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Amende de 200€ pour les consommateurs de cannabis: encore un enfumage?

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Cannabis. « On ne va pas légaliser cette merde », pérore le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin dans les médias. En attendant, l’amende forfaitaire de 200€ promise aux consommateurs a peu de chance d’être appliquée, comme le montre une note de la Direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice tombée entre nos mains.


La mise en place d’une amende forfaitaire de 200€ visant les consommateurs de cannabis, une des annonces phare de la rentrée, serait-elle un « enfumage » ? Censée désengorger les tribunaux, et selon Jean Castex « lutter contre les points de vente qui gangrènent les quartiers », la mesure semble être en réalité d’une efficacité toute relative. Dans un document que nous avons pu consulter, à destination des procureurs et émanant du Ministère de la Justice – texte signé par la directrice des affaires criminelles et des grâces Catherine Pignon–, on comprend que les conditions de verbalisation vont donner du fil à retordre aux forces de l’ordre.

Dupond-Moretti prêt à couper l’herbe sous le pied des flics

En effet, sont déjà exclus les mineurs, et les cas relevant d’une multiple infraction. Mais les exceptions ne s’arrêtent pas là. On apprend avec stupeur que le procès-verbal ne peut être dressé si la personne conteste la procédure ; ou encore, que la destruction de la drogue ne peut avoir lieu sans son accord:

« Conçu comme un dispositif simple et n’ayant pas vocation à générer un contentieux important, le recours à l’amende forfaitaire sera écarté en cas de contestation par le mis en cause de la matérialité des faits, ou de son refus de renoncer aux droits attachés à la confiscation et à la destruction des stupéfiants et matériels saisis »

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Dans ces cas, retour à la procédure normale – confiée au parquet – avec la mansuétude des juges qui débouchera dans le pire des cas sur une ordonnance pénale du même montant, ou au mieux pour l’incriminé, l’ensevelissement de son dossier sous des milliers d’affaires non-traitées.

D’après plusieurs témoignages, les policiers en charge des contraventions s’arrachent déjà les cheveux. On découvre que « les conducteurs de véhicule terrestre à moteur », ainsi que les contrevenants en possession de différents produits – et donc suspectés de polytoxicomanie –, sous l’emprise d’alcool ou de stupéfiants, ne sont pas concernés par le texte. Par ailleurs, la mesure ne s’applique pas pour la détention d’héroïne.

Toi pas comprendre, toi pas d’amende !

Page 5 du document, un détail qui va provoquer la jalousie des détenteurs d’un Bac L attire notre attention : « Ainsi, la procédure d’amende forfaitaire ne devra pas être mise en œuvre lorsque la personne présente des difficultés de compréhension du fait de son absence de maîtrise suffisante de la langue française ».

J’ai peur d’avoir bien compris. Mais si toi pas comprendre, toi pas d’amende ! Sans rire, cette distinction entre contrevenants est-elle constitutionnelle ? Je le répète, lorsque les forces de l’ordre ne verbalisent pas le consommateur, le contrôle est théoriquement suivi d’une procédure. Néanmoins, rien ne nous assure que la sanction – si, un jour, elle est prononcée ! – ne sera à la hauteur de l’amende forfaitaire. Il est donc dans l’intérêt du consommateur de ne pas avoir à régler sur-le-champ.

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La dichotomie entre le discours du gouvernement – en apparence déterminé à éradiquer la délinquance – et les textes transmis en interne aux procureurs ne présage aucune avancée sécuritaire. Il y a quelques jours, Gérald Darmanin le répétait pourtant avec fermeté sur le plateau de BFM :  « Vous avez un joint, quelques grammes de cannabis, vous avez une amende immédiatement ». Après analyse des instructions du Ministère de la Justice, permettez-moi de douter du caractère automatique de la sanction ! C’est à se demander si le virage à droite du président Macron n’est pas une vaste fumisterie ?

Ci-dessous la dépêche du Ministère de la Justice

Pour en finir avec le verrou palestinien?

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Égypte, Jordanie, Émirats arabes unis et Bahreïn reconnaissent désormais l’État hébreu. Tout le monde ne s’est pas réjoui des accords passés récemment entre Israël et des nations arabes. Pour preuve un titre ambigu du journal Le Monde. L’analyse d’Yves Mamou.


Coup sur coup, à l’instigation de l’administration Trump, deux royaumes arabes ont paraphé un accord de paix avec Israël. Les premiers, les Émirats arabes unis ont fait savoir à la mi-août 2020 qu’ils allaient normaliser leurs relations avec l’État hébreu. Moins d’un mois plus tard, Bahreïn a annoncé lui aussi son traité de paix avec Israël. 

Ces deux accords historiques ont suscité plus de désarroi que d’enthousiasme dans les chancelleries européennes. Le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, a réaffirmé sa volonté de rester « fidèle à une solution négociée à deux États (Israël-Palestine) » et Emmanuel Macron s’est empressé de téléphoner à Mahmoud Abbas, président de l’Autorité Palestinienne, pour l’assurer de la « détermination (de la France) à œuvrer pour une solution juste et respectueuse du droit international ». Ce qui se traduit par : « nous agirons pour que nul n’oublie les Palestiniens, ni la solution à deux États ». 

La gêne des médias occidentaux

Les médias inféodés à cette diplomatie de la « solution à deux États » ont réagi eux aussi du bout des lèvres. Le 11 septembre dernier, Le Monde a ainsi fait un fort étrange usage de la typographie, en mettant entre guillemets l’expression « accord de paix » dans le titre de son article parlant du rapprochement entre Israël et Bahreïn. Comme si cet« accord de paix » n’en était pas vraiment un ; comme si deux accords de paix successifs d’États arabes avec Israël ne pouvaient décidément pas être pris au sérieux ; comme si ces deux accords de paix concoctés par Donald Trump ne méritaient aucune considération ; comme si ces traités de paix perdaient toute validité en officialisant une coopération ancienne – mais terriblement clandestine – entre Israël et les Émirats arabes unis.

Ces étranges comportements des chancelleries et des médias mainstream s’expliquent de deux façons. 

– Le parti des médias et la diplomatie européenne affirment si fréquemment – et si inconsidérément – depuis quatre ans que Donald Trump est un être superficiel, incompétent et inconséquent, qu’ils se retrouvent aujourd’hui fort dépourvus : le crétin peroxydé bouleverse lentement mais surement les lignes de forces au Moyen-Orient sans qu’eux-mêmes aient rien vu venir. 

A lire ensuite, Gil Mihaely: Liban: la guerre civile permanente

– Ces deux traités – sans doute suivis par d’autres – ont l’énorme avantage de faire sauter le verrou palestinien qui a progressivement, bloqué toute évolution au Moyen-Orient. Les Arabes du Golfe qui entretenaient des relations discrètes avec Israël incitaient depuis plusieurs années Benjamin Netanyahu à « régler le problème palestinien ». Faites la paix avec les Palestiniens et nous ouvrirons une ambassade dans votre pays. Ce à quoi Israël répondait invariablement : faisons d’abord la paix, ouvrez une ambassade et vous verrez que le problème palestinien finira pas se régler. 

Le Premier ministre israélien avait parfaitement compris que la question palestinienne n’était pas faite pour être réglée. Le peuple palestinien, fabriqué par des États arabes qui ont refusé de les intégrer à leur population, réclame depuis les années 1970 un impossible « droit au retour » ; ces réfugiés partis 700 000 en 1948 et devenus six millions en 2020 n’ont jamais eu pour fonction ni pour ambition de faire la paix avec Israël. La question des « réfugiés » et celle de leur « droit au retour » sont deux armes sciemment construites par les pays de la Ligue arabe pour briser Israël. 

Mais cette arme palestinienne a commencé insensiblement à se retourner contre ses concepteurs arabes. La révolution chiite de 1979 en Iran a fait de la question palestinienne un enjeu de pouvoir entre islamistes chiites iraniens et islamistes sunnites arabes.

Chiites contre sunites

Dès le début des années 1980, les Iraniens se sont saisi de la question palestinienne et en ont fait un outil de déstabilisation des régimes arabes sunnites. Ils ont créé le Hezbollah en 1982, au Liban, et l’ont armé et formé pour que cette milice soit en mesure de rivaliser avec les forces israéliennes. La guerre de 2006 entre le Hezbollah chiite et Israël, cette guerre qui a duré trois semaines – soit plus longtemps qu’aucune armée arabe a jamais tenu face à Israël -, a plus fragilisé les États arabes qu’enfoncé un coin dans l’invincibilité d’Israël. À cette occasion, le message que Téhéran a tenu aux populations arabes d’Égypte, de Jordanie ou des Émirats a été (en substance) on ne peut plus clair : « ce petit Satan sioniste que vos dirigeants corrompus sont incapables de détruire, nous les Chiites iraniens, nous les membres du Hezbollah, nous allons lui faire la peau ». 

L’alliance du Hamas – qui règne à Gaza – avec le régime iranien à partir de 2013-2014, a eu deux conséquences majeures : l’Iran est devenu définitivement maître du conflit israélo-palestinien et tout espoir de paix s’est éloigné à jamais. L’arme palestinienne conçue par les Arabes pour les Arabes est aujourd’hui entre les mains du Hezbollah et du Hamas, deux mouvements au service de l’Iran. 

Le Hamas entretient désormais une tension permanente avec Israël à la demande des Iraniens et incite l’Autorité Palestinienne à la surenchère contre Israël. 

A lire aussi, Leonid Berkovich: Paix Emirati-Israélienne, devoir d’émotion

Pour sortir de cette spirale infernale, les États hostiles à l’Iran – les États arabes et Israël – n’avaient pas d’autre choix que de se débarrasser du problème palestinien. Ce qu’ils entament progressivement aujourd’hui. Une opération délicate dans la mesure où ces mêmes États arabes, soixante ans durant, ont expliqué à leur opinion publique que tous leurs problèmes tenaient à l’existence de l’État d’Israël et au non-règlement de la question palestinienne.

Reconfiguration en cours

Le processus est désormais en cours : sauf accident, d’autres Etats arabes vont remiser aux oubliettes le problème palestinien et vont se rapprocher d’Israël. Un axe américano-israélo-sunnite a commencé de se constituer contre l’Iran et ses satellites irakien, syrien, libanais, yéménite… et palestinien. 

– Dans cette nouvelle configuration, les Européens se trouvent face à un choix difficile. Quand en 2017, Donald Trump a dénoncé l’accord sur le nucléaire iranien conclu par son prédécesseur Barack Obama, les Européens se sont opposés à lui. Pour préserver leurs échanges commerciaux avec l’Iran, les pays membres de l’Union européenne ont créé Instex, un outil destiné à protéger des sanctions américaines les entreprises européennes prises en flagrant délit de commerce avec l’Iran. Aujourd’hui que les Etats sunnites se débarrassent discrètement de la question palestinienne, que va faire l’Europe ? Va-t-elle s’accrocher à cette fiction de la « solution à deux États » et du « droit au retour » pour mieux marquer sa différence avec les États-Unis ? Va-t-elle faire alliance officiellement avec l’hégémonisme iranien contre les États pétroliers du Golfe et l’Arabie saoudite ? 

Le voyage d’Emmanuel Macron au Liban (et ses contacts avec le Hezbollah) peuvent préfigurer un désarrimage de l’Occident européen avec l’Occident américain.

Cocoricide


Néoruralité. Les mystérieuses mutilations récentes d’équidés ne doivent pas nous faire oublier un autre triste dossier…


Après la mort du célèbre coq Maurice de Saint-Pierre-d’Oléron, dont le chant indisposait une voisine, une nouvelle tragédie a frappé un gallinacé en mai dernier. Le coq Marcel, joie du poulailler de Sébastien Verney et de sa famille, habitant le village de Vinzieux en Ardèche, a été cruellement assassiné à coups de fusil et de barre de fer par le voisin de la maison. Celui-ci a en outre empoisonné les haricots et saccagé le potager. Le voisin, interrogé par la police, a avoué le « coquicide » et sera jugé dans les mois qui viennent.

A lire aussi, enquête: Dans nos campagnes, des néoruraux multiplient les procès rageurs

Mais les Verney ne veulent pas s’arrêter là : le « glorieux coq Marcel » ne doit pas être mort en vain. Il doit nous faire prendre conscience des assauts que subit la vie rurale face aux exigences ignares d’urbains nouvellement décentralisés. « Nous sommes en Ardèche, fier territoire rural, alors qui sera la prochaine victime : le chant des tourterelles, la moisson du blé, les tomates qui poussent, le braiment de l’âne, le son de nos clochers ou la mise en pâturage de nos vaches ? » écrivent-ils dans leur pétition enflammée qui a déjà récolté 75 000 signatures. Et les médias ont suivi : reportage de France 3 Bourgogne, articles de presse publiés en France, en Allemagne et en Espagne. Du coup, Loïc Dombreval, président LREM du groupe d’études parlementaire Condition animale, qui déclare au Figaro : « Il y a effectivement des néoruraux qui veulent imposer le mode de vie de la ville à la campagne. Cette volonté de dominer la nature est intolérable ! » Qui prendrait en effet la défense des néoruraux contre les gentils animaux de la ferme, habitants légitimes de nos terroirs en perdition ? Tous réclament ainsi le vote par le Sénat de la loi sur le « patrimoine sensoriel », destinée à protéger les « bruits et odeurs » de la campagne d’éventuelles poursuites en justice.

Le consensus ne s’embarrasse pas de nuances. Si on ne sait absolument rien du profil du tueur ni de son mobile, Sébastien Verney a tout du « campagnard » atypique : docteur en histoire spécialiste de l’Indochine et chargé de cours à l’université de Saint-Étienne. À croire qu’on est toujours le néorural de quelqu’un.

