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Taxe hallal, une idée à abattre


L’Institut Montaigne propose de financer la construction de mosquées par une taxe prélevée sur la vente de viande hallal et les pèlerinages à La Mecque. Si l’ambition de vouloir construire un islam français débarrassé des influences étrangères est louable, la consécration du hallal créerait plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait.


Objet de nombreux débats, les modalités de financement du culte musulman sont décisives tant elles peuvent façonner le rapport de la religion et de ses fidèles à la société française. L’idée d’une « taxe hallal » évoquée de longue date et reprise dans le récent rapport de l’Institut Montaigne, a ravivé les discussions, notamment dans le cadre des « Assises de l’islam » organisées par le ministère de l’Intérieur.

Les difficultés de l’organisation actuelle

Le financement et l’entretien des lieux de culte (construits dans leur ensemble postérieurement à la loi de 1905) sont aujourd’hui fréquemment assurés par les contributions des fidèles. Néanmoins, le financement est parfois complété par des fonds en provenance de l’étranger, ces situations étant source de polémiques, du fait de l’ambition de certains pays ou mouvements d’exercer une influence, directe ou indirecte, sur les musulmans de France.

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Cette influence peut porter sur le dogme en lui-même ou viser simplement à ancrer chez le citoyen français un lien entre l’exercice du culte et ses éventuelles origines. Deux stratégies qui contredisent les objectifs d’intégration et qui expliquent la juxtaposition dans nombre de villes de mosquées « algérienne », « turque », « marocaine », etc., situation qui peut contredire le sentiment général d’un manque de lieux de cultes islamiques en France. Voilà qui peut fragiliser la société française, nombre de musulmans français, et singulièrement ceux d’entre eux nés en France, pouvant se sentir, implicitement, invités à vivre leur culte à travers leurs origines ; comme si l’islamité de citoyens français était fondamentalement exogène à notre société.

De surcroît, dans ce contexte de rapports d’influence, des accords plus ou moins explicites d’élus locaux avec des courants religieux poussent parfois les collectivités à accorder des baux emphytéotiques ou des garanties sur des prêts, en contournant la loi de 1905 sur l’autel d’un périlleux clientélisme.

Des taxes ou redevances privées « hallal » et « pèlerinage » ?

Afin de répondre à ces difficultés, il est régulièrement proposé de mettre en place un financement fondé sur le prélèvement d’une taxe sur les produits hallal, voire sur le prix des pèlerinages à La Mecque. Au-delà des obstacles pratiques et juridiques que cette modalité poserait, cette idée suppose qu’il existe d’importants besoins de financement. Cet élément est-il réellement objectivé ? En outre, prétendre à une exceptionnalité du culte musulman en France qui, en raison de son développement postérieur à 1905, nécessiterait un appui particulier pour financer un rattrapage en matière d’équipement, est un raccourci un peu rapide. Le culte bouddhiste ou les églises orientales ont fait face à des difficultés similaires et répondu en proportion au besoin de construire des lieux de culte en s’appuyant sur les dons de leurs fidèles.

Par ailleurs, mettre en place cette taxe repose sur un parti pris politico-religieux : que la consommation de viande hallal constitue une norme pour l’islam de France. Rien ne l’indique pourtant : il ne revient pas aux pouvoirs publics de prendre une position, même indirecte, sur ce point.

Quelles solutions pratiques ?

Les solutions découlent de l’objectif. Ce dernier est clair : permettre aux musulmans de France de vivre leur foi librement, en tant que citoyens français musulmans. Choisir de construire une pratique française de l’islam signifie la détacher – et même la protéger ! – des politiques d’influence extérieures. Il s’agit, sans détour, d’interdire les financements étrangers pour l’ensemble des cultes et de refuser les financements ou appuis indirects. Mettre fin aux financements de fondations ou gouvernements encourageant l’extrémisme ne pourra qu’aller dans le sens de la sécurité nationale et de l’intégration sociale. Couper le cordon ombilical avec les « pays d’origine » incitera les fidèles à s’organiser en fonction de leur bassin de vie cultuelle et non en fonction d’incitations venues du lointain.

Au fond, il n’existe pas de meilleure solution aux difficultés de l’islam de France que de lui accorder la normalité à laquelle il aspire. Cela signifie consolider le système du financement des lieux de culte musulmans de France par les musulmans de France. Il convient précisément de les y encourager en leur apportant des garanties de transparence – c’est là que les pouvoirs publics peuvent jouer leur rôle d’accompagnement.

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Les associations souhaitant construire ou gérer une mosquée devront ainsi être conduites à professionnaliser leur comptabilité, l’affectation de chaque don devant être tracée (certaines associations ont déjà un niveau de professionnalisation important). Le niveau local avec des circuits courts paraît être le bon niveau d’identification des besoins de financement : les projets pourront émerger si et seulement si un véritable besoin apparaît au niveau local. Les ambitions consistant à salarier l’ensemble des imams à un niveau global ne paraissent pas répondre aux craintes auxquelles elles sont censées répondre : la formation des imams français en France, déjà largement pratiquée, n’est nullement un gage de non-radicalité.

Le niveau national ou régional semble, en revanche, le plus pertinent pour le recueil, la gestion et le décaissement des dons qui transiteraient de façon fléchée et contrôlée à travers ces structures. Un suivi budgétaire et comptable particulier associant État, collectivité et associations cultuelles apporterait aux fidèles un degré élevé de confiance. Reconnues d’utilité publique, elles pourraient recevoir des dons déductibles de l’imposition.

Les pouvoirs publics joueraient ainsi leur rôle : traiter de la même manière l’ensemble des cultes, fixer les règles, les faire respecter et offrir des alternatives robustes aux influences étrangères ou radicales sur le territoire français. Et l’islam de France serait entre les mains des seuls musulmans de France.

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Du nouveau dans le Beaujolais!


Le beaujolais nouveau, phénomène marketing permettant d’écouler des millions de bouteilles en quelques jours, a failli tuer les grands crus du Beaujolais. Grâce à quelques pionniers, ceux-ci sont en pleine renaissance. Au cœur de la Toscane française, des vignerons passionnés transmettent ces cépages enchanteurs dignes des meilleurs bourgognes.


Le Beaujolais est un cas d’école que l’on devrait enseigner à HEC. Comment une région aussi belle peut-elle demeurer aussi méconnue ? Comment des vins aussi éclatants, que l’on vendait naguère au même prix que les grands crus de Corton en Bourgogne, peuvent-ils continuer à traîner une réputation de petits vins de comptoir ?

Peu de gens sont d’ailleurs capables de dire où se trouve le Beaujolais sur la carte (du sud de Mâcon aux monts du Lyonnais qui jouxtent la capitale des Gaules). La première chose qui frappe, quand on y va, c’est la beauté des paysages, leur douceur, leur lumière. Le matin, quand il faut beau, l’air picote et on aperçoit au loin le mont Blanc. Certains villages médiévaux perchés sur des collines sont dignes de la Toscane (comme Oingt, dans les Pierres dorées, ou Vaux-en-Beaujolais, qui inspira Clochemerle à l’écrivain lyonnais Gabriel Chevallier en 1934). En se laissant porter le long des routes sinueuses, on recense pas moins de 150 châteaux, tous plus magnifiques les uns que les autres (dont un hanté, le château de Bagnols, qui a été transformé en hôtel : la nuit, les clients japonais hurlent de terreur, allez-y, ça vaut le coup !). Loin de nos campagnes désertes, ce pays est toujours vivant, chaque village ou presque possédant son école, son bureau de poste, son bistrot et ses commerces. Depuis quelques années, de plus en plus de jeunes s’y installent, qui pour créer un délicieux restaurant (comme Joséphine à table, à Saint-Amour), qui pour fonder une chambre d’hôte de charme (comme le château de Briante à Saint-Lager).

Du fait du réchauffement climatique, le Beaujolais dispose aujourd’hui d’un potentiel énorme. Les amateurs du monde entier en ont marre de boire des gros vins. Ils veulent de la finesse et de la fraîcheur. Or, le gamay noir à jus blanc, qui prospère sur des sols pauvres vieux de trois cents millions d’années (granit et schiste), est un cépage exceptionnel qui offre l’avantage de donner au vin des tannins légers. Faible en alcool, digeste, long, éclatant, sans lourdeur en bouche, il développe au fil des ans (s’il est bien travaillé !) des parfums troublants de rose fanée, de cerise, de poivre et de safran (comme à Fleurie et à Morgon). En prime, il s’allie avec la grande cuisine (c’était le vin préféré de Bocuse) !

Piron, le sage de Morgon

Pour comprendre comment le beaujolais a pu descendre si bas de réputation, une plongée historique s’impose d’abord chez l’érudit Dominique Piron, à Morgon. Descendant d’une dynastie de vignerons qui remonte à 1590, il est la mémoire vivante de la région. Ses vins gourmands s’arrachent à Hong Kong. « L’économie, ce sont d’abord des hommes, observe-t-il. Or, les vignerons d’ici ne s’entendent pas entre eux, c’est Clochemerle ! Il n’y a pas de rationalité. C’est toujours la faute de l’autre… En fait, il nous faudrait une nouvelle génération d’hommes, des jeunes passionnés, venus d’ailleurs, capables d’investir et de prouver que tout ne se ramène pas ici au beaujolais nouveau, mais que nous avons des terroirs capables de produire des grands vins : avant-guerre, moulin-à-vent se vendait aussi cher que les grands crus de la côte de Nuits… »

Ah ! Le beaujolais nouveau. Que n’a-t-on pas dit à son sujet ! Au départ, pourtant, c’était une excellente idée, et aujourd’hui encore, c’est un vin plein de charme qui ouvre les portes du royaume (c’est en le goûtant, à l’âge de 8 ans, que me vint l’amour du vin). Dominique Piron connaît bien cette histoire : « C’est une invention de l’après-guerre, quand les vignobles étaient tous à la ramasse en France. Personne ne buvait de grands vins alors ! C’était la disette. Un jour, à la fin des années 1950, un négociant a livré du beaujolais nouveau à Paris, aux Halles, où on s’est mis à le servir dans tous les bistrots du quartier. C’était un vin jeune, fruité, facile à boire et désaltérant, bon pour l’ouvrier comme pour le bourgeois. » Le grand Jules Chauvet lui-même, qui était à la fois négociant et microbiologiste (il fut le premier à dénoncer l’emploi de la chimie, du sucre et du soufre dans le vignoble) faisait un beaujolais nouveau très délicat (neuf degrés d’alcool) dont raffolait De Gaulle à l’Élysée. Piron poursuit, intarissable : « Dès 1965, les Anglais furent les premiers à faire la promotion mondiale de ce vin typiquement français. Le matin du 15 novembre, ils venaient de Londres en avion, en voiture et en moto pour faire la fête dans nos villages. Après trois jours de beuverie, ils rentraient le coffre rempli de vins… On a vu des gens sauter en parachute au-dessus de Londres avec un carton dans les bras… Une folie ! Grâce à la télévision, cet engouement s’est propagé partout dans le monde. Georges Duboeuf et Paul Bocuse ont été des ambassadeurs de choc et, pour le beaujolais nouveau, les années 1970-1990 ont été les “Vingt glorieuses”. Mais on a été dépassé par un mouvement que l’on n’avait pas créé et le beaujolais nouveau est devenu un obstacle au progrès, c’est-à-dire au développement de nos grands crus : qui voudrait faire des grands vins de garde quand on vend 25 millions de bouteilles de primeur en trois jours ? La tentation est trop grande… »

Avec le recul, on constate toutefois que cette normalisation du beaujolais a rendu possible en réaction l’émergence de vignerons anarchistes et rebelles, grandes gueules et bagarreurs, comme le légendaire Marcel Lapierre, dont nous avons eu l’honneur d’être l’ami – si 10 000 personnes ont assisté à ses obsèques en 2010, c’est sans doute parce que sa séduction et son discours allaient bien au-delà du vin. Disciple de Jules Chauvet et chef de file des tenants du « vin naturel » sans soufre ajouté, Lapierre s’est construit contre les maisons de négoce en misant sur le côté artisanal et le retour à la nature. Toute l’histoire du beaujolais de ces quarante dernières années s’est finalement édifiée autour de ces deux « frères ennemis » (mais finalement complices, car l’un se nourrissant des excès de l’autre), également charismatiques : Georges Duboeuf et Marcel Lapierre…

Piron conclut en expliquant pourquoi le beaujolais ne s’est pas développé : « Il faut remonter au xixe siècle. Lyon était alors une ville prospère grâce à l’industrie de la soie. Tous les industriels lyonnais ont investi dans le Beaujolais pour se faire construire des châteaux. Ils ont créé des lignes de chemin de fer et acheté des vignes dont ils ont confié la culture à des métayers. Quand les années glorieuses sont arrivées, ils ont encaissé l’argent, mais sans investir à nouveau. Résultat, l’outil de travail est vieux, et le vignoble en mauvais état. Contrairement aux Bordelais et aux Champenois, les Lyonnais n’ont pas assumé leur rôle de leaders économiques, alors qu’ils auraient dû faire du Beaujolais une région viticole de premier plan. On manque même de vignerons ! Je lance donc un appel aux jeunes : venez dans le Beaujolais, on vous aidera ! »

Jean-Paul Brun le pionnier des vins de terroir

Servez son Fleurie Grille-Midi à l’aveugle, et vous verrez la tête de vos convives, persuadés qu’il s’agit d’un rare Chambolle-Musigny… Brun est un orfèvre. Mais c’est surtout un paysan qui n’aime pas trop s’exprimer et qui préfère laisser ses vins parler à sa place ! On l’a donc un peu torturé pour lui arracher trois mots : « Je me suis installé ici, à Charnay, dans les Terres dorées, en 1979. Mon père avait quatre hectares de vigne avec des céréales, des moutons, des cochons, des vergers. J’ai vite arrêté la polyculture car, quand on est fermier, on ne réfléchit pas. Moi, je voulais faire du bon vin. À l’époque, c’était la décadence du beaujolais, il n’y en avait que pour le beaujolais nouveau… Il n’y avait pas de notion de vin d’auteur, comme en Bourgogne. Quand j’ai commencé, je suis allé faire goûter mes vins à Paris, où j’ai rencontré Steven Spurrier, un expert britannique, marchand de vins français et fondateur de l’Académie du vin, à Paris, il a tout de suite aimé mon vin blanc. En 1985, je suis allé vers un style de vin à la bourguignonne, en égrappant. Je voulais faire des vins de terroir et de garde. » Il n’a pas changé de voie depuis. Qu’ils soient de Fleurie, de Morgon ou de Saint-Amour, ses vins n’explosent pas en bouche, mais restent toujours purs et délicats, avec un léger parfum de ronce.   (Brun est réputé pour son beaujolais blanc, à base de chardonnay, cultivé sur sols calcaires, un vin étincelant, avec de la chair, délicieux sur une belle volaille à la crème !). « Le problème des vins de fruit, auxquels on a réduit les beaujolais, c’est qu’on peut en faire partout, dans n’importe quel pays, alors qu’un vin de terroir exprime un lieu unique. » Tout est dit, Jean-Paul. À Paris, on trouvera ses nectars chez Philovino, dans le 9e arrondissement (de 12 à 30 euros).

Domaine des Terres dorées, 565, route de Alix, 69380 Charnay. Tél. : 04 78 47 93 45

Fabien Duperray, le perfectionniste

Quand on va voir Fabien Duperray, à La Chapelle-de-Guinchay, non loin de Mâcon, on a le sentiment de rencontrer Marlon Brando dans Apocalypse Now. L’homme est massif, imposant, orgueilleux, ombrageux… Mais quel raffinement ! Il y a trente ans, Fabien était marchand de vin en Bourgogne. « Les Bourguignons ont un rapport particulier à la terre. Ils te mettent à l’épreuve pour voir si tu es digne de leur confiance. » Mais son rêve d’enfance est de devenir vigneron. « Un jour, j’ai découvert que le beaujolais était une mine d’or sous-exploitée. En fait, c’est même l’un des vignobles du monde les plus difficiles à travailler : peu d’argile dans les sols (l’argile est utile pour fixer les matières organiques), les vignes sont taillées en gobelet, très proches les unes des autres, on ne peut donc pas passer le tracteur ou le cheval pour labourer dans les rangs… Le gamay, de son côté, est un cépage très fragile et sensible à la microbiologie (une bactérie ou une mauvaise levure suffit à pourrir une vendange !). Il n’aime pas non plus l’oxygène qui le détruit. Il faut donc des raisins parfaits, sains et propres, à l’abri de l’oxygène. Faire du bon beaujolais est un travail de tous les jours ! »

En créant son domaine en 2007, notre gaillard n’avait qu’un objectif : prouver qu’on peut faire dans le Beaujolais des vins aussi complexes qu’en Bourgogne. « Autrefois, les vignerons attendaient trente ans pour servir un vin de Fleurie ou un moulin-à-vent ! » Or, les siens peuvent rester jeunes très longtemps, ce qui n’est pas le cas des pinots noirs de Bourgogne. Ils possèdent de surcroît un côté vaporeux et un charme qui illustrent bien ce que disait Jules Chauvet au sujet de sa région : « Toute la nature, avec ses parfums, sa lumière, ses infinis, le repos du soir, l’enthousiasme du matin. »

Fabien a opté pour une viticulture du vivant : pas de désherbants, pas de molécules chimiques, peu de cuivre, labours au cheval, pas de chaptalisation, pas de soufre pendant la fermentation, pas trop de bois neuf (ça maquille le vin). Ses vignes ont une énergie folle, après la grêle, les bois blessés cicatrisent. On trouve ses vins chez les plus grands chefs (Pierre Gagnaire, David Toutain, La Tour d’argent) et aux caves Legrand à Paris (de 30 à 50 euros).

Château du Moulin-à-Vent : la renaissance

Sur les 12 appellations que compte le beaujolais, moulin-à-vent est la plus célèbre, celle qui passe pour donner les vins les plus concentrés et les plus aptes au vieillissement. Toujours intact, un moulin à vent du xve siècle a donné son nom au cru, créé à l’origine par les Romains. Le château du Moulin-à-Vent où nous nous sommes rendus date du xviiie siècle. Depuis 2009, la famille Parinet, d’origine parisienne, a fait ce que les Lyonnais n’ont jamais daigné faire : mettre le paquet pour produire des grands vins de terroir, comme avant-guerre… Jean-Jacques Parinet (le père), Édouard (son fils) et Brice Laffond (leur chef de culture et maître de chai) forment une équipe inspirée. Très vite, leur engagement a porté ses fruits. « Ici, le climat est venteux, ce qui permet de nettoyer et concentrer les raisins, nous explique Édouard. Le granit est à la surface, les argiles en profondeur. Comme les moines cisterciens, nous avons recensé sur notre domaine 60 lieux-dits, 17 terroirs différents, une vraie mosaïque de sols… »

Les meilleures parcelles ont été isolées et cultivées en biodynamie. Les Parinet proposent ainsi six cuvées différentes, ayant chacune un caractère particulier. Les vins sont élevés deux ans dans les caves voûtées du château qui datent de 1732. La cuvée « La Rochelle », issue de très vieilles vignes de 80 ans exposées plein sud est un vin complexe, riche et fin, très long, très frais, qui convaincra les plus sceptiques… (31 euros la bouteille)

Grigny, la banlieue rouge qui sniffe vos impôts


Minée par la pauvreté, l’insécurité, le trafic de drogue et le communautarisme, la ville de Grigny, dans l’Essonne, est un symbole du malaise des banlieues. Pourtant, depuis plus de trente ans, elle est sous abondante perfusion de l’Etat. Placée sous tutelle pour surendettement, la municipalité communiste soigne ses clientèles électorales au risque de couler la ville. Enquête. 


C’était il y a un peu plus d’un an, le 16 octobre 2017. En conclusion des États généraux de la politique de la ville, un collectif d’élus de banlieue lançait un vibrant appel à la solidarité nationale, au nom des quartiers en déshérence, oubliés par la République. Ils le faisaient depuis une des communes les plus défavorisées de France, Grigny. Située dans l’Essonne, à 23 km au sud de Paris, cette ville de 28 000 habitants comptait, en 2015, 45 % d’habitants en dessous du seuil de pauvreté, selon l’Insee. Dans la plupart des écoles primaires et maternelles, les élèves « allophones » (qui ne parlent pas français) représentent entre la moitié et les deux tiers des effectifs. Les Grignois des années 1950 ne reconnaîtraient pas leur village. Il a été bouleversé par deux immenses ensembles de logements collectifs construits à la fin des années 1960 : la Grande Borne (3 700 logements sociaux à l’origine, un peu moins aujourd’hui) et Grigny 2, gigantesque copropriété privée de 5 000 logements, aujourd’hui lourdement endettée.

Sur le site Ville-ideale.fr, les avis laissés par les internautes valent à Grigny une note de 3,13/10, assortie d’appréciations désastreuses. « Ville insalubre, invasion de rats, surtout côté gare Grigny-centre. Vendeurs en tout genre, dealers de drogue, alcooliques, des déchets partout. Pas de commerce, le parking Casino est une casse-auto. Impôts locaux exorbitants », commente Exgrinois91, le 6 octobre 2018. Dans un avis laissé en mai 2018, l’internaute Adieu91350 relève un seul point positif : « Le RER D, enfin quand il fonctionne bien, et c’est très, très rare. »

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En arrivant un matin ensoleillé, précisément par le RER D, la première impression n’est pourtant pas si mauvaise. L’architecture des immenses barres de Grigny 2 est très datée, façon Trente Glorieuses, mais elles sont posées sur un coteau boisé qui domine le lac de Viry-Châtillon. La gare est propre et moderne. Elle a été entièrement rénovée en 2004. Quand à la Grande Borne, elle déçoit en bien, comme disent les Suisses. L’architecte Émile Aillaud avait dessiné des serpentins de plusieurs centaines de mètres de longueur, mais comptant seulement deux à quatre étages. Ils ont été partiellement détruits et rénovés. Il en reste des ensembles de taille raisonnable, entourés d’espaces verts. Grigny respire. Économiquement, ce n’est pas le désert. La commune abrite une grande usine Coca-Cola. Et, surtout, elle est proche du pôle logistique d’Orly, du génopôle d’Évry et du pôle de recherche de Massy-Saclay, qui créent des centaines d’emplois chaque année – et tous ne sont pas hyperqualifiés, loin de là.

Quant à la délinquance et aux trafiquants de drogue, ils sont invisibles, du moins sous le soleil. Quand la nuit tombe, toutefois, l’ambiance change. Contacté, Claude Carillo, délégué du syndicat Alliance Police nationale, avait prévenu :

« Un reportage à Grigny 2 et la Grande Borne ? Allez-y le matin.

– Je n’ai pas de caméra, juste un stylo, je suis discret.

– Vous serez tout de suite repéré comme n’étant pas du quartier, croyez-moi. Votre seule présence risque d’énerver les dealers. »

Selon Sylvie Gibert, le conseil n’a rien de paranoïaque. Élue d’opposition (UDI-Modem) au conseil municipal, également élue départementale, elle vit à Grigny 2 et travaille à Paris. « Cette ville est un crève-cœur. Sur le papier, elle est idéale. Directement reliée à la gare de Lyon, pleine d’espaces verts, avec du foncier disponible… » Et des appartements pas chers. Entre le 12e arrondissement de Paris et Grigny-centre (40 mn de RER), les prix de l’immobilier sont divisés par huit. Un grand T4 à Grigny 2 vaut moins de 100 000 euros, contre 800 000 euros près de Bastille. Si les acheteurs ne se bousculent pas, c’est parce que la crise du logement, en région parisienne, est aussi une crise de la sécurité et du cadre de vie. « Quand je rentre le soir, le parvis de la gare RER est envahi de marchands à la sauvette, déplore Sylvie Gibert. Le parking du supermarché, juste en face, a longtemps été occupé par des dealers et des prostituées. Ça va mieux en ce moment, mais Grigny traîne une image très dégradée, à juste titre. »

Le supermarché en question est vide. En septembre 2016, lassé par les vols en bande organisée et la violence, le groupe Casino est parti. Ne reste plus qu’une poignée de commerces ethniques, occupant un tiers à peine de la galerie marchande. La destruction de l’ensemble est envisagée. « Ce n’est pas si grave ! relativise Philippe Saturnin, gardien d’immeubles à la Grande Borne. Le Leclerc de Viry-Châtillon est tout proche. Honnêtement, en ce moment, ça va plutôt bien, à Grigny. »

Philippe Saturnin a raison. La situation a été pire.

