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Israël et les Etats arabes souhaitent la réélection de Trump


Les Arabes pouvant compter sur Donald Trump pour obtenir des armes sans limitation, ils souhaitent aussi ardemment sa réélection que le gouvernement israélien. Dans un Moyen-Orient polarisé autour de l’ennemi iranien, qu’adviendra-t-il en cas de victoire de Joe Biden ?


 

Benyamin Netanyahou n’est pas seul à souhaiter la réélection de Donald Trump en novembre 2020. Les États arabes, en particulier ceux du Golfe, sont préoccupés par les sondages qui prévoient l’échec du président actuel par 41% contre 50%. En cas de victoire, le candidat démocrate Joe Biden pourrait se glorifier d’avoir imposé un mandat unique à Donald Trump dans un cas de figure rare, celui de la non-réélection d’un président sortant. Alors qu’au début de l’année, l’élection était une formalité pour le candidat républicain, le coronavirus a rendu le résultat imprévisible. La crise économique et sanitaire a certes été une des raisons de la désaffection de l’électorat républicain, mais le coup de grâce a été donné après le meurtre de George Floyd qui a réveillé les stéréotypes racistes, oubliés depuis longtemps.

De vieux candidats

Les observateurs politiques s’étonnent qu’aux États-Unis les candidats de valeur soient rares, préférant les affaires à la politique. Les Américains sont donc contraints de se rabattre sur les vieux politiques peu disposés à envisager la retraite. Alors l’élection se fera par défaut ; les citoyens voteront contre un candidat plutôt que pour celui de leur choix car la roue a tourné et ils pénalisent celui qui aura détourné l’économie de la situation de beau fixe dans laquelle elle était plongée. Quelques États décideront en fait du vainqueur. Joe Biden est en tête dans six États symboliques à savoir le Michigan, la Pennsylvanie, le Wisconsin, la Floride, l’Arizona et la Caroline du nord où Trump avait gagné de justesse en 2016. En raison des difficultés économiques, le président sortant a perdu la confiance de ceux qui approuvaient  sa politique populiste mais qui le condamnent à présent à cause de la résurgence du chômage.

Les Démocrates ont de fortes chances de prendre le Sénat aux Républicains et le contrôle des trois branches de la gouvernance. Mais Trump ne paie pas uniquement pour la crise du coronavirus, il paie pour son arrogance et son narcissisme et même pour son racisme. Ses adversaires ne seront pas déçus car ils caressent ce rêve depuis le début de son mandat, espérant chaque jour le voir détrôné.

25 milliards de vente d’armes

Une grande déception saisit aujourd’hui les États arabes, et ceux du Golfe en particulier, qui avaient apprécié l’«accord du siècle» de Trump parce qu’il grignotait une partie des ambitions israéliennes. Ils savaient qu’ils pouvaient aussi compter sur Israël pour les soutenir ouvertement contre l’Iran dont la capacité de nuisance était loin de s’estomper malgré les sanctions américaines. Les Américains s’étant désengagés, d’une certaine manière Israël s’était substitué à eux en tant qu’ogre chargé de faire peur.

Les Arabes pouvaient compter sur Trump pour obtenir des armes sans limitation. D’ailleurs les ventes ont plus que doublé en valeur durant ces derniers mois. Des accords de 25 milliards de dollars ont été signés avec neuf pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord  alors que le montant en 2018 n’était que de 11. D’ailleurs à l’échelle mondiale, avec Trump au pouvoir, les ventes d’armes américaines ont augmenté de 42% cette année, pour atteindre un total de près de 70 milliards de dollars, le niveau le plus élevé depuis 2010, avec plus d’un tiers du total mondial pour le seul Moyen-Orient. En Afrique du nord, le Maroc a été le plus gros client avec des ventes qui se sont élevés à 10 milliards de dollars, pour des F-16 et 36 hélicoptères d’attaque AH-64E Apache. Les autres pays du Golfe, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Qatar, l’Arabie saoudite et le Koweït, ne sont pas en reste avec 14 milliards de dollars d’accords. C’est pourquoi tous ces clients sont inquiets de l’avenir de leur approvisionnement militaire.

L’inconnue Biden

Qu’en serait-il demain avec Joe Biden qui pourrait s’aligner sur les gouvernements européens qui ont bloqué les ventes d’armes à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis sous prétexte qu’ils combattent au Yémen ? Au Royaume-Uni, une décision de justice a entraîné la suspension des ventes d’armes à l’Arabie saoudite, bien que le gouvernement de Londres ait à plusieurs reprises enfreint ses propres engagements à cet égard. En fait, les Occidentaux donnent l’impression de vouloir vendre des armes uniquement pour les défilés, en ayant pris le soin de jauger au préalable les ennemis de leurs clients.

Trump a accepté ces ventes d’armes malgré l’opposition du Congrès américain qui avait émis des réserves en raison de la guerre civile qui fait rage au Yémen, et pour des sanctions après le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi au consulat saoudien à Istanbul en octobre 2018. Mais le président américain ne voulait pas transiger, estimant que la sécurité de ses alliés était en jeu. Par ailleurs en termes d’affaires, il n’avait pas à tenir compte des questions de Droits de l’homme ou de démocratie.

Rien ne dit que Joe Biden, élu, ne poursuivra pas cette politique de soutien aux pays arabes car il s’agit d’une stratégie pour promouvoir les intérêts américains avant d’être une adhésion aux régimes autocrates. Les Démocrates et les Républicains ont toujours eu une conception voisine des relations avec l’étranger, avec Israël en particulier. Au cas où la victoire démocrate serait concrétisée, l’administration américaine cherchera certainement à encourager un meilleur respect des droits de l’homme dans les pays arabes, mais sans jamais mettre en danger les questions sécuritaires.

Israël : l’annexion compromise ?

En revanche, Joe Biden n’est pas certain d’approuver une quelconque annexion de la Cisjordanie par Israël. Sentant le vent tourner, Netanyahou veut anticiper le débat et préparer son aile radicale à une révision de sa politique en Cisjordanie. Il anticipe l’échec programmé de Trump en précisant que la souveraineté sur les implantations de Cisjordanie  nécessite le soutien total des États-Unis. Une manière de reporter sur son allié la décision de décaler aux calendes grecques cette annexion. Mais la victoire de Joe Biden serait moins pire que celle de Bernie Sanders, le dirigeant le plus haï en Israël et dans les pays arabes pour son indulgence vis-à-vis des agissements des Iraniens.

Le paysage économique a changé au Moyen-Orient. Les besoins mondiaux en pétrole diminuent en raison de la crise certes mais par suite du développement de technologies énergétiques alternatives et de la découverte de nouveaux gisements pétrolifères en Amérique du Nord. Les États du Golfe n’ont plus la même importance que naguère. L’effondrement des prix du pétrole après la pandémie n’a fait qu’accélérer cette tendance. Cela a surtout fragilisé les pays du Golfe qui, dans les périodes fastes, n’ont jamais songé à se diversifier et à s’industrialiser pour devenir moins dépendants d’un soutien extérieur.

Le Golfe mise sur Israël

Le désengagement américain n’a pas arrangé les choses alors qu’aucun autre pays, la Russie ou la Chine par exemple, n’est en mesure de remplacer les États-Unis pour garantir la sécurité des pays arabes. Ils sont trop engagés avec l’Iran. C’est d’ailleurs pour cela que les États du Golfe ont ouvertement misé sur Israël pour leur développement économique et pour leur sécurité. Yossi Cohen, le patron du Mossad, ambassadeur-bis israélien, habitué des palais arabes, facilite les joint-ventures entre industries israéliennes et arabes, dans le secret des alcôves dans un premier temps. Mais les potentats arabes sont réfractaires au changement et surtout au modernisme qui risquent de leur faire perdre le contrôle sur leurs citoyens. Or Israël est le seul État qui pourrait garantir de manière fiable le statu quo.

Mais, malgré des tentatives de plus en plus médiatiques, la normalisation des relations d’Israël avec les pays arabes comporte des risques substantiels pour les États du Golfe, sur le plan des relations interarabes et du conflit israélo-palestinien. Le projet israélien d’annexion de la Cisjordanie complique la situation. Une certitude cependant, les États du Golfe et Israël, qui ont tout misé sur Trump, risquent d’être de grands perdants en cas de défaite des Républicains.  Ils craignent que l’Iran en profite pour étendre sa politique de nuisance dans la région avec un président américain trop pacifique.

80 kms/heure: une imposture pseudo-scientifique

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Le rapport public faisant le bilan de «l’expérimentation» de la baisse de 90 à 80 km/h de la vitesse maximale sur les routes secondaires est un cas d’école du dévoiement d’études à des fins de justifications politiques. Le rapport de 122 pages ne démontre à aucun moment que la mesure a sauvé des vies ou même réduit la pollution et les nuisances. Ce sont des possibilités. Rien ne permet de l’affirmer ou d’affirmer le contraire d’ailleurs…


En préambule et pour que la problématique soit bien posée, la vitesse est un facteur aggravant de tous les accidents automobiles. C’est tout simplement de la physique. Plus la vitesse est élevée, plus l’énergie dégagée lors du choc est forte et plus les dégâts sont importants. Cela dit, la vitesse n’est pas pour autant à l’origine des accidents et il faut prouver qu’en la limitant le nombre d’accidents a bien baissé.

Dans ce domaine, les pouvoirs publics font la démonstration de ce que peut être de la propagande habillée de statistiques pseudo scientifiques. Cela est aussi malheureusement souvent le cas en matière d’énergie de la part d’organismes publics voire de cabinets ministériels. L’objectif n’est pas de tirer des conclusions rigoureuses d’une expérience mais de justifier à tout prix des décisions et des à-priori.

Amalgames et conclusions arbitraires

Revenons à la décision prise d’imposer à l’été 2018, le 1er juillet, la vitesse maximum à 80 kilomètres heure pour les voitures et les motos au lieu de 90 kilomètres heure sur les routes secondaires. L’argument avancé alors était que cela permettrait de sauver des centaines de vies par an, de «350 à 400 par an» selon le Premier ministre Edouard Philippe. Depuis, pour justifier une mesure impopulaire et qui a été en partie à l’origine du mouvement des gilets jaunes, on assiste tous les quelques mois à des publications officielles de statistiques et d’argumentaires censés démontrer l’efficacité et la justesse d’une mesure incontestable puisqu’elle permet de «sauver des vies». Sauf que les argumentaires en question ne prouvent rien.

À lire aussi : Transition énergétique: le trublion Moore s’attaque à l’escroquerie du siècle

Le dernier en date fait le bilan après deux ans «d’expérimentation». Il a été fait par le Cerema, (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement). Ce dernier a été missionné par Edouard Philippe pour établir un bilan et respecter ainsi une clause de revoyure au 1er juillet 2020. Ces conclusions sont évidemment favorables et aujourd’hui, la mesure a donc été entérinée sauf par les départements, nombreux, qui ont décidé de l’annuler en dépit des pressions parisiennes et des préfets.

Selon Marie Gautier-Melleray, fraîchement nommée déléguée interministérielle à la sécurité en remplacement d’Emmanuel Barbe, les études du Cerema prouvent que 349 vies ont été sauvées entre le 1er juillet 2018 et le 29 février 2020. La période a été choisie en raison du confinement mis en place le 17 mars mais elle ne tient pas compte du mouvement des gilets jaunes. Le problème est que le Cerema ne démontre rien… Par définition, l’accidentalité est multi-factorielle. Il aurait donc fallu déterminer l’importance respective des différentes causes d’accidents selon les périodes comparées. Un travail difficile qui n’a pas été fait. Alors comment le Cerema peut tirer des conclusions mettant en avant un seul facteur arbitrairement choisi comme cause d’accident à savoir la vitesse et sa diminution moyenne de 3,3 km/h! Parmi les autres causes d’accident possibles, on peut citer pêle-mêle: l’alcool, les stupéfiants, l’erreur humaine, l’inattention et la somnolence, l’usage du téléphone portable, la défaillance mécanique, le mauvais état de la chaussée ou du véhicule, les conditions météorologiques…

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Google, une certaine idée du séparatisme


Le moteur de recherche le plus utilisé du monde vient d’ajouter une fonctionnalité afin d’identifier les commerces tenus par des Noirs. Un petit pas pour le progressisme mais un grand pas pour le racialisme et la désunion nationale.


 

Avec plus de 90% du marché, Google détient un quasi-monopole dans son domaine d’activité. Chaque seconde, plus de 80 000 requêtes sont effectuées sur son moteur de recherche dont la plupart proviennent des Etats-Unis. Dans le contexte des émeutes liées au mouvement Black Lives Matter, l’entreprise vient de décider qu’il était de bon ton d’identifier publiquement les commerces tenus par les Afros-américains afin de soutenir cette communauté et d’inviter ses utilisateurs à privilégier ses représentants. Il s’agit surtout de faire preuve du plus cynique opportunisme économico-politique mais passons.

Guerre au mâle blanc

Le géant du Web n’en est pas à son coup d’essai. Dès 2018, Google ajoute une fonctionnalité « Women Led » afin d’identifier les commerces tenus par les femmes, se vautrant déjà alors dans l’idéologie SJW (Social Justice Warriors).

Mais privilégier, c’est choisir, et choisir, c’est discriminer. Il n’échappe à personne que la guerre contre le mâle blanc est ouverte depuis un moment, mais on est désormais passé du stade de l’idéologie à l’application, de l’esprit à la matière. S’il faut privilégier les commerces tenus par des noirs ou des femmes, il convient donc d’éviter ceux tenus par des hommes blancs. Simple logique. Mais pourquoi s’arrêter là ? Le mouvement est lancé, il serait fort dommage de ne pas profiter de l’élan afin d’aller plus loin encore. Pourquoi ne pas prévoir l’identification des commerces blancs ? Il serait si simple de le faire digitalement. Et ne nous arrêtons pas ici non plus. Pourquoi ne pas inscrire « Cracker » (équivalent du terme péjoratif « babtou » aux Etats-Unis) directement sur les vitrines des enseignes comme le si bienveillant « Juden » des années 30 ? On pourrait même imaginer un symbole pour les entrepreneurs blancs.

