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Multiculturalisme britannique: tea for too many


Vus de France, les Britanniques paraissent incarner le multiculturalisme assumé, pour le meilleur et pour le pire. Outre-Manche, cette doctrine, qui n’a jamais joui d’un statut officiel, est contestée mais largement pratiquée localement. Cependant, il n’y a pas consensus sur une identité nationale partagée par tous.


« Londres n’est plus vraiment une ville anglaise. » Ce propos hautement coupable n’émane pas de quelque xénophobe militant, mais de l’acteur et scénariste comique John Cleese, ancien membre des Monty Python, qui d’habitude affiche des opinions très libérales. Pourtant, son intervention à la télévision australienne en 2011 a provoqué un esclandre. Pure coïncidence, c’est en 2011 que le dernier recensement officiel, qui permet le recueil de statistiques ethniques, a révélé que seuls 44 % des Londoniens s’identifiaient comme « Blancs britanniques ». En 1971, le chiffre aurait été de 86 %. Certes, l’appartenance ethnique ne détermine pas nécessairement l’appartenance culturelle et Cleese s’est défendu contre les inévitables accusations de racisme en prétendant qu’il parlait en termes culturels, exprimant une nostalgie pour un mode de vie aujourd’hui balayé par la mondialisation. Mais cette défense a été disqualifiée, au nom des bienfaits indiscutables de la diversité en 2011 par le maire conservateur de Londres, Boris Johnson, et en 2019 par une déclaration véhémente de son successeur, le travailliste Sadiq Khan. Le multiculturel est d’emblée supérieur au monoculturel.

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Le hasard ou la nécessité ?

Le discours de la diversité et de l’inclusion a pris la relève de l’apologie du multiculturalisme qui survit aujourd’hui sous ces synonymes. Le terme, mais non pas l’idée, est tombé en disgrâce outre-Manche suite aux critiques acharnées dont la doctrine a fait l’objet tout au long des années 2000. Ces condamnations, venant tant de la gauche que de la droite, provoquées par des émeutes dans le nord de l’Angleterre et les attentats terroristes, ont culminé en 2011 quand le Premier ministre conservateur, David Cameron, a déclaré que le multiculturalisme était un échec. Pourtant, le mot « multiculturalisme » est ambigu : une société est-elle multiculturelle quand il y existe une pluralité de cultures en l’absence de toute stratégie publique efficace ? Ou quand la coexistence plus ou moins harmonieuse de différentes communautés a été savamment orchestrée par les autorités ? Dans la mesure où le Londres de notre époque, comme le Royaume-Uni, est multiculturel, est-ce le fruit des circonstances ou d’un calcul politique ? Dans le débat en France, le Royaume-Uni est présenté comme le parangon du multiculturalisme – et la preuve que l’approche de l’État français est mauvaise, pour les uns, bonne, pour les autres. Tous ont tort.

Une société poulet tikka masala

Le multiculturalisme, qui est largement la création de théoriciens universitaires, est tout sauf une doctrine simple. S’il désigne une tolérance générale qui encourage les différentes communautés issues de l’immigration à garder leurs caractéristiques propres – habits, cuisine, musique, festivals religieux, voire langue –, il pose la question de l’équilibre entre le pluralisme culturel et un ensemble de valeurs partagées par tous les citoyens. Les différentes manières d’envisager cet équilibre permettent de distinguer deux grandes tendances. La première, fusionniste, envisage la création d’une culture nationale commune, largement constituée d’éléments provenant de la culture « indigène » majoritaire, mais incorporant certains apports des immigrés. Selon la deuxième, souvent qualifiée de séparatiste dans le jargon académique, chaque communauté est libre de s’isoler des autres, tout en participant à une économie commune, aucun statut spécial n’étant réservé à la culture indigène. Le Royaume-Uni a essayé de suivre la première approche sans tomber dans la seconde. Un des symboles de cette nouvelle culture commune est le carnaval de Notting Hill, la fusion d’une tradition venant de Trinité-et-Tobago et d’un festival de rue créé par des hippies blancs dans les années 1960. Un autre est le poulet tikka masala. En 2001, le ministre des Affaires étrangères a déclaré que cette recette, que certains prétendent inventée sur le territoire britannique par un immigré indien, avait évincé le fish and chips comme plat national. Toutefois, plusieurs polémiques ont révélé les limites de cette approche. Certes, il est largement admis que les sikhs roulant à moto soient dispensés du port du casque et que les femmes aient le droit d’arborer le voile intégral en public, en dépit du principe de l’égalité femme-homme. En revanche, la mansuétude de la justice envers les auteurs de crimes d’honneur, ainsi que l’hésitation des politiques et des médias à mettre en exergue l’ethnicité des bandes criminelles organisant l’exploitation sexuelle de mineures dans certaines villes ont suscité la controverse. Cette ligne de faille entre le fusionnisme et le séparatisme a donné lieu à un malaise profond et persistant.

Quand la confiance s’épuise

Toute la politique d’immigration britannique à partir des années 1950 et 1960 est fondée sur un compromis. Tandis que certaines restrictions sont imposées aux afflux en provenance du Commonwealth, en contrepartie, une législation de plus en plus stricte en faveur de l’égalité et contre le racisme vise à protéger les communautés d’immigrés qui se trouvent sur place. Le discours gouvernemental parle haut et fort de cette protection tout en taisant autant que possible sa volonté de limiter les arrivées.

Cependant, le multiculturalisme n’a jamais fait partie de la doctrine officielle de l’État. En revanche, il s’est insinué dans la pratique des municipalités. Les communautés diasporiques se plaignant toujours d’être les victimes de discriminations et de violences, certaines grandes villes comme Londres ou Bradford ont tenté de les compenser en subventionnant abondamment les associations locales. L’effet en a été de renforcer l’identité individuelle de chaque communauté, d’autant que l’accès aux fonds dépendait de l’affirmation d’une identité bien distincte. Au lieu de réduire les barrières, cette politique les a renforcées, non seulement entre Blancs et personnes de couleur, mais aussi entre sikhs et musulmans, Noirs et hindous.

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Des études sur l’exploitation commune de puits d’eau apportent un éclairage précieux ici. Dans une région spécifique du Kenya, la multiplicité des groupes ethniques sape la confiance réciproque au point de rendre cette exploitation très difficile. De l’autre côté de la frontière, en Tanzanie, où il y a la même multiplicité, la confiance est forte et l’exploitation plus facile. La raison en est que, à la différence du gouvernement du Kenya, celui de sa voisine a toujours eu comme objectif stratégique la création une identité nationale transcendant les identités ethniques. Actuellement, le Royaume-Uni souffre d’un défaut de confiance réciproque : d’un côté, des tendances culturellement séparatistes s’affirment dans certaines communautés ; de l’autre, l’identité commune censée rassembler tous les citoyens au-delà de leurs différences est l’objet de disputes acharnées dans lesquelles l’existence même d’une identité indigène majoritaire est contestée. Celle-ci ayant été réaffirmée par le vote pour le Brexit en 2016, on ne s’étonnera pas qu’elle ait fait l’objet d’un rejet brutal par le mouvement #BLM cette année. Les Britanniques vont-ils partager le fish and chips, le poulet tikka ou quelque galimafrée amère et indigeste ? La France et l’Angleterre, si longtemps séparées par la cuisine, sont unies par la même incertitude sur le plan identitaire.

Voulez-vous savoir pourquoi Macron hésite à reconfiner? Regardez du côté des Pays-Bas!

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Le confinement et la peur de la désobéissance civile


Pendant que la situation est critique en Hollande, en France, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal a testé hier l’idée d’un confinement “très serré” auprès de l’opinion publique. Le mot clé “désobéissance civile” s’est alors envolé sur les réseaux sociaux.

La Hollande brûle. Dans un mélange explosif de détresse, de ressentiment et de complotisme, des milliers d’émeutiers affrontent violemment les forces de l’ordre. Le confinement et le couvre-feu ont soufflé sur des braises qui ne sont pas près de s’éteindre.

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Les premières manifestations ont débuté dans la « Bible Belt » la région la plus croyante des Pays-Bas. L’interdiction faite aux temples d’accueillir plus de 30 croyants a été le signal de la révolte.

Je sors de chez moi

Puis des émeutes se sont étendues aux grandes villes, Rotterdam, Eindhoven. Sans masques, bravant le couvre-feu des milliers de manifestants sont descendus dans la rue. Leur slogan ce n’est pas « je reste chez moi, je sauve des vies » mais « je sors de chez moi, je sauve ma vie ».

