Accueil Site Page 1457

UE/Mercosur: l’Europe passoire, ça continue!

0

Il existe pourtant deux leviers pour contrer les accords commerciaux défavorables aux intérêts français !


La fuite en avant vers le libre-échange est devenue une antienne de la politique européenne!

L’Acte Unique (1986) abolissait toute barrière douanière à l’intérieur d’un espace économique censé être homogène ou le devenir. Au gré des agrandissements successifs de la construction européenne, l’autonomie progressive de la Commission européenne en matière commerciale fut une bombe à retardement faisant de notre continent un espace économique ouvert aux quatre vents. Alors que nous sommes désarmés face aux dangers de la mondialisation, il est impératif dans un premier temps de revenir sur l’autonomie de la Commission européenne sur ces négociations commerciales, en y associant davantage les États membres, lesquels restent dépositaires de la souveraineté.

Un système bien huilé

Ensuite, en conférant aux technocrates de la Commission européenne les pleins pouvoirs sur la politique commerciale et douanière des États membres, le Traité de Lisbonne (2007) leur a offert un blanc-seing pour mener une politique libre-échangiste dont on voit dix ans plus tard les conséquences… Le Parlement européen n’est sollicité que pour la ratification des accords ! De plus, si le Parlement européen possède une certaine utilité, le contrôle continu de l’Allemagne sur les deux principaux groupes parlementaires (PSE et PPE) lors de la dernière législature (dirigés respectivement par Udo Bullman et Manfred Webber) a considérablement affaibli dans la pratique le supposé rôle de contre-pouvoir de Strasbourg par rapport à la Commission.

Nous disposons de deux moyens pour bloquer la Commission européenne. Utilisons-les !

Contrer la machine à perdre

Il y a d’abord la possibilité de faire imposer l’accord de compétence mixte pour l’adoption d’accords commerciaux (Parlement européen + Parlements nationaux). Ensuite, il y a la pression de l’opinion publique.

Le 22 mai 2018, les ministres du Commerce des pays membres de l’Union Européenne décidèrent que les futurs accords commerciaux devaient désormais se réaliser sans l’aval des Parlements nationaux, en scindant les traités en deux parties. Il faudrait privilégier le retour de l’accord de compétence mixte pour les traités commerciaux, comme nous le recommandions dans notre dernier rapport sur l’Europe.

Le traité sur le Mercosur s’engage à éliminer les taxes (à hauteur de plus de 90%) sur des produits industriels comme les automobiles, sur les équipements industriels ou encore les produits pharmaceutiques, secteurs indispensables aux exportations allemandes. Le traité est donc particulièrement favorable aux intérêts d’outre-Rhin. Si l’on étudie dans les détails les clauses du traité, on s’aperçoit par exemple que l’Allemagne pourra toujours compter sur le fait que l’automobile occupe une part de marché importante dans les pays du Mercosur (23% pour Volkswagen, contre seulement 7% pour PSA)…

Le Mercosur profitera plus à l’Allemagne qu’à la France

L’agriculture et l’élevage, que Sully avait déjà identifiés sous Henri IV comme les deux mamelles de la France, risquent en revanche d’être fortement lésés. Comment Emmanuel Macron va-t-il expliquer aux Antilles, où la production agricole repose en grande partie sur la canne à sucre, l’abaissement des droits vis-à-vis de concurrents directs ? En effet, les droits seront abaissés sur des produits agricoles européens comme le vin, les chocolats ou les olives. Quant aux fromages et aux produits laitiers européens, ils bénéficieront de « larges quotas » sans taxes. En échange, une quantité inédite de produits agricoles sud-américains est destinée à concurrencer le marché européen, via des quotas : 99.000 tonnes de bœuf par an à taux préférentiel (7,5%), un quota supplémentaire de 180.000 tonnes pour le sucre et un autre de 100.000 tonnes pour les volailles…

Sur le plan fiscal et social, comment pouvons-nous ajouter de la concurrence supplémentaire alors que les distorsions de concurrence sont béantes entre l’ordre normatif européen et celui de pays qui ne respectent aucune règle, que ce soit en matière de droit du travail, de droit sanitaire ou de droit environnemental ? Des produits agricoles seront vendus au même prix que les produits français, avec un coût de main-d’œuvre bien moindre et une fiscalité avantageuse, aggravant le dumping social et fiscal déjà présent au sein du marché unique… Enfin, les dirigeants européens rompent avec le principe de la préférence communautaire qui fut pourtant essentiel dans la fondation et la construction européenne, à travers des politiques comme la PAC !

Perspectives peu reluisantes

A ces perspectives économiques peu réjouissantes pour la France, s’ajoutent les questions environnementales. En allant chercher toujours plus loin des produits que nous pouvons trouver chez nous, nous créons les conditions pour que la planète devienne absolument invivable.

Ainsi, cet accord ne peut entraîner que l’opposition des opinions publiques en Europe, et particulièrement en France. En plus d’être néfaste sur le plan économique et environnemental, le traité de libre-échange avec le Mercosur reflète la construction européenne telle qu’elle est de plus en plus décriée par une bonne partie de l’opinion (on pense en France aux “gilets jaunes”). Son adoption par Emmanuel Macron prouve que quand Nathalie Loiseau et le Président nous parlaient d’Europe “protectrice” lors des dernières élections, on s’est payé notre tête. Une Europe plus protectrice ne pourra venir que lors du prochain renouvellement de l’exécutif européen ou du changement de président de la République française.

Texte co-écrit par Jean-François Champollion, contributeur du Millénaire, agrégé et doctorant en histoire contemporaine.

Natalité des femmes immigrées: Laurent Joffrin, pas un aigle de la statistique!

0

Parfois, on prend quelques libertés avec les chiffres et les statistiques pour rester dans les clous de son idéologie… À Libération, quand on veut absolument démontrer que les immigrées ne font pas tellement plus de mioches que les Français de plus longue date, les approximations sont au rendez-vous…


J’ai reçu hier, d’un correspondant malicieux, le commentaire de Laurent Joffrin dans Libération sur le dernier Pop&Soc publié par l’Ined traitant du rôle joué par les immigrées sur le niveau de la fécondité française.

A lire aussi sur le blog de Michèle Tribalat : La France a la plus forte fécondité d’Europe. Est-ce dû aux immigrées ?

La lettre politique de Laurent Joffrin est intitulée, avec le sens de la nuance qu’on lui connaît, « Grand remplacement » ou grand enfumage ? Cette lettre illustre à merveille la critique que j’ai adressée hier aux auteurs du Pop&Soc.

Libération, pas des as en statistique…

Visiblement, Laurent Joffrin a adoré la publication de l’Ined qui avait tout pour lui plaire. D’ailleurs, sa lettre est accompagnée d’un article élogieux intitulé « Non l’immigration n’est pas à l’origine du taux de fécondité élevé des Françaises », truffé des bons mots de Gilles Pison, l’un des auteurs et rédacteur en chef de la revue Pop&Soc. C’est Valentine Watrin qui s’y est collée.

A lire aussi : En France, l’homosexualité reste une «maladie» ou une «perversion» pour 63% des musulmans

En grand donneur de leçons, Laurent Joffrin, rebondit sur le Pop&Soc pour ridiculiser les adeptes de la théorie du grand remplacement. Pris par son enthousiasme, il pratique des arrondis aventureux sur le fameux « taux de fécondité » : « 3 contre 2, grossièrement » respectivement pour les immigrées et pour les natives. Arrondir 2,6 enfants par femme à 3, c’est faire preuve d’une audace qui frise l’imprudence ! Il n’est d’ailleurs pas non plus justifié d’arrondir 1,88 à 2. Mais, Laurent Joffrin a l’excuse de marcher dans les pas de François Héran, connu pour ses arrondis audacieux.

C’est moi qui précise qu’il s’agit d’un nombre d’enfants par femme. En effet, on se rend compte, au fil du texte, que Laurent Joffrin a pris l’expression « taux de fécondité » au pied de la lettre. Il a raison : un taux s’exprime en pourcentage. J’ai fait une capture d’écran ce matin du point trois de son argumentation qui en compte cinq, dans lequel il se demande si le grand remplacement est en cours :

Laurent Joffrin n’est pas à blâmer. On ne peut lui reprocher d’avoir pris l’appellation « taux de fécondité » au sérieux. S’il n’est manifestement pas un aigle en statistique, il a au moins compris ce qu’était un taux. C’est déjà pas si mal ! Ce sont les auteurs du Pop&Soc qui, en voulant se rapprocher du lecteur, l’ont induit en erreur, en essayant de parler comme lui.

A lire aussi : Dans Libération, la démocratie est fasciste, trop blanche et antidémocratique

Amateur toi-même!

Comment François Héran va-t-il réagir, s’il le fait, à l’erreur de Laurent Joffrin ? Sera-t-il aussi sévère qu’il l’avait été avec Éric Zemmour qui, lui aussi, exprimait la fécondité en pourcentage ? Ce dernier commentait ainsi le Pop&Soc de 2007 dans lequel Gilles Pison et François Héran évaluaient la contribution des femmes immigrées à la fécondité française à 0,1 enfant : « 0,1 %… Ça fait rire la France entière » (RTL, 21 juin 2010). Dans son livre Avec l’immigration publié en 2017, François Héran jugeait que le recours au pourcentage était « un signe flagrant d’amateurisme ». Il écrivait un peu plus loin : « notre brillant critique a pris un point d’indice (+0,1 enfant) pour un point de pourcentage (+0,1 %)… Il est absurde de parler d’un “taux de fécondité de 0,1 %” : une telle formule signe d’emblée une ignorance complète de la démographie ». En effet. Mais François Héran récolte ce qu’il a lui-même semé. Désigner par un taux, un indicateur qui n’en est pas un, comme il le faisait déjà en 2007 alors qu’il était directeur de l’Ined, n’est pas faire œuvre de pédagogie. Dans son livre Avec l’immigration publié en 2017, il évoquait les organismes, dont l’Ined, qui traitent de la démographie et accordent un « soin particulier [à] la lisibilité des textes, des tableaux et des graphiques » et blâmait les lecteurs distraits, dont Éric Zemmour était une « illustration saisissante », en invoquant Jean-Jacques Rousseau : « Je ne sais pas être clair pour qui ne veut pas être attentif ». Quel auteur prestigieux invoquer pour son manque de précision et ses erreurs à lui ?

A lire aussi : Zemmour et les élèves juifs du 93: le « fact-checking » foireux de TF1

Mon intuition me dit que François Héran sera plus conciliant avec Laurent Joffrin qu’il ne l’a été avec Éric Zemmour. Il n’a pas pu rester insensible à l’éloge indirect que Laurent Joffrin lui adresse en reprenant, notamment, la thèse selon laquelle les difficultés proviennent des concentrations de populations d’origine étrangère dont celles-ci sont victimes, concentrations qui sont, écrit Laurent Joffrin, « le lot des populations défavorisées ». Ces populations rencontrent des « problèmes d’intégration sociale », comme les gilets jaunes et… ouf, « c’est la question sociale qui domine ». CQFD. Rappelons que, dans son livre de 2007, Le Temps des immigrés, François Héran ne voyait dans les concentrations qu’un mauvais réglage politique, pour lequel il empruntait une métaphore hydraulique : « il est prématuré de dire que le bassin national est plein à ras bord si nos communes forment 36 000 bassins très inégalement remplis, dont les uns débordent tandis que les autres restent quasiment vides ».

Un « complot » des démographes?

L’article de Valentine Watrin fait lui aussi l’éloge du « travail réalisé par des chercheurs de l’Ined [qui] entend fournir un socle empirique à un débat souvent hystérique… un effort d’analyse factuelle qui vient ébranler la thèse d’un complot des démographes pour cacher les chiffres sur l’immigration ». On ne peut lui en faire grief car elle n’est pas plus armée que Laurent Joffrin pour comprendre de quoi il retourne. Et puis, Libération ne va quand même pas rater une occasion pareille de faire la leçon à ceux qui pensent mal. Surtout s’il a l’Ined, l’Insee et le Collège de France avec lui. Valentine Watrin n’est pas non plus en mesure de relever les impropriétés de langage de Gilles Pison qu’elle interroge lorsqu’il évoque « les immigrantes de la deuxième génération », expression par laquelle il désigne les filles d’immigré(s) qui sont nées en France et n’ont donc jamais, par définition, connu la migration. Pas plus qu’elle n’est outillée pour contester l’affirmation suivante de Gilles Pison : « La France doit beaucoup à l’immigration… Près d’un quart de la population est soit immigrée, soit descendante de parents ou grands-parents immigrés ». Elle ne peut avoir la présence d’esprit de lui demander la date de cette estimation ni la publication à laquelle il se réfère car Valentine Watrin a l’habitude de prendre pour argent comptant la parole de ceux qui sont censés exercer leur art. La dernière estimation de la population d’origine étrangère sur trois générations a été réalisée à partir de l’enquête Famille de 2011 pour les moins de 60 ans en France métropolitaine, par mes soins. En 2011, c’est près de 30% de personnes de moins de 60 ans qui étaient soit des immigrés soit des enfants ou petits-enfants d’immigré(s).

Cependant, on ne peut que constater le désaccord entre Gilles Pison et son co-auteur François Héran, qui estimait lui aussi au doigt mouillé en 2017, la population d’origine étrangère sur deux générations : « Quelques années encore et ce sera le quart. […] Si l’estimation pouvait remonter d’une génération, elle montrerait qu’un tiers de la population du pays a au moins un parent ou un grand-parent immigré. » Peut-être pourraient-il refaire un Pop&Soc pour s’en expliquer ?

Il ne faut pas trop en vouloir à Laurent Joffrin et à Valentine Watrin qui font confiance aux compétences invoquées par les démographes qu’ils lisent ou interrogent, surtout si ceux-ci confirment leurs préjugés idéologiques. On ne peut guère compter sur les décodeurs de Libération pour s’en prendre à la bourde de leur patron et tourner en dérision le maladroit qui pense que l’indicateur conjoncturel de fécondité est un pourcentage. Comme les autres décodeurs, ceux de Libération ne décodent trop souvent que les écrits qui les dérangent!

>>> Retrouvez tous les articles de Michèle Tribalat sur son site

Le Temps des immigrés. Essai sur le destin de la population française

Price: 11,80 €

28 used & new available from 1,76 €

Statistiques ethniques, une querelle bien française

Price: 14,45 €

8 used & new available from

Avec l'immigration: Mesurer, débattre, agir

Price: 21,00 €

22 used & new available from 10,41 €

Assimilation : la fin du modèle français: Pourquoi l'Islam change la donne

Price: 9,90 €

15 used & new available from 5,72 €

Islam de France: oxymore

0

Ce n’est pas le rôle historique de la France de réformer l’Islam. Persuadés du contraire, les Français participent à un dangereux jeu à l’issue fort incertaine. Il est illusoire de croire que la civilisation musulmane acceptera de s’empêcher en France… Analyse.


La promesse d’un Islam de France fait partie de ces impostures contemporaines dont la seule vertu est d’endormir le citoyen et lui faire croire à des lendemains qui chantent. Il ne sert à rien de fantasmer sur une religion déradicalisée car l’Islam n’est pas un objet de laboratoire que l’on peut modéliser et manipuler. Ce n’est pas non plus un régime alimentaire duquel on peut retirer les protéines ou une boisson gazeuse que l’on peut délester de ses calories.

Cet OVNI nommé civilisation

Toute religion est liée à une civilisation qui lui donne une continuité historique. Et chaque civilisation a besoin d’une matière humaine pour exister. Quoi qu’elle fasse, la civilisation française n’aura aucune emprise sur l’Islam. Il lui est étranger et ne lui a jamais appartenu. Il y a des choses que seule une mère peut dire à ses enfants et la France n’a pas engendré l’Islam. Bien au contraire, elle s’en est préservée tout le long de son histoire. Il revient à la civilisation musulmane de réformer l’Islam et à elle seule.

Les Français ne peuvent pas toucher au dogme ni au Coran. C’est l’affaire de la civilisation musulmane. Si cette civilisation décide de changer de cap, elle le fera sans nous consulter et nous en subirons les conséquences, bonnes ou mauvaises

Existe-t-il une civilisation musulmane en France ? La réponse est « pas encore mais ça ne saurait tarder ». La civilisation musulmane vient, pour la première fois, de franchir les Pyrénées. Elle compte désormais des millions d’adeptes au nord de la Loire et à l’est du Rhin.Evénement historique aux proportions incommensurables ! Quand Mme Merkel a appelé un million de réfugiés en Allemagne, elle a exaucé en quelques mois le rêve millénaire d’une civilisation.

La France n’est pas une Business Unit !

L’expérience prouve tous les jours que l’assimilation et l’intégration ne marchent pas ou pas suffisamment. Il n’y a pas assez de métissage et chacun campe sur son héritage et sa différence, convaincu de son droit à la Différence. Or, les civilisations ne s’empilent pas comme les étages d’un building. Elles ne s’alignent pas non plus comme les boutiques d’un centre commercial. Elles n’aiment pas la promiscuité. La diversité, telle que nous l’entendons, leur fait horreur. Cela ne veut pas dire qu’elles exècrent le dialogue et l’échange, elles ont juste besoin de le faire au goutte-à-goutte pour ne pas se diluer. Elles aiment contrôler la vitesse des échanges. Pour elles, tout est une question de rythme.

A lire aussi : Les islamistes, passagers clandestins du progressisme

Leur obsession est celle d’un monarque : durer et transmettre le pouvoir à qui de droit. Rien à voir avec la mentalité managériale de nos leaders qui envisagent un pays comme une Business Unit appartenant à une multinationale dont le siège social serait à Bruxelles. Ils conçoivent l’exercice du pouvoir comme celui de la « compliance » qui consiste à gouverner en regardant vers l’échelon supérieur et non vers l’arrière c’est-à-dire vers les aïeux. Tout le contraire d’une civilisation qui est une machine à tirer les leçons du passé.

Une civilisation est prudente, même si elle est capable d’accès de colère aussi soudains que cruels. Elle goûte la nouveauté du bout des lèvres et la digère, avec un luxe de précautions. Elle craint d’être empoisonnée par un venin qui pourrait la pourrir de l’intérieur. D’où sa méfiance par rapport à l’Etranger et sa réticence à l’installer tout de suite au cœur de la maison.

Déluge de feu et de cendres

Que de choses étranges pour nous autres Occidentaux ! Nous avons oublié les civilisations depuis 1945 lorsqu’un nouveau système international a été mis en place sur les décombres hérités de la Seconde Guerre Mondiale. Depuis, nous souffrons de myopie car nous ne reconnaissons plus que les Etats, les organisations internationales et les ONG. Nous nous gargarisons de la société civile mais elle n’est rien face à la permanence et à la puissance d’une civilisation. Une ONG tombe, change de nom pour qu’un autre reprenne sa place, pas une civilisation. Elle est la personnification du temps long car elle n’est pas tributaire d’une cause, elle défend un mode de vie. Sa navigation est similaire à celle d’un continent : une dérive lente et ennuyeuse qui, de temps en temps, remet les hommes à leur place par un déluge de feu et de cendres.

A lire aussi : Le progressisme n’en a plus pour longtemps

Nous sommes capables de distinguer les ONG des groupes terroristes et des organismes supranationaux mais nous ratons l’essentiel : la lave en fusion qui bouillonne sous la croûte terrestre. Ce manteau rocheux que nous avons perdu l’habitude de creuser depuis que la superficialité est devenue une vertu.

Cette force primaire fait trembler nos constructions et déborder nos rivières mais nous accusons la pierre qui se brise et l’eau qui tourbillonne. Nous confondons les circonstances et les permanences. Les premières sautent aux yeux, les secondes sont accessibles aux seuls initiés. Nous voyons les migrants se jeter à la mer et les humanitaires faire leur show à Lampedusa sans percevoir l’élan d’une civilisation qui a envie de contact, de friction, d’échange, d’en découdre quoi !

Nous nous berçons d’illusions

Les civilisations sont souveraines. Elles sont faites pour se crisper et se détendre, sans demander l’avis aux sociétés ni aux hommes et aux femmes qui les composent. Elles participent du Divin. Tantôt à l’Olympe, tantôt en enfer, elles habitent des territoires qui nous sont inconnus.

A lire aussi : Zemmour et les élèves juifs du 93: le « fact-checking » foireux de TF1

Elles se crispent pour un rien et se détendent pour un rien aussi. Il ne faut pas leur en tenir rigueur. Les crispations identitaires alternent avec les moments de communion universelle. Il n’y a que les progressistes pour s’en offusquer alors que notre avis n’a aucune espèce d’importance. Arrive-t-il aux Indiens d’Amazonie de s’indigner des crues périodiques du Rio Negro ?

Freud nous a appris que l’inconscient a toujours le dernier mot. Les civilisations aussi. Bien qu’elles tiennent fermement le manche, elles nous laissent croire que nous sommes libres et invincibles. Douce illusion.

Les civilisations sont nos mères suprêmes, elles nous ont engendrés et continuent à veiller sur nous, qu’on le veuille ou non. Elles ont le sixième sens d’une mère qui prend soin de ses enfants, où qu’ils soient, même à l’autre bout du monde. Parfois, elles froncent les sourcils et nous confondons leurs rides d’expression avec leurs émotions véritables. Erreur fatale née de l’arrogance et de la superficialité.