La terrible année 2016

2016 a été une année très difficile. Un événement, en particulier, a marqué les esprits. À cette époque, du trafic de drogue et quelques agressions d’automobilistes sont signalés au carrefour du Fournil, où se croisent la D445 et une rue menant à la Grande Borne. Une caméra de surveillance est installée. Elle est attaquée à la voiture-bélier en septembre. Le 8 octobre, vers 15 h, deux voitures de police sont stationnées à cet endroit sensible. Elles sont prises d’assaut par un groupe d’une dizaine d’individus cagoulés, armés de barres de fer et de cocktails Molotov. Un des véhicules prend feu. Une policière et un auxiliaire de sécurité sont gravement brûlés. À strictement parler, l’attaque se produit sur le territoire de la commune de Viry-Châtillon, mais la bande vient de Grigny. La réaction des autorités est vigoureuse. Les CRS sont déployés à la Grande Borne, qu’un hélicoptère va surveiller pendant des mois, jour et nuit. Des centaines de personnes sont interpellées, plusieurs kilos de cocaïne et une trentaine d’armes sont saisis (dont deux fusils d’assaut). Treize suspects ont été déférés aux assises, cet été, pour l’attaque proprement dite. Ils sont en attente de jugement.

En juillet de cette même année 2016, le Premier ministre Manuel Valls (élu de l’Essonne) reçoit un rapport conjoint des inspections générales de l’administration, de l’Éducation nationale, des Affaires sociales et de la police nationale, dressant le bilan des « politiques publiques mises en œuvre à Grigny ». Sans surprise, le rapport relève que « c’est surtout la résolution des problèmes de sécurité qui apparaît pour tous comme l’une des conditions nécessaires au redressement. L’omniprésence de la délinquance locale, qui impose son “couvre-feu” à l’heure où commencent les trafics de stupéfiants et ralentit les travaux de rénovation des quartiers, constitue une contrainte insupportable. » Ce rapport existe en deux versions. Celle qui a été communiquée au public est édulcorée. Selon un haut fonctionnaire qui a pris connaissance de la version non expurgée, l’expression « couvre-feu » est à prendre au pied de la lettre. En 2016, à Grigny, le trafic de drogue atteint un stade semi-officiel. La mairie, les écoles et les bailleurs savent que, passée une certaine heure, des pans entiers de la commune ne sont plus accessibles au citoyen lambda. Tous s’en accommodent. Des réseaux de trafiquants demandent plusieurs dizaines de milliers d’euros à des dealers, pour l’occupation de quelques halls d’immeubles, dédiés à la revente. Il s’agit d’une sorte de droit au bail informel, en échange d’une garantie de bon climat des affaires. L’économie parallèle amorce une structuration.

Une ville sous assistance depuis 1982

Le rapport de 2016 contient une autre information qui laisse songeur. À Grigny, écrivent les rapporteurs, « l’État a mobilisé les outils de la politique de la ville et ceux de la rénovation urbaine, pour un montant total de plusieurs centaines de millions d’euros ». Selon les élus de banlieue qui ont lancé l’appel d’octobre 2017 (depuis Grigny), cela ne suffit pas. Ils demandaient, et demandent encore, le « doublement du budget de la politique de la ville » pour le porter à un milliard d’euros annuels, la création d’un « fonds d’urgence immédiat de 100 millions pour cent quartiers », ou encore la « suspension immédiate de la réduction des contrats aidés ». En un mot, ils réclament de l’argent, en compensation du « cumul de handicaps extraordinaires » dont souffrent leurs communes.

Toute la question est de savoir à quoi ont servi les sommes jusqu’ici dépensées. En septembre 2015, déjà, Philippe Rio, maire de Grigny, déplorait dans Le Parisien que sa commune soit « oubliée » par l’État. Le discours est rodé, mais il est faux. En réalité, Grigny est sans doute l’une des villes les plus aidées de France, depuis fort longtemps. Dès 1982, la Grande Borne est classée « îlot sensible régional » dans le cadre de la politique de développement social des quartiers (DSQ). La ville reçoit à ce titre des moyens supplémentaires en matière d’insertion et d’éducation, de 1983 à 1990. En 1995, elle bénéficie de la création d’une zone franche urbaine, avec des exonérations fiscales à la clé pour les entreprises. En 2000, Grigny est éligible aux aides des « grands projets de ville ». Dans les six années qui suivent, l’Agence foncière et technique de la région parisienne, l’État et le département investissent près de 75 millions d’euros dans la création d’un collège, d’une maison de la petite enfance, d’une maison de la formation professionnelle et dans de multiples travaux de rénovation.

Entre 2007 et 2019, le quartier de la Grande Borne bénéficie d’un total de 295 millions de subventions, versées par l’Agence nationale de la rénovation urbaine (Anru), le département, la région, l’agglomération, etc. Grigny 2 profite à la même époque de travaux de rénovation pour un total de 95 millions. Plus 9 millions d’euros de subventions en 2016 pour un système de chauffage par géothermie, plus 800 000 euros accordés à la commune pour créer une police municipale la même année et 120 000 euros pour un centre culturel. Et ce n’est pas fini. L’Établissement public foncier d’Île-de-France (EPFIF) prévoit d’investir au minimum 300 millions d’euros à Grigny dans les prochaines années, via une « opération de rénovation des copropriétés dégradées » (Orcod), en rachetant des logements à Grigny 2. Sans oublier la dotation globale de fonctionnement et la dotation de solidarité urbaine (130 millions d’euros en dix ans), versées par l’État aux communes, au prorata de leur richesse. En 2017, Grigny a perçu au titre de ces deux dotations 537 euros par habitant, contre 198 euros en moyenne pour les villes de taille comparable. Au total, la commune a bénéficié ces vingt dernières années d’aides ou d’investissements publics avoisinant 800 millions d’euros, soit quelque 29 000 euros par habitant. « Oubliée » n’est pas le qualificatif qui décrit le mieux sa situation.

Une certaine nonchalance face à l’insécurité

L’essentiel de ces sommes a servi à rénover le bâti, sans enrayer la spirale du déclin. L’organisme de logement social qui gérait la Grande Borne, l’Opievoy, a été dissous fin décembre 2016. Il avait médiocre réputation (gestion hasardeuse, lenteurs incompréhensibles, condamnation à de la prison ferme pour corruption d’un haut dirigeant en 2003…), mais cela n’explique pas tout. Selon Sylvie Gibert, « la ville a été trop passive » face à la montée du trafic de drogue. Elle n’est peut-être pas la seule. En 2012, l’antenne grignoise du commissariat de police de Juvisy a fermé !

Le contexte local est parfois déconcertant. « Un adjoint au maire chargé de la prévention et de la sécurité dont les frères sont impliqués dans des affaires de drogue, c’est impensable, sauf à Grigny », constate Claude Carillo. L’adjoint en question, Saïd Laatiriss, a rendu sa délégation mi-octobre, sans quitter le conseil municipal. Son intégrité n’a pas été mise en cause, mais sa situation devenait effectivement compliquée. En septembre 2017, un de ses frères, Mustapha, est arrêté en possession de 30 kg de cannabis. Un an plus tard, c’est au tour de son autre frère, Hassan, d’être interpellé dans une histoire sordide de planque de drogue à la Grande Borne (voir article « L’art, le vivre-ensemble, les dealers et le tueur »).

Syndic bénévole à Grigny 2, ancien conseiller municipal, Daniel Mourgeon déplore aussi une certaine nonchalance des élus et de la préfecture face aux marchands de sommeil, devenus une calamité dans certains secteurs de Grigny 2. Ils achètent de grands appartements et les louent à la pièce, voire au lit, souvent à des sans-papiers. « Nous avons signalé le problème, explique Daniel Mourgeon. La préfecture nous a fait savoir qu’elle n’avait pas de texte sur lesquels s’appuyer, ce qui est faux. » La loi Alur de décembre 2016 a ciblé explicitement les marchands de sommeil, mais elle ne comblait pas un vide. Loi de 1850 sur l’habitat insalubre, loi du 25 mars 2009 sur l’habitat indigne, décret du 30 janvier 2002 sur le logement indécent… Les outils ont toujours existé. Encore fallait-il les utiliser.

Autre motif de surprise, la police municipale. Ou plutôt, son spectre. En 2016, la ville de Grigny a reçu de l’État une subvention de 800 000 euros pour recruter une équipe de cinq policiers municipaux, cinq agents de surveillance de la voie publique (ASVP) et deux administratifs. L’année 2018 se termine, les agents ne sont toujours pas recrutés. La mairie nous explique par écrit qu’elle rencontre « de réelles difficultés pour trouver ces professionnels de la sécurité. Grigny n’est pas dans la priorité des candidats qui n’ont que l’embarras du choix », de très nombreuses villes franciliennes cherchant des agents. « Le nombre de postes ouverts est bien supérieur au nombre de candidats et le marché de l’emploi est très tendu », ajoute la mairie, qui envisage de « faire appel à un cabinet de recrutement », nonobstant le taux de chômage local, deux fois supérieur à la moyenne nationale… Un policier municipal en poste dans une autre ville de la grande couronne parisienne avance une autre explication : « Les policiers municipaux se demandent jusqu’où les élus de Grigny les soutiendraient en cas de pépins dans les cités. »

Il est surprenant que la municipalité ne saute pas sur cette occasion de recruter, alors que, depuis des années, la chambre régionale des comptes lui demande de réduire ses effectifs. Très lourdement endettée, Grigny est sous tutelle de la préfecture depuis 2003. Le plan de redressement pluriannuel s’éternise. Dans un délibéré du 29 juin 2018, la chambre régionale des comptes d’Île-de-France rappelle qu’« aucune réponse durable à l’insuffisance de sa capacité d’autofinancement ne pourra être apportée sans que soit mise en vigueur une véritable maîtrise des dépenses de personnel ». En 2017, les charges annuelles de personnel par habitant se montent à 1 000 euros à Grigny, contre 762 euros pour les communes de taille comparable, soit 31 % de plus. La municipalité rétorque que « le poids budgétaire de certaines politiques, en matière d’éducation par exemple, est sans commune mesure à Grigny par rapport à la moyenne des villes ». Indéniable. Près d’un tiers de la population a moins de 14 ans, contre 18 % en moyenne nationale. Cela signifie plus de charges et moins de recettes, les finances locales étant de surcroît plombées par la pauvreté des ménages. Un tiers d’entre eux seulement est imposable. Une solution consisterait à faire venir des familles plus aisées, en encourageant la construction et l’accession à la propriété. Ce n’est pas la place qui manque. La densité de Grigny (5 800 habitants/km2) est comparable à celle de Boulogne-sur-Mer, largement inférieure à celle de Nancy ou de Grenoble (7 000 et 8 000 hab/km2 environ). En marge des grands ensembles, il reste des secteurs paisibles. En 2009, un vaste programme de construction « cœur de ville » a été lancé. Il avance très lentement. La construction de logements en général marque le pas, à Grigny. Sur les cinq dernières années (2013 à 2017), la ville a délivré seulement 133 permis de construire. Les communes limitrophes ont été beaucoup plus dynamiques : 921 à Fleury-Mérogis, 691 à Viry-Châtillon, 321 à Ris-Orangis. Manque de promoteurs ? Pas vraiment. Kaufman et Broad s’est intéressé à Grigny, avant de jeter l’éponge. Il est permis de se demander si ce n’est pas la mairie, PCF depuis la Libération, qui se méfie des propriétaires, susceptibles de mal voter. Elle ne serait pas la seule. Villetaneuse, autre bastion PCF, en Seine-Saint-Denis, a autorisé la construction de 148 logements seulement en cinq ans. Maire en poste à Grigny, Philippe Rio a été élu au premier tour en 2014. Il sait compter. Sur les listes électorales, 10 169 électeurs étaient inscrits. L’abstention a atteint 51 %. Restaient 4 968 votants. La liste PCF a triomphé avec 2 442 voix. Quelques lotissements suffiraient à inverser le rapport de force.

La fin d’une époque ?

Tout à fait dans la ligne de l’« Appel de Grigny », le plan pour les banlieues de Jean-Louis Borloo, « Vivre ensemble, vivre en grand », a reçu un accueil polaire de la part du gouvernement en mai 2018. Schématiquement, il proposait de poursuivre la politique de la ville en lui accordant davantage de moyens. Le cas de Grigny suggère que l’heure est peut-être venue d’évaluer l’efficacité des mesures mises en œuvre avant de les refinancer. Un dealer reste un dealer, même au pied d’une tour fraîchement ravalée. À quoi sert un beau parvis de gare, quand il est rempli de vendeurs à la sauvette et de toxicomanes, dès la nuit tombée ? Figure obligée de la politique de la ville, la perfusion d’art dans les cités appellerait aussi une évaluation. La bonne volonté du secteur associatif n’est pas en cause, ses animateurs se contentant en général de salaires au plancher, mais quel est le bilan ? La question, en définitive, se pose pour toute la politique de la ville. Et elle se reposera avec insistance dans les années qui viennent.

L’interminable chute

1967-1972 : Construction de Grigny 2 (5 000 logements), une des plus grandes copropriétés privées de France, ainsi que de la Grande Borne (3 775 logements), vaste ensemble d’immeubles de logements sociaux constitués de dizaines d’immeubles de deux à quatre étages.

1975 : Ex-village de 3 000 habitants, Grigny atteint 27 000 habitants, chiffre inchangé quarante ans plus tard.

Années 1980 : Exode massif des classes moyennes, 750 logements de la Grande Borne sont déclarés insalubres, pour cause de malfaçons.

1999 : Caroline Mangez, journaliste à Paris-Match, publie La cité qui fait peur, chez Albin Michel, résultat de trois mois en immersion à Grigny. Le livre déclenche une vive polémique, rapidement étouffée.

2005 : La part des mineurs d’origine étrangère dépasse 70 %.

2006 : Le revenu médian par ménage est inférieur à 10 000 euros. Grigny pointe dans les 40 communes de plus de 50 foyers les plus pauvres de France.

2009 : La ville a cumulé 15 millions de dettes, soit un tiers de son budget.

2012 : Claude Vasquez, maire PCF depuis 1987, successeur d’André Rodriguez (1974-1987), passe la main à son premier adjoint Philippe Rio (PCF), reconduit au premier tour en 2014. Depuis la Libération, la ville a eu seulement quatre maires, tous communistes.

Septembre 2015 : L’État missionne l’ancien préfet Michel Aubouin pour un audit général des politiques de la ville à Grigny.

Juillet 2016 : Le gouvernement annonce un plan d’urgence pour Grigny.

Septembre 2016 : Peu convaincu par le plan d’urgence, le groupe Casino ferme son hypermarché. Grigny se retrouve quasiment sans commerce de proximité.

Octobre 2016 : une bande de la Grande Borne attaque et incendie deux voitures de police, en plein jour. Une policière et un adjoint de sécurité sont gravement blessés. Treize suspects sont renvoyés aux assises en juillet 2018.

2017 : La police multiplie les opérations à la Grande Borne, avec plusieurs centaines d’interpellations à la clé.

2018 : L’établissement public foncier d’Île-de-France rachète des appartements par dizaines à Grigny 2, dans le cadre d’une opération de requalification des copropriétés dégradées (Orcod).

Wikipedia, la guerre de l’opinion majoritaire

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Présentée comme une « encyclopédie », dont l’objectif serait de synthétiser la connaissance, Wikipedia est le terrain d’une bataille incessante entre ses contributeurs, qui sont bien souvent des militants…


Créée aux Etats-Unis en 2001 par Jimmy Wales et Larry Sangers, Wikipedia, disponible en plus de 300 langues, reçoit chaque mois plusieurs centaines de millions de visiteurs. Cette encyclopédie en ligne est, selon ses propres termes, « en libre accès, en lecture comme en écriture, c’est-à-dire que n’importe qui peut, en accédant au site, modifier la quasi-totalité des articles ». Assumés par des volontaires assistés par des automates, les contrôles se font seulement a posteriori. Ce gigantesque chantier collaboratif voit fleurir chaque jour des centaines de canulars et de tentatives de falsifications grossières, en général repérées et éradiquées rapidement. Il donne aussi lieu à une guérilla sourde, dans les nombreux secteurs de la connaissance où la frontière entre les faits et les opinions n’est pas facile à tracer. Donner le ton de Wikipedia, c’est marquer un point dans la bataille de l’opinion. 

La « controverse » du riz doré

Prenons l’exemple du riz doré. La page en anglais consacrée à cet aliment nous apprend qu’il s’agit d’une variété de riz génétiquement modifiée pour la rendre plus riche en vitamine A. La carence en vitamine A tue plus de 560 000 enfants de moins de cinq ans, et en rend un demi-million aveugles chaque année, dans les pays en voie de développement.

L’article consacre quelques paragraphes aux « controverses », qui sont une rubrique à part entière sur Wikipedia. Greenpeace est citée comme une organisation opposée aux OGM en général et au riz doré en particulier, tout comme Vandana Shiva. L’activiste indienne et l’association remettent en cause le principe et l’efficacité du riz doré : il ne comblerait pas, à lui seul, les carences en vitamine A et donnerait trop de pouvoir aux multinationales qui contrôlent les brevets. Le lecteur non averti quitte la page en retenant que le riz doré, qui n’est pas encore cultivé à grande échelle, a des avantages, sans être une solution miracle, et que la recherche se poursuit.

Changement radical de ton sur Wikipedia francophone. Ici, les controverses prennent toute la place. La page s’ouvre d’ailleurs par un avertissement : « Cet article ne respecte pas la neutralité du point de vue. Considérez son contenu avec précaution. » De nombreux passages en français sont absents de la version en anglais, dont celui-ci : « En février 2009, un groupe de scientifiques et d’universitaires ont signé une lettre ouverte dénonçant des expériences sur le riz doré effectuées sur des enfants (…) alors que de nombreux éléments suggèrent que les produits testés peuvent être toxiques et provoquer des malformations congénitales » ! Sur la page en anglais, on apprend au contraire que la Food and Drug administration américaine a autorisé le riz doré à la consommation en mai 2018, le jugeant sans risque.

« Il y a un grave problème de neutralité sur cet article »

Wikipedia laisse en ligne l’historique des transformations successives des pages et des discussions entre les contributeurs. Concernant le riz doré, les échanges n’opposent pas des anti et des pro-OGM, mais des anti-OGM et des contributeurs qui tentent de garantir la neutralité de la page. « L’introduction devrait se focaliser sur des données factuelles et sourcées et pas sur des expressions d’opinion », écrit Fdardel. « Il y a un grave problème de neutralité sur cet article », renchérit 6monbis, « la section sur les prix Nobel est clairement rédigée pour discréditer la lettre ».

La lettre en question, signée de 107 prix Nobel, date de juin 2016. Elle protestait contre la campagne anti-riz doré de Greenpeace. L’article de Wikipedia en français suggère que les chercheurs ont été manipulés par Monsanto, sur la base d’un article du Monde et d’un article du quotidien québécois Le Devoir. Pour taxer 107 Nobel de naïveté, c’est un peu léger. L’insinuation ne figure pas dans l’article en anglais.

Vérité à géographie variable

Wikipedia supprime régulièrement des articles. Celui consacré au riz doré pourrait disparaitre ou se fondre dans les pages « riz génétiquement modifié » et « organismes génétiquement modifiés« , où les contributeurs anti-riz doré sont déjà actifs ! Qui sont-ils ? Probablement des militants sincères, qui écrivent le soir et les week-ends (les interventions sont horodatées). Le contributeur Freakyvore a travaillé jusqu’à 3h43 la nuit du dimanche 13 mai 2018 pour dire tout le mal qu’il pensait du riz doré.

Malgré les efforts de ses modérateurs en faveur d’une connaissance universelle, Wikipedia reflète et entretient un particularisme local. Le sentiment anti-OGM est répandu en France et une lecture rapide de Wikipedia dans notre langue peut le conforter. Les Américains mangent des OGM et Wikipedia leur suggère qu’ils peuvent le faire en confiance. S’il existe une traduction en français de l’article « GMO conspiracy theory » (« théorie du complot sur les OGM »), nous ne l’avons pas trouvée. Elle serait sans doute assaillie instantanément par des contributeurs anti-OGM. Ces derniers restent très motivés, bien que les OGM soient utilisés sans incident depuis plus de quinze ans dans de très nombreux pays. Le détail des surfaces cultivées est sur Wikipedia, mais comme le site le prouve chaque jour involontairement, il ne suffit pas de mettre des informations en ligne pour que ceux qui en ont le plus besoin en prennent connaissance.

Opposition algérienne: Bouteflika ne verra pas le « Printemps »

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En route vers un cinquième mandat, le président algérien Abdelaziz Bouteflika ne rencontrera probablement pas une opposition politique suffisante pour l’inquiéter. Pour l’heure, elle semble trop dispersée…


Pour parler de l’Algérie, on parle souvent de son président, Abdelaziz Bouteflika. Mais qu’en est-il de l’opposition ? Et d’abord existe-t-elle ? Dés l’indépendance, le Front de Libération nationale (FLN) fut le seul parti autorisé. Tous les mouvements de contestation (socialistes, kabyles, communistes, républicains modérés…) furent éradiqués en utilisant tous les moyens possibles : tortures, arrestations, exils forcés, meurtres, etc. Bachir Hadj Ali, le leader du Parti communiste algérien eut même le malheur d’être arrêté et torturé à deux reprises : par la France coloniale puis l’Algérie de Boumediene…

Immobile depuis 1991

En 1989, la nouvelle constitution accorde la vie à d’autres partis. Résultat : le Front islamique du Salut (FIS), mené par Ali Belhadj et Abbassi Madani, arrive en tête des municipales de 1990, en prenant notamment Alger la blanche devenue bien noire. On connaît la suite l’armée arrête le processus électorale de 1991 et s’ensuivent onze et longues années de guerre…

A lire aussi: Bouteflika, candidat post-mortem?

Depuis, l’opposition végète et engrange les « Palestro électoraux ». Elle dirige bien quelques mairies et revendique en moyenne environ un tiers des députés. Mais comme relève, c’est bien peu. La personnalité d’Abdelaziz Bouteflika mais aussi le manque de leader, tant au niveau intellectuel que politique, l’émiettement de l’électorat et la peur d’une énième aventure comme celle du FIS, expliquent cet immobilisme. Et le pétrole arrose les assiettes à défaut de créer des emplois. Une dose de chauvinisme antimarocain ou antifrançais réveille parfois l’opposition, lorsque ça va très mal, mais on est loin du « un seul héros le peuple », immortalisé par René Vautier.