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Ils ont été rejoints par des voyous venus des « quartiers chauds » (c’est comme ça qu’on appelle là-bas les quartiers sensibles). Ils parlent le wesh wesh néerlandais. Et n’ont rien à envier à leurs cousins français. Eux ils sont là juste pour le pillage et la dépouille.

Une guerre civile redoutée

Certains bourgmestres hollandais évoquent « un risque de guerre civile ». Le Covid-19 tue des êtres humains : il en détruit psychiquement beaucoup plus ! Boris Cyrulnik psychiatre unanimement reconnu, voit dans le confinement « une agression psychologique insupportable ».

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Il voit juste. Pour le moment la France est – comparée aux Pays-Bas – un pays sage. Il n’est pas certain que cette soumission à l’ordre sanitaire soit éternelle. Macron a pris la mesure de ce danger. S’agissant du confinement, il pèse et sous-pèse le pour et le contre. Le président de la République sait également que dans l’ancienne Egypte on mettait à mort les porteurs de mauvaises nouvelles.

Sanofi doit assumer son échec et se repenser


La France doit retrouver sa formidable capacité à innover et son rôle historique de précurseur dans la vaccination, après le terrible échec industriel de Sanofi.


Pour ceux qui continuent de s’étonner de l’existence d’une pandémie mondiale qui déstabilise tous les pays en excusant le nôtre, la France, de ne pas s’y être préparé, il convient de faire quelques rappels simples : ce sont les vaccins qui ont permis de stopper les ravages habituels sur l’humanité. La conséquence c’est que le nombre des humains a augmenté et que les techniques modernes ont augmenté les échanges mondiaux et donc la possibilité d’explosion quasi universelle des maladies transmissibles, contagieuses. Le succès incontestable des sciences médicales et biologiques ont permis de limiter la mortalité et donc d’augmenter la démographie avec comme conséquences des pandémies mondiales possibles, mais aussi une utilisation désordonnée des ressources naturelles conduisant aux atteintes actuelles à l’environnement. 

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En France, comme ailleurs dans le monde entier, on savait donc que les virus rodaient, et en particulier les coronavirus avec leur particularité de muter pour résister à ceux qui les combattent. Les sociétés pharmaceutiques mondiales devenaient de plus en plus grosses (Big Pharma) pour pouvoir financer les dépenses de mise au point de fabrication et de diffusion des médicaments et vaccins, non pas que la recherche en elle-même était très onéreuse, mais parce que les règlementations nationales et internationales demandaient de plus en plus d’essais thérapeutiques avant d’obtenir le droit de commercialiser un nouveau produit. Le gigantisme assumé par les gouvernements des pays développés était donc issu de la précaution et non du désir d’innover. C’est ainsi qu’en France Sanofi a absorbé la plupart des laboratoires nationaux, puis est allé faire ses emplettes à l’étranger, et il en a été de même pour l’ensemble du monde pharmaceutique.

On peut mettre beaucoup d’argent et échouer, l’essentiel est dans l’inventivité, l’innovation, dans la capacité de sortir des sentiers battus, de se remettre en question, tout le contraire du conformisme et de la précaution dans laquelle la société française s’enlise comme certaines de ses entreprises… hélas !

Mais qu’y avait-il de vraiment nouveau dans tout cela depuis les antibiotiques, les vaccins Pasteur-Koch et la découverte de la structure de l’ADN ? Finalement beaucoup d’améliorations mais rien d’essentiel. Les “nouveaux” produits devaient donc démontrer à la fois le plus de leur action et leur non-nocivité après des centaines de millions dépensés pour protéger la population d’effets secondaires désastreux immédiats ou futurs. 

La satisfaction des actionnaires privilégiée

On a donc assisté à une dérive des firmes pharmaceutiques, à l’origine possédées par des hommes de science convertis à la production et à la vente, vers des immenses conglomérats visant les revenus gigantesques de produits phares (blockbusters) pour satisfaire des actionnaires à la fois avisés et avides. On a changé de dirigeants, de stratégies et d’objectifs.

Les pères fondateurs de Sanofi partis (Jean-René Sautier et Jean-François Dehecq), alors qu’ils avaient fini par regrouper la quasi-totalité de la pharmacie nationale, l’entreprise est devenue un géant financier préoccupé essentiellement de la rentabilité pour ses actionnaires. Le virage pris en 2008 et 2010 a conduit à des changements fréquents de dirigeants, à une mondialisation assumée et à une stratégie hésitante. C’est ainsi que dans le domaine des vaccins la vente de la santé animale « Mérial » que Mérieux avait développé à Lyon a démontré une méconnaissance profonde du monde de la vaccination et de la biologie qui s’intéresse au vivant qu’il soit animal ou humain. L’unité vaccins humains restait une référence mondiale, compte tenu de la réputation universelle de Pasteur et Mérieux, mais les nouvelles technologies se développaient en dehors des grandes cathédrales dans les start-ups de « Biotech » qui fleurissaient à travers le monde, mais pas beaucoup en France. Ainsi pour faire brillamment ses travaux de recherche Emmanuelle Charpentier, prix Nobel de Chimie 2020 a dû s’expatrier, de même que beaucoup de chercheurs français. 

Manque d’écoute des communautés scientifiques et des argentiers pour les travaux non conformistes autour de la génétique, frilosité, principe de précaution, anathèmes… et lorsque quelque chose d’intéressant semblait près de l’éclosion, il valait mieux franchir le Rhin ou l’Atlantique ! Sanofi vaccins est donc resté dans sa ligne classique. Les avancées timides vers d’autres horizons n’entamaient jamais les certitudes de la  compétence historique illimitée des méthodes classiques. 

Sanofi doit se relever

L’histoire des vaccins s’est donc déroulée depuis dix ans en dehors d’une volonté nationale forte d’être sur tous les fronts et de rester les meilleurs du monde grâce à une réputation de sérieux mais aussi au soutien de l’innovation, de l’invention, du génie, de l’anticonformisme, qui ont fait la réputation séculaire de la science et de la technique françaises dans tous les domaines. La taille et les moyens financiers de Sanofi lui auraient permis de poursuivre ses travaux sur les vaccins dits sous -unitaires en poussant aussi les adénovirus comme les ARN messagers qui étaient étudiés par d’autres, mais cela n’a pas été le cas. Et pour la première société mondiale de vaccins, après l’abandon du vaccin animal c’est un échec qu’il faut assumer si on souhaite s’en relever. On ne peut pas dire, attendez, on va voir, peut-être mon vaccin a du retard, il sera meilleur, moins cher et plus universel. La pandémie actuelle était une hypothèse sur laquelle le monde entier travaillait, en particulier à Boston depuis plus de dix ans. Le coronavirus précédent avait été un avertissement que tous les scientifiques connaissaient. Si on voulait rester les premiers mondiaux il fallait travailler dans toutes les directions et avec les promoteurs des Biotech dont certains, d’ailleurs, comme Tal Zaks directeur médical de Moderna, étaient issus de Sanofi, comme son Président Stéphane Bancel de l’Institut Mérieux ! Pour éviter le drame actuel économique et social un vaccin était la seule possibilité, un vaccin français imaginé en France et financé chez nous aurait donné une priorité sanitaire au pays. Force est de constater que c’est le désormais ancien Président des Etats-Unis qui a décidé de « mettre le paquet » pour son pays sur les nouvelles technologies de vaccins qui redonnent l’espoir à son pays d’abord, puis à l’ensemble du monde de sortir de cette torpeur mortifère qui finit par anémier les humains et leurs œuvres. 

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Pour réussir un industriel doit être là au bon moment avec le bon produit, il est inutile de se chercher des excuses, et faire le retour d’expérience est alors une nécessité si on ne veut pas poursuivre dans la répétition des échecs: le plan de relance de l’économie montre bien l’insuffisance de réflexion sur ce qu’est l’industrie. On peut mettre beaucoup d’argent et échouer, l’essentiel est dans l’inventivité, l’innovation, dans la capacité de sortir des sentiers battus, de se remettre en question, tout le contraire du conformisme et de la précaution dans laquelle la société française s’enlise comme certaines de ses entreprises… hélas !  

Par ailleurs dans cette pandémie où le taux de mortalité reste faible comparé à celui des grands désastres historiques, la perspective de revenir à un fonctionnement social acceptable ne peut venir que d’une vaccination générale et donc d’une entraide de tous les pays et de toutes les entreprises. Aussi, on comprend donc tout à fait que Sanofi se mette à la disposition de Pfizer pour conditionner ses vaccins. Et ils pourraient faire de même pour Moderna ou Astra-Zeneca.

Génération identitaire victime de la dissolution de BarakaCity

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Le projet visant à interdire Génération identitaire en donne fortement l’impression.


