mois de janvier et septembre 2017. Itinéraires de navigation « trompeurs », « manipulation de signaux », falsification de documents, coopérations militaires en place bien qu’interdites, la liste des moyens mis en œuvre par Pyongyang pour contourner le régime multilatéral de sanctions est longue, très documentée. Cela indique une politique systématique, une détermination sans faille – et une réussite malheureusement exemplaire pour les futurs candidats à la prolifération nucléaire, balistique ou chimique.

La dénucléarisation de la Corée du Nord n’est plus un objectif impérieux de la doctrine nucléaire américaine

Pour mémoire, l’avant-dernier rapport du même Groupe d’experts remis début septembre 2017 concluait déjà en ces termes : « La République populaire démocratique de Corée a considérablement développé les capacités de ses armes de destruction massive, défiant le régime de sanctions le plus complet et le plus ciblé de l’histoire des Nations Unies. […] La RPDC poursuivra probablement ses programmes d’armes nucléaires et de missiles balistiques à un rythme rapide, à en juger par les déclarations faites par Kim Jong Un, notamment lors de son discours du Nouvel An 2017, au cours duquel il a affirmé qu’en 2016, elle avait acquis le statut de puissance nucléaire, réalisé le premier essai de bombe H, des tirs d’essai de divers moyens de frappe et des essais de têtes nucléaires, et atteint le stade final de préparation à l’essai du lancement d’un missile balistique intercontinental. »

À la lecture de ces rapports, une conclusion s’impose : l’initiative de Donald Trump est  malheureuse pour la bonne raison que le régime nord-coréen est désormais en position de force pour entamer des pourparlers directs avec les États-Unis. Dans tous les cas de figure, ils n’ont aucune chance de tourner à l’avantage de la partie américaine. La confusion dans les messages de la Maison-Blanche, le 9 mars, indique en creux une indécision que l’on retrouve dans la nouvelle doctrine nucléaire (Nuclear Posture Review, NPR 2018) des États-Unis s’agissant de la menace nord-coréenne, document stratégique majeur rendu public début février. La NPR 2018 ne déclare pas que la dénucléarisation de la Corée du Nord est toujours un objectif impérieux, ou de court terme, ou encore une condition de la reprise des négociations avec Pyongyang. Il s’agit désormais simplement d’un objectif à long terme (« long-standing ») des États-Unis. À l’évidence, cette position prend acte des succès balistiques, nucléaires, économiques de la RPDC au cours des dernières années.

La bombe dans la Constitution

À Pyongyang, une réflexion nourrie sur la place de l’arsenal nucléaire dans l’outil de défense nord-coréen est engagée depuis l’inscription dans la Constitution, en avril 2012, de la qualité d’État nucléaire de la Corée. Personne ne sait encore comment la possession de l’arme nucléaire par le régime changera sa politique étrangère et de sécurité. Une forme de sanctuarisation agressive est possible. Un autre scénario, opposé, pourrait voir les Nord-Coréens se comporter avec la retenue d’une puissance nucléaire pour entamer un processus de paix et de réunification en bonne position. Certains éléments récents de la rhétorique officielle confirment cette hypothèse.

En tout état de cause, en l’absence de vraies mesures de confiance et de sécurité, un État nord-coréen nucléaire est un facteur de déstabilisation de la sécurité régionale. La situation dans la péninsule est aujourd’hui un cas d’espèce de l’équilibre entre dissuasion et arms control, deux éléments qui, dans des contextes d’hostilité ouverte, peuvent composer une dynamique efficace.

Peut-être les États-Unis et leurs principaux alliés régionaux devraient-ils plutôt s’employer à rendre plus crédible la dissuasion élargie dont bénéficient la République de Corée et le Japon, tout en initiant la négociation de mesures de confiance et de sécurité avec la RPDC. Cela permettrait de prévenir une escalade régionale, d’éteindre les velléités nucléaires à Séoul et à Tokyo, en somme de maintenir le statu quo en l’aménageant.

Une faute stratégique

En principe, la Corée du Nord pourrait être considérée comme État possesseur d’armes nucléaires en dehors du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Mais il faudrait que ce soit en échange d’un moratoire sur les essais nucléaires et de l’engagement d’adhérer progressivement aux principaux outils du régime mondial de non-prolifération des armes de destruction massive – y compris en matière de contrôle des exportations – ainsi qu’aux principaux traités et accord en matière de sûreté et de sécurité nucléaires. Des mesures de confiance et de sécurité spécifiques devraient également être négociées avec le Japon et la Corée du Sud, sous le parrainage des États-Unis et de la Chine, avec en contrepartie un contrôle de l’installation des systèmes stratégiques défensifs ou offensifs américains sur les territoires alliés dans le cadre d’une politique de réassurance ouverte et assumée. La dénucléarisation de la péninsule conserverait dans ce schéma le statut d’un horizon.

Pour qu’un tel schéma fonctionne, deux conditions sont nécessaires : la reconnaissance – non nécessairement officielle – d’un statut nucléaire nord-coréen a minima, d’une part ; la saturation des ressources du régime pour lui interdire de continuer le développement de ses programmes nucléaire et balistique, d’autre part. Ni l’une ni l’autre ne sont aujourd’hui réunies.

Autrement dit, dialoguer avec la Corée du Nord deviendra opportun pour les États-Unis quand elle sera en position de faiblesse relative et quand une position claire sur son statut nucléaire sera à nouveau adoptée à Washington après consultation de ses alliés et partenaires. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Dans ces conditions, accepter un dialogue direct avec Pyongyang est une faute stratégique.

Paris: les « prolos » d’Hidalgo auront leur Ikea

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Un nouveau concept de magasin Ikea ouvrira dans Paris en 2019. Ecolo, « démocratique » et pratique: pour aménager le Paris d’Hidalgo, heureusement, Ikea est là ! 


Comme les employés du géant mondial du meuble, l’actualité nationale trépidante et la globalisation ne semblent jamais vouloir prendre de pause. Alors que je me remets à peine de l’annonce de la fin de la carrière sur scène du chanteur Michel Sardou, je lis ce midi que le monstre suédois Ikea va, lui, ouvrir un magasin en plein Paris.

Si les Suédois n’étaient pas là…

Le groupe a annoncé avoir signé un bail pour une location de 6000 m2 place de la Madeleine, juste à côté du Décathlon. Selon Les Echos et le groupe suédois, ce serait l’emplacement idéal pour rayonner sur la capitale. L’ouverture est prévue pour la mi-2019. L’enseigne de mobilier et de décoration, qui compte déjà 33 magasins géants en France, entend lancer ici un concept inédit et conforter sa part de marché déjà maousse de 20%.

Jusqu’alors, les magasins Ikea étaient situés en périphérie des grandes villes. En région parisienne, on en dénombre sept de la sorte. Désormais, les Parisiens pourront directement trouver une sélection de produits en plein cœur de Paris, accessibles par les lignes 8, 12 et 14 de la RATP. Si le magasin sera quatre fois plus petit que les magasins de périphérie, il sera immédiatement accessible par deux millions de consommateurs en moins de 20 minutes de trajet, et surtout… sans voiture ! Tout parisien – trop pauvre pour se payer le permis ! – qui a une fois galéré pour trouver une âme charitable possédant un carrosse pour aller récupérer une étagère Ekby ou une méridienne Söderhamn en banlieue comprendra immédiatement l’intérêt que va avoir pour lui cette nouvelle ouverture. Finis aussi les trajets périlleux et incertains en RER B pour rejoindre la zone industrielle de Paris Nord 2.

Design « démocratique » et développement durable

Pour que la nouvelle soit accueillie au mieux par les Parisiens et leur édile Anne Hidalgo, le communiqué de presse du groupe révèle que le monstre du meuble compte s’adapter aux spécificités locales. Assurant que le nouveau magasin offrira une expérience « unique et inspirante pour répondre aux attentes des Parisiens », Ikea précise que ce nouveau « lieu d’expériences » va permettre de développer l’approche du « Design Démocratique » (sic) du groupe. Pourquoi pas carrément un design « participatif » tant qu’ils y sont, ils étaient en si bon chemin !

L’écologie, bien sûr, n’est pas oubliée : la livraison par voie fluviale va être privilégiée avec un entrepôt nouveau à Gennevilliers, et des livraisons à vélo sont à l’étude. Tout ceci dans le but de « s’inscrire dans le plan de réaménagement de la place de la Madeleine mené par la Ville de Paris ». C’est vraiment trop gentil. A n’en pas douter, Anne Hidalgo doit être aux anges.

Le magasin qui cache la forêt

Visiblement, le géant de la distribution a communiqué tous azimuts sur cette annonce d’ouverture prochaine à Paris. Les génies de la communication du groupe espèrent probablement faire oublier les quelques déboires qu’Ikea a connu dernièrement en France et qui lui ont fait bien mauvaise presse. Après de nombreux spots télévisés rappelant combien il est génial de travailler pour l’enseigne ces dernières semaines, l’annonce fracassante de l’ouverture d’un « flagship » parisien permet de faire oublier les pratiques douteuses du recruteur suédois. En janvier dernier, le parquet de Versailles annonçait dans un réquisitoire que l’enseigne avait mis en place avec des policiers et une société d’enquêtes privées « un système visant à obtenir des renseignements sur les candidats à l’embauche et certains collaborateurs […] à grande échelle » (Le Canard Enchainé du 21 mars). Le tout en consultant les fichiers de police et de gendarmerie et alors que la direction du groupe était au courant. Pas joli joli.

Si la livraison par drônes à la Amazon n’est pas encore envisagée, Ikea compte désormais bien tout faire pour « améliorer le quotidien du plus grand nombre », selon son communiqué. La fréquentation des magasins Ikea ayant tendance à augmenter la frénésie des consommateurs à renouveler leur mobilier, le géant suédois compte peut-être aussi aider à ramasser tous les meubles abandonnés qui traînent déjà sur les trottoirs de Paris.

Le président est « mort », vive Plenel…

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Déjà remise en cause par le quinquennat, la fonction présidentielle a achevé d’être désacralisée par l’entretien-débat d’Emmanuel Macron avec Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin.


L’intervention d’Emmanuel Macron chez Jean-Pierre Pernaut, jeudi 12 avril, était plaisante à regarder et avait balayé la plupart des sujets. Dès lors, quel a été l’intérêt de la seconde avec le duo Plenel/Bourdin, dimanche ?

A la gauche de Macron, un journaliste populiste « en mode café du commerce », n’écoutant pas les réponses et coupant le président dont il est allé jusqu’à sous-entendre le caractère puéril. A sa droite, un idéologue remonté comme un coucou, persuadé d’œuvrer pour la salubrité de la République… Les Français sont en droit de se demander pourquoi la présidence a fait appel à cet épouvantable duo. On aurait voulu désacraliser la fonction présidentielle, on ne s’y serait pas pris autrement ! Tout avait pourtant bien commencé, notre président-monarque était arrivé majestueusement en descendant les marches du palais de Chaillot avec notre Brigitte nationale à son bras. Avec la Tour Eiffel en arrière-plan, le cadre de l’interview avait plutôt de la gueule. Quelle galère ensuite…

Hey Manu, tu réponds ?

Pendant plus de deux heures et demie, Bourdin et Plenel se sont appliqués à nous démontrer que le président de la République française est désormais bien peu de choses. Toute la perfidie de l’improbable duo a été mise au service de la désacralisation de la fonction présidentielle, déjà bien amochée par le quinquennat qui accélère les temps médiatique et politique.