DSK m’a tuer

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La vie gâchée de Nafissatou Diallo


Nul n’ignore plus désormais que le 15 mai 2011, un riche mâle blanc – au patronyme pas très catholique de surcroît – apparaissait au monde menotté, la mine harassée et les yeux cernés. L’inculpation pour agression sexuelle du chouchou des Français pour les présidentielles de 2012 nous vaudra la présidence cinq ans durant d’un certain François Hollande…

Excisée à 7 ans

Dans un entretien à Paris-Match, la femme qui a brisé les desseins politiques de l’ancien directeur général du FMI se livre sur cette affaire de fesses qui a modifié le cours de l’Histoire: « je m’apprête à entrer dans la chambre sur la gauche, quand je vois apparaître cet homme nu. Alors, je m’écrie : « Oh mon Dieu ! Je suis désolée. » Puis tout est arrivé… ». « Honnêtement, je pense que je ne serai jamais heureuse », prédit la femme de chambre la plus célèbre au monde qui rappelle lors de cet entretien qu’elle n’a pas eu une vie facile. Née à Tchiakoullé, un village très pauvre de Guinée dans une famille de sept enfants, Nafissatou Diallo a vécu dans une maison en torchis « sans eau ni électricité avec une seule pièce où tout le monde dormait, en partageant les lits ». Néanmoins elle l’affirme, elle a eu une enfance heureuse. « Jusqu’à l’âge de 7 ans tout allait bien… »

Alors que s’est-il passé?, s’enquiert le reporter Olivier O’Mahony. Un camion a emmené la fillette pour rencontrer « une femme horrible » l’attendant avec un couteau. « Une des filles qui saignait beaucoup a succombé », précise Nafissatou Diallo. À l’âge de 14 ans, les choses ne s’arrangent pas: en vertu d’une intouchable tradition de paix et d’amour, la fille d’imam est mariée de force à un cousin éloigné de dix ans de plus qu’elle ayant déjà un enfant d’un précédent mariage. La jeune mariée fond en larmes le jour de son mariage – ce que l’on comprendra aisément -, puis s’ennuie terriblement: tandis que Monsieur pérégrine à son aise – pour son travail, précise-t-elle -, elle reste à tourner en rond entre quatre murs. Fort heureusement, comme nombre de femmes en ce monde, sa vie s’illumine à nouveau avec la naissance de sa fille, elle s’appelle Amina.

Une existence tragique ? La faute à DSK…

Les belles histoires étant souvent les plus barbantes, la tragédie reprend ses droits: quelques années après, le mari rend l’âme. « On a écrit qu’il était mort du sida », lui lance le reporter. « Je ne veux pas parler de ça », rétorque Nafissatou. On la comprendra là-aussi: hormis chez les adeptes du candaulisme, on n’est guère cocu de gaîté de cœur, confesser que son ex-compagnon faisait en plus n’importe quoi décuplerait son sentiment d’humiliation. Veuve à l’âge de 19 ans, Nafissatou Diallo travaille dès lors dans le restaurant de son frère à Conakry. « C’est là où un soir, des soldats m’ont violée », lâche-t-elle. Pauvre Nafissatou, qui coche décidément toutes les cases. Telle une bénédiction après une sombre existence dans un long tunnel de misères, une lueur d’espoir jaillit enfin, elle se nomme Amérique. 

Dans l’eldorado new-yorkais, Nafissatou Diallo s’en sort alors « grâce à un boulot dans un salon de coiffure, puis dans un restaurant ». « La vie est plus agréable ici qu’en Guinée si vous avez un boulot ! », s’enflamme-t-elle. Nous la croirons sur parole, au regard de sa jeunesse si peu enviable dans son pays natal.

« L‘affaire DSK a gâché sa vie » ? Sans remettre en cause sa souffrance, plutôt que de nous assurer que si DSK « avait été pauvre, clochard, dans la rue, il serait aujourd’hui en prison », il serait salutaire de voir Nafissatou Diallo aussi militer contre l’excision, les mariages arrangés avec bénédiction des mamans au visage voilé et autres viols de fillettes.

Car si les bourreaux ne sont pas là de riches mâles blancs, ils n’en demeurent pas moins de sacrés salauds. Au vu des épreuves qu’a endurées Nafissatou Diallo, on ne peut s’empêcher d’imaginer qu’elle aurait aisément pu recadrer « l’homme nu aux cheveux blancs » dans la suite 2806 du Sofitel. Eux seuls le savent, ils n’étaient que deux dans la chambre. Souhaitons néanmoins un avenir pavé de joies enchanteresses à Nafissatou Diallo ! À 41 ans il serait temps. 

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Judith Waintraub menacée: pas de place pour les « oui mais… »

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La banalisation du voile accompagne la progression de l’islamisme. Et Judith Waintraub du Figaro magazine a bien le droit de le penser


Vendredi 11 septembre dernier, notre consœur Judith Waintraub, journaliste au Figaro Magazine, postait le message suivant sur Twitter : « 11 septembre », en accompagnement d’une vidéo de BFMTV présentant une étudiante proposant des conseils de cuisine avec un voile islamique.

De nombreux utilisateurs du réseau social ont alors fait part de leur désapprobation, estimant que le message de la journaliste était indigne voire raciste. La musique habituelle.

Banalisation du voile islamique à la télé

Pire, la journaliste a reçu des menaces par plusieurs comptes anonymes. Un compte a proféré: «On va te rafaler ta mère comme 2 frères sur Charlie». En plein procès des attentats, cela fait tout de même très mauvais genre.

Gerald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, a réagi, tout comme de nombreuses personnalités politiques de premier plan qui soutiennent la journaliste. « Quels que soient les désaccords, parfois profonds, que j’ai avec Judith Waintraub, je condamne vivement les menaces de mort qu’elle reçoit » a indiqué le ministre.

Indignations

Manuel Valls va plus loin et s’en prend à Nadia Hai, Ministre déléguée chargée de la Ville qui avait trouvé l’allusion de Waintraub « triste et indigne » : «Soutien total à Judith Waintraub. Face aux menaces et aux intimidations il n’y a pas de place pour le ‘mais’ et le relativisme…et surtout de la part d’un(e) ministre». L’eurodéputé LR François- Xavier Bellamy, enfin, résume bien le cœur du problème :  «Une journaliste est menacée de mort, mais certains élus préfèrent s’indigner de son tweet… Oui, la banalisation du voile accompagne la progression de l’islamisme. Et consentir à la terreur qui veut interdire toute critique, c’est s’en rendre complice». Causeur ne peut qu’approuver.

Maires agressés: « Il est temps de faire changer la peur de camp »

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Une circulaire doit permettre de sanctionner plus sévèrement les agresseurs de nos maires. Entretien avec Pierre-Emmanuel Bégny, auteur de Chers administrés, si vous saviez…


Pierre-Emmanuel Bégny a été maire de Sâacy-sur-Marne, petite commune de moins de 2 000 âmes située à 75 km de Paris, dans cette France périphérique traversée par des problématiques à la fois rurales et urbaines. Jeune élu en 2014, il a exercé son mandat du mieux qu’il pouvait. Il ne s’est pas représenté en 2020. Dans son livre Chers administrés, si vous saviez…, paru en janvier dernier, il expliquait les raisons de son engagement mais aussi celles qui lui ont fait raccrocher l’écharpe tricolore. 

D’après les chiffres de l’AMF, 233 maires ont été agressés de janvier à juillet. Faites le compte, on est à plus d’une agression par jour !

Son récit s’ouvre sur une apostrophe blessante à son égard. Une de ses administrées l’insulte en pleine rue, alors qu’il doit faire face à une terrible inondation et qu’une coulée de boue menace de se déverser dans tout le village : « Tiens, regardez-moi cet imbécile ! Il ferait mieux de nous aider à éponger au lieu de se pavaner dans la rue. »

L’insulte exprime un mépris, mais aussi la colère d’une habitante qui écope sa maison inondée et rejette la faute sur le seul responsable à portée d’engueulade : le maire. Pour Bégny, cette insulte, c’est la goutte de trop… qui lui fait prendre conscience qu’il ne briguera pas un autre mandat. À l’heure où les agressions de maires – parfois d’une rare violence – ont émaillé l’actualité, Causeur a souhaité savoir ce que pense cet ancien élu local. À son tour, il pousse un coup de gueule.

Isabelle Marchandier. À l’issue de la réunion interministérielle organisée sur les violences contre les élus le 2 septembre, le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti a déclaré qu’un maire insulté est un maire outragé. Contrairement à la simple injure, qualification jusqu’alors retenue dans la plupart de ces affaires, celle d’outrage permettrait la mise en œuvre de travaux d’intérêts généraux… Le Ministre a déclaré : «c’est simple, c’est pragmatique, c’est efficace et ça va dans le bon sens». Cette réponse pénale est-elle à la hauteur de la recrudescence de la violence contre les élus locaux, selon vous ?

Pierre-Emmanuel Bégny. C’est la montagne qui a accouché d’une souris. Mettre autour de la table pendant toute une matinée le Garde des Sceaux, le ministre de l’Intérieur, la ministre de la Cohésion des territoires et le président de l’association des maires de France et annoncer tambour battant la requalification de l’injure en outrage, les bras m’en tombent ! 

A lire aussi: Agressions de maires: il va y en avoir combien d’autres?

Franchement, j’attendais d’autres mesures pénales plus en rapport avec la réalité sur le terrain. La violence verbale ne va pas sans la violence physique. En général lorsqu’un maire est agressé c’est souvent une pluie d’insultes qui pourraient se terminer par un coup de poing. Cette mise en lumière des violences verbales par le gouvernement à l’issue de cette réunion, c’est pour mieux détourner l’attention des agressions physiques qui ont émaillé cet été 2020, et dont les auteurs n’ont eu comme simple peine, un rappel à la loi. Aujourd’hui, les maires sont pris pour cible comme la police. D’après les chiffres de l’AMF, 233 maires ont été agressés de janvier à juillet. Faites le compte, on est à plus d’une agression par jour. Il est temps de faire changer la peur de camp et ça passe par des condamnations judiciaires sévères.

Comment expliquez-vous cette violence contre les maires qui demeurent paradoxalement l’élu préféré des Français?

Les maires sont effectivement toujours plébiscités, sondage après sondage, par une très large majorité de Français. Dans un sondage d’Opinionway en octobre dernier, 78% des citoyens interrogés estimaient que ce sont les maires qui comprennent le mieux leurs préoccupations. Mais derrière ces chiffres, il y a la réalité du terrain beaucoup moins reluisante. Dans mon livre, j’explique que finalement les mairies sont devenues des bureaux des plaintes et que le maire concentre en sa personne tous les dysfonctionnements de sa commune. Hier, les rôles étaient mieux répartis. On allait voir le curé pour se confesser, le médecin pour se soigner et le maire pour régler des problèmes administratifs. Aujourd’hui, avec le déclin du catholicisme et nos déserts médicaux, le maire devient le dernier repère sociétal dans les territoires isolés. Il doit endosser toutes les casquettes qui étaient autrefois mieux réparties. Les maires qui ont été agressés cet été ne sont pas forcément des élus de villes de banlieues gangrénées par le trafic de drogue et le communautarisme rampant. Ce sont aussi des maires de petites communes situées dans des coins très reculés dont on ne parle jamais.

Le rapport du sénateur Philippe Bas sur les agressions des maires soulignait que le dépôt de plainte après une agression n’était pas automatique. Dans le questionnaire qui a servi de base à ce rapport, seulement 37% des édiles répondants avaient saisi la justice à la suite d’une attaque physique ou verbale. Comment expliquer ce non recours à la justice ?

Me concernant, j’ai porté plainte une fois après qu’un internaute m’a traité de « gros con de maire » sur les réseaux sociaux. Mais pour d’autres attaques, j’ai renoncé à porter plainte. Passer trois heures à attendre dans un commissariat que sa plainte soit enregistrée, c’est impossible lorsqu’on est maire en plein temps. Et puis il y a le découragement face à la défaillance de toute la chaine pénale, et l’augmentation des classements sans suite du Parquet. Au lieu de faire de beaux discours et des séminaires de rentrée, le gouvernement ferait mieux d’entamer un vrai travail pédagogique auprès des élus, pour les inciter à porter plainte systématiquement. Il faut faciliter l’accès au dépôt de plainte. Et mieux répertorier les maires victimes d’agressions. Pourquoi ne pas mettre en place un numéro vert dédié ?

A lire aussi: Mort du maire de Signes: «Il faut faire des exemples»

Les forces de l’ordre sont régulièrement prises à partie dans notre pays. Les chauffeurs de bus sont agressés, parfois de façon fatale comme on l’a vu à Bayonne. Les agressions contre les maires participent-elles de cet ensauvagement de la société dont on nous rebat les oreilles ? 

Absolument. Mais, ça ne date pas d’hier non plus. Le phénomène ne fait que s’aggraver avec des jeunes de plus en plus violents. Le terme d’ensauvagement est, à mes yeux, correct car il décrit bien la réalité. Darmanin aurait peut-être du préciser que l’ensauvagement concerne certaines catégories de la population. Mais la gravité de la situation exige que les politiques dépassent les querelles sur le choix des mots et passent à l’action. 

Qu’attendre alors de la circulaire qui sortira dans les prochains jours ? 

On attend toujours l’application de la circulaire Belloubet de novembre 2019 qui demandait déjà une réponse pénale systématique aux violences contre les élus, trois mois après la mort du maire de Signes, renversé par une camionnette…. Le problème c’est que les magistrats s’essuient les pieds sur les circulaires. Indépendants, ils font ce qu’ils veulent. Il faudrait que le ministre de la Justice tape fort et réaffirme auprès du Parquet les sanctions prévues par le code pénal. Il faut aussi donner aux maires les moyens de réagir. La loi engagement et proximité leur a permis de mettre des amendes plus importantes aux auteurs de délits, mais si cette initiative n’est pas accompagnée de moyens coercitifs, elle ressemble à une matraque en mousse.

L’origine du monde d’après

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« Jeanne » a donc été interdite à Orsay : une robe bien coupée au décolletté trop profond, des seins trop omniprésents selon l’avis des vigiles, et vous voilà refoulée. Sans qu’on lui dise, comme elle l’a précisé dans un compte-rendu fort bien écrit (si les Vénus callimastes — à partir de μαστός, le sein — ont du style, où allons-nous ?) déposé très vite sur Twitter, ce qui était choquant : « Ça », disaient les sbires de la Vertu. 

Où commence l’indécence ? Nous sommes désormais fixés : au bonnet D. À C, « ça » se discute encore, A ou B sont acceptés : « Les femmes dos nu, en brassière ou en crop-top », cela passe sans problème tant qu’elles sont « toutes minces et avec très peu de seins ». Comme Jeanne l’a dit elle-même, « cachez ce sein que nous ne saurions voir » : si les indécentes (aux Enfers) s’approprient Molière, où allons-nous ? 

La société privée à laquelle Orsay a délégué la gestion de la Vertu ne recrute manifestement pas des athlètes de l’intellect.

« Femme piquée par un serpent », statue de marbre de Auguste Clésinger.