Le devoir d’humilité

Certains regardent le Coran comme un manuel d’instruction ou un traité de mathématique que l’on peut résumer ou modéliser.  En vérité, il est le fondement d’une formidable aventure humaine, initiée en Arabie, par un peuple de bédouins qui a soudain rencontré la grandeur. Cette aventure dépasse les Arabes, les Perses ou les Turcs, elle est authentiquement humaine. En ce sens, elle est admirable. Toutes les exégèses du monde ne sauront expliquer les raisons du succès de l’Islam. Comment un peuple analphabète, un peuple de chameliers et de commerçants aficionados de la poésie a réussi à subjuguer l’imaginaire de centaines de millions d’êtres humains ? Mystère de la foi et de la civilisation.

Face à cela, il faut de l’humilité : les Français ne peuvent pas toucher au dogme ni au Coran. C’est l’affaire de la civilisation musulmane. Si cette civilisation décide de changer de cap, elle le fera sans nous consulter et nous en subirons les conséquences, bonnes ou mauvaises. Cette révolution peut avoir lieu au fin fond de la Beauce ou sur les berges du Nil, peu importe, elle ne nous demandera pas notre avis.

Ce qui nous concerne en revanche c’est l’émergence d’une civilisation musulmane en France. L’immigration et surtout la démographie transforment la civilisation islamique en une évidence (islamique est synonyme de musulmane, à ne pas confondre avec islamiste). Or, une civilisation a besoin de s’exprimer : elle a besoin du grand air, elle n’aime pas les caves ni les sous-sols. Elle exige des monuments à sa gloire, des paysages urbains à sa mesure, des goûts et des saveurs qui conviennent à son tempérament, une ou plusieurs langues qui la fassent rêver et chanter, une organisation politique qui corresponde à ses mœurs. En résumé, une civilisation a besoin d’exprimer sa constitution mentale. Un jour ou l’autre, la civilisation islamique va exiger tout cela. Pour l’instant, elle se tait.

Une civilisation assoiffée de gloire après humiliations et échecs

Les Français vont droit vers un rendez-vous décisif avec l’Islam sans y être préparés. Deux trains roulent l’un vers l’autre à toute vitesse. La civilisation française a la tête baissée par son culte de la repentance et les poches pleines par son génie industriel. La civilisation islamique a la conscience tranquille et elle est assoiffée de gloire après tant d’humiliations et d’échecs, le dernier en date étant la perte de Jérusalem. Ce rendez-vous sera l’occasion de régler les comptes. Or, les Français ont brûlé le livre des comptes dans leur obsession pour le futur, pas les musulmans.

Les civilisations ont la rancune longue et la colère tenace. Les hommes et les femmes peuvent tout pardonner, les civilisations en sont incapables. Les Croisades sont encore une blessure vive, la colonisation aussi. Le Sud n’a pas tourné la page, nous l’avons tournée de la pire manière qui soit en jetant par-dessus bord la civilisation chrétienne qui elle avait la mémoire et la passion de la continuité.

C’est comme ça, les civilisations sont têtues, implacables à la limite de la bêtise. Elles ne sont pas calculatrices, elles sont simplement tragiques : elles préfèrent la belle mort à la survie dans la soumission, c’est ce qui les rend aimables c’est-à-dire dignes d’être aimées. Tant d’êtres humains acceptent de mourir pour elles précisément parce qu’elles sont ainsi : intransigeantes.

Chronique des années à venir? 

Il est illusoire de croire que la civilisation musulmane acceptera de s’empêcher en France. De vivre sous la ligne du radar. Un jaguar doit chasser, c’est sa nature. Une civilisation doit advenir, c’est sa vocation. Il n’y a pas d’exception à cette règle.

Un jour, l’Islam cessera d’être comprimé. Il voudra respirer à plein poumons et fera voler en mille éclats la laïcité. Il exigera le voile, la ségrégation des femmes, le halal, le calendrier religieux etc. Et s’il ne le fait pas, il va mourir. Une étoile brille ou disparaît dans l’obscurité.

A court-terme, nous allons vivre une paix tendue, envieuse, médisante et amère comme tout mariage de raison. Quand l’amour fait défaut, la victimisation prend le dessus. Chaque conjoint accumule les ressentiments et les colères jusqu’au jour de la grande explication. A ce stade du championnat, la loi inexorable de l’Histoire nous aura rattrapés. Vous pourrez alors relire ce papier et trouver les paroles et les contorsions de vos serviteurs bien vaines. La haine parlera plus fort et renverra les modérés à leurs chères études. Car les civilisations ne connaissent pas le gagnant-gagnant. Elles jouent pour vaincre.

D’ici là, profitons du vivre-ensemble à défaut d’avoir inventé un art de vivre. Celui-ci s’apprend et se transmet en famille, ça c’est aussi c’est une affaire de civilisation.

Mon père, le Maroc et moi: Une chronique contemporaine

Price: 18,00 €

12 used & new available from 18,00 €

Alain Finkielkraut: « Le progressisme: un thé dansant à bord du Titanic »

 


« L’Esprit de l’escalier », l’émission culte d’Alain Finkielkraut et d’Élisabeth Lévy, est de retour en exclusivité une fois par mois sur RNR.TV

Ce mois-ci:
Homo aequelis festivus ;
Le progressisme : un thé dansant à bord du Titanic ;
L’union des droites est-elle souhaitable ?


 

Homo aequelis festivus

Nous ne vivons pas, Dieu soit loué, sous la férule d’un régime illibéral. Les contre-pouvoirs ne sont pas muselés ni persécutés au nom de la souveraineté populaire. La presse et la justice font leur travail en toute indépendance. Les gouvernements doivent, bon gré mal gré, s’accommoder de l’existence des lanceurs d’alerte. Nous aurions tort cependant de nous pavaner et de regarder de haut les démocratures d’Europe centrale et orientale car, chez nous aussi, l’espace du désaccord raisonnable ne cesse de se réduire. Une seule conception du Bien prévaut. Un code de la route pointilleux et sévère régit la vie intellectuelle. Mais ce n’est pas l’État, ce sont les médias et les réseaux sociaux qui sanctionnent les dérapages. Alors que, nous dit la publicité, les Bleues sont en train d’écrire l’histoire, il est interdit d’émettre la moindre réserve sur le football féminin. Nous ne sommes pas conviés, en effet, à admirer un spectacle sportif, nous devons, toutes affaires cessantes, nous mettre au garde-à-vous devant un spectacle édifiant. Cet événement, dit le journal Le Monde, est « une victoire de l’égalité ». Et qui, sinon l’esprit du mal, oserait aujourd’hui entraver la marche de l’égalité ? L’enthousiasme organisé ne tolère pas les réfractaires. Comme l’a souligné Bérénice Levet, « il ne s’agit plus de prendre plaisir à assister à un match de football ou à le visionner entre amis, mais de soutenir la cause des femmes  ». Philippe Muray avait raison : au XXIe siècle, les fêtes rythment la vie. J’ajouterai que ces fêtes ne sont jamais simplement festives, elles célèbrent toutes l’égalité. Sous le règne d’Homo aequalis festivus, le divertissement lui-même est annexé par la vertu.

A lire aussi : Alain Finkielkraut: Le sport est annexé par la vertu

Or, je ne suis pas convaincu de la vertu de cette vertu. La différence du masculin et du féminin a longtemps servi à justifier l’inégalité entre les sexes. Ce scandale a cessé et c’est très bien. Mais pourquoi devrait-on maintenant sacrifier la différence sur l’autel de l’égalité ? Pourquoi faudrait-il que l’émancipation se confonde avec l’indifférenciation ? Et quand bien même la différence ne serait pas naturelle, quand bien même, comme le serinent les études de genre, elle serait inscrite dans la culture par les poètes et les peintres, pourquoi faudrait-il jeter cette culture comme un paquet de guenilles ? Maintenant que les poètes cèdent la place aux rappeurs et les peintres à Jeff Koons, un autre monde est en train de naître, un monde de rugbywomen et de boxeuses, un monde où tout peut prendre la place de tout, le monde désolant de l’interchangeabilité générale.

Megan Rapinoe (Etats-Unis ), joueuse de la Coupe du monde féminine de football : demi-finale entre la France et les Etats-Unis, 28 juin 2019.
Megan Rapinoe (Etats-Unis ), joueuse de la Coupe du monde féminine de football : demi-finale entre la France et les Etats-Unis, 28 juin 2019.

A lire aussi : Megan Rapinoe: la footballeuse « progressiste » qui défie Donald Trump

C’est un crève-cœur pour qui se souvient de la part prise par les femmes à l’embellissement de la Création, de voir les joueuses, quand elles ont marqué un but, singer les postures masculines les plus ridiculement prétentieuses. Il ne manque – pour combien de temps ? – que les tatouages. L’égalité méritait mieux.

Le progressisme : un thé dansant à bord du Titanic

Alors qu’il avait tout à perdre, François-Xavier Bellamy a pris le risque d’entrer en politique parce qu’il est inquiet pour le destin de la civilisation française et de la civilisation européenne. Il pense comme Albert Camus, dès 1957, que la tâche de notre génération n’est pas de refaire le monde, mais d’empêcher qu’il ne se défasse.

Visiblement, sa vision tragique de l’histoire n’a pas pris. Malgré sa force de conviction et son langage dépourvu de tout élément de langage, la liste qu’il a conduite aux européennes a recueilli 8 % des suffrages. Et dès l’annonce des résultats, les jeunes pousses et les vieux caciques du parti Les Républicains ont juré qu’on ne les y reprendrait plus  : avec une rare élégance, ils se sont empressés de désavouer leur candidat et ils ont rejoint, l’oreille basse, le périmètre gestionnaire que leur alloue le système médiatico-politique.

Le progressisme indécrottable de ce système me fait penser à un thé dansant à bord du Titanic. Ce n’est pas en fermant les yeux sur la tragédie qu’on l’empêchera d’advenir. Et puisque le passéisme a très mauvaise presse de nos jours, regardons devant nous : quel sera le visage de la France dans cinquante ans ? À quoi ressembleront les villes de Mulhouse, de Roubaix, de Nantes, d’Angers, de Toulouse, de Tarascon, de Marseille et tout le département de la Seine Saint-Denis ? De la nation française à l’archipel français : tel est le sens de l’histoire en cours. Où est le progrès ? Tous les progressistes, certes, ne sont pas des docteurs Pangloss. De plus en plus, l’angoisse écologique fait entendre sa voix. Mais ceux qui nous rappellent à nos devoirs envers les générations futures préconisent, pour épargner le ciel et la terre, l’extension indéfinie du parc éolien. Ils oublient que l’écologie a aussi une dimension esthétique et qu’il ne sert à rien de sauver la planète si c’est pour la rendre hideuse et inhabitable. Sur ce point, Renaud Camus a parfaitement raison : « Il faut lutter contre la prolifération des éoliennes parce qu’une vie qui se déroulerait de toute part dans leur ombre et sous leurs palans assassins des oiseaux ne mérite pas qu’on se batte pour elle ni d’être vécue. » Est-ce cela la France que nous voulons laisser à nos enfants : un pays fragmenté, éclaté, archipellisé et constellé d’éoliennes ?

A lire aussi : Le progressisme n’en a plus pour longtemps

L’union des droites est-elle souhaitable?

Marion Maréchal a appelé à l’union des droites et aussitôt on a vu se reformer contre elle, de Laurence Parisot à Gérard Larcher, l’union sacrée de l’antifascisme. Cette invocation pavlovienne des valeurs n’est pas la bonne réponse.

Deux Europe aujourd’hui se font face  : une Europe pénitentielle à l’ouest, qui renie son propre héritage et ne jure que par l’Autre ; une Europe sans honte ni regret à l’est, qui veut en finir avec toute forme d’autocritique ou de mise en question et qui, sous la houlette des Premiers ministres polonais ou hongrois, s’est engagée dans un Kulturkampf pour la promotion des identités nationales, saintes, héroïques, immaculées. Marion Maréchal semble avoir choisi le deuxième terme de cette alternative. Or, l’union des droites n’aura de sens et de légitimité que si elle les refuse tous les deux. Entre l’économisme des uns et le populisme des autres, nous sommes loin du compte.

A lire aussi : Marion Maréchal en réserve de la droite

Le crépuscule des idoles progressistes

Price: 20,90 €

20 used & new available from 2,30 €

Le Loup dans la bergerie: Droit, libéralisme et vie commune

Price: 17,00 €

22 used & new available from 8,97 €

No Society: La fin de la classe moyenne occidentale

Price: 11,84 €

51 used & new available from 1,52 €

Histoire des droites en France (1815-2017)

Price: 29,90 €

21 used & new available from 16,67 €

L’agenda politique derrière l’affaire Lambert

0

Au mépris de la loi Léonetti, détournée de ses principes, on a absolument voulu appliquer à Vincent Lambert un protocole de fin de vie, alors qu’il n’était pas en fin de vie. Le but des lobbies, des juges et des médias qui combattent dans ce sens depuis des années est de créer dans notre pays une jurisprudence d’euthanasie.


L’affaire Lambert n’est ni humanitaire, ni hospitalière. Elle est purement politique, et Vincent Lambert en a été l’otage, jusqu’à la mort. Il faudrait avoir le courage de le reconnaître.

Lire aussi, un autre point de vue : Affaire Lambert: fin d’une tragédie hospitalière

Vincent Lambert est mort. Ceux qui poursuivaient cet objectif sont parvenus à leurs fins, après un long combat. Pourtant, alors qu’il y a eu tant de commentaires sur cette affaire, les raisons de fond, les intentions politiques sous-jacentes, les enjeux, n’ont jamais été clairement évoqués, alors que tous les intellectuels, les commentateurs et les journalistes les connaissent parfaitement. Pourquoi ? Comme chez Causeur, on peut causer de tout, nous allons le faire.

Dépendant, et alors?

D’abord, on a mis en avant l’état physique et psychique de Vincent Lambert, sa situation de dépendance et son état de conscience, alors que ce n’était pas la question principale. En effet, le fait qu’un être humain soit dépendant, très dépendant même, ne pose pas de problème de principe. Personne ne considère qu’un nouveau-né est moins humain qu’un autre, sous prétexte qu’il dépend entièrement de sa mère pour survivre. Ce serait même le contraire : le fait qu’il soit soumis à l’amour et aux soins des autres ajoute au caractère touchant de sa situation, à sa beauté fragile. Ce n’est donc pas le fait que Vincent Lambert ait dépendu de l’extérieur pour se nourrir (une simple sonde gastrique), qui posait problème. 

Etait-ce son état de conscience ? En fait, personne ne sait ce qui se passe réellement dans la conscience d’une personne dite inconsciente. Il existe d’innombrables cas où des personnes se sont réveillées après des années de coma prolongé, et ont décrit ce qu’elles avaient ressenti pendant cette période. De même, lorsque des graves accidentés de la route arrivent à l’hôpital, en état comateux, on ne se demande pas s’ils doivent être conscients ou non pour que l’on s’occupe d’eux. Dans tous les cas, on fera tout pour les sauver. Compte tenu du peu que l’on sait sur la notion véritable de conscience, dans le doute, au moins, le principe de précaution devrait s’appliquer. On devrait éviter, au moins, de décréter la mort du patient sous ce prétexte. De plus, il y a tout lieu de penser qu’il y a conscience lorsque l’électroencéphalogramme du patient n’est pas plat[tooltips content= »Le cerveau d’un malade en état végétatif continue à être le siège d’activités mesurables, Libération, 11 juillet https://www.liberation.fr/france/2019/07/11/il-y-a-des-centaines-de-vincent-lambert-dans-les-hopitaux-et-dans-les-maisons-de-soins_1738599″]1[/tooltips], ce qui était bien le cas de Vincent Lambert. Pourquoi donc, dans ces conditions, fallait-il absolument le faire mourir, alors même que les arguments invoqués n’étaient pas définitifs ?

A lire aussi : Personne ne sait ce que ressent Vincent Lambert

Était-ce parce qu’il était en fin de vie ? En effet, c’est une question de bon sens, confirmée par la loi Léonetti, qu’il est inutile de s’acharner à vouloir maintenir en vie, par des efforts exagérés, un patient qui s’achemine de toute façon vers la mort à brève échéance. On sait qu’on ne le sauvera pas. Il est logique alors de l’accompagner, en évitant qu’il souffre.

En fin de vie, en est-on sûr?

Mais ce n’était pas le cas de Vincent Lambert ! Il n’était pas en fin de vie. Bien au contraire, il vivait depuis 10 ans sans appareil respiratoire, avec cette simple sonde gastrique. Pourquoi, alors, avoir absolument voulu qu’il meure, en maquillant cette intention avec des raisons qui n’en sont pas ?

Pourquoi ne pas l’avoir laissé vivre, avec ceux qu’il aime, soigné du mieux possible dans l’un des établissements qui abritent, en France, 1700 patients du même type ? Ils souhaitaient le récupérer. Pourquoi donc l’avoir interdit ? Pourquoi cet acharnement, non pas à le maintenir en vie, ce qui n’était pas le cas, mais à le faire passer de vie à trépas, à le tuer ? On est proche de la vraie réponse, et l’enjeu est capital.

« Indigne » de faire partie de l’humanité?

La raison, c’est que Vincent Lambert n’était pas digne de vivre. Ou plus exactement, certains considéraient qu’il était, compte tenu de son état, indigne de vivre. Il était, en quelque sorte, inesthétique. La question est alors essentielle : si une personne n’est pas suffisamment « belle », physiquement, selon les « canons » du temps, si on pense qu’elle « souffre trop » (sans aucun critère permettant de le déterminer, puisque l’on affirme en même temps qu’elle n’a « pas de conscience »), a-t-on le droit de la laisser vivre ? Ne faut-il pas, alors, la supprimer ? Qu’est-ce que la dignité de la personne, et qui la décrète ? Les médecins, la famille, les juges, les intellectuels, la presse ? Ou bien la personne est-elle digne par elle-même, quel que soit son état, tant qu’il est stable, parce qu’elle est simplement une personne humaine ? On voit bien l’univers philosophique immense qui s’ouvre pour s’arroger (et sous quel prétexte ?), le droit d’arbitrer qu’une personne est « indigne » de faire partie de l’humanité. Quel pouvoir accordé à certains (toujours, on le remarquera, des sachants et des forts), sur les autres ! De nombreuses doctrines se sont prononcées dans ce sens, en général de sinistre mémoire. Ne faut-il pas plutôt considérer que par principe, tout être humain est digne en lui-même ? Et qu’il faut le soigner et l’aimer, par tous les moyens, hormis l’acharnement ?

A lire aussi : Arrêtons de mettre le »progressisme » à toutes les sauces !

Cette affaire était donc, et elle l’est encore, un « turning point », un carrefour civilisationnel. Le fait que Vincent Lambert meure ou non était un choix politique majeur. Ceux qui s’activaient en sous-main pour l’obtenir le savaient parfaitement. Ils ont mis toutes leurs forces dans la bataille pour y parvenir. En réussissant, ils ont enfoncé la ligne Maginot qui tente de garantir encore la notion de dignité intrinsèque et intangible de la personne humaine. Pourquoi ont-ils agi ainsi ? Parce que ces personnes sont si habituées à une société de l’avoir et du paraître, qu’une société de l’être où le paraître est absent ou diminué leur fait honte et les horrifie. Ils veulent à tout prix la « réformer ». Notre société matérialiste a voulu fixer par un soi-disant « consensus » les critères de « dignité » de la personne humaine, puis on décrète que ceux qui n’y répondent pas sont « en dehors de l’humanité »…

Manipulations

Et c’est bien autour de cette question que s’est cristallisé le débat, sans qu’on ose le dire, de sorte que les vraies raisons, comme dans d’autres cas, sont restées masquées :

  • On a dit que Vincent Lambert était dans un état « végétatif », un mot-valise, au contenu rationnel faible, mais émotionnel fort. Comme s’il était un « légume », pas une personne humaine. Dit de façon subliminale, c’est bien cela que l’on a suggéré par l’emploi de ce mot. Une vidéo a pourtant circulé et a étonné ceux qui l’ont vue.
  • On a dit que les raisons pour le maintenir en vie provenaient de milieux catholiques « intégristes », tentant ainsi, par des méthodes de type stalinien, de salir les personnes plutôt que de répondre à leurs arguments, tout à fait rationnels.
  • On a dit que ceux qui voulaient le sauver étaient « violents ». En général, quand on veut sauver quelqu’un, on n’est pas violent… Ce sont plutôt ceux qui veulent sa mort qui le sont, me semble-t-il… 
  • On a flouté les images de Vincent Lambert, comme pour faire oublier son humanité.
  • Dans une émission récente, Yves Calvi a été jusqu’à choisir pour titre « Le corps de Vincent Lambert », comme pour faire penser qu’il n’était qu’un simple corps, alors même qu’il était encore tout à fait en vie.

Comme le voulaient si fort les lobbies euthanasistes, Vincent Lambert est mort. Cette bataille aujourd’hui perdue, que se passera-t-il ensuite ?

Une jurisprudence Lambert?