Les possibilités sont illimitées tant l’homme (pardon, la femme et l’homme…) est/sont ingénieu-e-s-x.

Get Woke, Go Broke

Google est loin d’être isolé dans ses initiatives « progressistes » comme peuvent en témoigner les récentes évolutions chez d’autres acteurs et dans d’autres domaines comme le site Internet Reddit, où les règles du site communautaire viennent d’être modifiées afin de permettre implicitement le racisme anti-blanc par une absence de sanction de la présence de ce dernier sur le site, ou encore au New York Times qui a pris la décision révolutionnaire d’écrire à l’avenir « Black » avec une majuscule et « white » avec une minuscule.

Et pourtant il a déjà été démontré maintes et maintes fois par la pratique, notamment dans le monde universitaire, que toute tentative de discrimination positive est un échec.            C’est bien cela le plus triste : les premières victimes de cette initiative risquent à court terme d’être les commerçants noirs eux-mêmes. S’ils sont identifiés, ils peuvent tout aussi bien être évités…

« Get Woke, Go Broke » (« Devenez éveillé et soyez fauché ») : ce nouvel adage apparu dans les milieux conservateurs américains fait référence aux multiples échecs progressistes dont Hollywood est le plus bel exemple. La plupart des films récents, ayant tenté de faire avaler aux spectateurs la pilule bleue du progressisme, ont d’ailleurs échoué au Box-Office (Ocean’s Eight, Ghostbusters, etc…).

Beaucoup de commerçants Afro-américains ont déjà subi la casse et la ruine de leur boutique par les émeutiers lors des jours les plus violents des manifestations de juin. N’est-il pas temps de les laisser tranquilles ? Comme l’a si bien dit Morgan Freeman dans une interview accordée en 2006 où on lui a demandé ce qu’il fallait faire pour mettre fin au racisme : « Stop talking about it » (« Arrêtez d’en parler »).

John Bolton persiste et signe (2/5)

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John Bolton revient sur les grands dossiers internationaux du mandat de Donald Trump : Russie, Iran, Syrie, etc.


 

La première partie de l’article est à retrouver ici.

Dans un texte dense et détaillé de 570 pages, l’ancien NSA (conseiller à la sécurité nationale), l’ambassadeur John Bolton, raconte les 17 mois passés au sein de l’administration du président Donald Trump. The Room Where it Happened, la pièce où tout s’est passé, est en fait le vaste monde où se déroulent les relations étrangères. Ce document permet de juger sur pièces un président hors normes … ou en-dessous de tout.

L’auteur raconte, pour chaque dossier, l’élaboration d’une stratégie—en étroite collaboration avec John Kelly, chef du cabinet, Mike Pompeo, Secretary of State [ministre des affaires étrangères], James Mattis, Secretary of Defense et le président— son application, les embûches, les conséquences.

Bachar al Assad utilise des armes chimiques… encore une fois

Bolton est à peine installé dans ses meubles quand le dictateur syrien attaque l’opposition avec des armes chimiques. Le président américain annonce par tweet qu’il ne fera pas comme Obama, qui avait tracé une ligne rouge pour la recouvrir aussitôt de sable frais. Bolton consulte alliés et collègues. La France et le Royaume Uni sont partants pour une opération militaire, Mattis prépare une gamme d’options. Trump hésite, Macron se dit prêt à y aller seul. Quant au choix des cibles, le président français estime que le minimum serait trop faible et le maximum trop agressif. Il opterait pour celui du milieu. « Je ne sais pas, dit Bolton, ce qu’il voulait dire. Est-ce qu’il le savait lui-même ? Il faisait peut-être du cinéma ». 

À lire aussi : Le discours de Donald Trump au Mont Rushmore

Trump, lui, pense qu’on devrait se débarrasser des coûts et des complications en remplaçant la présence américaine en Syrie par une « OTAN » arabe, qui assumerait l’opération militaire et son financement ! Entre Mattis qui, selon Bolton, pipe les dés contre une réponse musclée, et Trump, qui se tord en contradictions, la réaction tombe comme un cheveu sur la soupe, sans impressionner Assad ni servir de base à une politique cohérente en Syrie.

Retrait du JCPOA, l’Iran deal

Bolton déplore l’absence, plus d’un an après la prise de fonction de Trump, d’une équipe stable et d’une politique claire face aux provocations iraniennes. Son but immédiat est de finaliser le retrait du JCPOA – décidé mais toujours reporté – tout en gardant un bon rapport avec les alliés européens déterminés à sauver cet accord. Le 24 avril, Brigitte et Emmanuel Macron arrivent pour une visite d’Etat, que la première dame voudrait aussi somptueuse que la réception des Trump à Paris en juillet 2017. Lors d’un long entretien en tête à tête, Macron, parlant anglais, essaie de persuader son homologue américain d’améliorer le JCPOA, que « no one thinks is a sufficient deal», mais Trump le déçoit. Ce sera un retrait sec avant la négociation d’un nouveau deal.

Mais le problème avec l’Iran ne s’arrête pas là. Les ambitions nucléaires de la théocratie iranienne, dit Bolton, sont encore plus graves que celles de Kim Jong Un. Le président est distrait, impulsif, erratique et peu fiable. Toujours sévère à l’égard d’Obama, Trump finit par le suivre, d’abord par aversion pour les engagements étrangers, ensuite par un calcul du rapport coût/bénéfices défavorable aux USA.

Rencontre au sommet à Singapour

À peine sorti d’un mauvais deal, Trump se précipite vers un autre : le sommet avec Kim Jong Un. Bolton, Kelly et Pompeo tentent en vain d’empêcher le président de faire de graves erreurs, mais il s’imagine régler au cours d’un seul sommet le deal qu’aucun, avant lui, n’a pu réaliser. Le premier ministre japonais arrive à Mar-a-Lago pour parler des échanges commerciaux et des relations avec la Corée du Nord. Abe et Trump sont d’accord sur une politique ferme… sauf que Pompeo est en train d’organiser le sommet Trump-Kim Jong Un !

Le sommet est prévu les 12-13 juin. Trump pousse Bolton, lors de ses interventions dans les médias, de « me couvrir d’éloges, parce que ce que je fais, c’est extraordinaire. Moon va me proposer pour le Nobel de la paix »!  Bolton se dit que tout ce « fandango » est le fruit de la « sunshine politique » [soyons gentils] du leader sud-coréen. Kim a vite compris comment embobiner Trump qui, lui, s’imagine les négociations théâtrales autour d’une histoire d’amour entre deux chefs d’États merveilleusement atypiques qui sauront réussir l’impossible. L’équipe rapprochée du président tente en vain de le briefer sur les réalités géopolitiques, le premier ministre japonais rappelle qu’il ne faut pas brader les meubles, mais Trump s’amuse comme un gamin dans un parc d’attractions. Il admire Kim, « un homme bien, malin, secret, sincère et haut en couleur ».

À lire aussi : Derrière les émeutes, une cible: l’Amérique de Trump

Suite à un accroc diplomatique, le sommet de Singapour est annulé, puis brusquement reprogrammé, à l’insistance du président américain. Au sommet, Trump se hâte de faire des concessions, notamment la suspension des exercices militaires avec la Corée du Sud… une réduction des frais, qui plaît au président-hommes d’affaires. Il confie à Kelly, Pompeo et Bolton qu’il savait dès le premier jour du mandat que ce genre de deal serait fastoche pour lui. Le président et le dictateur tout sourire se félicitent mutuellement d’être les seuls à pouvoir régler l’affaire. C’est quoi, notre secret, demande Kim. Tous les autres étaient stupides, répond Trump.

Au retour à Washington, Trump annonce par tweet que c’en est fini de la menace nucléaire nord-coréenne. Fastoche, comme il l’avait dit. Laissant le président à sa joie, Pompeo s’entretient à Pyongyang avec son homologue, l’homme fort Kim Yong Chol, qui dénonce une demande de dénucléarisation unilatérale digne d’un gangster. Des mois passent sans le moindre progrès. Trump s’impatiente, se lance dans des riffs : pourquoi la guerre de Corée, pourquoi le maintien de bases militaires, des exercices militaires, on nous prend pour des pigeons, ça coûte cher et ainsi de suite. Toujours aussi sourd aux conseils de son équipe, Trump poursuit l’échange de lettres « oléagineuses » avec Kim et se propose de l’inviter à la Maison Blanche. Bolton est sûr qu’après les élections de mi-mandat « le train de concessions roulera à grande vitesse ».

Rencontre Trump-Poutine à Helsinki

L’équipe craint, comme d’habitude, les faux pas du président. Briefé, préparé, coaché, il part tout de même en vrille dès qu’il se trouve face à son interlocuteur. Bolton redoute de laisser le président seul face à son homologue russe, qui est confiant, posé, et connaît les dossiers. Fiona Hill (devenue par la suite témoin clé dans l’enquête d’impeachment) présente pendant le long entretien en tête à tête, au cours duquel Trump lui a interdit de prendre des notes, dit que Poutine a monopolisé 90% de la conversation.

À lire aussi : Etats-Unis: Trump, président d’un pays en pleine crise morale

L’entretien est suivi d’une conférence de presse désastreuse où Poutine dit qu’il souhaitait la victoire de Trump en 2016, parce qu’il avait promis d’améliorer les relations russo-américaines. Trump balbutie : Mes gens sont venus me dire « C’est la Russie [qui s’est mêlée aux présidentielles américaines], Poutine m’a dit les yeux dans les yeux que ce n’est pas la Russie, ce qui me semble logique, après tout, pourquoi ce serait la Russie, mais je voudrais quand même voir le serveur, mais j’ai confiance en tous les deux… mes services secrets… mais le démenti du président Poutine était très fort, très puissant. » Kelly et Bolton sont tétanisés ! De retour à la Maison Blanche, Trump rétropédale, prétend qu’il avait voulu dire « il n’y a pas de raison que ce ne soit pas la Russie ». Bolton s’imagine Poutine se tenant les côtes de rire de son exploit à Helsinki.

Sommet de l’OTAN à Bruxelles

C’était visible à l’œil nu en temps réel : le président américain était ronchon au sommet de l’OTAN. John Bolton confirme et nous donne l’envers du décor. À son avis, l’apport de la grande puissance américaine à l’opération de l’alliance est justifié par la défense des intérêts nationaux. Trump ne veut plus gaspiller de l’argent pour défendre une Europe ingrate. Il menace de quitter l’OTAN, confond le budget défense des membres avec la contribution aux frais de fonctionnement dont « 90% sont réglés par nous » (un chiffre, selon Bolton, probablement inventé). Trump tempête, prétend que le budget de l’OTAN est fixé par le méchant Junker qui déteste les USA. La tirade enfle : il en a marre d’être arnaqué par les Européens profiteurs qui ne veulent pas acheter nos produits, maintenant c’est fini, notre pays était dirigé par des idiots, c’est fini, s’ils veulent qu’on soutienne l’OTAN, ils ont intérêt à l’améliorer le déficit commercial…

Bolton avait tenté de finaliser la déclaration de fin de sommet à l’avance pour éviter la débâcle du G7. Il remarque en passant que les Français ont pour habitude, dans les rencontres internationales, de refuser de signer le communiqué si leurs demandes n’ont pas été satisfaites.

Au déjeuner de travail à Londres, on parle Brexit, Corée du Nord, Chine. Trump exulte : lors de sa visite en Chine, en novembre 2017, il a été accueilli par 100 000 soldats, « Il n’y a jamais rien eu de semblable dans l’histoire du monde. » Il y a aussi l’Iran, l’Afghanistan, l’Ukraine …

La troisième partie de l’article est disponible en cliquant ici 

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Il faut sauver le juge Mongeville

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Depuis 2013, Francis Perrin est à la tête de la série policière de France 3, dans laquelle il incarne un juge à la retraite. La série est menacée…


Parce qu’elle fait d’excellentes audiences, même lors de la rediffusion d’anciens épisodes, durant l’été. Les débats sont clos. Dans un monde marchand, ce seul argument, commercial et publicitaire, devrait suffire à emporter tous les suffrages. Fin de la discussion.

« C’est un peu court, jeune homme », entend-on dire, dans les couloirs de France Télévisions où l’on s’interroge sérieusement sur la poursuite de cette série créée par Jacques Santamaria, à l’antenne depuis 2013. Les acteurs, Francis Perrin en tête, ne comprennent pas cette hésitation. Ils prennent ce possible couperet pour un affront, le déni du travail bien fait et la perte des valeurs du service public. Le succès n’étant plus la garantie de la programmation, l’insuccès doit donc être mécaniquement un signe de longévité. Le public s’est ému de ce « flou décisionnel » alors que le tournage des derniers épisodes vient de s’achever à la mi-juillet. S’arrêtera ou s’arrêtera pas ? Mystère. Une pétition de soutien a été lancée sur les réseaux sociaux où des milliers de fans ont déclaré leur flamme à ce juge retraité, rond comme un saucisson chaud, accompagné de sa pétillante capitaine de Police et de son atrabilaire commissaire Briare. On ne veut pas croire que l’arrêt éventuel de cette série soit motivé par des raisons idéologiques. Non, pas chez nous, au pays de Dumas et de Molière, de Lazare Iglésis et de Marcel Bluwal, où la liberté de fiction fait fi des dogmes et des modes. Ce serait trop grave, notre République hertzienne déjà affaiblie n’y résisterait pas.

A lire aussi: #BlackCésar: le cinéma français est-il vraiment raciste?

Pourquoi des technocrates du petit écran voudraient-ils bannir une comédie policière bien ficelée, admirablement interprétée, donnant au divertissement télévisuel ses lettres de noblesse, chaque samedi soir ? De la belle ouvrage, sans prétention et sans bassesses, sans désir d’harponner à tout prix le téléspectateur avec l’air du temps, avec juste ce qu’il faut d’amusement et de légèreté pour l’embarquer durant quatre-vingts dix minutes. Y-aurait-il des arrière-pensées communautaires, victimaires, sociologiques ou démagogiques à la manœuvre ? Une volonté délibérée de rayer du paysage audiovisuel une forme particulière de réalisation ou un type d’acteur. Je ne veux pas croire que, dans mon beau pays éclairé, on refuse l’antenne à un acteur parce qu’il serait jugé trop âgé, trop « bourgeois », trop débonnaire, trop français, trop provincial ou trop lettré. Je ne veux pas croire qu’on classe et déclasse les comédiens parce que leur visage ne correspondrait pas à l’image qu’on se fait d’une société dite plurielle. Cette discrimination-là serait inacceptable, intolérable, odieuse, il en va de notre communion de pensée.