A lire aussi: Macron, Bourdin, Plenel: le petit théâtre de bavards

Lundi matin, très satisfait de lui-même, Edwy Plenel est allé se féliciter au micro de RMC d’avoir « cassé les codes », lors de l’interview. Il révèle qu’il s’était donné un seul objectif la veille : « Linterview présidentielle en France est une interview monarchique. Notre objectif tout simple [à Bourdin et à lui NDLR] c’était dabord de casser ça ».

Il n’est pas allé jusqu’à tutoyer le président comme le ferait l’employé d’une startup avec son patron, mais on n’en était pas loin. Par ses démonstrations et ses questions orientées, il voulait en tout cas savoir si Macron était le président « des riches » ou « des très riches ». Pénible ! Bourdin et le camarade Plenel n’auront même pas estimé nécessaire de relancer Emmanuel Macron par des « Monsieur le président » que l’on était en droit d’attendre, préférant l’appeler « Emmanuel Macron » quand ce n’était pas « Emmanuel ». Et on l’a vite compris : les journalistes se plaçaient en fait au même niveau que notre président élu. Par la forme de nombre de leurs questions, l’interview a pris les contours d’un débat. Débat houleux et décousu, comme si cela ne suffisait pas. Pauvres de nous !

Président, suite et fin

Jean-Jacques Bourdin avait présenté l’émission comme le « bilan annuel » d’Emmanuel Macron. Le même Bourdin n’avait-il pas fait passer un « entretien dembauche » au candidat en 2017 ? Pour quoi se prend BFM TV ? Et pour qui Emmanuel Macron se prend-il et prend-il les Français en se pliant à ce petit jeu ? Le vrai pouvoir politique est parti à Bruxelles et le vrai pouvoir économique est aux mains des multinationales, c’est entendu. Aussi, n’était-il pas illogique que la presse puisse désormais s’adresser au président en le méprisant. Avec cette interview musclée à l’anglo-saxonne, Emmanuel Macron, Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin ont fait la démonstration que la France n’a plus de président souverain.

Devant les évêques, Macron a respecté la laïcité mais…

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Dialoguer avec les catholiques et reconnaître les origines chrétiennes de la France ne signifie pas leur accorder le monopole de la croyance. Au collège des Bernardins, devant les évêques de France, le président Macron a respecté la laïcité française. Mais gare à ne pas confondre les origines du pays avec les fondements de notre société, ouverte à toutes les croyances qui reconnaissent la primauté de la loi républicaine.


Les querelles sémantiques sur la loi de séparation des Églises et de l’État et sur la laïcité seront des dialogues de sourds tant qu’on ne se sera pas mis d’accord sur la distinction de base entre, d’un côté, les particuliers membres de la société civile, et, de l’autre côté, l’État et la communauté politique des citoyens.

La séparation des Églises et de l’État signifie qu’en matière de convictions particulières présentes dans la société civile, l’État est neutre et indépendant parce qu’il est l’État républicain de tous et qu’il traite à égalité toutes les convictions

Cette séparation ne trace pas une séparation étanche. Elle ne signifie pas que l’État ne veut rien savoir de ce qui s’exprime librement dans la société civile, et qu’il n’a pas interférer avec ces composantes.

Au contraire, il est conforme à la démocratie libérale que toutes les composantes de la société civile puissent se faire entendre en tant que telles auprès de l’État et dans la sphère publique.

A lire aussi: Macron ne peut pas traiter toutes les religions de la même façon

La confusion qui envenime les débats français vient de l’idéal rousseauiste qui voudrait éliminer les sociétés partielles de la délibération politique, afin que lors des votes les citoyens s’abstraient de leurs appartenances particulières et que chacun ne s’exprime qu’en citoyen soucieux de l’intérêt général.

Cet idéal tourne le dos à la réalité des démocraties libérales : elles sont composées de personnes qui sont à la fois, mais sous deux rapports différents, des particuliers et des citoyens.

Le loup se loge dans l’article 2 de la loi de séparation : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. »

« Ne reconnaît » veut dire simplement ne reconnaît comme privilégié.

L’expression est entendue à contresens quand on lui fait dire qu’aux yeux de la République il n’existe que des citoyens sans particularités.

Cet universalisme républicain a empêché pendant des décennies la République française de reconnaître officiellement que les Juifs de France avaient été victimes de persécutions particulières sous Vichy. On ne voulait pas faire comme Pétain qui avait discriminé les Juifs.

Il est sain de reconnaître le pluralisme interne d’une société démocratique.

Il est certes juste de ne faire aucune différence entre les citoyens membres égaux de la communauté politique en fonction de leurs confessions, de leurs races, de leurs sexes et autres différences. Il est juste de n’assigner personne à une communauté. Il est juste que les communautés se soumettent aux lois, aux valeurs et aux mœurs de la société.

Mais il serait antilibéral de ne pas reconnaître les groupes particuliers et divers qui composent la société civile. Les femmes qui le désirent ont le droit de se faire entendre en tant que telles, les homosexuels aussi, les groupes sociaux, de même que les groupes religieux ou ethniques.

Les responsables de l’État doivent les entendre, et interagir avec eux, sans discrimination ni privilèges.

Emmanuel Macron a raison d’aller chez les cathos, les protestants, les Juifs religieux et les musulmans, de même qu’il a raison d’aller au CRIF dialoguer avec les représentants des institutions juives de France, de même qu’il a raison d’aller à la rencontre des paysans au salon de l’agriculture, ou des salariés qui le lui demandent poliment.

Il reste deux distinctions qui doivent être rappelées à notre président philosophe.

Les origines d’un pays sont une chose, dont on peut cultiver la mémoire. Mais les fondements d’une société sont autre chose que ses origines.

Il suffit que les nouveaux venus adoptent la culture démocratique du pays inscrite dans la Constitution.

A lire aussi: Discours de Macron aux Évêques de France: la courte échelle aux islamistes

N’accorder aucun privilège à une conviction particulière implique que les croyants n’ont pas de privilège en matière morale. Leur accorder le monopole de la spiritualité, ou même un avantage en ce domaine, signifierait deux choses irrecevables.

– Les croyants auraient plus de poids moral dans les décisions de bioéthique ou d’évolution des mœurs.

– Pour faire face au fanatisme religieux des islamistes conquérants, nous devrions leur opposer une autre foi religieuse.

La croyance spiritualiste, au sens fort du terme, n’est qu’une croyance, sans coefficient moral particulier. Et face à l’islamisme archaïque, nous vaincrons parce que nous sommes libres et que nous tenons à notre liberté de conscience.

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Sarah Halimi : autopsie d’un crime antisémite

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Noémie Halioua, journaliste à l'hebdomadaire Actualités juives. Crédit photo Hannah Assouline.

L’assassinat de Sarah Halimi pendant l’entre-deux-tours de la dernière élection présidentielle a longtemps été considéré comme l’acte d’un déséquilibré. Brisant l’omerta, la journaliste Noémie Halioua établit le caractère antisémite de ce crime islamiste. La justice vient de lui donner raison.


En juin 2017, Noémie Halioua, journaliste à l’hebdomadaire Actualités juives, exposait sur le site Causeur.fr les premiers résultats de son enquête sur le meurtre de Sarah Halimi, une juive orthodoxe de 65 ans, torturée et défenestrée de son appartement du 11e arrondissement de Paris dans la nuit du 4 au 5 avril 2017. Son assassin est un voisin, Kobili Traoré, un Franco-Malien de 27 ans, petit délinquant multirécidiviste, toxicomane, fréquentant régulièrement la mosquée voisine de tendance salafiste de la rue Jean-Pierre-Timbaud.

Ouf ! c’est un dingue, on zappe

Il est arrêté sur les lieux de son crime par les policiers de la BAC appelés par les voisins, mais qui n’étaient pas intervenus, les hurlements de Traoré, tourmentant sa victime aux cris de « Allahou Akbar ! » les ayant dissuadés de pénétrer dans l’appartement. Craignant de se trouver face à un terroriste lourdement armé, ils ont attendu l’arrivée de leurs collègues de la BRI, entraînés et équipés pour ce genre d’opération. Ce choix s’est avéré fatal pour la victime, qui avait déjà été frappée de plusieurs coups de couteau, mais était encore vivante lorsque Traoré l’a précipitée du haut de son balcon.

A lire aussi: L’étrange silence autour de la mort de Sarah Halimi

Pendant plusieurs mois, la thèse du crime commis par un déséquilibré a prévalu dans les médias, confortée par une instruction judiciaire qui n’avait pas retenu le caractère antisémite de ce crime et avait placé Traoré en hôpital psychiatrique, après qu’il eut été jugé par un médecin inapte à être interrogé par la police. L’Affaire Sarah Halimi, de Noémie Halioua, poursuit cette enquête, nourrie d’entretiens avec un grand nombre de protagonistes : la famille, les voisins, les avocats, les journalistes ayant eu à la traiter, des responsables de la communauté juive. Ce texte précis, nerveux, sans grandiloquence, est implacable dans son exposé du mécanisme de déni collectif : ce crime atroce a une composante antisémite évidente, en dépit de la volonté du criminel de se présenter comme un délirant habité par un « sheitan », un diable abolissant son discernement. Pendant dix mois, la juge d’instruction chargée de l’affaire, soutenue par le procureur général de Paris, François Molins, a refusé d’appliquer à l’acte de Kobili Traoré la charge aggravante de crime de haine antisémite. Les mises en garde contre une qualification trop rapide de ce crime – formulées à l’adresse de la rue juive par des responsables de la communauté juive, Francis Kalifat pour le CRIF et Joël Mergui pour le Consistoire, informés par le procureur Molins de l’état du dossier quelques jours après les faits – deviennent prétexte, pour les grands médias, à classer ce crime dans la case des faits divers urbains. Ouf ! c’est un dingue, on zappe.

Pas de crime antisémite pendant la présidentielle !

Nous sommes alors, rappelons-le, entre les deux tours d’une élection présidentielle, avec une bête immonde présente au second tour, à laquelle il ne faut surtout pas fournir de grain islamophobe à moudre. La palme de l’aveuglement revient à Claude Askolovitch qui, trois jours après le crime, expose doctement sur Slate.fr que le problème n’est pas l’antisémitisme radical dans lequel baignent nombre de ses amis musulmans, mais la paranoïa communautariste des juifs de France.

Grâce à Noémie Halioua, et à d’autres hommes de bonne volonté comme Michel Onfray et Luc Ferry, peu suspects de communautarisme exacerbé, la justice s’est, enfin, résolue à appeler un chat un chat et un crime antisémite par son nom.

 

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Laïcité: il y a 15 ans, nous avions déjà renoncé

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Le président de la République, Jacques Chirac, et le médiateur de la République, Bernard Stasi, en mars 1999 à l'Elysée. SIPA. 00361970_000001

Il y a 15 ans, en 2003, la commission Stasi dépêchée par le président Chirac pour réfléchir « sur l’application du principe de laïcité dans la République » avait repéré les premiers signes d’islamisation de certains territoires de la République. Et il parlait déjà de la laïcité à l’imparfait…


Le premier tome d’une saga est souvent le plus intéressant. Il plante le décor, dessine les personnages, ouvre le champ des possibles. La tétralogie des rapports StasiDeydierObinClavreul illustre ce propos. Son premier opus témoigne d’un temps où l’on s’autorisait encore à utiliser les mots « culture » et  «identité », où la peur de stigmatiser n’orientait pas les protocoles de  recueil des  faits. Il est la preuve matérielle de la mise au centre de l’échiquier du vivre-ensemble, concept flouteur de  réalité, conçu sur mesure pour renoncer à voir. Il est aussi la démonstration du choix de réduire ce que Gilles Clavreul nomme « une façon de vivre en société qui est, par endroits, contestée » aux seules attaques contre la laïcité qui ne sont pourtant qu’une des  conséquences parmi d’autres de ce refus.