Très probablement, ces lobbies vont essayer, à travers une « jurisprudence Lambert » totalement fabriquée, de modifier et détourner de son esprit originel la loi Léonetti pour y intégrer une sorte de « droit à l’euthanasie », que l’on s’évertuera ensuite à « sanctifier » pour en faire une « liberté fondamentale » de la personne, puis à faire interdire toute critique ou toute incitation contre l’exercice de ce « droit ».

Il ne faudra pas s’étonner, alors, du monde de violence insupportable qui sera le nôtre, ni de la société que nous aurons laissé construire.

Esclavage: Christine Angot n’aurait pas dû s’excuser


En déclarant la destruction des juifs d’Europe incomparable à l’esclavage des Africains, Christine Angot a suscité la colère des associations noires. Dans notre pays communautarisé, les susceptibilités prennent désormais le pas sur la réalité historique. C’est oublier que l’étude de la Shoah ne vise pas à donner aux juifs un ascendant sur le monde, mais à éveiller les consciences.


Après que Christine Angot a tenté, dans l’émission de Laurent Ruquier, avec les précautions d’usage et en marchant sur des œufs, une analyse comparée des ressorts de la traite négrière et de l’extermination des juifs, on a vu monter sur les réseaux sociaux une colère noire, exclusivement. La semaine du scandale, on a vu chaque jour paraître une nouvelle vidéo dans laquelle un membre de la communauté, dont on espère sans trop y croire qu’il n’est pas plus représentatif que cela, venait rappeler à ses frères, à ses sœurs, aux Blancs et aux juifs combien l’esclavage avait été un crime. En se défendant de donner dans la concurrence victimaire et sans le moindre esprit de revanche, certains ont enrichi leur quart d’heure de célébrité d’informations précieuses pour la clarté du débat. Ainsi, ceux qui ont pris la peine de les regarder savent que le premier camp de concentration fut ouvert par les Allemands en Namibie ou que les kapos étaient des juifs qui battaient d’autres juifs. Quelles leçons vont-ils en tirer ? On se le demande.

On en trouve encore sur le net à la pelle et de tous les niveaux. Il y a de grands écarts de forme entre la prestation de l’étudiante métisse et indigéniste, coupe afro et vocable universitaire, et l’intervention du gros bras à l’élocution difficile issu d’une de ces milices de défense noire qui semblent avoir imité les juifs jusque dans le choix des mots et la couleur des logos. Mais sur le fond et sur le registre de l’ironie ou de l’intimidation, tous rejoignent ce descendant d’esclaves antillais et historien de l’esclavage invité en deuxième semaine en compagnie de deux autres professionnels de la négritude sur le plateau d’« On n’est pas couché » pour faire bonne mesure, quand il conclut son réquisitoire avec une pointe d’agacement dans la voix : « Avant de parler, demandez-nous, nous sommes les sachants. » À qui s’adressait-il au pluriel ? Et qui était son « nous » ? Les ignorants et les savants ? Les écrivains et les historiens ? Les Blancs et les Noirs ? Assistons-nous, après les accusations d’appropriation culturelle qui finiront par interdire aux Stones de jouer du blues, à l’extension du domaine de la lutte au procès de l’appropriation historique ?

Susceptibles: ne pas heurter

Que l’on tienne Christine Angot pour un grand écrivain ou une grande imposture, on doit lui reconnaître un certain courage. Après le samedi du scandale et avant celui de l’apaisement, j’ai été de ceux qui ont attendu de l’indomptable chroniqueuse, que des dizaines d’anonymes à webcam sortis de l’ombre ont abondamment traitée d’ignorante raciste, une réponse à la hauteur, une riposte disproportionnée, une explication ferme, une leçon de maintien et de la suite dans les idées. J’ai même, cette semaine-là, caressé l’espoir d’une saine colère, d’un verre jeté à la gueule du mal-comprenant issu d’un peuple qui a beaucoup souffert, d’un quittage de plateau intempestif au cri de « j’vous emmerde tous, je dis c’que j’veux ! ».

A lire: Christine Angot, c’est Balzac en mieux

Hélas, comme avant elle tous ceux qui ont commis l’imprudence d’avoir heurté des susceptibles, comme ces théâtreux qui se couchent régulièrement quand des contrariés pleurnichent ou bousculent, Christine a présenté des excuses. Que voulez-vous qu’elle fît contre trois ? Comme tout le monde face à une communauté à fleur de peau : son mea culpa. Comme un universitaire timoré, une quelconque célébrité ou un politicien avisé, comme un de ces tièdes qui tiennent plus aux opinions d’un public, d’une clientèle ou d’un électorat qu’à la vérité de leur parole, avec les éléments de langage du repentant, elle s’est excusée d’avoir été mal comprise et pour les gens qu’elle aurait, bien involontairement, blessés. Il faut reconnaître qu’elle a dû se sentir bien seule, toute une semaine, en entendant sur toutes les chaînes de télé l’accabler ceux qui commentent et ne disent jamais rien de substantiel, ceux qui s’offusquent en meute et dénoncent les maladresses ou les dérapages, sans voir qu’il n’y a pas de route, qu’elle reste à tracer et que les limites qu’ils exigent pour les autres ne sont que celles de leur conformisme, ceux qui reçoivent des rappeurs comme des artistes pour rester dans le coup, les « Pierre Lescure » de service cette semaine-là et tous les autres du même tonneau.

Angot menacée

Critiquée massivement sur les médias, menacée par des Noirs professionnels et lâchée en rase campagne par presque tout le monde, la chroniqueuse s’est écrasée et la parole sur le service public avec. Où sont passés les savants, les scientifiques, les historiens de la Shoah ou de l’esclavage, et tous les vaillants défenseurs de la vérité historique ? Ont-ils débranché leurs téléphones, en souvenir de l’expérience de Pétré-Grenouillot, tous ceux qui auraient pu, dans une langue qui dissuade les cons primaires de leur disputer des sujets délicats, nous apprendre à nous méfier des rapprochements réducteurs et à éviter les amalgames ? Avaient-ils piscine toute la semaine, ceux qui ont depuis longtemps œuvré à démontrer le caractère unique de l’extermination des juifs d’Europe, ceux qui ont travaillé toute une vie pour livrer au monde et à l’époque le fruit de leurs travaux sur la spécificité de la Shoah ? Il aurait peut-être été opportun de rappeler que des nazis ont réduit des juifs en esclavage mais pas seulement, et utile de préciser qu’exploiter la force de travail d’un homme jusqu’à épuisement, jusqu’à la mort dans un rapport de domination absolue est une chose et que rafler ses enfants à l’autre bout de l’Europe pour les assassiner et faire disparaître leurs restes en est une autre. L’opportunité de l’exploitation, même sans humanité et avec racisme, et le projet de l’extermination, c’est différent. L’expliquer, ce n’est pas hiérarchiser. Et quand bien même, pourquoi faudrait-il s’interdire d’avoir un avis sur la question ? Je doute qu’un homme à qui l’on donnerait le choix entre l’un ou l’autre destin tragique réponde que ça lui est égal et qu’il refuse de choisir si l’on doit lui mettre des fers aux pieds ou plutôt jeter ses enfants dans des fours, parce qu’on ne doit pas établir de hiérarchie dans la souffrance. Il aurait peut-être été utile de rappeler que l’étude de la Shoah ne vise pas à donner aux juifs un ascendant sur le monde, mais à éveiller les consciences.

A lire: « Copyright »: la Shoah serait-elle devenue une marque déposée?

On peut être un peu gêné par la prudence de certains intellectuels, on peut aussi la comprendre. À quoi bon s’aventurer dans une bataille où il n’y a que des coups à prendre ? Qui a envie de jouer le rôle du raciste dans les médias et les opinions avec son lot d’insultes, d’attaques et d’intimidations ? Qui est prêt à se mettre à dos une armée d’esclaves imaginaires ? Et pour qui dans un pays en voie de communautarisation façon tiers-monde, dans une société qui compte toujours moins de citoyens affranchis et libres de penser au-delà de leurs appartenances originelles, toujours plus de minoritaires aux fiertés mal placées, aveugles et sourds aux savoirs communs, et une majorité qui pense que rien ne justifie que l’on provoque des colères ou que l’on déclenche des conflits ? Il semble que la défense d’une réalité historique ne mérite plus que l’on prenne le risque de contrarier une communauté susceptible. Il est donc devenu plus judicieux de la fermer pour préserver le vivre-ensemble que de l’ouvrir pour éclairer les citoyens.

Serge Romana, président-fondateur de la Fondation esclavage et réconciliation, et Frédéric Régent, historien, invités sur le plateau d'On n'est pas couché pour débattre avec Christine Angot, à la suite de ses propos sur la traite des Noirs, 8 juin 2019. © D.R.
Serge Romana, président-fondateur de la Fondation esclavage et réconciliation, et Frédéric Régent, historien, invités sur le plateau d’On n’est pas couché pour débattre avec Christine Angot, à la suite de ses propos sur la traite des Noirs, 8 juin 2019. © D.R.

L’armée des esclaves imaginaires attise la concurrence des mémoires

On ne crée pas de tabous, tous peuvent parler de tout, mais sous conditions. Pour oser un discours nuancé, pour avancer des vérités gênantes sur des sujets communautairement sensibles, il vaut mieux avoir la couleur ou la religion appropriée. Insidieusement, des interdits apparaissent qui s’appliquent sur des critères ethniques, et la crainte des conflictuels comme des conflits les entérinent. Nul besoin aujourd’hui d’une autorité pour mettre à l’index ou prononcer une fatwa, il suffit d’une minorité agissante dans le virtuel et parfois menaçante dans le réel, prête à tout pour faire reculer les libertés de tous et d’une majorité paresseuse qui plaint trop souvent les « victimes » et sermonne les « provocateurs ». De même qu’on a renoncé au blasphème pour ne plus blesser certains de nos compatriotes tout en clamant que nous étions tous Charlie, on en vient à renoncer à raconter une histoire commune même dans le respect de la rigueur que la science exige, et pour la même mauvaise raison. Le journaliste américain Phillip Knightley écrivait en 1918 que la vérité est la première victime de la guerre. Elle est déjà la première victime du multiculturalisme.

Shoah [Blu-ray]

Price: 72,11 €

5 used & new available from 53,00 €

 

Il y a un espace pour une droite urbaine indépendante de LREM

0

La note de Nelly Garnier « Allô maman bobo – L’électorat urbain, de la gentrification au désenchantement » donne des pistes à la droite pour contrer LREM dans les métropoles comme Paris, où Benjamin Griveaux vient d’être investi par son parti. La droite a une carte à jouer si elle se positionne au-delà d’un clivage Bobos parisiens / France périphérique un peu éculé et fait une analyse plus pertinente de l’électorat citadin…


C’est une note en deux volets intitulée « Allô maman bobo – L’électorat urbain, de la gentrification au désenchantement » que vient de publier la Fondation pour l’Innovation politique (FondaPol), le think-tank dirigé par Dominique Reynié et Nicolas Bazire.

Les métropolitains, une élite désenchantée ?

Son auteur, Nelly Garnier, ne nous est pas inconnue. Elle nous avait reçu aimablement pour nous auditionner au printemps 2018, alors qu’elle était encore directrice des études rue de Vaugirard, le siège de LR… Elle avait alors longuement écouté le chroniqueur provincial originaire de la France périphérique, nourri de la prose des Muray, Guilluy, Fourquet et Sainte-Marie. Il n’est d’ailleurs pas innocent qu’elle ait insisté pour que nous lisions sa note : outre les très bonnes relations entretenues depuis lors, elle devait se souvenir de cette audition.

A lire aussi : LR: pas un jour sans une (nouvelle) ligne

Hétérogénéité sociologique du « bobo »

Car la note de Nelly Garnier a en effet de quoi nous bousculer. Documentée, précise et souvent convaincante, elle explique la manière dont les travaux de Guilluy ont « contribué à imposer l’idée d’une fracture irrémédiable entre les villes et les territoires ruraux et périphériques, et achevé de convaincre qu’il fallait choisir [entre les deux] » à partir de 2012. De même, la figure du « bobo », souvent fantasmée, apparaissait comme le métropolitain-type et poussait d’un côté à le rejeter sans réfléchir, et de l’autre conduisait la candidate UMP à la ville de Paris en 2014, NKM, à s’afficher comme « boboïsée » et « dédroitisée ».

Pourtant, explique Nelly Garnier, il y a plusieurs sortes de bobos, et il n’y a pas que des bobos parmi les métropolitains. Il n’y a pas non plus que des gagnants de la mondialisation. Il n’y a pas que des « anywhere ». A partir de l’étude de six métropoles (Paris, Bordeaux, Marseille, Toulouse, Strasbourg et Grenoble), et de six quartiers de chacune sélectionnés pour leur caractère gentrifié, l’auteur bouscule les idées reçues.

A lire aussi : Voilà ce qui arrive quand on jette un mégot dans la ville d’Anne Hidalgo

Il y a bien aussi un « malaise du métropolitain » qui conduit par exemple les deux-tiers des Parisiens à envisager un départ pour d’autres territoires. Il y a bien des familles qui ne supportent plus la délinquance, qui sont les premières touchées par la pollution, et qui ne sont pas pour autant des bobos à trottinettes… Il y a enfin des métropolitains qui ne sont pas davantage emballés par le libéralisme libertaire de LREM que par la politique municipale d’Anne Hidalgo…

La droite doit repenser son approche de l’électorat citadin

L’erreur a sans doute été d’avoir été à contretemps. Les médias et les partis politiques de gouvernement qui géraient le pays jusqu’en 2017 ont adopté l’analyse de Christophe Guilluy sans doute trop tard. Or les métropoles de 2017 ne sont plus celles de 2001-2008 lorsque le géographe publiait ses premiers travaux.

Pour les raisons invoquées plus haut – délinquance, pollution – mais aussi parce que le statut des cadres s’est  dégradé alors que cette catégorie socio-professionnelle constitue le plus gros bataillon métropolitain. Le malaise est d’autant plus grand que le discours ambiant ne l’encourageait pas à « exprimer ses fragilités », et qu’il est, davantage que le rural ou le périphérique, soumis à des « injonctions contradictoires » :

– je veux défendre le commerce de proximité mais je commande sur Internet car je suis pressé par le temps,

– je veux que mes enfants soient ouverts sur le monde, mais je les retire d’une classe où plus de la moitié des élèves maîtrise mal le français et où je les sens décrocher,

– je ne veux pas polluer mais je n’ai pas d’autres solutions que la voiture pour emmener mes enfants en week-end…

Un espace politique à reconquérir?

Dès lors, s’interroge l’auteur, y a-t-il encore un espace pour une droite urbaine indépendante de LREM ? Les derniers événements conduisent à répondre par la négative. L’exemple d’élus parisiens très à droite, comme Claude Goasguen, prêts à pactiser avec Benjamin Griveaux pour éviter Anne Hidalgo ou celui de Christian Estrosi prêt à troquer son investiture LR contre celle du parti macroniste, invitent en effet à se faire peu d’illusions. Pourtant Nelly Garnier veut croire que la droite « qui souffrait principalement de son décalage sociologique croissant avec les nouvelles populations des grandes villes, redevient audible sur de grandes problématiques : le sentiment de déclassement, le besoin de sécurité, le besoin de fermeté face à la montée des communautarismes, le besoin de retrouver des limites et des repères, le besoin d’accompagner des familles qui se sentent fragilisées ».

A lire aussi : Au revoir la droite…

Nous nous permettrons d’apporter une nuance à l’analyse de Nelly Garnier.

Nous sommes moins certains qu’un choix clair ait été fait par la droite en faveur des territoires ruraux et périphériques, oubliant les métropoles. Dans la France des Gilets jaunes, en tout cas, on n’en pas été convaincu du tout. C’est sans doute parce que cet ensemble, né de la fusion entre le RPR et l’UDF ne parlait plus vraiment à personne, que sa ligne n’était identifiée et adoptée ni par les métropolitains ni par les autres qu’elle a décru, finissant à 8% lors de la dernière échéance électorale. Dès lors, l’idée selon laquelle la reconstruction pourrait passer par la constitution de deux piliers, à l’exemple des CDU et CSU allemandes, pourrait bien être la solution. Le premier pourrait parler davantage aux métropolitains et concurrencerait LREM dont l’assise locale n’est pas encore véritablement assurée et dont le progressisme sociétal ne plaît pas à tout le monde, y compris en ville.  Le second, moins libéral, plus patriote et populaire, concurrencerait le RN sur les territoires périphériques et ruraux. Mieux vaut deux partis-frères aux lignes bien identifiées qu’un seul parti qui débite de l’eau tiède.

En tout cas, il est absolument nécessaire au pays qu’une force politique permette de parler à la fois à la famille parisienne qu’à la mère célibataire de Vierzon. Et que cette force, fut-elle organisée sur deux piliers, puisse être en situation de gouverner. La cohésion nationale le réclame. La France ne peut se satisfaire d’archipels qui se regardent en chiens de faïence.

L'Archipel français: Naissance dune nation multiple et divisée

Price: 23,00 €

66 used & new available from 2,52 €

No Society: La fin de la classe moyenne occidentale

Price: 11,84 €

51 used & new available from 1,52 €

Fécondité en France, immigrées…

0

La France a la plus forte fécondité d’Europe. Est-ce dû aux immigrées ? L’Ined, l’Insee et le Collège de France se trompent dans les chiffres, selon la démographe Michèle Tribalat.


L’Ined vient de publier un Population & Sociétés signé par Sabrina Volant de l’Insee, Gilles Pison de L’Ined et François Héran du Collège de France, sur le rôle des immigrées dans la fécondité française. Son titre : La France a la plus forte fécondité d’Europe. Est-ce dû aux immigrées ?

C’est gonflé d’afficher un titre pareil quand on voit les chiffres et l’évolution récente de la fécondité en France ! « La moins faible fécondité » aurait été plus judicieux. Mais passons.

A lire aussi : Les vrais chiffres de l’immigration extra-européenne en France en 2018

Avec 1,88 enfant par femme en 2017, la France est dite proche du seuil de remplacement des générations. C’est écrit dans le court texte placé en exergue. Cela passait encore quand la fécondité tournait autour de 2 enfants, comme en 2010 (2,03), mais ce n’est plus acceptable avec 1,88 (et 1,86 en France métropolitaine). Ce n’est pas parce que les autres pays européens en sont encore plus éloignés que cela nous en rapproche. Cette incitation à un optimisme forcé est désolante pour une publication engageant l’Insee, l’Ined et le Collège de France et qui dit avoir laissé l’idéologie de côté !

Les analyses fécondes de nos démographes

Mais le pire est le manque de rigueur et, peut-être, de compréhension des indicateurs que ces experts sont pourtant censés maîtriser. Les auteurs, le comité de rédaction de la revue et donc l’Ined ont décidé d’avaliser les erreurs de langage de l’homme de la rue et de la presse en général lorsqu’ils parlent de la fécondité. L’indicateur conjoncturel de fécondité (encore appelé indicateur synthétique de fécondité) est donc désigné dans le texte par « taux de fécondité » sauf dans l’encadré technique. Les auteurs le signalent en page 1 sans s’en expliquer : « indicateur conjoncturel de fécondité, appelé ici taux de fécondité ». Tout démographe ne peut être qu’atterré par cette soumission à une terminologie courante mais erronée, de nature, non pas à faciliter la compréhension, mais à l’entraver.

A lire aussi : « L’idée de « grand remplacement » évoque l’effondrement d’un univers familier que vit une partie de la population »

L’indicateur conjoncturel de fécondité n’est pas un taux. C’est une somme de taux par âge. Chaque taux rapporte les naissances des mères d’un âge donné à l’ensemble des femmes de cet âge. L’indicateur conjoncturel de fécondité (ICF) fait la somme de tous ces taux entre 15 et 49 ou 50 ans. Il élimine ainsi l’effet de la structure par âge qui, lui, a un impact déterminant sur le nombre de naissances.

En 2017, les femmes immigrées, avec 2,6 enfants par femme, ont ainsi contribué à près de 19 % des naissances, mais à seulement 6 % de l’indicateur conjoncturel de fécondité (1,88 au lieu de 1,77 pour les seules natives).

Erreur de calcul 

Faire comme s’il s’agissait d’un taux empêche précisément de comprendre l’importance de la structure par âge. Et, malheureusement, c’est bien comme un taux que les auteurs l’interprètent lorsqu’ils essaient d’expliquer la différence d’impact de la présence immigrée sur le nombre de naissances et sur l’ICF.

Les auteurs prennent un exemple fictif : « Imaginons 75 femmes non immigrées (natives) et 25 immigrées, avec une moyenne identique de deux enfants par femme dans les deux groupes. Les immigrées contribueront aux naissances dans une proportion de 25 %, sans rien modifier au taux de fécondité. »

C’est faux, car ils ne retiennent ainsi que deux facteurs susceptibles d’agir sur le nombre de naissances : « le nombre de naissances est le produit de deux facteurs indépendants : le nombre de femmes en âge d’avoir des enfants et leur propension à en avoir ». La réduction de l’ICF à un taux facilite cette bévue.

Il est facile de démontrer leur erreur en prenant un exemple tout aussi fictif où la proportion de femmes immigrées est de 25 %, mais où l’impact sur les naissances est bien plus important. Il suffit que les femmes immigrées soient beaucoup plus jeunes que les natives.