Comme j’aime les actrices de plus de cinquante ans, elles m’enchantent, je ne me lasse pas de voir Elisabeth Bourgine, Sabine Haudepin ou Nathalie Boutefeu dans l’exercice de leur profession, j’aime Perrin, sa mine gourmande, son œil qui frise, son épaisseur nostalgique. Je veux simplement, honnêtement, lucidement qu’on se replace sur le terrain du jeu, du scénario, du dialogue, du bien-être distillé, du confort de vision, du moment agréable à partager en famille et qu’on oublie un peu les agitateurs virtuels. Mongeville concourt à cette fabrique du bonheur, le souci d’un métier exécuté à la perfection où le travail s’oublie derrière la manière et le talent. Avec Francis Perrin, j’ai l’impression de chausser mes charentaises, n’y voyez pas une quelconque ironie, plutôt le sentiment d’une justesse de ton, de cette fluidité qu’on ne rencontre que chez les très grands (Noiret, Rochefort, Marielle, Brasseur, etc…). Ces comédiens-là ne brusquent pas la caméra, leur texte coule comme l’eau vive, leurs mots et leurs gestes sont naturels, ils déploient cette aisance qui fascine et rassérène. Perrin est de ces artisans-là comme les définissait Philippe Noiret dans Mémoire cavalière : « J’ai toujours eu la plus grande considération pour les hommes de l’art. Un artisan, c’est avant tout quelqu’un de concret et de modeste, sans être faussement modeste ; il fabrique des objets de qualité, qu’on peut regarder, dont on peut se servir avec plaisir. Ce qui, déjà, n’est pas rien. Lorsqu’on lui donne de vrais moyens, une vraie matière première, il peut même en arriver à s’approcher de l’art ». Donnons donc à la série Mongeville la chance de poursuivre son chemin et de tracer son propre sillon. Il y a assez d’espace pour que cohabitent tous les genres policiers en France à la télé, un large éventail, du réalisme cru à la fantaisie soyeuse. J’ai encore envie de revoir Gaëlle Bona, tragédienne née sous l’uniforme taquin de capitaine ou Pierre Aussedat, cet immense professionnel qui me fait penser à Marc Dudicourt ou Jacques Jouanneau dans sa maîtrise scénique. Ce n’est pas un hasard si je rattache la série Mongeville au cinéma de Philippe de Broca, cet aristocrate de la comédie sautillante. On se souvient de Francis Perrin dans « On a volé la cuisse de Jupiter » et de son rôle picaresque, celui du jeune archéologue Pochet aux côtés d’Annie Girardot et de Catherine Alric.

A lire aussi: L’Union nationale passe par Zidi, Lautner, Poiré, Robert, etc…

Quand je le vois endosser l’hermine d’un juge à la retraite, quarante ans plus tard, pour le plaisir, pour l’intrigue tranquille et subtile, pour cet humour délicat, je me dis qu’il y a là, comme une tapisserie sans fin, un compagnonnage avec son public fidèle, une harmonie qu’il serait discourtois et incompréhensible de stopper en plein succès. Mongeville n’est pas une marque, c’est un état d’esprit.

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L’infantilisation du langage joue contre notre sécurité

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La fâcheuse tendance à l’euphémisme des politiques et médias s’est une nouvelle fois manifestée lors de l’affaire lyonnaise d’Axelle Dorier. Elle s’inscrit dans une longue tradition française.


Parmi les polémiques qui ont animé le début du mois de juillet, il en est une qui a retenu mon attention parce que l’horreur des faits n’a d’égale que la puérilité des mots employés pour les désigner et le ridicule des empoignades verbales voire, des effets de manches et d’épitoges qui y ont fait suite. Où, comment au 21ème siècle une guerre picrocholine devient la couronne d’épines d’une mort atroce, de quelque façon qu’on qualifie juridiquement les circonstances de sa survenance.

Rappelons très succinctement ce qui s’est passé.

Cette euphémisation, cette infantilisation du langage est un signe des temps. Car enfin, pourquoi ne pas désigner les choses par leur nom ?

Dans la nuit du 18 au 19 juillet, Axelle Dorier, une jeune aide-soignante de vingt-trois ans est fauchée par une voiture. Le conducteur prendra la fuite et trainera le corps de la malheureuse victime sur huit-cent mètres jusqu’à le démembrer. Il semble, selon ce qu’ont rapporté les journaux au lendemain du drame, que le conducteur ait délibérément percuté Axelle qui tentait de l’empêcher de fuir parce qu’il venait d’écraser son chien. Quelle était l’intention du chauffard ? Voulait-il tuer ? Essayait-il seulement de s’échapper ? Est-ce un meurtre ? Un homicide involontaire ? Personne ne le sait pour l’heure et c’est à la justice qu’il appartiendra de le déterminer. Là n’est pas mon point.

Un accident, dites-vous ?

En revanche, comme beaucoup d’autres, j’ai relevé en sursautant le terme employé par M. Macron pour qualifier cette mort abominable qui, quoi qu’on en pense, n’est pas exactement naturelle et qu’on ne peut non plus dire accidentelle, à moins de vouloir nier aussi la lumière du soleil. Le président de la République a parlé d’une de ces « incivilités » contre lesquelles il convient de lutter « avec la plus grande fermeté ».

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Saperlipopette ! une incivilité ! C’est qu’en effet, le jeune garnement qui conduisait la voiture était chahuteur et taquin au-delà du raisonnable. Il ne savait pas jouer sans faire mal et c’est très vilain. Il mérite le piquet et au moins quatre heures de colle. Ces phrases ne vous font pas rire ? Moi non plus ! mais je me mets au niveau : à travers le vocabulaire que je choisis, je ramène une tragédie au rang d’une blague potache qui a mal tourné.

Déni de réalité

Cette euphémisation, cette infantilisation du langage est un signe des temps. Car enfin, pourquoi ne pas désigner les choses par leur nom ? Pourquoi ne pas avoir dit clairement qu’il fallait lutter contre la délinquance ? N’est-ce pas un délit de foncer sur quelqu’un à vive allure, même si l’on n’a pas l’intention de tuer ? Réduire un comportement aussi indigne, aussi crapuleux, aussi lâche, à un simple manque d’urbanité, de courtoisie, de savoir-vivre est ni plus ni moins un déni de réalité et, convenons-en, une manière de camouflet infligé à celle qui se trouvait encore à l’aube de cette vie de femme qu’on lui a scandaleusement volée.

Mais il est patent que la classe politico-médiatique prise ce langage d’instituteur de classe maternelle. À preuve, le tollé suscité par les propos du ministre de l’Intérieur qui s’est aventuré à parler de meurtre, non pour se substituer aux juges, qui n’ont cure des déclarations des uns et des autres, mais pour souligner, peut-être en des termes techniquement inappropriés – l’avenir le dira –, la gravité et l’horreur du drame ainsi que le fait qu’il relève de la justice pénale.

L’histoire tragique d’Axelle est, sous ce rapport – celui du langage infantile, euphémique ou imprécis – un exemple parmi d’autres.

Réticence à nommer les choses

Lorsqu’on évoque une infraction commise par « des jeunes« , que veut-on dire exactement ? Je présume que si l’on interpellait une bande de malfrats de plus de quarante ans, on ne dirait pas qu’une « bande de vieux a été arrêtée« , ce qui signifie que l’âge n’est pas ce qu’on vise en premier lieu lorsqu’on parle de « jeunes« . Que vise-t-on exactement ? Personne ne le sait et tout le monde croit le savoir ce qui ne fait qu’engendrer la confusion et, souvent, la suspicion. Disons-le tout net, le crime n’a pas de couleur, pas de religion, pas d’ethnie, pas d’appartenance sociale. Il est de partout et depuis toujours. Alors pourquoi cet euphémisme qui dit sans vouloir dire et semble lui-même s’effrayer de ce qu’il suggère ? Pourquoi ne pas parler de crime ou de délit lorsqu’on est en présence d’un comportement susceptible de recevoir cette qualification – ce sur quoi les tribunaux auront le dernier mot – ? Pourquoi cette réticence à nommer les choses pour ce qu’elles sont ? Pourquoi cette éternelle guérilla autour des prénoms d’auteurs de faits potentiellement délictueux ? Que son violeur s’appelle John, Pavel, Jean-Eudes ou Mohamed, la victime s’en moque bien. Elle est la victime d’un viol, voilà tout, et rien d’autre ne devrait compter que de lui rendre justice.

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Même chose lorsque l’on parle des « quartiers« . Qu’entend-t-on désigner ? Il y a des quartiers dans toutes les villes de France et de Navarre et tout le monde soupçonne – ou plutôt sait – que lorsque ce mot est employé, ici par un homme politique, là par un journaliste, on ne vise pas n’importe quel quartier mais seulement certains d’entre eux que, cependant, on se refuse à décrire plus précisément, comme s’il fallait s’inquiéter qu’un évènement se produise en un lieu plutôt qu’en un autre. N’est-ce pas ainsi, au contraire, qu’on attise les peurs et la défiance ?

Délicatesse phonique

On pourrait multiplier les exemples à l’envi. Évoquer les « territoires« , sorte de fourre-tout informe qui englobe sous un vocable un peu méprisant nos belles et riches provinces (riches culturellement en tout cas). Comme si Paris et, à la rigueur, quelques métropoles étaient des forts yankees et le reste du pays une réserve indienne.  Que dire encore de la « fachosphère » (néologisme que, grâce à Dieu, les politiques n’emploient pas encore dans le discours public), cette zone aux frontières indéfinies dans laquelle chacun peut pénétrer, sans s’en rendre compte, s’il s’avise de blasphémer contre l’Évangile progressiste, ne fut-ce qu’une fois. Un mot terrible, celui-là (comme le mot « jeunes » d’ailleurs) qui engendre cet amalgame contre lequel on ne cesse pourtant de nous dire qu’il faut lutter. Parlerons-nous encore des propos « controversés » ou des « dérapages« , mots qui visent à disqualifier a priori une opinion qui, sans violer une loi quelconque, irrite la doxa professée dans un certain milieu politico-médiatique ? Que penser des termes « sauvageons » ou même « ensauvagement » (que d’aucuns estiment déjà trop explicites) dont la délicatesse phonique entend couvrir d’un voile semi-pudique des comportements crapuleux et violents ?

Pourquoi enfin, avoir peur des mots ? Pour acheter la paix sociale avancent certains. J’ignore, quant à moi, s’il s’agit de la motivation profonde de ceux qui infantilisent le langage et ébarbent un réel qui, peut-être, les inquiète. Mais comme chacun sait, « la peur n’évite pas le danger« .

Amoureux de ma langue par atavisme et de la rigueur par profession, je crois avec Camus que « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » et, comme le vieux Boileau, « j’appelle un chat un chat et Rollet un fripon. »

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PMA pour toutes: une révolution française


Le projet de loi de bioéthique et la PMA pour toutes ont été votés en deuxième lecture à l’assemblée, en catimini, vendredi dernier.


« C’est une émeute ? Non, Sire, c’est une révolution. » On connaît cette réponse célèbre du duc de La Rochefoucauld-Liancourt à Louis XVI. Nous y sommes. En finir avec l’héritage greco-romain et chrétien, c’est ce que la novlangue appelle « un changement de civilisation ».

Et d’abord, en finir, dans notre langue, avec l’héritage du latin. Aux féministes de s’en charger « parce que les stéréotypes masculins, terreau du sexisme, sont profondément ancrés dans notre société et s’expriment dans le langage et la grammaire. » D’où l’ambition de la linguiste Eliane Viennot : créer l’égalitarisme de la langue, non pas en la féminisant mais en la démasculinisant. Nuance ! comme aurait dit Arletty de son ton inimitable. Donc, en attendant de s’attaquer au disque dur de la grammaire, héritée du latin, on déracine et idéologise les mots. Et comme ce ne sont pas les mots, d’origine arabe, de fruits et légumes, ni germaniques (comme le mot guerre) qui changent quelque chose au fond lexical du français, il a fallu user de la force. Le pas politique fut franchi avec l’écriture inclusive (à manier, cependant, avec discernement, dit notre « professeuse ») dans les universités, les mairies, en attendant les lycées. L’Académie Française a eu beau rappeler, depuis 1984, que « la langue n’est pas un outil malléable et utilisable, modifiable au gré des désirs et des projets politiques » : en vain. Après « la réforme de l’orthographe », venue du Canada où le français se meurt, même au Québec, notre langue est confrontée au danger mortel qu’est « l’algue verte » de l’inclusive, selon la qualification heureuse de Sébastien Bataille dans son article de Causeur.

Pourtant, en novembre 2017, le Premier ministre, fidèle à l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, toujours en vigueur, avait fait une mise au point bannissant l’écriture inclusive des textes émis par le gouvernement. Mise au point aucunement relayée par les médias. Et pour cause ! C’est ainsi que la mairie de Lyon a imposé récemment l’inclusive, suivie par d’autres mairies. Or, cette révolution politique – les maires contre le pouvoir central – vient d’un protocole européen, imposant aux pays membres de l’Europe, la féminisation de la langue. Et, bien évidemment, c’est dans les facultés que règne en tyran, depuis longtemps, l’inclusive, avec l’indigénisme, le tout surfant sur la vague écologiste.

Après la langue, c’est le droit romain qui est touché en plein cœur avec les lois sociétales. Avec les lois sur la filiation, c’en est fini du « mater semper certa est » et de la présomption de paternité qui fondait le droit sur la raison et la vraisemblance. Fini, également, « l’intérêt supérieur de l’enfant », mots bannis de l’hémicycle. Là encore la directive vient de Bruxelles, quand, le 13 janvier 2017, le président de la Cour de cassation a fait allégeance au président de la Convention de la Cour européenne des droits de l’homme.