Les dissidents du FLN

Pourtant les opposants existent, certains plus légitimes que d’autres. A commencer par le Front des Forces socialistes qui apparaît comme l’opposant historique depuis 1989. Créé le 29 septembre 1963, le parti est une des émanations de la résistance algérienne au colonialisme français. Membre de la seconde Internationale, son créateur n’est autre que « l’intellectuel des neuf chefs historiques » de l’insurrection de 1954, le Kabyle Hocine Ait-Ahmed. Opposé à Ben Bella, le parti est la version « girondine » de la révolution de 1962 : social-démocrate, décentralisateur et viscéralement attaché à la démocratie, aux libertés publiques et au caractère multiculturel de l’Algérie. Composé en majorité de Kabyles, région qui donna un nombre très important de combattants pendant la guerre d’indépendance, le parti est un défenseur déterminé de la culture berbère. Ait-Ahmed n’hésite pas quelques années plus tard à regretter le départ des Européens et à défendre l’existence de l’État d’Israël ! Preuve de la très grande hétérogénéité idéologique du FLN, masquée par la prise en main des Ben Bellistes dès la fin de la guerre. A l’image de leurs leaders, Ait-Ahmed et Krim Belkacem, les militants sont, pendant une vingtaine d’années, pourchassés (exil, emprisonnement, assassinat…) avant d’être autorisés à rentrer à la fin des années 80 pour subir peu de temps après les foudres des islamistes… Depuis les années 2000, le parti tente de survivre. En dehors de quelques foyers électoraux comme Tizi Ouzou ou la région algéroise, le parti qui possède 14 députés n’apparaît pas en mesure de contester le parti majoritaire, faute de leader charismatique et d’assise sur tout le territoire… sans compter les divisions internes !

Autre opposition algérienne, les centristes du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie, organisé autour du député d’Alger, Mohcine Belabas, et les libéraux du parti Talaie El Houriat du magistrat Ali Benfils, ancien chef du gouvernement. Mais ils semblent trop isolés pour incarner une alternative crédible à Bouteflika.

Des islamistes et des jeunes

Les islamistes, eux, gardent un électorat volage mais capable de se mobiliser. La crise à la frontière tunisienne, le groupe AQMI au Mali et les nombreux Algériens en Syrie mobilisent les plus jeunes et les actifs de leurs militants. De plus, la concorde de 2001 n’a pas vacciné tous les électeurs, notamment les plus radicaux et les éternels déçus de 1962. Mais les islamistes ne peuvent jouer sur l’effet de surprise de 1990 et ont vacciné beaucoup d’Algériens parmi les plus populaires. Le quasi-lynchage par des passants d’un islamiste qui tentait de détruire la statue d’une femme nue près de Sétif montre que les Algériens ne veulent pas revivre une seconde décennie noire. Dans les faits, les partis islamistes, dont celui d’Abderrazak Makri, sont trop divisés pour parvenir à s’entendre sur une stratégie en commun. Les rumeurs d’un noyautage de ces derniers dans l’appareil de l’état frisent, cependant, le fantasme d’une société en manque de repères.

A lire aussi: Oui, l’islam a joué un rôle dans la guerre d’Algérie

Enfin, un nouveau mouvement est apparu en juin 2018 : Citoyenneté-Démocratie, plus communément appelé « Mouwatana ». C’est déjà pour beaucoup d’Algériens un sérieux outsider, tant il apporte de l’air frais dans ce désert de corruption et de népotisme. C’est le seul mouvement politique à dénoncer ouvertement un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika. Il s’appuie sur une multitude d’associations, de syndicats et de partis unis contre le régime du président, dont le parti « Jil Jadid » (« Nouvelle génération») du vétérinaire Soufiane Djilali, déjà opposé à un quatrième mandat en 2014 !

A la suite du Printemps arabe, un nombre important de manifestations a éclaté dans les villes d’Algérie. Les valeurs réclamées: la démocratie, le progressisme, la laïcité. Ce sont en majorité des jeunes trentenaires et quadras surdiplômés, fortement influencés par ce qu’ils ont vu en Tunisie mais aussi par les différents mouvements européens nés dans les années 2010 comme Podemos ou Syriza. Mais ils manquent encore d’une tête d’affiche charismatique pour toucher les couches populaires et un électorat plus âgé.

L’Etat ne tremble pas

Bouteflika a des cartes en main. Djamel Ould Abbès, le secrétaire général du FLN et l’ensemble du parti (parti, il est vrai, peu enclin à la démocratie interne) apportent un soutien clair et sans faille au président. Djamel Ould Abbès le considère « comme un maestro ». La centrale syndicale UGTA ou les patrons du FCE d’Ali Haddad sont également à leur botte : l’ensemble de l’establishment fait bloc derrière son champion.

Il faut dire que le ménage a été fait : démission du Premier ministre, Abdelmajid Tebboune, à l’été 2017 et licenciement de plusieurs hauts responsables militaires cet été après la découverte de leur implication dans un trafic de cocaïne. Dès lors, seul le temps semble en mesure de s’opposer efficacement à Abdelaziz Bouteflika.

« The Haunting of Hill House »: enfin une maison hantée qui fout vraiment les jetons!

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La dernière série d’horreur de Netflix rencontre, à raison, un grand succès. Même le maître du genre, Stephen King, a aimé…


Les Crain ont prévu de passer leur été dans une vaste demeure qu’ils comptent rénover puis revendre : Hill House. La vie idyllique de cette famille américaine déraille rapidement quand la petite dernière, Eleanor, se plaint qu’une effrayante femme au cou cassé furète près de son lit la nuit…

Le fantôme d’une famille parfaite

Ne vous fiez pas au décor de manoir en carton-pâte et à la trame classique et mille fois revue de The Haunting of Hill House. La dernière production de Mike Flanagan pour Netflix est un spectacle horrifique malin qui ravira au-delà du public habituellement friand du genre « maison malfaisante ».

Après avoir réveillé notre cynophobie dans Gerald’s Game (une adaptation du Jessie de Stephen King), Mike Flanagan et son actrice Carla Gugino s’attaquent donc aux histoires de fantômes et aux lourds secrets de famille… Selon le maître du roman d’horreur américain Stephen King lui-même, c’est une réussite :

A quel point les rêves effroyables et les prémonitions des bambins résultent-ils de l’anxiété maternelle ? Alors que les évènements étranges se multiplient dans la maison, les maux de tête de la mère se font de plus en plus intenses. Maman est-elle simplement un peu déprimée et lunatique… ou y a-t-il quelque chose de plus sérieux ? Surtout, jusqu’où cette anxiété pour ses enfants peut-elle la mener ? Au fur et à mesure des épisodes, cette figure féminine sensible et énigmatique fait un peu penser à la Julianne Moore de The Hours.

Les dix épisodes de la série proposent un aller-retour permanent entre les évènements traumatisants de l’enfance à Hill House et le présent, où l’on retrouve le père et toute sa petite progéniture plus âgés. La mère, elle, a disparu une mystérieuse nuit, sans que les enfants n’aient jamais vraiment appris ce qui lui était arrivé. La famille n’est-elle hantée que par des traumatismes de l’enfance ou bien les fantômes existent-ils vraiment ? A l’exception des deux derniers (les petits jumeaux Eleanor et Luke), les autres enfants restent rationnels et se refusent à y croire.

Hurlez, pleurez, courez…

The Haunting of Hill House est plus qu’une histoire réussie de maison qui fait peur. Dès les premières minutes de la série, certaines scènes de nuit sont proprement terrifiantes. Les acteurs, eux aussi, sont tous impressionnants (on retrouve avec plaisir, dans le personnage du père, Henry Thomas, l’acteur du petit Elliot du E.T. de Spielberg). L’ainé des enfants a fait fortune en publiant un best-seller consacré à la maison hantée de son enfance, alors que lui-même n’y croit pas. Il se met tout le monde à dos. Depuis Hill House, Eleanor est sujette à un grave trouble du sommeil (l’hypnose du sommeil, phénomène auquel on recommande au lecteur pétochard de ne pas trop s’intéresser, qui a eu droit lui aussi à son propre film de genre). De son côté, Luke ne s’est jamais vraiment remis et ennuie toute la famille avec son addiction à l’héroïne. Son destin sera, finalement, le plus éprouvant dans la série.

Entre petits malheurs de l’enfance et destins tragiques des adultes The Haunting of Hill House  ravit son spectateur par sa maîtrise de la construction graduelle des mystères. Et si votre cœur n’a pas décroché après quelques sursauts, il n’est pas dit que certains épisodes ne vous fassent pas pleurer tant la fratrie Crain est attachante.

Suicide de Maggy Biskupski: qui rendra des comptes?

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Maggy Biskupski s’est suicidée, dans la nuit du 12 au 13 novembre, avec son arme de service. Fondatrice d’une association de policiers en colère, elle militait contre les agressions dont ces derniers sont régulièrement victimes. Ceux qui véhiculent un discours anti-flics sur les plateaux télé verseront-ils une larme ?


« Il n’y a pas de suicides, il n’y a que des meurtres », disait Elsa Triolet. S’il est toujours difficile voire impossible de pénétrer le mystère insondable des âmes et ce qui peut pousser une personne à se suicider pour supprimer définitivement la souffrance en elle devenue trop insoutenable, on peut toutefois, avec lucidité et colère, considérer les facteurs qui facilitent ou encouragent cet acte tragique.

Une policière en colère

Maggy Biskupski s’est donné la mort avec son arme de service. Cette policière courageuse de la BAC des Yvelines avait fondé et présidait l’association « Mobilisation des policiers en colère », créée en réaction à l’attaque de policiers au cocktail Molotov en 2016 à Viry-Châtillon. Elle était devenue, à ce titre, une figure publique et emblématique du malaise des forces de l’ordre et de leur mobilisation, par-delà le jeu convenu des prébendes narcissiques et syndicales. Elle parlait aux caméras, parlait aux Français, elle leur disait leur réalité commune, aux flics et aux citoyens, à savoir cette insupportable violence délinquante qu’ils devaient affronter chaque jour ensemble. Elle fustigeait un système judiciaire remettant inlassablement dans le circuit les délinquants arrêtés la veille et le découragement induit chez ceux dont la vocation est de protéger. Elle parlait aux gens de la vraie vie, de celle qu’ils ont sous les yeux, de celle que les élites déconnectées qualifient de « sentiment d’insécurité ».

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Pour le prix de son engagement, de ce métier qu’elle exerçait avec passion et dont elle disait avoir toujours senti en elle la vocation, pour le prix de la vérité et de la mobilisation, elle était visée par une procédure de l’Inspection générale de la Police nationale pour manquement supposé à son obligation de réserve. On le sait, cette arme du « devoir de réserve » dont les seuls contours jurisprudentiels clairs concernent le défaut de loyauté envers l’employeur, alors même qu’en l’occurrence elle servait les intérêts de sa fonction avec dévouement et engagement, est désormais utilisée pour museler tous ceux qui, de plus en plus nombreux, dans les fonctions publiques d’Etat, territoriale et hospitalière, pensent autrement, exercent leur liberté d’expression à contre-courant du discours dominant. Ce sont des lanceurs d’alerte, et comme tous les lanceurs d’alerte du monde, on tente de les intimider, de les faire taire, et, pour les plus fragiles, de les briser. On ne peut pas affirmer que cette procédure l’a de manière directe conduite au suicide, il est encore trop tôt pour le déterminer et tout sera fait, le cas échéant, pour que l’on n’en sache rien. Mais on peut en revanche affirmer avec une certitude implacable que cette procédure ne l’aura pas aidée à ne pas se suicider.

Prise à partie par Yann Moix

Et qu’en pense le sinistre Yann Moix, de son suicide, lui qui invectivait la jeune femme de manière abjecte sur un plateau télé en raillant dans un registre scatologique une hypothétique couardise des policiers dans certains quartiers face aux racailles, présentées, elles, comme des victimes de harcèlement policier ? Voilà ce qu’il osait lui dire sur le plateau de Salut les Terriens le 22 septembre dernier : « Si vous venez dire ici que les policiers ont peur, vous savez bien que la faiblesse attise la haine: dire que vous chiez dans votre froc, alors que vous faites un métier qui devrait prendre cette peur en compte. »

Fera-t-il « dans son froc », pour se mettre à son niveau sémantique et mental, lorsqu’il ira à la levée de corps de la jeune et belle policière de 36 ans fracassée par l’incurie politique et la malfaisance sociale ? Peut-être ne sera-t-il pas invité. Peut-être d’ailleurs ne sait-il pas ce qu’est le quotidien d’un policier, qui en voit des dizaines chaque année, des corps sans vie, des corps meurtris, des corps souffrants.

Les réactions politiques sont unanimes pour déplorer et dénoncer ce drame. Comme à chaque fois. Comme à chaque fois on va reparler du fléau des suicides dans la police et la gendarmerie. Comme à chaque fois on va parler du manque de moyens alloués aux forces de l’ordre. Comme à chaque fois on va verser une larme. Comme à chaque fois on va faire un discours la main sur le cœur.

La voilà, votre « purge »

Mais qui rendra des comptes sur l’aspect concret de pression que représentait sur elle la procédure de l’IGPN ? Qui rendra des comptes sur la non-prise en compte de la souffrance au travail des policiers ? Qui rendra des comptes sur les territoires perdus de la République, livrés à la racaille et jamais repris par l’autorité ? Qui rendra des comptes sur les inepties sociologisantes expliquant aux Français et à leurs protecteurs armés (les gens d’armes) depuis des années dans des élucubrations insanes financées par l’argent public qu’il n’y a pas d’insécurité mais un sentiment d’insécurité, que les bourreaux sont les victimes, qu’il ne faut pas stigmatiser certains jeunes, certains quartiers ? Qui rendra des comptes sur la mansuétude judiciaire qui confère à tant de policiers l’impression quotidienne de vider l’océan avec une petite cuillère ? Qui rendra des comptes sur la visite de François Hollande au chevet de Théo, au mépris des forces de l’ordre ? Qui rendra des comptes sur les gauchistes haineux qui scandent dans les manifestations : « Tout le monde déteste la police », repris en cœur par certains militants politiques qui aujourd’hui versent leur petite larme de circonstance ? Qui rendra des comptes sur les ordres donnés de ne pas intervenir dans certains endroits pour ne pas créer de problèmes ? Qui rendra des comptes sur une société dans laquelle le jeune qui avait appelé à « purger » la police lors de la nuit de Halloween se sent autorisé aujourd’hui à porter plainte, considérant qu’on l’a mal traité ? Qui rendra des comptes pour toutes ces criminelles démissions ?

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Les policiers et les gendarmes sont aux avant-postes de tous ceux qui souffrent de l’insécurité aujourd’hui en France, et ils sont nombreux, de plus en plus nombreux : fonctionnaires, hospitaliers, enseignants, acteurs sociaux, pompiers, mais aussi professions libérales, petits entrepreneurs, commerçants, qui font face, bien souvent tout seuls, à la violence endémique d’une société devenue quasi anomique. Ce sont eux les « poilus » de l’époque actuelle, en première ligne sous la mitraille pendant que, comme toujours, des planqués à l’arrière du front se paient le luxe de les mettre en cause, de les culpabiliser, de les juger, de les déconsidérer.

Qui répondra ?

En démissionnant, Gérard Collomb a mis en garde en disant que la situation de l’insécurité était en train de basculer de manière critique, et quasiment irréversible. On aura beau jeu de lui répondre qu’il n’aura pas fait mieux que les autres. Mais qui répondra dans les actes au défi sécuritaire qui transforme, pour le moment, les policiers en cibles vivantes et, avec eux, tous les citoyens ?

Maggy Biskupski ne s’est pas suicidée. Elle a été suicidée par la lâcheté de ceux qui avaient pour mission, en la protégeant, de protéger la société tout entière.

Emma: tu la sens ma grosse charge mentale?

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La dessinatrice “féministe”, “antiraciste” et anticapitaliste Emma est de retour avec un nouveau recueil de dessins “inclusifs”. Faisons un tour dans son petit univers !


Entre un « ménage » pour  une « lessive » et ses dédicaces, voilà déjà le troisième recueil de dessins qu’Emma prend le temps de nous livrer en seulement quelques mois. Chic ! Un petit trésor vite emprunté à la bibliothèque par votre persifleur, et vite dévoré.

Les deux premiers volumes présentaient en couverture une énorme vulve en forme d’oeil et promettaient « un autre regard » sur la société. Rien que ça. Pour cette nouvelle livraison, Massot Editions a convaincu notre malicieuse dessinatrice d’y renoncer. Tout un collectif de petits bonshommes (et de petites bonnes femmes) nous est présenté et la vulve est reléguée à une place plus discrète. Un choix judicieux pour les ventes… même si Emma ne renonce heureusement pas à ses sulfureux sujets fétiches. Elle enchaîne, comme d’ordinaire, formules chocs et dessins chics pour éveiller nos consciences.

Emma 3 le retour 

Souvenez-vous : Emma s’était fait connaître des amateurs de débats de société disruptifs avec ses dessins didactiques sur la « charge mentale » (dessins partagés plus de 215 000 fois sur Facebook depuis). Avec Caroline de Haas, Ségolène Royal ou Dora Moutot, Emma est une des figures de proue du néoféminisme français. Ses dessins enfantins éclairent toute une nouvelle génération de militantes. Si ces dernières sont satisfaites que les petits garçons aient enfin le droit de jouer à la Barbie, elles aimeraient désormais passer à la vitesse supérieure. C’est que les mouflets sont maintenant priés de coiffer leurs poupées avec application, ah mais ! Tant pis, s’ils n’aiment pas ça.

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Emma part en guerre contre notre éducation « genrée », qui aboutit à du « travail gratuit » des femmes, qu’elles acceptent en toute soumission. L’Etat pourrait pourtant très bien payer pour repasser les chemises et passer l’aspirateur ! Pourfendeuse du Grand Méchant Capital (les féministes dites « de droite » comme Elisabeth Badinter sont les plus médiatisées, ne vous fiez pas à la petite liste de coreligionnaires du paragraphe précédent), Emma est toujours aussi remontée contre le Grand Méchant Loup (le zizi des garçons, traumatisant). Il y a bien des combats à mener encore.

Il faut dire que notre militante est entourée d’amis qui semblent fort malheureux. Elle s’applique à les émanciper. Son amie Michelle fait des fellations à son mari pour qu’il reste avec elle ? Ça ne va pas du tout. Emma veut que cesse cette « culture du viol » généralisée, elle en a fait les frais elle-même à 18 ans. Son premier mec était « lambda » mais « avec des tendances abusives ». Quand il lui disait « t’as jamais envie, je suis super frustré » pour obtenir une gâterie, c’était grosso merdo la même chose qu’un violeur qui « emploie la force » pour arriver à ses fins dans un parking sombre. Et quand enfin ça commence à baiser pépouse, voilà que les mecs s’arrêtent une fois qu’ils ont atteint l’orgasme, les égoïstes. Alors que les nanas, elles, n’y ont pas toujours accès. Trop injuste !

Son ami policier, Erik, a grandi dans les bois. Il a plein d’ennuis avec ses collègues racistes qui lui crachent dessus entre deux rafles dans les cités d’Argenteuil. Pour lui remonter le moral, Emma lui dit qu’elle « ne pense pas qu’il puisse exister une bonne police ». De toute façon, « dans un monde juste où chacun.e aurait accès à des ressources de façon égale, il n’y aurait quasiment pas de criminalité ». La journaliste Barbara Krief du Nouvel Observateur aime bien quand Emma s’attaque aux violences policières. Même s’il est bien sûr regrettable que cet Erik prenne la place d’une femme dans l’ouvrage, finalement. « Bien que la vie d’Erik soit passionnante, on ne peut s’empêcher de déplorer qu’[Emma] ait choisi de raconter l’histoire d’un homme. Des femmes courageuses qui se sont battues pour un idéal de justice, l’histoire n’en manque pas. » On avait dit qu’on resterait entre nanas, non?

Le féminisme mythomane

La charge émotionnelle fait partie de ces « trucs invisibles » qui pourrissent la vie des nanas. Le voile islamique, bien visible lui sur un dessin sur trois de notre génie de la ligne claire, ne pose pas de problème. Tant pis pour les Iraniennes qui cherchent à s’en débarrasser !

Figurez-vous qu’en silence, chaque jour, les femmes prennent sur elles un tas de trucs. Et que les hommes ne le voient même pas ! Vas-y que je t’organise la décoration du bureau. Vas-y que j’organise le pot de départ de Jean-René. C’est ça la charge émotionnelle. A la maison, ça continue. C’est bobonne qui « anticipe les moindres besoins des hommes » : prise de rendez-vous médicaux, achat de caleçons, confection de repas pendant que Pépère joue à la console, etc. Tout ça gratuitement mesdames messieurs. Et cela explique le succès de bien des hommes célèbres, figurez vous. Karl Marx, Albert Einstein « se sont appuyés sur l’amour des femmes de leur entourage pour réussir leurs projets ».

Osez le ClitoSac !

S’il restait du monde à convaincre que le néoféminisme d’Emma a transformé des requêtes et des luttes historiques légitimes en stupides assignations identitaires, ce recueil est une bonne piqûre de rappel. Ce qui est terrible, c’est que malgré la niaiserie des dessins et du propos, ces bouquins rencontrent un réel succès auprès des adultes. La vocable utilisé prouve en tout cas qu’ils leur sont destinés, même si leur forme pourrait faire croire qu’un public enfantin est initialement visé.

Le nouveau projet d’Emma ? La vente de ses ClitoSacs, des sacoches de toile floquées de deux clitoris qui se tiennent par le bras, symbole magnifique de la sororité que les néoféministes se doivent entre elles. Par ici la monnaie !  Vous pensez que j’exagère ? Vous pensez que vous êtes sur un affreux site masculiniste ? Arrêtez de dire ça ou je raconte tout à ma poupée !

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La charge émotionnelle et autres trucs invisibles

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France-Serbie: cent ans d’amitié piétinés par Macron

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Le 11 novembre dernier, le président serbe, Aleksandar Vucic avait « la gorge serrée ». Lors des commémorations de l’armistice de la Première Guerre mondiale, Emmanuel Macron a, en effet, choisi de l’isoler dans une tribune annexe, quand le représentant du Kosovo était, lui, placé en bonne compagnie dans la tribune officielle. Une humiliation qui fait de l’ombre au souvenir de l’amitié franco-serbe, notamment développée sur le front entre 1914 et 1918. 


Cent ans après la libération de la capitale serbe par l’Armée d’Orient, les autorités françaises et serbes ont commémoré en grande pompe un des événements majeurs de la Première Guerre mondiale. Alors qu’en France on peine à trouver le moindre trace de la formidable percée du front de Salonique dans le flot de commémorations et écrits, hormis un chapitre dans le très bon livre du colonel Porte et une émission tardive sur France 3, Belgrade s’apprêtait à célébrer comme il se doit un des faits majeurs de la percée héroïque du général Tranié et du maréchal Franchet d’Esperey.

« Nous aimons la France comme elle nous a aimés »

Sous un soleil quasi printanier, Belgrade s’était, ce 1er novembre 2018, parée de ses plus beaux atours. Au matin, la délégation française, constituée du récent ambassadeur Mondoloni et de la secrétaire aux Anciens combattants, Geneviève Darrieussecq, avait déjà honoré un monument qui est unique : placé au cœur du parc du Kalemegdan, face à l’imposante ambassade de France, la grande statue érigée par le sculpteur Ivan Mestrovic à la fin des années 1930, fait écho au monument au roi Alexandre Ier de Yougoslavie, sis place de la Muette à Paris. Dans un style très néo-réaliste, il scelle à jamais le tribut donné par plus de 600 000 soldats, dont 130 000 Serbes, à la victoire ultime obtenue dès le 15 septembre par le premier succès décisif contre les austro-allemands sur le massif du Dobro Polje, puis à la percée en 45 jours de plus de 500 kilomètres entre Salonique en mer Egée et Belgrade sur le Danube, fait unique dans l’histoire militaire. Mais surtout c’est un monument unique sur l’amour indéfectible d’un peuple envers un autre : en contrebas on peut y lire : « Nous aimons la France comme elle nous a aimés. »

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Plein de ce moment très émouvant, la même délégation se rendit dans l’équivalent du cimetière du Père Lachaise, le cimetière du Novo Groblje planté sur une des sept collines de Belgrade. Ses vastes allées bordées de majestueux platanes abritent les tombes des grands hommes d’Etat, peintres et intellectuels serbes, mais aussi des généraux de la Première Guerre comme Putnik ou Stepanovic. La liberté de pensée des Serbes et leur absence totale d’esprit revanchard a permis, à mon grand étonnement, que des tombes autrichiennes ou hongroises, soient érigées à côté des carrés militaires russe, britannique ou français. Au début de ce cimetière imposant, se situe le carré militaire français, avec plus de 400 tombes de nos « poilus » d’Orient. Bien alignés et allongés devant le drapeau français, ils semblaient en ce jour de commémoration répondre à la devise inscrite sur le monument principal : « Aux soldats français morts pour la France et pour ses alliés. » La délégation franco-serbe marqua ce 1er novembre 2018 un salut solennel à ces soldats morts très loin de leur patrie, dans le but de défendre les idéaux de la République et de lutter contre la barbarie impériale qui avait, pendant quatre ans, marqué le sol des Balkans de son sang. Qu’ils étaient courageux ces Bretons, Auvergnats et autres Parisiens, mais aussi Algériens, Malgaches et Sénégalais, partis à l’autre bout de l’Europe pour défendre les idées de liberté et d’égalité.