Imaginons un territoire sur lequel vivraient 4 266 femmes âgées de 15 à 49 ans, dont 25 % seraient immigrées, mais dont la structure par âge serait bien différente de celle des natives (tableau ci-dessous). Les natives seraient plus âgées que les immigrées. Natives et immigrées auraient exactement, non seulement le même ICF, mais la même distribution des taux de fécondité par âge. À chaque âge, la propension d’avoir des enfants serait exactement la même, celle mesurée en France métropolitaine en 2017 par l’Insee (ICF=1,86). La part des naissances immigrées ne serait alors pas de 25 % mais, dans cet exemple, de 49 % (tableau ci-dessous, chacun peut refaire les calculs) !

Feuille de calcul des naissances à partir d’une répartition par âge fictive des natives et des immigrées et des taux de fécondité par âge en France métropolitaine en 2017 mis en ligne sur le site de l’Insee.

Comment cela peut-il échapper à des experts dont on suppose (à tort ?) qu’ils maîtrisent parfaitement les outils qu’ils utilisent ? Et il a fallu que trois institutions joignent leurs forces, sous le label Ined qui, je le rappelle, est l’acronyme d’Institut national d’études démographiques (je souligne), pour se vautrer pareillement ! C’est affligeant pour la démographie. Et cela ne date pas d’aujourd’hui.

Des erreurs répétées

En fait, ce Pop&Soc est plus ou moins un resucé de celui publié en 2007 par deux des auteurs (Deux enfants par femme dans la France de 2006 : la faute aux immigrées ?, Gilles Pison et François Héran, Pop&Soc n° 242) dans lequel, les mêmes impropriétés et les mêmes erreurs étaient déjà là. La conclusion est à l’identique, y compris sur les bienfaits de la politique familiale, ce qui ne manque pas d’audace compte tenu des rabotages qu’elle a subis. On y retrouve exactement la même dernière phrase visant à expliquer la fécondité plus élevée des natives en France par rapport aux autres pays européens : « impossible de le faire sans évoquer les effets d’une politique de soutien à la famille pratiquée avec constance par la France depuis soixante-quinze ans et dans un large consensus. Mais ceci est une autre histoire… » La seule variante, comme nous sommes en 2019, a été de remplacer soixante ans par soixante-quinze ans. L’exemple fictif est aussi repris du texte de 2007 et il est déjà question, hélas, du taux de fécondité, sans autre explication ! L’entêtement dans l’erreur est affligeant à douze ans d’écart !

On retrouve aussi, dans l’introduction, le même passage qu’en 2007, à quelques variantes près.

2007 : « Mais le niveau de fécondité de la métropole n’est-il pas lui-même fortement gonflé par l’immigration ? Cette idée très répandue traduit souvent la hantise d’un rapport de forces numérique entre Français et étrangers (ou autochtones et immigrés) qui deviendrait défavorable aux premiers. Laissons de côté les aspects idéologiques pour nous limiter aux faits. »

2019 : « Le niveau de fécondité de la métropole n’est-il pas lui-même fortement gonflé par l’immigration ? Cette idée très répandue traduit souvent la hantise d’un rapport de forces numérique entre les natifs de France et les immigrés qui mettrait en péril l’identité nationale. Laissons de côté les aspects idéologiques pour nous limiter aux faits. »

Les auteurs ont laissé, négligemment, la référence à la France métropolitaine alors que les données du Pop&Soc de 2019 portent essentiellement sur la France entière hors Mayotte.

Mais, en 2007, les auteurs n’avaient pas encore eu l’idée saugrenue de légitimer la définition française des immigrés par les Nations unies. Ce n’est pas la première fois que l’Ined, dans ses publications, commet cette bourde. Je l’ai signalée ici à propos d’un autre Pop&Soc et ici à propos du livre de François Héran publié en 2017. L’Ined le fait cette fois avec l’approbation de l’Insee et du Collège de France !

Hantise et péril pour l’identité nationale

Les Nations Unies n’emploient pas le terme « immigré » qui, en anglais n’a pas d’équivalent simple. On parle alors de stock de migrants qui équivaut à ce qu’on désigne en anglais par “foreign born population”. Pour les Nations Unies, il s’agit de l’ensemble de personnes qui résident dans un pays sans y être nées. La définition française se limite aux personne nées à l’étranger qui se sont installés en France comme étrangères, quelle que soit leur nationalité actuelle[tooltips content= »https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/18840/pop_et_soc_francais_291.fr.pdf »]1[/tooltips]. Les immigrés ne comprennent pas ainsi les Français nés français à l’étranger.

Pour finir, il faut revenir sur l’introduction qui évoque « la hantise d’un rapport de forces numérique entre les natifs de France et les immigrés qui mettrait en péril l’identité nationale ». Cette hantise serait à l’origine de la croyance selon laquelle la fécondité immigrée expliquerait, à elle seule, la relativement bonne position française en Europe.

L’indicateur conjoncturel de fécondité est un outil technique qui n’a pas d’autre traduction, dans l’esprit des gens, que la présence d’enfants d’origine étrangère que leurs enfants côtoient sur les bancs de l’école. Or ces enfants sont là parce qu’ils sont venus ou, le plus souvent, parce qu’ils sont nés en France. Quand ils parlent de fécondité, c’est à cela que les non experts pensent et pas à un indicateur que les experts eux-mêmes n’ont pas l’air de bien maîtriser et qu’ils sont incapables de leur expliquer correctement. Si les non experts font un mauvais usage de l’expression « taux de fécondité », ils ont des excuses. Les experts n’en ont pas.

Gérard Calot manque terriblement à l’Ined

Une pensée pour Gérard Calot, qui fut directeur de l’Ined pendant près de 20 ans jusqu’en 1992. Pour lui, Population & sociétés était la vitrine de l’Ined et il relisait chaque numéro avant parution avec un soin tout particulier. Jamais il n’aurait laissé publier un texte pareil. Il doit se retourner dans sa tombe.

On se plaint aujourd’hui de la défiance des Français à l’égard de leurs élites, mais la confiance nécessite que ces élites usent de leur expertise avec rigueur et honnêteté, sans condescendance à l’égard des Français. Tout le monde peut bien sûr se tromper, faire des erreurs, mais la répétition obstinée et à courte vue de ces erreurs, conjuguée à une certaine suffisance et à la prétention de corriger les stéréotypes des autres, est devenue insupportable. Les élites sont censées éclairer les Français, avec la modestie qui convient, sans chercher systématiquement à les prendre en défaut.

>>> Retrouvez tous les articles de Michèle Tribalat sur son site

 

Bac 2019: le niveau baisse, la température monte

0

Grève des profs et fuite des sujets: le déroulé de l’examen 2019 est à l’image de ce qu’est devenu le bac.


« Bac 2019, une édition maudite ? » C’est ce que se demande le Huffington Post : entre la rétention de copies par des enseignants grévistes et la fuite des sujets dans un lycée parisien, l’organisation du baccalauréat de 2019 aura mis en lumière plusieurs difficultés chroniques de l’Education nationale. D’abord, les efforts des enseignants pédagogistes pour reprendre du terrain face à un Blanquer multipliant les réformes ; ensuite, le développement des logiques bureaucratiques au sein des lycées, participant de la course à l’obtention du baccalauréat.

Lyrisme du syndicalisme enseignant…

« Le gouvernement est dans une logique de mensonge quand il prétend “moderniser” l’école. En réalité, il prépare un projet de loi dont les effets prévisibles sont l’instauration d’une école à deux vitesses, la marchandisation de l’éducation nationale et la fin de l’école conçue comme le lieu de la pensée critique et de l’émancipation des enfants, nos futur.e.s citoyen.ne.s. […] Partout en France, depuis deux ans, des profs, des parents et des jeunes se lèvent pour dire non à cette ignominie. Notre voix est étouffée, nos jeunes mis à genoux. Nous résistons. Pour combien de temps ? »

A lire aussi : Réforme du bac: Blanquer, reçu sans mention?

Voilà ce que déclarait, avec une verve lyrique indéniable, le collectif « Bloquons Blanquer » dans son « Appel des profs aux citoyen·ne·s encore debout » publié sur Mediapart le 20 mai dernier. Les enseignants « en lutte » réclamaient le retrait des différentes réformes portées par le ministre de l’Education nationale (que ce soit celles des filières, du bac, de Parcoursup ou de la maternelle), mais aussi des créations de postes, la titularisation d’enseignants précaires, des hausses de salaire, et le retrait des évaluations des professeurs. C’est pourquoi on a assisté, ces dernières semaines, à des grèves de surveillants du bac, puis de correcteurs bloquant les copies. Ce qui a donné lieu à une panique autour de l’annonce des résultats : la solution controversée annoncée par Blanquer a été de faire inscrire provisoirement les notes du contrôle continu sur les bulletins du bac, pour que tous les candidats soient fixés le vendredi 5. Avant-hier, la situation s’est régularisée : toutes les copies bloquées ont été reçues, les véritables notes inscrites, et les résultats des rattrapages sont peu à peu publiés.

Comme une réminiscence des mouvements de blocage l’an dernier dans les universités, la situation a finalement évolué de la même manière : le gouvernement, adoptant une posture de fermeté, n’a pas cédé face aux revendications des bloqueurs. Emmanuel Macron, au micro de France Info le 7 juillet, dénonçait ceux qui voulaient « prendre nos enfants et leurs familles en otage ». Ceux-ci se sont enlisés et discrédités auprès des élèves et de leurs parents, et ont piteusement dû admettre leur défaite, les syndicats dénonçant cependant l’« autoritarisme » du ministre. Sans juger sur le fond la pertinence des réformes de Blanquer, force est de reconnaître son opiniâtreté à porter des coups aux pédagogistes, dont la légitimité médiatique et intellectuelle est désormais de plus en plus menacée.

A lire aussi : La piteuse évacuation de l’université du Mirail à Toulouse

Fuite des sujets

Autre incident qui a provoqué quelques remous médiatiques : des sujets de mathématiques et de géographie ont circulé quelques jours avant l’épreuve. La répression de ce type de délits est sévère, l’enquête a été mise en œuvre très rapidement : les fuites provenaient d’un surveillant du lycée Ozar-Hatorah de Créteil, qui a relayé le sujet à deux élèves, lesquels l’ont ensuite partagé à leur tour. Ce qui n’a pas manqué de susciter des réactions antisémites sur les réseaux sociaux, nous apprenait France Inter lundi. Quoi, les juifs veulent tricher ? Et en plus, ils sont protégés par le pouvoir, tout le monde le sait !

Plus édifiante que ces inepties antisémites est cependant la raison invoquée par le surveillant pour se justifier. Le Parisien rapporte : « Pour perpétuer les habituels très bons résultats de l’établissement de Créteil – qui frôle ou atteint tous les ans les 100% de réussite, à l’exception notable de l’année 2018 – son employeur lui aurait fait comprendre, sans parler frontalement de triche, qu’il serait bon de donner un coup de main à quelques élèves en difficulté ».

Le bac ne sert plus à rien

Ainsi donc, la faute reviendrait au classement des établissements selon le pourcentage de reçus au baccalauréat ; logique absurde, qui ne classe que les élèves – triés en amont – et non, évidemment, les enseignements. Quoique ce puisse être totalement faux, le fait même de penser à une telle excuse est significatif de l’atmosphère de compétition entre les lycées, souvent privés, qui veulent figurer en tête de liste. Et ceci, pas vraiment au profit de la pédagogie.

C’est qu’aujourd’hui, tout le monde a le bac ou presque ; il n’est quasiment plus un critère de sélection dans le supérieur, car celle-ci est réalisée en amont, sur le dossier des élèves, pour la majorité des formations – notamment celles inscrites sur la plateforme Parcoursup. Le nivellement se fait donc en amont, mais paradoxalement, en partie sur le critère du classement du lycée, basé sur le pourcentage d’admis au bac de l’année précédente… La sélection à l’entrée des lycées remplace désormais les résultats au bac dans la détermination des choix du supérieur, sauf pour les universités, qui devront encore accueillir le gros des troupes.

Ainsi, une fois de plus, la mise en branle de l’énorme machine bureaucratique aura montré que le baccalauréat massifié – 743 594 candidats cette année – atteint désormais le bout de sa propre logique. Et la réforme de Blanquer, pansement sur une jambe de bois, ne changera probablement pas la donne.

Affaire Lambert: fin d’une tragédie hospitalière

0

«Vincent est décédé à 8h24 ce matin» à Reims, a précisé son neveu François à l’AFP. Le malheureux Vincent Lambert, décédé à 42 ans, était plongé dans un état végétatif depuis 2008. Retour sur la douloureuse et clivante affaire hospitalière. Gare à la prévisible « descentada » sociétale sur l’euthanasie !


Cette affaire singulière, des plus privées, aurait dû être cantonnée à cinq ou six personnes. Malheureusement, elle est devenue une affaire nationale. Pour certains, elle fut un combat sans compromis possible. Combat pour la défense de la vie, pour la défense de la condition d’un handicapé, pour la défense de la fragilité. Quand nous sortons de l’éthique pour la morale, du cas particulier pour des principes généraux, toute discussion est impossible. Se poser des questions dans le cercle étroit d’une délibération à cinq ou six, réfléchir dans le cadre d’un colloque intime, d’un ajustement familial est une chose. Mais poser ces mêmes questions, sans forcément bien savoir de quoi nous parlons, à voix forte, dans les médias, est autre chose. Le passage de l’un à l’autre altère les questions et tord les réponses. Quand il s’agit d’une personne à la conscience très altérée, quand il faut apprécier des situations sans guérison possible, poser des questions insoutenables à voix basse est nécessaire, dans le secret des cœurs et en tenant compte de la volonté de celui pour lequel une décision doit être prise. Poser les mêmes questions dans le plein vent des médias est impossible.

Trente-quatre décisions de justice!

Malheureusement, cette affaire n’aura jamais pu déboucher sur une entente familiale. Malheureusement la famille, en faisant la promotion de l’impudeur, en exposant son différend sur la place publique, en feuilletonnant cette affaire avec trente-quatre décisions de justice et des recours en pagaille, a obligé la France à prendre parti, à prendre position. La mère, et ses avocats trop zélés, n’ont cessé d’hystériser le débat. C’est là le principal reproche que nous pouvons leur faire. Et, de déclarations maternelles retentissantes en plaidoiries tonitruantes, de douleurs exposées en effet de manche, l’hystérie a gagné, par effet de dominos, tout l’édifice actuel qui encadre et protège les malades en fin de vie, tous les 1 700 cérébro-lésés en France et même les soins palliatifs eux-mêmes…  Et derrière eux, la loi Leonetti.

A lire aussi : Vincent Lambert va partir

Fallait-il « sauver » un homme (selon l’idée qu’on s’en fait) et mettre à bas tout l’édifice qui protège des milliers d’autres ? Fallait-il, en toute inconscience, provoquer d’innombrables dégâts médiatiques qui donnent du grain à moudre à ceux qui, autour du député Touraine, attendent le mois de septembre de cette année, pour injecter des dispositifs euthanasiques dans la révision des lois bioéthiques ? Les partisans anti-euthanasie mesurent-ils les effets en chaine qu’ils ont provoqués sur l’écosystème palliatif de France ? Ont-ils conscience, à coup de « remontadas », de menaces, de grandes déclarations tonitruantes, d’avoir affaibli la loi Léonetti – et donc les protections de dizaines de milliers de personne en fin de vie ? Non. Et pourtant tel est le cas.

Malaise personnel

Suis-je à l’aise avec l’arrêt des traitements décidé le 2 juillet ? Non. Suis-je confortable avec l’idée que l’arrêt des traitements consiste à stopper l’hydratation et la nutrition – même si le processus a été accompagné par une sédation pour soulager les désagréments et par une hydratation de la bouche ? Non. Suis-je confortable avec l’idée qu’un «acharnement déraisonnable » concerne, pour quelqu’un qui n’est pas en fin de vie, la nourriture et l’hydratation ? Non. Suis-je confortable avec l’utilisation de la loi Leonetti hors des trois critères habituels (fin de vie annoncée, souffrance réfractaire, obstination déraisonnable évidente) ? Non. Cet usage de la loi Leonetti, pour Vincent Lambert, dénature le message d’accompagnement de la loi et met de la confusion dans les soins palliatifs. Je le regrette.

A lire aussi : Il faut soutenir Rachel Lambert!

Et en même temps, je n’accepte pas qu’on puisse parler « d’assassinat » – selon les propos de Viviane Lambert. Y a-t-il « meurtre » – qui a supposé,  de la part de ses avocats, un dépôt de plainte pour « meurtre avec préméditation » ? Non si on sait que Vincent Lambert avait clairement indiqué qu’il ne souhaitait pas être dans la situation actuelle. Non, si on considère qu’avec l’accord de toutes les parties (au début), il n’y aurait pas eu d’affaire Lambert. Dès lors, toute l’affaire résulte du désaccord des parties. Rachel Lambert, l’épouse, a été reconnue tutrice de son époux. C’est elle qui est à la manœuvre – et qui décide au nom de son époux. Enfin, il n’y a pas « meurtre » si on considère que le critère décisif, légal, est la volonté de Vincent Lambert. Quand on demande aux avocats de la mère au nom de quoi ils agissent, alors même que Vincent Lambert n’était plus en mesure de s’exprimer, ils disent « au nom de l’intime conviction d’une mère ». Il s’agit donc d’un conflit « d’intimes convictions » entre l’épouse et la mère (et quelques autres).

Aux bordures de l’euthanasie…

De quoi s’agit-il alors, s’il ne s’agit pas d’un « meurtre » ? Peut-on parler d’euthanasie ? Là, il faut distinguer, l’esprit et la lettre. La lettre supposerait qu’on soit du côté du « faire mourir » et de l’injection de curare pour une mort rapide. La lettre n’y est pas. Quant à l’esprit euthanasique, lui, il flotte dans cette affaire, s’est inscrit dans certaines modalités des procédures permises par la loi. Là, mais aussi dans « les directives anticipées » et dans « la sédation profonde et continue » – quand ces modalités ne sont plus indicatives mais deviennent contraignantes, comminatoires et échappent à l’appréciation au cas par cas.

En même temps, je n’ai pas accepté qu’on fasse de cette affaire, avec des effets de manche et des exaltations impudiques des avocats, une sorte d’affaire Dreyfus hospitalière. À entendre Viviane Lambert il fallait protéger son fils d’une tentative de meurtre, d’un assassinat programmé par l’État. Pour défendre non pas Vincent Lambert mais leur « intime conviction », ils ont jeté aux lions médiatiques ceux qui s’opposent à eux. Je n’accepte pas que Madame Lambert ait pu dire des médecins des soins palliatifs qu’ils sont « des monstres », et même « des nazis ». Cette nazification des médecins et de toutes les équipes qui, depuis dix ans, prennent soin de Vincent Lambert, ne semble pas poser de problème aux partisans de Madame Lambert. Je n’accepte pas qu’on hystérise le débat et crée une angoisse intolérable pour les 1 700 cas de cérébro-lésés en France – qui ne sont en rien concernés par les arrêts relatifs à Vincent Lambert.

Tristesse et hystérie

Il s’agit donc d’une tragédie. D’une tragédie publique qui est là, sous nos yeux, depuis dix ans. Une tragédie avec des points de vue irréconciliables et pourtant tous légitimes. Tous ont raison, et pourtant tous ont tort de vouloir avoir raison contre les autres. Camus, quand il reconnait que dans une tragédie « les forces qui s’affrontent sont également légitimes, également armées en raison », conclut ainsi : « Antigone à raison, mais Créon n’a pas tort ». Il en va de même dans cette affaire. Les voix singulières ont raison quand l’Etat n’a pas tort.

Et comme il se doit, toute tragédie pousse à la tristesse. Je suis triste qu’on en soit arrivé là. Triste que l’hystérie ait été de mise. Triste que deux morales raides se soient opposées – celle de la vie à tout prix et celle de l’euthanasie – en délaissant l’inconfortable terrain de l’éthique. Triste que ces débats aient fait tant de mal à ce trésor vivant d’accompagnement et d’humanité que sont les soins palliatifs. Triste que des militants, sans le vouloir, aient donné tant et tant d’arguments, tant et tant de raisons supplémentaires aux partisans de l’euthanasie – qui en septembre, au Parlement, pourraient « tirer les conclusions » de cette affaire Lambert en instaurant un droit à l’euthanasie. Maitres Triomphe et Paillot resteront dans l’histoire (et avec eux ceux qui les ont financés) comme les meilleurs avocats des faiblesses de la loi et donc de… l’euthanasie.

Ils se vantaient à un moment d’une « remontada » ? On risque à présent la « descentada » sociétale. C’est triste à en pleurer.

UE/Mercosur: l’Europe passoire, ça continue!

0
Emmanuel Macron, Angela Merkel et Jair Bolsonaro au G20 à Osaka (Japon) le 29 juin. Photos : AFP Numéros de reportage : SIPAUSA31507315_000003 SIPAUSA31507315_000001 SIPAUSA31507315_000010

Il existe pourtant deux leviers pour contrer les accords commerciaux défavorables aux intérêts français !


La fuite en avant vers le libre-échange est devenue une antienne de la politique européenne!