Les clusters du progressisme

Dans la culture, l’héritage humaniste s’est perdu au profit du métissage auquel sont promises, selon Jacques Attali, l’Europe et donc la France. Des intellectuels y ont prêté les mains en fantasmant l’influence arabe dans l’Occident par l’apport de traductions des philosophes grecs. Tout juste si le français ne viendrait pas de l’arabe ! Et si la philosophie grecque n’était pas née en Andalousie ! Dans les lycées, l’humanisme est remplacé par une « culture » anglo-saxonne masquant une méconnaissance navrante de nos grands auteurs classiques. Or, connaître ses classiques, c’est saisir les idées à leur source. En même temps, avec la fin de cet enracinement latin, s’impose le globish qui, rappelons-le, n’est aucunement l’échange naturel des langues entre elles mais l’intrusion systématique de mots anglais, avec une simplification de la syntaxe. Fi de la loi Toubon : on se gargarise du mot cluster.

Que dire de l’héritage chrétien ? Il paraît en péril. Sauf que les églises ont beau brûler et les enfants ne plus être baptisés, l’héritage nous tient aux racines. Si le catholicisme subit une crise – ô combien sévère ! – il n’est pas mort. Là, encore, c’est le catholicisme romain, fondé sur les apôtres, Pierre et Paul, qui vacille, avec une tentative tortueuse, venue du cœur de l’institution, de protestantisation des dogmes, mâtinée de Deep ecology.

C’est à l’Assemblée que se perçoit cette atmosphère révolutionnaire, où fut voté, à trois heures du matin, dans la nuit de vendredi, un programme éthique délirant, qui touche au cœur de notre humanité. Dans l’hémicycle, on n’avait que le mot « amour » à la bouche (Olivier Véran), et Dupond-Moretti : « le mariage n’est plus le mariage à la Napoléon mais repose sur l’amour. » Remarque significative d’une révolution, dans la bouche d’un juriste, puisqu’avec Napoléon, le mariage était fondé sur le consentement. Décidément, que le consentement exclue l’amour est une « idée neuve » en France mise au service de toutes les causes ! Sauf que, dans cette nursery qu’est  devenue la Chambre, on a oublié d’évoquer la rivalité d’ « amour » maternel que va susciter, au sein du couple des deux mères, la mère allaitante. Nul doute que le garde des sceaux n’ait une réponse ad hoc.

Catalogue de transgressions

Révolution, cette réforme de la filiation ? Ou « formidable bordel », pour reprendre le titre d’une pièce de Ionesco ? On hésite. Serait-ce que la cause est mal défendue depuis que la tribune ne résonne plus des grandes voix de Mesdames Schiappa, Belloubet et Buzyn ? Seul Monsieur Touraine déroulait un catalogue irréel de transgressions. Etrange atmosphère.

Le garde des Sceaux, on l’attendait. On ne fut pas déçu. « Ce n’est pas la GPA qui s’invite dans le débat. Elle s’est invitée dans notre époque et dans notre société qu’on le veuille ou non. » Qu’en termes juridiques ces choses-là sont dites ! Et quand s’invitera « le trouple » ? À Thibault Bazin dénonçant, vendredi, « les jeux de faux semblants » du gouvernement concernant une GPA faite à l’étranger, le garde des Sceaux répondit : « Vous voudriez qu’on interdise à des Français d’aller à l’étranger ? » Sans parler de raisonnement, on cherche l’étincelle de l’éloquence. Peut-être est-il impossible de relever le challenge d’une cause, vraiment indéfendable ?

Something is rotten in the States of Danemark. On connaît cette phrase de la pièce d’Hamlet, souvent citée pour qualifier la décadence européenne. Avant d’enterrer le Code civil napoléonien, souvenons-nous qu’après 16 ans de suppression, le calendrier romain (grégorien) a été rétabli, le 1er janvier 1806. Et que la paix civile est le bien le plus précieux d’un pays.

Cet été, avec les filles je ne sais pas!

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En 1970, Philippe Lavil, philosophe balnéaire, guidait la jeunesse française vers l’impasse amoureuse


Un jour, dans un siècle, peut-être, on étudiera la discographie de Philippe Lavil, penseur martiniquais, béké à jolies pépées, ethnologue des rapports amoureux honteusement sous-estimé par l’Université française. Ce play-boy au carré long, grand échalas à la moue bravache, avait tout anticipé, tout vu, tout prévu de nos bouleversements intérieurs.

Visionnaire en chemise de lin

Avant les autres, cet observateur narquois de l’émoi, aristo des plages, propagateur de l’amour en mer a mis en musique les errements de l’Homme blanc, sa solitude ontologique ; il a pressenti l’avènement de la société des loisirs, l’émancipation des femmes et le retour salvateur à l’insularité. Un visionnaire en chemise de lin et panama. Un poète des discothèques. Un archiviste de nos souvenirs d’été. Le sable chaud et le flirt furent sa ligne de conduite, son horizon indépassable, il n’en dévia jamais. Il ne se laissa pas emporter par les affres de la misère urbaine, la peur du chômage et la délinquance galopante des cités bétonnées. Il s’est obstinément refusé à tomber dans un registre sérieux et larmoyant, à plaire à l’intelligentsia par des prises de position victimaires ou à paraître préoccupé par les galères du quotidien.

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Sa carrière entre hits et gadins témoigne en sa faveur. Ce garçon-là est des nôtres, du côté des perdants flamboyants, des artistes qui ne truquent pas l’existence pour passer à la télé, pour cachetonner, pour soudoyer la ménagère. Son œuvre est bien plus profonde et nostalgique qu’une analyse progressiste d’une défaite électorale ; sous son apparente légèreté, elle révèle les mystères du couple, l’improbabilité d’une rencontre, le frôlement des peaux satinées et la mer, là, immense et béate, comme un décor qui vient foudroyer la vacance des cœurs. Ses chansons s’écoutent au volant d’un cabriolet français ou italien, Peugeot 504 ou Alfa Romeo Duetto Coda Longa, sur une corniche déserte, quand l’esprit est seulement accaparé par une fille aux lèvres ourlées, entraperçue dans le hall d’un aéroport ou au bar d’un hôtel de luxe.

Esthète du microsillon

Plus sensuel que Roy Ayers et ironique que Pino d’Angio, Philippe Lavil ose chanter ce que les intellectuels taisent par ignorance ou suffisance. Souvenez-vous de vos vingt ans, l’Europe pouvait bien se construire à coups de traités et le tunnel sous la Manche annihiler nos singularités, notre tête et notre corps ne répondaient à aucune injonction technocratique. A chaque seconde de la journée, nous n’envisagions pas d’autres solutions à notre malaise  que de trouver, de capter, dans le regard de l’autre, un moment d’attention et d’abandon.

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Nous n’avions pas saisi que Philippe Lavil nous apprenait à déjouer la routine et à rire de nous en tapant sur des bambous. Nous étions bien trop prétentieux, aveugles à la beauté d’un couplet dansant, pour ressentir que ses mélodies caribéennes contenaient la trace d’une humanité rieuse et désespérée. Sa musique nous apprend à jongler avec les incertitudes et à résister à la tentation du désespoir, si facile, si évidente à l’âge où les hormones envoient des SOS en détresse au cervelet. Le chanteur qui avouait « aimer trop les dames » dans un titre prophétique « Plus j’en ai, plus j’en veux » a soldé toutes les théories de l’expansion économique en se réfugiant dans le Kolé Séré. Son premier succès « Avec les filles, je ne sais pas » sort en 1970 chez Eddie Barclay, tailleur esthète du microsillon et lui assure de très nombreux passages à la radio. Philippe Lavil s’interroge alors sur l’incohérence de l’existence.

L’époque où le second degré avait encore sa place

Pourquoi son copain Panpan « moche et fauché » le coiffe toujours au poteau lorsqu’il s’agit de ne pas rentrer seul à la maison. Le clip dans les tons orangés, est somptueux d’incompréhension et de gamineries. Le personnage de Panpan est incarné par l’immense Carlos en pantalon rayé et tee-shirt moulant. À la fin de la chanson, Marcel Zanini, lunettes américaines, moustache rayonnante et chapeau swinguant fait une apparition féérique plongeant le public dans un abysse de perplexité. C’était une époque où le second degré avait encore sa place dans la variété.

Un roman légitimiste


Les Fidèles de Frédéric Rouvillois renouvelle le roman sur la grandeur et la décadence des vieilles familles à travers le portrait d’un patriarche qui ne veut pas voir disparaître le monde d’avant.


 Juriste de formation, auteur d’essais pointus sur le droit constitutionnel et la Vème République mais aussi d’une passionnante Histoire du snobisme et d’un Dictionnaire nostalgique de la politesse, Frédéric Rouvillois a fait ses premières armes dans l’underground monarchiste, en collaborant aux revues non-conformistes Réaction et Les Épées.

La fin des Saint-Fiacre 

Voilà qui explique le ton et l’esprit de son roman, Les Fidèles, où il évoque au moyen de quelques tableaux la fin – ou le renouveau, ce roman est d’une splendide ambiguïté – d’une antique lignée féodale, celle des seigneurs de Saint-Fiacre. En imaginant cette famille et leur vétuste demeure, a-t-il voulu faire une allusion au château du même nom, dont le père du commissaire Maigret fut le régisseur ? Peu importe. L’essentiel est dans cette description d’une famille qui se réunit à l’invitation du patriarche pour se déchirer, pour mourir une fois pour toutes… ou pour renaître, par la grâce des petits-fils, souvent plus fidèles à la tradition que leurs parents.

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La décadence des aristocraties constitue un lieu commun littéraire : songeons à Au plaisir de Dieu, de Jean d’Ormesson, cité non sans ironie dans le roman. Les Aristocrates, de Michel de Saint-Pierre, ou, moins connu, L’Hallali, de Camille Lemonnier, voire La Grande meute, de Paul Vialar ont illustré chacun à leur manière ce pan de l’histoire sociale et culturelle.

L’originalité de Frédéric Rouvillois réside dans sa fidélité sans illusion à une vision idéale de la noblesse et de la famille, vue davantage comme une forteresse immatérielle à protéger que comme l’alliance temporaire d’une poignée d’individus déboussolés. Frugalité ou avidité ? Félonie ou fidélité ? Tel est le dilemme.

Patrimoine immatériel

Caumont de Saint-Fiacre, l’ancien officier des djebels, incarne ce patriarche trahi par ses enfants, affolés à l’idée de devoir assumer à leur tour le fardeau que constitue le château, ses archives et son arsenal secret, qui date des complots contre la Gueuse et de la Résistance – fardeau matériel d’une part, le plus visible, (les ardoises, les châssis, etc.) mais surtout immatériel, le plus lourd, celui qui les forcerait à renoncer au plongeon dans le monde enchanté de Dubaï ou de Singapour.

Avec brio, Frédéric Rouvillois subvertit le cliché pour nous livrer un roman légitimiste, dense et tout en lucidité.

Frédéric Rouvillois, Les Fidèles, Pierre-Guillaume de Roux, 202 pages.

Portrait de mon père

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Le billet du vaurien


Lorsque, enfant, je me promenais avec mon père, il m’enseignait que l’homme qui s’étudie ne s’analyse pas seulement : il se crée. Il me conseillait également de tenir mon journal intime, ce que je fis dès ma douzième année.

Plus tard, quand je lui soumis mes premiers essais littéraires où je tentais non sans maladresse, ni application, d’affirmer mon originalité, il se moqua doucement de moi :

« Rien n’est plus commun que de se croire hors du commun, me dit-il. En fait, voyez-vous, les idées, même celles qui nous semblent être les plus personnelles, les plus originales, échappent au temps, comme si elles provenaient de quelque fond originel de l’âme, d’où s’élève l’esprit éphémère de l’être individuel. Ce n’est pas nous qui les faisons, ce sont elles qui nous font, comme une plante qui va porter des fleurs, donner des fruits et des graines, puis se faner et mourir. »

Il me tenait également sur les humains des propos qui, pour autant que je les comprenais, m’impressionnaient par leur caractère désabusé. Ma propre expérience devait m’apprendre qu’ils n’étaient que réalistes. « Si vous désirez une image de l’avenir, me disait-il sans jamais se départir de son sourire et en paraphrasant Orwell, imaginez une botte piétinant un visage… éternellement. »

En familier de Baltasar Graciàn, il me répétait volontiers qu’il n’y a pas grand-chose à faire dans ce monde, « sinon y patauger, tâchant de s’en tirer du mieux qu’on pourra.» Croyez-moi, les hommes vous feront peu de cadeaux, ajoutait-il. Si vous voulez avoir une vie, il vous faudra la voler.

À cette fin, il me mettait en garde contre les bons sentiments, alors que seules comptent l’âpreté au gain et la volonté de puissance. Il flairait d’ailleurs toujours une insolite probité d’esprit chez quiconque s’abstenait de professer des idées généreuses. Par dessus tout, il aimait citer son cher Marc-Aurèle : « Ce concombre est amer, jette-le ! Des ronces entravent le chemin, évite-les ! Ne demande pas : pourquoi faut-il qu’il en soit ainsi ? » À l’absurdité du réel, il refusait la niaiserie d’une explication.

Il m’invitait enfin à tout faire, à tout dire, à tout penser en homme qui peut sortir à l’instant de la vie. « Celui qui peut mourir, ne peut être contraint, ajoutait-il, c’est là notre seule liberté. » Il m’incitait également à apprendre à mourir avant de mourir. « Si vous ne vous entraînez pas à la mort, jamais vous ne pourrez acquérir la paix de l’esprit. » Quant au bonheur, il consistait, selon lui, à désirer ce que l’on possède déjà. À vrai dire, je ne lui ai jamais connu d’autre ambition que de régner sur lui-même. Sa mesure lui suffisait. La liberté n’était pas son but : elle était sa propriété.

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Israël et les Etats arabes souhaitent la réélection de Trump

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Le prince saudien Mohamed Ben Salman reçoit le président américain Donald Trump, mars 2018. Auteurs : Kevin Dietsch/NEWSCOM/SIPA. Numéro de reportage : SIPAUSA31455793_000026

Les Arabes pouvant compter sur Donald Trump pour obtenir des armes sans limitation, ils souhaitent aussi ardemment sa réélection que le gouvernement israélien. Dans un Moyen-Orient polarisé autour de l’ennemi iranien, qu’adviendra-t-il en cas de victoire de Joe Biden ?