La direction du musée s’est d’ailleurs excusée devant le tollé. Peut-être Laurence des Cars, qui préside l’institution, et qui, lectrice attentive des œuvres de son grand-père Guy, a dû apprendre dans l’Impure (1946) ou dans l’Entremetteuse (1970) ce qu’est une femme de petite vertu, devrait-elle organiser, pour les personnels chargés de la sécurité et de la sauvegarde des visiteurs à moralité étroite, une visite guidée de son établissement. Leur expliquer qu’un musée qui s’enorgueillit (à juste titre) de posséder le Déjeuner sur l’herbe ou l’Olympia a des vues assez larges sur ce qu’est la provocation. Leur rappeler qu’en 2014 la plasticienne Deborah de Robertis est venue s’exposer, cuisses ouvertes, un jeudi de l’Ascension, juste en dessous de l’Origine du monde, sexe noir contre sexe roux. Que l’on ne peut défendre une morale rigoriste quand on expose la Femme piquée par un serpent d’Auguste Clésinger — en fait la « présidente » Sabatier : Théophile Gautier, qui connaissait assez bien la jeune femme pour lui écrire d’Italie des lettres polissonnes dont elle faisait la lecture publique dans son salon, disait que c’était « le pur délire orgiaque, la Ménade échevelée qui se roule aux pieds de Bacchus, le père de liberté et de joie » et qu’un « puissant spasme de bonheur soulève par sa contraction l’opulente poitrine de la jeune femme, et en fait jaillir les seins étincelants ». Mazette ! Cela laisse assez loin, dans l’obscénité, le sillon d’ombre fort décent où se devinent les seins de Jeanne.

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Cela ne dépasserait pas le stade de la bévue si l’événement ne venait après l’expulsion d’Agathe chez Leclerc ou celle de Marion chez Casino. À chaque fois des vigiles tatillons ont refoulé des jeunes femmes sous prétexte de tenues légères : que diable, tout le monde ne peut pas s’habiller en burka… Et « ça » s’ajoute à l’intervention de gendarmes sur une plage à Sainte-Marie-la-Mer, venus demander à des femmes qui bronzaient seins nus de remettre leur soutien-gorge, car leur nudité gênait une famille installée tout à côté sans doute pour mieux s’offusquer — elle fait des kilomètres, la plage de Sainte-Marie-la-Mer.

Tout cela participe d’une grande vague de puritanisme qui est en train de déferler sur notre pays. Chaque fois que cela est arrivé dans l’histoire, que ce soit dans la Florence de la fin du XVe siècle (avec l’épisode calamiteux de Savonarole) ou dans l’Angleterre des Stuarts, c’était en réaction à une décadence ressentie, une fin de monde, une peur subite d’être entraîné vers l’Enfer — et le canyon vertigineux entre les seins de Jeanne est sans doute la voie de la damnation. En ces temps d’épidémie, quelque chose doit se payer : notre licence supposée, notre indécence intellectuelle, l’abus de liberté — un concept familier à ceux qui préfèrent le carcan et le corset des règles à la démarche vaporeuse des créatures venues faire de la retape pour Satan ou Iblis.

Jeanne a dû visiter Orsay emmitouflée dans une veste qui cachait l’objet du délit. La dernière fois que j’ai vu exiger ce genre de camouflage, c’était dans un monastère des Météores, et dans la mosquée bleue d’Istanbul, où un pantalon, ostentation des vénus callipyges, doit être camouflé sous un tissu faisant jupe. On ne peut que répéter à ces sicaires de la vertu deux autres vers de Tartuffe : « Vous êtes donc bien tendre à la tentation / Et la chair sur vos sens fait forte impression ». L’obscénité est dans le regard du puritain, pas dans les courbes de Jeanne.

Sauvez vos salles obscures, allez tous au cinéma!

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Chute dramatique de la fréquentation en France


Depuis le 22 juin, les cinémas sont rouverts. Malheureusement, les Français ne retrouvent pas aisément le chemin qui mène à leurs salles favorites. Certes l’offre de films – surtout pour les cinémas généralistes dits grand public – reste réduite. Elle est plus fournie dans le secteur de l’Art et Essai, même s’il n’y pas pléthore de films passionnants pour l’instant.

Un discours intenable

Néanmoins, il est impossible de cautionner un discours qui prétend qu’il n’y aurait pas de bons films dans les salles depuis la reprise. Les œuvres Le Sel des larmes de Philippe Garrel, Hotel By The River de Hong Sang-soo, Eva en Août de Jonas Trueba, Light Of My Life de Casey Affleck ou Family Romance de Werner Herzog, Été 85 de François Ozon ou Police d’Anne Fontaine sont de très beaux films.

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Et les sorties récentes de produits plus commerciaux, Tenet de Christopher Nolan, Effacer l’historique de Gustave Kervern et Benoît Delépine, Les Blagues de Toto de Pascal Bourdiaux, alliant sens de la comédie, de l’aventure et du divertissement visent un public plus jeune et plus populaire se rendant dans les multiplexes.

Un effondrement de 73,8% entre l’été 2019 et l’été 2020

Malgré l’existence de ces films, force est de constater que la fréquentation cinématographique a baissé de manière inquiétante sur les deux mois et demi écoulés depuis la réouverture. La fréquentation des salles de cinéma françaises s’est effondrée de 73,8 %  cet été par rapport au mois de juillet et août 2019. La plupart des multiplexes ont perdu entre 65% et 73% de leurs entrées. Les salles indépendantes Art et Essai sont moins touchées et n’ont perdu que 30% de leur public plus fidèle. Sans compter, ce qui n’aide pas, que plusieurs cinémas ne font plus que trois séances journalières: 16h, 18h et 20h et que certains sont restés fermés cet été.

Changements de comportements

Les raisons de cette mauvaise fréquentation sont multiples. Les salles ont fermé pendant 99 jours consécutifs, un fait inédit. Des films ont été privés de distribution en salles de cinéma tel Mulan de Niki Caro produit par Disney, distributeur du film qui a décidé de programmer cette nouvelle version du dessin animé, sur sa plate-forme Disney+ dès le 4 septembre. Cette décision a été très contestée, à juste titre, par les exploitants de salles. La Fédération nationale des cinémas français, l’Association Française des Cinémas Art et Essai et le Groupement National des salles de Recherche déplorent d’ailleurs le fait que certains films ne sortent pas dans les salles et soient directement diffusés sur des plates-formes vidéo.

C’est que de nombreux spectateurs se sont abonnés à une ou plusieurs plateformes vidéos comme Netflix, Amazon Prime, Disney, MyCanal… préférant regarder les films chez eux et ne pas sortir par peur de la pandémie, de même qu’ils préfèrent pour beaucoup d’entre eux acheter leurs vêtements, livres, nourritures, vins ainsi que de nombreux produits sur internet. 

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La pandémie n’a pas seulement provoqué le confinement, elle a favorisé l’accélération, à très grande vitesse, des changements de comportements sociaux sur le visionnement de films à domicile.  Cette situation peut devenir inquiétante car l’on passerait alors de la distanciation sociale à la rupture des liens sociaux. Il est évidemment bien plus agréable et plaisant de découvrir un film en salle de cinéma, de rire, d’avoir peur ou d’être émerveillé par la beauté de la mise en scène, entouré d’autres. D’être accueilli par des directeurs de salles,  de rencontrer des équipes de films…

Une exception culturelle menacée

Chaque semaine, un million de spectateurs a retrouvé le goût du cinéma en salles. Bien que très éloigné de la fréquentation d’avant la pandémie, une partie du public assidu est revenue en France mais la dépendance économique et culturelle aux États-Unis est ravageuse. Les films américains ne sortant pas aux États-Unis voient aussi leur sortie reportée sine die en France. 

Or comme le fait remarquer Erwan Escoubet, le directeur des affaires réglementaires et institutionnelles à la Fédération nationale du cinéma français (FNCF).  » La situation est dramatique. En France, les sorties américaines représentent 50% des entrées. Pour beaucoup de cinémas, c’est une colonne vertébrale« . L’état de la situation sanitaire américaine assombrit l’avenir des cinémas du monde entier. Seule, la France résiste faisant figure d’exception culturelle. Cette exception doit être préservée.

Avec cette baisse drastique de la fréquentation, les cinémas français vivent une période catastrophique malgré la qualité des films français à l’affiche. Les exploitants de salles (F.N.C.F., A.F.C.A.E., G.N.C.R.) appellent à la solidarité des spectateurs et des pouvoirs publics et font des propositions concrètes. Le premier Ministre Jean Castex et son gouvernement promettent un plan d’aide de 165 millions au secteur cinématographique. 

Face à la baisse des entrées, aux manques de recettes, à la baisse des retours de TSA(1), ces aides seront bien trop faibles pour sauver un secteur culturel et industriel français majeur. Espérons qu’à l’instar du projet mis en place pour la défense du livre, celui du cinéma fera l’objet d’un soutien à la hauteur des enjeux. L’Association Française des Cinémas Art et Essai dirigé par François Aymé a envoyé au Centre National du Cinéma et au Ministère de la Culture dix propositions importantes et pertinentes pour la sauvegarde des salles de cinéma en France.

Maintenant, il ne tient plus qu’à nous de sauver nos cinémas.

Ainsi soit Je

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Quand Emmanuel Carrère tombe dans les pires travers de l’autofiction avec Yoga.


« Une phrase doit être un bon vecteur d’électricité », écrit Emmanuel Carrère dans son nouveau livre. Alors un court-circuit a dû se produire assez rapidement. Et la nuit est tombée. On a retrouvé un peu de lumière lorsque l’auteur évoque la mémoire de son ami Bernard Maris assassiné lors du massacre de la rédaction de Charlie Hebdo par des terroristes islamistes.

Coupure de courant page 215

Puis ce fut la coupure définitive à la page 215 avec cinq adverbes indigestes. En fait la réussite de cet essai au sens où l’entendait Montaigne, à savoir un récit qui s’essaie, prend une voie, puis une autre, tâtonne, digresse, réside dans son titre Yoga. Après deux mois de confinement, la peur d’un étrange virus, entretenue par les politiques, une société fracturée, en proie à l’intolérance et à la violence, c’était miser sur l’efficacité.

A lire aussi, un autre son de cloche, Serge Féray: «Yoga», un livre de bonne foi

D’autant plus que l’éditeur, madré, s’est bien gardé de donner un genre à ce pavé autobiographique. Le yoga, la méditation, retrouver le bon chemin, la vie saine, le corps souple, occupent l’interminable première partie. Carrère a décidé de se retrancher du monde en compagnie de quelques autres humains épuisés et paumés pour pratiquer la méditation. Il faut dire que sa vie fut un vrai calvaire depuis la naissance. L’enfance vécue dans le XVIe arrondissement, les études dans un prestigieux lycée, les déambulations sur la montagne Sainte-Geneviève, ça laisse de profondes séquelles. Mais l’auteur a de l’humour, un humour grinçant. À la fin du livre, il avoue que la méditation, au fond, « c’est pisser quand on pisse et chier quand on chie » (page 351). Au moins, avec Les Essais, de Montaigne, l’esprit y gagnait en sagesse et surtout en hauteur.

Séquestré volontaire dans son stage de remise en forme spirituelle, Carrère apprend par hasard le carnage de Charlie Hebdo. Le terrorisme entre alors dans le récit pour déboucher sur la terrible dépression de l’auteur, direction Sainte-Anne, avec une série d’électrochocs, un traitement à la kétamine et le besoin irrépressible d’être euthanasié tant la vie paraît insupportable à presque soixante ans.

Où est passé l’auteur de l’excellent Limonov ?

On s’ennuie de plus en plus ferme à découvrir l’univers de cet homme diagnostiqué bipolaire, et on regrette son Limonov qui nous avait conquis. Nous ne sommes pas à l’hôpital psychiatrique de Rodez, en pleine occupation allemande, avec les quelques milliers de malades, dont Artaud, que les dirigeants de Vichy tentèrent d’éliminer physiquement puisqu’ils les considéraient comme des dégénérés (40 000 morts !). L’expérience d’internement subi par Carrère ne contribue pas à rendre puissant son ouvrage, bien au contraire. Ça ne décolle jamais. On est loin du Vang Gogh le suicidé de la société, d’Artaud, rédigé après une série d’électrochocs. L’auteur, du reste, semble se rendre compte que le livre lui échappe et que son égocentrisme emporte tout. Il évoque son « narcissisme insatiable ».

A lire aussi, Guilaine Depis: «Le Temps gagné»: que Saint-Germain-des-Prés n’oublie pas la littérature!

On le retrouve ensuite en Grèce en formateur bénévole pour les réfugiés afghans. L’un d’entre eux, Hamid, est aussi beau que le Delon de Rocco et ses frères. Tant mieux pour lui. Bien sûr, Carrère profite de ce récit sans but (Mais c’est le chemin qui est le but, paraît-il) pour citer des extraits de ses précédents ouvrages et pour nous révéler qu’il ne tape que d’un doigt. Damned ! Carrère évoque Paul Otchakovsky-Laurens, l’éditeur qui a publié l’ensemble de son œuvre, mort le 2 janvier 2018, « sur une petite route de Guadeloupe ». POL n’aura donc pas lu ce livre. Aurait-il demandé à son auteur de couper et reprendre ? Nous ne le saurons jamais. Mais on peut raisonnablement penser que oui.

Lithium et moraline

Carrère cite certains écrivains, comme Michel Houellebecq. Il avoue être jaloux de lui. On le comprend. Les romans de Houellebecq donnent à réfléchir par temps de catastrophe. On prédit le prix Goncourt à Yoga. L’auteur prend du lithium mais il est également sous moraline. Il parle de Jean-François Revel, loue ses remarquables livres « éblouissants d’intelligence ». Il écrit : « Je n’en connais pas de meilleurs sur Proust, pas de vues plus justes ni plus orwelliennes, sur le totalitarisme et l’obscénité des intellectuels de gauche. » Il peut, en effet, le dire puisque ces intellectuels-là sont morts avec la gauche qu’ils ont précipitée dans le néant.

Mais, avec une pointe de perversion, Carrère montre aussi un Revel minable, alcoolique, « poussant son caddie exclusivement rempli de bouteilles de pinard, lui-même apoplectique, sans cou, renfrogné… » Il faut bien décrire sous un sale jour le brillant penseur libéral qui a mis en lumière les failles des démocraties occidentales. Et puis, il y a l’uppercut à son ancien ami Renaud Camus, édité jadis chez P.O.L, « aujourd’hui un idéologue d’extrême droite, inventeur de la théorie du ‘’ grand remplacement ‘’ (des bons français de souche par les Nègres et les Arabes) ». Le sujet aurait exigé un traitement moins caricatural.

Au bout du chemin, donc, le Goncourt est possible.

Pendant ce temps-là, la dictature sanitaire s’intensifie, le chômage de masse progresse, les faillites se multiplient et les provinces de France supportent de moins en moins cette petite caste qui les méprise en se caressant le nombril.