La rencontre de Corfou

C’est donc avec le cœur empli de sentiments forts que nous nous dirigeâmes au Centre Sava, à l’invitation des autorités serbes, pour assister à la grande soirée pour le Centenaire de la Première Guerre mondiale. Le ton n’était pas, ce soir-là, à la contrition et à l’éloge de la paix, nous fêtions la Victoire qui, dans ces contrées de Macédoine et de Serbie, avait été durement acquise : 28 % de la population serbe avait, par son sacrifice, contribué à la victoire et plus de 62 % de la population masculine avait péri pendant le conflit. La fanfare militaire joua des partitions militaires victorieuses entonnées par toute la salle ; c’est avec une émotion intacte que les 2000 invités reprirent le « Tamo daleko » (« Là-bas au loin »), ode à ces soldats qui, en 1915, avaient, en suivant leur roi et leur patriarche, abandonné leurs familles et sacrifié une partie de leur vie, mais pour un but ultime : ils savaient qu’ils allaient libérer leur pays qu’elles qu’en soient les conditions.

Après l’échec des Dardanelles à l’été 1915, une partie du corps expéditionnaire franco-britannique fut ramenée dans le port grec de Salonique. Le 25 novembre 1915 fut donné l’ordre historique de retraite de l’armée serbe par le roi Pierre Ier, qui refusait la capitulation. Commença alors un épisode tragique qui se terminera seulement le 15 janvier 1916 : la traversée de l’armée et de la cour royale serbes à travers les montagnes d’Albanie. Assaillie par le froid et les maladies, un tiers de l’armée serbe périra. Le lieutenant-colonel Broussaud signalait l’ « épuisement physique et moral complet » et des « coups de fusils des comitadjis albanais » ; il évoquait aussi la mort de jeunes recrues par centaines le long des routes. Or ce fut l’armée française qui, sur 120 000 soldats serbes arrivés à pied sur la côte albanaise, en récupéra 90 000 pour les transférer sur l’île grecque de Corfou.

Entre le 15 janvier et le 20 février 1916, furent ainsi évacués à Corfou plus de 135 000 soldats serbes. Lorsqu’ils débarquèrent sur l’île grecque, on pouvait lire dans le carnet de route du 6° chasseurs alpins que « l’état d’épuisement des malheureux soldats serbes [était] extrême : il en mourait 40 par jour ». A Corfou, les médecins allaient entièrement rétablir cette armée en guenilles et les instructeurs la remettre sur pieds : deux hôpitaux militaires furent dès lors installés et, fin mars, plus aucune épidémie n’était à l’œuvre.

« Les Serbes savent aujourd’hui ce qu’est la France. Jusqu’ici, ils ne connaissaient que la Russie »

Svetozar Aleksić, paysan du centre de la Serbie, fut réjoui d’avoir été, durant le transport de Corfou, rasé, lavé et habillé comme de neuf. « Qu’ils [les Français] bénissent leur mère-patrie, la France. Ils nous ont alors sauvé la vie. »[tooltips content= »Témoignage de Svetozar Aleksic, in Paunic-Djordjevic, Tri sile pritisle Srbijicu (Trois puissances ont encerclé la petite Serbie), Belgrade, 1988, pp 8-12. »]1[/tooltips] La même reconnaissance se retrouve dans la lettre du ministre serbe de la Guerre au général Mondésir, responsable de l’évacuation de Corfou. Le 24 avril 1916, il affirmait que « les chasseurs, pendant leur séjour à Corfou, ont gagné les cœurs des soldats et de leurs chefs par leur dévouement inlassable envers leurs camarades serbes ». Ce dévouement explique que « les Français portaient à leurs camarades serbes leurs équipements et leur donnaient la plus grande partie de leur pain ».[tooltips content= »Milan Zivanovic, « Sur l’évacuation de l’armée serbe de l’Albanie et sa réorganisation à Corfou (1915-1916), d’après les documents français », in Revue historique (Belgrade) n° XIV-XV, Institut d’Histoire, Belgrade, 1966, p 2. »]2[/tooltips] De plus, les Français, si proches et attentionnés avaient créé des liens indéfectibles. Le prince Alexandre dit, en avril 1916, à Auguste Boppe : « Les Serbes savent aujourd’hui ce qu’est la France. Jusqu’ici, ils ne connaissaient que la Russie. Or, nulle part ils n’ont vu les Russes, partout ils ont trouvé des Français : à Salonique pour leur tendre la main, en Albanie pour les accueillir, à Corfou pour les sauver. »[tooltips content= »Milan Zivanovic, « Sur l’évacuation de l’armée serbe de l’Albanie et sa réorganisation à Corfou (1915-1916), d’après les documents français », in Revue historique (Belgrade) n° XIV-XV, Institut d’Histoire, Belgrade, 1966, p 4. »]3[/tooltips]

En fait, les slavisants de renom multiplièrent seulement au milieu de la guerre  les conférences et firent ainsi connaître les peuples balkaniques. L’historien Ernest Denis publia son livre célèbre sur « la Serbie » en 1915 et Victor Bérard  en 1916. Et puis les journalistes spécialisés allaient mieux faire connaître les réalités serbes. Henry Barby, correspondant de guerre au Journal, écrivit en 1915 une série d’articles sur les batailles menées à Kumanovo et à Bregalnitza pendant les guerres balkaniques. Charles Diehl, dans son ouvrage de vulgarisation L’Héroïque Serbie qui parut en février 1915, relatait les victoires serbes à Tser et Kolubara.[tooltips content= »Mihaïlo Pavlovic, Témoignages français sur les Serbes et la Serbie 1912-1918, Narodna Knjiga, Belgrade, 1988. »]4[/tooltips]

Auguste Albert, mitrailleur sur le front de Salonique, était étonné par l’amour du Serbe pour sa terre. Lorsqu’il se battait contre les Bulgares, le Serbe criait : « C’est ma terre, ne l’oublie pas. » Puis Auguste Albert  ajoutait : « Dans l’offensive attendue depuis longtemps [ndlr : la percée du front], j’ai été frappé par des choses étonnantes. J’ai remarqué comment le soldat serbe s’agenouille sur son sol natal et l’embrasse. Ses yeux sont pleins de larmes et je l’entends dire : ‘Ma terre’[tooltips content= »Témoignage d’Auguste Albert, in Antonije Djuric, « Ovako je bilo : Solunci govore (C’était comme ça à Salonique –témoignages d’Anciens combattants), Belgrade 1986. »]5[/tooltips]. » Il faut savoir que les Bulgares avaient occupé de 1915 à 1918 tout le sud-est de la Serbie.

« Quand un soldat serbe se relève et lance une bombe, il le fait pour moi, il défend ma vie ! »

Les conférences en Sorbonne par de grands slavistes devenaient plus fréquentes en 1916. Emile Haumant et Victor Bérard, qui avaient créé le « Comité Franco-serbe »,  y développaient leurs idées généreuses sur la Serbie. En Sorbonne se tinrent aussi des manifestations réunissant universitaires, hommes de lettres et responsables politiques. L’historien Ernest Denis prononcera, rien qu’en 1916, pas moins de trois conférences sur les Serbes et la Yougoslavie[tooltips content= »Ernest Denis, « La Serbie héroïque », in Foi et vie, cahier B, 16 janvier 1916. Lire aussi son ouvrage majeur sur la question serbe, La Grande Serbie, Paris, 1915. »]6[/tooltips] : le 27 janvier 1916, le président de la République, Raymond Poincaré, y assista. Le 8 février 1917, l’ « Effort serbe » fut organisé par le comité l’ « Effort de la France et ses alliés » : cette initiative permit d’envoyer plus de 67 000 vêtements aux sinistrés de 1916. Enfin, le gouvernement organisa, le 25 mars 1915 et le 28 juin 1916, des « Journées franco-serbes » dans toutes les écoles pour faire connaître notre allié lointain.[tooltips content= »Grégoire Jaksic, Livre sur la France, Belgrade, 1940. Consulter aussi aux Archives de Serbie (Belgrade), les pièces de l’Exposition « Français et Yougoslaves 1838-1988 » organisée à Belgrade en 1988. »]7[/tooltips]

En septembre 1918, les colonnes du Général Tranié et du Maréchal Franchet d’Esperey perçaient le front de Salonique dans le massif de la Moglena et, en l’espace de trois semaines, libéraient la Macédoine et la Serbie. Le général allemand Mackensen déclarait lors de cet événement : « Nous avons perdu la guerre à Salonique. »

Ces opérations militaires menées ensemble finirent de souder les liens entre Serbes et « poilus » d’Orient et de nouer une amitié indéfectible. Paul Roi, élève-officier dans l’artillerie, évoquait l’habitude des combats qui avait fini de rapprocher les deux armées. « La joie des Français et des Serbes dès le moment où les canons tonnent. Ces canons ont comme redonné espoir aux soldats serbes dans la pensée du retour proche dans leur patrie. Nous, Français, avions une patrie. Tous les soldats français étaient conscients de cette situation ; de là leur volonté de se battre épaule contre épaule pour la liberté de la terre serbe. »[tooltips content= »Paul Roi, in Antonije Djuric, « Ovako je bilo : Solunci govore (C’était comme ça à Salonique –témoignages d’Anciens combattants), Belgrade, 1986. »]8[/tooltips]

Georges Schweitzer, officier-artilleur à Monastir en 1916 puis à la Moglena en septembre 1918, racontait l’abnégation des soldats serbes pendant la bataille. Blessé et perdu dans une tranchée dans le massif de la Moglena, Schweitzer fut sauvé d’une mort assurée par plusieurs Serbes venus le soigner dans la tranchée. « D’un coup, j’ai compris que j’étais entouré d’amis, de gens fantastiques, des soldats serbes qui sont maintenant là, à côté de moi. » Les Bulgares continuèrent à s’approcher en lançant des grenades, mais sa peur avait disparu. « Mes blessures sont soignées, le sang ne coule plus mais ce qui est le plus important : je ne suis plus seul. C’est maintenant la lutte pour moi : quand un soldat serbe se relève et lance une bombe, il le fait pour moi, il défend ma vie ! »[tooltips content= »Georges Schweitzer, in Antonije Djuric, « Ovako je bilo : Solunci govore (C’était comme ça à Salonique –témoiganges d’Anciens combattants), Belgrade 1986. »]9[/tooltips] Georges Schweitzer, dans une hallucination extatique, éprouvait toute sa reconnaissance à l’esprit de sacrifice et de corps des soldats serbes accourus pour le sauver. A ce moment-là de la guerre, la solidité des liens entre Serbes et Français expliquait en partie la victoire obtenue par Franchet d’Esperey.

« Aux libérateurs de la Serbie »

Le général Tranié, qui libéra Skoplje en Macédoine puis Djakovo et Mitrovica au Kosovo-Métochie, nous a laissé des témoignages saisissants de l’amour d’un peuple pour son libérateur. A Kuršumlija, sur la route qui menait de Mitrovica à Niš, « les gens sont habillés pauvrement, les enfants presque nus, mais la population nous offre ce qu’elle a, les maisons sont largement ouvertes aux Français. » Partout sur la route menant à Niš, des scènes d’accolade, des offrandes de pain, de vin et de fromage, toujours données de bon cœur par un peuple pourtant touché par la disette. Arrivés à Niš, la seconde ville serbe, les soldats de l’Armée d’Orient furent accueillis avec tous les honneurs : les plus vieux ne laissaient pas le général Tranié remonter à cheval et l’embrassaient comme s’il était leur fils.

Puis en remontant la vallée de la Morava, des actes symboliques très forts, qui allaient continuer de sceller l’amitié franco-serbe, émaillaient le chemin. A Aleksinac, le général Tranié fut enthousiasmé par l’accueil qui lui fut réservé : « De jeunes filles chantent la Marseillaise et m’entraînent dans la ronde dansée par tout le village. » Plus loin, à Čuprija, le maire de la ville fit un discours en français et les soldats serbes offrirent en guise de cadeau à l’Armée d’Orient des foulards ; à Svilajnac, des demoiselles offrirent au général Tranié un drapeau brodé de lettres d’or par leurs mères où il fut écrit en lettres cyrilliques : « Aux libérateurs de la Serbie, les demoiselles de Resava ! »[tooltips content= »Général Tranié, in Djuric, Les soldats de Salonique parlent, Belgrade 1978, p 65. »]10[/tooltips]

Macron préfère le Kosovo

Mais ces souvenirs glorieux semblent s’être estompés dans le magma des célébrations placées sous le signe de la paix, pour des « civils qu’on a armés », selon Emmanuel Macron.

Quelle triste image, par contraste avec les célébrations joyeuses placées sous le signe de la victoire, donnée par ce jour pluvieux du 11 novembre 2018 à Paris, donnée par cette mascarade de commémoration. Comment expliquer la lecture d’un texte en chinois, pays non engagé en 1914 dans le conflit mondial, et aucune référence à la participation de la Russie et de la Serbie aux côtés de la France en 1914-1918. Les 450 000 soldats serbes morts et 800 000 civils fauchés par le typhus ou morts dans les geôles autrichiennes sont-ils morts pour rien, eux dont les descendants apprennent encore à leurs enfants « Krece se ladza francuska » (« Le navire français part ») en remerciement à l’opération de sauvetage de l’armée serbe par la marine française en 1915.

Mais au-delà de tout signe de reconnaissance envers les Alliés, c’est la célébration, devant la tombe du soldat inconnu, des perdants et donc des pays agresseurs qui choque une grande partie de l’opinion française. Comment expliquer la présence d’Angela Merkel, et l’absence de parade militaire, autrement que par un amour suicidaire pour les puissances centrales qui semblent sur le terrain prendre leur revanche sur l’humiliation subie en 1918 puis à nouveau en 1944. Les troupes allemandes, outrepassant leur rôle purement défensif qui leur avait été attribué en 1945, occupent exactement les mêmes localités au Kosovo et en Métochie qu’en 1944. Que diraient aujourd’hui, face à cette soumission devant l’Allemagne, Franchet d’Esperey, grand vainqueur de 1918, ou De Gaulle, compagnon d’armes du chef résistant serbe Draza Mihajlovic ?

Mais la France s’est définitivement humiliée avec l’honneur fait à un Etat mafieux et à ses représentants. Qui était ce grand homme placé juste derrière notre président, sur la tribune officielle du 11 novembre ? Ni plus ni moins qu’Hashim Thaçi, poursuivi depuis plusieurs années par les tribunaux suisses pour trafic d’armes, et serbes pour trafic d’organes. Pour boucler la boucle de cet abaissement macronien ne manquait plus que ce symbole ultime : pendant sept jours, dans la basilique Notre-Dame a été placé le drapeau du pseudo-Etat du Kosovo, toujours non-reconnu à l’ONU et trou noir de l’Europe. Quel choc des symboles quand on sait que c’est dans cette même cathédrale qu’en juin 1389 ont sonné les cloches à l’annonce des premières victoires serbes contre l’Empire ottoman, lequel était entre autres aidé par des unités albanaises.

L’avenir très proche nous dira si ce choix manifeste, au nom de la paix, d’honorer les agresseurs et d’oublier nos alliés les plus précieux aura une quelconque incidence. Mais déjà il est sûr que plus jamais les liens entre la France et la Serbie ne seront les mêmes.

Risque de « troubles » islamistes: le Royaume-Uni ne voudrait pas d’Asia Bibi

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Acquittée par la Cour suprême du Pakistan après avoir été condamnée à mort pour blasphème, la chrétienne Asia Bibi cherche asile en Europe. Selon le Telegraph, ce ne devrait pas être au Royaume-Uni. Le territoire de sa majesté redouterait des « troubles » liés à sa venue.


La Grande-Bretagne n’en finit décidément pas de perdre son âme face aux conséquences délétères et prévisibles du multiculturalisme dont elle a pourtant longtemps vanté les bienfaits, au besoin en faisant la leçon à la République française, laïque, jugée trop universaliste et rigide, comme ce fut souvent le cas par exemple sur la question du port du voile.

Quelques décennies plus tard, le résultat est là : un morcellement de la société qui n’est finalement pas sans évoquer le patchwork d’un Commonwealth reconstitué sur le sol anglais. Ce qui, après tout, évite de faire de longs voyages pour être dépaysé. Mais qui sert aussi les intérêts des communautés les plus offensives, ayant pour but non dissimulé l’instauration de la charia, laquelle fait doucement mais sûrement son entrée dans le droit britannique, en grande partie jurisprudentiel et donc volontiers ouvert aux quatre vents de coutumes massivement importées.

Peut-on « blasphémer » au Royaume-Uni ?

Dans ce contexte, le sort de la chrétienne Asia Bibi, persécutée par les islamistes au Pakistan et courageusement (il faut le souligner) acquittée par la Cour suprême du Pakistan des accusations de blasphème qui pesaient sur elle, pour avoir osé commettre le crime abominable de boire de l’eau dans le même puits que des femmes musulmanes, fait figure de révélateur, s’il en était encore besoin, pour comprendre le niveau de soumission désormais atteint par certaines sociétés occidentales face à l’islam radical et politique.

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Selon le Telegraph, les autorités britanniques redouteraient les conséquences d’un éventuel accueil d’Asia Bibi sur le sol anglais lequel aurait donc été tout simplement rejeté : menaces de troubles et problèmes de sécurité dans certaines communautés, émeutes, mais aussi risques d’attaques terroristes islamistes contre des ambassades britanniques à l’étranger. Le pays qui organisa, en 1989, la sécurité de Salman Rushdie en pleine affaire des Versets sataniques n’est donc clairement plus en capacité d’assumer ses propres valeurs, qu’il s’agisse de la liberté d’expression ou de la simple liberté de conscience. Puisque le seul vrai crime d’Asia Bibi est d’être chrétienne dans un pays musulman où certains, nombreux, considèrent que n’être pas musulman est une souillure.

Ne pas stigmatiser

Imagine-t-on une seule seconde la situation inverse, une personne musulmane harcelée, lynchée, menacée de mort par des foules chrétiennes car elle aurait bu dans un puits et souillé l’eau de ce puits par sa simple condition de personne musulmane ? Imagine-t-on un pays chrétien produire en 2018 pareille abomination ? Imagine-t-on qu’une grande démocratie comme l’est la démocratie anglaise n’apporterait pas son soutien immédiat et n’offrirait pas l’asile à cette personne musulmane persécutée ? Imagine-t-on ce qu’en diraient tous les chantres du danger de l’islamophobie, si nombreux outre-Manche, si prompts à traquer la moindre trace de discrimination prétendument islamophobe dans le discours des uns, dans les propos des autres, chassant au sein du Parti travailliste comme au sein du Parti conservateur la moindre scorie de mal-pensance prétendument islamophobe, comme si la devise anglaise « Honi soit qui mal y pense » n’avait plus de signification autre que de se ranger sous le giron de la complaisance envers l’entrisme islamiste, honi soit qui mal y pense de l’Islam ?

De la même façon qu’il aura fallu 30 ans avant que le scandale des crimes, viols, tortures, traite de femmes et de jeunes filles à Telford et Rotherham ne sorte enfin au grand jour, ne soit enfin pris en compte, ne soit enfin porté en justice, parce que pendant des décennies les services sociaux comme les services d’investigation et de justice ne voulaient pas que la communauté pakistanaise soit stigmatisée par ces révoltantes affaires et par ce qu’elles ont révélé, là aussi, la crainte d’alimenter la mystérieuse et fantasmagorique islamophobie a permis de couvrir les pires abominations et de s’aplatir devant les crimes les plus abjects visant des femmes et fillettes non musulmanes, considérées ce faisant comme n’ayant pas de valeur, considérées, certains accusés l’ont dit, comme de la viande.  Il faut dire, c’est pignon sur rue à Oxford qu’enseignait Tariq Ramadan dont on a pu mesurer ce que sa foi vibrante semble lui inspirer de respect des femmes, lui dont le frère Hani déclarait qu’une femme non voilée ne valait pas plus qu’une pièce de deux euros passant de main en main.

De qui ont peur les autorités britanniques ?

On peut par ailleurs parfaitement entendre que des islamistes dangereux s’en prendraient effectivement aux ambassades britanniques à l’étranger, comme c’est le cas à chaque fois que l’islamisme tente de faire plier les sociétés libres occidentales (affaire des caricatures, Charlie, Salman Rushdie et tant d’autres), mais comment comprendre le risque évoqué de troubles émanant de la communauté pakistanaise sur le sol britannique ? En effet, est instamment demandé aux citoyens de ne pas amalgamer l’islam et l’islamisme, ce que chacun fait bien volontiers. Il est à chaque fois évoqué le fait que l’islam serait une religion « de paix et d’amour ». Soit. Mais alors, est-ce à dire qu’il y aurait sur le sol britannique une communauté extrémiste terroriste vaquant tranquillement à ses occupations à l’air libre ? Ou alors, est-ce à dire que ce ne sont pas des extrémistes qui provoqueraient des troubles communautaires hostiles à cette chrétienne martyre ? L’extrémisme serait-il donc finalement assez répandu ? Il y a dans ce double postulat soit un illogisme, soit un mensonge.

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Ainsi, dans cette honteuse pusillanimité des autorités britanniques, on voit tout le renoncement mais aussi l’hypocrisie du débat actuel sur la question islamiste. Churchill pourrait le redire, face à ce nouveau péril obscurantiste et criminel : à vouloir éviter la guerre au prix du déshonneur, on a le déshonneur et la guerre.

Anne Hidalgo plus chrétienne que le pape

Le gouvernement français planche quant à lui sur l’accueil possible de la chrétienne persécutée tandis qu’Anne Hidalgo l’a d’ores et déjà désignée citoyenne d’honneur de la Ville de Paris. C’est tout à l’honneur, en l’occurrence, de la maire socialiste, quand bien même on n’est pas certain que ce soit l’endroit du monde où la martyre pakistanaise serait le plus en sécurité. Mais enfin, y a-t-il un endroit sur Terre actuellement à l’abri des fous de Dieu ? La notion d’asile, tant galvaudée et utilisée pour ce qu’elle n’est pas, retrouverait là tout son sens. Ce serait aussi pour l’exécutif le moyen de rappeler que c’est à cela que sert la laïcité : protéger toutes les personnes, de toutes les convictions, contre l’intolérance possible de toutes les autres, sans distinction. Et il se trouve qu’à l’heure actuelle, n’en déplaise au pape François qui ne s’est curieusement pas précipité sur cette affaire pour accueillir la martyre au Vatican et lui laver théâtralement les pieds, ce sont les chrétiens en terre d’Islam qui sont persécutés.

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Taxe hallal, une idée à abattre

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Photo : Godong/ Bsip.

L’Institut Montaigne propose de financer la construction de mosquées par une taxe prélevée sur la vente de viande hallal et les pèlerinages à La Mecque. Si l’ambition de vouloir construire un islam français débarrassé des influences étrangères est louable, la consécration du hallal créerait plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait.