« Oui, des groupes extrémistes sont à l’œuvre dans notre pays » (rapport Stasi, décembre 2003)

La volumineuse production de rapports aux constats inquiétants débute en 2003. Le 3 juillet, Jacques Chirac charge Bernard Stasi, alors médiateur de la République de réunir une commission pour « qu’une réflexion approfondie et sereine s’engage sur les exigences concrètes  qui doivent découler pour chacun du respect du principe de laïcité » car, ce dernier « fait aujourd’hui l’objet d’interrogations. Sa mise en œuvre dans le monde du travail, dans les services publics et notamment l’école, se heurte à des difficultés nouvelles ». En 1989, l’affaire des trois lycéennes voilées, à Creil, s’était terminée par un simple avis du conseil d’Etat explicitant l’action possible des chefs d’établissement en la matière, en vertu de leur rôle de gardien de l’ordre public. Il semble donc que cela ne soit plus suffisant et que le questionnement s’étende désormais bien au-delà des murs de l’école.

A lire aussi: Pascal Boniface et Médine contre « l’islamophobie » de la France « laïcarde »

Bernard Stasi réunit 13 hommes et 6 femmes. Des universitaires, Henri  Peňa-Ruiz, Jean Baubérot, Gilles Kepel, Mohammed Arkoun, Régis  Debray, Jacqueline Costa-Lascloux, René Rémond, Alain Touraine et Patrick Weil donnent l’éclairage historique, sociologique, philosophique et politique. Deux juristes du Conseil d’Etat : Marceau Long et Rémi Schwartz apportent leur expertise. Le monde politique est présent au travers de Nelly Olin (RPR/UMP) et Michel Delebarre (PS). Nicole Guedj  (UMP) représente le monde associatif en tant que fondatrice de l’Observatoire des écoles, ainsi que Gaye Petek militante de terrain pour l’intégration des populations turques grâce à  son association Elele. Trois cadres de l’Education nationale,  Hanifa Chérifi, Ghislaine Hudson, Maurice Quenet et l’entrepreneur, expert en négociations Raymond Soubie complètent le groupe.

Ces membres recueillent les témoignages des « hommes et femmes de terrain ». Le rapport est remis le 11 décembre 2003. Dans le courrier d’accompagnement, Bernard Stasi écrit : «Il faut être lucide : oui, des groupes extrémistes sont à l’œuvre dans notre pays pour tester la résistance de la République et pour pousser certains jeunes à rejeter la France et ses valeurs ».

Accommodements raisonnables: c’était écrit…

Tout ce que certains font mine de découvrir aujourd’hui est déjà écrit et sera publié dans Le Monde du 12 décembre 2003. A l’école, ce sont les contestations de « pans entiers des programmes d’histoire et de sciences de la vie et de la terre », les certificats médicaux des filles pour ne pas faire sport ou leur refus de passer des examens devant un examinateur masculin, la déscolarisation pour motif religieux, le jeûne des élèves… A l’hôpital sont relatés les cas de femmes privées de péridurale ou refusant un médecin homme, les couloirs devenant des lieux de prière pour le personnel… Dans le secteur de la justice, les pressions des détenus radicaux pour soumettre les autres aux prescriptions religieuses sont déjà là. Et puis, il y a le refus des cours de secourisme mixtes lors des journées d’appel pour la défense, les demandes de créneaux de piscine spécifiques dans les communes… Dans les entreprises, le refus de l’autorité des femmes et de leur poignée de main, la difficulté de relations « que l’on souhaite empreintes de neutralité » lorsque les salariées souhaitent porter le voile. Désarroi et souffrance des fonctionnaires face à ces phénomènes sont clairement décrits, tout comme la régression des libertés des femmes, le racisme antimusulman mais aussi le « nouvel » antisémitisme. Toutes ces revendications ne concernent que la religion musulmane, seul le refus de transfusion chez les témoins de Jéhovah et la question des absences les jours de fête qui s’observent également chez les Juifs, permettent d’inclure les autres religions, de façon marginale, dans la problématique. Enfin, les atteintes terribles aux droits des femmes sont détaillées : mutilations sexuelles, polygamie, répudiation, mariage forcé et la « résurgence d’un sexisme qui se traduit par diverses pressions et par des violences verbales, psychologiques ou physiques ».

« Notre philosophie politique était fondée sur la défense de l’unité du corps social. » (rapport Stasi, décembre 2003)

L’ampleur du phénomène montre que l’on est bien au delà d’entorses à la laïcité telle que les textes juridiques la définissent. Ce ne sont pas quelques pratiques religieuses un peu envahissantes qu’il faudrait ponctuellement remettre dans les limites que la loi définit. Les rédacteurs se veulent optimistes, mais nomment clairement les deux forces antagonistes, en des termes que certains des auteurs récuseraient aujourd’hui : « La force de notre identité culturelle française peut favoriser le creuset de l’intégration » et « la culture musulmane peut trouver dans son histoire les ressources lui permettant de s’accommoder d’un cadre laïque ». Il faut le souhaiter car même les plus ardents défenseurs actuels de l’universalisme de la laïcité se rangent derrière une rédaction qui reconnaît sa nature historico-culturelle : « La laïcité est constitutive de notre histoire collective. Elle se réfère à la Grèce Antique, la Renaissance et la Réforme, l’Edit de Nantes, les Lumières ». Les auteurs actent donc pleinement l’apparition d’un conflit atteignant le champ du culturel.

Un peu de la saveur de l’ancien monde subsiste, mais le renoncement est déjà là et le choix idéologique fait. Quelques lignes à l’imparfait, en début de dossier, en gardent l’empreinte: « Notre philosophie politique était fondée sur la défense de l’unité du corps social. Ce souci d’uniformité l’emportait sur toute expression de la différence perçue comme menaçante. Aujourd’hui la diversité est parfois présentée sous un jour positif : le respect de droits culturels est revendiqué par certains qui les considèrent comme un aspect essentiel de leur identité ». Tout est donc bon à prendre et tout est compatible, inutile d’apprendre aux nouveaux venus à marcher jusqu’à nos valeurs et usages. Une certaine prudence incite cependant les experts à explorer ce que donne l’application de ce principe ailleurs. Le bilan est sans appel : « La plupart des pays européens avaient opté pour une logique communautaire. Mais, face à la montée des tensions, la tendance s’inverse aujourd’hui et revient vers une politique d’intégration plus volontariste. » Le cas des Pays-Bas est particulièrement souligné dans sa politique de rupture du multiculturalisme et d’exigence exprimée aux nouveaux immigrants « d’adhésion aux valeurs fondatrices de la société néerlandaise ».

Et le « vivre-ensemble » a triomphé…

Face à l’injonction paradoxale que constitue la volonté de « concilier l’unité et le respect de la diversité », la Commission choisit de voir en la laïcité « une façon de structurer le vivre ensemble ». Le mot est lâché : voici donc inséré dans le dispositif le concept ectoplasmique du « vivre ensemble », terme sans réelle définition, chimère née de l’espoir qu’il existerait  un communautarisme acceptable. Le rapport Stasi en fait particulièrement bien ressortir le caractère flottant et inconsistant, sans structure propre, puisqu’il ne s’agit que de se maintenir « en suspens » quelque part entre le refus de l’unité du corps social considérée comme obsolète et celui du communautarisme, reconnu comme dangereux. Présent ici, comme dans les medias et même dans les programmes scolaires, le « vivre-ensemblisme » va se répandre, et, c’est un comble pour une injonction à se rassembler, permettra d’ostraciser tous ceux qui, sur la base des faits, questionneront sa validité. Sa fragilité dans la confrontation au réel nécessitera, tout de même, ultérieurement, l’ajout de quelques locutions complémentaires, telles que « ne pas stigmatiser » et « pas d’amalgame » pour museler efficacement les esprits critiques.

La mémoire collective ne retiendra de cette commission que la loi sur le port des signes religieux. Sa relecture, quinze ans plus tard, nous offre bien plus. Elle est  l’occasion de voir juxtaposés les faits et le choix de ne pas les voir. Elle permet aussi la mise en lumière des contradictions internes : accueillir l’Autre dans sa pleine différence tout en demeurant inflexible sur certains principes propres à notre culture. Il en découle la négation de  la part non négociable de nos valeurs et usages et l’impossibilité d’accueillir l’autre comme notre égal jusque dans le droit que l’on se donne à dire et refuser sa part d’ombre. Ce relativisme culturel assumé, part visible d’un rejet chez certains de notre propre histoire, les conduit parfois aujourd’hui à justifier au nom du vivre-ensemble des pratiques contraires à la laïcité ou à d’autres champs distincts tels l’égalité homme-femme ou la défense des droits des enfants. Enfin, le rapport Stasi matérialise la ligne qui consiste à prendre le symptôme que sont les attaques contre la laïcité pour la maladie et donc à penser que de la stricte application de la loi de 1905 naîtra la guérison totale.

Faire l’inventaire de la République ?

Les rapports suivants ne sortiront pas de cette grille d’analyse. Des constats chauds, des propositions tièdes et le vide interstellaire glacial de l’inaction. Aujourd’hui, cependant, parmi les membres de la Commission, Gilles Kepel nous offre un éclairage lucide sur le phénomène dans toute son ampleur. Gaye Petek œuvre toujours à l’intégration des migrants venus de Turquie et affirme « qu’il faut avoir la clarté de (leur) dire : « Il y a des choses dans votre culture qu’il va falloir aussi laisser au portillon, parce que battre sa femme, marier de force sa fille, sont des choses que nous, nous n’acceptons pas ». D’autres rédacteurs du rapport, en revanche sont devenus entrepreneurs d’une laïcité de salon, concept désincarné et fourre-tout, vidé de sa substance culturelle qu’ils évitent de toute façon soigneusement de pousser jusqu’à sa mise en pratique sur des cas concrets.

Le quinquennat Macron parviendra–t-il à rompre la malédiction ? Le caractère très convenu du rapport Clavreul, qui n’apporte rien de nouveau, et sa foi béate en les pouvoirs de la seule laïcité « par voie administrative » laissent perplexe. La crainte de ne voir émerger, une fois de plus, que de grands principes, laissant les acteurs de terrain sans directives claires et fermes est réelle. On continuerait  ainsi  à afficher des chartes de la laïcité dans les écoles, tout en fermant les yeux sur des enfants de huit ans assumant une journée de classe sous des températures caniculaires sans boire ni manger, à parler de « nouvel antisémitisme » pour un phénomène identifié dès les années 1990, à détourner les yeux des rues désertées par les femmes… Alors serait fait le choix d’un abandon définitif des territoires perdus de la République par un ajustement des droits et des devoirs des citoyens à chaque zone géographique, ce dont certains s’accommoderaient fort bien, puisque, somme toute, ce ne serait là que des parts de marché comme les autres.