 

Benyamin Netanyahou n’est pas seul à souhaiter la réélection de Donald Trump en novembre 2020. Les États arabes, en particulier ceux du Golfe, sont préoccupés par les sondages qui prévoient l’échec du président actuel par 41% contre 50%. En cas de victoire, le candidat démocrate Joe Biden pourrait se glorifier d’avoir imposé un mandat unique à Donald Trump dans un cas de figure rare, celui de la non-réélection d’un président sortant. Alors qu’au début de l’année, l’élection était une formalité pour le candidat républicain, le coronavirus a rendu le résultat imprévisible. La crise économique et sanitaire a certes été une des raisons de la désaffection de l’électorat républicain, mais le coup de grâce a été donné après le meurtre de George Floyd qui a réveillé les stéréotypes racistes, oubliés depuis longtemps.

De vieux candidats

Les observateurs politiques s’étonnent qu’aux États-Unis les candidats de valeur soient rares, préférant les affaires à la politique. Les Américains sont donc contraints de se rabattre sur les vieux politiques peu disposés à envisager la retraite. Alors l’élection se fera par défaut ; les citoyens voteront contre un candidat plutôt que pour celui de leur choix car la roue a tourné et ils pénalisent celui qui aura détourné l’économie de la situation de beau fixe dans laquelle elle était plongée. Quelques États décideront en fait du vainqueur. Joe Biden est en tête dans six États symboliques à savoir le Michigan, la Pennsylvanie, le Wisconsin, la Floride, l’Arizona et la Caroline du nord où Trump avait gagné de justesse en 2016. En raison des difficultés économiques, le président sortant a perdu la confiance de ceux qui approuvaient  sa politique populiste mais qui le condamnent à présent à cause de la résurgence du chômage.

Les Démocrates ont de fortes chances de prendre le Sénat aux Républicains et le contrôle des trois branches de la gouvernance. Mais Trump ne paie pas uniquement pour la crise du coronavirus, il paie pour son arrogance et son narcissisme et même pour son racisme. Ses adversaires ne seront pas déçus car ils caressent ce rêve depuis le début de son mandat, espérant chaque jour le voir détrôné.

25 milliards de vente d’armes

Une grande déception saisit aujourd’hui les États arabes, et ceux du Golfe en particulier, qui avaient apprécié l’«accord du siècle» de Trump parce qu’il grignotait une partie des ambitions israéliennes. Ils savaient qu’ils pouvaient aussi compter sur Israël pour les soutenir ouvertement contre l’Iran dont la capacité de nuisance était loin de s’estomper malgré les sanctions américaines. Les Américains s’étant désengagés, d’une certaine manière Israël s’était substitué à eux en tant qu’ogre chargé de faire peur.

Les Arabes pouvaient compter sur Trump pour obtenir des armes sans limitation. D’ailleurs les ventes ont plus que doublé en valeur durant ces derniers mois. Des accords de 25 milliards de dollars ont été signés avec neuf pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord  alors que le montant en 2018 n’était que de 11. D’ailleurs à l’échelle mondiale, avec Trump au pouvoir, les ventes d’armes américaines ont augmenté de 42% cette année, pour atteindre un total de près de 70 milliards de dollars, le niveau le plus élevé depuis 2010, avec plus d’un tiers du total mondial pour le seul Moyen-Orient. En Afrique du nord, le Maroc a été le plus gros client avec des ventes qui se sont élevés à 10 milliards de dollars, pour des F-16 et 36 hélicoptères d’attaque AH-64E Apache. Les autres pays du Golfe, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Qatar, l’Arabie saoudite et le Koweït, ne sont pas en reste avec 14 milliards de dollars d’accords. C’est pourquoi tous ces clients sont inquiets de l’avenir de leur approvisionnement militaire.

L’inconnue Biden

Qu’en serait-il demain avec Joe Biden qui pourrait s’aligner sur les gouvernements européens qui ont bloqué les ventes d’armes à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis sous prétexte qu’ils combattent au Yémen ? Au Royaume-Uni, une décision de justice a entraîné la suspension des ventes d’armes à l’Arabie saoudite, bien que le gouvernement de Londres ait à plusieurs reprises enfreint ses propres engagements à cet égard. En fait, les Occidentaux donnent l’impression de vouloir vendre des armes uniquement pour les défilés, en ayant pris le soin de jauger au préalable les ennemis de leurs clients.

Trump a accepté ces ventes d’armes malgré l’opposition du Congrès américain qui avait émis des réserves en raison de la guerre civile qui fait rage au Yémen, et pour des sanctions après le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi au consulat saoudien à Istanbul en octobre 2018. Mais le président américain ne voulait pas transiger, estimant que la sécurité de ses alliés était en jeu. Par ailleurs en termes d’affaires, il n’avait pas à tenir compte des questions de Droits de l’homme ou de démocratie.

Rien ne dit que Joe Biden, élu, ne poursuivra pas cette politique de soutien aux pays arabes car il s’agit d’une stratégie pour promouvoir les intérêts américains avant d’être une adhésion aux régimes autocrates. Les Démocrates et les Républicains ont toujours eu une conception voisine des relations avec l’étranger, avec Israël en particulier. Au cas où la victoire démocrate serait concrétisée, l’administration américaine cherchera certainement à encourager un meilleur respect des droits de l’homme dans les pays arabes, mais sans jamais mettre en danger les questions sécuritaires.

Israël : l’annexion compromise ?

En revanche, Joe Biden n’est pas certain d’approuver une quelconque annexion de la Cisjordanie par Israël. Sentant le vent tourner, Netanyahou veut anticiper le débat et préparer son aile radicale à une révision de sa politique en Cisjordanie. Il anticipe l’échec programmé de Trump en précisant que la souveraineté sur les implantations de Cisjordanie  nécessite le soutien total des États-Unis. Une manière de reporter sur son allié la décision de décaler aux calendes grecques cette annexion. Mais la victoire de Joe Biden serait moins pire que celle de Bernie Sanders, le dirigeant le plus haï en Israël et dans les pays arabes pour son indulgence vis-à-vis des agissements des Iraniens.

Le paysage économique a changé au Moyen-Orient. Les besoins mondiaux en pétrole diminuent en raison de la crise certes mais par suite du développement de technologies énergétiques alternatives et de la découverte de nouveaux gisements pétrolifères en Amérique du Nord. Les États du Golfe n’ont plus la même importance que naguère. L’effondrement des prix du pétrole après la pandémie n’a fait qu’accélérer cette tendance. Cela a surtout fragilisé les pays du Golfe qui, dans les périodes fastes, n’ont jamais songé à se diversifier et à s’industrialiser pour devenir moins dépendants d’un soutien extérieur.

Le Golfe mise sur Israël

Le désengagement américain n’a pas arrangé les choses alors qu’aucun autre pays, la Russie ou la Chine par exemple, n’est en mesure de remplacer les États-Unis pour garantir la sécurité des pays arabes. Ils sont trop engagés avec l’Iran. C’est d’ailleurs pour cela que les États du Golfe ont ouvertement misé sur Israël pour leur développement économique et pour leur sécurité. Yossi Cohen, le patron du Mossad, ambassadeur-bis israélien, habitué des palais arabes, facilite les joint-ventures entre industries israéliennes et arabes, dans le secret des alcôves dans un premier temps. Mais les potentats arabes sont réfractaires au changement et surtout au modernisme qui risquent de leur faire perdre le contrôle sur leurs citoyens. Or Israël est le seul État qui pourrait garantir de manière fiable le statu quo.

Mais, malgré des tentatives de plus en plus médiatiques, la normalisation des relations d’Israël avec les pays arabes comporte des risques substantiels pour les États du Golfe, sur le plan des relations interarabes et du conflit israélo-palestinien. Le projet israélien d’annexion de la Cisjordanie complique la situation. Une certitude cependant, les États du Golfe et Israël, qui ont tout misé sur Trump, risquent d’être de grands perdants en cas de défaite des Républicains.  Ils craignent que l’Iran en profite pour étendre sa politique de nuisance dans la région avec un président américain trop pacifique.

80 kms/heure: une imposture pseudo-scientifique

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(c) ALLILI MOURAD/SIPA/1807041550

Le rapport public faisant le bilan de «l’expérimentation» de la baisse de 90 à 80 km/h de la vitesse maximale sur les routes secondaires est un cas d’école du dévoiement d’études à des fins de justifications politiques. Le rapport de 122 pages ne démontre à aucun moment que la mesure a sauvé des vies ou même réduit la pollution et les nuisances. Ce sont des possibilités. Rien ne permet de l’affirmer ou d’affirmer le contraire d’ailleurs…


En préambule et pour que la problématique soit bien posée, la vitesse est un facteur aggravant de tous les accidents automobiles. C’est tout simplement de la physique. Plus la vitesse est élevée, plus l’énergie dégagée lors du choc est forte et plus les dégâts sont importants. Cela dit, la vitesse n’est pas pour autant à l’origine des accidents et il faut prouver qu’en la limitant le nombre d’accidents a bien baissé.

Dans ce domaine, les pouvoirs publics font la démonstration de ce que peut être de la propagande habillée de statistiques pseudo scientifiques. Cela est aussi malheureusement souvent le cas en matière d’énergie de la part d’organismes publics voire de cabinets ministériels. L’objectif n’est pas de tirer des conclusions rigoureuses d’une expérience mais de justifier à tout prix des décisions et des à-priori.

Amalgames et conclusions arbitraires

Revenons à la décision prise d’imposer à l’été 2018, le 1er juillet, la vitesse maximum à 80 kilomètres heure pour les voitures et les motos au lieu de 90 kilomètres heure sur les routes secondaires. L’argument avancé alors était que cela permettrait de sauver des centaines de vies par an, de «350 à 400 par an» selon le Premier ministre Edouard Philippe. Depuis, pour justifier une mesure impopulaire et qui a été en partie à l’origine du mouvement des gilets jaunes, on assiste tous les quelques mois à des publications officielles de statistiques et d’argumentaires censés démontrer l’efficacité et la justesse d’une mesure incontestable puisqu’elle permet de «sauver des vies». Sauf que les argumentaires en question ne prouvent rien.

À lire aussi : Transition énergétique: le trublion Moore s’attaque à l’escroquerie du siècle

Le dernier en date fait le bilan après deux ans «d’expérimentation». Il a été fait par le Cerema, (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement). Ce dernier a été missionné par Edouard Philippe pour établir un bilan et respecter ainsi une clause de revoyure au 1er juillet 2020. Ces conclusions sont évidemment favorables et aujourd’hui, la mesure a donc été entérinée sauf par les départements, nombreux, qui ont décidé de l’annuler en dépit des pressions parisiennes et des préfets.

Selon Marie Gautier-Melleray, fraîchement nommée déléguée interministérielle à la sécurité en remplacement d’Emmanuel Barbe, les études du Cerema prouvent que 349 vies ont été sauvées entre le 1er juillet 2018 et le 29 février 2020. La période a été choisie en raison du confinement mis en place le 17 mars mais elle ne tient pas compte du mouvement des gilets jaunes. Le problème est que le Cerema ne démontre rien… Par définition, l’accidentalité est multi-factorielle. Il aurait donc fallu déterminer l’importance respective des différentes causes d’accidents selon les périodes comparées. Un travail difficile qui n’a pas été fait. Alors comment le Cerema peut tirer des conclusions mettant en avant un seul facteur arbitrairement choisi comme cause d’accident à savoir la vitesse et sa diminution moyenne de 3,3 km/h! Parmi les autres causes d’accident possibles, on peut citer pêle-mêle: l’alcool, les stupéfiants, l’erreur humaine, l’inattention et la somnolence, l’usage du téléphone portable, la défaillance mécanique, le mauvais état de la chaussée ou du véhicule, les conditions météorologiques…

Poursuivez la lecture de l’article sur le site de Transitions&Energies en cliquant ici

Google, une certaine idée du séparatisme

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google racisme nnirs blancs
Auteurs : Anthony Behar/Sipa USA/SIPA. Numéro de reportage : SIPAUSA30229457_000002

Le moteur de recherche le plus utilisé du monde vient d’ajouter une fonctionnalité afin d’identifier les commerces tenus par des Noirs. Un petit pas pour le progressisme mais un grand pas pour le racialisme et la désunion nationale.


 

Avec plus de 90% du marché, Google détient un quasi-monopole dans son domaine d’activité. Chaque seconde, plus de 80 000 requêtes sont effectuées sur son moteur de recherche dont la plupart proviennent des Etats-Unis. Dans le contexte des émeutes liées au mouvement Black Lives Matter, l’entreprise vient de décider qu’il était de bon ton d’identifier publiquement les commerces tenus par les Afros-américains afin de soutenir cette communauté et d’inviter ses utilisateurs à privilégier ses représentants. Il s’agit surtout de faire preuve du plus cynique opportunisme économico-politique mais passons.

Guerre au mâle blanc

Le géant du Web n’en est pas à son coup d’essai. Dès 2018, Google ajoute une fonctionnalité « Women Led » afin d’identifier les commerces tenus par les femmes, se vautrant déjà alors dans l’idéologie SJW (Social Justice Warriors).

Mais privilégier, c’est choisir, et choisir, c’est discriminer. Il n’échappe à personne que la guerre contre le mâle blanc est ouverte depuis un moment, mais on est désormais passé du stade de l’idéologie à l’application, de l’esprit à la matière. S’il faut privilégier les commerces tenus par des noirs ou des femmes, il convient donc d’éviter ceux tenus par des hommes blancs. Simple logique. Mais pourquoi s’arrêter là ? Le mouvement est lancé, il serait fort dommage de ne pas profiter de l’élan afin d’aller plus loin encore. Pourquoi ne pas prévoir l’identification des commerces blancs ? Il serait si simple de le faire digitalement. Et ne nous arrêtons pas ici non plus. Pourquoi ne pas inscrire « Cracker » (équivalent du terme péjoratif « babtou » aux Etats-Unis) directement sur les vitrines des enseignes comme le si bienveillant « Juden » des années 30 ? On pourrait même imaginer un symbole pour les entrepreneurs blancs.