Objet de nombreux débats, les modalités de financement du culte musulman sont décisives tant elles peuvent façonner le rapport de la religion et de ses fidèles à la société française. L’idée d’une « taxe hallal » évoquée de longue date et reprise dans le récent rapport de l’Institut Montaigne, a ravivé les discussions, notamment dans le cadre des « Assises de l’islam » organisées par le ministère de l’Intérieur.

Les difficultés de l’organisation actuelle

Le financement et l’entretien des lieux de culte (construits dans leur ensemble postérieurement à la loi de 1905) sont aujourd’hui fréquemment assurés par les contributions des fidèles. Néanmoins, le financement est parfois complété par des fonds en provenance de l’étranger, ces situations étant source de polémiques, du fait de l’ambition de certains pays ou mouvements d’exercer une influence, directe ou indirecte, sur les musulmans de France.

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Cette influence peut porter sur le dogme en lui-même ou viser simplement à ancrer chez le citoyen français un lien entre l’exercice du culte et ses éventuelles origines. Deux stratégies qui contredisent les objectifs d’intégration et qui expliquent la juxtaposition dans nombre de villes de mosquées « algérienne », « turque », « marocaine », etc., situation qui peut contredire le sentiment général d’un manque de lieux de cultes islamiques en France. Voilà qui peut fragiliser la société française, nombre de musulmans français, et singulièrement ceux d’entre eux nés en France, pouvant se sentir, implicitement, invités à vivre leur culte à travers leurs origines ; comme si l’islamité de citoyens français était fondamentalement exogène à notre société.

De surcroît, dans ce contexte de rapports d’influence, des accords plus ou moins explicites d’élus locaux avec des courants religieux poussent parfois les collectivités à accorder des baux emphytéotiques ou des garanties sur des prêts, en contournant la loi de 1905 sur l’autel d’un périlleux clientélisme.

Des taxes ou redevances privées « hallal » et « pèlerinage » ?

Afin de répondre à ces difficultés, il est régulièrement proposé de mettre en place un financement fondé sur le prélèvement d’une taxe sur les produits hallal, voire sur le prix des pèlerinages à La Mecque. Au-delà des obstacles pratiques et juridiques que cette modalité poserait, cette idée suppose qu’il existe d’importants besoins de financement. Cet élément est-il réellement objectivé ? En outre, prétendre à une exceptionnalité du culte musulman en France qui, en raison de son développement postérieur à 1905, nécessiterait un appui particulier pour financer un rattrapage en matière d’équipement, est un raccourci un peu rapide. Le culte bouddhiste ou les églises orientales ont fait face à des difficultés similaires et répondu en proportion au besoin de construire des lieux de culte en s’appuyant sur les dons de leurs fidèles.

Par ailleurs, mettre en place cette taxe repose sur un parti pris politico-religieux : que la consommation de viande hallal constitue une norme pour l’islam de France. Rien ne l’indique pourtant : il ne revient pas aux pouvoirs publics de prendre une position, même indirecte, sur ce point.

Quelles solutions pratiques ?

Les solutions découlent de l’objectif. Ce dernier est clair : permettre aux musulmans de France de vivre leur foi librement, en tant que citoyens français musulmans. Choisir de construire une pratique française de l’islam signifie la détacher – et même la protéger ! – des politiques d’influence extérieures. Il s’agit, sans détour, d’interdire les financements étrangers pour l’ensemble des cultes et de refuser les financements ou appuis indirects. Mettre fin aux financements de fondations ou gouvernements encourageant l’extrémisme ne pourra qu’aller dans le sens de la sécurité nationale et de l’intégration sociale. Couper le cordon ombilical avec les « pays d’origine » incitera les fidèles à s’organiser en fonction de leur bassin de vie cultuelle et non en fonction d’incitations venues du lointain.

Au fond, il n’existe pas de meilleure solution aux difficultés de l’islam de France que de lui accorder la normalité à laquelle il aspire. Cela signifie consolider le système du financement des lieux de culte musulmans de France par les musulmans de France. Il convient précisément de les y encourager en leur apportant des garanties de transparence – c’est là que les pouvoirs publics peuvent jouer leur rôle d’accompagnement.

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Les associations souhaitant construire ou gérer une mosquée devront ainsi être conduites à professionnaliser leur comptabilité, l’affectation de chaque don devant être tracée (certaines associations ont déjà un niveau de professionnalisation important). Le niveau local avec des circuits courts paraît être le bon niveau d’identification des besoins de financement : les projets pourront émerger si et seulement si un véritable besoin apparaît au niveau local. Les ambitions consistant à salarier l’ensemble des imams à un niveau global ne paraissent pas répondre aux craintes auxquelles elles sont censées répondre : la formation des imams français en France, déjà largement pratiquée, n’est nullement un gage de non-radicalité.

Le niveau national ou régional semble, en revanche, le plus pertinent pour le recueil, la gestion et le décaissement des dons qui transiteraient de façon fléchée et contrôlée à travers ces structures. Un suivi budgétaire et comptable particulier associant État, collectivité et associations cultuelles apporterait aux fidèles un degré élevé de confiance. Reconnues d’utilité publique, elles pourraient recevoir des dons déductibles de l’imposition.

Les pouvoirs publics joueraient ainsi leur rôle : traiter de la même manière l’ensemble des cultes, fixer les règles, les faire respecter et offrir des alternatives robustes aux influences étrangères ou radicales sur le territoire français. Et l’islam de France serait entre les mains des seuls musulmans de France.

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Du nouveau dans le Beaujolais!

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Le beaujolais nouveau, phénomène marketing permettant d’écouler des millions de bouteilles en quelques jours, a failli tuer les grands crus du Beaujolais. Grâce à quelques pionniers, ceux-ci sont en pleine renaissance. Au cœur de la Toscane française, des vignerons passionnés transmettent ces cépages enchanteurs dignes des meilleurs bourgognes.


Le Beaujolais est un cas d’école que l’on devrait enseigner à HEC. Comment une région aussi belle peut-elle demeurer aussi méconnue ? Comment des vins aussi éclatants, que l’on vendait naguère au même prix que les grands crus de Corton en Bourgogne, peuvent-ils continuer à traîner une réputation de petits vins de comptoir ?

Peu de gens sont d’ailleurs capables de dire où se trouve le Beaujolais sur la carte (du sud de Mâcon aux monts du Lyonnais qui jouxtent la capitale des Gaules). La première chose qui frappe, quand on y va, c’est la beauté des paysages, leur douceur, leur lumière. Le matin, quand il faut beau, l’air picote et on aperçoit au loin le mont Blanc. Certains villages médiévaux perchés sur des collines sont dignes de la Toscane (comme Oingt, dans les Pierres dorées, ou Vaux-en-Beaujolais, qui inspira Clochemerle à l’écrivain lyonnais Gabriel Chevallier en 1934). En se laissant porter le long des routes sinueuses, on recense pas moins de 150 châteaux, tous plus magnifiques les uns que les autres (dont un hanté, le château de Bagnols, qui a été transformé en hôtel : la nuit, les clients japonais hurlent de terreur, allez-y, ça vaut le coup !). Loin de nos campagnes désertes, ce pays est toujours vivant, chaque village ou presque possédant son école, son bureau de poste, son bistrot et ses commerces. Depuis quelques années, de plus en plus de jeunes s’y installent, qui pour créer un délicieux restaurant (comme Joséphine à table, à Saint-Amour), qui pour fonder une chambre d’hôte de charme (comme le château de Briante à Saint-Lager).

Du fait du réchauffement climatique, le Beaujolais dispose aujourd’hui d’un potentiel énorme. Les amateurs du monde entier en ont marre de boire des gros vins. Ils veulent de la finesse et de la fraîcheur. Or, le gamay noir à jus blanc, qui prospère sur des sols pauvres vieux de trois cents millions d’années (granit et schiste), est un cépage exceptionnel qui offre l’avantage de donner au vin des tannins légers. Faible en alcool, digeste, long, éclatant, sans lourdeur en bouche, il développe au fil des ans (s’il est bien travaillé !) des parfums troublants de rose fanée, de cerise, de poivre et de safran (comme à Fleurie et à Morgon). En prime, il s’allie avec la grande cuisine (c’était le vin préféré de Bocuse) !

Piron, le sage de Morgon

Pour comprendre comment le beaujolais a pu descendre si bas de réputation, une plongée historique s’impose d’abord chez l’érudit Dominique Piron, à Morgon. Descendant d’une dynastie de vignerons qui remonte à 1590, il est la mémoire vivante de la région. Ses vins gourmands s’arrachent à Hong Kong. « L’économie, ce sont d’abord des hommes, observe-t-il. Or, les vignerons d’ici ne s’entendent pas entre eux, c’est Clochemerle ! Il n’y a pas de rationalité. C’est toujours la faute de l’autre… En fait, il nous faudrait une nouvelle génération d’hommes, des jeunes passionnés, venus d’ailleurs, capables d’investir et de prouver que tout ne se ramène pas ici au beaujolais nouveau, mais que nous avons des terroirs capables de produire des grands vins : avant-guerre, moulin-à-vent se vendait aussi cher que les grands crus de la côte de Nuits… »

Ah ! Le beaujolais nouveau. Que n’a-t-on pas dit à son sujet ! Au départ, pourtant, c’était une excellente idée, et aujourd’hui encore, c’est un vin plein de charme qui ouvre les portes du royaume (c’est en le goûtant, à l’âge de 8 ans, que me vint l’amour du vin). Dominique Piron connaît bien cette histoire : « C’est une invention de l’après-guerre, quand les vignobles étaient tous à la ramasse en France. Personne ne buvait de grands vins alors ! C’était la disette. Un jour, à la fin des années 1950, un négociant a livré du beaujolais nouveau à Paris, aux Halles, où on s’est mis à le servir dans tous les bistrots du quartier. C’était un vin jeune, fruité, facile à boire et désaltérant, bon pour l’ouvrier comme pour le bourgeois. » Le grand Jules Chauvet lui-même, qui était à la fois négociant et microbiologiste (il fut le premier à dénoncer l’emploi de la chimie, du sucre et du soufre dans le vignoble) faisait un beaujolais nouveau très délicat (neuf degrés d’alcool) dont raffolait De Gaulle à l’Élysée. Piron poursuit, intarissable : « Dès 1965, les Anglais furent les premiers à faire la promotion mondiale de ce vin typiquement français. Le matin du 15 novembre, ils venaient de Londres en avion, en voiture et en moto pour faire la fête dans nos villages. Après trois jours de beuverie, ils rentraient le coffre rempli de vins… On a vu des gens sauter en parachute au-dessus de Londres avec un carton dans les bras… Une folie ! Grâce à la télévision, cet engouement s’est propagé partout dans le monde. Georges Duboeuf et Paul Bocuse ont été des ambassadeurs de choc et, pour le beaujolais nouveau, les années 1970-1990 ont été les “Vingt glorieuses”. Mais on a été dépassé par un mouvement que l’on n’avait pas créé et le beaujolais nouveau est devenu un obstacle au progrès, c’est-à-dire au développement de nos grands crus : qui voudrait faire des grands vins de garde quand on vend 25 millions de bouteilles de primeur en trois jours ? La tentation est trop grande… »

Avec le recul, on constate toutefois que cette normalisation du beaujolais a rendu possible en réaction l’émergence de vignerons anarchistes et rebelles, grandes gueules et bagarreurs, comme le légendaire Marcel Lapierre, dont nous avons eu l’honneur d’être l’ami – si 10 000 personnes ont assisté à ses obsèques en 2010, c’est sans doute parce que sa séduction et son discours allaient bien au-delà du vin. Disciple de Jules Chauvet et chef de file des tenants du « vin naturel » sans soufre ajouté, Lapierre s’est construit contre les maisons de négoce en misant sur le côté artisanal et le retour à la nature. Toute l’histoire du beaujolais de ces quarante dernières années s’est finalement édifiée autour de ces deux « frères ennemis » (mais finalement complices, car l’un se nourrissant des excès de l’autre), également charismatiques : Georges Duboeuf et Marcel Lapierre…

Piron conclut en expliquant pourquoi le beaujolais ne s’est pas développé : « Il faut remonter au xixe siècle. Lyon était alors une ville prospère grâce à l’industrie de la soie. Tous les industriels lyonnais ont investi dans le Beaujolais pour se faire construire des châteaux. Ils ont créé des lignes de chemin de fer et acheté des vignes dont ils ont confié la culture à des métayers. Quand les années glorieuses sont arrivées, ils ont encaissé l’argent, mais sans investir à nouveau. Résultat, l’outil de travail est vieux, et le vignoble en mauvais état. Contrairement aux Bordelais et aux Champenois, les Lyonnais n’ont pas assumé leur rôle de leaders économiques, alors qu’ils auraient dû faire du Beaujolais une région viticole de premier plan. On manque même de vignerons ! Je lance donc un appel aux jeunes : venez dans le Beaujolais, on vous aidera ! »

Jean-Paul Brun le pionnier des vins de terroir

Servez son Fleurie Grille-Midi à l’aveugle, et vous verrez la tête de vos convives, persuadés qu’il s’agit d’un rare Chambolle-Musigny… Brun est un orfèvre. Mais c’est surtout un paysan qui n’aime pas trop s’exprimer et qui préfère laisser ses vins parler à sa place ! On l’a donc un peu torturé pour lui arracher trois mots : « Je me suis installé ici, à Charnay, dans les Terres dorées, en 1979. Mon père avait quatre hectares de vigne avec des céréales, des moutons, des cochons, des vergers. J’ai vite arrêté la polyculture car, quand on est fermier, on ne réfléchit pas. Moi, je voulais faire du bon vin. À l’époque, c’était la décadence du beaujolais, il n’y en avait que pour le beaujolais nouveau… Il n’y avait pas de notion de vin d’auteur, comme en Bourgogne. Quand j’ai commencé, je suis allé faire goûter mes vins à Paris, où j’ai rencontré Steven Spurrier, un expert britannique, marchand de vins français et fondateur de l’Académie du vin, à Paris, il a tout de suite aimé mon vin blanc. En 1985, je suis allé vers un style de vin à la bourguignonne, en égrappant. Je voulais faire des vins de terroir et de garde. » Il n’a pas changé de voie depuis. Qu’ils soient de Fleurie, de Morgon ou de Saint-Amour, ses vins n’explosent pas en bouche, mais restent toujours purs et délicats, avec un léger parfum de ronce.   (Brun est réputé pour son beaujolais blanc, à base de chardonnay, cultivé sur sols calcaires, un vin étincelant, avec de la chair, délicieux sur une belle volaille à la crème !). « Le problème des vins de fruit, auxquels on a réduit les beaujolais, c’est qu’on peut en faire partout, dans n’importe quel pays, alors qu’un vin de terroir exprime un lieu unique. » Tout est dit, Jean-Paul. À Paris, on trouvera ses nectars chez Philovino, dans le 9e arrondissement (de 12 à 30 euros).

Domaine des Terres dorées, 565, route de Alix, 69380 Charnay. Tél. : 04 78 47 93 45

Fabien Duperray, le perfectionniste

Quand on va voir Fabien Duperray, à La Chapelle-de-Guinchay, non loin de Mâcon, on a le sentiment de rencontrer Marlon Brando dans Apocalypse Now. L’homme est massif, imposant, orgueilleux, ombrageux… Mais quel raffinement ! Il y a trente ans, Fabien était marchand de vin en Bourgogne. « Les Bourguignons ont un rapport particulier à la terre. Ils te mettent à l’épreuve pour voir si tu es digne de leur confiance. » Mais son rêve d’enfance est de devenir vigneron. « Un jour, j’ai découvert que le beaujolais était une mine d’or sous-exploitée. En fait, c’est même l’un des vignobles du monde les plus difficiles à travailler : peu d’argile dans les sols (l’argile est utile pour fixer les matières organiques), les vignes sont taillées en gobelet, très proches les unes des autres, on ne peut donc pas passer le tracteur ou le cheval pour labourer dans les rangs… Le gamay, de son côté, est un cépage très fragile et sensible à la microbiologie (une bactérie ou une mauvaise levure suffit à pourrir une vendange !). Il n’aime pas non plus l’oxygène qui le détruit. Il faut donc des raisins parfaits, sains et propres, à l’abri de l’oxygène. Faire du bon beaujolais est un travail de tous les jours ! »

En créant son domaine en 2007, notre gaillard n’avait qu’un objectif : prouver qu’on peut faire dans le Beaujolais des vins aussi complexes qu’en Bourgogne. « Autrefois, les vignerons attendaient trente ans pour servir un vin de Fleurie ou un moulin-à-vent ! » Or, les siens peuvent rester jeunes très longtemps, ce qui n’est pas le cas des pinots noirs de Bourgogne. Ils possèdent de surcroît un côté vaporeux et un charme qui illustrent bien ce que disait Jules Chauvet au sujet de sa région : « Toute la nature, avec ses parfums, sa lumière, ses infinis, le repos du soir, l’enthousiasme du matin. »

Fabien a opté pour une viticulture du vivant : pas de désherbants, pas de molécules chimiques, peu de cuivre, labours au cheval, pas de chaptalisation, pas de soufre pendant la fermentation, pas trop de bois neuf (ça maquille le vin). Ses vignes ont une énergie folle, après la grêle, les bois blessés cicatrisent. On trouve ses vins chez les plus grands chefs (Pierre Gagnaire, David Toutain, La Tour d’argent) et aux caves Legrand à Paris (de 30 à 50 euros).

Château du Moulin-à-Vent : la renaissance

Sur les 12 appellations que compte le beaujolais, moulin-à-vent est la plus célèbre, celle qui passe pour donner les vins les plus concentrés et les plus aptes au vieillissement. Toujours intact, un moulin à vent du xve siècle a donné son nom au cru, créé à l’origine par les Romains. Le château du Moulin-à-Vent où nous nous sommes rendus date du xviiie siècle. Depuis 2009, la famille Parinet, d’origine parisienne, a fait ce que les Lyonnais n’ont jamais daigné faire : mettre le paquet pour produire des grands vins de terroir, comme avant-guerre… Jean-Jacques Parinet (le père), Édouard (son fils) et Brice Laffond (leur chef de culture et maître de chai) forment une équipe inspirée. Très vite, leur engagement a porté ses fruits. « Ici, le climat est venteux, ce qui permet de nettoyer et concentrer les raisins, nous explique Édouard. Le granit est à la surface, les argiles en profondeur. Comme les moines cisterciens, nous avons recensé sur notre domaine 60 lieux-dits, 17 terroirs différents, une vraie mosaïque de sols… »

Les meilleures parcelles ont été isolées et cultivées en biodynamie. Les Parinet proposent ainsi six cuvées différentes, ayant chacune un caractère particulier. Les vins sont élevés deux ans dans les caves voûtées du château qui datent de 1732. La cuvée « La Rochelle », issue de très vieilles vignes de 80 ans exposées plein sud est un vin complexe, riche et fin, très long, très frais, qui convaincra les plus sceptiques… (31 euros la bouteille)

Grigny, la banlieue rouge qui sniffe vos impôts

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La cité de la Grande Borne à Grigny lors de la venue du ministre de l'Intérieur, novembre 2018. SIPA. 00883687_000001

Minée par la pauvreté, l’insécurité, le trafic de drogue et le communautarisme, la ville de Grigny, dans l’Essonne, est un symbole du malaise des banlieues. Pourtant, depuis plus de trente ans, elle est sous abondante perfusion de l’Etat. Placée sous tutelle pour surendettement, la municipalité communiste soigne ses clientèles électorales au risque de couler la ville. Enquête. 


C’était il y a un peu plus d’un an, le 16 octobre 2017. En conclusion des États généraux de la politique de la ville, un collectif d’élus de banlieue lançait un vibrant appel à la solidarité nationale, au nom des quartiers en déshérence, oubliés par la République. Ils le faisaient depuis une des communes les plus défavorisées de France, Grigny. Située dans l’Essonne, à 23 km au sud de Paris, cette ville de 28 000 habitants comptait, en 2015, 45 % d’habitants en dessous du seuil de pauvreté, selon l’Insee. Dans la plupart des écoles primaires et maternelles, les élèves « allophones » (qui ne parlent pas français) représentent entre la moitié et les deux tiers des effectifs. Les Grignois des années 1950 ne reconnaîtraient pas leur village. Il a été bouleversé par deux immenses ensembles de logements collectifs construits à la fin des années 1960 : la Grande Borne (3 700 logements sociaux à l’origine, un peu moins aujourd’hui) et Grigny 2, gigantesque copropriété privée de 5 000 logements, aujourd’hui lourdement endettée.

Sur le site Ville-ideale.fr, les avis laissés par les internautes valent à Grigny une note de 3,13/10, assortie d’appréciations désastreuses. « Ville insalubre, invasion de rats, surtout côté gare Grigny-centre. Vendeurs en tout genre, dealers de drogue, alcooliques, des déchets partout. Pas de commerce, le parking Casino est une casse-auto. Impôts locaux exorbitants », commente Exgrinois91, le 6 octobre 2018. Dans un avis laissé en mai 2018, l’internaute Adieu91350 relève un seul point positif : « Le RER D, enfin quand il fonctionne bien, et c’est très, très rare. »

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En arrivant un matin ensoleillé, précisément par le RER D, la première impression n’est pourtant pas si mauvaise. L’architecture des immenses barres de Grigny 2 est très datée, façon Trente Glorieuses, mais elles sont posées sur un coteau boisé qui domine le lac de Viry-Châtillon. La gare est propre et moderne. Elle a été entièrement rénovée en 2004. Quand à la Grande Borne, elle déçoit en bien, comme disent les Suisses. L’architecte Émile Aillaud avait dessiné des serpentins de plusieurs centaines de mètres de longueur, mais comptant seulement deux à quatre étages. Ils ont été partiellement détruits et rénovés. Il en reste des ensembles de taille raisonnable, entourés d’espaces verts. Grigny respire. Économiquement, ce n’est pas le désert. La commune abrite une grande usine Coca-Cola. Et, surtout, elle est proche du pôle logistique d’Orly, du génopôle d’Évry et du pôle de recherche de Massy-Saclay, qui créent des centaines d’emplois chaque année – et tous ne sont pas hyperqualifiés, loin de là.

Quant à la délinquance et aux trafiquants de drogue, ils sont invisibles, du moins sous le soleil. Quand la nuit tombe, toutefois, l’ambiance change. Contacté, Claude Carillo, délégué du syndicat Alliance Police nationale, avait prévenu :

« Un reportage à Grigny 2 et la Grande Borne ? Allez-y le matin.

– Je n’ai pas de caméra, juste un stylo, je suis discret.

– Vous serez tout de suite repéré comme n’étant pas du quartier, croyez-moi. Votre seule présence risque d’énerver les dealers. »

Selon Sylvie Gibert, le conseil n’a rien de paranoïaque. Élue d’opposition (UDI-Modem) au conseil municipal, également élue départementale, elle vit à Grigny 2 et travaille à Paris. « Cette ville est un crève-cœur. Sur le papier, elle est idéale. Directement reliée à la gare de Lyon, pleine d’espaces verts, avec du foncier disponible… » Et des appartements pas chers. Entre le 12e arrondissement de Paris et Grigny-centre (40 mn de RER), les prix de l’immobilier sont divisés par huit. Un grand T4 à Grigny 2 vaut moins de 100 000 euros, contre 800 000 euros près de Bastille. Si les acheteurs ne se bousculent pas, c’est parce que la crise du logement, en région parisienne, est aussi une crise de la sécurité et du cadre de vie. « Quand je rentre le soir, le parvis de la gare RER est envahi de marchands à la sauvette, déplore Sylvie Gibert. Le parking du supermarché, juste en face, a longtemps été occupé par des dealers et des prostituées. Ça va mieux en ce moment, mais Grigny traîne une image très dégradée, à juste titre. »

Le supermarché en question est vide. En septembre 2016, lassé par les vols en bande organisée et la violence, le groupe Casino est parti. Ne reste plus qu’une poignée de commerces ethniques, occupant un tiers à peine de la galerie marchande. La destruction de l’ensemble est envisagée. « Ce n’est pas si grave ! relativise Philippe Saturnin, gardien d’immeubles à la Grande Borne. Le Leclerc de Viry-Châtillon est tout proche. Honnêtement, en ce moment, ça va plutôt bien, à Grigny. »

Philippe Saturnin a raison. La situation a été pire.