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« Nico, 1988 », un biopic complètement raté encensé par la critique

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Trine Dyrholm dans la peau (ou pas ?) de "Nico" dans le biopic "Nico, 1988" de Susanna Nicchiarelli (2017)

On attendait beaucoup du biopic sur Nico. La réalisatrice, Susanna Nicchiarelli, avait choisi de s’inspirer des dernières années de sa vie. Mais l’ex-chanteuse du Velvet Underground semble absente du film qui lui est consacré. Pourtant, Nico, 1988 a reçu les meilleures critiques…


Bien reçu dans les festivals, le biopic Nico, 1988 vient de sortir en France. Occasion d’essayer de comprendre le propos de Susanna Nicchiarelli qui a construit son film à partir des trois dernières années de la vie d’une icône, et de vérifier si les éloges des critiques sont fondés.

Deux scènes magnifiques, et puis…

La première image de Nico, 1988 autorise tous les espoirs : on y voit une enfant fascinée par un spectacle nocturne, de feu et de tonnerre. Comme la scène fait penser à un célèbre plan de La Cicatrice intérieure où Nico pose sur fond de volcans en éruption, le spectateur se dit qu’elle en est l’origine : devant la maison de Lübbenau où sa mère l’a emmenée s’abriter des bombardements qui rasent les grandes villes de l’Allemagne nazie, Christa Päffgen regarde les lumières de l’incendie qui consume Berlin, à 80 km plus au nord. Origine de l’œuvre. Magnifique ouverture.

Le plan suivant est situé 43 ans plus tard, à Ibiza, au moment où Nico s’apprête à partir pour la promenade à vélo qui lui sera fatale. Filmée à contrejour, l’actrice qui l’incarne est d’abord une silhouette se détachant dans une porte – on cherchera la ressemblance plus tard, si nécessaire. On sait depuis le Barbara d’Amalric qu’elle n’est plus un pré-requis du biopic (post-)moderne. C’est encore à La Cicatrice intérieure que la Nico de Trine Dyrholm emprunte la robe blanche qui lui tiendra lieu de suaire. L’exactitude historique ne sera pas le propos du film. La fidélité au modèle se situera ailleurs : dans ce nuage de fumée recraché par l’actrice.

Et puis c’est tout : après deux scènes inaugurales prometteuses, c’est la débandade. Passe encore le générique, collage de célèbres archives prélevées dans le journal filmé de Jonas Mekas, WaldenDiaries, Notes and Sketches, qui montre des extraits du premier concert donné par le Velvet Underground et sa nouvelle chanteuse au diner annuel des psychiatres de New York, séquence remontée en flash-back, avec des images d’un autre film de Mekas, Scenes from the Life of Andy Warhol, lorsque « Nico » interprètera une chanson du Velvet. On pouvait espérer un dispositif qui, comme celui mis en place par Amalric, mêlerait documents et reconstitutions, mais les images d’époque ne servent qu’à embrayer des séquences nostalgie tournées en focalisation interne sur l’héroïne du film.

Nico, beauté sacrifiée

Nico fut cette beauté blonde qui interprétait les ballades de Lou Reed au cœur du chaos électrique du Velvet, avant de devenir la déesse drapée de capes noires qui chantait dans les cathédrales et les théâtres antiques, s’accompagnant de son seul harmonium. Dans les années 1980, elle s’est réinventée en rockeuse à pantalon de cuir couturé, chaussée de bottes de motard dont les boucles sonnaient à chacun de ses pas. Le projet d’adaptation à l’écran de Nico – Songs They Never Play On The Radio remonte à 2005. Dans ce livre paru en 1992, James Young, son pianiste, racontait les dernières tournées, ces quelque 1200 concerts donnés par Nico entre 1982 et 1988, en Amérique, au Japon, dans les deux Europe et en Australie, sous l’égide du manager Alan Wise, figure haute en couleur ici portraiturée de manière bien pâle sous les traits de « Richard » (référence au prénom du biographe Richard Witts, auteur de Nico, The Life and Lies of an Icon ?). Tilda Swinton était alors pressentie pour incarner la chanteuse allemande, et en imaginant la fascinante héroïne de Only Lovers Left Alive dans le rôle de la femme fatale, on mesure tout le gâchis auquel aboutit Nico, 1988.[tooltips content= »Au petit jeu des comédiennes idéales, on pouvait imaginer aussi Cate Blanchett, voire Emmanuelle Seigner — hautes pommettes, actrices hantées, beautés hautaines. »]1[/tooltips] Trine Dyrholm – vue chez Thomas Vinterberg – arpente le film d’une démarche lourde, hagarde, la tête enfoncée dans les épaules, le visage figé, incapable d’un sourire. Il faut n’avoir vu aucune image de Nico marchant, se déplaçant, se tenant simplement sur scène, pour la réincarner ainsi : Dyrholm interprète « My Heart Is Empty » le micro à la main, le poing levé comme une hard-rockeuse. C’est qu’elle chante, ce soir-là, en état de manque, et par conséquent livre, on vous le fait obligeamment comprendre, une de ses meilleures performances : rapport de cause à effet absurde, malhonnête, peu crédible. Autour d’elle, les personnages secondaires ne sont guère plus convaincants. Il ne suffit pas de les montrer en train de flirter pour leur conférer une épaisseur psychologique.

Les portes de l’imperception

Dans Control, les interprétations des chansons de Ian Curtis par Sam Riley donnaient un supplément d’âme à la reconstitution biographique d’Anton Corbijn. La cinéaste Susanna Nicchiarelli a choisi de faire réenregistrer les morceaux de Nico par son actrice, accompagnée par la formation italienne Gatto Ciliegia contro il Grande Freddo. Hélas, ces nouvelles versions ne disent rien de la spécificité de la musique de Nico, et tendent à en gommer l’originalité : si on la voit bien assise à l’harmonium, le groupe l’accompagne sur « Janitor of Lunacy », cet hymne qu’elle a toujours interprété héroïquement seule face à des publics parfois hostiles dès qu’elle s’éloignait du répertoire du Velvet.

Qu’est-ce, d’ailleurs, que cette formation classique avec guitare, basse, batterie, quand The Faction comprenait deux claviers et deux batteurs percussionnistes, qui s’échangeaient parfois leurs rôles, pour improviser derrière le chant de Nico des accompagnements autrement plus aventureux que ce qu’on entend là ? Qu’est-ce que cette violoniste dont « Nico » dit qu’elle est de ses musiciens la seule qui ait du talent ? Un avatar de John Cale, féminisé par souci de parité ? Et à quoi bon cette reprise de « Nature Boy », que Nico n’a jamais chanté, en lieu et place de « My Funny Valentine » ?

Nico avait des problèmes de justesse, mais fallait-il, pour le faire comprendre au spectateur, que Trine Dyrholm chante systématiquement faux ? Etait-on obligé de lui faire réinterpréter tous les morceaux de Nico que l’on entend, même « Nibelungenland », qui n’apparaît qu’en off, que Nico a enregistré vingt ans plus tôt, et qui n’a été publié qu’après sa mort ? Dans ce biopic consacré à la chanteuse la plus originale de l’histoire du rock, la seule chanson d’époque que l’on entend – à deux reprises, afin de bien faire ressentir le décalage entre la musique de Nico et ce qui passait sur les ondes – est « Big In Japan », sur quoi défile le générique final. Au moins a-t-on échappé à l’une des chansonnettes gravées dans les années 1980 par Trine Dyrholm, mais voilà ce que vous fait ce film : vous allez voir Nico, 1988, et vous en sortez avec dans la tête un tube d’Alphaville.

Strange Nico

« Je voulais faire un film sur la femme qui se cachait derrière l’artiste Nico, la vraie Christa », se justifie la réalisatrice, que les clichés ne rebutent pas. Ainsi tous les personnages du film appellent-ils Christa Päffgen par son vrai prénom, quand ses véritables musiciens, son manager même, l’appelaient Nico. Susanna Nicchiarelli ne craint pas de se contredire, qui parle de « la vraie Christa » et ajoute que la volonté de reconstitution historique lui était étrangère, puisque ce qu’elle voulait, c’était inventer sa Nico, indépendamment de ce que fut réellement l’artiste dont elle s’est inspirée. Dans ce cas, pourquoi ne pas assumer pleinement cette position en inventant un personnage ? Tout le monde sait que les frères Coen ont modelé Llewyn Davies sur Dave van Ronk, mais en assumant leur choix de créer un personnage de fiction, ils ont évité les écueils du biopic, et créé une œuvre universelle qui ressuscite le New York du début des années 1960. En optant pour une image carrée et une palette de couleurs pâles, sans éclat, Susanna Nicchiarelli prétend reconstituer l’atmosphère de l’Europe des années 1980. Elle ne fait qu’en restituer la mémoire vidéo.

Où se trouve Nico elle-même, dans ce film où une vieille femme laide, qui lui ressemble comme un piètre sosie de cabaret, s’ennuie et chante faux ? Où sont l’humour, la grâce, la beauté qu’elle a gardés jusqu’à la fin ?

Qu’en est-il de 1988, si rien n’est dit ni montré de l’ultime concert, grandiose, donné au Planétarium de Berlin ?

De tous les proches de Nico, son fils Ari est le seul qui soit remercié au générique. Qu’allait-il faire dans cette galère ? Son nom est une caution imméritée pour un projet dont on se demande quelle était la finalité exacte. Les réactions élogieuses de la critique montrent qu’elle connaît peu, ou mal, Nico. C’est la même qui, il y a vingt ans, portait aux nues Nico Icon, le documentaire de mauvais goût réalisé par Susanne Ofteringer.

Nico, femme fatale

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Massacre de Munich: Plenel m’indigne

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Edwy Plenel, avril 2012. SIPA. 00618647_000021

Quand il écrivait pour Rouge en 1972, Edwy Plenel a défendu l’organisation terroriste Septembre Noir, responsable de la prise d’otages et du massacre d’athlètes israéliens lors des Jeux olympiques de Munich. Il tente aujourd’hui de s’en dédouaner, mais Plenel l’ancien n’est pas si différent de Plenel le jeune. Une tribune de Gilles-William Goldnadel.


Dans le Médiapart du 10 avril, Edwy Plenel suggère que j’aurais « publicisé » son approbation du massacre des athlètes israéliens par le groupe terroriste palestinien Septembre Noir en raison de l’enquête de son journal concernant l’affaire libyenne mettant en cause Nicolas Sarkozy…

J’espérais qu’il était de la faculté de mes pires contempteurs de ne pas sous-estimer mon attachement au peuple israélien sans avoir à me prêter des arrière-pensées subalternes. À moins qu’Edwy Plenel pense qu’il vaut mieux rabaisser les motivations de ses contradicteurs, dans la pure tradition de combat d’un trotskisme culturel qu’il ne récuse pas.

Mais trêve de querelle personnelle, le propos de cette chronique étant d’analyser les explications idéologiques livrées par Plenel à Libération à la suite de la polémique liée à ces révélations.

Encore faut-il grandement relativiser le mot « révélations », puisque l’approbation par le directeur de Médiapart du massacre de Munich était connue de quelques initiés, figurait dans la biographie Wikipédia de l’intéressé et avait été, pour le coup, « révélée » par la grâce d’un livre écrit par Laurent Huberson : Enquête sur Edwy Plenel, en 2008.

Hier encore, j’avais 20 ans…

Dès lors, force est de constater qu’il aura fallu une décennie pour que cette révélation passe le barrage de la résistance médiatique, moins en raison de l’industrie de l’auteur du présent article que du fait que l’étoile de la star journalistique avait déjà pâli.