L’Acte Unique (1986) abolissait toute barrière douanière à l’intérieur d’un espace économique censé être homogène ou le devenir. Au gré des agrandissements successifs de la construction européenne, l’autonomie progressive de la Commission européenne en matière commerciale fut une bombe à retardement faisant de notre continent un espace économique ouvert aux quatre vents. Alors que nous sommes désarmés face aux dangers de la mondialisation, il est impératif dans un premier temps de revenir sur l’autonomie de la Commission européenne sur ces négociations commerciales, en y associant davantage les États membres, lesquels restent dépositaires de la souveraineté.

Un système bien huilé

Ensuite, en conférant aux technocrates de la Commission européenne les pleins pouvoirs sur la politique commerciale et douanière des États membres, le Traité de Lisbonne (2007) leur a offert un blanc-seing pour mener une politique libre-échangiste dont on voit dix ans plus tard les conséquences… Le Parlement européen n’est sollicité que pour la ratification des accords ! De plus, si le Parlement européen possède une certaine utilité, le contrôle continu de l’Allemagne sur les deux principaux groupes parlementaires (PSE et PPE) lors de la dernière législature (dirigés respectivement par Udo Bullman et Manfred Webber) a considérablement affaibli dans la pratique le supposé rôle de contre-pouvoir de Strasbourg par rapport à la Commission.

Nous disposons de deux moyens pour bloquer la Commission européenne. Utilisons-les !

Contrer la machine à perdre

Il y a d’abord la possibilité de faire imposer l’accord de compétence mixte pour l’adoption d’accords commerciaux (Parlement européen + Parlements nationaux). Ensuite, il y a la pression de l’opinion publique.

Le 22 mai 2018, les ministres du Commerce des pays membres de l’Union Européenne décidèrent que les futurs accords commerciaux devaient désormais se réaliser sans l’aval des Parlements nationaux, en scindant les traités en deux parties. Il faudrait privilégier le retour de l’accord de compétence mixte pour les traités commerciaux, comme nous le recommandions dans notre dernier rapport sur l’Europe.

Le traité sur le Mercosur s’engage à éliminer les taxes (à hauteur de plus de 90%) sur des produits industriels comme les automobiles, sur les équipements industriels ou encore les produits pharmaceutiques, secteurs indispensables aux exportations allemandes. Le traité est donc particulièrement favorable aux intérêts d’outre-Rhin. Si l’on étudie dans les détails les clauses du traité, on s’aperçoit par exemple que l’Allemagne pourra toujours compter sur le fait que l’automobile occupe une part de marché importante dans les pays du Mercosur (23% pour Volkswagen, contre seulement 7% pour PSA)…

Le Mercosur profitera plus à l’Allemagne qu’à la France

L’agriculture et l’élevage, que Sully avait déjà identifiés sous Henri IV comme les deux mamelles de la France, risquent en revanche d’être fortement lésés. Comment Emmanuel Macron va-t-il expliquer aux Antilles, où la production agricole repose en grande partie sur la canne à sucre, l’abaissement des droits vis-à-vis de concurrents directs ? En effet, les droits seront abaissés sur des produits agricoles européens comme le vin, les chocolats ou les olives. Quant aux fromages et aux produits laitiers européens, ils bénéficieront de « larges quotas » sans taxes. En échange, une quantité inédite de produits agricoles sud-américains est destinée à concurrencer le marché européen, via des quotas : 99.000 tonnes de bœuf par an à taux préférentiel (7,5%), un quota supplémentaire de 180.000 tonnes pour le sucre et un autre de 100.000 tonnes pour les volailles…

Sur le plan fiscal et social, comment pouvons-nous ajouter de la concurrence supplémentaire alors que les distorsions de concurrence sont béantes entre l’ordre normatif européen et celui de pays qui ne respectent aucune règle, que ce soit en matière de droit du travail, de droit sanitaire ou de droit environnemental ? Des produits agricoles seront vendus au même prix que les produits français, avec un coût de main-d’œuvre bien moindre et une fiscalité avantageuse, aggravant le dumping social et fiscal déjà présent au sein du marché unique… Enfin, les dirigeants européens rompent avec le principe de la préférence communautaire qui fut pourtant essentiel dans la fondation et la construction européenne, à travers des politiques comme la PAC !

Perspectives peu reluisantes

A ces perspectives économiques peu réjouissantes pour la France, s’ajoutent les questions environnementales. En allant chercher toujours plus loin des produits que nous pouvons trouver chez nous, nous créons les conditions pour que la planète devienne absolument invivable.

Ainsi, cet accord ne peut entraîner que l’opposition des opinions publiques en Europe, et particulièrement en France. En plus d’être néfaste sur le plan économique et environnemental, le traité de libre-échange avec le Mercosur reflète la construction européenne telle qu’elle est de plus en plus décriée par une bonne partie de l’opinion (on pense en France aux “gilets jaunes”). Son adoption par Emmanuel Macron prouve que quand Nathalie Loiseau et le Président nous parlaient d’Europe “protectrice” lors des dernières élections, on s’est payé notre tête. Une Europe plus protectrice ne pourra venir que lors du prochain renouvellement de l’exécutif européen ou du changement de président de la République française.

Texte co-écrit par Jean-François Champollion, contributeur du Millénaire, agrégé et doctorant en histoire contemporaine.

Natalité des femmes immigrées: Laurent Joffrin, pas un aigle de la statistique!

0
Le journaliste Laurent Joffrin © BALTEL/SIPA

Parfois, on prend quelques libertés avec les chiffres et les statistiques pour rester dans les clous de son idéologie… À Libération, quand on veut absolument démontrer que les immigrées ne font pas tellement plus de mioches que les Français de plus longue date, les approximations sont au rendez-vous…


J’ai reçu hier, d’un correspondant malicieux, le commentaire de Laurent Joffrin dans Libération sur le dernier Pop&Soc publié par l’Ined traitant du rôle joué par les immigrées sur le niveau de la fécondité française.

A lire aussi sur le blog de Michèle Tribalat : La France a la plus forte fécondité d’Europe. Est-ce dû aux immigrées ?

La lettre politique de Laurent Joffrin est intitulée, avec le sens de la nuance qu’on lui connaît, « Grand remplacement » ou grand enfumage ? Cette lettre illustre à merveille la critique que j’ai adressée hier aux auteurs du Pop&Soc.

Libération, pas des as en statistique…

Visiblement, Laurent Joffrin a adoré la publication de l’Ined qui avait tout pour lui plaire. D’ailleurs, sa lettre est accompagnée d’un article élogieux intitulé « Non l’immigration n’est pas à l’origine du taux de fécondité élevé des Françaises », truffé des bons mots de Gilles Pison, l’un des auteurs et rédacteur en chef de la revue Pop&Soc. C’est Valentine Watrin qui s’y est collée.

A lire aussi : En France, l’homosexualité reste une «maladie» ou une «perversion» pour 63% des musulmans

En grand donneur de leçons, Laurent Joffrin, rebondit sur le Pop&Soc pour ridiculiser les adeptes de la théorie du grand remplacement. Pris par son enthousiasme, il pratique des arrondis aventureux sur le fameux « taux de fécondité » : « 3 contre 2, grossièrement » respectivement pour les immigrées et pour les natives. Arrondir 2,6 enfants par femme à 3, c’est faire preuve d’une audace qui frise l’imprudence ! Il n’est d’ailleurs pas non plus justifié d’arrondir 1,88 à 2. Mais, Laurent Joffrin a l’excuse de marcher dans les pas de François Héran, connu pour ses arrondis audacieux.

C’est moi qui précise qu’il s’agit d’un nombre d’enfants par femme. En effet, on se rend compte, au fil du texte, que Laurent Joffrin a pris l’expression « taux de fécondité » au pied de la lettre. Il a raison : un taux s’exprime en pourcentage. J’ai fait une capture d’écran ce matin du point trois de son argumentation qui en compte cinq, dans lequel il se demande si le grand remplacement est en cours :

Laurent Joffrin n’est pas à blâmer. On ne peut lui reprocher d’avoir pris l’appellation « taux de fécondité » au sérieux. S’il n’est manifestement pas un aigle en statistique, il a au moins compris ce qu’était un taux. C’est déjà pas si mal ! Ce sont les auteurs du Pop&Soc qui, en voulant se rapprocher du lecteur, l’ont induit en erreur, en essayant de parler comme lui.

A lire aussi : Dans Libération, la démocratie est fasciste, trop blanche et antidémocratique

Amateur toi-même!

Comment François Héran va-t-il réagir, s’il le fait, à l’erreur de Laurent Joffrin ? Sera-t-il aussi sévère qu’il l’avait été avec Éric Zemmour qui, lui aussi, exprimait la fécondité en pourcentage ? Ce dernier commentait ainsi le Pop&Soc de 2007 dans lequel Gilles Pison et François Héran évaluaient la contribution des femmes immigrées à la fécondité française à 0,1 enfant : « 0,1 %… Ça fait rire la France entière » (RTL, 21 juin 2010). Dans son livre Avec l’immigration publié en 2017, François Héran jugeait que le recours au pourcentage était « un signe flagrant d’amateurisme ». Il écrivait un peu plus loin : « notre brillant critique a pris un point d’indice (+0,1 enfant) pour un point de pourcentage (+0,1 %)… Il est absurde de parler d’un “taux de fécondité de 0,1 %” : une telle formule signe d’emblée une ignorance complète de la démographie ». En effet. Mais François Héran récolte ce qu’il a lui-même semé. Désigner par un taux, un indicateur qui n’en est pas un, comme il le faisait déjà en 2007 alors qu’il était directeur de l’Ined, n’est pas faire œuvre de pédagogie. Dans son livre Avec l’immigration publié en 2017, il évoquait les organismes, dont l’Ined, qui traitent de la démographie et accordent un « soin particulier [à] la lisibilité des textes, des tableaux et des graphiques » et blâmait les lecteurs distraits, dont Éric Zemmour était une « illustration saisissante », en invoquant Jean-Jacques Rousseau : « Je ne sais pas être clair pour qui ne veut pas être attentif ». Quel auteur prestigieux invoquer pour son manque de précision et ses erreurs à lui ?

A lire aussi : Zemmour et les élèves juifs du 93: le « fact-checking » foireux de TF1

Mon intuition me dit que François Héran sera plus conciliant avec Laurent Joffrin qu’il ne l’a été avec Éric Zemmour. Il n’a pas pu rester insensible à l’éloge indirect que Laurent Joffrin lui adresse en reprenant, notamment, la thèse selon laquelle les difficultés proviennent des concentrations de populations d’origine étrangère dont celles-ci sont victimes, concentrations qui sont, écrit Laurent Joffrin, « le lot des populations défavorisées ». Ces populations rencontrent des « problèmes d’intégration sociale », comme les gilets jaunes et… ouf, « c’est la question sociale qui domine ». CQFD. Rappelons que, dans son livre de 2007, Le Temps des immigrés, François Héran ne voyait dans les concentrations qu’un mauvais réglage politique, pour lequel il empruntait une métaphore hydraulique : « il est prématuré de dire que le bassin national est plein à ras bord si nos communes forment 36 000 bassins très inégalement remplis, dont les uns débordent tandis que les autres restent quasiment vides ».

Un « complot » des démographes?

L’article de Valentine Watrin fait lui aussi l’éloge du « travail réalisé par des chercheurs de l’Ined [qui] entend fournir un socle empirique à un débat souvent hystérique… un effort d’analyse factuelle qui vient ébranler la thèse d’un complot des démographes pour cacher les chiffres sur l’immigration ». On ne peut lui en faire grief car elle n’est pas plus armée que Laurent Joffrin pour comprendre de quoi il retourne. Et puis, Libération ne va quand même pas rater une occasion pareille de faire la leçon à ceux qui pensent mal. Surtout s’il a l’Ined, l’Insee et le Collège de France avec lui. Valentine Watrin n’est pas non plus en mesure de relever les impropriétés de langage de Gilles Pison qu’elle interroge lorsqu’il évoque « les immigrantes de la deuxième génération », expression par laquelle il désigne les filles d’immigré(s) qui sont nées en France et n’ont donc jamais, par définition, connu la migration. Pas plus qu’elle n’est outillée pour contester l’affirmation suivante de Gilles Pison : « La France doit beaucoup à l’immigration… Près d’un quart de la population est soit immigrée, soit descendante de parents ou grands-parents immigrés ». Elle ne peut avoir la présence d’esprit de lui demander la date de cette estimation ni la publication à laquelle il se réfère car Valentine Watrin a l’habitude de prendre pour argent comptant la parole de ceux qui sont censés exercer leur art. La dernière estimation de la population d’origine étrangère sur trois générations a été réalisée à partir de l’enquête Famille de 2011 pour les moins de 60 ans en France métropolitaine, par mes soins. En 2011, c’est près de 30% de personnes de moins de 60 ans qui étaient soit des immigrés soit des enfants ou petits-enfants d’immigré(s).

Cependant, on ne peut que constater le désaccord entre Gilles Pison et son co-auteur François Héran, qui estimait lui aussi au doigt mouillé en 2017, la population d’origine étrangère sur deux générations : « Quelques années encore et ce sera le quart. […] Si l’estimation pouvait remonter d’une génération, elle montrerait qu’un tiers de la population du pays a au moins un parent ou un grand-parent immigré. » Peut-être pourraient-il refaire un Pop&Soc pour s’en expliquer ?

Il ne faut pas trop en vouloir à Laurent Joffrin et à Valentine Watrin qui font confiance aux compétences invoquées par les démographes qu’ils lisent ou interrogent, surtout si ceux-ci confirment leurs préjugés idéologiques. On ne peut guère compter sur les décodeurs de Libération pour s’en prendre à la bourde de leur patron et tourner en dérision le maladroit qui pense que l’indicateur conjoncturel de fécondité est un pourcentage. Comme les autres décodeurs, ceux de Libération ne décodent trop souvent que les écrits qui les dérangent!

>>> Retrouvez tous les articles de Michèle Tribalat sur son site

Le Temps des immigrés. Essai sur le destin de la population française

Price: 11,80 €

28 used & new available from 1,76 €

Statistiques ethniques, une querelle bien française

Price: 14,45 €

8 used & new available from

Avec l'immigration: Mesurer, débattre, agir

Price: 21,00 €

22 used & new available from 10,41 €

Assimilation : la fin du modèle français: Pourquoi l'Islam change la donne

Price: 9,90 €

15 used & new available from 5,72 €

Islam de France: oxymore

0
Mères voilées en colère à l'école Emile Roudayre de Perpignan, juin 2019 © RAYMOND ROIG / AFP

Ce n’est pas le rôle historique de la France de réformer l’Islam. Persuadés du contraire, les Français participent à un dangereux jeu à l’issue fort incertaine. Il est illusoire de croire que la civilisation musulmane acceptera de s’empêcher en France… Analyse.


La promesse d’un Islam de France fait partie de ces impostures contemporaines dont la seule vertu est d’endormir le citoyen et lui faire croire à des lendemains qui chantent. Il ne sert à rien de fantasmer sur une religion déradicalisée car l’Islam n’est pas un objet de laboratoire que l’on peut modéliser et manipuler. Ce n’est pas non plus un régime alimentaire duquel on peut retirer les protéines ou une boisson gazeuse que l’on peut délester de ses calories.

Cet OVNI nommé civilisation

Toute religion est liée à une civilisation qui lui donne une continuité historique. Et chaque civilisation a besoin d’une matière humaine pour exister. Quoi qu’elle fasse, la civilisation française n’aura aucune emprise sur l’Islam. Il lui est étranger et ne lui a jamais appartenu. Il y a des choses que seule une mère peut dire à ses enfants et la France n’a pas engendré l’Islam. Bien au contraire, elle s’en est préservée tout le long de son histoire. Il revient à la civilisation musulmane de réformer l’Islam et à elle seule.

Les Français ne peuvent pas toucher au dogme ni au Coran. C’est l’affaire de la civilisation musulmane. Si cette civilisation décide de changer de cap, elle le fera sans nous consulter et nous en subirons les conséquences, bonnes ou mauvaises

Existe-t-il une civilisation musulmane en France ? La réponse est « pas encore mais ça ne saurait tarder ». La civilisation musulmane vient, pour la première fois, de franchir les Pyrénées. Elle compte désormais des millions d’adeptes au nord de la Loire et à l’est du Rhin.Evénement historique aux proportions incommensurables ! Quand Mme Merkel a appelé un million de réfugiés en Allemagne, elle a exaucé en quelques mois le rêve millénaire d’une civilisation.

La France n’est pas une Business Unit !

L’expérience prouve tous les jours que l’assimilation et l’intégration ne marchent pas ou pas suffisamment. Il n’y a pas assez de métissage et chacun campe sur son héritage et sa différence, convaincu de son droit à la Différence. Or, les civilisations ne s’empilent pas comme les étages d’un building. Elles ne s’alignent pas non plus comme les boutiques d’un centre commercial. Elles n’aiment pas la promiscuité. La diversité, telle que nous l’entendons, leur fait horreur. Cela ne veut pas dire qu’elles exècrent le dialogue et l’échange, elles ont juste besoin de le faire au goutte-à-goutte pour ne pas se diluer. Elles aiment contrôler la vitesse des échanges. Pour elles, tout est une question de rythme.

A lire aussi : Les islamistes, passagers clandestins du progressisme

Leur obsession est celle d’un monarque : durer et transmettre le pouvoir à qui de droit. Rien à voir avec la mentalité managériale de nos leaders qui envisagent un pays comme une Business Unit appartenant à une multinationale dont le siège social serait à Bruxelles. Ils conçoivent l’exercice du pouvoir comme celui de la « compliance » qui consiste à gouverner en regardant vers l’échelon supérieur et non vers l’arrière c’est-à-dire vers les aïeux. Tout le contraire d’une civilisation qui est une machine à tirer les leçons du passé.

Une civilisation est prudente, même si elle est capable d’accès de colère aussi soudains que cruels. Elle goûte la nouveauté du bout des lèvres et la digère, avec un luxe de précautions. Elle craint d’être empoisonnée par un venin qui pourrait la pourrir de l’intérieur. D’où sa méfiance par rapport à l’Etranger et sa réticence à l’installer tout de suite au cœur de la maison.

Déluge de feu et de cendres

Que de choses étranges pour nous autres Occidentaux ! Nous avons oublié les civilisations depuis 1945 lorsqu’un nouveau système international a été mis en place sur les décombres hérités de la Seconde Guerre Mondiale. Depuis, nous souffrons de myopie car nous ne reconnaissons plus que les Etats, les organisations internationales et les ONG. Nous nous gargarisons de la société civile mais elle n’est rien face à la permanence et à la puissance d’une civilisation. Une ONG tombe, change de nom pour qu’un autre reprenne sa place, pas une civilisation. Elle est la personnification du temps long car elle n’est pas tributaire d’une cause, elle défend un mode de vie. Sa navigation est similaire à celle d’un continent : une dérive lente et ennuyeuse qui, de temps en temps, remet les hommes à leur place par un déluge de feu et de cendres.

A lire aussi : Le progressisme n’en a plus pour longtemps

Nous sommes capables de distinguer les ONG des groupes terroristes et des organismes supranationaux mais nous ratons l’essentiel : la lave en fusion qui bouillonne sous la croûte terrestre. Ce manteau rocheux que nous avons perdu l’habitude de creuser depuis que la superficialité est devenue une vertu.

Cette force primaire fait trembler nos constructions et déborder nos rivières mais nous accusons la pierre qui se brise et l’eau qui tourbillonne. Nous confondons les circonstances et les permanences. Les premières sautent aux yeux, les secondes sont accessibles aux seuls initiés. Nous voyons les migrants se jeter à la mer et les humanitaires faire leur show à Lampedusa sans percevoir l’élan d’une civilisation qui a envie de contact, de friction, d’échange, d’en découdre quoi !

Nous nous berçons d’illusions

Les civilisations sont souveraines. Elles sont faites pour se crisper et se détendre, sans demander l’avis aux sociétés ni aux hommes et aux femmes qui les composent. Elles participent du Divin. Tantôt à l’Olympe, tantôt en enfer, elles habitent des territoires qui nous sont inconnus.

A lire aussi : Zemmour et les élèves juifs du 93: le « fact-checking » foireux de TF1

Elles se crispent pour un rien et se détendent pour un rien aussi. Il ne faut pas leur en tenir rigueur. Les crispations identitaires alternent avec les moments de communion universelle. Il n’y a que les progressistes pour s’en offusquer alors que notre avis n’a aucune espèce d’importance. Arrive-t-il aux Indiens d’Amazonie de s’indigner des crues périodiques du Rio Negro ?

Freud nous a appris que l’inconscient a toujours le dernier mot. Les civilisations aussi. Bien qu’elles tiennent fermement le manche, elles nous laissent croire que nous sommes libres et invincibles. Douce illusion.

Les civilisations sont nos mères suprêmes, elles nous ont engendrés et continuent à veiller sur nous, qu’on le veuille ou non. Elles ont le sixième sens d’une mère qui prend soin de ses enfants, où qu’ils soient, même à l’autre bout du monde. Parfois, elles froncent les sourcils et nous confondons leurs rides d’expression avec leurs émotions véritables. Erreur fatale née de l’arrogance et de la superficialité.