Emmanuel Carrère, Yoga, P.O.L

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Confession d’un enfant du siècle juif


Pour l’historien Yuri Slezkine, l’Occident post-totalitaire manque de cause à défendre. Affaiblies par la mondialisation et le droit-de-l’hommisme, nos démocraties nationales traumatisées par la Shoah font pâle figure face au dynamisme chinois.


Causeur. Dans votre essai, Le Siècle juif, vous distinguez deux catégories de peuples : les « apolliniens » et les « mercuriens ». À quoi correspond cette distinction ?

Yuri Slezkine. Les sociétés traditionnelles se divisent entre producteurs de nourriture et fournisseurs de services. J’appelle les premiers apolliniens, car ils sont chasseurs, bergers ou paysans, autant de métiers associés à la figure du dieu Apollon. Quant aux mercuriens, à l’image du dieu du commerce Mercure qui se joue des frontières avec ses sandales ailées, ils ne se nourrissent pas eux-mêmes, mais remplissent des tâches traditionnellement perçues comme trop dangereuses ou impures par les populations apolliniennes qui les environnent. Ils sont soit recrutés en tant qu’étrangers pour accomplir ces missions, soit deviennent étrangers en les accomplissant.

À quelles tâches pensez-vous ?

Tout ce qui est étranger au monde familier : communiquer avec des mots différents – souvent magiques –, s’aventurer vers des terres et des tribus différentes, soigner les corps, fabriquer certains objets, travailler le feu et les métaux, manipuler de l’argent… Dans certaines sociétés, ce travail est assuré par des experts, issus de groupes ethniques particuliers – Juifs, Chinois en Asie du Sud-Est et en Amérique, Indiens installés en Afrique de l’Est, Libanais d’Afrique de l’Ouest et d’Amérique latine, gens du voyage, etc.

Auteur du Siècle juif (La Découverte, 2009), Yuri Slezkine est chercheur associé à l’université d’Oxford et professeur à Berkeley. Dernier ouvrage traduit en français : La Maison éternelle (La Découverte, 2017).
Auteur du Siècle juif (La Découverte, 2009), Yuri Slezkine est chercheur
associé à l’université d’Oxford et professeur à Berkeley. Dernier ouvrage
traduit en français : La Maison éternelle (La Découverte, 2017).

Tous ces mercuriens perpétuent un lien dans le temps avec leurs ancêtres, alors que les apolliniens s’enracinent davantage dans l’espace. Fussent-ils sédentarisés au même endroit depuis longtemps, les mercuriens restent des exilés, car ils se sentent étrangers à leur environnement. Apolliniens et mercuriens se considèrent respectivement comme fixes et enracinés pour les uns, changeants, temporaires et nomades pour les autres. Ces différences font qu’ils se méfient et se méprisent les uns les autres. La plupart des agriculteurs jugeant par exemple immoral de manipuler de l’argent, cette tâche devient le fait des mercuriens.

… notamment des Juifs, ce qui est à l’origine de tenaces préjugés antisémites. Pourquoi les Juifs de la diaspora incarnent-ils les parfaits mercuriens ?

Si les Juifs sont remarquables, c’est par leur longue expérience des tâches mercuriennes en Europe, le continent qui dominait le monde et a inventé la modernité. Les Juifs maîtrisaient en effet les tâches centrales de la vie moderne, que sont l’interprétation des textes et le financement de l’entrepreneuriat. C’est fondamental dans le monde actuel, aussi bien dans l’éducation supérieure, l’entreprise, la science, le journalisme, le droit, la médecine. Par conséquent, au xxe siècle, pour beaucoup de sociétés apolliniennes, devenir moderne signifiait à maints égards devenir juif : plus mobile, plus urbain, intellectuellement plus souple. Quand ce processus a été enclenché en Europe, les Juifs ont perdu leur niche mercurienne et sont devenus encore plus étrangers qu’auparavant.

Le XXe siècle est celui des totalitarismes, communiste et nazi, et de l’Europe saignée par la Shoah. N’est-ce pas incongru de le qualifier de « siècle juif » ?

Je parle de « siècle juif » d’abord parce que le xxe siècle a été à la fois celui d’un succès juif frappant et celui d’une catastrophe juive unique. En second lieu, parce que la plupart des nations européennes sont devenues plus « juives », au sens que j’ai déjà donné. Troisièmement, parce que ces mêmes nations européennes sont devenues plus nationalistes – au sens de l’Ancien Testament. Chaque terre est devenue promise, chaque peuple élu, chaque langue nationale adamique, chaque capitale Jérusalem.

Ce mimétisme a-t-il conduit les États-nations européens en gestation à absorber ou exclure leurs habitants juifs ?

Au tournant des xixe et xxe siècles, la plupart des États européens ont eu des difficultés avec leurs populations juives. Réciproquement, la population juive avait également des difficultés avec son nouvel environnement. Ayant perdu la fonction particulière qu’ils occupaient dans l’Europe traditionnelle, les Juifs n’appartenaient pas vraiment aux États nouvellement nationalisés sur une base ethnique. Il en est allé différemment en France et aux États-Unis, car ces deux pays mettaient l’accent sur la nature civique de leur État. Mais dans des pays comme la Hongrie ou l’Allemagne et ailleurs en Europe de l’Est, là où ils constituaient la majorité de la classe moyenne et une part substantielle de l’élite intellectuelle, le conflit entre les Juifs et l’État a été particulièrement flagrant.

Au point d’atteindre le sommet de l’horreur durant la Seconde Guerre mondiale lorsque l’Allemagne nazie a exterminé une grande partie des Juifs d’Europe. Quelles ont été les conséquences de la Shoah sur l’exode juif du xxe siècle ?

La tragédie de l’Holocauste a bouleversé l’équilibre entre les trois grandes migrations qui représentaient pour les Juifs trois options géographiques et idéologiques modernes : l’émigration vers la Palestine pour bâtir une nation apollinienne comme les autres (Israël), l’émigration vers l’Amérique pour vivre dans le monde du libéralisme non ethnique et l’émigration souvent oubliée de l’ancienne zone de résidence juive de l’ex-Empire russe vers les villes de l’Union soviétique. Après l’Holocauste, l’option sioniste a bondi – à New York et Moscou, aussi bien qu’à Tel-Aviv.

De 1917 aux années 1930, l’URSS a fait profession de philosémitisme avant de se retourner contre ses Juifs. Comment l’expliquez-vous ?

À l’intérieur de l’Empire russe, les Juifs étaient très fortement représentés dans le mouvement socialiste comme ils l’étaient au sein des mouvances libérales et révolutionnaires européennes ou américaines. En 1917, il y avait proportionnellement plus de communistes parmi les Juifs qu’à l’intérieur de tout autre groupe ethnique ou religieux en Russie. Après la révolution, le succès des Juifs dans les professions urbaines modernes, y compris parmi les hiérarques du Parti, a été d’autant plus fort que les traditionnelles élites industrielles, commerçantes ou terriennes avaient été pratiquement anéanties.

Puis, dès les années 1930, sous Staline, la relation spéciale entre le régime soviétique et les Juifs russes a commencé à se détériorer, car la nature même de l’URSS avait changé. Par rapport à ses premières années, l’URSS n’était en effet plus du tout vue comme un État prolétarien internationaliste, mais comme l’héritier légitime de l’Empire russe. Ce changement de représentation, de la classe à l’empire, voire à la nation russe, a fait entrer l’URSS en conflit avec les Juifs, parce que ces derniers occupaient ostensiblement des positions d’influence dans l’État soviétique. Ce divorce a été aggravé par l’émergence d’Israël, allié au bloc occidental, entraînant des migrations juives de masse vers l’État hébreu et l’Amérique à partir des années 1960-1970.

Justement, le projet sioniste a rompu avec des siècles d’éparpillement diasporique. À vous lire, l’État juif serait un îlot apollinien dans une époque mercurienne. Autrement dit, tout le monde est devenu juif et mercurien… sauf l’État juif ! Que répondez-vous à Alain Finkielkraut qui vous reproche de blâmer Israël en tant qu’exception dans un monde postnational ?

Je ne blâme personne ! (rires) Si je considère Israël comme une exception, ce n’est pas parce que l’État juif a réussi à transformer des mercuriens en une nation apollinienne. Ce qui fait des Israéliens une exception, c’est qu’ils ont été autorisés à mener une politique que les standards du monde occidental considèrent désormais comme inacceptable. Cette politique est celle de l’exclusivité ethnique et tribale : Israël se définit comme un État juif d’une façon que ni la Suède ni l’Allemagne ne pourraient aujourd’hui assumer en disant appartenir aux Suédois ou aux Allemands ethniques.

Pour le dire clairement, pensez-vous que les Israéliens bénéficient d’une sorte de blanc-seing moral dû aux millions de morts de la Shoah ?

Oui, même si cette exception n’est plus aussi forte qu’elle l’était. Après la Seconde Guerre mondiale, le monde occidental a considéré l’Holocauste comme le plus grand crime jamais commis dans l’histoire mondiale. Cet universel moral de l’Occident a fourni à Israël une sorte de droit d’exception.

On pourrait vous objecter que la Turquie pratique une politique expansionniste, de Chypre à la Libye en passant par la Syrie, sans rencontrer aucune adversité. Et pourtant, les Turcs n’ont subi aucun génocide, bien au contraire… 

Je ne perçois aucune admiration particulière pour la Turquie dans les grands médias occidentaux ! En revanche, jusqu’à une date assez récente, Israël était présenté comme un État vertueux. Même si Erdogan a été récemment autorisé à mener certaines actions géopolitiques et militaires, ces politiques ne sont pas considérées comme moralement justifiées.

Les critiques d’Israël sont plutôt virulents. Pour beaucoup de gens, sionisme = racisme, certains osent même sionisme = nazisme… On est plus indulgent avec la Chine qu’avec l’État juif. 

Comme je vous l’ai dit, Israël n’est plus invulnérable et les critiques se multiplient, mais le nom même que vous utilisez, l’État juif, est une exception par rapport aux normes américaines et européennes.

Ces normes ne sont pas uniformes. En France, la plupart des militants antimondialisation voient dans le libéralisme une force ennemie de la souveraineté des nations. Leur donnez-vous raison ?

Historiquement, le libéralisme est au contraire intimement lié à l’idée de nation. Ainsi, le livre d’Adam Smith, souvent considéré comme la clé de voûte du libéralisme économique, s’appelle Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776). Smith y parle de marché national et de droits individuels, des concepts associés au libéralisme et liés à l’État-nation qui les protège et les définit. Ceci dit, je n’ai aucun doute sur le fait que la mondialisation ancrée dans le libéralisme occidental dépasse et défie l’autonomie, la souveraineté et les traditions des États. Dans ce contexte, la plupart des pays occidentaux voient monter le scepticisme à l’égard de leurs institutions, de leurs mythes et de leurs héros. Ce phénomène se traduit aussi par les progrès de l’iconoclasme aux États-Unis.

Ces derniers mois, la crise du coronavirus a bouleversé le regard sur la mondialisation. Même des apôtres convaincus de la mondialisation, comme Emmanuel Macron, critiquent le libre-échange et défendent la souveraineté nationale. Notre monde mercurien est-il en train de s’apolliniser ?

C’est juste. Au fond, la mondialisation défie la démocratie, car cette dernière suppose l’existence d’un demos, c’est-à-dire d’une communauté politique – ethnique ou non – qui s’autodéfinit, s’autoadministre et s’autogouverne. Or, un monde global semble ne pas laisser suffisamment d’espace aux États dont chacun aspire à un destin, une identité, une monnaie et un paysage singuliers. On peut donc comprendre que les hommes politiques tentent de répondre aux demandes de certaines franges de leur électorat.

En somme, le populisme exprime une demande de démocratie plus qu’il ne la menace ?

Si certains mouvements défenseurs d’un État et d’une communauté traditionnels ne sont pas de nature ni d’aspiration démocratiques, la plupart du temps, on peut en dire autant des globalistes ! Les citoyens sont mus par des préoccupations différentes, mais interconnectées – l’économie, la peur du chômage et de l’avenir, l’état de la culture de la société dans laquelle ils vivent…  La résolution de tous ces problèmes exige de définir la communauté politique, autrement dit le principe même de peuple. Si le peuple est constitué de l’humanité entière, cela implique qu’il faut former un gouvernement mondial. Or, pour beaucoup de gens, cette idée relève de la contre-utopie.

L’Occident souffrirait d’un désarroi civilisationnel, sinon d’un vide culturel, qui le rendrait vulnérable ?

Ce n’est pas un vide complet. Il existe une entité géopolitique appelée Occident qui après avoir incarné une conception particulière de la chrétienté, a porté une mission civilisatrice, puis a représenté le monde libre par opposition à l’URSS. Aujourd’hui, l’Occident ne produit plus de mot apte à le représenter. Reste une alliance militaire (l’OTAN) qui peine à définir son objet. Dernièrement, l’Occident s’est défini comme le promoteur de la démocratie et des droits de l’homme. Mais l’idéologie des droits de l’homme étant dans son principe même globale et non étatique, l’Occident ne peut prétendre se l’arroger de manière très convaincante. La comparaison avec la Chine est cruelle : voici une civilisation qui semble sûre d’elle-même et structurée autour de certains concepts et textes fondateurs qui restent incontournables.

Certes, le confucianisme peut servir de supplément d’âme à la dictature chinoise, mais revenons aux démocraties occidentales. Parti des États-Unis, le mouvement Black Lives Matter semble s’engouffrer dans la béance identitaire de l’Occident. Sa rhétorique victimaire vise-t-elle à faire des Noirs les nouveaux Juifs ?

Absolument. Ce mouvement entend créer une nouvelle catégorie de victimes en divisant le monde en deux catégories raciales : les Blancs et tous les autres. Ériger une race ou un certain type de population en victime universelle constitue une évolution considérable dans le paysage moral du monde occidental, car cela remet en cause la place qu’y occupaient les Juifs depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Que ses participants en soient ou non conscients, Black Lives Matter défie donc l’idéologie victimaire juive.

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Amende de 200€ pour les consommateurs de cannabis: encore un enfumage?

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Le rôle de la Justice est beaucoup critiqué en cette rentrée 2020 comme ne permettant pas d'appliquer la politique répressive voulue par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin (photo) © NICOLAS MESSYASZ/SIPA Numéro de reportage : 00846974_000015

Cannabis. « On ne va pas légaliser cette merde », pérore le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin dans les médias. En attendant, l’amende forfaitaire de 200€ promise aux consommateurs a peu de chance d’être appliquée, comme le montre une note de la Direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice tombée entre nos mains.