Les possibilités sont illimitées tant l’homme (pardon, la femme et l’homme…) est/sont ingénieu-e-s-x.

Get Woke, Go Broke

Google est loin d’être isolé dans ses initiatives « progressistes » comme peuvent en témoigner les récentes évolutions chez d’autres acteurs et dans d’autres domaines comme le site Internet Reddit, où les règles du site communautaire viennent d’être modifiées afin de permettre implicitement le racisme anti-blanc par une absence de sanction de la présence de ce dernier sur le site, ou encore au New York Times qui a pris la décision révolutionnaire d’écrire à l’avenir « Black » avec une majuscule et « white » avec une minuscule.

Et pourtant il a déjà été démontré maintes et maintes fois par la pratique, notamment dans le monde universitaire, que toute tentative de discrimination positive est un échec.            C’est bien cela le plus triste : les premières victimes de cette initiative risquent à court terme d’être les commerçants noirs eux-mêmes. S’ils sont identifiés, ils peuvent tout aussi bien être évités…

« Get Woke, Go Broke » (« Devenez éveillé et soyez fauché ») : ce nouvel adage apparu dans les milieux conservateurs américains fait référence aux multiples échecs progressistes dont Hollywood est le plus bel exemple. La plupart des films récents, ayant tenté de faire avaler aux spectateurs la pilule bleue du progressisme, ont d’ailleurs échoué au Box-Office (Ocean’s Eight, Ghostbusters, etc…).

Beaucoup de commerçants Afro-américains ont déjà subi la casse et la ruine de leur boutique par les émeutiers lors des jours les plus violents des manifestations de juin. N’est-il pas temps de les laisser tranquilles ? Comme l’a si bien dit Morgan Freeman dans une interview accordée en 2006 où on lui a demandé ce qu’il fallait faire pour mettre fin au racisme : « Stop talking about it » (« Arrêtez d’en parler »).

John Bolton persiste et signe (2/5)

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John Bolton présente son livre à USA Today (c) Jasper Colt-USA TODAY/Sipa USA /30105194/usa/2006221513

John Bolton revient sur les grands dossiers internationaux du mandat de Donald Trump : Russie, Iran, Syrie, etc.


 

La première partie de l’article est à retrouver ici.

Dans un texte dense et détaillé de 570 pages, l’ancien NSA (conseiller à la sécurité nationale), l’ambassadeur John Bolton, raconte les 17 mois passés au sein de l’administration du président Donald Trump. The Room Where it Happened, la pièce où tout s’est passé, est en fait le vaste monde où se déroulent les relations étrangères. Ce document permet de juger sur pièces un président hors normes … ou en-dessous de tout.

L’auteur raconte, pour chaque dossier, l’élaboration d’une stratégie—en étroite collaboration avec John Kelly, chef du cabinet, Mike Pompeo, Secretary of State [ministre des affaires étrangères], James Mattis, Secretary of Defense et le président— son application, les embûches, les conséquences.

Bachar al Assad utilise des armes chimiques… encore une fois

Bolton est à peine installé dans ses meubles quand le dictateur syrien attaque l’opposition avec des armes chimiques. Le président américain annonce par tweet qu’il ne fera pas comme Obama, qui avait tracé une ligne rouge pour la recouvrir aussitôt de sable frais. Bolton consulte alliés et collègues. La France et le Royaume Uni sont partants pour une opération militaire, Mattis prépare une gamme d’options. Trump hésite, Macron se dit prêt à y aller seul. Quant au choix des cibles, le président français estime que le minimum serait trop faible et le maximum trop agressif. Il opterait pour celui du milieu. « Je ne sais pas, dit Bolton, ce qu’il voulait dire. Est-ce qu’il le savait lui-même ? Il faisait peut-être du cinéma ». 

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Trump, lui, pense qu’on devrait se débarrasser des coûts et des complications en remplaçant la présence américaine en Syrie par une « OTAN » arabe, qui assumerait l’opération militaire et son financement ! Entre Mattis qui, selon Bolton, pipe les dés contre une réponse musclée, et Trump, qui se tord en contradictions, la réaction tombe comme un cheveu sur la soupe, sans impressionner Assad ni servir de base à une politique cohérente en Syrie.

Retrait du JCPOA, l’Iran deal

Bolton déplore l’absence, plus d’un an après la prise de fonction de Trump, d’une équipe stable et d’une politique claire face aux provocations iraniennes. Son but immédiat est de finaliser le retrait du JCPOA – décidé mais toujours reporté – tout en gardant un bon rapport avec les alliés européens déterminés à sauver cet accord. Le 24 avril, Brigitte et Emmanuel Macron arrivent pour une visite d’Etat, que la première dame voudrait aussi somptueuse que la réception des Trump à Paris en juillet 2017. Lors d’un long entretien en tête à tête, Macron, parlant anglais, essaie de persuader son homologue américain d’améliorer le JCPOA, que « no one thinks is a sufficient deal», mais Trump le déçoit. Ce sera un retrait sec avant la négociation d’un nouveau deal.

Mais le problème avec l’Iran ne s’arrête pas là. Les ambitions nucléaires de la théocratie iranienne, dit Bolton, sont encore plus graves que celles de Kim Jong Un. Le président est distrait, impulsif, erratique et peu fiable. Toujours sévère à l’égard d’Obama, Trump finit par le suivre, d’abord par aversion pour les engagements étrangers, ensuite par un calcul du rapport coût/bénéfices défavorable aux USA.

Rencontre au sommet à Singapour

À peine sorti d’un mauvais deal, Trump se précipite vers un autre : le sommet avec Kim Jong Un. Bolton, Kelly et Pompeo tentent en vain d’empêcher le président de faire de graves erreurs, mais il s’imagine régler au cours d’un seul sommet le deal qu’aucun, avant lui, n’a pu réaliser. Le premier ministre japonais arrive à Mar-a-Lago pour parler des échanges commerciaux et des relations avec la Corée du Nord. Abe et Trump sont d’accord sur une politique ferme… sauf que Pompeo est en train d’organiser le sommet Trump-Kim Jong Un !

Le sommet est prévu les 12-13 juin. Trump pousse Bolton, lors de ses interventions dans les médias, de « me couvrir d’éloges, parce que ce que je fais, c’est extraordinaire. Moon va me proposer pour le Nobel de la paix »!  Bolton se dit que tout ce « fandango » est le fruit de la « sunshine politique » [soyons gentils] du leader sud-coréen. Kim a vite compris comment embobiner Trump qui, lui, s’imagine les négociations théâtrales autour d’une histoire d’amour entre deux chefs d’États merveilleusement atypiques qui sauront réussir l’impossible. L’équipe rapprochée du président tente en vain de le briefer sur les réalités géopolitiques, le premier ministre japonais rappelle qu’il ne faut pas brader les meubles, mais Trump s’amuse comme un gamin dans un parc d’attractions. Il admire Kim, « un homme bien, malin, secret, sincère et haut en couleur ».

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Suite à un accroc diplomatique, le sommet de Singapour est annulé, puis brusquement reprogrammé, à l’insistance du président américain. Au sommet, Trump se hâte de faire des concessions, notamment la suspension des exercices militaires avec la Corée du Sud… une réduction des frais, qui plaît au président-hommes d’affaires. Il confie à Kelly, Pompeo et Bolton qu’il savait dès le premier jour du mandat que ce genre de deal serait fastoche pour lui. Le président et le dictateur tout sourire se félicitent mutuellement d’être les seuls à pouvoir régler l’affaire. C’est quoi, notre secret, demande Kim. Tous les autres étaient stupides, répond Trump.

Au retour à Washington, Trump annonce par tweet que c’en est fini de la menace nucléaire nord-coréenne. Fastoche, comme il l’avait dit. Laissant le président à sa joie, Pompeo s’entretient à Pyongyang avec son homologue, l’homme fort Kim Yong Chol, qui dénonce une demande de dénucléarisation unilatérale digne d’un gangster. Des mois passent sans le moindre progrès. Trump s’impatiente, se lance dans des riffs : pourquoi la guerre de Corée, pourquoi le maintien de bases militaires, des exercices militaires, on nous prend pour des pigeons, ça coûte cher et ainsi de suite. Toujours aussi sourd aux conseils de son équipe, Trump poursuit l’échange de lettres « oléagineuses » avec Kim et se propose de l’inviter à la Maison Blanche. Bolton est sûr qu’après les élections de mi-mandat « le train de concessions roulera à grande vitesse ».

Rencontre Trump-Poutine à Helsinki

L’équipe craint, comme d’habitude, les faux pas du président. Briefé, préparé, coaché, il part tout de même en vrille dès qu’il se trouve face à son interlocuteur. Bolton redoute de laisser le président seul face à son homologue russe, qui est confiant, posé, et connaît les dossiers. Fiona Hill (devenue par la suite témoin clé dans l’enquête d’impeachment) présente pendant le long entretien en tête à tête, au cours duquel Trump lui a interdit de prendre des notes, dit que Poutine a monopolisé 90% de la conversation.

À lire aussi : Etats-Unis: Trump, président d’un pays en pleine crise morale

L’entretien est suivi d’une conférence de presse désastreuse où Poutine dit qu’il souhaitait la victoire de Trump en 2016, parce qu’il avait promis d’améliorer les relations russo-américaines. Trump balbutie : Mes gens sont venus me dire « C’est la Russie [qui s’est mêlée aux présidentielles américaines], Poutine m’a dit les yeux dans les yeux que ce n’est pas la Russie, ce qui me semble logique, après tout, pourquoi ce serait la Russie, mais je voudrais quand même voir le serveur, mais j’ai confiance en tous les deux… mes services secrets… mais le démenti du président Poutine était très fort, très puissant. » Kelly et Bolton sont tétanisés ! De retour à la Maison Blanche, Trump rétropédale, prétend qu’il avait voulu dire « il n’y a pas de raison que ce ne soit pas la Russie ». Bolton s’imagine Poutine se tenant les côtes de rire de son exploit à Helsinki.

Sommet de l’OTAN à Bruxelles

C’était visible à l’œil nu en temps réel : le président américain était ronchon au sommet de l’OTAN. John Bolton confirme et nous donne l’envers du décor. À son avis, l’apport de la grande puissance américaine à l’opération de l’alliance est justifié par la défense des intérêts nationaux. Trump ne veut plus gaspiller de l’argent pour défendre une Europe ingrate. Il menace de quitter l’OTAN, confond le budget défense des membres avec la contribution aux frais de fonctionnement dont « 90% sont réglés par nous » (un chiffre, selon Bolton, probablement inventé). Trump tempête, prétend que le budget de l’OTAN est fixé par le méchant Junker qui déteste les USA. La tirade enfle : il en a marre d’être arnaqué par les Européens profiteurs qui ne veulent pas acheter nos produits, maintenant c’est fini, notre pays était dirigé par des idiots, c’est fini, s’ils veulent qu’on soutienne l’OTAN, ils ont intérêt à l’améliorer le déficit commercial…

Bolton avait tenté de finaliser la déclaration de fin de sommet à l’avance pour éviter la débâcle du G7. Il remarque en passant que les Français ont pour habitude, dans les rencontres internationales, de refuser de signer le communiqué si leurs demandes n’ont pas été satisfaites.

Au déjeuner de travail à Londres, on parle Brexit, Corée du Nord, Chine. Trump exulte : lors de sa visite en Chine, en novembre 2017, il a été accueilli par 100 000 soldats, « Il n’y a jamais rien eu de semblable dans l’histoire du monde. » Il y a aussi l’Iran, l’Afghanistan, l’Ukraine …

La troisième partie de l’article est disponible en cliquant ici 

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Il faut sauver le juge Mongeville

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L'acteur Francis Perrin © PJB/SIPA Numéro de reportage: 00760660_000056

Depuis 2013, Francis Perrin est à la tête de la série policière de France 3, dans laquelle il incarne un juge à la retraite. La série est menacée…


Parce qu’elle fait d’excellentes audiences, même lors de la rediffusion d’anciens épisodes, durant l’été. Les débats sont clos. Dans un monde marchand, ce seul argument, commercial et publicitaire, devrait suffire à emporter tous les suffrages. Fin de la discussion.

« C’est un peu court, jeune homme », entend-on dire, dans les couloirs de France Télévisions où l’on s’interroge sérieusement sur la poursuite de cette série créée par Jacques Santamaria, à l’antenne depuis 2013. Les acteurs, Francis Perrin en tête, ne comprennent pas cette hésitation. Ils prennent ce possible couperet pour un affront, le déni du travail bien fait et la perte des valeurs du service public. Le succès n’étant plus la garantie de la programmation, l’insuccès doit donc être mécaniquement un signe de longévité. Le public s’est ému de ce « flou décisionnel » alors que le tournage des derniers épisodes vient de s’achever à la mi-juillet. S’arrêtera ou s’arrêtera pas ? Mystère. Une pétition de soutien a été lancée sur les réseaux sociaux où des milliers de fans ont déclaré leur flamme à ce juge retraité, rond comme un saucisson chaud, accompagné de sa pétillante capitaine de Police et de son atrabilaire commissaire Briare. On ne veut pas croire que l’arrêt éventuel de cette série soit motivé par des raisons idéologiques. Non, pas chez nous, au pays de Dumas et de Molière, de Lazare Iglésis et de Marcel Bluwal, où la liberté de fiction fait fi des dogmes et des modes. Ce serait trop grave, notre République hertzienne déjà affaiblie n’y résisterait pas.

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Pourquoi des technocrates du petit écran voudraient-ils bannir une comédie policière bien ficelée, admirablement interprétée, donnant au divertissement télévisuel ses lettres de noblesse, chaque samedi soir ? De la belle ouvrage, sans prétention et sans bassesses, sans désir d’harponner à tout prix le téléspectateur avec l’air du temps, avec juste ce qu’il faut d’amusement et de légèreté pour l’embarquer durant quatre-vingts dix minutes. Y-aurait-il des arrière-pensées communautaires, victimaires, sociologiques ou démagogiques à la manœuvre ? Une volonté délibérée de rayer du paysage audiovisuel une forme particulière de réalisation ou un type d’acteur. Je ne veux pas croire que, dans mon beau pays éclairé, on refuse l’antenne à un acteur parce qu’il serait jugé trop âgé, trop « bourgeois », trop débonnaire, trop français, trop provincial ou trop lettré. Je ne veux pas croire qu’on classe et déclasse les comédiens parce que leur visage ne correspondrait pas à l’image qu’on se fait d’une société dite plurielle. Cette discrimination-là serait inacceptable, intolérable, odieuse, il en va de notre communion de pensée.