Depuis que l’intéressé, après avoir couvert d’une discrétion inaccoutumée les viols reprochés à Tariq Ramadan et avoir été brocardé pour cela par Charlie hebdo, avait répliqué en affirmant que le journal martyr prenait part à une campagne « générale » de « guerre aux musulmans », celui-ci n’inspire plus la crainte révérencieuse d’antan.

Mais avant cette période fatale, il n’était pas question de poser la question.

A lire aussi: Elisabeth Lévy: Plenel contre Charlie, j’ai choisi mon camp

A côté de l’interminable immunité du journaliste-militant, apparaît également cette indulgence toujours coupable et parfois connivente qu’inspirent au monde médiatique les insanités de l’extrême gauche que je dénonce à longueur de chroniques.

En matière d’insanités, celles dont fut capable le jeune Plenel en 1972 lorsqu’il se faisait appeler « Joseph Krasny », écrivait dans Rouge et qu’il récuse 46 ans plus tard avec une touchante spontanéité lorsqu’on lui met sous le nez, ne sont pas très ragoûtantes : « L’action de Septembre Noir a fait éclater la mascarade olympique, a bouleversé les arrangements à l’amiable que les réactionnaires arabes s’apprêtaient à conclure avec Israël. (…) Aucun révolutionnaire ne peut se désolidariser de Septembre Noir. Nous devons défendre inconditionnellement face à la répression les militants de cette organisation. » (Rouge, numéro 171).

Il en faut de la haine, lorsqu’on a 20 ans, pour écrire de telles lignes et approuver le massacre de sportifs innocents. Comme l’écrit très bien le député LR Jean-Charles Taugourdeau : « En 1972, vous aviez 20 ans… J’en avais 19… Et contrairement à vous, je n’ai jamais écrit, ni même pensé une once de ce que vous avez pu écrire au sujet de l’assassinat des athlètes israéliens. Non, moi j’en ai pleuré. Et 46 ans après, je suis toujours très fier d’avoir pleuré ».

J’étais pas le seul, m’sieur !

J’en viens à présent aux deux justifications apportées par Plenel à Libération.

La première est de faire observer qu’à cette époque lointaine, à l’extrême gauche, une telle approbation du terrorisme palestinien était monnaie courante. L’argument relève lui de la fausse monnaie et est caractéristique de cette faculté de l’extrême gauche de vouloir s’exonérer à bon marché de tous ses péchés.

Il est vrai que la faute est ancienne. Encore faut-il relativiser l’ancienneté. Et l’extrême gauche est bien mal placée en matière de pardon des péchés. Il n’y a pas plus hyper-mnésique ou anachronique qu’un militant trotskiste ou communiste. Il est capable de reprocher à un homme de droite de 2018 l’attitude d’un Croix-de-Feu en 1934 ou d’un collaborateur en 1940. Ou à un résistant héroïque contre les nazis d’avoir été pour l’Algérie française et d’être ainsi déchu de tout droit à une rue.

Plenel et ses amis ont la rancune aussi tenace que sélective.

Il est vrai également que l’extrême gauche en 1972 était fort bienveillante à l’égard du terrorisme palestinien aveugle. Plenel a parfaitement raison. Sauf que je passe encore aujourd’hui une bonne partie de ma vie intellectuelle à continuer à lui reprocher de continuer. Je mets au défi Plenel de me mettre sous les yeux un article dans lequel il condamnerait avec la vigueur dont il sait être capable le terrorisme du Hamas. Il fut au contraire le thuriféraire le plus exalté de Stéphane Hessel à qui j’ai reproché (dans Le vieil homme m’indigne) ses faiblesses insignes pour le mouvement islamiste.

Quelques mois après les attentats terroristes antijuifs à Paris, je reprochais aux Insoumis leur intention funeste d’avoir voulu rendre visite dans sa prison en Israël à un terroriste palestinien coupable d’attentat contre des civils. Je n’aurais pas assez d’un livre en dix volumes pour consigner à gauche cette complaisance extrême pour la violence contre les innocents qui transcende largement le conflit israélo-palestinien. Dois-je rappeler la complaisance des camarades de Mélenchon pour Fidel Castro,  Guevara ou Robespierre ? Dois-je rappeler enfin que j’attends qu’ils reconnaissent le génocide vendéen ?

Edwy « Zola » Plenel

Seconde observation d’Edwy Plenel : « J’ai toujours dénoncé et combattu l’antisémitisme mais je refuse l’intimidation qui consiste à taxer d’antisémite toute critique de la politique de l’État d’Israël ».

La véracité contenue dans la première partie de l’argument ne me saute pas aux yeux.

Pour ne prendre qu’un seul exemple, son long flirt avec Ramadan, sa complaisance à l’égard des Frères musulmans et ses sympathies pour Mehdi Meklat ne m’incitent pas à le ranger dans le même Panthéon qu’Émile Zola.

Mais trêve de persiflage, j’en viens à ce refus offusqué du chantage à l’antisémitisme qui relève chez Plenel et ses amis du mantra. Sorte d’amulette magique, d’eau bénite, de gousse d’ail protectrice à brandir lorsqu’un vampire sioniste tente de mordre le cou d’anti-israéliens radicaux.

Ils voudraient que tout adversaire d’Israël, même le plus violent, se voit ipso facto et de plein droit, décerné un certificat de non-antisémitisme. Glissons sur ce sophisme ou cette perversion intellectuelle.

J’ai toujours refusé d’utiliser l’argument antisémite pour reprocher à un anti-Israélien pathologique ou seulement injuste ce que je considère, à tort ou à raison, comme une attitude excessive.

Encore que je conçoive aisément qu’on puisse être à la fois antisémite et anti-Israélien, il ne m’apparaît pas que ce soit en toutes circonstances l’explication causale. Et je ne place pas non plus forcément l’antisémitisme au sommet de la hiérarchie maléfique. L’ignorance, la sottise, la méchanceté, le goût pour la provocation, la jalousie -encore qu’ils ne soient pas incompatibles avec la haine des Juifs – me paraissant largement aussi redoutables.

Plenel ou le philosémitisme schizophrénique 

Je reviens, pour terminer, vers M. Plenel. J’écris ici que je ne le crois pas un seul instant antisémite. J’écris encore que je le crois plutôt philosémite. Mais de ce philosémitisme névrotique que j’ai passé une bonne partie de ma vie intellectuelle à étudier et à combattre (Le Nouveau Breviaire de la Haine, Ramsay, 2001). M. Plenel en est même une des incarnations les plus dangereusement emblématiques.

M. Plenel, hanté et fasciné par la Shoah, adore le juif en pyjama rayé mais il l’abhorre en uniforme kaki. Au sein de sa religion athée post-chrétienne, il le vénère, christique et décharné quand il ne se défend pas. Mais il considère que le juif vivant violent est son nouveau Judas.

Voilà pourquoi, dans son inconscient tourmenté, M. Plenel considère que le musulman, victime du nouveau juif vivant, est devenu son nouveau Juif rêvé.

Et tant pis si son fantasme tourne le dos à la réalité.

Voilà pourquoi, sans doute, Plenel jeune comme Plenel l’ancien, quoique hantés tous deux par la Shoah, sont incapables de ressentir combien assassiner des  juifs musclés mais innocents à quelques kilomètres de Dachau demeure une ignominie toute particulière.

Mais si Mark Zuckerberg, Facebook fait de la politique

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Manifestation anti-Fcaebook devant le capitole à Washington, avril 2018. SIPA. AP22188442_000032

Rien d’étonnant à ce que le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, soit pressenti à la Maison blanche. Même s’il s’en défend, son réseau social fait depuis longtemps de la politique: c’est le plus grand réseau moral.


Les auditions de Mark Zuckerberg, créateur et PDG de l’entreprise Facebook, les 10 et 11 avril par le Sénat et la Chambre des représentants américains, se sont déroulées dans le cadre du scandale de la fuite des données personnelles de 87 millions d’utilisateurs du réseau social vers la société Cambridge Analytica à des fins notamment électorales.

Mark Zuckerberg est-il un robot ?

Les internautes et téléspectateurs du monde entier ont pu observer la manière dont ce grand poupon de 33 ans au visage prépubère et qui pèse tout de même la coquette somme de 71 milliards de dollars parvenait à esquiver, glisser, se faufiler, et même parfois répondre aux questions qui lui ont été posées pendant une dizaine d’heures, bref à se sortir de cette épreuve qui avait tout du show hollywoodien mais aussi de la grande aventure démocratique propre aux institutions américaines.

La Toile a immédiatement regorgé de commentaires amusés, « gifs » et « memes » particulièrement comiques, relatifs à la gestuelle, aux expressions et postures de Mark Zuckerberg (« Is Mark Zuckerberg a robot ? », « penser à boire de l’eau ; les humains boivent de l’eau »…), lequel avait exceptionnellement troqué son sweat-shirt à capuche pour un costume de grande personne. Sur le fond en revanche, tout le monde reste un peu sur sa faim.

Mark Zuckerberg est « sorry »

Dans la grande tradition puritaine anglo-saxonne, le jeune patron s’est excusé mille fois, a battu sa coulpe comme il en a désormais l’habitude, a fait acte de contrition, ce qui plaît en général beaucoup outre-Atlantique et convient parfaitement à son allure de premier communiant dont on peut d’ailleurs se demander s’il ne l’a pas opportunément un peu renforcée pour l’occasion. Rien n’a toutefois vraiment été clarifié. On ne sait finalement toujours pas, malgré les démentis, si Facebook espionne les comportements de ses membres en dehors de leurs connexions (utilisation des micros de nos terminaux), on ne sait pas vraiment quel genre de protection des données personnelles la firme entend mettre en place ; on apprend que conformément aux rumeurs qui circulaient les non utilisateurs sont également pistés ; il est confirmé que les dirigeants de l’entreprise savent pertinemment que leurs clients ne lisent pas vraiment les Conditions générales d’utilisation globalement illisibles (les fameuses CGU) dans lesquelles on les informe que leurs données seront réutilisées par d’autres, etc.

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On pourrait se réjouir de cette soudaine prise de conscience des élus américains pour la protection des données privées, sur le modèle européen du futur RGPD (règlement général sur la protection des données) qui entrera en vigueur le 25 mai 2018, texte désormais considéré par nombre d’entre eux comme novateur après avoir été longtemps fustigé par tous les défenseurs des GAFA comme étant un frein rétrograde et anti-libéral au développement technologique et économique des grandes entreprises du net. Mais cette prise de conscience est tardive et ses motivations profondes laissent songeur.