La mise en place d’une amende forfaitaire de 200€ visant les consommateurs de cannabis, une des annonces phare de la rentrée, serait-elle un « enfumage » ? Censée désengorger les tribunaux, et selon Jean Castex « lutter contre les points de vente qui gangrènent les quartiers », la mesure semble être en réalité d’une efficacité toute relative. Dans un document que nous avons pu consulter, à destination des procureurs et émanant du Ministère de la Justice – texte signé par la directrice des affaires criminelles et des grâces Catherine Pignon–, on comprend que les conditions de verbalisation vont donner du fil à retordre aux forces de l’ordre.

Dupond-Moretti prêt à couper l’herbe sous le pied des flics

En effet, sont déjà exclus les mineurs, et les cas relevant d’une multiple infraction. Mais les exceptions ne s’arrêtent pas là. On apprend avec stupeur que le procès-verbal ne peut être dressé si la personne conteste la procédure ; ou encore, que la destruction de la drogue ne peut avoir lieu sans son accord:

« Conçu comme un dispositif simple et n’ayant pas vocation à générer un contentieux important, le recours à l’amende forfaitaire sera écarté en cas de contestation par le mis en cause de la matérialité des faits, ou de son refus de renoncer aux droits attachés à la confiscation et à la destruction des stupéfiants et matériels saisis »

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Dans ces cas, retour à la procédure normale – confiée au parquet – avec la mansuétude des juges qui débouchera dans le pire des cas sur une ordonnance pénale du même montant, ou au mieux pour l’incriminé, l’ensevelissement de son dossier sous des milliers d’affaires non-traitées.

D’après plusieurs témoignages, les policiers en charge des contraventions s’arrachent déjà les cheveux. On découvre que « les conducteurs de véhicule terrestre à moteur », ainsi que les contrevenants en possession de différents produits – et donc suspectés de polytoxicomanie –, sous l’emprise d’alcool ou de stupéfiants, ne sont pas concernés par le texte. Par ailleurs, la mesure ne s’applique pas pour la détention d’héroïne.

Toi pas comprendre, toi pas d’amende !

Page 5 du document, un détail qui va provoquer la jalousie des détenteurs d’un Bac L attire notre attention : « Ainsi, la procédure d’amende forfaitaire ne devra pas être mise en œuvre lorsque la personne présente des difficultés de compréhension du fait de son absence de maîtrise suffisante de la langue française ».

J’ai peur d’avoir bien compris. Mais si toi pas comprendre, toi pas d’amende ! Sans rire, cette distinction entre contrevenants est-elle constitutionnelle ? Je le répète, lorsque les forces de l’ordre ne verbalisent pas le consommateur, le contrôle est théoriquement suivi d’une procédure. Néanmoins, rien ne nous assure que la sanction – si, un jour, elle est prononcée ! – ne sera à la hauteur de l’amende forfaitaire. Il est donc dans l’intérêt du consommateur de ne pas avoir à régler sur-le-champ.

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La dichotomie entre le discours du gouvernement – en apparence déterminé à éradiquer la délinquance – et les textes transmis en interne aux procureurs ne présage aucune avancée sécuritaire. Il y a quelques jours, Gérald Darmanin le répétait pourtant avec fermeté sur le plateau de BFM :  « Vous avez un joint, quelques grammes de cannabis, vous avez une amende immédiatement ». Après analyse des instructions du Ministère de la Justice, permettez-moi de douter du caractère automatique de la sanction ! C’est à se demander si le virage à droite du président Macron n’est pas une vaste fumisterie ?

Ci-dessous la dépêche du Ministère de la Justice

Pour en finir avec le verrou palestinien?

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Jared Kushner, le gendre du président américain, est à la manœuvre dans ces rapprochements diplomatiques. Ici photographié le 4 septembre 2020 à Washington © Shutterstock/SIPA Numéro de reportage: Shutterstock40789457_000025

Égypte, Jordanie, Émirats arabes unis et Bahreïn reconnaissent désormais l’État hébreu. Tout le monde ne s’est pas réjoui des accords passés récemment entre Israël et des nations arabes. Pour preuve un titre ambigu du journal Le Monde. L’analyse d’Yves Mamou.


Coup sur coup, à l’instigation de l’administration Trump, deux royaumes arabes ont paraphé un accord de paix avec Israël. Les premiers, les Émirats arabes unis ont fait savoir à la mi-août 2020 qu’ils allaient normaliser leurs relations avec l’État hébreu. Moins d’un mois plus tard, Bahreïn a annoncé lui aussi son traité de paix avec Israël. 

Ces deux accords historiques ont suscité plus de désarroi que d’enthousiasme dans les chancelleries européennes. Le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, a réaffirmé sa volonté de rester « fidèle à une solution négociée à deux États (Israël-Palestine) » et Emmanuel Macron s’est empressé de téléphoner à Mahmoud Abbas, président de l’Autorité Palestinienne, pour l’assurer de la « détermination (de la France) à œuvrer pour une solution juste et respectueuse du droit international ». Ce qui se traduit par : « nous agirons pour que nul n’oublie les Palestiniens, ni la solution à deux États ». 

La gêne des médias occidentaux

Les médias inféodés à cette diplomatie de la « solution à deux États » ont réagi eux aussi du bout des lèvres. Le 11 septembre dernier, Le Monde a ainsi fait un fort étrange usage de la typographie, en mettant entre guillemets l’expression « accord de paix » dans le titre de son article parlant du rapprochement entre Israël et Bahreïn. Comme si cet« accord de paix » n’en était pas vraiment un ; comme si deux accords de paix successifs d’États arabes avec Israël ne pouvaient décidément pas être pris au sérieux ; comme si ces deux accords de paix concoctés par Donald Trump ne méritaient aucune considération ; comme si ces traités de paix perdaient toute validité en officialisant une coopération ancienne – mais terriblement clandestine – entre Israël et les Émirats arabes unis.

Ces étranges comportements des chancelleries et des médias mainstream s’expliquent de deux façons. 

– Le parti des médias et la diplomatie européenne affirment si fréquemment – et si inconsidérément – depuis quatre ans que Donald Trump est un être superficiel, incompétent et inconséquent, qu’ils se retrouvent aujourd’hui fort dépourvus : le crétin peroxydé bouleverse lentement mais surement les lignes de forces au Moyen-Orient sans qu’eux-mêmes aient rien vu venir. 

A lire ensuite, Gil Mihaely: Liban: la guerre civile permanente

– Ces deux traités – sans doute suivis par d’autres – ont l’énorme avantage de faire sauter le verrou palestinien qui a progressivement, bloqué toute évolution au Moyen-Orient. Les Arabes du Golfe qui entretenaient des relations discrètes avec Israël incitaient depuis plusieurs années Benjamin Netanyahu à « régler le problème palestinien ». Faites la paix avec les Palestiniens et nous ouvrirons une ambassade dans votre pays. Ce à quoi Israël répondait invariablement : faisons d’abord la paix, ouvrez une ambassade et vous verrez que le problème palestinien finira pas se régler. 

Le Premier ministre israélien avait parfaitement compris que la question palestinienne n’était pas faite pour être réglée. Le peuple palestinien, fabriqué par des États arabes qui ont refusé de les intégrer à leur population, réclame depuis les années 1970 un impossible « droit au retour » ; ces réfugiés partis 700 000 en 1948 et devenus six millions en 2020 n’ont jamais eu pour fonction ni pour ambition de faire la paix avec Israël. La question des « réfugiés » et celle de leur « droit au retour » sont deux armes sciemment construites par les pays de la Ligue arabe pour briser Israël. 

Mais cette arme palestinienne a commencé insensiblement à se retourner contre ses concepteurs arabes. La révolution chiite de 1979 en Iran a fait de la question palestinienne un enjeu de pouvoir entre islamistes chiites iraniens et islamistes sunnites arabes.

Chiites contre sunites

Dès le début des années 1980, les Iraniens se sont saisi de la question palestinienne et en ont fait un outil de déstabilisation des régimes arabes sunnites. Ils ont créé le Hezbollah en 1982, au Liban, et l’ont armé et formé pour que cette milice soit en mesure de rivaliser avec les forces israéliennes. La guerre de 2006 entre le Hezbollah chiite et Israël, cette guerre qui a duré trois semaines – soit plus longtemps qu’aucune armée arabe a jamais tenu face à Israël -, a plus fragilisé les États arabes qu’enfoncé un coin dans l’invincibilité d’Israël. À cette occasion, le message que Téhéran a tenu aux populations arabes d’Égypte, de Jordanie ou des Émirats a été (en substance) on ne peut plus clair : « ce petit Satan sioniste que vos dirigeants corrompus sont incapables de détruire, nous les Chiites iraniens, nous les membres du Hezbollah, nous allons lui faire la peau ». 

L’alliance du Hamas – qui règne à Gaza – avec le régime iranien à partir de 2013-2014, a eu deux conséquences majeures : l’Iran est devenu définitivement maître du conflit israélo-palestinien et tout espoir de paix s’est éloigné à jamais. L’arme palestinienne conçue par les Arabes pour les Arabes est aujourd’hui entre les mains du Hezbollah et du Hamas, deux mouvements au service de l’Iran. 

Le Hamas entretient désormais une tension permanente avec Israël à la demande des Iraniens et incite l’Autorité Palestinienne à la surenchère contre Israël. 

A lire aussi, Leonid Berkovich: Paix Emirati-Israélienne, devoir d’émotion

Pour sortir de cette spirale infernale, les États hostiles à l’Iran – les États arabes et Israël – n’avaient pas d’autre choix que de se débarrasser du problème palestinien. Ce qu’ils entament progressivement aujourd’hui. Une opération délicate dans la mesure où ces mêmes États arabes, soixante ans durant, ont expliqué à leur opinion publique que tous leurs problèmes tenaient à l’existence de l’État d’Israël et au non-règlement de la question palestinienne.

Reconfiguration en cours

Le processus est désormais en cours : sauf accident, d’autres Etats arabes vont remiser aux oubliettes le problème palestinien et vont se rapprocher d’Israël. Un axe américano-israélo-sunnite a commencé de se constituer contre l’Iran et ses satellites irakien, syrien, libanais, yéménite… et palestinien. 

– Dans cette nouvelle configuration, les Européens se trouvent face à un choix difficile. Quand en 2017, Donald Trump a dénoncé l’accord sur le nucléaire iranien conclu par son prédécesseur Barack Obama, les Européens se sont opposés à lui. Pour préserver leurs échanges commerciaux avec l’Iran, les pays membres de l’Union européenne ont créé Instex, un outil destiné à protéger des sanctions américaines les entreprises européennes prises en flagrant délit de commerce avec l’Iran. Aujourd’hui que les Etats sunnites se débarrassent discrètement de la question palestinienne, que va faire l’Europe ? Va-t-elle s’accrocher à cette fiction de la « solution à deux États » et du « droit au retour » pour mieux marquer sa différence avec les États-Unis ? Va-t-elle faire alliance officiellement avec l’hégémonisme iranien contre les États pétroliers du Golfe et l’Arabie saoudite ? 

Le voyage d’Emmanuel Macron au Liban (et ses contacts avec le Hezbollah) peuvent préfigurer un désarrimage de l’Occident européen avec l’Occident américain.

Cocoricide

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Photo D.R.

Néoruralité. Les mystérieuses mutilations récentes d’équidés ne doivent pas nous faire oublier un autre triste dossier…


Après la mort du célèbre coq Maurice de Saint-Pierre-d’Oléron, dont le chant indisposait une voisine, une nouvelle tragédie a frappé un gallinacé en mai dernier. Le coq Marcel, joie du poulailler de Sébastien Verney et de sa famille, habitant le village de Vinzieux en Ardèche, a été cruellement assassiné à coups de fusil et de barre de fer par le voisin de la maison. Celui-ci a en outre empoisonné les haricots et saccagé le potager. Le voisin, interrogé par la police, a avoué le « coquicide » et sera jugé dans les mois qui viennent.

A lire aussi, enquête: Dans nos campagnes, des néoruraux multiplient les procès rageurs

Mais les Verney ne veulent pas s’arrêter là : le « glorieux coq Marcel » ne doit pas être mort en vain. Il doit nous faire prendre conscience des assauts que subit la vie rurale face aux exigences ignares d’urbains nouvellement décentralisés. « Nous sommes en Ardèche, fier territoire rural, alors qui sera la prochaine victime : le chant des tourterelles, la moisson du blé, les tomates qui poussent, le braiment de l’âne, le son de nos clochers ou la mise en pâturage de nos vaches ? » écrivent-ils dans leur pétition enflammée qui a déjà récolté 75 000 signatures. Et les médias ont suivi : reportage de France 3 Bourgogne, articles de presse publiés en France, en Allemagne et en Espagne. Du coup, Loïc Dombreval, président LREM du groupe d’études parlementaire Condition animale, qui déclare au Figaro : « Il y a effectivement des néoruraux qui veulent imposer le mode de vie de la ville à la campagne. Cette volonté de dominer la nature est intolérable ! » Qui prendrait en effet la défense des néoruraux contre les gentils animaux de la ferme, habitants légitimes de nos terroirs en perdition ? Tous réclament ainsi le vote par le Sénat de la loi sur le « patrimoine sensoriel », destinée à protéger les « bruits et odeurs » de la campagne d’éventuelles poursuites en justice.

Le consensus ne s’embarrasse pas de nuances. Si on ne sait absolument rien du profil du tueur ni de son mobile, Sébastien Verney a tout du « campagnard » atypique : docteur en histoire spécialiste de l’Indochine et chargé de cours à l’université de Saint-Étienne. À croire qu’on est toujours le néorural de quelqu’un.

DSK m’a tuer

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2012 © SETH WENIG-POOL/SIPA Numéro de reportage: 00649254_000014

La vie gâchée de Nafissatou Diallo


Nul n’ignore plus désormais que le 15 mai 2011, un riche mâle blanc – au patronyme pas très catholique de surcroît – apparaissait au monde menotté, la mine harassée et les yeux cernés. L’inculpation pour agression sexuelle du chouchou des Français pour les présidentielles de 2012 nous vaudra la présidence cinq ans durant d’un certain François Hollande…

Excisée à 7 ans

Dans un entretien à Paris-Match, la femme qui a brisé les desseins politiques de l’ancien directeur général du FMI se livre sur cette affaire de fesses qui a modifié le cours de l’Histoire: « je m’apprête à entrer dans la chambre sur la gauche, quand je vois apparaître cet homme nu. Alors, je m’écrie : « Oh mon Dieu ! Je suis désolée. » Puis tout est arrivé… ». « Honnêtement, je pense que je ne serai jamais heureuse », prédit la femme de chambre la plus célèbre au monde qui rappelle lors de cet entretien qu’elle n’a pas eu une vie facile. Née à Tchiakoullé, un village très pauvre de Guinée dans une famille de sept enfants, Nafissatou Diallo a vécu dans une maison en torchis « sans eau ni électricité avec une seule pièce où tout le monde dormait, en partageant les lits ». Néanmoins elle l’affirme, elle a eu une enfance heureuse. « Jusqu’à l’âge de 7 ans tout allait bien… »

Alors que s’est-il passé?, s’enquiert le reporter Olivier O’Mahony. Un camion a emmené la fillette pour rencontrer « une femme horrible » l’attendant avec un couteau. « Une des filles qui saignait beaucoup a succombé », précise Nafissatou Diallo. À l’âge de 14 ans, les choses ne s’arrangent pas: en vertu d’une intouchable tradition de paix et d’amour, la fille d’imam est mariée de force à un cousin éloigné de dix ans de plus qu’elle ayant déjà un enfant d’un précédent mariage. La jeune mariée fond en larmes le jour de son mariage – ce que l’on comprendra aisément -, puis s’ennuie terriblement: tandis que Monsieur pérégrine à son aise – pour son travail, précise-t-elle -, elle reste à tourner en rond entre quatre murs. Fort heureusement, comme nombre de femmes en ce monde, sa vie s’illumine à nouveau avec la naissance de sa fille, elle s’appelle Amina.