Comme j’aime les actrices de plus de cinquante ans, elles m’enchantent, je ne me lasse pas de voir Elisabeth Bourgine, Sabine Haudepin ou Nathalie Boutefeu dans l’exercice de leur profession, j’aime Perrin, sa mine gourmande, son œil qui frise, son épaisseur nostalgique. Je veux simplement, honnêtement, lucidement qu’on se replace sur le terrain du jeu, du scénario, du dialogue, du bien-être distillé, du confort de vision, du moment agréable à partager en famille et qu’on oublie un peu les agitateurs virtuels. Mongeville concourt à cette fabrique du bonheur, le souci d’un métier exécuté à la perfection où le travail s’oublie derrière la manière et le talent. Avec Francis Perrin, j’ai l’impression de chausser mes charentaises, n’y voyez pas une quelconque ironie, plutôt le sentiment d’une justesse de ton, de cette fluidité qu’on ne rencontre que chez les très grands (Noiret, Rochefort, Marielle, Brasseur, etc…). Ces comédiens-là ne brusquent pas la caméra, leur texte coule comme l’eau vive, leurs mots et leurs gestes sont naturels, ils déploient cette aisance qui fascine et rassérène. Perrin est de ces artisans-là comme les définissait Philippe Noiret dans Mémoire cavalière : « J’ai toujours eu la plus grande considération pour les hommes de l’art. Un artisan, c’est avant tout quelqu’un de concret et de modeste, sans être faussement modeste ; il fabrique des objets de qualité, qu’on peut regarder, dont on peut se servir avec plaisir. Ce qui, déjà, n’est pas rien. Lorsqu’on lui donne de vrais moyens, une vraie matière première, il peut même en arriver à s’approcher de l’art ». Donnons donc à la série Mongeville la chance de poursuivre son chemin et de tracer son propre sillon. Il y a assez d’espace pour que cohabitent tous les genres policiers en France à la télé, un large éventail, du réalisme cru à la fantaisie soyeuse. J’ai encore envie de revoir Gaëlle Bona, tragédienne née sous l’uniforme taquin de capitaine ou Pierre Aussedat, cet immense professionnel qui me fait penser à Marc Dudicourt ou Jacques Jouanneau dans sa maîtrise scénique. Ce n’est pas un hasard si je rattache la série Mongeville au cinéma de Philippe de Broca, cet aristocrate de la comédie sautillante. On se souvient de Francis Perrin dans « On a volé la cuisse de Jupiter » et de son rôle picaresque, celui du jeune archéologue Pochet aux côtés d’Annie Girardot et de Catherine Alric.

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Quand je le vois endosser l’hermine d’un juge à la retraite, quarante ans plus tard, pour le plaisir, pour l’intrigue tranquille et subtile, pour cet humour délicat, je me dis qu’il y a là, comme une tapisserie sans fin, un compagnonnage avec son public fidèle, une harmonie qu’il serait discourtois et incompréhensible de stopper en plein succès. Mongeville n’est pas une marque, c’est un état d’esprit.

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L’infantilisation du langage joue contre notre sécurité

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Xose Bouzas / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

La fâcheuse tendance à l’euphémisme des politiques et médias s’est une nouvelle fois manifestée lors de l’affaire lyonnaise d’Axelle Dorier. Elle s’inscrit dans une longue tradition française.


Parmi les polémiques qui ont animé le début du mois de juillet, il en est une qui a retenu mon attention parce que l’horreur des faits n’a d’égale que la puérilité des mots employés pour les désigner et le ridicule des empoignades verbales voire, des effets de manches et d’épitoges qui y ont fait suite. Où, comment au 21ème siècle une guerre picrocholine devient la couronne d’épines d’une mort atroce, de quelque façon qu’on qualifie juridiquement les circonstances de sa survenance.

Rappelons très succinctement ce qui s’est passé.

Cette euphémisation, cette infantilisation du langage est un signe des temps. Car enfin, pourquoi ne pas désigner les choses par leur nom ?

Dans la nuit du 18 au 19 juillet, Axelle Dorier, une jeune aide-soignante de vingt-trois ans est fauchée par une voiture. Le conducteur prendra la fuite et trainera le corps de la malheureuse victime sur huit-cent mètres jusqu’à le démembrer. Il semble, selon ce qu’ont rapporté les journaux au lendemain du drame, que le conducteur ait délibérément percuté Axelle qui tentait de l’empêcher de fuir parce qu’il venait d’écraser son chien. Quelle était l’intention du chauffard ? Voulait-il tuer ? Essayait-il seulement de s’échapper ? Est-ce un meurtre ? Un homicide involontaire ? Personne ne le sait pour l’heure et c’est à la justice qu’il appartiendra de le déterminer. Là n’est pas mon point.

Un accident, dites-vous ?

En revanche, comme beaucoup d’autres, j’ai relevé en sursautant le terme employé par M. Macron pour qualifier cette mort abominable qui, quoi qu’on en pense, n’est pas exactement naturelle et qu’on ne peut non plus dire accidentelle, à moins de vouloir nier aussi la lumière du soleil. Le président de la République a parlé d’une de ces « incivilités » contre lesquelles il convient de lutter « avec la plus grande fermeté ».

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Saperlipopette ! une incivilité ! C’est qu’en effet, le jeune garnement qui conduisait la voiture était chahuteur et taquin au-delà du raisonnable. Il ne savait pas jouer sans faire mal et c’est très vilain. Il mérite le piquet et au moins quatre heures de colle. Ces phrases ne vous font pas rire ? Moi non plus ! mais je me mets au niveau : à travers le vocabulaire que je choisis, je ramène une tragédie au rang d’une blague potache qui a mal tourné.

Déni de réalité

Cette euphémisation, cette infantilisation du langage est un signe des temps. Car enfin, pourquoi ne pas désigner les choses par leur nom ? Pourquoi ne pas avoir dit clairement qu’il fallait lutter contre la délinquance ? N’est-ce pas un délit de foncer sur quelqu’un à vive allure, même si l’on n’a pas l’intention de tuer ? Réduire un comportement aussi indigne, aussi crapuleux, aussi lâche, à un simple manque d’urbanité, de courtoisie, de savoir-vivre est ni plus ni moins un déni de réalité et, convenons-en, une manière de camouflet infligé à celle qui se trouvait encore à l’aube de cette vie de femme qu’on lui a scandaleusement volée.

Mais il est patent que la classe politico-médiatique prise ce langage d’instituteur de classe maternelle. À preuve, le tollé suscité par les propos du ministre de l’Intérieur qui s’est aventuré à parler de meurtre, non pour se substituer aux juges, qui n’ont cure des déclarations des uns et des autres, mais pour souligner, peut-être en des termes techniquement inappropriés – l’avenir le dira –, la gravité et l’horreur du drame ainsi que le fait qu’il relève de la justice pénale.

L’histoire tragique d’Axelle est, sous ce rapport – celui du langage infantile, euphémique ou imprécis – un exemple parmi d’autres.

Réticence à nommer les choses

Lorsqu’on évoque une infraction commise par « des jeunes« , que veut-on dire exactement ? Je présume que si l’on interpellait une bande de malfrats de plus de quarante ans, on ne dirait pas qu’une « bande de vieux a été arrêtée« , ce qui signifie que l’âge n’est pas ce qu’on vise en premier lieu lorsqu’on parle de « jeunes« . Que vise-t-on exactement ? Personne ne le sait et tout le monde croit le savoir ce qui ne fait qu’engendrer la confusion et, souvent, la suspicion. Disons-le tout net, le crime n’a pas de couleur, pas de religion, pas d’ethnie, pas d’appartenance sociale. Il est de partout et depuis toujours. Alors pourquoi cet euphémisme qui dit sans vouloir dire et semble lui-même s’effrayer de ce qu’il suggère ? Pourquoi ne pas parler de crime ou de délit lorsqu’on est en présence d’un comportement susceptible de recevoir cette qualification – ce sur quoi les tribunaux auront le dernier mot – ? Pourquoi cette réticence à nommer les choses pour ce qu’elles sont ? Pourquoi cette éternelle guérilla autour des prénoms d’auteurs de faits potentiellement délictueux ? Que son violeur s’appelle John, Pavel, Jean-Eudes ou Mohamed, la victime s’en moque bien. Elle est la victime d’un viol, voilà tout, et rien d’autre ne devrait compter que de lui rendre justice.

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Même chose lorsque l’on parle des « quartiers« . Qu’entend-t-on désigner ? Il y a des quartiers dans toutes les villes de France et de Navarre et tout le monde soupçonne – ou plutôt sait – que lorsque ce mot est employé, ici par un homme politique, là par un journaliste, on ne vise pas n’importe quel quartier mais seulement certains d’entre eux que, cependant, on se refuse à décrire plus précisément, comme s’il fallait s’inquiéter qu’un évènement se produise en un lieu plutôt qu’en un autre. N’est-ce pas ainsi, au contraire, qu’on attise les peurs et la défiance ?

Délicatesse phonique

On pourrait multiplier les exemples à l’envi. Évoquer les « territoires« , sorte de fourre-tout informe qui englobe sous un vocable un peu méprisant nos belles et riches provinces (riches culturellement en tout cas). Comme si Paris et, à la rigueur, quelques métropoles étaient des forts yankees et le reste du pays une réserve indienne.  Que dire encore de la « fachosphère » (néologisme que, grâce à Dieu, les politiques n’emploient pas encore dans le discours public), cette zone aux frontières indéfinies dans laquelle chacun peut pénétrer, sans s’en rendre compte, s’il s’avise de blasphémer contre l’Évangile progressiste, ne fut-ce qu’une fois. Un mot terrible, celui-là (comme le mot « jeunes » d’ailleurs) qui engendre cet amalgame contre lequel on ne cesse pourtant de nous dire qu’il faut lutter. Parlerons-nous encore des propos « controversés » ou des « dérapages« , mots qui visent à disqualifier a priori une opinion qui, sans violer une loi quelconque, irrite la doxa professée dans un certain milieu politico-médiatique ? Que penser des termes « sauvageons » ou même « ensauvagement » (que d’aucuns estiment déjà trop explicites) dont la délicatesse phonique entend couvrir d’un voile semi-pudique des comportements crapuleux et violents ?

Pourquoi enfin, avoir peur des mots ? Pour acheter la paix sociale avancent certains. J’ignore, quant à moi, s’il s’agit de la motivation profonde de ceux qui infantilisent le langage et ébarbent un réel qui, peut-être, les inquiète. Mais comme chacun sait, « la peur n’évite pas le danger« .

Amoureux de ma langue par atavisme et de la rigueur par profession, je crois avec Camus que « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » et, comme le vieux Boileau, « j’appelle un chat un chat et Rollet un fripon. »

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PMA pour toutes: une révolution française

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Service de procreation medicalement assistee a la Clinique Pierre Cherest. Neuilly sur Seine © Julie Limont / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Le projet de loi de bioéthique et la PMA pour toutes ont été votés en deuxième lecture à l’assemblée, en catimini, vendredi dernier.


« C’est une émeute ? Non, Sire, c’est une révolution. » On connaît cette réponse célèbre du duc de La Rochefoucauld-Liancourt à Louis XVI. Nous y sommes. En finir avec l’héritage greco-romain et chrétien, c’est ce que la novlangue appelle « un changement de civilisation ».

Et d’abord, en finir, dans notre langue, avec l’héritage du latin. Aux féministes de s’en charger « parce que les stéréotypes masculins, terreau du sexisme, sont profondément ancrés dans notre société et s’expriment dans le langage et la grammaire. » D’où l’ambition de la linguiste Eliane Viennot : créer l’égalitarisme de la langue, non pas en la féminisant mais en la démasculinisant. Nuance ! comme aurait dit Arletty de son ton inimitable. Donc, en attendant de s’attaquer au disque dur de la grammaire, héritée du latin, on déracine et idéologise les mots. Et comme ce ne sont pas les mots, d’origine arabe, de fruits et légumes, ni germaniques (comme le mot guerre) qui changent quelque chose au fond lexical du français, il a fallu user de la force. Le pas politique fut franchi avec l’écriture inclusive (à manier, cependant, avec discernement, dit notre « professeuse ») dans les universités, les mairies, en attendant les lycées. L’Académie Française a eu beau rappeler, depuis 1984, que « la langue n’est pas un outil malléable et utilisable, modifiable au gré des désirs et des projets politiques » : en vain. Après « la réforme de l’orthographe », venue du Canada où le français se meurt, même au Québec, notre langue est confrontée au danger mortel qu’est « l’algue verte » de l’inclusive, selon la qualification heureuse de Sébastien Bataille dans son article de Causeur.

Pourtant, en novembre 2017, le Premier ministre, fidèle à l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, toujours en vigueur, avait fait une mise au point bannissant l’écriture inclusive des textes émis par le gouvernement. Mise au point aucunement relayée par les médias. Et pour cause ! C’est ainsi que la mairie de Lyon a imposé récemment l’inclusive, suivie par d’autres mairies. Or, cette révolution politique – les maires contre le pouvoir central – vient d’un protocole européen, imposant aux pays membres de l’Europe, la féminisation de la langue. Et, bien évidemment, c’est dans les facultés que règne en tyran, depuis longtemps, l’inclusive, avec l’indigénisme, le tout surfant sur la vague écologiste.

Après la langue, c’est le droit romain qui est touché en plein cœur avec les lois sociétales. Avec les lois sur la filiation, c’en est fini du « mater semper certa est » et de la présomption de paternité qui fondait le droit sur la raison et la vraisemblance. Fini, également, « l’intérêt supérieur de l’enfant », mots bannis de l’hémicycle. Là encore la directive vient de Bruxelles, quand, le 13 janvier 2017, le président de la Cour de cassation a fait allégeance au président de la Convention de la Cour européenne des droits de l’homme.