Les adversaires de Trump n’acceptent pas leur défaite

Outre la sacro-sainte question commerciale de la position de monopole de Facebook (2 milliards de clients à travers le monde) qui commence à faire quelques jaloux, ce qui frappe surtout c’est le contexte politique dans lequel cette affaire Cambridge Analytica est soudain montée en épingle. Ce qui est en effet reproché à Facebook, c’est d’avoir contribué à l’élection de Donald Trump en rendant possible l’exploitation des données personnelles de ses utilisateurs par des tiers dans des procédures de micro-ciblages électoraux. Or, cette technique a été utilisée sur une cinquantaine de millions d’usagers du réseau social lors des élections d’Obama en 2008 et surtout en 2012, et cela n’a curieusement fait aucune vague. On a même alors pu se féliciter de ces nouvelles technologies algorithmiques permettant d’affiner l’analyse de l’électorat en ciblant notamment les électeurs indécis. Ces utilisations de data sont également mises en cause dans le vote en faveur du Brexit, sans qu’on puisse toutefois évaluer avec précision l’impact réel de ces techniques sur les différents scrutins. Dans tous les cas, le réseau social est accusé de n’avoir pas su lutter efficacement contre la circulation d’informations jugées fausses (« fake news ») en provenance d’une Russie érigée en épouvantail, et l’on repointe du doigt l’ « Internet Research Agency », célèbre usine à trolls russe, sans toutefois pouvoir avancer de preuves. Celle-ci aurait créé environ 400 faux profils Facebook pendant la campagne 2016 qui auraient permis de répandre de l’information falsifiée et tendancieuse (et l’on suppose bien évidemment que personne en Occident n’utilise ces techniques pour tenter d’infiltrer les réseaux et contrôler l’information). Dans ce contexte de paranoïa et d’hypocrisie dignes de la Guerre froide, de manipulations à grande échelle et de luttes entre systèmes de propagande, l’entreprise Facebook est en quelque sorte sommée de verrouiller ses voies d’accès mais aussi, dans le fond, de renforcer la surveillance des contenus qu’elle accepte de véhiculer, ce qui constitue donc une gigantesque tentative de musellement de la liberté d’expression. Les opposants de Donald Trump n’acceptent pas leur défaite et cherchent à provoquer par différents moyens une procédure d’impeachment. Mark Zuckerberg apparaît plutôt comme un pion dans cette partie.

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Facebook affirme toutefois ne pas faire de politique. Ce n’est pas l’avis de la spécialiste Jillian C.York, responsable des questions de liberté d’expression à l’Electronic Frontier Foundation, qui a vertement répondu aux allégations de pluralisme et de neutralité politiques de Mark Zuckerberg devant le Congrès : « Non, vous n’êtes pas [une plateforme pour toutes les idées] et j’ai une décennie de recherches pour le prouver ».

Pas de politique, donc, paraît-il, mais cela n’empêche toutefois pas le PDG de Facebook de manifester un intérêt certain pour la future présidence de son pays, bien qu’il s’en défende officiellement. Et après tout, quoi de mieux, pour conquérir la première puissance mondiale que d’avoir accès aux données personnelles ainsi qu’aux informations échangées de près d’une partie non négligeable de la population de la planète ? En matière de propagande, comme en tout, on n’est jamais mieux servi que par soi-même.

Pudibonds de souris

En admettant que Facebook ne fasse pas (pour l’instant) de politique, il fait en revanche de la morale. Et dans un système post-moderne où le sociétal a pris le pas sur le politique dans le débat public, cela revient très exactement à faire de la politique. Les fameux « standards de la communauté » contre lesquels butent tant de personnes à travers le monde – artistes, observateurs, libres penseurs – ne font que se resserrer toujours davantage sur ce que leur formulation énonce pourtant parfaitement : une standardisation à des fins communautarisées. Cela constitue en soi un projet de société.

L’expression des points de vue hostiles au communautarisme, au multiculturalisme, à tous ses avatars religieux y compris les moins recommandables, au militantisme sociétal, à la mondialisation ainsi qu’à son versant « libre flux de populations »  sera surveillée de très près et possiblement censurée. Des escouades de « modérateurs » veillent, sur la neutralité desquels il est permis de douter. Il faut s’attendre à un raidissement desdits standards dans les mois et années qui viennent, ce que Mark Zuckerberg a dans le fond déjà entériné en s’engageant à lutter davantage « contre la haine » : or, si personne ne souhaite voir le niveau effectif de haine ou de violence augmenter, on sait toutefois ce que cette sémantique recouvre en réalité de bien-pensance et de contrôle politiquement correct sur la liberté d’expression et d’opinion.

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Facebook fait de la morale, avec cette pudibonderie propre au puritanisme anglo-saxon sur le terreau duquel il a grandi. Que le plus grand réseau social du monde ne souhaite pas devenir un gigantesque lupanar, cela peut parfaitement se concevoir. Mais que les standards moraux de la communauté s’appliquent avec autant de puritanisme au moindre bout de sein qui pointe, à la moindre évocation érotique, quand bien même il s’agit d’œuvres d’art appartenant au patrimoine culturel de l’humanité, voilà qui est beaucoup plus grave en plus d’être parfois ridiculement absurde. On connaît les mésaventures de L’origine du monde de Gustave Courbet pour la publication de laquelle le compte de Frédéric Durand-Baïssas, cet instituteur français, a vu son compte purement et simplement supprimé. La justice française a reconnu le 15 mars la faute de Facebook dans cette affaire digne des censures du procureur Pinard, mais n’a reconnu aucun préjudice. Autant dire que cela n’a pas dû beaucoup empêcher Mark Zuckerberg de dormir ni de préparer sa ligne de défense face aux élus de son pays, lesquels ne se sont de toute façon pas penchés sur ces considérations érotiques. De même, la Venus de Willendorf, statuette paléolithique de près de 30 000 ans représentant la fécondité et appartenant au Museum d’histoire naturelle de Vienne, a été absurdement censurée. Devant l’indignation soulevée, Facebook a fait marche arrière, reconnaissant une « erreur ». Mais pour une erreur reconnue (sous la pression de l’opinion), combien de censures passées sous le silence des blocages de comptes ou des suppressions inopinées de contenus face auxquelles les usagers sont sans recours et sans voix ?

L’exploitation des données personnelles n’est qu’un des nombreux problèmes posés par le mode de fonctionnement de Facebook. Les libertés d’expression et d’opinion ne sont pas des questions subsidiaires.

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Macron: vous ne voulez plus de l’Europe? Vous aurez plus d’Europe!

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Emmanuel Macron devant le Parlement européen de Strasbourg, 17 avril 2018. SIPA. 00854887_000001

Dites bonjour à la « souveraineté européenne »! C’est la dernière lubie du président Macron qui s’est exprimé, mardi 17 avril, devant le Parlement de Strasbourg. Et si après ça vous ne voulez toujours pas de l’Europe, c’est tout simplement parce qu’elle vous a trop gâté. 


Devant les députés du Parlement européen, Emmanuel Macron a livré sa vision pour l’Union européenne, dont on sait qu’elle constitue la matrice, la raison et le but de tout son projet politique. Il s’agit ici de faire suite aux principes posés lors de son discours de septembre 2017 à la Sorbonne, mais surtout de tenter d’insuffler une dynamique favorable aux positions et aux militants de La République en Marche (LREM) pour la prochaine échéance électorale de 2019 : des européennes qui ne s’annoncent pas si faciles que prévu pour la formation présidentielle.

L’Europe ? C’est nouveau, ça vient de sortir !

Depuis le pupitre du vaisseau spatial de Strasbourg – lequel co-préside autant que faire se peut à nos destinées et flotte dans quelque dimension spatio-temporelle improbable – et sous l’œil goguenard d’un Jean-Claude Juncker qui paraissait à peu près calme, le président français a proposé une conception qui se veut efficace, rajeunie, modernisée, dynamique de ce que devrait être désormais le projet européen. Conscient du ralentissement pour ne pas dire de l’enrayement du mécanisme de la grosse institution, l’un de ses plus fervents porte-paroles (et l’un de ses plus beaux produits) tente de promouvoir auprès de ses partenaires une Europe rénovée dont il serait de facto le leader.

L’idée au départ est claire bien que paradoxale : puisque les peuples semblent de plus en plus rejeter l’Union européenne (UE), il faut encore davantage d’Europe (il suffisait d’y penser). Dans une rhétorique incantatoire et hypnotique, les camouflets et méfiances, les doutes et souffrances exprimés de manière quasi métronomique désormais par les peuples d’Europe à l’encontre d’une UE qui refuse de les écouter, sont systématiquement renvoyés à la posture du « repli sur soi ». La logique est binaire et manichéenne, mais c’est celle qui permet à l’édifice de tenir encore un petit peu. Selon cet ordonnancement moralisateur des idées exprimées par les opinions publiques européennes, le rejet dont font l’objet les institutions de l’UE est imputé à quelque fascination obscure pour les dérives identitaires, pour les fantômes violents du passé, et pour appuyer cette assertion, la figure de la guerre est constamment évoquée en guise de point Godwin.

Vous, « somnambules » eurosceptiques

Pour le cas où tous les opposants à l’UE ne tomberaient pas sous le soupçon de fascisme, Emmanuel Macron a inventé aujourd’hui la figure originale du « somnambule » qui serait simplement une sorte d’enfant gâté de l’Europe, oublieux du passé douloureux de celle-ci et ingrat envers tout le travail pacifique réalisé depuis 70 ans. Dans cette conception, les eurosceptiques sont nécessairement délégitimés au regard de ce qui serait tout naturellement tourné vers l’avenir et le progrès (d’où l’importance de l’évocation des défis numériques dans cette affaire). Ils sont également considérés comme les fruits imbéciles d’une propagande plus ou moins fasciste constamment ourdie depuis la sombre Russie érigée, on le sait, en épouvantail antidémocratique à tout propos, sur tout sujet et en toutes circonstances.

Dans son discours donc, le président Macron a repris cette rhétorique devenue commune et qui a été celle de sa propre campagne électorale : d’un côté les frileux, les passéistes, les haineux, repliés sur eux tels de malingres petits bigorneaux, fascinés par l’émergence des démocraties illibérales, odieusement populistes, xénophobes, etc., de l’autre les visionnaires, les progressistes, les démocrates, les gens de bien, les gens du bien et qui n’ont jamais la moindre hésitation à vouloir justement faire le Bien des autres gens contre leur gré.

Dites bonjour à la « souveraineté européenne » !

A l’intérieur de ce dispositif narratif désormais parfaitement bien rodé et que l’on peut réutiliser en toutes circonstances, apparaît dans un halo surnaturel et pour le coup somnambulique la notion magique de « souveraineté européenne ». C’est cette idée précise qu’est venu défendre le président de la République au Parlement de Strasbourg. Tout se passe comme si la souveraineté nationale, c’est-à-dire la seule forme de souveraineté qui ait jamais été avalisée par la volonté populaire, et qui semble avoir disparu du champ démocratique depuis quelques années, – au moins depuis que le Traité constitutionnel européen de 2005, rejeté par référendum et chassé par la porte a été pourtant réintroduit par la fenêtre parlementaire -, réapparaissait miraculeusement au niveau européen à la façon du lapin sorti du chapeau. Tout a été fait pour que la souveraineté nationale, économique, juridique (donc législative) soit vidée de sa substance, et la voilà qui ressurgit soudainement comme au terme d’une transsubstantiation surnaturelle, sous une forme supposément rehaussée et légitime au niveau supranational.

A lire aussi: Macron, le président du monde

L’histoire récente de l’Union européenne pourrait se résumer à l’histoire des transferts et abandons de souveraineté. Les peuples n’ont plus la main et le déficit démocratique des institutions européennes a été maintes fois souligné. Qu’à cela ne tienne : donnons-leur encore plus de pouvoir !

Nul ne sait au nom de quoi ces transferts et abandons seraient positifs, puisque la logique discursive invoquée est exclusivement incantatoire et relève de la pensée magique : l’avenir, le progrès, la puissance démocratique, et l’on admire au passage la pirouette khâgneuse du président qui dit ne pas vouloir de « démocratie autoritaire » mais une « autorité de la démocratie » (qu’est-ce que ça peut vouloir dire ? Lui seul le sait peut-être…).