La terrible année 2016

2016 a été une année très difficile. Un événement, en particulier, a marqué les esprits. À cette époque, du trafic de drogue et quelques agressions d’automobilistes sont signalés au carrefour du Fournil, où se croisent la D445 et une rue menant à la Grande Borne. Une caméra de surveillance est installée. Elle est attaquée à la voiture-bélier en septembre. Le 8 octobre, vers 15 h, deux voitures de police sont stationnées à cet endroit sensible. Elles sont prises d’assaut par un groupe d’une dizaine d’individus cagoulés, armés de barres de fer et de cocktails Molotov. Un des véhicules prend feu. Une policière et un auxiliaire de sécurité sont gravement brûlés. À strictement parler, l’attaque se produit sur le territoire de la commune de Viry-Châtillon, mais la bande vient de Grigny. La réaction des autorités est vigoureuse. Les CRS sont déployés à la Grande Borne, qu’un hélicoptère va surveiller pendant des mois, jour et nuit. Des centaines de personnes sont interpellées, plusieurs kilos de cocaïne et une trentaine d’armes sont saisis (dont deux fusils d’assaut). Treize suspects ont été déférés aux assises, cet été, pour l’attaque proprement dite. Ils sont en attente de jugement.

En juillet de cette même année 2016, le Premier ministre Manuel Valls (élu de l’Essonne) reçoit un rapport conjoint des inspections générales de l’administration, de l’Éducation nationale, des Affaires sociales et de la police nationale, dressant le bilan des « politiques publiques mises en œuvre à Grigny ». Sans surprise, le rapport relève que « c’est surtout la résolution des problèmes de sécurité qui apparaît pour tous comme l’une des conditions nécessaires au redressement. L’omniprésence de la délinquance locale, qui impose son “couvre-feu” à l’heure où commencent les trafics de stupéfiants et ralentit les travaux de rénovation des quartiers, constitue une contrainte insupportable. » Ce rapport existe en deux versions. Celle qui a été communiquée au public est édulcorée. Selon un haut fonctionnaire qui a pris connaissance de la version non expurgée, l’expression « couvre-feu » est à prendre au pied de la lettre. En 2016, à Grigny, le trafic de drogue atteint un stade semi-officiel. La mairie, les écoles et les bailleurs savent que, passée une certaine heure, des pans entiers de la commune ne sont plus accessibles au citoyen lambda. Tous s’en accommodent. Des réseaux de trafiquants demandent plusieurs dizaines de milliers d’euros à des dealers, pour l’occupation de quelques halls d’immeubles, dédiés à la revente. Il s’agit d’une sorte de droit au bail informel, en échange d’une garantie de bon climat des affaires. L’économie parallèle amorce une structuration.

Une ville sous assistance depuis 1982

Le rapport de 2016 contient une autre information qui laisse songeur. À Grigny, écrivent les rapporteurs, « l’État a mobilisé les outils de la politique de la ville et ceux de la rénovation urbaine, pour un montant total de plusieurs centaines de millions d’euros ». Selon les élus de banlieue qui ont lancé l’appel d’octobre 2017 (depuis Grigny), cela ne suffit pas. Ils demandaient, et demandent encore, le « doublement du budget de la politique de la ville » pour le porter à un milliard d’euros annuels, la création d’un « fonds d’urgence immédiat de 100 millions pour cent quartiers », ou encore la « suspension immédiate de la réduction des contrats aidés ». En un mot, ils réclament de l’argent, en compensation du « cumul de handicaps extraordinaires » dont souffrent leurs communes.

Toute la question est de savoir à quoi ont servi les sommes jusqu’ici dépensées. En septembre 2015, déjà, Philippe Rio, maire de Grigny, déplorait dans Le Parisien que sa commune soit « oubliée » par l’État. Le discours est rodé, mais il est faux. En réalité, Grigny est sans doute l’une des villes les plus aidées de France, depuis fort longtemps. Dès 1982, la Grande Borne est classée « îlot sensible régional » dans le cadre de la politique de développement social des quartiers (DSQ). La ville reçoit à ce titre des moyens supplémentaires en matière d’insertion et d’éducation, de 1983 à 1990. En 1995, elle bénéficie de la création d’une zone franche urbaine, avec des exonérations fiscales à la clé pour les entreprises. En 2000, Grigny est éligible aux aides des « grands projets de ville ». Dans les six années qui suivent, l’Agence foncière et technique de la région parisienne, l’État et le département investissent près de 75 millions d’euros dans la création d’un collège, d’une maison de la petite enfance, d’une maison de la formation professionnelle et dans de multiples travaux de rénovation.

Entre 2007 et 2019, le quartier de la Grande Borne bénéficie d’un total de 295 millions de subventions, versées par l’Agence nationale de la rénovation urbaine (Anru), le département, la région, l’agglomération, etc. Grigny 2 profite à la même époque de travaux de rénovation pour un total de 95 millions. Plus 9 millions d’euros de subventions en 2016 pour un système de chauffage par géothermie, plus 800 000 euros accordés à la commune pour créer une police municipale la même année et 120 000 euros pour un centre culturel. Et ce n’est pas fini. L’Établissement public foncier d’Île-de-France (EPFIF) prévoit d’investir au minimum 300 millions d’euros à Grigny dans les prochaines années, via une « opération de rénovation des copropriétés dégradées » (Orcod), en rachetant des logements à Grigny 2. Sans oublier la dotation globale de fonctionnement et la dotation de solidarité urbaine (130 millions d’euros en dix ans), versées par l’État aux communes, au prorata de leur richesse. En 2017, Grigny a perçu au titre de ces deux dotations 537 euros par habitant, contre 198 euros en moyenne pour les villes de taille comparable. Au total, la commune a bénéficié ces vingt dernières années d’aides ou d’investissements publics avoisinant 800 millions d’euros, soit quelque 29 000 euros par habitant. « Oubliée » n’est pas le qualificatif qui décrit le mieux sa situation.

Une certaine nonchalance face à l’insécurité

L’essentiel de ces sommes a servi à rénover le bâti, sans enrayer la spirale du déclin. L’organisme de logement social qui gérait la Grande Borne, l’Opievoy, a été dissous fin décembre 2016. Il avait médiocre réputation (gestion hasardeuse, lenteurs incompréhensibles, condamnation à de la prison ferme pour corruption d’un haut dirigeant en 2003…), mais cela n’explique pas tout. Selon Sylvie Gibert, « la ville a été trop passive » face à la montée du trafic de drogue. Elle n’est peut-être pas la seule. En 2012, l’antenne grignoise du commissariat de police de Juvisy a fermé !

Le contexte local est parfois déconcertant. « Un adjoint au maire chargé de la prévention et de la sécurité dont les frères sont impliqués dans des affaires de drogue, c’est impensable, sauf à Grigny », constate Claude Carillo. L’adjoint en question, Saïd Laatiriss, a rendu sa délégation mi-octobre, sans quitter le conseil municipal. Son intégrité n’a pas été mise en cause, mais sa situation devenait effectivement compliquée. En septembre 2017, un de ses frères, Mustapha, est arrêté en possession de 30 kg de cannabis. Un an plus tard, c’est au tour de son autre frère, Hassan, d’être interpellé dans une histoire sordide de planque de drogue à la Grande Borne (voir article « L’art, le vivre-ensemble, les dealers et le tueur »).

Syndic bénévole à Grigny 2, ancien conseiller municipal, Daniel Mourgeon déplore aussi une certaine nonchalance des élus et de la préfecture face aux marchands de sommeil, devenus une calamité dans certains secteurs de Grigny 2. Ils achètent de grands appartements et les louent à la pièce, voire au lit, souvent à des sans-papiers. « Nous avons signalé le problème, explique Daniel Mourgeon. La préfecture nous a fait savoir qu’elle n’avait pas de texte sur lesquels s’appuyer, ce qui est faux. » La loi Alur de décembre 2016 a ciblé explicitement les marchands de sommeil, mais elle ne comblait pas un vide. Loi de 1850 sur l’habitat insalubre, loi du 25 mars 2009 sur l’habitat indigne, décret du 30 janvier 2002 sur le logement indécent… Les outils ont toujours existé. Encore fallait-il les utiliser.

Autre motif de surprise, la police municipale. Ou plutôt, son spectre. En 2016, la ville de Grigny a reçu de l’État une subvention de 800 000 euros pour recruter une équipe de cinq policiers municipaux, cinq agents de surveillance de la voie publique (ASVP) et deux administratifs. L’année 2018 se termine, les agents ne sont toujours pas recrutés. La mairie nous explique par écrit qu’elle rencontre « de réelles difficultés pour trouver ces professionnels de la sécurité. Grigny n’est pas dans la priorité des candidats qui n’ont que l’embarras du choix », de très nombreuses villes franciliennes cherchant des agents. « Le nombre de postes ouverts est bien supérieur au nombre de candidats et le marché de l’emploi est très tendu », ajoute la mairie, qui envisage de « faire appel à un cabinet de recrutement », nonobstant le taux de chômage local, deux fois supérieur à la moyenne nationale… Un policier municipal en poste dans une autre ville de la grande couronne parisienne avance une autre explication : « Les policiers municipaux se demandent jusqu’où les élus de Grigny les soutiendraient en cas de pépins dans les cités. »

Il est surprenant que la municipalité ne saute pas sur cette occasion de recruter, alors que, depuis des années, la chambre régionale des comptes lui demande de réduire ses effectifs. Très lourdement endettée, Grigny est sous tutelle de la préfecture depuis 2003. Le plan de redressement pluriannuel s’éternise. Dans un délibéré du 29 juin 2018, la chambre régionale des comptes d’Île-de-France rappelle qu’« aucune réponse durable à l’insuffisance de sa capacité d’autofinancement ne pourra être apportée sans que soit mise en vigueur une véritable maîtrise des dépenses de personnel ». En 2017, les charges annuelles de personnel par habitant se montent à 1 000 euros à Grigny, contre 762 euros pour les communes de taille comparable, soit 31 % de plus. La municipalité rétorque que « le poids budgétaire de certaines politiques, en matière d’éducation par exemple, est sans commune mesure à Grigny par rapport à la moyenne des villes ». Indéniable. Près d’un tiers de la population a moins de 14 ans, contre 18 % en moyenne nationale. Cela signifie plus de charges et moins de recettes, les finances locales étant de surcroît plombées par la pauvreté des ménages. Un tiers d’entre eux seulement est imposable. Une solution consisterait à faire venir des familles plus aisées, en encourageant la construction et l’accession à la propriété. Ce n’est pas la place qui manque. La densité de Grigny (5 800 habitants/km2) est comparable à celle de Boulogne-sur-Mer, largement inférieure à celle de Nancy ou de Grenoble (7 000 et 8 000 hab/km2 environ). En marge des grands ensembles, il reste des secteurs paisibles. En 2009, un vaste programme de construction « cœur de ville » a été lancé. Il avance très lentement. La construction de logements en général marque le pas, à Grigny. Sur les cinq dernières années (2013 à 2017), la ville a délivré seulement 133 permis de construire. Les communes limitrophes ont été beaucoup plus dynamiques : 921 à Fleury-Mérogis, 691 à Viry-Châtillon, 321 à Ris-Orangis. Manque de promoteurs ? Pas vraiment. Kaufman et Broad s’est intéressé à Grigny, avant de jeter l’éponge. Il est permis de se demander si ce n’est pas la mairie, PCF depuis la Libération, qui se méfie des propriétaires, susceptibles de mal voter. Elle ne serait pas la seule. Villetaneuse, autre bastion PCF, en Seine-Saint-Denis, a autorisé la construction de 148 logements seulement en cinq ans. Maire en poste à Grigny, Philippe Rio a été élu au premier tour en 2014. Il sait compter. Sur les listes électorales, 10 169 électeurs étaient inscrits. L’abstention a atteint 51 %. Restaient 4 968 votants. La liste PCF a triomphé avec 2 442 voix. Quelques lotissements suffiraient à inverser le rapport de force.

La fin d’une époque ?

Tout à fait dans la ligne de l’« Appel de Grigny », le plan pour les banlieues de Jean-Louis Borloo, « Vivre ensemble, vivre en grand », a reçu un accueil polaire de la part du gouvernement en mai 2018. Schématiquement, il proposait de poursuivre la politique de la ville en lui accordant davantage de moyens. Le cas de Grigny suggère que l’heure est peut-être venue d’évaluer l’efficacité des mesures mises en œuvre avant de les refinancer. Un dealer reste un dealer, même au pied d’une tour fraîchement ravalée. À quoi sert un beau parvis de gare, quand il est rempli de vendeurs à la sauvette et de toxicomanes, dès la nuit tombée ? Figure obligée de la politique de la ville, la perfusion d’art dans les cités appellerait aussi une évaluation. La bonne volonté du secteur associatif n’est pas en cause, ses animateurs se contentant en général de salaires au plancher, mais quel est le bilan ? La question, en définitive, se pose pour toute la politique de la ville. Et elle se reposera avec insistance dans les années qui viennent.

L’interminable chute

1967-1972 : Construction de Grigny 2 (5 000 logements), une des plus grandes copropriétés privées de France, ainsi que de la Grande Borne (3 775 logements), vaste ensemble d’immeubles de logements sociaux constitués de dizaines d’immeubles de deux à quatre étages.

1975 : Ex-village de 3 000 habitants, Grigny atteint 27 000 habitants, chiffre inchangé quarante ans plus tard.

Années 1980 : Exode massif des classes moyennes, 750 logements de la Grande Borne sont déclarés insalubres, pour cause de malfaçons.

1999 : Caroline Mangez, journaliste à Paris-Match, publie La cité qui fait peur, chez Albin Michel, résultat de trois mois en immersion à Grigny. Le livre déclenche une vive polémique, rapidement étouffée.

2005 : La part des mineurs d’origine étrangère dépasse 70 %.

2006 : Le revenu médian par ménage est inférieur à 10 000 euros. Grigny pointe dans les 40 communes de plus de 50 foyers les plus pauvres de France.

2009 : La ville a cumulé 15 millions de dettes, soit un tiers de son budget.

2012 : Claude Vasquez, maire PCF depuis 1987, successeur d’André Rodriguez (1974-1987), passe la main à son premier adjoint Philippe Rio (PCF), reconduit au premier tour en 2014. Depuis la Libération, la ville a eu seulement quatre maires, tous communistes.

Septembre 2015 : L’État missionne l’ancien préfet Michel Aubouin pour un audit général des politiques de la ville à Grigny.

Juillet 2016 : Le gouvernement annonce un plan d’urgence pour Grigny.

Septembre 2016 : Peu convaincu par le plan d’urgence, le groupe Casino ferme son hypermarché. Grigny se retrouve quasiment sans commerce de proximité.

Octobre 2016 : une bande de la Grande Borne attaque et incendie deux voitures de police, en plein jour. Une policière et un adjoint de sécurité sont gravement blessés. Treize suspects sont renvoyés aux assises en juillet 2018.

2017 : La police multiplie les opérations à la Grande Borne, avec plusieurs centaines d’interpellations à la clé.

2018 : L’établissement public foncier d’Île-de-France rachète des appartements par dizaines à Grigny 2, dans le cadre d’une opération de requalification des copropriétés dégradées (Orcod).

Wikipedia, la guerre de l’opinion majoritaire

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L'accès à la page Wikipedia du président turc Recep Tayyip Erdogan avait été bloquée dans certaines langues par l'administration turque en 2017. SIPA. 00804459_000006

Présentée comme une « encyclopédie », dont l’objectif serait de synthétiser la connaissance, Wikipedia est le terrain d’une bataille incessante entre ses contributeurs, qui sont bien souvent des militants…


Créée aux Etats-Unis en 2001 par Jimmy Wales et Larry Sangers, Wikipedia, disponible en plus de 300 langues, reçoit chaque mois plusieurs centaines de millions de visiteurs. Cette encyclopédie en ligne est, selon ses propres termes, « en libre accès, en lecture comme en écriture, c’est-à-dire que n’importe qui peut, en accédant au site, modifier la quasi-totalité des articles ». Assumés par des volontaires assistés par des automates, les contrôles se font seulement a posteriori. Ce gigantesque chantier collaboratif voit fleurir chaque jour des centaines de canulars et de tentatives de falsifications grossières, en général repérées et éradiquées rapidement. Il donne aussi lieu à une guérilla sourde, dans les nombreux secteurs de la connaissance où la frontière entre les faits et les opinions n’est pas facile à tracer. Donner le ton de Wikipedia, c’est marquer un point dans la bataille de l’opinion. 

La « controverse » du riz doré

Prenons l’exemple du riz doré. La page en anglais consacrée à cet aliment nous apprend qu’il s’agit d’une variété de riz génétiquement modifiée pour la rendre plus riche en vitamine A. La carence en vitamine A tue plus de 560 000 enfants de moins de cinq ans, et en rend un demi-million aveugles chaque année, dans les pays en voie de développement.

L’article consacre quelques paragraphes aux « controverses », qui sont une rubrique à part entière sur Wikipedia. Greenpeace est citée comme une organisation opposée aux OGM en général et au riz doré en particulier, tout comme Vandana Shiva. L’activiste indienne et l’association remettent en cause le principe et l’efficacité du riz doré : il ne comblerait pas, à lui seul, les carences en vitamine A et donnerait trop de pouvoir aux multinationales qui contrôlent les brevets. Le lecteur non averti quitte la page en retenant que le riz doré, qui n’est pas encore cultivé à grande échelle, a des avantages, sans être une solution miracle, et que la recherche se poursuit.

Changement radical de ton sur Wikipedia francophone. Ici, les controverses prennent toute la place. La page s’ouvre d’ailleurs par un avertissement : « Cet article ne respecte pas la neutralité du point de vue. Considérez son contenu avec précaution. » De nombreux passages en français sont absents de la version en anglais, dont celui-ci : « En février 2009, un groupe de scientifiques et d’universitaires ont signé une lettre ouverte dénonçant des expériences sur le riz doré effectuées sur des enfants (…) alors que de nombreux éléments suggèrent que les produits testés peuvent être toxiques et provoquer des malformations congénitales » ! Sur la page en anglais, on apprend au contraire que la Food and Drug administration américaine a autorisé le riz doré à la consommation en mai 2018, le jugeant sans risque.

« Il y a un grave problème de neutralité sur cet article »

Wikipedia laisse en ligne l’historique des transformations successives des pages et des discussions entre les contributeurs. Concernant le riz doré, les échanges n’opposent pas des anti et des pro-OGM, mais des anti-OGM et des contributeurs qui tentent de garantir la neutralité de la page. « L’introduction devrait se focaliser sur des données factuelles et sourcées et pas sur des expressions d’opinion », écrit Fdardel. « Il y a un grave problème de neutralité sur cet article », renchérit 6monbis, « la section sur les prix Nobel est clairement rédigée pour discréditer la lettre ».

La lettre en question, signée de 107 prix Nobel, date de juin 2016. Elle protestait contre la campagne anti-riz doré de Greenpeace. L’article de Wikipedia en français suggère que les chercheurs ont été manipulés par Monsanto, sur la base d’un article du Monde et d’un article du quotidien québécois Le Devoir. Pour taxer 107 Nobel de naïveté, c’est un peu léger. L’insinuation ne figure pas dans l’article en anglais.

Vérité à géographie variable

Wikipedia supprime régulièrement des articles. Celui consacré au riz doré pourrait disparaitre ou se fondre dans les pages « riz génétiquement modifié » et « organismes génétiquement modifiés« , où les contributeurs anti-riz doré sont déjà actifs ! Qui sont-ils ? Probablement des militants sincères, qui écrivent le soir et les week-ends (les interventions sont horodatées). Le contributeur Freakyvore a travaillé jusqu’à 3h43 la nuit du dimanche 13 mai 2018 pour dire tout le mal qu’il pensait du riz doré.

Malgré les efforts de ses modérateurs en faveur d’une connaissance universelle, Wikipedia reflète et entretient un particularisme local. Le sentiment anti-OGM est répandu en France et une lecture rapide de Wikipedia dans notre langue peut le conforter. Les Américains mangent des OGM et Wikipedia leur suggère qu’ils peuvent le faire en confiance. S’il existe une traduction en français de l’article « GMO conspiracy theory » (« théorie du complot sur les OGM »), nous ne l’avons pas trouvée. Elle serait sans doute assaillie instantanément par des contributeurs anti-OGM. Ces derniers restent très motivés, bien que les OGM soient utilisés sans incident depuis plus de quinze ans dans de très nombreux pays. Le détail des surfaces cultivées est sur Wikipedia, mais comme le site le prouve chaque jour involontairement, il ne suffit pas de mettre des informations en ligne pour que ceux qui en ont le plus besoin en prennent connaissance.

Wikipédia: Objet scientifique non identifié

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Opposition algérienne: Bouteflika ne verra pas le « Printemps »

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Un portrait d'Abdelaziz Bouteflika dans les rues d'Alger, mai 2017. SIPA. AP22047035_000001

En route vers un cinquième mandat, le président algérien Abdelaziz Bouteflika ne rencontrera probablement pas une opposition politique suffisante pour l’inquiéter. Pour l’heure, elle semble trop dispersée…


Pour parler de l’Algérie, on parle souvent de son président, Abdelaziz Bouteflika. Mais qu’en est-il de l’opposition ? Et d’abord existe-t-elle ? Dés l’indépendance, le Front de Libération nationale (FLN) fut le seul parti autorisé. Tous les mouvements de contestation (socialistes, kabyles, communistes, républicains modérés…) furent éradiqués en utilisant tous les moyens possibles : tortures, arrestations, exils forcés, meurtres, etc. Bachir Hadj Ali, le leader du Parti communiste algérien eut même le malheur d’être arrêté et torturé à deux reprises : par la France coloniale puis l’Algérie de Boumediene…

Immobile depuis 1991

En 1989, la nouvelle constitution accorde la vie à d’autres partis. Résultat : le Front islamique du Salut (FIS), mené par Ali Belhadj et Abbassi Madani, arrive en tête des municipales de 1990, en prenant notamment Alger la blanche devenue bien noire. On connaît la suite l’armée arrête le processus électorale de 1991 et s’ensuivent onze et longues années de guerre…

A lire aussi: Bouteflika, candidat post-mortem?

Depuis, l’opposition végète et engrange les « Palestro électoraux ». Elle dirige bien quelques mairies et revendique en moyenne environ un tiers des députés. Mais comme relève, c’est bien peu. La personnalité d’Abdelaziz Bouteflika mais aussi le manque de leader, tant au niveau intellectuel que politique, l’émiettement de l’électorat et la peur d’une énième aventure comme celle du FIS, expliquent cet immobilisme. Et le pétrole arrose les assiettes à défaut de créer des emplois. Une dose de chauvinisme antimarocain ou antifrançais réveille parfois l’opposition, lorsque ça va très mal, mais on est loin du « un seul héros le peuple », immortalisé par René Vautier.