Il y a de cela quelques semaines, Gérald Darmanin annonçait sur Twitter la dissolution de l’ONG islamiste Baraka City. Immédiatement, sur le même réseau social, où, sur l’air des victimes (paroles de Camélia Jordana, fanfare du FLN), la plupart des jeunes prennent la défense des djihadistes après chaque attentat, tout ce que la France compte de racisés s’était indigné et avait exigé la dissolution parallèle de Génération Identitaire. Les figures de l’islamo-gauchisme avaient fait de même. Pas entendues sur le moment, elles ne désarmèrent pas. Le 4 janvier, dans Regards, revue progressiste ultra, elles y allaient carrément d’une tribune afin que « la haine » du « groupuscule d’extrême droite » soit enfin admise par les pouvoirs publics et entraîne sa chute. 

Dans cette philippique, l’exagération voisinait avec le pur mensonge. Aubry, Autain, Thomas Portes et les autres écrivaient que les membres de Génération Identitaire se prêtaient à des « actions violentes, racistes et xénophobes ». Ils précisaient que « pas un mois ne s’écoule sans que ces nervis identitaires mènent des actions de terreur à travers le pays (sic) ». De quelles « actions » parlaient-ils ? Des ratonnades ? Des viols collectifs de femmes noires et arabes dans des fermes vendéennes ? Des décapitations de musulmans ? Des tueries au FAMAS dans des concerts de raï ? Non ! Il s’agissait du déploiement d’une banderole, de l’occupation du toit de la CAF de Bobigny, du « saccage » du siège d’SOS Méditerranée à Marseille. Dans l’esprit des auteurs de ce texte fort mal écrit, l’emploi du mot « terreur » visait bien sûr à amalgamer Génération Identitaire à l’islamisme politique radical – n’hésitez pas à ajouter une épithète, ça ne coûte rien –, à mettre sur le même plan – et même un peu devant, en fait – l’agit-prop d’un mouvement patriotique et les incessants massacres perpétrés, sur notre sol, par des islamistes. Pour justifier cette odieuse comparaison, nos Durutti des beaux quartiers versaient même dans une manipulation digne des heures les plus sombres de l’Union soviétique : « En octobre, en Avignon, c’est un homme portant un blouson de Génération Identitaire qui a braqué et menacé un chef d’entreprise avant d’être abattu par la police ». On se souvient que ce jour-là, déjà sur les réseaux sociaux, les mêmes fanatiques du vivrensemble s’étaient précipités sur ce détail ; ah ! avaient-ils claironné, on vous l’avait bien dit qu’à force d’humilier les musulmans, de gifler leur sensibilité, à force d’oser mêler l’islam aux crimes commis par des loups solitaires ou des déséquilibrés, vous alliez réveiller LABÊTIMONDE. Sauf que, apprit-on rapidement, le trentenaire qui avait erré en Avignon, arme à la main, était un ancien militant du PCF, qu’il avait fait dix séjours en HP, qu’il était inconnu au bataillon chez Génération Identitaire, et que le blouson en question, n’importe qui pouvait – et peut sans doute encore – en acheter un sur Internet. La suite de la diatribe était du même tonneau. En conclusion, ces contempteurs de l’identité française révélaient le véritable motif de leur appel à Darmanin : « Nous sommes extrêmement préoccupés par la décision rendue par la cour d’appel de Grenoble qui a prononcé une relaxe suite à l’occupation du col de l’échelle (sic) ». Au printemps 2018, en effet, des membres de Génération Identitaire avait fort pacifiquement manifesté, au sommet du col en question, contre l’invasion migratoire, sous les huées des médias qui les avaient présentés comme des nazis. C’est d’abord ce verdict qui avait poussé nos maquisards du XIe arrondissement à aligner des mots dans un texte si mal fichu que même Geoffroy de Lagasnerie – le Michel Foucault de Rennes-II – en aurait honte. Malgré le soutien de la magistrature, acquise à la cause antiraciste et à l’intersectionnalité, le droit n’avait pas permis de condamner les « nervis ». Après avoir lu ce torchon, je m’étais dit – j’ai des témoins – que Darmanin ne tarderait pas à céder afin d’envoyer un « signal » à la gauche qui, depuis deux siècles, dans ce pays dont elle déteste tant le peuple, oriente tous les « débats », est l’arbitre des élégances, domine le champ des idées comme la Mannschaft dominait autrefois les Bleus – Schumacher, on te retrouvera. 

Eh bien voilà, ça y est, nous y sommes. Après avoir répété, dans les Pyrénées, sa placide opération des Alpes, Génération Identitaire est à nouveau accablé par « les Amis du Désastre » (Renaud Camus). Et cette fois, Darmanin a pris les choses en main. « J’ai demandé aux services du ministère de l’Intérieur de réunir les éléments qui permettraient de proposer la dissolution de Génération Identitaire », a-t-il twitté. En français, cela veut dire que des fonctionnaires – et des contractuels en plus grand nombre – zélés sont en train de fouiller les CV, les comptes, les draps, les chiottes de tous les membres de l’association. « Il n’est pas de grand homme pour son valet de chambre », écrit Goethe ; il est certain qu’en sondant de la sorte, les équipes du ministre de l’Intérieur trouveront ce qu’elles cherchent ; nos juges rouges-verts pourront ainsi, enfin, condamner ce « groupuscule » qui les fait tant cauchemarder, pèse tant sur leur conscience, qu’ils ont très mauvaise, comme tout gauchiste qui se respecte. 

Quand on est patriote, on a le droit d’être en désaccord avec les actions menées par Génération Identitaire. On a aussi et surtout le devoir de se regarder dans une glace et de se demander ce que l’on fait concrètement pour contrarier l’effondrement accéléré de la civilisation française. Génération Identitaire, avec qui je n’ai aucun lien, dont je ne connais aucun des membres, se bouge, permet à de jeunes gens de se retrouver au milieu des décombres sous le poids desquels, isolés, promis à l’amertume par un système qui vise justement à nous briser moralement, nous croulons.  Et il n’hésite pas, ce mouvement, à occuper cette rue dont la gauche se croit propriétaire. Même s’il commet peut-être des erreurs stratégiques ou de communication – qui n’en commet pas ? –, il contribue au réarmement moral et intellectuel de la jeunesse française contre les puissances qui désirent la liquider. Son programme est, il me semble, plein de bon sens : il affirme que la France appartient d’abord aux Français. Ceux qui pensent que cette revendication est raciste n’iraient jamais contester que l’Algérie appartient aux Algériens, le Bénin, aux Béninois, la Thaïlande, aux Thaïlandais. 
Macron vient de lancer un « débat » sur l’identité nationale. Nul doute que ce dernier aussi ridicule que celui qui avait accompagné les dernières semaines du mouvement des Gilets jaunes. C’était en effet pitié que tous ces élus des territoires qui râlaient parce qu’ils n’avaient pas qui une médiathèque, qui une rocade, qui une dotation suffisante pour mieux nourrir le clientélisme sans lequel ces notables républicains resteraient dans l’ombre à laquelle leur médiocrité les destine. Quel « débat » sérieux est possible quand le pouvoir progressiste en choisit à la fois le cadre, les termes et les participants ? La dernière fois que nous eûmes droit à un raout de ce genre, sous Sarkozy, nous gagnâmes un musée de l’Immigration… De celui-là sortira peut-être un musée Adama Traoré.

L'incident

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Ironie interdite


Professeurs, Xavier Gorce, Alain Finkielkraut… Dans un monde cerné par la mal-nommée cancel culture, il devient périlleux de sortir en oubliant les guillemets.


L’ironie est le fait de dire le contraire de ce que l’on pense de façon à ce que l’on comprenne que l’on pense le contraire de ce que l’on dit. « C’est du joli ! » disait ma mère à chacune de mes frasques — et je comprenais globalement qu’elle n’appréciait pas outre mesure. J’avais peut-être quatre ou cinq ans, et ce n’était pas extraordinaire, dans ma génération, de comprendre le second degré à cet âge.

Changement de ton. Des adultes désormais sont infichus d’avoir de l’humour — ou d’en saisir le sel. La condamnation de Xavier Gorce par le Monde en fournit une preuve éclatante. «  Ce dessin peut en effet, écrit Caroline Monnot, directrice de la rédaction,  être lu comme une relativisation de la gravité des faits d’inceste, en des termes déplacés vis-à-vis des victimes et des personnes transgenres. Le Monde tient à s’excuser de cette erreur auprès des lectrices et lecteurs qui ont pu en être choqués. Nous tenons également à rappeler notre engagement, illustré par de nombreux articles ces derniers mois, pour une meilleure prise en compte, par la société et par la justice, des actes d’inceste, ainsi qu’en faveur d’une stricte égalité du traitement entre toutes les personnes. » Déjà l’année dernière le New York Times avait décidé de se passer de dessins de presse : l’humour de Chappatte et consorts paraissait trop subtil pour un journal qui désormais flatte la cancel culture — qui n’a par définition rien à voir avec la culture, puisqu’elle l’interdit.