Il n’y a pas de culture européenne

De la même manière, les notions d’ « identité » et de « culture » ont soudainement réapparu et ont été prononcées maintes fois dans ce discours, ointes au niveau européen de toute la légitimité qu’on s’est évertué à leur faire perdre au plan national : il y aurait donc une « identité » européenne mais alors même qu’on s’évertue constamment à expliquer que l’identité nationale au mieux n’existe pas et au pire est un ferment réactionnaire du fascisme rampant et autres bruits de bottes. De même, Emmanuel Macron n’avait pas peur de lancer, pendant sa campagne, le désormais (tristement) célèbre « il n’y a pas de culture française ». En revanche donc, nous apprenons aujourd’hui avec plaisir qu’il y a bel et bien une « culture européenne ». On le voit, l’ennemi c’est la nation. Il existe pourtant, d’abord, une identité nationale, une culture nationale, qui, dans leurs dialogues avec les identités et cultures des autres nations, forment un ensemble culturel plus vaste, au point qu’on pourrait plutôt dire « il n’y a pas de culture européenne, il y a des cultures en Europe », ce qui serait pour le coup rigoureusement exact.

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Le projet, on le voit, est donc profond et se poursuit jusqu’à ce qui fait le cœur d’un peuple : son langage. Pour asseoir les transferts de souveraineté massifs, on doit procéder également à des transferts sémantiques. On téléporte au niveau européen ce que l’on retire du plan national : l’emploi des termes souveraineté, identité, culture ne sont donc légitimes désormais qu’à l’échelon supranational. Pas certain toutefois que les peuples se satisfassent de ces pirouettes rhétoriques…

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Corée du Nord : Trump dans le piège atomique

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Kim Jong-Un visite un site d'entraînement de la Force aérienne populaire de Corée, 21 avril 2014. Crédit photo KNS.

Malgré ses rodomontades, le président américain a accepté le principe d’un dialogue nucléaire direct avec son homologue nord-coréen. C’est sous-estimer la rouerie de Kim Jong-un, plus que jamais en position de force pour déstabiliser la région.


Dans la chronologie du contentieux nucléaire entre la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) avec le reste du monde, le mois de mars 2018 restera comme un jalon dont l’histoire dira s’il fut décisif. Commencé avec la promesse d’un sommet intercoréen pour le mois d’avril prochain, le dernier mois de l’hiver s’est poursuivi avec une annonce tonitruante de Washington : vendredi 9 mars 2018, la Maison-Blanche informait que le président Trump avait accepté une invitation de Kim Jong-un à le rencontrer « en un lieu et à une date à déterminer ». Plus tard dans la journée, Sarah Huckabee Sanders, la jeune porte-parole de la présidence précisait que la rencontre aurait lieu quand le régime nord-coréen aurait pris des initiatives « concrètes et vérifiables » sans que ces dernières fussent spécifiées. Enfin, un revirement moins officiel clôturait cette longue journée : l’invitation avait bien été acceptée sans condition.

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À l’annonce de cette grande première, la plupart des observateurs de la région nord-est asiatique firent part de leur surprise, de leurs doutes quant aux résultats tangibles, mais aussi de leur satisfaction devant cette opportunité de dialogue. Reste encore à savoir si la rencontre se tiendra dans la zone démilitarisée qui sépare les deux Corées, si la présidence américaine aura le temps de s’y préparer avant l’été et si les Américains seront assez malins pour ne pas se laisser duper par le talentueux Monsieur Kim.

Six essais nucléaires depuis septembre 2017

En attendant ce sommet encore hypothétique, il faut se pencher sur le nouveau rapport du Groupe d’experts qui assiste le comité chargé de suivre la mise en œuvre des sanctions prises contre les programmes d’armes de destruction massive de la RPDC depuis 2006 (résolution 1718). Publié dans une relative indifférence le 5 mars 2018, ce document de près de 300 pages dresse pourtant un bilan très critique de l’application des sanctions.

Il rappelle d’abord que la RPDC a procédé à son sixième essai nucléaire le 3 septembre 2017, le plus puissant à ce jour (près de 200 kilotonnes équivalent TNT). De plus, vingt missiles balistiques, dont trois missiles balistiques intercontinentaux, ont été tirés en 2017. « Rien n’indique, continue le document, qu’elle mettra un terme à ces activités, et l’objectif déclaré de parvenir à la dénucléarisation et de trouver une solution pacifique à la situation semble de plus en plus difficile à atteindre. » À propos du régime de sanctions en place, renforcé année après année et qui prévoit depuis l’année dernière un plafonnement des volumes de pétrole brut, l’on apprend que « non contente de poursuivre ses précédentes violations et de recourir à des pratiques de contournement de plus en plus sophistiquées, la République populaire démocratique de Corée bafoue déjà les dernières résolutions du Conseil en exploitant les chaînes mondiales de distribution de pétrole, la complicité de ressortissants étrangers, des sociétés offshore et le système bancaire international ». À ce jour, la RPDC exporte encore « presque tous les types de marchandises interdites par les résolutions » : 200 millions de dollars de devises ont ainsi été engrangés par le régime entre les mois de janvier et septembre 2017. Itinéraires de navigation « trompeurs », « manipulation de signaux », falsification de documents, coopérations militaires en place bien qu’interdites, la liste des moyens mis en œuvre par Pyongyang pour contourner le régime multilatéral de sanctions est longue, très documentée. Cela indique une politique systématique, une détermination sans faille – et une réussite malheureusement exemplaire pour les futurs candidats à la prolifération nucléaire, balistique ou chimique.

La dénucléarisation de la Corée du Nord n’est plus un objectif impérieux de la doctrine nucléaire américaine

Pour mémoire, l’avant-dernier rapport du même Groupe d’experts remis début septembre 2017 concluait déjà en ces termes : « La République populaire démocratique de Corée a considérablement développé les capacités de ses armes de destruction massive, défiant le régime de sanctions le plus complet et le plus ciblé de l’histoire des Nations Unies. […] La RPDC poursuivra probablement ses programmes d’armes nucléaires et de missiles balistiques à un rythme rapide, à en juger par les déclarations faites par Kim Jong Un, notamment lors de son discours du Nouvel An 2017, au cours duquel il a affirmé qu’en 2016, elle avait acquis le statut de puissance nucléaire, réalisé le premier essai de bombe H, des tirs d’essai de divers moyens de frappe et des essais de têtes nucléaires, et atteint le stade final de préparation à l’essai du lancement d’un missile balistique intercontinental. »

À la lecture de ces rapports, une conclusion s’impose : l’initiative de Donald Trump est  malheureuse pour la bonne raison que le régime nord-coréen est désormais en position de force pour entamer des pourparlers directs avec les États-Unis. Dans tous les cas de figure, ils n’ont aucune chance de tourner à l’avantage de la partie américaine. La confusion dans les messages de la Maison-Blanche, le 9 mars, indique en creux une indécision que l’on retrouve dans la nouvelle doctrine nucléaire (Nuclear Posture Review, NPR 2018) des États-Unis s’agissant de la menace nord-coréenne, document stratégique majeur rendu public début février. La NPR 2018 ne déclare pas que la dénucléarisation de la Corée du Nord est toujours un objectif impérieux, ou de court terme, ou encore une condition de la reprise des négociations avec Pyongyang. Il s’agit désormais simplement d’un objectif à long terme (« long-standing ») des États-Unis. À l’évidence, cette position prend acte des succès balistiques, nucléaires, économiques de la RPDC au cours des dernières années.

La bombe dans la Constitution

À Pyongyang, une réflexion nourrie sur la place de l’arsenal nucléaire dans l’outil de défense nord-coréen est engagée depuis l’inscription dans la Constitution, en avril 2012, de la qualité d’État nucléaire de la Corée. Personne ne sait encore comment la possession de l’arme nucléaire par le régime changera sa politique étrangère et de sécurité. Une forme de sanctuarisation agressive est possible. Un autre scénario, opposé, pourrait voir les Nord-Coréens se comporter avec la retenue d’une puissance nucléaire pour entamer un processus de paix et de réunification en bonne position. Certains éléments récents de la rhétorique officielle confirment cette hypothèse.

En tout état de cause, en l’absence de vraies mesures de confiance et de sécurité, un État nord-coréen nucléaire est un facteur de déstabilisation de la sécurité régionale. La situation dans la péninsule est aujourd’hui un cas d’espèce de l’équilibre entre dissuasion et arms control, deux éléments qui, dans des contextes d’hostilité ouverte, peuvent composer une dynamique efficace.

Peut-être les États-Unis et leurs principaux alliés régionaux devraient-ils plutôt s’employer à rendre plus crédible la dissuasion élargie dont bénéficient la République de Corée et le Japon, tout en initiant la négociation de mesures de confiance et de sécurité avec la RPDC. Cela permettrait de prévenir une escalade régionale, d’éteindre les velléités nucléaires à Séoul et à Tokyo, en somme de maintenir le statu quo en l’aménageant.

Une faute stratégique

En principe, la Corée du Nord pourrait être considérée comme État possesseur d’armes nucléaires en dehors du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Mais il faudrait que ce soit en échange d’un moratoire sur les essais nucléaires et de l’engagement d’adhérer progressivement aux principaux outils du régime mondial de non-prolifération des armes de destruction massive – y compris en matière de contrôle des exportations – ainsi qu’aux principaux traités et accord en matière de sûreté et de sécurité nucléaires. Des mesures de confiance et de sécurité spécifiques devraient également être négociées avec le Japon et la Corée du Sud, sous le parrainage des États-Unis et de la Chine, avec en contrepartie un contrôle de l’installation des systèmes stratégiques défensifs ou offensifs américains sur les territoires alliés dans le cadre d’une politique de réassurance ouverte et assumée. La dénucléarisation de la péninsule conserverait dans ce schéma le statut d’un horizon.

Pour qu’un tel schéma fonctionne, deux conditions sont nécessaires : la reconnaissance – non nécessairement officielle – d’un statut nucléaire nord-coréen a minima, d’une part ; la saturation des ressources du régime pour lui interdire de continuer le développement de ses programmes nucléaire et balistique, d’autre part. Ni l’une ni l’autre ne sont aujourd’hui réunies.

Autrement dit, dialoguer avec la Corée du Nord deviendra opportun pour les États-Unis quand elle sera en position de faiblesse relative et quand une position claire sur son statut nucléaire sera à nouveau adoptée à Washington après consultation de ses alliés et partenaires. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Dans ces conditions, accepter un dialogue direct avec Pyongyang est une faute stratégique.

Paris: les « prolos » d’Hidalgo auront leur Ikea

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Un magasin Ikea à Montpellier, septembre 2017. SIPA. 00828424_000005

Un nouveau concept de magasin Ikea ouvrira dans Paris en 2019. Ecolo, « démocratique » et pratique: pour aménager le Paris d’Hidalgo, heureusement, Ikea est là ! 


Comme les employés du géant mondial du meuble, l’actualité nationale trépidante et la globalisation ne semblent jamais vouloir prendre de pause. Alors que je me remets à peine de l’annonce de la fin de la carrière sur scène du chanteur Michel Sardou, je lis ce midi que le monstre suédois Ikea va, lui, ouvrir un magasin en plein Paris.

Si les Suédois n’étaient pas là…

Le groupe a annoncé avoir signé un bail pour une location de 6000 m2 place de la Madeleine, juste à côté du Décathlon. Selon Les Echos et le groupe suédois, ce serait l’emplacement idéal pour rayonner sur la capitale. L’ouverture est prévue pour la mi-2019. L’enseigne de mobilier et de décoration, qui compte déjà 33 magasins géants en France, entend lancer ici un concept inédit et conforter sa part de marché déjà maousse de 20%.