Une existence tragique ? La faute à DSK…

Les belles histoires étant souvent les plus barbantes, la tragédie reprend ses droits: quelques années après, le mari rend l’âme. « On a écrit qu’il était mort du sida », lui lance le reporter. « Je ne veux pas parler de ça », rétorque Nafissatou. On la comprendra là-aussi: hormis chez les adeptes du candaulisme, on n’est guère cocu de gaîté de cœur, confesser que son ex-compagnon faisait en plus n’importe quoi décuplerait son sentiment d’humiliation. Veuve à l’âge de 19 ans, Nafissatou Diallo travaille dès lors dans le restaurant de son frère à Conakry. « C’est là où un soir, des soldats m’ont violée », lâche-t-elle. Pauvre Nafissatou, qui coche décidément toutes les cases. Telle une bénédiction après une sombre existence dans un long tunnel de misères, une lueur d’espoir jaillit enfin, elle se nomme Amérique. 

Dans l’eldorado new-yorkais, Nafissatou Diallo s’en sort alors « grâce à un boulot dans un salon de coiffure, puis dans un restaurant ». « La vie est plus agréable ici qu’en Guinée si vous avez un boulot ! », s’enflamme-t-elle. Nous la croirons sur parole, au regard de sa jeunesse si peu enviable dans son pays natal.

« L‘affaire DSK a gâché sa vie » ? Sans remettre en cause sa souffrance, plutôt que de nous assurer que si DSK « avait été pauvre, clochard, dans la rue, il serait aujourd’hui en prison », il serait salutaire de voir Nafissatou Diallo aussi militer contre l’excision, les mariages arrangés avec bénédiction des mamans au visage voilé et autres viols de fillettes.

Car si les bourreaux ne sont pas là de riches mâles blancs, ils n’en demeurent pas moins de sacrés salauds. Au vu des épreuves qu’a endurées Nafissatou Diallo, on ne peut s’empêcher d’imaginer qu’elle aurait aisément pu recadrer « l’homme nu aux cheveux blancs » dans la suite 2806 du Sofitel. Eux seuls le savent, ils n’étaient que deux dans la chambre. Souhaitons néanmoins un avenir pavé de joies enchanteresses à Nafissatou Diallo ! À 41 ans il serait temps. 

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Judith Waintraub menacée: pas de place pour les « oui mais… »

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Judith Waintraub, journaliste au Figaro Magazine. Paris, FRANCE – 6/12/2017. Numéro de reportage  : 00835284_000007 Auteurs  : IBO/SIPA

La banalisation du voile accompagne la progression de l’islamisme. Et Judith Waintraub du Figaro magazine a bien le droit de le penser


Vendredi 11 septembre dernier, notre consœur Judith Waintraub, journaliste au Figaro Magazine, postait le message suivant sur Twitter : « 11 septembre », en accompagnement d’une vidéo de BFMTV présentant une étudiante proposant des conseils de cuisine avec un voile islamique.

De nombreux utilisateurs du réseau social ont alors fait part de leur désapprobation, estimant que le message de la journaliste était indigne voire raciste. La musique habituelle.

Banalisation du voile islamique à la télé

Pire, la journaliste a reçu des menaces par plusieurs comptes anonymes. Un compte a proféré: «On va te rafaler ta mère comme 2 frères sur Charlie». En plein procès des attentats, cela fait tout de même très mauvais genre.

Gerald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, a réagi, tout comme de nombreuses personnalités politiques de premier plan qui soutiennent la journaliste. « Quels que soient les désaccords, parfois profonds, que j’ai avec Judith Waintraub, je condamne vivement les menaces de mort qu’elle reçoit » a indiqué le ministre.

Indignations

Manuel Valls va plus loin et s’en prend à Nadia Hai, Ministre déléguée chargée de la Ville qui avait trouvé l’allusion de Waintraub « triste et indigne » : «Soutien total à Judith Waintraub. Face aux menaces et aux intimidations il n’y a pas de place pour le ‘mais’ et le relativisme…et surtout de la part d’un(e) ministre». L’eurodéputé LR François- Xavier Bellamy, enfin, résume bien le cœur du problème :  «Une journaliste est menacée de mort, mais certains élus préfèrent s’indigner de son tweet… Oui, la banalisation du voile accompagne la progression de l’islamisme. Et consentir à la terreur qui veut interdire toute critique, c’est s’en rendre complice». Causeur ne peut qu’approuver.

Maires agressés: « Il est temps de faire changer la peur de camp »

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© Eric Beracassat/SIPA Numéro de reportage: 00960510_000001

Une circulaire doit permettre de sanctionner plus sévèrement les agresseurs de nos maires. Entretien avec Pierre-Emmanuel Bégny, auteur de Chers administrés, si vous saviez…


Pierre-Emmanuel Bégny a été maire de Sâacy-sur-Marne, petite commune de moins de 2 000 âmes située à 75 km de Paris, dans cette France périphérique traversée par des problématiques à la fois rurales et urbaines. Jeune élu en 2014, il a exercé son mandat du mieux qu’il pouvait. Il ne s’est pas représenté en 2020. Dans son livre Chers administrés, si vous saviez…, paru en janvier dernier, il expliquait les raisons de son engagement mais aussi celles qui lui ont fait raccrocher l’écharpe tricolore. 

D’après les chiffres de l’AMF, 233 maires ont été agressés de janvier à juillet. Faites le compte, on est à plus d’une agression par jour !

Son récit s’ouvre sur une apostrophe blessante à son égard. Une de ses administrées l’insulte en pleine rue, alors qu’il doit faire face à une terrible inondation et qu’une coulée de boue menace de se déverser dans tout le village : « Tiens, regardez-moi cet imbécile ! Il ferait mieux de nous aider à éponger au lieu de se pavaner dans la rue. »

L’insulte exprime un mépris, mais aussi la colère d’une habitante qui écope sa maison inondée et rejette la faute sur le seul responsable à portée d’engueulade : le maire. Pour Bégny, cette insulte, c’est la goutte de trop… qui lui fait prendre conscience qu’il ne briguera pas un autre mandat. À l’heure où les agressions de maires – parfois d’une rare violence – ont émaillé l’actualité, Causeur a souhaité savoir ce que pense cet ancien élu local. À son tour, il pousse un coup de gueule.

Isabelle Marchandier. À l’issue de la réunion interministérielle organisée sur les violences contre les élus le 2 septembre, le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti a déclaré qu’un maire insulté est un maire outragé. Contrairement à la simple injure, qualification jusqu’alors retenue dans la plupart de ces affaires, celle d’outrage permettrait la mise en œuvre de travaux d’intérêts généraux… Le Ministre a déclaré : «c’est simple, c’est pragmatique, c’est efficace et ça va dans le bon sens». Cette réponse pénale est-elle à la hauteur de la recrudescence de la violence contre les élus locaux, selon vous ?

Pierre-Emmanuel Bégny. C’est la montagne qui a accouché d’une souris. Mettre autour de la table pendant toute une matinée le Garde des Sceaux, le ministre de l’Intérieur, la ministre de la Cohésion des territoires et le président de l’association des maires de France et annoncer tambour battant la requalification de l’injure en outrage, les bras m’en tombent ! 

A lire aussi: Agressions de maires: il va y en avoir combien d’autres?

Franchement, j’attendais d’autres mesures pénales plus en rapport avec la réalité sur le terrain. La violence verbale ne va pas sans la violence physique. En général lorsqu’un maire est agressé c’est souvent une pluie d’insultes qui pourraient se terminer par un coup de poing. Cette mise en lumière des violences verbales par le gouvernement à l’issue de cette réunion, c’est pour mieux détourner l’attention des agressions physiques qui ont émaillé cet été 2020, et dont les auteurs n’ont eu comme simple peine, un rappel à la loi. Aujourd’hui, les maires sont pris pour cible comme la police. D’après les chiffres de l’AMF, 233 maires ont été agressés de janvier à juillet. Faites le compte, on est à plus d’une agression par jour. Il est temps de faire changer la peur de camp et ça passe par des condamnations judiciaires sévères.

Comment expliquez-vous cette violence contre les maires qui demeurent paradoxalement l’élu préféré des Français?

Les maires sont effectivement toujours plébiscités, sondage après sondage, par une très large majorité de Français. Dans un sondage d’Opinionway en octobre dernier, 78% des citoyens interrogés estimaient que ce sont les maires qui comprennent le mieux leurs préoccupations. Mais derrière ces chiffres, il y a la réalité du terrain beaucoup moins reluisante. Dans mon livre, j’explique que finalement les mairies sont devenues des bureaux des plaintes et que le maire concentre en sa personne tous les dysfonctionnements de sa commune. Hier, les rôles étaient mieux répartis. On allait voir le curé pour se confesser, le médecin pour se soigner et le maire pour régler des problèmes administratifs. Aujourd’hui, avec le déclin du catholicisme et nos déserts médicaux, le maire devient le dernier repère sociétal dans les territoires isolés. Il doit endosser toutes les casquettes qui étaient autrefois mieux réparties. Les maires qui ont été agressés cet été ne sont pas forcément des élus de villes de banlieues gangrénées par le trafic de drogue et le communautarisme rampant. Ce sont aussi des maires de petites communes situées dans des coins très reculés dont on ne parle jamais.

Le rapport du sénateur Philippe Bas sur les agressions des maires soulignait que le dépôt de plainte après une agression n’était pas automatique. Dans le questionnaire qui a servi de base à ce rapport, seulement 37% des édiles répondants avaient saisi la justice à la suite d’une attaque physique ou verbale. Comment expliquer ce non recours à la justice ?

Me concernant, j’ai porté plainte une fois après qu’un internaute m’a traité de « gros con de maire » sur les réseaux sociaux. Mais pour d’autres attaques, j’ai renoncé à porter plainte. Passer trois heures à attendre dans un commissariat que sa plainte soit enregistrée, c’est impossible lorsqu’on est maire en plein temps. Et puis il y a le découragement face à la défaillance de toute la chaine pénale, et l’augmentation des classements sans suite du Parquet. Au lieu de faire de beaux discours et des séminaires de rentrée, le gouvernement ferait mieux d’entamer un vrai travail pédagogique auprès des élus, pour les inciter à porter plainte systématiquement. Il faut faciliter l’accès au dépôt de plainte. Et mieux répertorier les maires victimes d’agressions. Pourquoi ne pas mettre en place un numéro vert dédié ?

A lire aussi: Mort du maire de Signes: «Il faut faire des exemples»

Les forces de l’ordre sont régulièrement prises à partie dans notre pays. Les chauffeurs de bus sont agressés, parfois de façon fatale comme on l’a vu à Bayonne. Les agressions contre les maires participent-elles de cet ensauvagement de la société dont on nous rebat les oreilles ? 

Absolument. Mais, ça ne date pas d’hier non plus. Le phénomène ne fait que s’aggraver avec des jeunes de plus en plus violents. Le terme d’ensauvagement est, à mes yeux, correct car il décrit bien la réalité. Darmanin aurait peut-être du préciser que l’ensauvagement concerne certaines catégories de la population. Mais la gravité de la situation exige que les politiques dépassent les querelles sur le choix des mots et passent à l’action. 

Qu’attendre alors de la circulaire qui sortira dans les prochains jours ? 

On attend toujours l’application de la circulaire Belloubet de novembre 2019 qui demandait déjà une réponse pénale systématique aux violences contre les élus, trois mois après la mort du maire de Signes, renversé par une camionnette…. Le problème c’est que les magistrats s’essuient les pieds sur les circulaires. Indépendants, ils font ce qu’ils veulent. Il faudrait que le ministre de la Justice tape fort et réaffirme auprès du Parquet les sanctions prévues par le code pénal. Il faut aussi donner aux maires les moyens de réagir. La loi engagement et proximité leur a permis de mettre des amendes plus importantes aux auteurs de délits, mais si cette initiative n’est pas accompagnée de moyens coercitifs, elle ressemble à une matraque en mousse.

L’origine du monde d’après

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Laurence des Cars, directrice du musée d'Orsay © MATTHIAS BALK / DPA / dpa Picture-Alliance via AFP.

« Jeanne » a donc été interdite à Orsay : une robe bien coupée au décolletté trop profond, des seins trop omniprésents selon l’avis des vigiles, et vous voilà refoulée. Sans qu’on lui dise, comme elle l’a précisé dans un compte-rendu fort bien écrit (si les Vénus callimastes — à partir de μαστός, le sein — ont du style, où allons-nous ?) déposé très vite sur Twitter, ce qui était choquant : « Ça », disaient les sbires de la Vertu. 

Où commence l’indécence ? Nous sommes désormais fixés : au bonnet D. À C, « ça » se discute encore, A ou B sont acceptés : « Les femmes dos nu, en brassière ou en crop-top », cela passe sans problème tant qu’elles sont « toutes minces et avec très peu de seins ». Comme Jeanne l’a dit elle-même, « cachez ce sein que nous ne saurions voir » : si les indécentes (aux Enfers) s’approprient Molière, où allons-nous ? 

La société privée à laquelle Orsay a délégué la gestion de la Vertu ne recrute manifestement pas des athlètes de l’intellect.

« Femme piquée par un serpent », statue de marbre de Auguste Clésinger.