Les dissidents du FLN

Pourtant les opposants existent, certains plus légitimes que d’autres. A commencer par le Front des Forces socialistes qui apparaît comme l’opposant historique depuis 1989. Créé le 29 septembre 1963, le parti est une des émanations de la résistance algérienne au colonialisme français. Membre de la seconde Internationale, son créateur n’est autre que « l’intellectuel des neuf chefs historiques » de l’insurrection de 1954, le Kabyle Hocine Ait-Ahmed. Opposé à Ben Bella, le parti est la version « girondine » de la révolution de 1962 : social-démocrate, décentralisateur et viscéralement attaché à la démocratie, aux libertés publiques et au caractère multiculturel de l’Algérie. Composé en majorité de Kabyles, région qui donna un nombre très important de combattants pendant la guerre d’indépendance, le parti est un défenseur déterminé de la culture berbère. Ait-Ahmed n’hésite pas quelques années plus tard à regretter le départ des Européens et à défendre l’existence de l’État d’Israël ! Preuve de la très grande hétérogénéité idéologique du FLN, masquée par la prise en main des Ben Bellistes dès la fin de la guerre. A l’image de leurs leaders, Ait-Ahmed et Krim Belkacem, les militants sont, pendant une vingtaine d’années, pourchassés (exil, emprisonnement, assassinat…) avant d’être autorisés à rentrer à la fin des années 80 pour subir peu de temps après les foudres des islamistes… Depuis les années 2000, le parti tente de survivre. En dehors de quelques foyers électoraux comme Tizi Ouzou ou la région algéroise, le parti qui possède 14 députés n’apparaît pas en mesure de contester le parti majoritaire, faute de leader charismatique et d’assise sur tout le territoire… sans compter les divisions internes !

Autre opposition algérienne, les centristes du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie, organisé autour du député d’Alger, Mohcine Belabas, et les libéraux du parti Talaie El Houriat du magistrat Ali Benfils, ancien chef du gouvernement. Mais ils semblent trop isolés pour incarner une alternative crédible à Bouteflika.

Des islamistes et des jeunes

Les islamistes, eux, gardent un électorat volage mais capable de se mobiliser. La crise à la frontière tunisienne, le groupe AQMI au Mali et les nombreux Algériens en Syrie mobilisent les plus jeunes et les actifs de leurs militants. De plus, la concorde de 2001 n’a pas vacciné tous les électeurs, notamment les plus radicaux et les éternels déçus de 1962. Mais les islamistes ne peuvent jouer sur l’effet de surprise de 1990 et ont vacciné beaucoup d’Algériens parmi les plus populaires. Le quasi-lynchage par des passants d’un islamiste qui tentait de détruire la statue d’une femme nue près de Sétif montre que les Algériens ne veulent pas revivre une seconde décennie noire. Dans les faits, les partis islamistes, dont celui d’Abderrazak Makri, sont trop divisés pour parvenir à s’entendre sur une stratégie en commun. Les rumeurs d’un noyautage de ces derniers dans l’appareil de l’état frisent, cependant, le fantasme d’une société en manque de repères.

A lire aussi: Oui, l’islam a joué un rôle dans la guerre d’Algérie

Enfin, un nouveau mouvement est apparu en juin 2018 : Citoyenneté-Démocratie, plus communément appelé « Mouwatana ». C’est déjà pour beaucoup d’Algériens un sérieux outsider, tant il apporte de l’air frais dans ce désert de corruption et de népotisme. C’est le seul mouvement politique à dénoncer ouvertement un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika. Il s’appuie sur une multitude d’associations, de syndicats et de partis unis contre le régime du président, dont le parti « Jil Jadid » (« Nouvelle génération») du vétérinaire Soufiane Djilali, déjà opposé à un quatrième mandat en 2014 !

A la suite du Printemps arabe, un nombre important de manifestations a éclaté dans les villes d’Algérie. Les valeurs réclamées: la démocratie, le progressisme, la laïcité. Ce sont en majorité des jeunes trentenaires et quadras surdiplômés, fortement influencés par ce qu’ils ont vu en Tunisie mais aussi par les différents mouvements européens nés dans les années 2010 comme Podemos ou Syriza. Mais ils manquent encore d’une tête d’affiche charismatique pour toucher les couches populaires et un électorat plus âgé.

L’Etat ne tremble pas

Bouteflika a des cartes en main. Djamel Ould Abbès, le secrétaire général du FLN et l’ensemble du parti (parti, il est vrai, peu enclin à la démocratie interne) apportent un soutien clair et sans faille au président. Djamel Ould Abbès le considère « comme un maestro ». La centrale syndicale UGTA ou les patrons du FCE d’Ali Haddad sont également à leur botte : l’ensemble de l’establishment fait bloc derrière son champion.

Il faut dire que le ménage a été fait : démission du Premier ministre, Abdelmajid Tebboune, à l’été 2017 et licenciement de plusieurs hauts responsables militaires cet été après la découverte de leur implication dans un trafic de cocaïne. Dès lors, seul le temps semble en mesure de s’opposer efficacement à Abdelaziz Bouteflika.

« The Haunting of Hill House »: enfin une maison hantée qui fout vraiment les jetons!

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Carla Gugino dans "The Haunting of Hill House" de Netflix / Capture d'écran Youtube Netflix

La dernière série d’horreur de Netflix rencontre, à raison, un grand succès. Même le maître du genre, Stephen King, a aimé…


Les Crain ont prévu de passer leur été dans une vaste demeure qu’ils comptent rénover puis revendre : Hill House. La vie idyllique de cette famille américaine déraille rapidement quand la petite dernière, Eleanor, se plaint qu’une effrayante femme au cou cassé furète près de son lit la nuit…

Le fantôme d’une famille parfaite

Ne vous fiez pas au décor de manoir en carton-pâte et à la trame classique et mille fois revue de The Haunting of Hill House. La dernière production de Mike Flanagan pour Netflix est un spectacle horrifique malin qui ravira au-delà du public habituellement friand du genre « maison malfaisante ».

Après avoir réveillé notre cynophobie dans Gerald’s Game (une adaptation du Jessie de Stephen King), Mike Flanagan et son actrice Carla Gugino s’attaquent donc aux histoires de fantômes et aux lourds secrets de famille… Selon le maître du roman d’horreur américain Stephen King lui-même, c’est une réussite :

A quel point les rêves effroyables et les prémonitions des bambins résultent-ils de l’anxiété maternelle ? Alors que les évènements étranges se multiplient dans la maison, les maux de tête de la mère se font de plus en plus intenses. Maman est-elle simplement un peu déprimée et lunatique… ou y a-t-il quelque chose de plus sérieux ? Surtout, jusqu’où cette anxiété pour ses enfants peut-elle la mener ? Au fur et à mesure des épisodes, cette figure féminine sensible et énigmatique fait un peu penser à la Julianne Moore de The Hours.

Les dix épisodes de la série proposent un aller-retour permanent entre les évènements traumatisants de l’enfance à Hill House et le présent, où l’on retrouve le père et toute sa petite progéniture plus âgés. La mère, elle, a disparu une mystérieuse nuit, sans que les enfants n’aient jamais vraiment appris ce qui lui était arrivé. La famille n’est-elle hantée que par des traumatismes de l’enfance ou bien les fantômes existent-ils vraiment ? A l’exception des deux derniers (les petits jumeaux Eleanor et Luke), les autres enfants restent rationnels et se refusent à y croire.

Hurlez, pleurez, courez…

The Haunting of Hill House est plus qu’une histoire réussie de maison qui fait peur. Dès les premières minutes de la série, certaines scènes de nuit sont proprement terrifiantes. Les acteurs, eux aussi, sont tous impressionnants (on retrouve avec plaisir, dans le personnage du père, Henry Thomas, l’acteur du petit Elliot du E.T. de Spielberg). L’ainé des enfants a fait fortune en publiant un best-seller consacré à la maison hantée de son enfance, alors que lui-même n’y croit pas. Il se met tout le monde à dos. Depuis Hill House, Eleanor est sujette à un grave trouble du sommeil (l’hypnose du sommeil, phénomène auquel on recommande au lecteur pétochard de ne pas trop s’intéresser, qui a eu droit lui aussi à son propre film de genre). De son côté, Luke ne s’est jamais vraiment remis et ennuie toute la famille avec son addiction à l’héroïne. Son destin sera, finalement, le plus éprouvant dans la série.

Entre petits malheurs de l’enfance et destins tragiques des adultes The Haunting of Hill House  ravit son spectateur par sa maîtrise de la construction graduelle des mystères. Et si votre cœur n’a pas décroché après quelques sursauts, il n’est pas dit que certains épisodes ne vous fassent pas pleurer tant la fratrie Crain est attachante.

Suicide de Maggy Biskupski: qui rendra des comptes?

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Maggy Biskupski, le 25 janvier 2018 sur le plateau de "C à vous" ©Capture d'écran Youtube/France 5

Maggy Biskupski s’est suicidée, dans la nuit du 12 au 13 novembre, avec son arme de service. Fondatrice d’une association de policiers en colère, elle militait contre les agressions dont ces derniers sont régulièrement victimes. Ceux qui véhiculent un discours anti-flics sur les plateaux télé verseront-ils une larme ?


« Il n’y a pas de suicides, il n’y a que des meurtres », disait Elsa Triolet. S’il est toujours difficile voire impossible de pénétrer le mystère insondable des âmes et ce qui peut pousser une personne à se suicider pour supprimer définitivement la souffrance en elle devenue trop insoutenable, on peut toutefois, avec lucidité et colère, considérer les facteurs qui facilitent ou encouragent cet acte tragique.

Une policière en colère

Maggy Biskupski s’est donné la mort avec son arme de service. Cette policière courageuse de la BAC des Yvelines avait fondé et présidait l’association « Mobilisation des policiers en colère », créée en réaction à l’attaque de policiers au cocktail Molotov en 2016 à Viry-Châtillon. Elle était devenue, à ce titre, une figure publique et emblématique du malaise des forces de l’ordre et de leur mobilisation, par-delà le jeu convenu des prébendes narcissiques et syndicales. Elle parlait aux caméras, parlait aux Français, elle leur disait leur réalité commune, aux flics et aux citoyens, à savoir cette insupportable violence délinquante qu’ils devaient affronter chaque jour ensemble. Elle fustigeait un système judiciaire remettant inlassablement dans le circuit les délinquants arrêtés la veille et le découragement induit chez ceux dont la vocation est de protéger. Elle parlait aux gens de la vraie vie, de celle qu’ils ont sous les yeux, de celle que les élites déconnectées qualifient de « sentiment d’insécurité ».

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Pour le prix de son engagement, de ce métier qu’elle exerçait avec passion et dont elle disait avoir toujours senti en elle la vocation, pour le prix de la vérité et de la mobilisation, elle était visée par une procédure de l’Inspection générale de la Police nationale pour manquement supposé à son obligation de réserve. On le sait, cette arme du « devoir de réserve » dont les seuls contours jurisprudentiels clairs concernent le défaut de loyauté envers l’employeur, alors même qu’en l’occurrence elle servait les intérêts de sa fonction avec dévouement et engagement, est désormais utilisée pour museler tous ceux qui, de plus en plus nombreux, dans les fonctions publiques d’Etat, territoriale et hospitalière, pensent autrement, exercent leur liberté d’expression à contre-courant du discours dominant. Ce sont des lanceurs d’alerte, et comme tous les lanceurs d’alerte du monde, on tente de les intimider, de les faire taire, et, pour les plus fragiles, de les briser. On ne peut pas affirmer que cette procédure l’a de manière directe conduite au suicide, il est encore trop tôt pour le déterminer et tout sera fait, le cas échéant, pour que l’on n’en sache rien. Mais on peut en revanche affirmer avec une certitude implacable que cette procédure ne l’aura pas aidée à ne pas se suicider.

Prise à partie par Yann Moix

Et qu’en pense le sinistre Yann Moix, de son suicide, lui qui invectivait la jeune femme de manière abjecte sur un plateau télé en raillant dans un registre scatologique une hypothétique couardise des policiers dans certains quartiers face aux racailles, présentées, elles, comme des victimes de harcèlement policier ? Voilà ce qu’il osait lui dire sur le plateau de Salut les Terriens le 22 septembre dernier : « Si vous venez dire ici que les policiers ont peur, vous savez bien que la faiblesse attise la haine: dire que vous chiez dans votre froc, alors que vous faites un métier qui devrait prendre cette peur en compte. »

Fera-t-il « dans son froc », pour se mettre à son niveau sémantique et mental, lorsqu’il ira à la levée de corps de la jeune et belle policière de 36 ans fracassée par l’incurie politique et la malfaisance sociale ? Peut-être ne sera-t-il pas invité. Peut-être d’ailleurs ne sait-il pas ce qu’est le quotidien d’un policier, qui en voit des dizaines chaque année, des corps sans vie, des corps meurtris, des corps souffrants.

Les réactions politiques sont unanimes pour déplorer et dénoncer ce drame. Comme à chaque fois. Comme à chaque fois on va reparler du fléau des suicides dans la police et la gendarmerie. Comme à chaque fois on va parler du manque de moyens alloués aux forces de l’ordre. Comme à chaque fois on va verser une larme. Comme à chaque fois on va faire un discours la main sur le cœur.

La voilà, votre « purge »

Mais qui rendra des comptes sur l’aspect concret de pression que représentait sur elle la procédure de l’IGPN ? Qui rendra des comptes sur la non-prise en compte de la souffrance au travail des policiers ? Qui rendra des comptes sur les territoires perdus de la République, livrés à la racaille et jamais repris par l’autorité ? Qui rendra des comptes sur les inepties sociologisantes expliquant aux Français et à leurs protecteurs armés (les gens d’armes) depuis des années dans des élucubrations insanes financées par l’argent public qu’il n’y a pas d’insécurité mais un sentiment d’insécurité, que les bourreaux sont les victimes, qu’il ne faut pas stigmatiser certains jeunes, certains quartiers ? Qui rendra des comptes sur la mansuétude judiciaire qui confère à tant de policiers l’impression quotidienne de vider l’océan avec une petite cuillère ? Qui rendra des comptes sur la visite de François Hollande au chevet de Théo, au mépris des forces de l’ordre ? Qui rendra des comptes sur les gauchistes haineux qui scandent dans les manifestations : « Tout le monde déteste la police », repris en cœur par certains militants politiques qui aujourd’hui versent leur petite larme de circonstance ? Qui rendra des comptes sur les ordres donnés de ne pas intervenir dans certains endroits pour ne pas créer de problèmes ? Qui rendra des comptes sur une société dans laquelle le jeune qui avait appelé à « purger » la police lors de la nuit de Halloween se sent autorisé aujourd’hui à porter plainte, considérant qu’on l’a mal traité ? Qui rendra des comptes pour toutes ces criminelles démissions ?

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Les policiers et les gendarmes sont aux avant-postes de tous ceux qui souffrent de l’insécurité aujourd’hui en France, et ils sont nombreux, de plus en plus nombreux : fonctionnaires, hospitaliers, enseignants, acteurs sociaux, pompiers, mais aussi professions libérales, petits entrepreneurs, commerçants, qui font face, bien souvent tout seuls, à la violence endémique d’une société devenue quasi anomique. Ce sont eux les « poilus » de l’époque actuelle, en première ligne sous la mitraille pendant que, comme toujours, des planqués à l’arrière du front se paient le luxe de les mettre en cause, de les culpabiliser, de les juger, de les déconsidérer.

Qui répondra ?

En démissionnant, Gérard Collomb a mis en garde en disant que la situation de l’insécurité était en train de basculer de manière critique, et quasiment irréversible. On aura beau jeu de lui répondre qu’il n’aura pas fait mieux que les autres. Mais qui répondra dans les actes au défi sécuritaire qui transforme, pour le moment, les policiers en cibles vivantes et, avec eux, tous les citoyens ?

Maggy Biskupski ne s’est pas suicidée. Elle a été suicidée par la lâcheté de ceux qui avaient pour mission, en la protégeant, de protéger la société tout entière.

Emma: tu la sens ma grosse charge mentale?

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Emma. France 3 Bretagne.

La dessinatrice “féministe”, “antiraciste” et anticapitaliste Emma est de retour avec un nouveau recueil de dessins “inclusifs”. Faisons un tour dans son petit univers !


Entre un « ménage » pour  une « lessive » et ses dédicaces, voilà déjà le troisième recueil de dessins qu’Emma prend le temps de nous livrer en seulement quelques mois. Chic ! Un petit trésor vite emprunté à la bibliothèque par votre persifleur, et vite dévoré.

Les deux premiers volumes présentaient en couverture une énorme vulve en forme d’oeil et promettaient « un autre regard » sur la société. Rien que ça. Pour cette nouvelle livraison, Massot Editions a convaincu notre malicieuse dessinatrice d’y renoncer. Tout un collectif de petits bonshommes (et de petites bonnes femmes) nous est présenté et la vulve est reléguée à une place plus discrète. Un choix judicieux pour les ventes… même si Emma ne renonce heureusement pas à ses sulfureux sujets fétiches. Elle enchaîne, comme d’ordinaire, formules chocs et dessins chics pour éveiller nos consciences.

Emma 3 le retour 

Souvenez-vous : Emma s’était fait connaître des amateurs de débats de société disruptifs avec ses dessins didactiques sur la « charge mentale » (dessins partagés plus de 215 000 fois sur Facebook depuis). Avec Caroline de Haas, Ségolène Royal ou Dora Moutot, Emma est une des figures de proue du néoféminisme français. Ses dessins enfantins éclairent toute une nouvelle génération de militantes. Si ces dernières sont satisfaites que les petits garçons aient enfin le droit de jouer à la Barbie, elles aimeraient désormais passer à la vitesse supérieure. C’est que les mouflets sont maintenant priés de coiffer leurs poupées avec application, ah mais ! Tant pis, s’ils n’aiment pas ça.

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Emma part en guerre contre notre éducation « genrée », qui aboutit à du « travail gratuit » des femmes, qu’elles acceptent en toute soumission. L’Etat pourrait pourtant très bien payer pour repasser les chemises et passer l’aspirateur ! Pourfendeuse du Grand Méchant Capital (les féministes dites « de droite » comme Elisabeth Badinter sont les plus médiatisées, ne vous fiez pas à la petite liste de coreligionnaires du paragraphe précédent), Emma est toujours aussi remontée contre le Grand Méchant Loup (le zizi des garçons, traumatisant). Il y a bien des combats à mener encore.

Il faut dire que notre militante est entourée d’amis qui semblent fort malheureux. Elle s’applique à les émanciper. Son amie Michelle fait des fellations à son mari pour qu’il reste avec elle ? Ça ne va pas du tout. Emma veut que cesse cette « culture du viol » généralisée, elle en a fait les frais elle-même à 18 ans. Son premier mec était « lambda » mais « avec des tendances abusives ». Quand il lui disait « t’as jamais envie, je suis super frustré » pour obtenir une gâterie, c’était grosso merdo la même chose qu’un violeur qui « emploie la force » pour arriver à ses fins dans un parking sombre. Et quand enfin ça commence à baiser pépouse, voilà que les mecs s’arrêtent une fois qu’ils ont atteint l’orgasme, les égoïstes. Alors que les nanas, elles, n’y ont pas toujours accès. Trop injuste !

Son ami policier, Erik, a grandi dans les bois. Il a plein d’ennuis avec ses collègues racistes qui lui crachent dessus entre deux rafles dans les cités d’Argenteuil. Pour lui remonter le moral, Emma lui dit qu’elle « ne pense pas qu’il puisse exister une bonne police ». De toute façon, « dans un monde juste où chacun.e aurait accès à des ressources de façon égale, il n’y aurait quasiment pas de criminalité ». La journaliste Barbara Krief du Nouvel Observateur aime bien quand Emma s’attaque aux violences policières. Même s’il est bien sûr regrettable que cet Erik prenne la place d’une femme dans l’ouvrage, finalement. « Bien que la vie d’Erik soit passionnante, on ne peut s’empêcher de déplorer qu’[Emma] ait choisi de raconter l’histoire d’un homme. Des femmes courageuses qui se sont battues pour un idéal de justice, l’histoire n’en manque pas. » On avait dit qu’on resterait entre nanas, non?

Le féminisme mythomane

La charge émotionnelle fait partie de ces « trucs invisibles » qui pourrissent la vie des nanas. Le voile islamique, bien visible lui sur un dessin sur trois de notre génie de la ligne claire, ne pose pas de problème. Tant pis pour les Iraniennes qui cherchent à s’en débarrasser !

Figurez-vous qu’en silence, chaque jour, les femmes prennent sur elles un tas de trucs. Et que les hommes ne le voient même pas ! Vas-y que je t’organise la décoration du bureau. Vas-y que j’organise le pot de départ de Jean-René. C’est ça la charge émotionnelle. A la maison, ça continue. C’est bobonne qui « anticipe les moindres besoins des hommes » : prise de rendez-vous médicaux, achat de caleçons, confection de repas pendant que Pépère joue à la console, etc. Tout ça gratuitement mesdames messieurs. Et cela explique le succès de bien des hommes célèbres, figurez vous. Karl Marx, Albert Einstein « se sont appuyés sur l’amour des femmes de leur entourage pour réussir leurs projets ».

Osez le ClitoSac !

S’il restait du monde à convaincre que le néoféminisme d’Emma a transformé des requêtes et des luttes historiques légitimes en stupides assignations identitaires, ce recueil est une bonne piqûre de rappel. Ce qui est terrible, c’est que malgré la niaiserie des dessins et du propos, ces bouquins rencontrent un réel succès auprès des adultes. La vocable utilisé prouve en tout cas qu’ils leur sont destinés, même si leur forme pourrait faire croire qu’un public enfantin est initialement visé.

Le nouveau projet d’Emma ? La vente de ses ClitoSacs, des sacoches de toile floquées de deux clitoris qui se tiennent par le bras, symbole magnifique de la sororité que les néoféministes se doivent entre elles. Par ici la monnaie !  Vous pensez que j’exagère ? Vous pensez que vous êtes sur un affreux site masculiniste ? Arrêtez de dire ça ou je raconte tout à ma poupée !

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France-Serbie: cent ans d’amitié piétinés par Macron

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Brochette de chefs d'Etat lors des commémorations du centenaire de l'armistice du 11 novembre à Paris. SIPA. AP22270228_000001

Le 11 novembre dernier, le président serbe, Aleksandar Vucic avait « la gorge serrée ». Lors des commémorations de l’armistice de la Première Guerre mondiale, Emmanuel Macron a, en effet, choisi de l’isoler dans une tribune annexe, quand le représentant du Kosovo était, lui, placé en bonne compagnie dans la tribune officielle. Une humiliation qui fait de l’ombre au souvenir de l’amitié franco-serbe, notamment développée sur le front entre 1914 et 1918. 


Cent ans après la libération de la capitale serbe par l’Armée d’Orient, les autorités françaises et serbes ont commémoré en grande pompe un des événements majeurs de la Première Guerre mondiale. Alors qu’en France on peine à trouver le moindre trace de la formidable percée du front de Salonique dans le flot de commémorations et écrits, hormis un chapitre dans le très bon livre du colonel Porte et une émission tardive sur France 3, Belgrade s’apprêtait à célébrer comme il se doit un des faits majeurs de la percée héroïque du général Tranié et du maréchal Franchet d’Esperey.

« Nous aimons la France comme elle nous a aimés »

Sous un soleil quasi printanier, Belgrade s’était, ce 1er novembre 2018, parée de ses plus beaux atours. Au matin, la délégation française, constituée du récent ambassadeur Mondoloni et de la secrétaire aux Anciens combattants, Geneviève Darrieussecq, avait déjà honoré un monument qui est unique : placé au cœur du parc du Kalemegdan, face à l’imposante ambassade de France, la grande statue érigée par le sculpteur Ivan Mestrovic à la fin des années 1930, fait écho au monument au roi Alexandre Ier de Yougoslavie, sis place de la Muette à Paris. Dans un style très néo-réaliste, il scelle à jamais le tribut donné par plus de 600 000 soldats, dont 130 000 Serbes, à la victoire ultime obtenue dès le 15 septembre par le premier succès décisif contre les austro-allemands sur le massif du Dobro Polje, puis à la percée en 45 jours de plus de 500 kilomètres entre Salonique en mer Egée et Belgrade sur le Danube, fait unique dans l’histoire militaire. Mais surtout c’est un monument unique sur l’amour indéfectible d’un peuple envers un autre : en contrebas on peut y lire : « Nous aimons la France comme elle nous a aimés. »

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Plein de ce moment très émouvant, la même délégation se rendit dans l’équivalent du cimetière du Père Lachaise, le cimetière du Novo Groblje planté sur une des sept collines de Belgrade. Ses vastes allées bordées de majestueux platanes abritent les tombes des grands hommes d’Etat, peintres et intellectuels serbes, mais aussi des généraux de la Première Guerre comme Putnik ou Stepanovic. La liberté de pensée des Serbes et leur absence totale d’esprit revanchard a permis, à mon grand étonnement, que des tombes autrichiennes ou hongroises, soient érigées à côté des carrés militaires russe, britannique ou français. Au début de ce cimetière imposant, se situe le carré militaire français, avec plus de 400 tombes de nos « poilus » d’Orient. Bien alignés et allongés devant le drapeau français, ils semblaient en ce jour de commémoration répondre à la devise inscrite sur le monument principal : « Aux soldats français morts pour la France et pour ses alliés. » La délégation franco-serbe marqua ce 1er novembre 2018 un salut solennel à ces soldats morts très loin de leur patrie, dans le but de défendre les idéaux de la République et de lutter contre la barbarie impériale qui avait, pendant quatre ans, marqué le sol des Balkans de son sang. Qu’ils étaient courageux ces Bretons, Auvergnats et autres Parisiens, mais aussi Algériens, Malgaches et Sénégalais, partis à l’autre bout de l’Europe pour défendre les idées de liberté et d’égalité.