Faut-il y voir une islamisation des esprits ? Je m’explique.

Ceux qui n’appréciaient pas les parodies de George Cukor (« Une étoile est née » — dans le cul de Mahomet) ou de Godard (« Et mes fesses ? Tu les aimes, mes fesses ? » — à propos du même) fournissent-ils désormais les codes de lecture de l’humour ? Les Juifs ne s’indignaient pas en 1986 que Desproges commençât un  sketch en glissant à mi-voix aux spectateurs : « Il paraît que des Juifs se sont glissés dans la salle » — continuant sur ce mode avec une férocité désarmante qui déclenchait des salves de rires dans un public qui n’était pas celui de Dieudonné. Mais ce même numéro, diffusé à des étudiants contemporains à qui je voulais faire saisir les mécanismes du second degré, provoqua récemment des mines inquiètes et des commentaires indignés. Qu’est-ce qui s’est perdu ? Comment Rabbi Jacob, film merveilleux où De Funès s’étonne (« Salomon est juif ! ») et surjoue le rabbin chantant, est-il devenu sinon invisible, du moins irréalisable aujourd’hui ?

Ce qui s’est perdu, c’est la perspective historique. Ce qui avait un sens dans une époque donnée n’a plus le même quand on perd le recul et la connaissance du contexte. Quand on perd le sens de l’humour.

Je suis au bout de ma carrière. Mais je plains les néoprofs d’aujourd’hui, qui devront allumer les guillemets avec les mains (ah, ce geste de, plus en plus fréquent pour signifier qu’on n’adhère pas à ce que l’on articule !) en étudiant le fameux plaidoyer de Montesquieu sur « l’esclavage des nègres ». Déjà, l’usage du mot « nègre » fait frémir d’horreur les consciences contemporaines. Alors quand le philosophe argumente : « Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête ; et ils ont le nez si écrasé, qu’il est presque impossible de les plaindre » et en rajoute une louche : « On ne peut se mettre dans l’esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir », comment ne pas s’insurger — sans comprendre que sans Montesquieu et quelques autres, l’esclavage serait toujours d’actualité, comme il l’est dans nombre de pays arabes où l’on a de la plaisanterie un usage fort discret. 

Ou encore, ce passage si célèbre du Candide de Voltaire :

« Là des filles, éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros, rendaient les derniers soupirs… »

Comment ? « Besoins naturels » ? M’sieur, c’est de viols en série qu’il est question ! Quelle ordure, ce Voltaire…

Il suffit de parcourir l’article Wikipedia sur Voltaire pour voir que les soucis contemporains, sur les femmes, les Noirs, les Juifs ou les homosexuels, ont corrodé notre image de l’un des plus grands philosophes des Lumières. Lire la féroce critique de la Bible du Dictionnaire philosophique à la lueur de la Shoah expose à des contresens redoutables, et à voir de l’antisémitisme là où il y avait de l’anti-jésuitisme. Mais qu’importe aux censeurs modernes qui du haut de leur nanisme intellectuel s’arrogent le droit de condamner tout ce qui ne pense pas comme eux…

Encore que « penser », en ce qui les concerne…

Une phrase décontextualisée suffit à vous faire passer au tribunal médiatique. En fait, décontextualiser revient à recontextualiser — dans un contexte mensonger. Vous ôtez à Voltaire l’ambiance de la Guerre de Sept ans, les atrocités des « Abares » et des « Bulgares », l’effroi de son héros devant la « boucherie héroïque », et vous ne conservez que l’expression de l’ironie qui, hors contexte, paraît une affirmation monstrueuse : « les besoins naturels », et ce glissement suave du viol à la violence et au meurtre.

Ajoutez à cela que le philosophe écrivait pour une poignée de gens cultivés : au XVIIIe siècle, les incultes ne s’occupaient pas à lire ses plaisanteries sérieuses, ni d’ailleurs quoi que ce soit. La généralisation des savoirs élémentaires n’a pas forcément produit une hausse du niveau, les imbéciles sont toujours légion, mais ils ont la possibilité de proférer leurs insanités sur les réseaux sociaux — en s’estimant largement les égaux de Voltaire.

Alain Finkielkraut a récemment fait l’expérience de ce qu’un propos découpé par des salauds malintentionnés peut provoquer auprès des naïfs. 

Nous vivons dans l’instant, persuadés d’être bons juges. Et nous ramenons à l’instant présent des œuvres ou des comportements issus de conditions totalement différentes. Comme si nous appartenions à une culture « incréée », comme le dieu du même nom. Hier, aujourd’hui ou demain sont à même enseigne. Et ce qui fut vrai dans les sables du désert il y a quatorze siècles est réputé vrai aujourd’hui.

Au XVIe siècle, quand on s’occupa de multiplier les signes de ponctuation, un grammairien proposa un « point d’ironie », pour signaler au lecteur qu’il ne fallait pas prendre au premier degré ce qu’il lisait. Mais on ne retint pas la proposition : personne ne pouvait se méprendre sur un trait d’humour, que diable ! 

Mais nous sommes tellement plus intelligents que nous avons besoin, désormais, de signaler d’un geste éloquent des doigts mis en crochets que nous plaisantons. Et que faute d’une gestuelle d’accompagnement, nous croyons que ce que dit l’autre est toujours déplorablement sérieux. Serait-ce que nous sommes devenus sérieusement crétins ?

Les effets des confinements sur la qualité de l’air largement exagérés

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Les confinements ont permis de mener une expérience sans précédent en grandeur réelle. Mesurer l’impact réel des transports sur la pollution atmosphérique dans les villes. Conclusion, si la circulation routière contribue évidemment à répandre des particules fines, du dioxyde d’azote et de l’ozone dans l’atmosphère, c’est dans des proportions bien moindres que l’affirment sans cesse les adversaires des véhicules motorisés. Et parfois, les effets sont marginaux. Ainsi, les proclamations d’une baisse spectaculaire de la pollution atmosphérique au début de l’année 2020 étaient très exagérées. Les graphiques d’Airparif pendant les deux confinements le montrent tout comme une étude récente de chercheurs de l’Université de Birmingham sur 11 grandes villes dans le monde.


Le problème avec le simplisme est qu’il déforme parfois tellement la réalité qu’il ne permet plus de s’attaquer vraiment aux problèmes. Tout au plus de les effleurer. La question de la pollution atmosphérique dans les grandes villes en est un bon exemple.

Tout d’abord, et contrairement à de nombreuses idées reçues, elle a beaucoup baissé au cours des dernières décennies. Ensuite, si la circulation automobile a un impact indéniable, elle n’est pas de loin la seule et principale cause de phénomènes complexes. Les confinements ont été une expérience sans précédent en grandeur réelle qui a permis de le démontrer. Faut-il encore accepter des faits qui ne correspondent pas au discours automatique.

Deux alertes majeures aux particules fines à Paris pendant les deux confinements

Ainsi, l’agglomération parisienne aura connu deux alertes majeures à la pollution aux particules fines pendant le premier et le deuxième confinement. Il y aura eu en tout trois pics de pollution aux particules fines l’an dernier à Paris, dont deux pendant les confinements marqués pourtant par des baisses sensibles de la circulation routière. Le premier le 28 mars, le second les 26 et 27 novembre.

Toujours dans l’agglomération parisienne, si les émissions de dioxyde d’azote semblent elles bien évoluer en corrélation avec le niveau de circulation automobile, il n’en est rien des particules fines qui sont cancérogènes et dont on affirme depuis des années qu’elles proviennent notamment des motorisations diesel. Mais depuis quelques mois, les communications officielles insistent surtout sur les niveaux de dioxyde d’azote. Ce polluant proviendrait à Paris pour 61% de la circulation automobile, selon les chiffres officiels. Et sa quantité dans l’atmosphère parisienne a bien diminué pendant le premier confinement de 28% en mars, 48% en avril et 44% en mai.