La direction du musée s’est d’ailleurs excusée devant le tollé. Peut-être Laurence des Cars, qui préside l’institution, et qui, lectrice attentive des œuvres de son grand-père Guy, a dû apprendre dans l’Impure (1946) ou dans l’Entremetteuse (1970) ce qu’est une femme de petite vertu, devrait-elle organiser, pour les personnels chargés de la sécurité et de la sauvegarde des visiteurs à moralité étroite, une visite guidée de son établissement. Leur expliquer qu’un musée qui s’enorgueillit (à juste titre) de posséder le Déjeuner sur l’herbe ou l’Olympia a des vues assez larges sur ce qu’est la provocation. Leur rappeler qu’en 2014 la plasticienne Deborah de Robertis est venue s’exposer, cuisses ouvertes, un jeudi de l’Ascension, juste en dessous de l’Origine du monde, sexe noir contre sexe roux. Que l’on ne peut défendre une morale rigoriste quand on expose la Femme piquée par un serpent d’Auguste Clésinger — en fait la « présidente » Sabatier : Théophile Gautier, qui connaissait assez bien la jeune femme pour lui écrire d’Italie des lettres polissonnes dont elle faisait la lecture publique dans son salon, disait que c’était « le pur délire orgiaque, la Ménade échevelée qui se roule aux pieds de Bacchus, le père de liberté et de joie » et qu’un « puissant spasme de bonheur soulève par sa contraction l’opulente poitrine de la jeune femme, et en fait jaillir les seins étincelants ». Mazette ! Cela laisse assez loin, dans l’obscénité, le sillon d’ombre fort décent où se devinent les seins de Jeanne.

A lire aussi, Sophie Bachat: Retour de la pudibonderie au musée d’Orsay?

Cela ne dépasserait pas le stade de la bévue si l’événement ne venait après l’expulsion d’Agathe chez Leclerc ou celle de Marion chez Casino. À chaque fois des vigiles tatillons ont refoulé des jeunes femmes sous prétexte de tenues légères : que diable, tout le monde ne peut pas s’habiller en burka… Et « ça » s’ajoute à l’intervention de gendarmes sur une plage à Sainte-Marie-la-Mer, venus demander à des femmes qui bronzaient seins nus de remettre leur soutien-gorge, car leur nudité gênait une famille installée tout à côté sans doute pour mieux s’offusquer — elle fait des kilomètres, la plage de Sainte-Marie-la-Mer.

Tout cela participe d’une grande vague de puritanisme qui est en train de déferler sur notre pays. Chaque fois que cela est arrivé dans l’histoire, que ce soit dans la Florence de la fin du XVe siècle (avec l’épisode calamiteux de Savonarole) ou dans l’Angleterre des Stuarts, c’était en réaction à une décadence ressentie, une fin de monde, une peur subite d’être entraîné vers l’Enfer — et le canyon vertigineux entre les seins de Jeanne est sans doute la voie de la damnation. En ces temps d’épidémie, quelque chose doit se payer : notre licence supposée, notre indécence intellectuelle, l’abus de liberté — un concept familier à ceux qui préfèrent le carcan et le corset des règles à la démarche vaporeuse des créatures venues faire de la retape pour Satan ou Iblis.

Jeanne a dû visiter Orsay emmitouflée dans une veste qui cachait l’objet du délit. La dernière fois que j’ai vu exiger ce genre de camouflage, c’était dans un monastère des Météores, et dans la mosquée bleue d’Istanbul, où un pantalon, ostentation des vénus callipyges, doit être camouflé sous un tissu faisant jupe. On ne peut que répéter à ces sicaires de la vertu deux autres vers de Tartuffe : « Vous êtes donc bien tendre à la tentation / Et la chair sur vos sens fait forte impression ». L’obscénité est dans le regard du puritain, pas dans les courbes de Jeanne.

Sauvez vos salles obscures, allez tous au cinéma!

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Liu Yifei, l'héroïne du dernier film Disney "Mulan", photographiée à Los Angeles en mars 2020. Disney a depuis décidé de sortir le film sur son service en ligne Disney + plutôt que dans les salles. © Jordan Strauss/AP/SIPANuméro de reportage: AP22436839_000067

Chute dramatique de la fréquentation en France


Depuis le 22 juin, les cinémas sont rouverts. Malheureusement, les Français ne retrouvent pas aisément le chemin qui mène à leurs salles favorites. Certes l’offre de films – surtout pour les cinémas généralistes dits grand public – reste réduite. Elle est plus fournie dans le secteur de l’Art et Essai, même s’il n’y pas pléthore de films passionnants pour l’instant.

Un discours intenable

Néanmoins, il est impossible de cautionner un discours qui prétend qu’il n’y aurait pas de bons films dans les salles depuis la reprise. Les œuvres Le Sel des larmes de Philippe Garrel, Hotel By The River de Hong Sang-soo, Eva en Août de Jonas Trueba, Light Of My Life de Casey Affleck ou Family Romance de Werner Herzog, Été 85 de François Ozon ou Police d’Anne Fontaine sont de très beaux films.

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Et les sorties récentes de produits plus commerciaux, Tenet de Christopher Nolan, Effacer l’historique de Gustave Kervern et Benoît Delépine, Les Blagues de Toto de Pascal Bourdiaux, alliant sens de la comédie, de l’aventure et du divertissement visent un public plus jeune et plus populaire se rendant dans les multiplexes.

Un effondrement de 73,8% entre l’été 2019 et l’été 2020

Malgré l’existence de ces films, force est de constater que la fréquentation cinématographique a baissé de manière inquiétante sur les deux mois et demi écoulés depuis la réouverture. La fréquentation des salles de cinéma françaises s’est effondrée de 73,8 %  cet été par rapport au mois de juillet et août 2019. La plupart des multiplexes ont perdu entre 65% et 73% de leurs entrées. Les salles indépendantes Art et Essai sont moins touchées et n’ont perdu que 30% de leur public plus fidèle. Sans compter, ce qui n’aide pas, que plusieurs cinémas ne font plus que trois séances journalières: 16h, 18h et 20h et que certains sont restés fermés cet été.

Changements de comportements

Les raisons de cette mauvaise fréquentation sont multiples. Les salles ont fermé pendant 99 jours consécutifs, un fait inédit. Des films ont été privés de distribution en salles de cinéma tel Mulan de Niki Caro produit par Disney, distributeur du film qui a décidé de programmer cette nouvelle version du dessin animé, sur sa plate-forme Disney+ dès le 4 septembre. Cette décision a été très contestée, à juste titre, par les exploitants de salles. La Fédération nationale des cinémas français, l’Association Française des Cinémas Art et Essai et le Groupement National des salles de Recherche déplorent d’ailleurs le fait que certains films ne sortent pas dans les salles et soient directement diffusés sur des plates-formes vidéo.

C’est que de nombreux spectateurs se sont abonnés à une ou plusieurs plateformes vidéos comme Netflix, Amazon Prime, Disney, MyCanal… préférant regarder les films chez eux et ne pas sortir par peur de la pandémie, de même qu’ils préfèrent pour beaucoup d’entre eux acheter leurs vêtements, livres, nourritures, vins ainsi que de nombreux produits sur internet. 

A lire aussi, Effacer l’historique: Un trio de “laissés pour compte” touchant

La pandémie n’a pas seulement provoqué le confinement, elle a favorisé l’accélération, à très grande vitesse, des changements de comportements sociaux sur le visionnement de films à domicile.  Cette situation peut devenir inquiétante car l’on passerait alors de la distanciation sociale à la rupture des liens sociaux. Il est évidemment bien plus agréable et plaisant de découvrir un film en salle de cinéma, de rire, d’avoir peur ou d’être émerveillé par la beauté de la mise en scène, entouré d’autres. D’être accueilli par des directeurs de salles,  de rencontrer des équipes de films…

Une exception culturelle menacée

Chaque semaine, un million de spectateurs a retrouvé le goût du cinéma en salles. Bien que très éloigné de la fréquentation d’avant la pandémie, une partie du public assidu est revenue en France mais la dépendance économique et culturelle aux États-Unis est ravageuse. Les films américains ne sortant pas aux États-Unis voient aussi leur sortie reportée sine die en France. 

Or comme le fait remarquer Erwan Escoubet, le directeur des affaires réglementaires et institutionnelles à la Fédération nationale du cinéma français (FNCF).  » La situation est dramatique. En France, les sorties américaines représentent 50% des entrées. Pour beaucoup de cinémas, c’est une colonne vertébrale« . L’état de la situation sanitaire américaine assombrit l’avenir des cinémas du monde entier. Seule, la France résiste faisant figure d’exception culturelle. Cette exception doit être préservée.

Avec cette baisse drastique de la fréquentation, les cinémas français vivent une période catastrophique malgré la qualité des films français à l’affiche. Les exploitants de salles (F.N.C.F., A.F.C.A.E., G.N.C.R.) appellent à la solidarité des spectateurs et des pouvoirs publics et font des propositions concrètes. Le premier Ministre Jean Castex et son gouvernement promettent un plan d’aide de 165 millions au secteur cinématographique. 

Face à la baisse des entrées, aux manques de recettes, à la baisse des retours de TSA(1), ces aides seront bien trop faibles pour sauver un secteur culturel et industriel français majeur. Espérons qu’à l’instar du projet mis en place pour la défense du livre, celui du cinéma fera l’objet d’un soutien à la hauteur des enjeux. L’Association Française des Cinémas Art et Essai dirigé par François Aymé a envoyé au Centre National du Cinéma et au Ministère de la Culture dix propositions importantes et pertinentes pour la sauvegarde des salles de cinéma en France.

Maintenant, il ne tient plus qu’à nous de sauver nos cinémas.

Ainsi soit Je

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Emmanuel Carrère en 2001 © Hannah Assouline

Quand Emmanuel Carrère tombe dans les pires travers de l’autofiction avec Yoga.


« Une phrase doit être un bon vecteur d’électricité », écrit Emmanuel Carrère dans son nouveau livre. Alors un court-circuit a dû se produire assez rapidement. Et la nuit est tombée. On a retrouvé un peu de lumière lorsque l’auteur évoque la mémoire de son ami Bernard Maris assassiné lors du massacre de la rédaction de Charlie Hebdo par des terroristes islamistes.

Coupure de courant page 215

Puis ce fut la coupure définitive à la page 215 avec cinq adverbes indigestes. En fait la réussite de cet essai au sens où l’entendait Montaigne, à savoir un récit qui s’essaie, prend une voie, puis une autre, tâtonne, digresse, réside dans son titre Yoga. Après deux mois de confinement, la peur d’un étrange virus, entretenue par les politiques, une société fracturée, en proie à l’intolérance et à la violence, c’était miser sur l’efficacité.

A lire aussi, un autre son de cloche, Serge Féray: «Yoga», un livre de bonne foi

D’autant plus que l’éditeur, madré, s’est bien gardé de donner un genre à ce pavé autobiographique. Le yoga, la méditation, retrouver le bon chemin, la vie saine, le corps souple, occupent l’interminable première partie. Carrère a décidé de se retrancher du monde en compagnie de quelques autres humains épuisés et paumés pour pratiquer la méditation. Il faut dire que sa vie fut un vrai calvaire depuis la naissance. L’enfance vécue dans le XVIe arrondissement, les études dans un prestigieux lycée, les déambulations sur la montagne Sainte-Geneviève, ça laisse de profondes séquelles. Mais l’auteur a de l’humour, un humour grinçant. À la fin du livre, il avoue que la méditation, au fond, « c’est pisser quand on pisse et chier quand on chie » (page 351). Au moins, avec Les Essais, de Montaigne, l’esprit y gagnait en sagesse et surtout en hauteur.

Séquestré volontaire dans son stage de remise en forme spirituelle, Carrère apprend par hasard le carnage de Charlie Hebdo. Le terrorisme entre alors dans le récit pour déboucher sur la terrible dépression de l’auteur, direction Sainte-Anne, avec une série d’électrochocs, un traitement à la kétamine et le besoin irrépressible d’être euthanasié tant la vie paraît insupportable à presque soixante ans.

Où est passé l’auteur de l’excellent Limonov ?

On s’ennuie de plus en plus ferme à découvrir l’univers de cet homme diagnostiqué bipolaire, et on regrette son Limonov qui nous avait conquis. Nous ne sommes pas à l’hôpital psychiatrique de Rodez, en pleine occupation allemande, avec les quelques milliers de malades, dont Artaud, que les dirigeants de Vichy tentèrent d’éliminer physiquement puisqu’ils les considéraient comme des dégénérés (40 000 morts !). L’expérience d’internement subi par Carrère ne contribue pas à rendre puissant son ouvrage, bien au contraire. Ça ne décolle jamais. On est loin du Vang Gogh le suicidé de la société, d’Artaud, rédigé après une série d’électrochocs. L’auteur, du reste, semble se rendre compte que le livre lui échappe et que son égocentrisme emporte tout. Il évoque son « narcissisme insatiable ».

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On le retrouve ensuite en Grèce en formateur bénévole pour les réfugiés afghans. L’un d’entre eux, Hamid, est aussi beau que le Delon de Rocco et ses frères. Tant mieux pour lui. Bien sûr, Carrère profite de ce récit sans but (Mais c’est le chemin qui est le but, paraît-il) pour citer des extraits de ses précédents ouvrages et pour nous révéler qu’il ne tape que d’un doigt. Damned ! Carrère évoque Paul Otchakovsky-Laurens, l’éditeur qui a publié l’ensemble de son œuvre, mort le 2 janvier 2018, « sur une petite route de Guadeloupe ». POL n’aura donc pas lu ce livre. Aurait-il demandé à son auteur de couper et reprendre ? Nous ne le saurons jamais. Mais on peut raisonnablement penser que oui.

Lithium et moraline

Carrère cite certains écrivains, comme Michel Houellebecq. Il avoue être jaloux de lui. On le comprend. Les romans de Houellebecq donnent à réfléchir par temps de catastrophe. On prédit le prix Goncourt à Yoga. L’auteur prend du lithium mais il est également sous moraline. Il parle de Jean-François Revel, loue ses remarquables livres « éblouissants d’intelligence ». Il écrit : « Je n’en connais pas de meilleurs sur Proust, pas de vues plus justes ni plus orwelliennes, sur le totalitarisme et l’obscénité des intellectuels de gauche. » Il peut, en effet, le dire puisque ces intellectuels-là sont morts avec la gauche qu’ils ont précipitée dans le néant.

Mais, avec une pointe de perversion, Carrère montre aussi un Revel minable, alcoolique, « poussant son caddie exclusivement rempli de bouteilles de pinard, lui-même apoplectique, sans cou, renfrogné… » Il faut bien décrire sous un sale jour le brillant penseur libéral qui a mis en lumière les failles des démocraties occidentales. Et puis, il y a l’uppercut à son ancien ami Renaud Camus, édité jadis chez P.O.L, « aujourd’hui un idéologue d’extrême droite, inventeur de la théorie du ‘’ grand remplacement ‘’ (des bons français de souche par les Nègres et les Arabes) ». Le sujet aurait exigé un traitement moins caricatural.