La rencontre de Corfou

C’est donc avec le cœur empli de sentiments forts que nous nous dirigeâmes au Centre Sava, à l’invitation des autorités serbes, pour assister à la grande soirée pour le Centenaire de la Première Guerre mondiale. Le ton n’était pas, ce soir-là, à la contrition et à l’éloge de la paix, nous fêtions la Victoire qui, dans ces contrées de Macédoine et de Serbie, avait été durement acquise : 28 % de la population serbe avait, par son sacrifice, contribué à la victoire et plus de 62 % de la population masculine avait péri pendant le conflit. La fanfare militaire joua des partitions militaires victorieuses entonnées par toute la salle ; c’est avec une émotion intacte que les 2000 invités reprirent le « Tamo daleko » (« Là-bas au loin »), ode à ces soldats qui, en 1915, avaient, en suivant leur roi et leur patriarche, abandonné leurs familles et sacrifié une partie de leur vie, mais pour un but ultime : ils savaient qu’ils allaient libérer leur pays qu’elles qu’en soient les conditions.

Après l’échec des Dardanelles à l’été 1915, une partie du corps expéditionnaire franco-britannique fut ramenée dans le port grec de Salonique. Le 25 novembre 1915 fut donné l’ordre historique de retraite de l’armée serbe par le roi Pierre Ier, qui refusait la capitulation. Commença alors un épisode tragique qui se terminera seulement le 15 janvier 1916 : la traversée de l’armée et de la cour royale serbes à travers les montagnes d’Albanie. Assaillie par le froid et les maladies, un tiers de l’armée serbe périra. Le lieutenant-colonel Broussaud signalait l’ « épuisement physique et moral complet » et des « coups de fusils des comitadjis albanais » ; il évoquait aussi la mort de jeunes recrues par centaines le long des routes. Or ce fut l’armée française qui, sur 120 000 soldats serbes arrivés à pied sur la côte albanaise, en récupéra 90 000 pour les transférer sur l’île grecque de Corfou.

Entre le 15 janvier et le 20 février 1916, furent ainsi évacués à Corfou plus de 135 000 soldats serbes. Lorsqu’ils débarquèrent sur l’île grecque, on pouvait lire dans le carnet de route du 6° chasseurs alpins que « l’état d’épuisement des malheureux soldats serbes [était] extrême : il en mourait 40 par jour ». A Corfou, les médecins allaient entièrement rétablir cette armée en guenilles et les instructeurs la remettre sur pieds : deux hôpitaux militaires furent dès lors installés et, fin mars, plus aucune épidémie n’était à l’œuvre.

« Les Serbes savent aujourd’hui ce qu’est la France. Jusqu’ici, ils ne connaissaient que la Russie »

Svetozar Aleksić, paysan du centre de la Serbie, fut réjoui d’avoir été, durant le transport de Corfou, rasé, lavé et habillé comme de neuf. « Qu’ils [les Français] bénissent leur mère-patrie, la France. Ils nous ont alors sauvé la vie. »[tooltips content= »Témoignage de Svetozar Aleksic, in Paunic-Djordjevic, Tri sile pritisle Srbijicu (Trois puissances ont encerclé la petite Serbie), Belgrade, 1988, pp 8-12. »]1[/tooltips] La même reconnaissance se retrouve dans la lettre du ministre serbe de la Guerre au général Mondésir, responsable de l’évacuation de Corfou. Le 24 avril 1916, il affirmait que « les chasseurs, pendant leur séjour à Corfou, ont gagné les cœurs des soldats et de leurs chefs par leur dévouement inlassable envers leurs camarades serbes ». Ce dévouement explique que « les Français portaient à leurs camarades serbes leurs équipements et leur donnaient la plus grande partie de leur pain ».[tooltips content= »Milan Zivanovic, « Sur l’évacuation de l’armée serbe de l’Albanie et sa réorganisation à Corfou (1915-1916), d’après les documents français », in Revue historique (Belgrade) n° XIV-XV, Institut d’Histoire, Belgrade, 1966, p 2. »]2[/tooltips] De plus, les Français, si proches et attentionnés avaient créé des liens indéfectibles. Le prince Alexandre dit, en avril 1916, à Auguste Boppe : « Les Serbes savent aujourd’hui ce qu’est la France. Jusqu’ici, ils ne connaissaient que la Russie. Or, nulle part ils n’ont vu les Russes, partout ils ont trouvé des Français : à Salonique pour leur tendre la main, en Albanie pour les accueillir, à Corfou pour les sauver. »[tooltips content= »Milan Zivanovic, « Sur l’évacuation de l’armée serbe de l’Albanie et sa réorganisation à Corfou (1915-1916), d’après les documents français », in Revue historique (Belgrade) n° XIV-XV, Institut d’Histoire, Belgrade, 1966, p 4. »]3[/tooltips]

En fait, les slavisants de renom multiplièrent seulement au milieu de la guerre  les conférences et firent ainsi connaître les peuples balkaniques. L’historien Ernest Denis publia son livre célèbre sur « la Serbie » en 1915 et Victor Bérard  en 1916. Et puis les journalistes spécialisés allaient mieux faire connaître les réalités serbes. Henry Barby, correspondant de guerre au Journal, écrivit en 1915 une série d’articles sur les batailles menées à Kumanovo et à Bregalnitza pendant les guerres balkaniques. Charles Diehl, dans son ouvrage de vulgarisation L’Héroïque Serbie qui parut en février 1915, relatait les victoires serbes à Tser et Kolubara.[tooltips content= »Mihaïlo Pavlovic, Témoignages français sur les Serbes et la Serbie 1912-1918, Narodna Knjiga, Belgrade, 1988. »]4[/tooltips]

Auguste Albert, mitrailleur sur le front de Salonique, était étonné par l’amour du Serbe pour sa terre. Lorsqu’il se battait contre les Bulgares, le Serbe criait : « C’est ma terre, ne l’oublie pas. » Puis Auguste Albert  ajoutait : « Dans l’offensive attendue depuis longtemps [ndlr : la percée du front], j’ai été frappé par des choses étonnantes. J’ai remarqué comment le soldat serbe s’agenouille sur son sol natal et l’embrasse. Ses yeux sont pleins de larmes et je l’entends dire : ‘Ma terre’[tooltips content= »Témoignage d’Auguste Albert, in Antonije Djuric, « Ovako je bilo : Solunci govore (C’était comme ça à Salonique –témoignages d’Anciens combattants), Belgrade 1986. »]5[/tooltips]. » Il faut savoir que les Bulgares avaient occupé de 1915 à 1918 tout le sud-est de la Serbie.

« Quand un soldat serbe se relève et lance une bombe, il le fait pour moi, il défend ma vie ! »

Les conférences en Sorbonne par de grands slavistes devenaient plus fréquentes en 1916. Emile Haumant et Victor Bérard, qui avaient créé le « Comité Franco-serbe »,  y développaient leurs idées généreuses sur la Serbie. En Sorbonne se tinrent aussi des manifestations réunissant universitaires, hommes de lettres et responsables politiques. L’historien Ernest Denis prononcera, rien qu’en 1916, pas moins de trois conférences sur les Serbes et la Yougoslavie[tooltips content= »Ernest Denis, « La Serbie héroïque », in Foi et vie, cahier B, 16 janvier 1916. Lire aussi son ouvrage majeur sur la question serbe, La Grande Serbie, Paris, 1915. »]6[/tooltips] : le 27 janvier 1916, le président de la République, Raymond Poincaré, y assista. Le 8 février 1917, l’ « Effort serbe » fut organisé par le comité l’ « Effort de la France et ses alliés » : cette initiative permit d’envoyer plus de 67 000 vêtements aux sinistrés de 1916. Enfin, le gouvernement organisa, le 25 mars 1915 et le 28 juin 1916, des « Journées franco-serbes » dans toutes les écoles pour faire connaître notre allié lointain.[tooltips content= »Grégoire Jaksic, Livre sur la France, Belgrade, 1940. Consulter aussi aux Archives de Serbie (Belgrade), les pièces de l’Exposition « Français et Yougoslaves 1838-1988 » organisée à Belgrade en 1988. »]7[/tooltips]

En septembre 1918, les colonnes du Général Tranié et du Maréchal Franchet d’Esperey perçaient le front de Salonique dans le massif de la Moglena et, en l’espace de trois semaines, libéraient la Macédoine et la Serbie. Le général allemand Mackensen déclarait lors de cet événement : « Nous avons perdu la guerre à Salonique. »

Ces opérations militaires menées ensemble finirent de souder les liens entre Serbes et « poilus » d’Orient et de nouer une amitié indéfectible. Paul Roi, élève-officier dans l’artillerie, évoquait l’habitude des combats qui avait fini de rapprocher les deux armées. « La joie des Français et des Serbes dès le moment où les canons tonnent. Ces canons ont comme redonné espoir aux soldats serbes dans la pensée du retour proche dans leur patrie. Nous, Français, avions une patrie. Tous les soldats français étaient conscients de cette situation ; de là leur volonté de se battre épaule contre épaule pour la liberté de la terre serbe. »[tooltips content= »Paul Roi, in Antonije Djuric, « Ovako je bilo : Solunci govore (C’était comme ça à Salonique –témoignages d’Anciens combattants), Belgrade, 1986. »]8[/tooltips]

Georges Schweitzer, officier-artilleur à Monastir en 1916 puis à la Moglena en septembre 1918, racontait l’abnégation des soldats serbes pendant la bataille. Blessé et perdu dans une tranchée dans le massif de la Moglena, Schweitzer fut sauvé d’une mort assurée par plusieurs Serbes venus le soigner dans la tranchée. « D’un coup, j’ai compris que j’étais entouré d’amis, de gens fantastiques, des soldats serbes qui sont maintenant là, à côté de moi. » Les Bulgares continuèrent à s’approcher en lançant des grenades, mais sa peur avait disparu. « Mes blessures sont soignées, le sang ne coule plus mais ce qui est le plus important : je ne suis plus seul. C’est maintenant la lutte pour moi : quand un soldat serbe se relève et lance une bombe, il le fait pour moi, il défend ma vie ! »[tooltips content= »Georges Schweitzer, in Antonije Djuric, « Ovako je bilo : Solunci govore (C’était comme ça à Salonique –témoiganges d’Anciens combattants), Belgrade 1986. »]9[/tooltips] Georges Schweitzer, dans une hallucination extatique, éprouvait toute sa reconnaissance à l’esprit de sacrifice et de corps des soldats serbes accourus pour le sauver. A ce moment-là de la guerre, la solidité des liens entre Serbes et Français expliquait en partie la victoire obtenue par Franchet d’Esperey.

« Aux libérateurs de la Serbie »

Le général Tranié, qui libéra Skoplje en Macédoine puis Djakovo et Mitrovica au Kosovo-Métochie, nous a laissé des témoignages saisissants de l’amour d’un peuple pour son libérateur. A Kuršumlija, sur la route qui menait de Mitrovica à Niš, « les gens sont habillés pauvrement, les enfants presque nus, mais la population nous offre ce qu’elle a, les maisons sont largement ouvertes aux Français. » Partout sur la route menant à Niš, des scènes d’accolade, des offrandes de pain, de vin et de fromage, toujours données de bon cœur par un peuple pourtant touché par la disette. Arrivés à Niš, la seconde ville serbe, les soldats de l’Armée d’Orient furent accueillis avec tous les honneurs : les plus vieux ne laissaient pas le général Tranié remonter à cheval et l’embrassaient comme s’il était leur fils.

Puis en remontant la vallée de la Morava, des actes symboliques très forts, qui allaient continuer de sceller l’amitié franco-serbe, émaillaient le chemin. A Aleksinac, le général Tranié fut enthousiasmé par l’accueil qui lui fut réservé : « De jeunes filles chantent la Marseillaise et m’entraînent dans la ronde dansée par tout le village. » Plus loin, à Čuprija, le maire de la ville fit un discours en français et les soldats serbes offrirent en guise de cadeau à l’Armée d’Orient des foulards ; à Svilajnac, des demoiselles offrirent au général Tranié un drapeau brodé de lettres d’or par leurs mères où il fut écrit en lettres cyrilliques : « Aux libérateurs de la Serbie, les demoiselles de Resava ! »[tooltips content= »Général Tranié, in Djuric, Les soldats de Salonique parlent, Belgrade 1978, p 65. »]10[/tooltips]

Macron préfère le Kosovo

Mais ces souvenirs glorieux semblent s’être estompés dans le magma des célébrations placées sous le signe de la paix, pour des « civils qu’on a armés », selon Emmanuel Macron.

Quelle triste image, par contraste avec les célébrations joyeuses placées sous le signe de la victoire, donnée par ce jour pluvieux du 11 novembre 2018 à Paris, donnée par cette mascarade de commémoration. Comment expliquer la lecture d’un texte en chinois, pays non engagé en 1914 dans le conflit mondial, et aucune référence à la participation de la Russie et de la Serbie aux côtés de la France en 1914-1918. Les 450 000 soldats serbes morts et 800 000 civils fauchés par le typhus ou morts dans les geôles autrichiennes sont-ils morts pour rien, eux dont les descendants apprennent encore à leurs enfants « Krece se ladza francuska » (« Le navire français part ») en remerciement à l’opération de sauvetage de l’armée serbe par la marine française en 1915.

Mais au-delà de tout signe de reconnaissance envers les Alliés, c’est la célébration, devant la tombe du soldat inconnu, des perdants et donc des pays agresseurs qui choque une grande partie de l’opinion française. Comment expliquer la présence d’Angela Merkel, et l’absence de parade militaire, autrement que par un amour suicidaire pour les puissances centrales qui semblent sur le terrain prendre leur revanche sur l’humiliation subie en 1918 puis à nouveau en 1944. Les troupes allemandes, outrepassant leur rôle purement défensif qui leur avait été attribué en 1945, occupent exactement les mêmes localités au Kosovo et en Métochie qu’en 1944. Que diraient aujourd’hui, face à cette soumission devant l’Allemagne, Franchet d’Esperey, grand vainqueur de 1918, ou De Gaulle, compagnon d’armes du chef résistant serbe Draza Mihajlovic ?

Mais la France s’est définitivement humiliée avec l’honneur fait à un Etat mafieux et à ses représentants. Qui était ce grand homme placé juste derrière notre président, sur la tribune officielle du 11 novembre ? Ni plus ni moins qu’Hashim Thaçi, poursuivi depuis plusieurs années par les tribunaux suisses pour trafic d’armes, et serbes pour trafic d’organes. Pour boucler la boucle de cet abaissement macronien ne manquait plus que ce symbole ultime : pendant sept jours, dans la basilique Notre-Dame a été placé le drapeau du pseudo-Etat du Kosovo, toujours non-reconnu à l’ONU et trou noir de l’Europe. Quel choc des symboles quand on sait que c’est dans cette même cathédrale qu’en juin 1389 ont sonné les cloches à l’annonce des premières victoires serbes contre l’Empire ottoman, lequel était entre autres aidé par des unités albanaises.

L’avenir très proche nous dira si ce choix manifeste, au nom de la paix, d’honorer les agresseurs et d’oublier nos alliés les plus précieux aura une quelconque incidence. Mais déjà il est sûr que plus jamais les liens entre la France et la Serbie ne seront les mêmes.

Risque de « troubles » islamistes: le Royaume-Uni ne voudrait pas d’Asia Bibi

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Ashiq Mesih (à droite) et Eisham Ashiq, le mari et la fille d'Asia Bibi lors d'une interview, octobre 2018. ©BEN STANSALL / AFP

Acquittée par la Cour suprême du Pakistan après avoir été condamnée à mort pour blasphème, la chrétienne Asia Bibi cherche asile en Europe. Selon le Telegraph, ce ne devrait pas être au Royaume-Uni. Le territoire de sa majesté redouterait des « troubles » liés à sa venue.


La Grande-Bretagne n’en finit décidément pas de perdre son âme face aux conséquences délétères et prévisibles du multiculturalisme dont elle a pourtant longtemps vanté les bienfaits, au besoin en faisant la leçon à la République française, laïque, jugée trop universaliste et rigide, comme ce fut souvent le cas par exemple sur la question du port du voile.

Quelques décennies plus tard, le résultat est là : un morcellement de la société qui n’est finalement pas sans évoquer le patchwork d’un Commonwealth reconstitué sur le sol anglais. Ce qui, après tout, évite de faire de longs voyages pour être dépaysé. Mais qui sert aussi les intérêts des communautés les plus offensives, ayant pour but non dissimulé l’instauration de la charia, laquelle fait doucement mais sûrement son entrée dans le droit britannique, en grande partie jurisprudentiel et donc volontiers ouvert aux quatre vents de coutumes massivement importées.

Peut-on « blasphémer » au Royaume-Uni ?

Dans ce contexte, le sort de la chrétienne Asia Bibi, persécutée par les islamistes au Pakistan et courageusement (il faut le souligner) acquittée par la Cour suprême du Pakistan des accusations de blasphème qui pesaient sur elle, pour avoir osé commettre le crime abominable de boire de l’eau dans le même puits que des femmes musulmanes, fait figure de révélateur, s’il en était encore besoin, pour comprendre le niveau de soumission désormais atteint par certaines sociétés occidentales face à l’islam radical et politique.

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Selon le Telegraph, les autorités britanniques redouteraient les conséquences d’un éventuel accueil d’Asia Bibi sur le sol anglais lequel aurait donc été tout simplement rejeté : menaces de troubles et problèmes de sécurité dans certaines communautés, émeutes, mais aussi risques d’attaques terroristes islamistes contre des ambassades britanniques à l’étranger. Le pays qui organisa, en 1989, la sécurité de Salman Rushdie en pleine affaire des Versets sataniques n’est donc clairement plus en capacité d’assumer ses propres valeurs, qu’il s’agisse de la liberté d’expression ou de la simple liberté de conscience. Puisque le seul vrai crime d’Asia Bibi est d’être chrétienne dans un pays musulman où certains, nombreux, considèrent que n’être pas musulman est une souillure.

Ne pas stigmatiser

Imagine-t-on une seule seconde la situation inverse, une personne musulmane harcelée, lynchée, menacée de mort par des foules chrétiennes car elle aurait bu dans un puits et souillé l’eau de ce puits par sa simple condition de personne musulmane ? Imagine-t-on un pays chrétien produire en 2018 pareille abomination ? Imagine-t-on qu’une grande démocratie comme l’est la démocratie anglaise n’apporterait pas son soutien immédiat et n’offrirait pas l’asile à cette personne musulmane persécutée ? Imagine-t-on ce qu’en diraient tous les chantres du danger de l’islamophobie, si nombreux outre-Manche, si prompts à traquer la moindre trace de discrimination prétendument islamophobe dans le discours des uns, dans les propos des autres, chassant au sein du Parti travailliste comme au sein du Parti conservateur la moindre scorie de mal-pensance prétendument islamophobe, comme si la devise anglaise « Honi soit qui mal y pense » n’avait plus de signification autre que de se ranger sous le giron de la complaisance envers l’entrisme islamiste, honi soit qui mal y pense de l’Islam ?

De la même façon qu’il aura fallu 30 ans avant que le scandale des crimes, viols, tortures, traite de femmes et de jeunes filles à Telford et Rotherham ne sorte enfin au grand jour, ne soit enfin pris en compte, ne soit enfin porté en justice, parce que pendant des décennies les services sociaux comme les services d’investigation et de justice ne voulaient pas que la communauté pakistanaise soit stigmatisée par ces révoltantes affaires et par ce qu’elles ont révélé, là aussi, la crainte d’alimenter la mystérieuse et fantasmagorique islamophobie a permis de couvrir les pires abominations et de s’aplatir devant les crimes les plus abjects visant des femmes et fillettes non musulmanes, considérées ce faisant comme n’ayant pas de valeur, considérées, certains accusés l’ont dit, comme de la viande.  Il faut dire, c’est pignon sur rue à Oxford qu’enseignait Tariq Ramadan dont on a pu mesurer ce que sa foi vibrante semble lui inspirer de respect des femmes, lui dont le frère Hani déclarait qu’une femme non voilée ne valait pas plus qu’une pièce de deux euros passant de main en main.

De qui ont peur les autorités britanniques ?

On peut par ailleurs parfaitement entendre que des islamistes dangereux s’en prendraient effectivement aux ambassades britanniques à l’étranger, comme c’est le cas à chaque fois que l’islamisme tente de faire plier les sociétés libres occidentales (affaire des caricatures, Charlie, Salman Rushdie et tant d’autres), mais comment comprendre le risque évoqué de troubles émanant de la communauté pakistanaise sur le sol britannique ? En effet, est instamment demandé aux citoyens de ne pas amalgamer l’islam et l’islamisme, ce que chacun fait bien volontiers. Il est à chaque fois évoqué le fait que l’islam serait une religion « de paix et d’amour ». Soit. Mais alors, est-ce à dire qu’il y aurait sur le sol britannique une communauté extrémiste terroriste vaquant tranquillement à ses occupations à l’air libre ? Ou alors, est-ce à dire que ce ne sont pas des extrémistes qui provoqueraient des troubles communautaires hostiles à cette chrétienne martyre ? L’extrémisme serait-il donc finalement assez répandu ? Il y a dans ce double postulat soit un illogisme, soit un mensonge.

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Ainsi, dans cette honteuse pusillanimité des autorités britanniques, on voit tout le renoncement mais aussi l’hypocrisie du débat actuel sur la question islamiste. Churchill pourrait le redire, face à ce nouveau péril obscurantiste et criminel : à vouloir éviter la guerre au prix du déshonneur, on a le déshonneur et la guerre.

Anne Hidalgo plus chrétienne que le pape

Le gouvernement français planche quant à lui sur l’accueil possible de la chrétienne persécutée tandis qu’Anne Hidalgo l’a d’ores et déjà désignée citoyenne d’honneur de la Ville de Paris. C’est tout à l’honneur, en l’occurrence, de la maire socialiste, quand bien même on n’est pas certain que ce soit l’endroit du monde où la martyre pakistanaise serait le plus en sécurité. Mais enfin, y a-t-il un endroit sur Terre actuellement à l’abri des fous de Dieu ? La notion d’asile, tant galvaudée et utilisée pour ce qu’elle n’est pas, retrouverait là tout son sens. Ce serait aussi pour l’exécutif le moyen de rappeler que c’est à cela que sert la laïcité : protéger toutes les personnes, de toutes les convictions, contre l’intolérance possible de toutes les autres, sans distinction. Et il se trouve qu’à l’heure actuelle, n’en déplaise au pape François qui ne s’est curieusement pas précipité sur cette affaire pour accueillir la martyre au Vatican et lui laver théâtralement les pieds, ce sont les chrétiens en terre d’Islam qui sont persécutés.

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