Le devoir d’humilité

Certains regardent le Coran comme un manuel d’instruction ou un traité de mathématique que l’on peut résumer ou modéliser.  En vérité, il est le fondement d’une formidable aventure humaine, initiée en Arabie, par un peuple de bédouins qui a soudain rencontré la grandeur. Cette aventure dépasse les Arabes, les Perses ou les Turcs, elle est authentiquement humaine. En ce sens, elle est admirable. Toutes les exégèses du monde ne sauront expliquer les raisons du succès de l’Islam. Comment un peuple analphabète, un peuple de chameliers et de commerçants aficionados de la poésie a réussi à subjuguer l’imaginaire de centaines de millions d’êtres humains ? Mystère de la foi et de la civilisation.

Face à cela, il faut de l’humilité : les Français ne peuvent pas toucher au dogme ni au Coran. C’est l’affaire de la civilisation musulmane. Si cette civilisation décide de changer de cap, elle le fera sans nous consulter et nous en subirons les conséquences, bonnes ou mauvaises. Cette révolution peut avoir lieu au fin fond de la Beauce ou sur les berges du Nil, peu importe, elle ne nous demandera pas notre avis.

Ce qui nous concerne en revanche c’est l’émergence d’une civilisation musulmane en France. L’immigration et surtout la démographie transforment la civilisation islamique en une évidence (islamique est synonyme de musulmane, à ne pas confondre avec islamiste). Or, une civilisation a besoin de s’exprimer : elle a besoin du grand air, elle n’aime pas les caves ni les sous-sols. Elle exige des monuments à sa gloire, des paysages urbains à sa mesure, des goûts et des saveurs qui conviennent à son tempérament, une ou plusieurs langues qui la fassent rêver et chanter, une organisation politique qui corresponde à ses mœurs. En résumé, une civilisation a besoin d’exprimer sa constitution mentale. Un jour ou l’autre, la civilisation islamique va exiger tout cela. Pour l’instant, elle se tait.

Une civilisation assoiffée de gloire après humiliations et échecs

Les Français vont droit vers un rendez-vous décisif avec l’Islam sans y être préparés. Deux trains roulent l’un vers l’autre à toute vitesse. La civilisation française a la tête baissée par son culte de la repentance et les poches pleines par son génie industriel. La civilisation islamique a la conscience tranquille et elle est assoiffée de gloire après tant d’humiliations et d’échecs, le dernier en date étant la perte de Jérusalem. Ce rendez-vous sera l’occasion de régler les comptes. Or, les Français ont brûlé le livre des comptes dans leur obsession pour le futur, pas les musulmans.

Les civilisations ont la rancune longue et la colère tenace. Les hommes et les femmes peuvent tout pardonner, les civilisations en sont incapables. Les Croisades sont encore une blessure vive, la colonisation aussi. Le Sud n’a pas tourné la page, nous l’avons tournée de la pire manière qui soit en jetant par-dessus bord la civilisation chrétienne qui elle avait la mémoire et la passion de la continuité.

C’est comme ça, les civilisations sont têtues, implacables à la limite de la bêtise. Elles ne sont pas calculatrices, elles sont simplement tragiques : elles préfèrent la belle mort à la survie dans la soumission, c’est ce qui les rend aimables c’est-à-dire dignes d’être aimées. Tant d’êtres humains acceptent de mourir pour elles précisément parce qu’elles sont ainsi : intransigeantes.

Chronique des années à venir? 

Il est illusoire de croire que la civilisation musulmane acceptera de s’empêcher en France. De vivre sous la ligne du radar. Un jaguar doit chasser, c’est sa nature. Une civilisation doit advenir, c’est sa vocation. Il n’y a pas d’exception à cette règle.

Un jour, l’Islam cessera d’être comprimé. Il voudra respirer à plein poumons et fera voler en mille éclats la laïcité. Il exigera le voile, la ségrégation des femmes, le halal, le calendrier religieux etc. Et s’il ne le fait pas, il va mourir. Une étoile brille ou disparaît dans l’obscurité.

A court-terme, nous allons vivre une paix tendue, envieuse, médisante et amère comme tout mariage de raison. Quand l’amour fait défaut, la victimisation prend le dessus. Chaque conjoint accumule les ressentiments et les colères jusqu’au jour de la grande explication. A ce stade du championnat, la loi inexorable de l’Histoire nous aura rattrapés. Vous pourrez alors relire ce papier et trouver les paroles et les contorsions de vos serviteurs bien vaines. La haine parlera plus fort et renverra les modérés à leurs chères études. Car les civilisations ne connaissent pas le gagnant-gagnant. Elles jouent pour vaincre.

D’ici là, profitons du vivre-ensemble à défaut d’avoir inventé un art de vivre. Celui-ci s’apprend et se transmet en famille, ça c’est aussi c’est une affaire de civilisation.

Mon père, le Maroc et moi: Une chronique contemporaine

Price: 18,00 €

12 used & new available from 18,00 €

Alain Finkielkraut: « Le progressisme: un thé dansant à bord du Titanic »

0

 


« L’Esprit de l’escalier », l’émission culte d’Alain Finkielkraut et d’Élisabeth Lévy, est de retour en exclusivité une fois par mois sur RNR.TV

Ce mois-ci:
Homo aequelis festivus ;
Le progressisme : un thé dansant à bord du Titanic ;
L’union des droites est-elle souhaitable ?


 

Homo aequelis festivus

Nous ne vivons pas, Dieu soit loué, sous la férule d’un régime illibéral. Les contre-pouvoirs ne sont pas muselés ni persécutés au nom de la souveraineté populaire. La presse et la justice font leur travail en toute indépendance. Les gouvernements doivent, bon gré mal gré, s’accommoder de l’existence des lanceurs d’alerte. Nous aurions tort cependant de nous pavaner et de regarder de haut les démocratures d’Europe centrale et orientale car, chez nous aussi, l’espace du désaccord raisonnable ne cesse de se réduire. Une seule conception du Bien prévaut. Un code de la route pointilleux et sévère régit la vie intellectuelle. Mais ce n’est pas l’État, ce sont les médias et les réseaux sociaux qui sanctionnent les dérapages. Alors que, nous dit la publicité, les Bleues sont en train d’écrire l’histoire, il est interdit d’émettre la moindre réserve sur le football féminin. Nous ne sommes pas conviés, en effet, à admirer un spectacle sportif, nous devons, toutes affaires cessantes, nous mettre au garde-à-vous devant un spectacle édifiant. Cet événement, dit le journal Le Monde, est « une victoire de l’égalité ». Et qui, sinon l’esprit du mal, oserait aujourd’hui entraver la marche de l’égalité ? L’enthousiasme organisé ne tolère pas les réfractaires. Comme l’a souligné Bérénice Levet, « il ne s’agit plus de prendre plaisir à assister à un match de football ou à le visionner entre amis, mais de soutenir la cause des femmes  ». Philippe Muray avait raison : au XXIe siècle, les fêtes rythment la vie. J’ajouterai que ces fêtes ne sont jamais simplement festives, elles célèbrent toutes l’égalité. Sous le règne d’Homo aequalis festivus, le divertissement lui-même est annexé par la vertu.

A lire aussi : Alain Finkielkraut: Le sport est annexé par la vertu

Or, je ne suis pas convaincu de la vertu de cette vertu. La différence du masculin et du féminin a longtemps servi à justifier l’inégalité entre les sexes. Ce scandale a cessé et c’est très bien. Mais pourquoi devrait-on maintenant sacrifier la différence sur l’autel de l’égalité ? Pourquoi faudrait-il que l’émancipation se confonde avec l’indifférenciation ? Et quand bien même la différence ne serait pas naturelle, quand bien même, comme le serinent les études de genre, elle serait inscrite dans la culture par les poètes et les peintres, pourquoi faudrait-il jeter cette culture comme un paquet de guenilles ? Maintenant que les poètes cèdent la place aux rappeurs et les peintres à Jeff Koons, un autre monde est en train de naître, un monde de rugbywomen et de boxeuses, un monde où tout peut prendre la place de tout, le monde désolant de l’interchangeabilité générale.

Megan Rapinoe (Etats-Unis ), joueuse de la Coupe du monde féminine de football : demi-finale entre la France et les Etats-Unis, 28 juin 2019.
Megan Rapinoe (Etats-Unis ), joueuse de la Coupe du monde féminine de football : demi-finale entre la France et les Etats-Unis, 28 juin 2019.

A lire aussi : Megan Rapinoe: la footballeuse « progressiste » qui défie Donald Trump

C’est un crève-cœur pour qui se souvient de la part prise par les femmes à l’embellissement de la Création, de voir les joueuses, quand elles ont marqué un but, singer les postures masculines les plus ridiculement prétentieuses. Il ne manque – pour combien de temps ? – que les tatouages. L’égalité méritait mieux.

Le progressisme : un thé dansant à bord du Titanic

Alors qu’il avait tout à perdre, François-Xavier Bellamy a pris le risque d’entrer en politique parce qu’il est inquiet pour le destin de la civilisation française et de la civilisation européenne. Il pense comme Albert Camus, dès 1957, que la tâche de notre génération n’est pas de refaire le monde, mais d’empêcher qu’il ne se défasse.

Visiblement, sa vision tragique de l’histoire n’a pas pris. Malgré sa force de conviction et son langage dépourvu de tout élément de langage, la liste qu’il a conduite aux européennes a recueilli 8 % des suffrages. Et dès l’annonce des résultats, les jeunes pousses et les vieux caciques du parti Les Républicains ont juré qu’on ne les y reprendrait plus  : avec une rare élégance, ils se sont empressés de désavouer leur candidat et ils ont rejoint, l’oreille basse, le périmètre gestionnaire que leur alloue le système médiatico-politique.

Le progressisme indécrottable de ce système me fait penser à un thé dansant à bord du Titanic. Ce n’est pas en fermant les yeux sur la tragédie qu’on l’empêchera d’advenir. Et puisque le passéisme a très mauvaise presse de nos jours, regardons devant nous : quel sera le visage de la France dans cinquante ans ? À quoi ressembleront les villes de Mulhouse, de Roubaix, de Nantes, d’Angers, de Toulouse, de Tarascon, de Marseille et tout le département de la Seine Saint-Denis ? De la nation française à l’archipel français : tel est le sens de l’histoire en cours. Où est le progrès ? Tous les progressistes, certes, ne sont pas des docteurs Pangloss. De plus en plus, l’angoisse écologique fait entendre sa voix. Mais ceux qui nous rappellent à nos devoirs envers les générations futures préconisent, pour épargner le ciel et la terre, l’extension indéfinie du parc éolien. Ils oublient que l’écologie a aussi une dimension esthétique et qu’il ne sert à rien de sauver la planète si c’est pour la rendre hideuse et inhabitable. Sur ce point, Renaud Camus a parfaitement raison : « Il faut lutter contre la prolifération des éoliennes parce qu’une vie qui se déroulerait de toute part dans leur ombre et sous leurs palans assassins des oiseaux ne mérite pas qu’on se batte pour elle ni d’être vécue. » Est-ce cela la France que nous voulons laisser à nos enfants : un pays fragmenté, éclaté, archipellisé et constellé d’éoliennes ?

A lire aussi : Le progressisme n’en a plus pour longtemps

L’union des droites est-elle souhaitable?

Marion Maréchal a appelé à l’union des droites et aussitôt on a vu se reformer contre elle, de Laurence Parisot à Gérard Larcher, l’union sacrée de l’antifascisme. Cette invocation pavlovienne des valeurs n’est pas la bonne réponse.

Deux Europe aujourd’hui se font face  : une Europe pénitentielle à l’ouest, qui renie son propre héritage et ne jure que par l’Autre ; une Europe sans honte ni regret à l’est, qui veut en finir avec toute forme d’autocritique ou de mise en question et qui, sous la houlette des Premiers ministres polonais ou hongrois, s’est engagée dans un Kulturkampf pour la promotion des identités nationales, saintes, héroïques, immaculées. Marion Maréchal semble avoir choisi le deuxième terme de cette alternative. Or, l’union des droites n’aura de sens et de légitimité que si elle les refuse tous les deux. Entre l’économisme des uns et le populisme des autres, nous sommes loin du compte.

A lire aussi : Marion Maréchal en réserve de la droite

Le crépuscule des idoles progressistes

Price: 20,90 €

20 used & new available from 2,30 €

Le Loup dans la bergerie: Droit, libéralisme et vie commune

Price: 17,00 €

22 used & new available from 8,97 €

No Society: La fin de la classe moyenne occidentale

Price: 11,84 €

51 used & new available from 1,52 €

Histoire des droites en France (1815-2017)

Price: 29,90 €

21 used & new available from 16,67 €

L’agenda politique derrière l’affaire Lambert

0
CHU de Reims, le 11 juillet © Gutner / SIPA / SIPA Numéro de reportage : 00915903_000006

Au mépris de la loi Léonetti, détournée de ses principes, on a absolument voulu appliquer à Vincent Lambert un protocole de fin de vie, alors qu’il n’était pas en fin de vie. Le but des lobbies, des juges et des médias qui combattent dans ce sens depuis des années est de créer dans notre pays une jurisprudence d’euthanasie.


L’affaire Lambert n’est ni humanitaire, ni hospitalière. Elle est purement politique, et Vincent Lambert en a été l’otage, jusqu’à la mort. Il faudrait avoir le courage de le reconnaître.

Lire aussi, un autre point de vue : Affaire Lambert: fin d’une tragédie hospitalière

Vincent Lambert est mort. Ceux qui poursuivaient cet objectif sont parvenus à leurs fins, après un long combat. Pourtant, alors qu’il y a eu tant de commentaires sur cette affaire, les raisons de fond, les intentions politiques sous-jacentes, les enjeux, n’ont jamais été clairement évoqués, alors que tous les intellectuels, les commentateurs et les journalistes les connaissent parfaitement. Pourquoi ? Comme chez Causeur, on peut causer de tout, nous allons le faire.

Dépendant, et alors?

D’abord, on a mis en avant l’état physique et psychique de Vincent Lambert, sa situation de dépendance et son état de conscience, alors que ce n’était pas la question principale. En effet, le fait qu’un être humain soit dépendant, très dépendant même, ne pose pas de problème de principe. Personne ne considère qu’un nouveau-né est moins humain qu’un autre, sous prétexte qu’il dépend entièrement de sa mère pour survivre. Ce serait même le contraire : le fait qu’il soit soumis à l’amour et aux soins des autres ajoute au caractère touchant de sa situation, à sa beauté fragile. Ce n’est donc pas le fait que Vincent Lambert ait dépendu de l’extérieur pour se nourrir (une simple sonde gastrique), qui posait problème. 

Etait-ce son état de conscience ? En fait, personne ne sait ce qui se passe réellement dans la conscience d’une personne dite inconsciente. Il existe d’innombrables cas où des personnes se sont réveillées après des années de coma prolongé, et ont décrit ce qu’elles avaient ressenti pendant cette période. De même, lorsque des graves accidentés de la route arrivent à l’hôpital, en état comateux, on ne se demande pas s’ils doivent être conscients ou non pour que l’on s’occupe d’eux. Dans tous les cas, on fera tout pour les sauver. Compte tenu du peu que l’on sait sur la notion véritable de conscience, dans le doute, au moins, le principe de précaution devrait s’appliquer. On devrait éviter, au moins, de décréter la mort du patient sous ce prétexte. De plus, il y a tout lieu de penser qu’il y a conscience lorsque l’électroencéphalogramme du patient n’est pas plat[tooltips content= »Le cerveau d’un malade en état végétatif continue à être le siège d’activités mesurables, Libération, 11 juillet https://www.liberation.fr/france/2019/07/11/il-y-a-des-centaines-de-vincent-lambert-dans-les-hopitaux-et-dans-les-maisons-de-soins_1738599″]1[/tooltips], ce qui était bien le cas de Vincent Lambert. Pourquoi donc, dans ces conditions, fallait-il absolument le faire mourir, alors même que les arguments invoqués n’étaient pas définitifs ?

A lire aussi : Personne ne sait ce que ressent Vincent Lambert

Était-ce parce qu’il était en fin de vie ? En effet, c’est une question de bon sens, confirmée par la loi Léonetti, qu’il est inutile de s’acharner à vouloir maintenir en vie, par des efforts exagérés, un patient qui s’achemine de toute façon vers la mort à brève échéance. On sait qu’on ne le sauvera pas. Il est logique alors de l’accompagner, en évitant qu’il souffre.

En fin de vie, en est-on sûr?

Mais ce n’était pas le cas de Vincent Lambert ! Il n’était pas en fin de vie. Bien au contraire, il vivait depuis 10 ans sans appareil respiratoire, avec cette simple sonde gastrique. Pourquoi, alors, avoir absolument voulu qu’il meure, en maquillant cette intention avec des raisons qui n’en sont pas ?

Pourquoi ne pas l’avoir laissé vivre, avec ceux qu’il aime, soigné du mieux possible dans l’un des établissements qui abritent, en France, 1700 patients du même type ? Ils souhaitaient le récupérer. Pourquoi donc l’avoir interdit ? Pourquoi cet acharnement, non pas à le maintenir en vie, ce qui n’était pas le cas, mais à le faire passer de vie à trépas, à le tuer ? On est proche de la vraie réponse, et l’enjeu est capital.

« Indigne » de faire partie de l’humanité?

La raison, c’est que Vincent Lambert n’était pas digne de vivre. Ou plus exactement, certains considéraient qu’il était, compte tenu de son état, indigne de vivre. Il était, en quelque sorte, inesthétique. La question est alors essentielle : si une personne n’est pas suffisamment « belle », physiquement, selon les « canons » du temps, si on pense qu’elle « souffre trop » (sans aucun critère permettant de le déterminer, puisque l’on affirme en même temps qu’elle n’a « pas de conscience »), a-t-on le droit de la laisser vivre ? Ne faut-il pas, alors, la supprimer ? Qu’est-ce que la dignité de la personne, et qui la décrète ? Les médecins, la famille, les juges, les intellectuels, la presse ? Ou bien la personne est-elle digne par elle-même, quel que soit son état, tant qu’il est stable, parce qu’elle est simplement une personne humaine ? On voit bien l’univers philosophique immense qui s’ouvre pour s’arroger (et sous quel prétexte ?), le droit d’arbitrer qu’une personne est « indigne » de faire partie de l’humanité. Quel pouvoir accordé à certains (toujours, on le remarquera, des sachants et des forts), sur les autres ! De nombreuses doctrines se sont prononcées dans ce sens, en général de sinistre mémoire. Ne faut-il pas plutôt considérer que par principe, tout être humain est digne en lui-même ? Et qu’il faut le soigner et l’aimer, par tous les moyens, hormis l’acharnement ?

A lire aussi : Arrêtons de mettre le »progressisme » à toutes les sauces !

Cette affaire était donc, et elle l’est encore, un « turning point », un carrefour civilisationnel. Le fait que Vincent Lambert meure ou non était un choix politique majeur. Ceux qui s’activaient en sous-main pour l’obtenir le savaient parfaitement. Ils ont mis toutes leurs forces dans la bataille pour y parvenir. En réussissant, ils ont enfoncé la ligne Maginot qui tente de garantir encore la notion de dignité intrinsèque et intangible de la personne humaine. Pourquoi ont-ils agi ainsi ? Parce que ces personnes sont si habituées à une société de l’avoir et du paraître, qu’une société de l’être où le paraître est absent ou diminué leur fait honte et les horrifie. Ils veulent à tout prix la « réformer ». Notre société matérialiste a voulu fixer par un soi-disant « consensus » les critères de « dignité » de la personne humaine, puis on décrète que ceux qui n’y répondent pas sont « en dehors de l’humanité »…

Manipulations

Et c’est bien autour de cette question que s’est cristallisé le débat, sans qu’on ose le dire, de sorte que les vraies raisons, comme dans d’autres cas, sont restées masquées :

  • On a dit que Vincent Lambert était dans un état « végétatif », un mot-valise, au contenu rationnel faible, mais émotionnel fort. Comme s’il était un « légume », pas une personne humaine. Dit de façon subliminale, c’est bien cela que l’on a suggéré par l’emploi de ce mot. Une vidéo a pourtant circulé et a étonné ceux qui l’ont vue.
  • On a dit que les raisons pour le maintenir en vie provenaient de milieux catholiques « intégristes », tentant ainsi, par des méthodes de type stalinien, de salir les personnes plutôt que de répondre à leurs arguments, tout à fait rationnels.
  • On a dit que ceux qui voulaient le sauver étaient « violents ». En général, quand on veut sauver quelqu’un, on n’est pas violent… Ce sont plutôt ceux qui veulent sa mort qui le sont, me semble-t-il… 
  • On a flouté les images de Vincent Lambert, comme pour faire oublier son humanité.
  • Dans une émission récente, Yves Calvi a été jusqu’à choisir pour titre « Le corps de Vincent Lambert », comme pour faire penser qu’il n’était qu’un simple corps, alors même qu’il était encore tout à fait en vie.

Comme le voulaient si fort les lobbies euthanasistes, Vincent Lambert est mort. Cette bataille aujourd’hui perdue, que se passera-t-il ensuite ?

Une jurisprudence Lambert?