Jusqu’alors, les magasins Ikea étaient situés en périphérie des grandes villes. En région parisienne, on en dénombre sept de la sorte. Désormais, les Parisiens pourront directement trouver une sélection de produits en plein cœur de Paris, accessibles par les lignes 8, 12 et 14 de la RATP. Si le magasin sera quatre fois plus petit que les magasins de périphérie, il sera immédiatement accessible par deux millions de consommateurs en moins de 20 minutes de trajet, et surtout… sans voiture ! Tout parisien – trop pauvre pour se payer le permis ! – qui a une fois galéré pour trouver une âme charitable possédant un carrosse pour aller récupérer une étagère Ekby ou une méridienne Söderhamn en banlieue comprendra immédiatement l’intérêt que va avoir pour lui cette nouvelle ouverture. Finis aussi les trajets périlleux et incertains en RER B pour rejoindre la zone industrielle de Paris Nord 2.

Design « démocratique » et développement durable

Pour que la nouvelle soit accueillie au mieux par les Parisiens et leur édile Anne Hidalgo, le communiqué de presse du groupe révèle que le monstre du meuble compte s’adapter aux spécificités locales. Assurant que le nouveau magasin offrira une expérience « unique et inspirante pour répondre aux attentes des Parisiens », Ikea précise que ce nouveau « lieu d’expériences » va permettre de développer l’approche du « Design Démocratique » (sic) du groupe. Pourquoi pas carrément un design « participatif » tant qu’ils y sont, ils étaient en si bon chemin !

L’écologie, bien sûr, n’est pas oubliée : la livraison par voie fluviale va être privilégiée avec un entrepôt nouveau à Gennevilliers, et des livraisons à vélo sont à l’étude. Tout ceci dans le but de « s’inscrire dans le plan de réaménagement de la place de la Madeleine mené par la Ville de Paris ». C’est vraiment trop gentil. A n’en pas douter, Anne Hidalgo doit être aux anges.

Le magasin qui cache la forêt

Visiblement, le géant de la distribution a communiqué tous azimuts sur cette annonce d’ouverture prochaine à Paris. Les génies de la communication du groupe espèrent probablement faire oublier les quelques déboires qu’Ikea a connu dernièrement en France et qui lui ont fait bien mauvaise presse. Après de nombreux spots télévisés rappelant combien il est génial de travailler pour l’enseigne ces dernières semaines, l’annonce fracassante de l’ouverture d’un « flagship » parisien permet de faire oublier les pratiques douteuses du recruteur suédois. En janvier dernier, le parquet de Versailles annonçait dans un réquisitoire que l’enseigne avait mis en place avec des policiers et une société d’enquêtes privées « un système visant à obtenir des renseignements sur les candidats à l’embauche et certains collaborateurs […] à grande échelle » (Le Canard Enchainé du 21 mars). Le tout en consultant les fichiers de police et de gendarmerie et alors que la direction du groupe était au courant. Pas joli joli.

Si la livraison par drônes à la Amazon n’est pas encore envisagée, Ikea compte désormais bien tout faire pour « améliorer le quotidien du plus grand nombre », selon son communiqué. La fréquentation des magasins Ikea ayant tendance à augmenter la frénésie des consommateurs à renouveler leur mobilier, le géant suédois compte peut-être aussi aider à ramasser tous les meubles abandonnés qui traînent déjà sur les trottoirs de Paris.

Le président est « mort », vive Plenel…

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Le sacre d'Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin et la désacralisation du statut d'Emmanuel Macron, avril 2018. SIPA. 00854648_000003

Déjà remise en cause par le quinquennat, la fonction présidentielle a achevé d’être désacralisée par l’entretien-débat d’Emmanuel Macron avec Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin.


L’intervention d’Emmanuel Macron chez Jean-Pierre Pernaut, jeudi 12 avril, était plaisante à regarder et avait balayé la plupart des sujets. Dès lors, quel a été l’intérêt de la seconde avec le duo Plenel/Bourdin, dimanche ?

A la gauche de Macron, un journaliste populiste « en mode café du commerce », n’écoutant pas les réponses et coupant le président dont il est allé jusqu’à sous-entendre le caractère puéril. A sa droite, un idéologue remonté comme un coucou, persuadé d’œuvrer pour la salubrité de la République… Les Français sont en droit de se demander pourquoi la présidence a fait appel à cet épouvantable duo. On aurait voulu désacraliser la fonction présidentielle, on ne s’y serait pas pris autrement ! Tout avait pourtant bien commencé, notre président-monarque était arrivé majestueusement en descendant les marches du palais de Chaillot avec notre Brigitte nationale à son bras. Avec la Tour Eiffel en arrière-plan, le cadre de l’interview avait plutôt de la gueule. Quelle galère ensuite…

Hey Manu, tu réponds ?

Pendant plus de deux heures et demie, Bourdin et Plenel se sont appliqués à nous démontrer que le président de la République française est désormais bien peu de choses. Toute la perfidie de l’improbable duo a été mise au service de la désacralisation de la fonction présidentielle, déjà bien amochée par le quinquennat qui accélère les temps médiatique et politique.

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Lundi matin, très satisfait de lui-même, Edwy Plenel est allé se féliciter au micro de RMC d’avoir « cassé les codes », lors de l’interview. Il révèle qu’il s’était donné un seul objectif la veille : « Linterview présidentielle en France est une interview monarchique. Notre objectif tout simple [à Bourdin et à lui NDLR] c’était dabord de casser ça ».

Il n’est pas allé jusqu’à tutoyer le président comme le ferait l’employé d’une startup avec son patron, mais on n’en était pas loin. Par ses démonstrations et ses questions orientées, il voulait en tout cas savoir si Macron était le président « des riches » ou « des très riches ». Pénible ! Bourdin et le camarade Plenel n’auront même pas estimé nécessaire de relancer Emmanuel Macron par des « Monsieur le président » que l’on était en droit d’attendre, préférant l’appeler « Emmanuel Macron » quand ce n’était pas « Emmanuel ». Et on l’a vite compris : les journalistes se plaçaient en fait au même niveau que notre président élu. Par la forme de nombre de leurs questions, l’interview a pris les contours d’un débat. Débat houleux et décousu, comme si cela ne suffisait pas. Pauvres de nous !

Président, suite et fin

Jean-Jacques Bourdin avait présenté l’émission comme le « bilan annuel » d’Emmanuel Macron. Le même Bourdin n’avait-il pas fait passer un « entretien dembauche » au candidat en 2017 ? Pour quoi se prend BFM TV ? Et pour qui Emmanuel Macron se prend-il et prend-il les Français en se pliant à ce petit jeu ? Le vrai pouvoir politique est parti à Bruxelles et le vrai pouvoir économique est aux mains des multinationales, c’est entendu. Aussi, n’était-il pas illogique que la presse puisse désormais s’adresser au président en le méprisant. Avec cette interview musclée à l’anglo-saxonne, Emmanuel Macron, Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin ont fait la démonstration que la France n’a plus de président souverain.

Devant les évêques, Macron a respecté la laïcité mais…

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Emmanuel Macron devant les évêques de France, avril 2018. SIPA. 00853713_000004

Dialoguer avec les catholiques et reconnaître les origines chrétiennes de la France ne signifie pas leur accorder le monopole de la croyance. Au collège des Bernardins, devant les évêques de France, le président Macron a respecté la laïcité française. Mais gare à ne pas confondre les origines du pays avec les fondements de notre société, ouverte à toutes les croyances qui reconnaissent la primauté de la loi républicaine.


Les querelles sémantiques sur la loi de séparation des Églises et de l’État et sur la laïcité seront des dialogues de sourds tant qu’on ne se sera pas mis d’accord sur la distinction de base entre, d’un côté, les particuliers membres de la société civile, et, de l’autre côté, l’État et la communauté politique des citoyens.

La séparation des Églises et de l’État signifie qu’en matière de convictions particulières présentes dans la société civile, l’État est neutre et indépendant parce qu’il est l’État républicain de tous et qu’il traite à égalité toutes les convictions

Cette séparation ne trace pas une séparation étanche. Elle ne signifie pas que l’État ne veut rien savoir de ce qui s’exprime librement dans la société civile, et qu’il n’a pas interférer avec ces composantes.

Au contraire, il est conforme à la démocratie libérale que toutes les composantes de la société civile puissent se faire entendre en tant que telles auprès de l’État et dans la sphère publique.

A lire aussi: Macron ne peut pas traiter toutes les religions de la même façon

La confusion qui envenime les débats français vient de l’idéal rousseauiste qui voudrait éliminer les sociétés partielles de la délibération politique, afin que lors des votes les citoyens s’abstraient de leurs appartenances particulières et que chacun ne s’exprime qu’en citoyen soucieux de l’intérêt général.

Cet idéal tourne le dos à la réalité des démocraties libérales : elles sont composées de personnes qui sont à la fois, mais sous deux rapports différents, des particuliers et des citoyens.

Le loup se loge dans l’article 2 de la loi de séparation : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. »

« Ne reconnaît » veut dire simplement ne reconnaît comme privilégié.

L’expression est entendue à contresens quand on lui fait dire qu’aux yeux de la République il n’existe que des citoyens sans particularités.

Cet universalisme républicain a empêché pendant des décennies la République française de reconnaître officiellement que les Juifs de France avaient été victimes de persécutions particulières sous Vichy. On ne voulait pas faire comme Pétain qui avait discriminé les Juifs.

Il est sain de reconnaître le pluralisme interne d’une société démocratique.

Il est certes juste de ne faire aucune différence entre les citoyens membres égaux de la communauté politique en fonction de leurs confessions, de leurs races, de leurs sexes et autres différences. Il est juste de n’assigner personne à une communauté. Il est juste que les communautés se soumettent aux lois, aux valeurs et aux mœurs de la société.

Mais il serait antilibéral de ne pas reconnaître les groupes particuliers et divers qui composent la société civile. Les femmes qui le désirent ont le droit de se faire entendre en tant que telles, les homosexuels aussi, les groupes sociaux, de même que les groupes religieux ou ethniques.

Les responsables de l’État doivent les entendre, et interagir avec eux, sans discrimination ni privilèges.

Emmanuel Macron a raison d’aller chez les cathos, les protestants, les Juifs religieux et les musulmans, de même qu’il a raison d’aller au CRIF dialoguer avec les représentants des institutions juives de France, de même qu’il a raison d’aller à la rencontre des paysans au salon de l’agriculture, ou des salariés qui le lui demandent poliment.

Il reste deux distinctions qui doivent être rappelées à notre président philosophe.

Les origines d’un pays sont une chose, dont on peut cultiver la mémoire. Mais les fondements d’une société sont autre chose que ses origines.

Il suffit que les nouveaux venus adoptent la culture démocratique du pays inscrite dans la Constitution.

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N’accorder aucun privilège à une conviction particulière implique que les croyants n’ont pas de privilège en matière morale. Leur accorder le monopole de la spiritualité, ou même un avantage en ce domaine, signifierait deux choses irrecevables.

– Les croyants auraient plus de poids moral dans les décisions de bioéthique ou d’évolution des mœurs.

– Pour faire face au fanatisme religieux des islamistes conquérants, nous devrions leur opposer une autre foi religieuse.

La croyance spiritualiste, au sens fort du terme, n’est qu’une croyance, sans coefficient moral particulier. Et face à l’islamisme archaïque, nous vaincrons parce que nous sommes libres et que nous tenons à notre liberté de conscience.

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