Le problème est que si le dioxyde d’azote est nocif pour la santé, il présente…

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Berlin débat des quotas d’immigrés dans les emplois publics

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Une proposition de la gauche radicale vise un objectif de 35% de personnes issues de l’immigration dans l’administration


La discrimination positive à l’anglo-saxonne va-t-elle aussi envahir l’Allemagne ? Selon une information du Tagesspiegel[tooltips content= »https://www.tagesspiegel.de/berlin/erster-vorstoss-deutschlandweit-berlin-plant-eine-migrantenquote-von-35-prozent-fuer-die-verwaltung/26822470.html »](1)[/tooltips] reprise dans la presse d’outre-Rhin ces derniers jours, une proposition de loi serait sur le point d’être déposée à la chambre des députés de Berlin par le groupe Die Linke, parti héritier du PDS, idéologiquement proche de La France Insoumise. L’idée centrale : instaurer un quota de personnes « issues de l’immigration » dans la fonction publique berlinoise, avec un objectif de 35% qui correspondrait peu ou prou à la population d’origine étrangère dans ce Land allemand, selon les statistiques publiques [tooltips content= »https://www.govdata.de/daten/-/searchresult/f/licence:http%253A%252F%252Fdcat-ap.de%252Fdef%252Flicenses%252Fcc-by,format:pdf,type:dataset,tags:migrationshintergrund,sourceportal:23d695da-6d4e-497f-b36b-3a388949c729,/s/relevance_desc »](2)[/tooltips] [tooltips content= »https://www.statistik-berlin-brandenburg.de/publikationen/stat_berichte/2017/SB_A01-05-00_2016h02_BE.pdf »](3)[/tooltips]

À l’origine de ce projet, Elke Breitenbach, la très virulente sénatrice berlinoise du Travail, de l’Intégration et des Affaires Sociales, selon laquelle « tous les habitants de cette ville doivent avoir les mêmes opportunités » et qui « n’accepte pas la discrimination structurelle ». Curieuse affirmation pour quelqu’un qui vise justement à instaurer un quota qui, par nature, est très clairement discriminatoire. 

Car selon les premiers éléments du projet de loi, le quota devrait s’appliquer à l’ensemble de l’administration publique et à toutes les entreprises publiques telles que la BSR (propreté) et la BVG (transports publics). Selon des membres du parti Die Linke joints par le Tagesspiegel, le texte viserait à parvenir au quota en donnant la préférence aux personnes d’origine immigrée dans les procédures de sélection et de recrutement avec des qualifications égales si celles-ci sont sous-représentés dans telle ou telle administration.

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Mieux : Katarina Niewiedzial, déléguée à l’intégration et l’immigration de la ville de Berlin, affirme sans sourciller que « le terme d’intégration n’est plus d’actualité » (sic). « La société tout entière est façonnée par l’immigration ; je parle donc plus volontiers de Migrationsgesellschaft ». Dans ce fourre-tout idéologique, on case, selon Madame Niewiedzal, « les personnes qui, statistiquement parlant, sont des personnes issues de l’immigration, mais aussi celles qui sont victimes de discrimination raciale et qui selon leurs propres déclarations se voient attribuer une origine migratoire ». C’est fabuleux. 

Même le SPD ne suit pas

Si la proposition de quotas parait ahurissante, elle aura en réalité du mal à passer. Pour preuve, la coalition « rouge-rouge-vert » en place à Berlin depuis 2016, se déchire elle-même sur le sujet.

L’initiative d’Elke Breitenbach est d’ailleurs qualifiée de « grossière » par les sociaux-démocrates du SPD, membres de la coalition. Plusieurs de leurs responsables à Berlin, à commencer par Raed Saleh et Frank Zimmermann, s’en sont assez rapidement distanciés. D’autres se sont fendus d’une déclaration de bonne intention sur la « diversité » tout en rejetant l’idée même de quota, apanage de la gauche radicale et d’une partie des Verts, telle que l’inénarrable Bettina Jarasch, qui a cru bon de ressasser une antienne progressiste selon laquelle « l’image de la société a besoin d’être modernisée ». 

Mais de quoi parle-t-on au juste ? Comme l’a très justement rappelé Henryk Broder, éditorialiste au quotidien Die Welt, « à Berlin, il serait difficile de trouver quelqu’un dont les ancêtres ne seraient pas originaires de Gdansk, Breslau, Brno, Katowice ou de Transylvanie, sans parler des descendants des huguenots qui ont fui à Berlin à la fin du XVIIe siècle. Vers 1700, un berlinois sur quatre était un immigrant français ». [tooltips content= »https://www.welt.de/debatte/kommentare/plus224544714/Warum-die-Migrantenquote-der-Stadt-Berlin-problematisch-ist.html »](4)[/tooltips]

La notion de personne « d’origine immigrée » – les Allemands parlent de « MmM » pour Mensch mit Migrationshintergrund – serait d’ailleurs très difficile à définir. Jusqu’où faut-il remonter ? Une personne qui souhaite être reconnue comme MmM doit-elle être issue d’immigrés tant du côté maternel que paternel, ou bien un seul des deux ? Le débat serait sans fin, sensible, et aberrant. 

Une mesure anticonstitutionnelle?

Plusieurs juristes allemands pointent d’ailleurs l’inconstitutionnalité d’une telle mesure. Elle ne serait en conformité ni avec la Constitution de Berlin de 1995, ni avec la Loi Fondamentale de l’État fédéral, et notamment son article 33§2, qui énonce que « tout Allemand a un accès égal à toutes les fonctions publiques en fonction de ses aptitudes, qualifications et performances professionnelles ».

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Au demeurant, l’opposition a vivement protesté contre l’initiative législative de Breitenbach. Le chef du groupe parlementaire FDP, Sebastian Czaja, a déclaré au Tagesspiegel: « Ce n’est pas parce que l’objectif est louable que tous les chemins sont justes. Un quota qui est régi par le traitement préférentiel de groupes prédéterminés ne combat toujours que le symptôme, pas la cause »

Même ton chez l’AfD et les chrétiens-démocrates (CDU), dont le responsable local, Kai Wegner, a pesté contre cette « proposition de mauvais goût ».

École: l’habillement généreux d’une démission civilisationnelle

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Je ne connais de signification précise au mot « liberté », écrivait Valéry en 1938, que celle qu’en donnent la dynamique et la théorie des mécanismes ; c’est-à-dire, comme latitude demeurant à un système une fois toutes ses contraintes conformationnelles respectées. C’est dans cette soustraction opérée sur une mobilité qui serait absolue que naît la sensation de liberté, nous dicte-t-il encore : sans gênes, son sentiment n’advient pas. La liberté, pour le dire autrement, réside donc dans un hypostatisme léger, et non dans un hypostatisme total ; si on l’éprouve, c’est parce qu’elle est amputée, et non intacte : la liberté est un reliquat. La vouloir sans entraves, c’est désirer l’impossible ; une liberté non bornée est une idée destructrice d’elle-même, comme celle de néant. La liberté illimitée, cela a néanmoins un nom : cela s’appelle la licence, et c’est l’antithèse de la liberté. La tragédie de notre époque se noue alors là : elle croit qu’il n’y a de liberté que dans la licence ; alors qu’elle n’existe qu’en dehors de celle-ci.

Continuum de la licence et de la tyrannie

La licence, répétons-le encore, n’est pas la liberté ; la licence, c’est une liberté exercée dans l’anomie, une liberté pratiquée dans l’indiscipline et le désordre. C’est une liberté dont on jouit sans conscience, une liberté qu’on fait jouer dans le sens du chaos, et qui n’aboutit qu’à s’annihiler elle-même. « L’ordre, et l’ordre seul, fait en définitive la liberté », écrivait Péguy en 1905. « Le désordre fait la servitude ». Il en va ainsi de la licence, c’est-à-dire de la liberté entendue comme allergie à toute espèce d’ordre : elle n’affranchit pas l’individu, elle prépare son assujettissement. Aux contraintes fortifiantes de la liberté, fabriquant les âmes fermes et tendues, elle substitue un sybaritisme dissolvant, qui les fait molles et alanguies. Le continuum ne va donc pas de la liberté à la licence ; il va de la licence à la tyrannie. Dynamite pour discipline intérieure, la licence ne prépare pas des régimes libertaires ; mais, consubstantielle à l’État faible, prédispose au contraire à la dictature. Après tout, si l’on en croit La Boétie, Cyrus n’eut-il pas qu’à établir dans la ville de Sardes « des bordels, des tavernes et des jeux publics », et à rendre obligatoire leur fréquentation, pour s’assurer définitivement des Lydiens ?