Très probablement, ces lobbies vont essayer, à travers une « jurisprudence Lambert » totalement fabriquée, de modifier et détourner de son esprit originel la loi Léonetti pour y intégrer une sorte de « droit à l’euthanasie », que l’on s’évertuera ensuite à « sanctifier » pour en faire une « liberté fondamentale » de la personne, puis à faire interdire toute critique ou toute incitation contre l’exercice de ce « droit ».

Il ne faudra pas s’étonner, alors, du monde de violence insupportable qui sera le nôtre, ni de la société que nous aurons laissé construire.

Esclavage: Christine Angot n’aurait pas dû s’excuser

0
Christine Angot. Photo: ERIC DESSONS / JDD / SIPA

En déclarant la destruction des juifs d’Europe incomparable à l’esclavage des Africains, Christine Angot a suscité la colère des associations noires. Dans notre pays communautarisé, les susceptibilités prennent désormais le pas sur la réalité historique. C’est oublier que l’étude de la Shoah ne vise pas à donner aux juifs un ascendant sur le monde, mais à éveiller les consciences.


Après que Christine Angot a tenté, dans l’émission de Laurent Ruquier, avec les précautions d’usage et en marchant sur des œufs, une analyse comparée des ressorts de la traite négrière et de l’extermination des juifs, on a vu monter sur les réseaux sociaux une colère noire, exclusivement. La semaine du scandale, on a vu chaque jour paraître une nouvelle vidéo dans laquelle un membre de la communauté, dont on espère sans trop y croire qu’il n’est pas plus représentatif que cela, venait rappeler à ses frères, à ses sœurs, aux Blancs et aux juifs combien l’esclavage avait été un crime. En se défendant de donner dans la concurrence victimaire et sans le moindre esprit de revanche, certains ont enrichi leur quart d’heure de célébrité d’informations précieuses pour la clarté du débat. Ainsi, ceux qui ont pris la peine de les regarder savent que le premier camp de concentration fut ouvert par les Allemands en Namibie ou que les kapos étaient des juifs qui battaient d’autres juifs. Quelles leçons vont-ils en tirer ? On se le demande.

On en trouve encore sur le net à la pelle et de tous les niveaux. Il y a de grands écarts de forme entre la prestation de l’étudiante métisse et indigéniste, coupe afro et vocable universitaire, et l’intervention du gros bras à l’élocution difficile issu d’une de ces milices de défense noire qui semblent avoir imité les juifs jusque dans le choix des mots et la couleur des logos. Mais sur le fond et sur le registre de l’ironie ou de l’intimidation, tous rejoignent ce descendant d’esclaves antillais et historien de l’esclavage invité en deuxième semaine en compagnie de deux autres professionnels de la négritude sur le plateau d’« On n’est pas couché » pour faire bonne mesure, quand il conclut son réquisitoire avec une pointe d’agacement dans la voix : « Avant de parler, demandez-nous, nous sommes les sachants. » À qui s’adressait-il au pluriel ? Et qui était son « nous » ? Les ignorants et les savants ? Les écrivains et les historiens ? Les Blancs et les Noirs ? Assistons-nous, après les accusations d’appropriation culturelle qui finiront par interdire aux Stones de jouer du blues, à l’extension du domaine de la lutte au procès de l’appropriation historique ?

Susceptibles: ne pas heurter

Que l’on tienne Christine Angot pour un grand écrivain ou une grande imposture, on doit lui reconnaître un certain courage. Après le samedi du scandale et avant celui de l’apaisement, j’ai été de ceux qui ont attendu de l’indomptable chroniqueuse, que des dizaines d’anonymes à webcam sortis de l’ombre ont abondamment traitée d’ignorante raciste, une réponse à la hauteur, une riposte disproportionnée, une explication ferme, une leçon de maintien et de la suite dans les idées. J’ai même, cette semaine-là, caressé l’espoir d’une saine colère, d’un verre jeté à la gueule du mal-comprenant issu d’un peuple qui a beaucoup souffert, d’un quittage de plateau intempestif au cri de « j’vous emmerde tous, je dis c’que j’veux ! ».

A lire: Christine Angot, c’est Balzac en mieux

Hélas, comme avant elle tous ceux qui ont commis l’imprudence d’avoir heurté des susceptibles, comme ces théâtreux qui se couchent régulièrement quand des contrariés pleurnichent ou bousculent, Christine a présenté des excuses. Que voulez-vous qu’elle fît contre trois ? Comme tout le monde face à une communauté à fleur de peau : son mea culpa. Comme un universitaire timoré, une quelconque célébrité ou un politicien avisé, comme un de ces tièdes qui tiennent plus aux opinions d’un public, d’une clientèle ou d’un électorat qu’à la vérité de leur parole, avec les éléments de langage du repentant, elle s’est excusée d’avoir été mal comprise et pour les gens qu’elle aurait, bien involontairement, blessés. Il faut reconnaître qu’elle a dû se sentir bien seule, toute une semaine, en entendant sur toutes les chaînes de télé l’accabler ceux qui commentent et ne disent jamais rien de substantiel, ceux qui s’offusquent en meute et dénoncent les maladresses ou les dérapages, sans voir qu’il n’y a pas de route, qu’elle reste à tracer et que les limites qu’ils exigent pour les autres ne sont que celles de leur conformisme, ceux qui reçoivent des rappeurs comme des artistes pour rester dans le coup, les « Pierre Lescure » de service cette semaine-là et tous les autres du même tonneau.

Angot menacée

Critiquée massivement sur les médias, menacée par des Noirs professionnels et lâchée en rase campagne par presque tout le monde, la chroniqueuse s’est écrasée et la parole sur le service public avec. Où sont passés les savants, les scientifiques, les historiens de la Shoah ou de l’esclavage, et tous les vaillants défenseurs de la vérité historique ? Ont-ils débranché leurs téléphones, en souvenir de l’expérience de Pétré-Grenouillot, tous ceux qui auraient pu, dans une langue qui dissuade les cons primaires de leur disputer des sujets délicats, nous apprendre à nous méfier des rapprochements réducteurs et à éviter les amalgames ? Avaient-ils piscine toute la semaine, ceux qui ont depuis longtemps œuvré à démontrer le caractère unique de l’extermination des juifs d’Europe, ceux qui ont travaillé toute une vie pour livrer au monde et à l’époque le fruit de leurs travaux sur la spécificité de la Shoah ? Il aurait peut-être été opportun de rappeler que des nazis ont réduit des juifs en esclavage mais pas seulement, et utile de préciser qu’exploiter la force de travail d’un homme jusqu’à épuisement, jusqu’à la mort dans un rapport de domination absolue est une chose et que rafler ses enfants à l’autre bout de l’Europe pour les assassiner et faire disparaître leurs restes en est une autre. L’opportunité de l’exploitation, même sans humanité et avec racisme, et le projet de l’extermination, c’est différent. L’expliquer, ce n’est pas hiérarchiser. Et quand bien même, pourquoi faudrait-il s’interdire d’avoir un avis sur la question ? Je doute qu’un homme à qui l’on donnerait le choix entre l’un ou l’autre destin tragique réponde que ça lui est égal et qu’il refuse de choisir si l’on doit lui mettre des fers aux pieds ou plutôt jeter ses enfants dans des fours, parce qu’on ne doit pas établir de hiérarchie dans la souffrance. Il aurait peut-être été utile de rappeler que l’étude de la Shoah ne vise pas à donner aux juifs un ascendant sur le monde, mais à éveiller les consciences.

A lire: « Copyright »: la Shoah serait-elle devenue une marque déposée?

On peut être un peu gêné par la prudence de certains intellectuels, on peut aussi la comprendre. À quoi bon s’aventurer dans une bataille où il n’y a que des coups à prendre ? Qui a envie de jouer le rôle du raciste dans les médias et les opinions avec son lot d’insultes, d’attaques et d’intimidations ? Qui est prêt à se mettre à dos une armée d’esclaves imaginaires ? Et pour qui dans un pays en voie de communautarisation façon tiers-monde, dans une société qui compte toujours moins de citoyens affranchis et libres de penser au-delà de leurs appartenances originelles, toujours plus de minoritaires aux fiertés mal placées, aveugles et sourds aux savoirs communs, et une majorité qui pense que rien ne justifie que l’on provoque des colères ou que l’on déclenche des conflits ? Il semble que la défense d’une réalité historique ne mérite plus que l’on prenne le risque de contrarier une communauté susceptible. Il est donc devenu plus judicieux de la fermer pour préserver le vivre-ensemble que de l’ouvrir pour éclairer les citoyens.

Serge Romana, président-fondateur de la Fondation esclavage et réconciliation, et Frédéric Régent, historien, invités sur le plateau d'On n'est pas couché pour débattre avec Christine Angot, à la suite de ses propos sur la traite des Noirs, 8 juin 2019. © D.R.
Serge Romana, président-fondateur de la Fondation esclavage et réconciliation, et Frédéric Régent, historien, invités sur le plateau d’On n’est pas couché pour débattre avec Christine Angot, à la suite de ses propos sur la traite des Noirs, 8 juin 2019. © D.R.

L’armée des esclaves imaginaires attise la concurrence des mémoires

On ne crée pas de tabous, tous peuvent parler de tout, mais sous conditions. Pour oser un discours nuancé, pour avancer des vérités gênantes sur des sujets communautairement sensibles, il vaut mieux avoir la couleur ou la religion appropriée. Insidieusement, des interdits apparaissent qui s’appliquent sur des critères ethniques, et la crainte des conflictuels comme des conflits les entérinent. Nul besoin aujourd’hui d’une autorité pour mettre à l’index ou prononcer une fatwa, il suffit d’une minorité agissante dans le virtuel et parfois menaçante dans le réel, prête à tout pour faire reculer les libertés de tous et d’une majorité paresseuse qui plaint trop souvent les « victimes » et sermonne les « provocateurs ». De même qu’on a renoncé au blasphème pour ne plus blesser certains de nos compatriotes tout en clamant que nous étions tous Charlie, on en vient à renoncer à raconter une histoire commune même dans le respect de la rigueur que la science exige, et pour la même mauvaise raison. Le journaliste américain Phillip Knightley écrivait en 1918 que la vérité est la première victime de la guerre. Elle est déjà la première victime du multiculturalisme.

Shoah [Blu-ray]

Price: 72,11 €

5 used & new available from 53,00 €

Les traites négrières: Essai d'histoire globale

Price: 16,86 €

27 used & new available from 6,43 €

 

Il y a un espace pour une droite urbaine indépendante de LREM

0
Benjamin Griveaux © STEPHANE ALLAMAN/SIPA Numéro de reportage : 00899459_000036

La note de Nelly Garnier « Allô maman bobo – L’électorat urbain, de la gentrification au désenchantement » donne des pistes à la droite pour contrer LREM dans les métropoles comme Paris, où Benjamin Griveaux vient d’être investi par son parti. La droite a une carte à jouer si elle se positionne au-delà d’un clivage Bobos parisiens / France périphérique un peu éculé et fait une analyse plus pertinente de l’électorat citadin…


C’est une note en deux volets intitulée « Allô maman bobo – L’électorat urbain, de la gentrification au désenchantement » que vient de publier la Fondation pour l’Innovation politique (FondaPol), le think-tank dirigé par Dominique Reynié et Nicolas Bazire.

Les métropolitains, une élite désenchantée ?

Son auteur, Nelly Garnier, ne nous est pas inconnue. Elle nous avait reçu aimablement pour nous auditionner au printemps 2018, alors qu’elle était encore directrice des études rue de Vaugirard, le siège de LR… Elle avait alors longuement écouté le chroniqueur provincial originaire de la France périphérique, nourri de la prose des Muray, Guilluy, Fourquet et Sainte-Marie. Il n’est d’ailleurs pas innocent qu’elle ait insisté pour que nous lisions sa note : outre les très bonnes relations entretenues depuis lors, elle devait se souvenir de cette audition.

A lire aussi : LR: pas un jour sans une (nouvelle) ligne

Hétérogénéité sociologique du « bobo »

Car la note de Nelly Garnier a en effet de quoi nous bousculer. Documentée, précise et souvent convaincante, elle explique la manière dont les travaux de Guilluy ont « contribué à imposer l’idée d’une fracture irrémédiable entre les villes et les territoires ruraux et périphériques, et achevé de convaincre qu’il fallait choisir [entre les deux] » à partir de 2012. De même, la figure du « bobo », souvent fantasmée, apparaissait comme le métropolitain-type et poussait d’un côté à le rejeter sans réfléchir, et de l’autre conduisait la candidate UMP à la ville de Paris en 2014, NKM, à s’afficher comme « boboïsée » et « dédroitisée ».

Pourtant, explique Nelly Garnier, il y a plusieurs sortes de bobos, et il n’y a pas que des bobos parmi les métropolitains. Il n’y a pas non plus que des gagnants de la mondialisation. Il n’y a pas que des « anywhere ». A partir de l’étude de six métropoles (Paris, Bordeaux, Marseille, Toulouse, Strasbourg et Grenoble), et de six quartiers de chacune sélectionnés pour leur caractère gentrifié, l’auteur bouscule les idées reçues.

A lire aussi : Voilà ce qui arrive quand on jette un mégot dans la ville d’Anne Hidalgo

Il y a bien aussi un « malaise du métropolitain » qui conduit par exemple les deux-tiers des Parisiens à envisager un départ pour d’autres territoires. Il y a bien des familles qui ne supportent plus la délinquance, qui sont les premières touchées par la pollution, et qui ne sont pas pour autant des bobos à trottinettes… Il y a enfin des métropolitains qui ne sont pas davantage emballés par le libéralisme libertaire de LREM que par la politique municipale d’Anne Hidalgo…

La droite doit repenser son approche de l’électorat citadin

L’erreur a sans doute été d’avoir été à contretemps. Les médias et les partis politiques de gouvernement qui géraient le pays jusqu’en 2017 ont adopté l’analyse de Christophe Guilluy sans doute trop tard. Or les métropoles de 2017 ne sont plus celles de 2001-2008 lorsque le géographe publiait ses premiers travaux.

Pour les raisons invoquées plus haut – délinquance, pollution – mais aussi parce que le statut des cadres s’est  dégradé alors que cette catégorie socio-professionnelle constitue le plus gros bataillon métropolitain. Le malaise est d’autant plus grand que le discours ambiant ne l’encourageait pas à « exprimer ses fragilités », et qu’il est, davantage que le rural ou le périphérique, soumis à des « injonctions contradictoires » :

– je veux défendre le commerce de proximité mais je commande sur Internet car je suis pressé par le temps,

– je veux que mes enfants soient ouverts sur le monde, mais je les retire d’une classe où plus de la moitié des élèves maîtrise mal le français et où je les sens décrocher,

– je ne veux pas polluer mais je n’ai pas d’autres solutions que la voiture pour emmener mes enfants en week-end…

Un espace politique à reconquérir?

Dès lors, s’interroge l’auteur, y a-t-il encore un espace pour une droite urbaine indépendante de LREM ? Les derniers événements conduisent à répondre par la négative. L’exemple d’élus parisiens très à droite, comme Claude Goasguen, prêts à pactiser avec Benjamin Griveaux pour éviter Anne Hidalgo ou celui de Christian Estrosi prêt à troquer son investiture LR contre celle du parti macroniste, invitent en effet à se faire peu d’illusions. Pourtant Nelly Garnier veut croire que la droite « qui souffrait principalement de son décalage sociologique croissant avec les nouvelles populations des grandes villes, redevient audible sur de grandes problématiques : le sentiment de déclassement, le besoin de sécurité, le besoin de fermeté face à la montée des communautarismes, le besoin de retrouver des limites et des repères, le besoin d’accompagner des familles qui se sentent fragilisées ».

A lire aussi : Au revoir la droite…

Nous nous permettrons d’apporter une nuance à l’analyse de Nelly Garnier.

Nous sommes moins certains qu’un choix clair ait été fait par la droite en faveur des territoires ruraux et périphériques, oubliant les métropoles. Dans la France des Gilets jaunes, en tout cas, on n’en pas été convaincu du tout. C’est sans doute parce que cet ensemble, né de la fusion entre le RPR et l’UDF ne parlait plus vraiment à personne, que sa ligne n’était identifiée et adoptée ni par les métropolitains ni par les autres qu’elle a décru, finissant à 8% lors de la dernière échéance électorale. Dès lors, l’idée selon laquelle la reconstruction pourrait passer par la constitution de deux piliers, à l’exemple des CDU et CSU allemandes, pourrait bien être la solution. Le premier pourrait parler davantage aux métropolitains et concurrencerait LREM dont l’assise locale n’est pas encore véritablement assurée et dont le progressisme sociétal ne plaît pas à tout le monde, y compris en ville.  Le second, moins libéral, plus patriote et populaire, concurrencerait le RN sur les territoires périphériques et ruraux. Mieux vaut deux partis-frères aux lignes bien identifiées qu’un seul parti qui débite de l’eau tiède.

En tout cas, il est absolument nécessaire au pays qu’une force politique permette de parler à la fois à la famille parisienne qu’à la mère célibataire de Vierzon. Et que cette force, fut-elle organisée sur deux piliers, puisse être en situation de gouverner. La cohésion nationale le réclame. La France ne peut se satisfaire d’archipels qui se regardent en chiens de faïence.

L'Archipel français: Naissance dune nation multiple et divisée

Price: 23,00 €

66 used & new available from 2,52 €

No Society: La fin de la classe moyenne occidentale

Price: 11,84 €

51 used & new available from 1,52 €

Fécondité en France, immigrées…

0
Michèle Tribalat Photo : IBO/SIPA Numéro de reportage : 00617451_000005

La France a la plus forte fécondité d’Europe. Est-ce dû aux immigrées ? L’Ined, l’Insee et le Collège de France se trompent dans les chiffres, selon la démographe Michèle Tribalat.


L’Ined vient de publier un Population & Sociétés signé par Sabrina Volant de l’Insee, Gilles Pison de L’Ined et François Héran du Collège de France, sur le rôle des immigrées dans la fécondité française. Son titre : La France a la plus forte fécondité d’Europe. Est-ce dû aux immigrées ?

C’est gonflé d’afficher un titre pareil quand on voit les chiffres et l’évolution récente de la fécondité en France ! « La moins faible fécondité » aurait été plus judicieux. Mais passons.

A lire aussi : Les vrais chiffres de l’immigration extra-européenne en France en 2018

Avec 1,88 enfant par femme en 2017, la France est dite proche du seuil de remplacement des générations. C’est écrit dans le court texte placé en exergue. Cela passait encore quand la fécondité tournait autour de 2 enfants, comme en 2010 (2,03), mais ce n’est plus acceptable avec 1,88 (et 1,86 en France métropolitaine). Ce n’est pas parce que les autres pays européens en sont encore plus éloignés que cela nous en rapproche. Cette incitation à un optimisme forcé est désolante pour une publication engageant l’Insee, l’Ined et le Collège de France et qui dit avoir laissé l’idéologie de côté !

Les analyses fécondes de nos démographes

Mais le pire est le manque de rigueur et, peut-être, de compréhension des indicateurs que ces experts sont pourtant censés maîtriser. Les auteurs, le comité de rédaction de la revue et donc l’Ined ont décidé d’avaliser les erreurs de langage de l’homme de la rue et de la presse en général lorsqu’ils parlent de la fécondité. L’indicateur conjoncturel de fécondité (encore appelé indicateur synthétique de fécondité) est donc désigné dans le texte par « taux de fécondité » sauf dans l’encadré technique. Les auteurs le signalent en page 1 sans s’en expliquer : « indicateur conjoncturel de fécondité, appelé ici taux de fécondité ». Tout démographe ne peut être qu’atterré par cette soumission à une terminologie courante mais erronée, de nature, non pas à faciliter la compréhension, mais à l’entraver.

A lire aussi : « L’idée de « grand remplacement » évoque l’effondrement d’un univers familier que vit une partie de la population »

L’indicateur conjoncturel de fécondité n’est pas un taux. C’est une somme de taux par âge. Chaque taux rapporte les naissances des mères d’un âge donné à l’ensemble des femmes de cet âge. L’indicateur conjoncturel de fécondité (ICF) fait la somme de tous ces taux entre 15 et 49 ou 50 ans. Il élimine ainsi l’effet de la structure par âge qui, lui, a un impact déterminant sur le nombre de naissances.

En 2017, les femmes immigrées, avec 2,6 enfants par femme, ont ainsi contribué à près de 19 % des naissances, mais à seulement 6 % de l’indicateur conjoncturel de fécondité (1,88 au lieu de 1,77 pour les seules natives).

Erreur de calcul 

Faire comme s’il s’agissait d’un taux empêche précisément de comprendre l’importance de la structure par âge. Et, malheureusement, c’est bien comme un taux que les auteurs l’interprètent lorsqu’ils essaient d’expliquer la différence d’impact de la présence immigrée sur le nombre de naissances et sur l’ICF.

Les auteurs prennent un exemple fictif : « Imaginons 75 femmes non immigrées (natives) et 25 immigrées, avec une moyenne identique de deux enfants par femme dans les deux groupes. Les immigrées contribueront aux naissances dans une proportion de 25 %, sans rien modifier au taux de fécondité. »

C’est faux, car ils ne retiennent ainsi que deux facteurs susceptibles d’agir sur le nombre de naissances : « le nombre de naissances est le produit de deux facteurs indépendants : le nombre de femmes en âge d’avoir des enfants et leur propension à en avoir ». La réduction de l’ICF à un taux facilite cette bévue.