Les clusters du progressisme

Dans la culture, l’héritage humaniste s’est perdu au profit du métissage auquel sont promises, selon Jacques Attali, l’Europe et donc la France. Des intellectuels y ont prêté les mains en fantasmant l’influence arabe dans l’Occident par l’apport de traductions des philosophes grecs. Tout juste si le français ne viendrait pas de l’arabe ! Et si la philosophie grecque n’était pas née en Andalousie ! Dans les lycées, l’humanisme est remplacé par une « culture » anglo-saxonne masquant une méconnaissance navrante de nos grands auteurs classiques. Or, connaître ses classiques, c’est saisir les idées à leur source. En même temps, avec la fin de cet enracinement latin, s’impose le globish qui, rappelons-le, n’est aucunement l’échange naturel des langues entre elles mais l’intrusion systématique de mots anglais, avec une simplification de la syntaxe. Fi de la loi Toubon : on se gargarise du mot cluster.

Que dire de l’héritage chrétien ? Il paraît en péril. Sauf que les églises ont beau brûler et les enfants ne plus être baptisés, l’héritage nous tient aux racines. Si le catholicisme subit une crise – ô combien sévère ! – il n’est pas mort. Là, encore, c’est le catholicisme romain, fondé sur les apôtres, Pierre et Paul, qui vacille, avec une tentative tortueuse, venue du cœur de l’institution, de protestantisation des dogmes, mâtinée de Deep ecology.

C’est à l’Assemblée que se perçoit cette atmosphère révolutionnaire, où fut voté, à trois heures du matin, dans la nuit de vendredi, un programme éthique délirant, qui touche au cœur de notre humanité. Dans l’hémicycle, on n’avait que le mot « amour » à la bouche (Olivier Véran), et Dupond-Moretti : « le mariage n’est plus le mariage à la Napoléon mais repose sur l’amour. » Remarque significative d’une révolution, dans la bouche d’un juriste, puisqu’avec Napoléon, le mariage était fondé sur le consentement. Décidément, que le consentement exclue l’amour est une « idée neuve » en France mise au service de toutes les causes ! Sauf que, dans cette nursery qu’est  devenue la Chambre, on a oublié d’évoquer la rivalité d’ « amour » maternel que va susciter, au sein du couple des deux mères, la mère allaitante. Nul doute que le garde des sceaux n’ait une réponse ad hoc.

Catalogue de transgressions

Révolution, cette réforme de la filiation ? Ou « formidable bordel », pour reprendre le titre d’une pièce de Ionesco ? On hésite. Serait-ce que la cause est mal défendue depuis que la tribune ne résonne plus des grandes voix de Mesdames Schiappa, Belloubet et Buzyn ? Seul Monsieur Touraine déroulait un catalogue irréel de transgressions. Etrange atmosphère.

Le garde des Sceaux, on l’attendait. On ne fut pas déçu. « Ce n’est pas la GPA qui s’invite dans le débat. Elle s’est invitée dans notre époque et dans notre société qu’on le veuille ou non. » Qu’en termes juridiques ces choses-là sont dites ! Et quand s’invitera « le trouple » ? À Thibault Bazin dénonçant, vendredi, « les jeux de faux semblants » du gouvernement concernant une GPA faite à l’étranger, le garde des Sceaux répondit : « Vous voudriez qu’on interdise à des Français d’aller à l’étranger ? » Sans parler de raisonnement, on cherche l’étincelle de l’éloquence. Peut-être est-il impossible de relever le challenge d’une cause, vraiment indéfendable ?

Something is rotten in the States of Danemark. On connaît cette phrase de la pièce d’Hamlet, souvent citée pour qualifier la décadence européenne. Avant d’enterrer le Code civil napoléonien, souvenons-nous qu’après 16 ans de suppression, le calendrier romain (grégorien) a été rétabli, le 1er janvier 1806. Et que la paix civile est le bien le plus précieux d’un pays.

Cet été, avec les filles je ne sais pas!

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Le chanteur Philippe Lavil en 1976 © LECOEUVRE PHOTOTHEQUE / Collection ChristopheL via AFP

En 1970, Philippe Lavil, philosophe balnéaire, guidait la jeunesse française vers l’impasse amoureuse


Un jour, dans un siècle, peut-être, on étudiera la discographie de Philippe Lavil, penseur martiniquais, béké à jolies pépées, ethnologue des rapports amoureux honteusement sous-estimé par l’Université française. Ce play-boy au carré long, grand échalas à la moue bravache, avait tout anticipé, tout vu, tout prévu de nos bouleversements intérieurs.

Visionnaire en chemise de lin

Avant les autres, cet observateur narquois de l’émoi, aristo des plages, propagateur de l’amour en mer a mis en musique les errements de l’Homme blanc, sa solitude ontologique ; il a pressenti l’avènement de la société des loisirs, l’émancipation des femmes et le retour salvateur à l’insularité. Un visionnaire en chemise de lin et panama. Un poète des discothèques. Un archiviste de nos souvenirs d’été. Le sable chaud et le flirt furent sa ligne de conduite, son horizon indépassable, il n’en dévia jamais. Il ne se laissa pas emporter par les affres de la misère urbaine, la peur du chômage et la délinquance galopante des cités bétonnées. Il s’est obstinément refusé à tomber dans un registre sérieux et larmoyant, à plaire à l’intelligentsia par des prises de position victimaires ou à paraître préoccupé par les galères du quotidien.

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Sa carrière entre hits et gadins témoigne en sa faveur. Ce garçon-là est des nôtres, du côté des perdants flamboyants, des artistes qui ne truquent pas l’existence pour passer à la télé, pour cachetonner, pour soudoyer la ménagère. Son œuvre est bien plus profonde et nostalgique qu’une analyse progressiste d’une défaite électorale ; sous son apparente légèreté, elle révèle les mystères du couple, l’improbabilité d’une rencontre, le frôlement des peaux satinées et la mer, là, immense et béate, comme un décor qui vient foudroyer la vacance des cœurs. Ses chansons s’écoutent au volant d’un cabriolet français ou italien, Peugeot 504 ou Alfa Romeo Duetto Coda Longa, sur une corniche déserte, quand l’esprit est seulement accaparé par une fille aux lèvres ourlées, entraperçue dans le hall d’un aéroport ou au bar d’un hôtel de luxe.

Esthète du microsillon

Plus sensuel que Roy Ayers et ironique que Pino d’Angio, Philippe Lavil ose chanter ce que les intellectuels taisent par ignorance ou suffisance. Souvenez-vous de vos vingt ans, l’Europe pouvait bien se construire à coups de traités et le tunnel sous la Manche annihiler nos singularités, notre tête et notre corps ne répondaient à aucune injonction technocratique. A chaque seconde de la journée, nous n’envisagions pas d’autres solutions à notre malaise  que de trouver, de capter, dans le regard de l’autre, un moment d’attention et d’abandon.

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Nous n’avions pas saisi que Philippe Lavil nous apprenait à déjouer la routine et à rire de nous en tapant sur des bambous. Nous étions bien trop prétentieux, aveugles à la beauté d’un couplet dansant, pour ressentir que ses mélodies caribéennes contenaient la trace d’une humanité rieuse et désespérée. Sa musique nous apprend à jongler avec les incertitudes et à résister à la tentation du désespoir, si facile, si évidente à l’âge où les hormones envoient des SOS en détresse au cervelet. Le chanteur qui avouait « aimer trop les dames » dans un titre prophétique « Plus j’en ai, plus j’en veux » a soldé toutes les théories de l’expansion économique en se réfugiant dans le Kolé Séré. Son premier succès « Avec les filles, je ne sais pas » sort en 1970 chez Eddie Barclay, tailleur esthète du microsillon et lui assure de très nombreux passages à la radio. Philippe Lavil s’interroge alors sur l’incohérence de l’existence.

L’époque où le second degré avait encore sa place

Pourquoi son copain Panpan « moche et fauché » le coiffe toujours au poteau lorsqu’il s’agit de ne pas rentrer seul à la maison. Le clip dans les tons orangés, est somptueux d’incompréhension et de gamineries. Le personnage de Panpan est incarné par l’immense Carlos en pantalon rayé et tee-shirt moulant. À la fin de la chanson, Marcel Zanini, lunettes américaines, moustache rayonnante et chapeau swinguant fait une apparition féérique plongeant le public dans un abysse de perplexité. C’était une époque où le second degré avait encore sa place dans la variété.

Un roman légitimiste

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Frederic Rouvillois © Hannah ASSOULINE

Les Fidèles de Frédéric Rouvillois renouvelle le roman sur la grandeur et la décadence des vieilles familles à travers le portrait d’un patriarche qui ne veut pas voir disparaître le monde d’avant.


 Juriste de formation, auteur d’essais pointus sur le droit constitutionnel et la Vème République mais aussi d’une passionnante Histoire du snobisme et d’un Dictionnaire nostalgique de la politesse, Frédéric Rouvillois a fait ses premières armes dans l’underground monarchiste, en collaborant aux revues non-conformistes Réaction et Les Épées.

La fin des Saint-Fiacre 

Voilà qui explique le ton et l’esprit de son roman, Les Fidèles, où il évoque au moyen de quelques tableaux la fin – ou le renouveau, ce roman est d’une splendide ambiguïté – d’une antique lignée féodale, celle des seigneurs de Saint-Fiacre. En imaginant cette famille et leur vétuste demeure, a-t-il voulu faire une allusion au château du même nom, dont le père du commissaire Maigret fut le régisseur ? Peu importe. L’essentiel est dans cette description d’une famille qui se réunit à l’invitation du patriarche pour se déchirer, pour mourir une fois pour toutes… ou pour renaître, par la grâce des petits-fils, souvent plus fidèles à la tradition que leurs parents.

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La décadence des aristocraties constitue un lieu commun littéraire : songeons à Au plaisir de Dieu, de Jean d’Ormesson, cité non sans ironie dans le roman. Les Aristocrates, de Michel de Saint-Pierre, ou, moins connu, L’Hallali, de Camille Lemonnier, voire La Grande meute, de Paul Vialar ont illustré chacun à leur manière ce pan de l’histoire sociale et culturelle.

L’originalité de Frédéric Rouvillois réside dans sa fidélité sans illusion à une vision idéale de la noblesse et de la famille, vue davantage comme une forteresse immatérielle à protéger que comme l’alliance temporaire d’une poignée d’individus déboussolés. Frugalité ou avidité ? Félonie ou fidélité ? Tel est le dilemme.

Patrimoine immatériel

Caumont de Saint-Fiacre, l’ancien officier des djebels, incarne ce patriarche trahi par ses enfants, affolés à l’idée de devoir assumer à leur tour le fardeau que constitue le château, ses archives et son arsenal secret, qui date des complots contre la Gueuse et de la Résistance – fardeau matériel d’une part, le plus visible, (les ardoises, les châssis, etc.) mais surtout immatériel, le plus lourd, celui qui les forcerait à renoncer au plongeon dans le monde enchanté de Dubaï ou de Singapour.

Avec brio, Frédéric Rouvillois subvertit le cliché pour nous livrer un roman légitimiste, dense et tout en lucidité.

Frédéric Rouvillois, Les Fidèles, Pierre-Guillaume de Roux, 202 pages.

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Portrait de mon père

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Photo: Heather Zabriskie / Unsplash

Le billet du vaurien


Lorsque, enfant, je me promenais avec mon père, il m’enseignait que l’homme qui s’étudie ne s’analyse pas seulement : il se crée. Il me conseillait également de tenir mon journal intime, ce que je fis dès ma douzième année.

Plus tard, quand je lui soumis mes premiers essais littéraires où je tentais non sans maladresse, ni application, d’affirmer mon originalité, il se moqua doucement de moi :

« Rien n’est plus commun que de se croire hors du commun, me dit-il. En fait, voyez-vous, les idées, même celles qui nous semblent être les plus personnelles, les plus originales, échappent au temps, comme si elles provenaient de quelque fond originel de l’âme, d’où s’élève l’esprit éphémère de l’être individuel. Ce n’est pas nous qui les faisons, ce sont elles qui nous font, comme une plante qui va porter des fleurs, donner des fruits et des graines, puis se faner et mourir. »

Il me tenait également sur les humains des propos qui, pour autant que je les comprenais, m’impressionnaient par leur caractère désabusé. Ma propre expérience devait m’apprendre qu’ils n’étaient que réalistes. « Si vous désirez une image de l’avenir, me disait-il sans jamais se départir de son sourire et en paraphrasant Orwell, imaginez une botte piétinant un visage… éternellement. »

En familier de Baltasar Graciàn, il me répétait volontiers qu’il n’y a pas grand-chose à faire dans ce monde, « sinon y patauger, tâchant de s’en tirer du mieux qu’on pourra.» Croyez-moi, les hommes vous feront peu de cadeaux, ajoutait-il. Si vous voulez avoir une vie, il vous faudra la voler.

À cette fin, il me mettait en garde contre les bons sentiments, alors que seules comptent l’âpreté au gain et la volonté de puissance. Il flairait d’ailleurs toujours une insolite probité d’esprit chez quiconque s’abstenait de professer des idées généreuses. Par dessus tout, il aimait citer son cher Marc-Aurèle : « Ce concombre est amer, jette-le ! Des ronces entravent le chemin, évite-les ! Ne demande pas : pourquoi faut-il qu’il en soit ainsi ? » À l’absurdité du réel, il refusait la niaiserie d’une explication.

Il m’invitait enfin à tout faire, à tout dire, à tout penser en homme qui peut sortir à l’instant de la vie. « Celui qui peut mourir, ne peut être contraint, ajoutait-il, c’est là notre seule liberté. » Il m’incitait également à apprendre à mourir avant de mourir. « Si vous ne vous entraînez pas à la mort, jamais vous ne pourrez acquérir la paix de l’esprit. » Quant au bonheur, il consistait, selon lui, à désirer ce que l’on possède déjà. À vrai dire, je ne lui ai jamais connu d’autre ambition que de régner sur lui-même. Sa mesure lui suffisait. La liberté n’était pas son but : elle était sa propriété.

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