Au bout du chemin, donc, le Goncourt est possible.

Pendant ce temps-là, la dictature sanitaire s’intensifie, le chômage de masse progresse, les faillites se multiplient et les provinces de France supportent de moins en moins cette petite caste qui les méprise en se caressant le nombril.

Emmanuel Carrère, Yoga, P.O.L

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Confession d’un enfant du siècle juif

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Des parachutistes de l’armée israélienne devant le Mur des lamentations, après la conquête de Jérusalem-Est à l’issue de la guerre des Six-Jours, 7 juin 1967. © David Rubinger / GPA FILES / AFP.

Pour l’historien Yuri Slezkine, l’Occident post-totalitaire manque de cause à défendre. Affaiblies par la mondialisation et le droit-de-l’hommisme, nos démocraties nationales traumatisées par la Shoah font pâle figure face au dynamisme chinois.


Causeur. Dans votre essai, Le Siècle juif, vous distinguez deux catégories de peuples : les « apolliniens » et les « mercuriens ». À quoi correspond cette distinction ?

Yuri Slezkine. Les sociétés traditionnelles se divisent entre producteurs de nourriture et fournisseurs de services. J’appelle les premiers apolliniens, car ils sont chasseurs, bergers ou paysans, autant de métiers associés à la figure du dieu Apollon. Quant aux mercuriens, à l’image du dieu du commerce Mercure qui se joue des frontières avec ses sandales ailées, ils ne se nourrissent pas eux-mêmes, mais remplissent des tâches traditionnellement perçues comme trop dangereuses ou impures par les populations apolliniennes qui les environnent. Ils sont soit recrutés en tant qu’étrangers pour accomplir ces missions, soit deviennent étrangers en les accomplissant.

À quelles tâches pensez-vous ?

Tout ce qui est étranger au monde familier : communiquer avec des mots différents – souvent magiques –, s’aventurer vers des terres et des tribus différentes, soigner les corps, fabriquer certains objets, travailler le feu et les métaux, manipuler de l’argent… Dans certaines sociétés, ce travail est assuré par des experts, issus de groupes ethniques particuliers – Juifs, Chinois en Asie du Sud-Est et en Amérique, Indiens installés en Afrique de l’Est, Libanais d’Afrique de l’Ouest et d’Amérique latine, gens du voyage, etc.

Auteur du Siècle juif (La Découverte, 2009), Yuri Slezkine est chercheur associé à l’université d’Oxford et professeur à Berkeley. Dernier ouvrage traduit en français : La Maison éternelle (La Découverte, 2017).
Auteur du Siècle juif (La Découverte, 2009), Yuri Slezkine est chercheur
associé à l’université d’Oxford et professeur à Berkeley. Dernier ouvrage
traduit en français : La Maison éternelle (La Découverte, 2017).

Tous ces mercuriens perpétuent un lien dans le temps avec leurs ancêtres, alors que les apolliniens s’enracinent davantage dans l’espace. Fussent-ils sédentarisés au même endroit depuis longtemps, les mercuriens restent des exilés, car ils se sentent étrangers à leur environnement. Apolliniens et mercuriens se considèrent respectivement comme fixes et enracinés pour les uns, changeants, temporaires et nomades pour les autres. Ces différences font qu’ils se méfient et se méprisent les uns les autres. La plupart des agriculteurs jugeant par exemple immoral de manipuler de l’argent, cette tâche devient le fait des mercuriens.

… notamment des Juifs, ce qui est à l’origine de tenaces préjugés antisémites. Pourquoi les Juifs de la diaspora incarnent-ils les parfaits mercuriens ?

Si les Juifs sont remarquables, c’est par leur longue expérience des tâches mercuriennes en Europe, le continent qui dominait le monde et a inventé la modernité. Les Juifs maîtrisaient en effet les tâches centrales de la vie moderne, que sont l’interprétation des textes et le financement de l’entrepreneuriat. C’est fondamental dans le monde actuel, aussi bien dans l’éducation supérieure, l’entreprise, la science, le journalisme, le droit, la médecine. Par conséquent, au xxe siècle, pour beaucoup de sociétés apolliniennes, devenir moderne signifiait à maints égards devenir juif : plus mobile, plus urbain, intellectuellement plus souple. Quand ce processus a été enclenché en Europe, les Juifs ont perdu leur niche mercurienne et sont devenus encore plus étrangers qu’auparavant.

Le XXe siècle est celui des totalitarismes, communiste et nazi, et de l’Europe saignée par la Shoah. N’est-ce pas incongru de le qualifier de « siècle juif » ?

Je parle de « siècle juif » d’abord parce que le xxe siècle a été à la fois celui d’un succès juif frappant et celui d’une catastrophe juive unique. En second lieu, parce que la plupart des nations européennes sont devenues plus « juives », au sens que j’ai déjà donné. Troisièmement, parce que ces mêmes nations européennes sont devenues plus nationalistes – au sens de l’Ancien Testament. Chaque terre est devenue promise, chaque peuple élu, chaque langue nationale adamique, chaque capitale Jérusalem.

Ce mimétisme a-t-il conduit les États-nations européens en gestation à absorber ou exclure leurs habitants juifs ?

Au tournant des xixe et xxe siècles, la plupart des États européens ont eu des difficultés avec leurs populations juives. Réciproquement, la population juive avait également des difficultés avec son nouvel environnement. Ayant perdu la fonction particulière qu’ils occupaient dans l’Europe traditionnelle, les Juifs n’appartenaient pas vraiment aux États nouvellement nationalisés sur une base ethnique. Il en est allé différemment en France et aux États-Unis, car ces deux pays mettaient l’accent sur la nature civique de leur État. Mais dans des pays comme la Hongrie ou l’Allemagne et ailleurs en Europe de l’Est, là où ils constituaient la majorité de la classe moyenne et une part substantielle de l’élite intellectuelle, le conflit entre les Juifs et l’État a été particulièrement flagrant.

Au point d’atteindre le sommet de l’horreur durant la Seconde Guerre mondiale lorsque l’Allemagne nazie a exterminé une grande partie des Juifs d’Europe. Quelles ont été les conséquences de la Shoah sur l’exode juif du xxe siècle ?

La tragédie de l’Holocauste a bouleversé l’équilibre entre les trois grandes migrations qui représentaient pour les Juifs trois options géographiques et idéologiques modernes : l’émigration vers la Palestine pour bâtir une nation apollinienne comme les autres (Israël), l’émigration vers l’Amérique pour vivre dans le monde du libéralisme non ethnique et l’émigration souvent oubliée de l’ancienne zone de résidence juive de l’ex-Empire russe vers les villes de l’Union soviétique. Après l’Holocauste, l’option sioniste a bondi – à New York et Moscou, aussi bien qu’à Tel-Aviv.

De 1917 aux années 1930, l’URSS a fait profession de philosémitisme avant de se retourner contre ses Juifs. Comment l’expliquez-vous ?

À l’intérieur de l’Empire russe, les Juifs étaient très fortement représentés dans le mouvement socialiste comme ils l’étaient au sein des mouvances libérales et révolutionnaires européennes ou américaines. En 1917, il y avait proportionnellement plus de communistes parmi les Juifs qu’à l’intérieur de tout autre groupe ethnique ou religieux en Russie. Après la révolution, le succès des Juifs dans les professions urbaines modernes, y compris parmi les hiérarques du Parti, a été d’autant plus fort que les traditionnelles élites industrielles, commerçantes ou terriennes avaient été pratiquement anéanties.

Puis, dès les années 1930, sous Staline, la relation spéciale entre le régime soviétique et les Juifs russes a commencé à se détériorer, car la nature même de l’URSS avait changé. Par rapport à ses premières années, l’URSS n’était en effet plus du tout vue comme un État prolétarien internationaliste, mais comme l’héritier légitime de l’Empire russe. Ce changement de représentation, de la classe à l’empire, voire à la nation russe, a fait entrer l’URSS en conflit avec les Juifs, parce que ces derniers occupaient ostensiblement des positions d’influence dans l’État soviétique. Ce divorce a été aggravé par l’émergence d’Israël, allié au bloc occidental, entraînant des migrations juives de masse vers l’État hébreu et l’Amérique à partir des années 1960-1970.

Justement, le projet sioniste a rompu avec des siècles d’éparpillement diasporique. À vous lire, l’État juif serait un îlot apollinien dans une époque mercurienne. Autrement dit, tout le monde est devenu juif et mercurien… sauf l’État juif ! Que répondez-vous à Alain Finkielkraut qui vous reproche de blâmer Israël en tant qu’exception dans un monde postnational ?

Je ne blâme personne ! (rires) Si je considère Israël comme une exception, ce n’est pas parce que l’État juif a réussi à transformer des mercuriens en une nation apollinienne. Ce qui fait des Israéliens une exception, c’est qu’ils ont été autorisés à mener une politique que les standards du monde occidental considèrent désormais comme inacceptable. Cette politique est celle de l’exclusivité ethnique et tribale : Israël se définit comme un État juif d’une façon que ni la Suède ni l’Allemagne ne pourraient aujourd’hui assumer en disant appartenir aux Suédois ou aux Allemands ethniques.

Pour le dire clairement, pensez-vous que les Israéliens bénéficient d’une sorte de blanc-seing moral dû aux millions de morts de la Shoah ?

Oui, même si cette exception n’est plus aussi forte qu’elle l’était. Après la Seconde Guerre mondiale, le monde occidental a considéré l’Holocauste comme le plus grand crime jamais commis dans l’histoire mondiale. Cet universel moral de l’Occident a fourni à Israël une sorte de droit d’exception.

On pourrait vous objecter que la Turquie pratique une politique expansionniste, de Chypre à la Libye en passant par la Syrie, sans rencontrer aucune adversité. Et pourtant, les Turcs n’ont subi aucun génocide, bien au contraire… 

Je ne perçois aucune admiration particulière pour la Turquie dans les grands médias occidentaux ! En revanche, jusqu’à une date assez récente, Israël était présenté comme un État vertueux. Même si Erdogan a été récemment autorisé à mener certaines actions géopolitiques et militaires, ces politiques ne sont pas considérées comme moralement justifiées.

Les critiques d’Israël sont plutôt virulents. Pour beaucoup de gens, sionisme = racisme, certains osent même sionisme = nazisme… On est plus indulgent avec la Chine qu’avec l’État juif. 

Comme je vous l’ai dit, Israël n’est plus invulnérable et les critiques se multiplient, mais le nom même que vous utilisez, l’État juif, est une exception par rapport aux normes américaines et européennes.

Ces normes ne sont pas uniformes. En France, la plupart des militants antimondialisation voient dans le libéralisme une force ennemie de la souveraineté des nations. Leur donnez-vous raison ?

Historiquement, le libéralisme est au contraire intimement lié à l’idée de nation. Ainsi, le livre d’Adam Smith, souvent considéré comme la clé de voûte du libéralisme économique, s’appelle Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776). Smith y parle de marché national et de droits individuels, des concepts associés au libéralisme et liés à l’État-nation qui les protège et les définit. Ceci dit, je n’ai aucun doute sur le fait que la mondialisation ancrée dans le libéralisme occidental dépasse et défie l’autonomie, la souveraineté et les traditions des États. Dans ce contexte, la plupart des pays occidentaux voient monter le scepticisme à l’égard de leurs institutions, de leurs mythes et de leurs héros. Ce phénomène se traduit aussi par les progrès de l’iconoclasme aux États-Unis.

Ces derniers mois, la crise du coronavirus a bouleversé le regard sur la mondialisation. Même des apôtres convaincus de la mondialisation, comme Emmanuel Macron, critiquent le libre-échange et défendent la souveraineté nationale. Notre monde mercurien est-il en train de s’apolliniser ?

C’est juste. Au fond, la mondialisation défie la démocratie, car cette dernière suppose l’existence d’un demos, c’est-à-dire d’une communauté politique – ethnique ou non – qui s’autodéfinit, s’autoadministre et s’autogouverne. Or, un monde global semble ne pas laisser suffisamment d’espace aux États dont chacun aspire à un destin, une identité, une monnaie et un paysage singuliers. On peut donc comprendre que les hommes politiques tentent de répondre aux demandes de certaines franges de leur électorat.

En somme, le populisme exprime une demande de démocratie plus qu’il ne la menace ?

Si certains mouvements défenseurs d’un État et d’une communauté traditionnels ne sont pas de nature ni d’aspiration démocratiques, la plupart du temps, on peut en dire autant des globalistes ! Les citoyens sont mus par des préoccupations différentes, mais interconnectées – l’économie, la peur du chômage et de l’avenir, l’état de la culture de la société dans laquelle ils vivent…  La résolution de tous ces problèmes exige de définir la communauté politique, autrement dit le principe même de peuple. Si le peuple est constitué de l’humanité entière, cela implique qu’il faut former un gouvernement mondial. Or, pour beaucoup de gens, cette idée relève de la contre-utopie.

L’Occident souffrirait d’un désarroi civilisationnel, sinon d’un vide culturel, qui le rendrait vulnérable ?

Ce n’est pas un vide complet. Il existe une entité géopolitique appelée Occident qui après avoir incarné une conception particulière de la chrétienté, a porté une mission civilisatrice, puis a représenté le monde libre par opposition à l’URSS. Aujourd’hui, l’Occident ne produit plus de mot apte à le représenter. Reste une alliance militaire (l’OTAN) qui peine à définir son objet. Dernièrement, l’Occident s’est défini comme le promoteur de la démocratie et des droits de l’homme. Mais l’idéologie des droits de l’homme étant dans son principe même globale et non étatique, l’Occident ne peut prétendre se l’arroger de manière très convaincante. La comparaison avec la Chine est cruelle : voici une civilisation qui semble sûre d’elle-même et structurée autour de certains concepts et textes fondateurs qui restent incontournables.

Certes, le confucianisme peut servir de supplément d’âme à la dictature chinoise, mais revenons aux démocraties occidentales. Parti des États-Unis, le mouvement Black Lives Matter semble s’engouffrer dans la béance identitaire de l’Occident. Sa rhétorique victimaire vise-t-elle à faire des Noirs les nouveaux Juifs ?

Absolument. Ce mouvement entend créer une nouvelle catégorie de victimes en divisant le monde en deux catégories raciales : les Blancs et tous les autres. Ériger une race ou un certain type de population en victime universelle constitue une évolution considérable dans le paysage moral du monde occidental, car cela remet en cause la place qu’y occupaient les Juifs depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Que ses participants en soient ou non conscients, Black Lives Matter défie donc l’idéologie victimaire juive.

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