Il est facile de démontrer leur erreur en prenant un exemple tout aussi fictif où la proportion de femmes immigrées est de 25 %, mais où l’impact sur les naissances est bien plus important. Il suffit que les femmes immigrées soient beaucoup plus jeunes que les natives.

Imaginons un territoire sur lequel vivraient 4 266 femmes âgées de 15 à 49 ans, dont 25 % seraient immigrées, mais dont la structure par âge serait bien différente de celle des natives (tableau ci-dessous). Les natives seraient plus âgées que les immigrées. Natives et immigrées auraient exactement, non seulement le même ICF, mais la même distribution des taux de fécondité par âge. À chaque âge, la propension d’avoir des enfants serait exactement la même, celle mesurée en France métropolitaine en 2017 par l’Insee (ICF=1,86). La part des naissances immigrées ne serait alors pas de 25 % mais, dans cet exemple, de 49 % (tableau ci-dessous, chacun peut refaire les calculs) !

Feuille de calcul des naissances à partir d’une répartition par âge fictive des natives et des immigrées et des taux de fécondité par âge en France métropolitaine en 2017 mis en ligne sur le site de l’Insee.

Comment cela peut-il échapper à des experts dont on suppose (à tort ?) qu’ils maîtrisent parfaitement les outils qu’ils utilisent ? Et il a fallu que trois institutions joignent leurs forces, sous le label Ined qui, je le rappelle, est l’acronyme d’Institut national d’études démographiques (je souligne), pour se vautrer pareillement ! C’est affligeant pour la démographie. Et cela ne date pas d’aujourd’hui.

Des erreurs répétées

En fait, ce Pop&Soc est plus ou moins un resucé de celui publié en 2007 par deux des auteurs (Deux enfants par femme dans la France de 2006 : la faute aux immigrées ?, Gilles Pison et François Héran, Pop&Soc n° 242) dans lequel, les mêmes impropriétés et les mêmes erreurs étaient déjà là. La conclusion est à l’identique, y compris sur les bienfaits de la politique familiale, ce qui ne manque pas d’audace compte tenu des rabotages qu’elle a subis. On y retrouve exactement la même dernière phrase visant à expliquer la fécondité plus élevée des natives en France par rapport aux autres pays européens : « impossible de le faire sans évoquer les effets d’une politique de soutien à la famille pratiquée avec constance par la France depuis soixante-quinze ans et dans un large consensus. Mais ceci est une autre histoire… » La seule variante, comme nous sommes en 2019, a été de remplacer soixante ans par soixante-quinze ans. L’exemple fictif est aussi repris du texte de 2007 et il est déjà question, hélas, du taux de fécondité, sans autre explication ! L’entêtement dans l’erreur est affligeant à douze ans d’écart !

On retrouve aussi, dans l’introduction, le même passage qu’en 2007, à quelques variantes près.

2007 : « Mais le niveau de fécondité de la métropole n’est-il pas lui-même fortement gonflé par l’immigration ? Cette idée très répandue traduit souvent la hantise d’un rapport de forces numérique entre Français et étrangers (ou autochtones et immigrés) qui deviendrait défavorable aux premiers. Laissons de côté les aspects idéologiques pour nous limiter aux faits. »

2019 : « Le niveau de fécondité de la métropole n’est-il pas lui-même fortement gonflé par l’immigration ? Cette idée très répandue traduit souvent la hantise d’un rapport de forces numérique entre les natifs de France et les immigrés qui mettrait en péril l’identité nationale. Laissons de côté les aspects idéologiques pour nous limiter aux faits. »

Les auteurs ont laissé, négligemment, la référence à la France métropolitaine alors que les données du Pop&Soc de 2019 portent essentiellement sur la France entière hors Mayotte.

Mais, en 2007, les auteurs n’avaient pas encore eu l’idée saugrenue de légitimer la définition française des immigrés par les Nations unies. Ce n’est pas la première fois que l’Ined, dans ses publications, commet cette bourde. Je l’ai signalée ici à propos d’un autre Pop&Soc et ici à propos du livre de François Héran publié en 2017. L’Ined le fait cette fois avec l’approbation de l’Insee et du Collège de France !

Hantise et péril pour l’identité nationale

Les Nations Unies n’emploient pas le terme « immigré » qui, en anglais n’a pas d’équivalent simple. On parle alors de stock de migrants qui équivaut à ce qu’on désigne en anglais par “foreign born population”. Pour les Nations Unies, il s’agit de l’ensemble de personnes qui résident dans un pays sans y être nées. La définition française se limite aux personne nées à l’étranger qui se sont installés en France comme étrangères, quelle que soit leur nationalité actuelle[tooltips content= »https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/18840/pop_et_soc_francais_291.fr.pdf »]1[/tooltips]. Les immigrés ne comprennent pas ainsi les Français nés français à l’étranger.

Pour finir, il faut revenir sur l’introduction qui évoque « la hantise d’un rapport de forces numérique entre les natifs de France et les immigrés qui mettrait en péril l’identité nationale ». Cette hantise serait à l’origine de la croyance selon laquelle la fécondité immigrée expliquerait, à elle seule, la relativement bonne position française en Europe.

L’indicateur conjoncturel de fécondité est un outil technique qui n’a pas d’autre traduction, dans l’esprit des gens, que la présence d’enfants d’origine étrangère que leurs enfants côtoient sur les bancs de l’école. Or ces enfants sont là parce qu’ils sont venus ou, le plus souvent, parce qu’ils sont nés en France. Quand ils parlent de fécondité, c’est à cela que les non experts pensent et pas à un indicateur que les experts eux-mêmes n’ont pas l’air de bien maîtriser et qu’ils sont incapables de leur expliquer correctement. Si les non experts font un mauvais usage de l’expression « taux de fécondité », ils ont des excuses. Les experts n’en ont pas.

Gérard Calot manque terriblement à l’Ined

Une pensée pour Gérard Calot, qui fut directeur de l’Ined pendant près de 20 ans jusqu’en 1992. Pour lui, Population & sociétés était la vitrine de l’Ined et il relisait chaque numéro avant parution avec un soin tout particulier. Jamais il n’aurait laissé publier un texte pareil. Il doit se retourner dans sa tombe.

On se plaint aujourd’hui de la défiance des Français à l’égard de leurs élites, mais la confiance nécessite que ces élites usent de leur expertise avec rigueur et honnêteté, sans condescendance à l’égard des Français. Tout le monde peut bien sûr se tromper, faire des erreurs, mais la répétition obstinée et à courte vue de ces erreurs, conjuguée à une certaine suffisance et à la prétention de corriger les stéréotypes des autres, est devenue insupportable. Les élites sont censées éclairer les Français, avec la modestie qui convient, sans chercher systématiquement à les prendre en défaut.

>>> Retrouvez tous les articles de Michèle Tribalat sur son site

 

Bac 2019: le niveau baisse, la température monte

0
Résultats du bac 2019 à Grasse © Fred Dides / SIPA

Grève des profs et fuite des sujets: le déroulé de l’examen 2019 est à l’image de ce qu’est devenu le bac.


« Bac 2019, une édition maudite ? » C’est ce que se demande le Huffington Post : entre la rétention de copies par des enseignants grévistes et la fuite des sujets dans un lycée parisien, l’organisation du baccalauréat de 2019 aura mis en lumière plusieurs difficultés chroniques de l’Education nationale. D’abord, les efforts des enseignants pédagogistes pour reprendre du terrain face à un Blanquer multipliant les réformes ; ensuite, le développement des logiques bureaucratiques au sein des lycées, participant de la course à l’obtention du baccalauréat.

Lyrisme du syndicalisme enseignant…

« Le gouvernement est dans une logique de mensonge quand il prétend “moderniser” l’école. En réalité, il prépare un projet de loi dont les effets prévisibles sont l’instauration d’une école à deux vitesses, la marchandisation de l’éducation nationale et la fin de l’école conçue comme le lieu de la pensée critique et de l’émancipation des enfants, nos futur.e.s citoyen.ne.s. […] Partout en France, depuis deux ans, des profs, des parents et des jeunes se lèvent pour dire non à cette ignominie. Notre voix est étouffée, nos jeunes mis à genoux. Nous résistons. Pour combien de temps ? »

A lire aussi : Réforme du bac: Blanquer, reçu sans mention?

Voilà ce que déclarait, avec une verve lyrique indéniable, le collectif « Bloquons Blanquer » dans son « Appel des profs aux citoyen·ne·s encore debout » publié sur Mediapart le 20 mai dernier. Les enseignants « en lutte » réclamaient le retrait des différentes réformes portées par le ministre de l’Education nationale (que ce soit celles des filières, du bac, de Parcoursup ou de la maternelle), mais aussi des créations de postes, la titularisation d’enseignants précaires, des hausses de salaire, et le retrait des évaluations des professeurs. C’est pourquoi on a assisté, ces dernières semaines, à des grèves de surveillants du bac, puis de correcteurs bloquant les copies. Ce qui a donné lieu à une panique autour de l’annonce des résultats : la solution controversée annoncée par Blanquer a été de faire inscrire provisoirement les notes du contrôle continu sur les bulletins du bac, pour que tous les candidats soient fixés le vendredi 5. Avant-hier, la situation s’est régularisée : toutes les copies bloquées ont été reçues, les véritables notes inscrites, et les résultats des rattrapages sont peu à peu publiés.

Comme une réminiscence des mouvements de blocage l’an dernier dans les universités, la situation a finalement évolué de la même manière : le gouvernement, adoptant une posture de fermeté, n’a pas cédé face aux revendications des bloqueurs. Emmanuel Macron, au micro de France Info le 7 juillet, dénonçait ceux qui voulaient « prendre nos enfants et leurs familles en otage ». Ceux-ci se sont enlisés et discrédités auprès des élèves et de leurs parents, et ont piteusement dû admettre leur défaite, les syndicats dénonçant cependant l’« autoritarisme » du ministre. Sans juger sur le fond la pertinence des réformes de Blanquer, force est de reconnaître son opiniâtreté à porter des coups aux pédagogistes, dont la légitimité médiatique et intellectuelle est désormais de plus en plus menacée.

A lire aussi : La piteuse évacuation de l’université du Mirail à Toulouse

Fuite des sujets

Autre incident qui a provoqué quelques remous médiatiques : des sujets de mathématiques et de géographie ont circulé quelques jours avant l’épreuve. La répression de ce type de délits est sévère, l’enquête a été mise en œuvre très rapidement : les fuites provenaient d’un surveillant du lycée Ozar-Hatorah de Créteil, qui a relayé le sujet à deux élèves, lesquels l’ont ensuite partagé à leur tour. Ce qui n’a pas manqué de susciter des réactions antisémites sur les réseaux sociaux, nous apprenait France Inter lundi. Quoi, les juifs veulent tricher ? Et en plus, ils sont protégés par le pouvoir, tout le monde le sait !

Plus édifiante que ces inepties antisémites est cependant la raison invoquée par le surveillant pour se justifier. Le Parisien rapporte : « Pour perpétuer les habituels très bons résultats de l’établissement de Créteil – qui frôle ou atteint tous les ans les 100% de réussite, à l’exception notable de l’année 2018 – son employeur lui aurait fait comprendre, sans parler frontalement de triche, qu’il serait bon de donner un coup de main à quelques élèves en difficulté ».

Le bac ne sert plus à rien

Ainsi donc, la faute reviendrait au classement des établissements selon le pourcentage de reçus au baccalauréat ; logique absurde, qui ne classe que les élèves – triés en amont – et non, évidemment, les enseignements. Quoique ce puisse être totalement faux, le fait même de penser à une telle excuse est significatif de l’atmosphère de compétition entre les lycées, souvent privés, qui veulent figurer en tête de liste. Et ceci, pas vraiment au profit de la pédagogie.

C’est qu’aujourd’hui, tout le monde a le bac ou presque ; il n’est quasiment plus un critère de sélection dans le supérieur, car celle-ci est réalisée en amont, sur le dossier des élèves, pour la majorité des formations – notamment celles inscrites sur la plateforme Parcoursup. Le nivellement se fait donc en amont, mais paradoxalement, en partie sur le critère du classement du lycée, basé sur le pourcentage d’admis au bac de l’année précédente… La sélection à l’entrée des lycées remplace désormais les résultats au bac dans la détermination des choix du supérieur, sauf pour les universités, qui devront encore accueillir le gros des troupes.

Ainsi, une fois de plus, la mise en branle de l’énorme machine bureaucratique aura montré que le baccalauréat massifié – 743 594 candidats cette année – atteint désormais le bout de sa propre logique. Et la réforme de Blanquer, pansement sur une jambe de bois, ne changera probablement pas la donne.

Affaire Lambert: fin d’une tragédie hospitalière

0
Viviane Lambert (Mère de Vincent Lambert), au centre, dans une manifestation en 2015 © NICOLAS MESSYASZ / SIPA Numéro de reportage : 00702778_000004

«Vincent est décédé à 8h24 ce matin» à Reims, a précisé son neveu François à l’AFP. Le malheureux Vincent Lambert, décédé à 42 ans, était plongé dans un état végétatif depuis 2008. Retour sur la douloureuse et clivante affaire hospitalière. Gare à la prévisible « descentada » sociétale sur l’euthanasie !


Cette affaire singulière, des plus privées, aurait dû être cantonnée à cinq ou six personnes. Malheureusement, elle est devenue une affaire nationale. Pour certains, elle fut un combat sans compromis possible. Combat pour la défense de la vie, pour la défense de la condition d’un handicapé, pour la défense de la fragilité. Quand nous sortons de l’éthique pour la morale, du cas particulier pour des principes généraux, toute discussion est impossible. Se poser des questions dans le cercle étroit d’une délibération à cinq ou six, réfléchir dans le cadre d’un colloque intime, d’un ajustement familial est une chose. Mais poser ces mêmes questions, sans forcément bien savoir de quoi nous parlons, à voix forte, dans les médias, est autre chose. Le passage de l’un à l’autre altère les questions et tord les réponses. Quand il s’agit d’une personne à la conscience très altérée, quand il faut apprécier des situations sans guérison possible, poser des questions insoutenables à voix basse est nécessaire, dans le secret des cœurs et en tenant compte de la volonté de celui pour lequel une décision doit être prise. Poser les mêmes questions dans le plein vent des médias est impossible.

Trente-quatre décisions de justice!

Malheureusement, cette affaire n’aura jamais pu déboucher sur une entente familiale. Malheureusement la famille, en faisant la promotion de l’impudeur, en exposant son différend sur la place publique, en feuilletonnant cette affaire avec trente-quatre décisions de justice et des recours en pagaille, a obligé la France à prendre parti, à prendre position. La mère, et ses avocats trop zélés, n’ont cessé d’hystériser le débat. C’est là le principal reproche que nous pouvons leur faire. Et, de déclarations maternelles retentissantes en plaidoiries tonitruantes, de douleurs exposées en effet de manche, l’hystérie a gagné, par effet de dominos, tout l’édifice actuel qui encadre et protège les malades en fin de vie, tous les 1 700 cérébro-lésés en France et même les soins palliatifs eux-mêmes…  Et derrière eux, la loi Leonetti.

A lire aussi : Vincent Lambert va partir

Fallait-il « sauver » un homme (selon l’idée qu’on s’en fait) et mettre à bas tout l’édifice qui protège des milliers d’autres ? Fallait-il, en toute inconscience, provoquer d’innombrables dégâts médiatiques qui donnent du grain à moudre à ceux qui, autour du député Touraine, attendent le mois de septembre de cette année, pour injecter des dispositifs euthanasiques dans la révision des lois bioéthiques ? Les partisans anti-euthanasie mesurent-ils les effets en chaine qu’ils ont provoqués sur l’écosystème palliatif de France ? Ont-ils conscience, à coup de « remontadas », de menaces, de grandes déclarations tonitruantes, d’avoir affaibli la loi Léonetti – et donc les protections de dizaines de milliers de personne en fin de vie ? Non. Et pourtant tel est le cas.

Malaise personnel

Suis-je à l’aise avec l’arrêt des traitements décidé le 2 juillet ? Non. Suis-je confortable avec l’idée que l’arrêt des traitements consiste à stopper l’hydratation et la nutrition – même si le processus a été accompagné par une sédation pour soulager les désagréments et par une hydratation de la bouche ? Non. Suis-je confortable avec l’idée qu’un «acharnement déraisonnable » concerne, pour quelqu’un qui n’est pas en fin de vie, la nourriture et l’hydratation ? Non. Suis-je confortable avec l’utilisation de la loi Leonetti hors des trois critères habituels (fin de vie annoncée, souffrance réfractaire, obstination déraisonnable évidente) ? Non. Cet usage de la loi Leonetti, pour Vincent Lambert, dénature le message d’accompagnement de la loi et met de la confusion dans les soins palliatifs. Je le regrette.

A lire aussi : Il faut soutenir Rachel Lambert!

Et en même temps, je n’accepte pas qu’on puisse parler « d’assassinat » – selon les propos de Viviane Lambert. Y a-t-il « meurtre » – qui a supposé,  de la part de ses avocats, un dépôt de plainte pour « meurtre avec préméditation » ? Non si on sait que Vincent Lambert avait clairement indiqué qu’il ne souhaitait pas être dans la situation actuelle. Non, si on considère qu’avec l’accord de toutes les parties (au début), il n’y aurait pas eu d’affaire Lambert. Dès lors, toute l’affaire résulte du désaccord des parties. Rachel Lambert, l’épouse, a été reconnue tutrice de son époux. C’est elle qui est à la manœuvre – et qui décide au nom de son époux. Enfin, il n’y a pas « meurtre » si on considère que le critère décisif, légal, est la volonté de Vincent Lambert. Quand on demande aux avocats de la mère au nom de quoi ils agissent, alors même que Vincent Lambert n’était plus en mesure de s’exprimer, ils disent « au nom de l’intime conviction d’une mère ». Il s’agit donc d’un conflit « d’intimes convictions » entre l’épouse et la mère (et quelques autres).

Aux bordures de l’euthanasie…

De quoi s’agit-il alors, s’il ne s’agit pas d’un « meurtre » ? Peut-on parler d’euthanasie ? Là, il faut distinguer, l’esprit et la lettre. La lettre supposerait qu’on soit du côté du « faire mourir » et de l’injection de curare pour une mort rapide. La lettre n’y est pas. Quant à l’esprit euthanasique, lui, il flotte dans cette affaire, s’est inscrit dans certaines modalités des procédures permises par la loi. Là, mais aussi dans « les directives anticipées » et dans « la sédation profonde et continue » – quand ces modalités ne sont plus indicatives mais deviennent contraignantes, comminatoires et échappent à l’appréciation au cas par cas.

En même temps, je n’ai pas accepté qu’on fasse de cette affaire, avec des effets de manche et des exaltations impudiques des avocats, une sorte d’affaire Dreyfus hospitalière. À entendre Viviane Lambert il fallait protéger son fils d’une tentative de meurtre, d’un assassinat programmé par l’État. Pour défendre non pas Vincent Lambert mais leur « intime conviction », ils ont jeté aux lions médiatiques ceux qui s’opposent à eux. Je n’accepte pas que Madame Lambert ait pu dire des médecins des soins palliatifs qu’ils sont « des monstres », et même « des nazis ». Cette nazification des médecins et de toutes les équipes qui, depuis dix ans, prennent soin de Vincent Lambert, ne semble pas poser de problème aux partisans de Madame Lambert. Je n’accepte pas qu’on hystérise le débat et crée une angoisse intolérable pour les 1 700 cas de cérébro-lésés en France – qui ne sont en rien concernés par les arrêts relatifs à Vincent Lambert.

Tristesse et hystérie

Il s’agit donc d’une tragédie. D’une tragédie publique qui est là, sous nos yeux, depuis dix ans. Une tragédie avec des points de vue irréconciliables et pourtant tous légitimes. Tous ont raison, et pourtant tous ont tort de vouloir avoir raison contre les autres. Camus, quand il reconnait que dans une tragédie « les forces qui s’affrontent sont également légitimes, également armées en raison », conclut ainsi : « Antigone à raison, mais Créon n’a pas tort ». Il en va de même dans cette affaire. Les voix singulières ont raison quand l’Etat n’a pas tort.

Et comme il se doit, toute tragédie pousse à la tristesse. Je suis triste qu’on en soit arrivé là. Triste que l’hystérie ait été de mise. Triste que deux morales raides se soient opposées – celle de la vie à tout prix et celle de l’euthanasie – en délaissant l’inconfortable terrain de l’éthique. Triste que ces débats aient fait tant de mal à ce trésor vivant d’accompagnement et d’humanité que sont les soins palliatifs. Triste que des militants, sans le vouloir, aient donné tant et tant d’arguments, tant et tant de raisons supplémentaires aux partisans de l’euthanasie – qui en septembre, au Parlement, pourraient « tirer les conclusions » de cette affaire Lambert en instaurant un droit à l’euthanasie. Maitres Triomphe et Paillot resteront dans l’histoire (et avec eux ceux qui les ont financés) comme les meilleurs avocats des faiblesses de la loi et donc de… l’euthanasie.

Ils se vantaient à un moment d’une « remontada » ? On risque à présent la « descentada » sociétale. C’est triste à en pleurer.