D’une liberté que rien ne borne, l’homme finit vite par se lasser ; il mesure alors, effrayé, l’état de dislocation produit par sa pratique démissionnaire, quand elle est généralisée à l’échelle d’une société. Mais qu’est-ce qui pourrait bien sauver un édifice public dont chacun, pour paraphraser Nietzsche, a cessé d’être pierre ? La tyrannie elle-même ne saurait directement remédier à ce ferment centrifuge qui est d’abord intérieur. Son idée, toutefois, finit par s’imposer, comme pis-aller nécessaire devant le spectacle, révoltant pour l’esprit, d’une incurie publique de tous les instants. Qui, d’ailleurs, serait en état de s’opposer à son instauration ? Non, la dictature est le lot d’une société ayant collectivement décidé de démissionner, comme le prix à payer pour son douloureux dégrisement.

La toute-puissance originelle du poncif

La grande illusion de la liberté, chez l’homme, c’est qu’on la croit innée et naturelle, première et originelle ; alors qu’elle n’advient jamais qu’au terme d’un apprentissage. La liberté, en effet, ne consiste pas à n’avoir aucun maître ; elle consiste à être à soi-même son maître[1]. Et même chez un anarchiste tel que Bakounine, on n’y trouvera pas la liberté décrite comme un fruit vers lequel l’individu n’aurait qu’à tendre la main pour s’en saisir. Au contraire, professait-il, la liberté requiert une éducation, et ce n’est qu’à mesure qu’elle progresse que la figure extérieure d’autorité cesse graduellement d’être nécessaire, et devient dispensable. « Une immolation progressive de l’autorité au profit de la liberté » : telle est la définition qu’il donne d’une éducation rationnelle, dans Dieu et l’État.

Notre premier élan, contrairement à ce que nous aimerions croire, ne va pas à l’original, mais au cliché ; de même que nous n’avons pas l’instinct de la liberté, mais celui de la licence. Ce qui règne d’abord tyranniquement en nous, ce n’est donc pas l’inusité, le jamais-vu ou l’inouï ; c’est, à rebours, le lieu commun. Appelés à décrire une tour ancienne, combien, à cet égard, fût-elle de couleur claire, ne manqueraient pas, à l’instar de l’écolier d’Alain, d’en signaler les inévitables « pierres noircies par le temps », que la toute-puissance du poncif leur fait voir alors même qu’elles sont à l’évidence absentes ? La pensée singulière d’un enfant n’est pas une source claire n’attendant qu’un coup de pioche pour jaillir ; c’est un liquide trouble contenant beaucoup de truismes et peu d’idées en propre, qu’il faut chauffer et porter à ébullition longtemps pour en extraire à froid quelques gouttes de distillat.

Programmatique de la page blanche et pupillarité éternelle

Las, une telle vérité n’est pas à l’ordre du jour ! La modernité éducative, à rebours du réalisme des siècles passés, qui voyait dans l’enfant l’élément humain le plus faible – c’est-à-dire celui auquel il fallait tout donner, celui qui devait tout recevoir -, feint de n’avoir plus affaire en la matière qu’à des surhommes, capables de tout tirer de leur fonds. L’écolier n’est plus un pupille vis-à-vis duquel l’adulte exerce un magistère ; c’est un génie qu’il importe avant tout de laisser à son œuvre, pour n’en pas falsifier l’accouchement. L’assimilation des trésors du passé, dès lors, ne lui est plus une addition nécessaire et féconde ; mais un fardeau malvenu et stérile, un appesantissement même nuisible, propre à en détourner les Muses, et à en bouleverser l’homéostasie intérieure. L’instruction ne se présente plus alors que sous un seul visage : celui de la toujours possible aliénation.

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Bakounine ressuscité, plaidant pour le maître, aurait ainsi aujourd’hui des allures de conservateur, sinon de réactionnaire. Il est vrai aussi, pour lui, que la férule des premiers jours avait toutefois une contrepartie : c’est que cette autorité ne s’éternise pas ; c’est que cette tutelle finisse effectivement par s’abolir. Sinon, dénonçait-il, l’École ne sera jamais que le nouveau nom de l’Église, et le peuple demeuré troupeau aura seulement changé de tondeurs. Ô, pensée d’un autre âge ! Cela fait bien des années que l’institution a abandonné ce vieux projet émancipateur : fabriquer des citoyens adultes, aptes à penser par eux-mêmes, chez lesquels l’esprit de responsabilité aura été développé à part égale de celui de liberté, est une mode qui a passé. Nous en sommes désormais revenus au régime éprouvé que le philosophe russe connaissait : celui de l’éternelle minorité, dans lequel l’adulte ne l’est jamais qu’à titre sursitaire, et se voit d’ailleurs quotidiennement traité comme s’il ne l’était pas.

Le risque démocratique est-il encore admissible?

C’est qu’entre-temps, le totalitarisme nazi a eu lieu, et que nos sociétés occidentales demeurent sous l’émotion des horreurs qu’il a produites. Or, cette dimension d’abord charnelle qu’ont conservé pour nous ces événements historiques a réactivé, pour tout ce qui touche à cette période, des logiques de pur et d’impur. Qu’une chose, quelle qu’elle soit, ait un point de contact avec le nazisme, sa vérité se résume alors à cette intersection, son Être devient indissociable de l’horreur génocidaire ; la penser « innocemment » cesse d’être possible, son premier visage est désormais – toujours – celui de sa parenté avec le Mal[2].

Aussi, parmi les irréparables dégâts causés par l’hitlérisme, faut-il encore compter ceux liés aux mots et aux idées dont il a pour longtemps vicié l’emploi, par son compagnonnage radioactif ; et d’abord, à la démocratie comme confiance placée sans réserves dans l’instruction, et dans l’homme ordinaire qui en a bénéficié. A cette foi, en effet, le nazisme a fait rétrospectivement se succéder l’effroi ; or, la démocratie ne va de soi qu’en régime de banalité du bien. Si, au contraire, la loi véritable est celle de la banalité du mal, une société peut-elle encore prendre le risque de la démocratie ? A des adultes intellectuellement émancipés, mais toujours susceptibles de replonger dans l’ignominie, ne vaut-il pas mieux alors préférer le maintien des individus dans une certaine minorité de l’esprit, qui les rendra plus perméables aux clichés ? C’est, à bien des égards, le choix que me paraît avoir opéré l’époque, dans sa substitution de colos vaguement érudites aux anciens cloîtres consacrés au seul culte du savoir.

L’adulte à l’école de l’enfant

Dans cette philosophie nouvelle, l’école n’est plus pensée comme un sas, entre la famille et le monde, entre l’enfance et la majorité, où l’élève est soustrait au Dehors et arraché à lui-même ; au contraire, cette étanchéité, cet hermétisme, cette extraction même, quintessencient ce qu’on entend détruire. L’école, précisément, doit devenir l’espace rieur où le petit d’homme n’a jamais à se quitter, et peut demeurer en permanence dans la fidélité à lui-même ; perméable aux parents (c’est-à-dire à la famille) comme aux enjeux idéologiques du moment (c’est-à-dire au tumulte du monde) ; ouvert sur le jeu (c’est-à-dire sur l’enfance) comme sur l’univers de l’entreprise (c’est-à-dire sur l’âge adulte). Son objet n’est plus l’expérience de la coupure et de la séparation, la distanciation d’avec son Moi ; mais le métissage des extérieurs, et l’arraisonnement à soi.

L’école, alors, de lieu clos, se fait continuum ; et la frontière entre l’adulte et l’enfant se brouille. On n’est plus très sûr de savoir qui doit faire la leçon à qui. Le maître surplombe-t-il vraiment l’élève ? N’ont-ils pas réciproquement beaucoup à s’apprendre ? Dans les matières nouvelles désignées comme vitales par l’école réformée, n’est-ce pas plutôt aux adultes de ressortir leurs cahiers, et à leurs enfants de faire cours[3] ? Certes, ils n’ont qu’une vague idée de l’orthographe et de la syntaxe, et leur vocabulaire ne dépasse pas 300 mots ; mais ne maîtrisent-ils pas le tri sélectif ? N’ont-ils pas déjà appris à déconstruire maints préjugés de genre et de race ?

Le refus du dressage est un refus paradoxal de la liberté

La France, nous a-t-on rapporté récemment avec les résultats de l’enquête TIMSS 2019, dévisse en matières scientifiques au primaire et au collège ; et de nombreux médias – jusqu’au Monde ! – ont cru devoir s’alarmer de voir nos élèves de 4ème n’exhiber plus, en mathématiques, que le niveau alors arboré, en 1995, par leurs homologues de 5ème. Cet effroi général m’a, je l’avoue, bien surpris. Parmi toutes ces voix – et il y en avait de progressistes – , nulle en effet n’a énoncé cette évidence qui aurait pourtant rasséréné chacun : savoir, qu’il y a belle lurette que de tels tests ne sont plus adaptés aux enseignements dispensés par notre école ; et que toutes ces enquêtes ne sont jamais configurées que pour des systèmes d’instruction antédiluviens, où l’on croit encore que connaître ses tables de multiplication est utile au citoyen. Non, interrogeons nos enfants sur les notions que notre école fait travailler, cuisinons-les sur le développement durable, les vertus du métissage, et nous les verrons à nouveau truster les premières places de ces classements iniques.

« Parmi les victimes de la liberté [l’emploi du mot « licence » eût été ici plus juste], les formes, et dans tous les sens du terme, le style. Tout ce qui exige un dressage, des observances d’abord inexplicables, des reprises infinies ; tout ce qui mène par contrainte d’une liberté de refuser l’obstacle à la liberté supérieure de le franchir », consignait encore Valéry. Or, précisément, quels sont les enseignements les plus rigoureusement astreints à l’observance stricte des formes, sinon l’orthographe et la syntaxe, en matière « littéraire », et les mathématiques, en matière scientifique ? Notre école moderne est toute entière fondée sur le refus du dressage, comme maltraitance insupportable perpétrée à l’égard du Moi de l’enfant ; mais comment s’étonner, alors, que la chute du niveau scolaire trouve d’abord à s’illustrer par des prestations minables en ces domaines ? Le paradoxe, en effet, c’est qu’il faut être arraché à soi pour s’y voir ensuite rendu ; mais comment faire entendre une telle vérité ?

L’abstention généreuse

Le malheur de notre époque, c’est que les demi-habiles ont pris le pouvoir, et que tous leurs efforts pour paver des paradis n’aboutissent chaque fois qu’à des enfers, en matière éducative comme en matière de « vivre-ensemble » d’ailleurs. Le motif est systématiquement le même : il consiste à croire en l’existence d’un Autre, avec une majuscule – l’Enfant, mais aussi l’Étranger –, formant avec ses semblables un univers autonome, vis-à-vis duquel, par égard même, nous devons nous abstenir de toute ingérence, pour ne pas leur inoculer notre poison.

Dans l’adulte, dans le natif occidental, gît en effet quelque chose de contagieux, une corruption d’où le mal est sorti[4] et dont la communauté autogestionnaire de l’Autre doit être préservée, si on n’en veut pas vicier irrémédiablement la pureté et l’harmonie. Aussi, par humanitarisme même, faut-il demeurer au seuil de ces mondes, pour ne pas provoquer leur fatale dénaturation. Ce qu’on eût autrefois rangé dans la catégorie des démissions et des lâchetés devient alors l’incarnation même du cœur et du souci généreux. Être altruiste désormais, ce n’est plus s’investir, c’est s’abstenir. Renoncer à avoir pour autrui une exigence – c’est-à-dire une ambition – ne marque plus le désintérêt, ou la désaffection ; mais témoigne au contraire de l’amour qu’on lui porte.

La neutralité devient alors l’horizon indépassable : et vis-à-vis de l’enfant, vis-à-vis de l’étranger, il ne s’agit plus d’être un parent ou un pays singuliers, mais un parent quelconque, et un pays quelconque, ayant le degré d’abstraction et de généralité mobilisé pour les démonstrations mathématiques. La préservation de la virginité ontologique de l’Autre est à ce prix. Il nous faut devenir page blanche, pour l’enfant, et terre vierge, pour l’étranger. L’adulte et le natif ne sont plus des figures à imiter, des référents culturels avec lesquels coïncider un jour, pour le nouveau-né et le nouveau-venu ; à bien des égards au contraire, ces modèles viciés ne constituent plus que leur passé – eux, sont l’avenir  –.

Le refus de la continuité du monde

Arendt écrivait : « avec la conception et la naissance, les parents n’ont pas seulement donné la vie à leurs enfants ; ils les ont en même temps introduits dans un monde. En les éduquant, ils assument la responsabilité de la vie et du développement de l’enfant, mais aussi celle de la continuité du monde […] [Car] ce monde aussi a besoin d’une protection qui l’empêche d’être dévasté et détruit par la vague des nouveaux venus qui déferle sur lui à chaque nouvelle génération. »

Mais aimons-nous encore assez notre monde pour en vouloir assurer la continuité ? Y sommes-nous encore assez attachés pour refuser le contractualisme culturel qu’on nous propose, et affirmer qu’à côté de la démocratie des vivants, existe aussi une démocratie des morts, qui nous inscrit une filiation qui n’est pas à choisir, mais qui nous est prescrite ? Avons-nous encore, sur notre propre sol, une civilisation à transmettre et le désir de la voir se perpétuer, ou sommes-nous mûrs pour le multiculturalisme, c’est-à-dire pour la soustraction de la terre à l’Histoire, et la concurrence libre et non faussée des allégeances et des mœurs ?

Chacun, désormais, peut constater les résultats édifiants de 45 années de démission, à l’école et aux frontières. Saurons-nous, pourtant, renoncer à la licence, et assumer le devoir de continuité civilisationnelle qui nous incombe ? Le doute est plus que jamais permis, même si notre pays, à d’autres carrefours de l’Histoire, a su démontrer qu’il avait le sens du sursaut…

[1]Donc, d’abord, à devenir tel.

[2]J’ai à cet égard en mémoire l’interrogation, effarante de stupidité, posée par Ruth Elkrief au candidat Jean-Frédéric Poisson, lors du second débat de la primaire de la droite et du centre : « Jean-Frédéric Poisson, vous, vous voulez un ministère de l’instruction publique, et cette appellation elle date de 1828, elle a même été reprise sous Vichy. Est-ce que c’est la nostalgie qui fera avancer le jeune en 2017 ? » Fermez le ban ! Que Vichy ait pu appeler ainsi un ministère suffisait à disqualifier toute entreprise consistant à définir si l’État doit avoir part à l’éducation des enfants, ou à leur seule instruction – belle question dont on pourrait d’ailleurs dire que la modernité l’a résolue en établissant que l’État doit intervenir toujours davantage dans l’éducation de l’enfant, et toujours moins dans son instruction.

[3]A cet égard, on connaissait depuis longtemps le fameux conseil prodigué par la vieille femme au Zarathoustra de Nietzsche, dans son commerce avec le sexe opposé. Mais l’on ignorait encore, jusqu’à l’avènement de l’inénarrable Greta, sa transposition au monde des adultes. Une version actualisée par notre prophétesse adolescente n’est pas encore prévue, mais je propose déjà : « Tu vas chez les adultes ? N’oublie pas le fouet ! »

[4]Nazi bien sûr ; mais encore colonial, esclavagiste, et aujourd’hui, faustien, anti-écologique.

La traductrice française de Charles Manson


Longtemps exception féminine dans le monde du journalisme rock, Laurence Romance fait connaître en France les figures mythiques et sulfureuses de l’histoire de cette révolution
culturelle, dont ce musicien raté des sixties, devenu célèbre pour avoir orchestré le meurtre de Sharon Tate et d’autres, Charles Manson. Portrait.


Laurence Romance me reçoit dans sa chambre, « d’enfant de la forêt » comme elle se plaît à qualifier son antre, version féminine du repaire du Des Esseintes de Huysmans : ambiance gothique et plafond étoilé qui rappelle sa féminité de petit lutin rock’n’roll. Morticia Addams meets Suzi Quatro. Cette enfant du rock apporte sa fraîcheur au sein du milieu très masculin du journalisme musical, peut-être même l’a-t-elle bouleversé.

Charles Manson, ungrateful dead

Le prétexte de notre rencontre, c’est l’ouvrage qu’elle a traduit, Charles Manson par lui-même, publié par les éditions Séguier en mai 2019 pour le cinquantième anniversaire du terrifiant imbroglio qui fit exploser l’Amérique du « Summer of Love ». Ce sont des entretiens que le mythe le plus sulfureux et diabolique engendré par l’Amérique a accordés en prison.

Dans sa bibliothèque, on croise Huysmans, mais aussi Léon Bloy ou Villiers de L’Isle-Adam et son Ève future…

Dans cet ultime témoignage et témoignage ultime, Manson se raconte sans filtre, de son enfance fracassée à la nuit sanglante où Sharon Tate, parmi d’autres sacrifiés, perdit deux vies : la sienne et celle de son bébé. Derrière ses aveux qu’il arrange forcément à sa sauce, c’est une histoire de l’Amérique qui se dessine, de la vie sordide des oubliés du rêve américain à la flamboyance hollywoodienne qui lui parut pendant un temps accessible. Cette rencontre de deux mondes, comme un précipité chimique qui finit en tragédie barbare, est très bien analysée par Simon Liberati dans California Girls. Ce drame, écrit-il dans la préface, est « le fruit d’une mauvaise alchimie, la rencontre d’un musicien intelligent et rêveur au cœur plein de rancune et de l’été de l’amour qui amena des jeunes filles bien élevées à abandonner leurs vies bourgeoises et à le suivre sur des sentiers qui ne menaient nulle part dans cette Californie encore pleine de sortilèges du vieil Hollywood et du diabolisme indien ». Les sortilèges maléfiques de Manson – que Dennis Wilson, beau gosse et batteur des Beach Boys, qualifiait de « sorcier » (wizard) – ont aspergé de soufre et de sang le nouvel Hollywood des hippies.

Laurence Romance, 2020 © Photo: Hannah Assouline
Laurence Romance, 2020 © Photo: Hannah Assouline

Après des années de prison, notamment pour proxénétisme, Manson débarque en Californie, passant sans transition du monde corseté des fifties au monde débridé des sixties, qu’il devine fait pour lui. Il organise une communauté de gamines en perdition vite soumises à son talent pour la tchatche et le sexe. D’après ceux qui l’ont approché, ce petit bonhomme de 1,54 mètre est manipulateur, séducteur, charismatique au point de charmer les musiciens les plus en vue de l’époque, dont Dennis Wilson.

Charlie a une obsession : devenir musicien. Ayant infiltré le sérail de Los Angeles, il croit que son heure est venue, mais, incarcéré pendant des années, il a raté la décennie qui a bouleversé le rock’n’roll. Les jeunes ne vibrent plus au son d’Elvis, mais des Doors ou de Grateful Dead. Encore une fois, il est laissé pour compte. Et comme le chante Neil Young dans Revolution Blues, « he can’t take rejection » (« il ne supporte pas d’être rejeté »).

C’est sans doute se venger des puissants d’Hollywood que le diablotin aux yeux déments a envoyé sa « family », les filles « engouroutées » et droguées, perpétrer un des crimes les plus macabres du xxe siècle. La machine à fantasmes a accouché de nombreuses hypothèses. On a dit qu’il était à la solde de la CIA, payé pour détruire le mouvement hippie, que la tuerie n’avait été qu’un banal règlement de comptes pour une affaire de drogue ou encore qu’il voulait libérer Bobby Beausoleil, emprisonné quelques mois plus tôt pour le meurtre d’un professeur de musique.

Finalement, peu importe. « Puisque rien n’est vrai tout est permis », proclamaient les Magiciens du Chaos, des disciples d’Aleistair Crowley, sorcier sataniste pop. Perdant maléfique qui mit en scène le chaos de la société américaine, Manson aurait pu en faire sa devise.

Si Laurence Romance, qui a réalisé la dernière interview filmée de Kurt Cobain et traduit son journal intime, s’est intéressée à Manson, c’est par fascination pour le mythe, pas pour le personnage. Lorsque celui-ci meurt en 2017, elle découvre que les entretiens parus en 1986 aux États-Unis n’ont pas été traduits en France et se démène pour trouver un éditeur.

Romance vient d’un coin perdu de France, une région de marais à proximité de Saint-Omer dans le Pas-de-Calais, Manson de l’Ohio, en plein Midwest. Deux endroits que l’on qualifierait aujourd’hui de périphériques. Tous les deux sont issus d’un milieu populaire. La comparaison s’arrête là.

Les parents de la future compagne de Nick Kent, légendaire journaliste de rock british, tenaient un café. Elle en a gardé sa gouaille ainsi qu’une certaine connaissance de l’alcoolisme et des bagarres qu’il provoque, qui explique peut-être son goût pour le metal, mouvement musical extrême. Après le lycée qu’elle quitte avant le bac, elle va vivre à Lille où elle enchaîne des petits boulots, d’ouvreuse de cinéma à vendeuse de barbes à papa. Elle connaît ensuite le chemin classique qui mène à la gloire ou pas. Chanteuse dans un groupe lillois, Radio Romance, qui lui inspire son pseudo, elle se lance à la conquête de Paris où, parrainée par l’incontournable Patrick Eudeline, elle devient la madame rock de Libération sous la direction de Bayon. Elle prête aussi sa plume, volontiers acide, à Best, Rock & Folk, aux Inrocks, ainsi qu’à Rolling Stone où elle traite des sujets de société. Laurence aime virevolter, de journaux en journaux, de sujets légers en interviews cultes, de la presse écrite à la télé. Cheveux vermillon et tenues gothiques pop, elle est connue du grand public pour « Rock Express », l’émission qu’elle a présentée sur M6 pendant cinq ans, ce qui lui vaut d’être traitée de vendue par les gardiens du temple.

Mais le rock est loin d’être sa seule vie. Comme beaucoup de protagonistes du dernier âge d’or du rock’n’roll, elle voue un culte aux auteurs fantastiques et gothiques ainsi qu’à la littérature dite décadente de la fin du xixe. Dans sa bibliothèque, on croise Huysmans, mais aussi Léon Bloy ou Villiers de L’Isle-Adam et son Ève future. Sa préférence va cependant à Rémy de Gourmont, obscur bibliothécaire qui déploie dans Sixtine, roman de la vie cérébrale, son idéalisme désenchanté.

Chez Romance, la vitalité l’a emporté sur le désenchantement. Elle se consacre aujourd’hui à la traduction, notamment celle des ouvrages du British de sa vie, Nick Kent, dont elle a fait paraître un recueil d’articles, The Dark Stuff : l’envers du décor, et l’autobiographie, Apathy For the Devil, publiée en France avec le sous-titre Les seventies, voyage au cœur des ténèbres.

Cette « branleuse » comme elle se qualifie, a découvert un peu ébahie via les réseaux sociaux qu’elle était devenue une « passeuse » pour les nouvelles générations. Après s’être plongée pendant des années dans les ténèbres mansoniennes, elle envisage d’écrire son autobiographie.

Charles Manson par lui-même, propos recueillis par Nuel Emmons (trad. Laurence Romance), Séguier, 2019.

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Photo: Hannah Assouline
Photo: Hannah Assouline

Frédéric Rouvillois: l’automne du «Penser printemps»


Pour l’historien et essayiste conservateur, auteur de Liquidation, Emmanuel Macron et le saint-simonisme (Le Cerf, 2020), Emmanuel Macron incarne mieux que personne le monde dans lequel nous vivons: on ne sait pas où on va, mais on avance bien. Dans le sillage du saint-simonisme, notre président, derrière une façade démocratique, met en place une oligarchie d’experts. Entretien


Causeur. Pour vous, Macron est un continuateur du comte de Saint-Simon (1760-1825). Peut-être faut-il rafraîchir la mémoire de quelques lecteurs (et de votre servante). Peut-on dire que les saint-simoniens sont les ancêtres des élites mondialisées ?

Frédéric Rouvillois. En tout cas, ils annoncent certaines de ces élites mondialisées qui réalisent la fusion du libéralisme et du socialisme, plus exactement d’un libéralisme encadré et d’un socialisme inégalitaire. En un sens, le saint-simonisme est une sorte de religion théorisée par Saint-Simon dans son dernier ouvrage, Le Nouveau Christianisme (1825), avec une église et une morale presque droit-de-l’hommiste, qui substitue aux fois anciennes, supposées mensongères, une religion de l’Homme s’émancipant par l’économie de la misère et de l’ignorance, et accédant à l’âge d’or.

Mais le saint-simonisme est avant tout une idéologie de la mobilité, de la fluidité et de la compétition, avec l’idée que chacun doit repartir de zéro pour se lancer dans la compétition à corps perdu, en fonction de ses « capacités ».

La compétition, que ce soit pour les femmes, le pouvoir et l’argent, est l’un des moteurs de l’existence humaine, bien avant l’époque moderne.

Je ne prétends pas que nous devrions vivre comme les moutons d’un troupeau bêlant de concert. Mais pour le saint-simonisme, la vie et l’histoire du monde se résument à cette compétition, l’objectif de chaque individu étant d’être « à sa place » dans la cordée. Le postulat de Saint-Simon, « à chacun selon ses capacités, à chaque capacité selon ses œuvres », implique à certains égards une table rase indéfiniment répétée, puisque pour que chacun parte sur la même ligne que tous les autres, il faudrait éliminer non seulement le patrimoine matériel accumulé au sein de chaque famille, mais aussi le patrimoine culturel… Le système éducatif jacobin imaginé par Robespierre préconisait que les enfants soient retirés de leur famille pour qu’ils ne soient pas pervertis, qu’ils grandissent ensemble jusqu’à l’âge adulte pour pouvoir participer de manière égalitaire à la République. Je ne dis pas qu’en prônant l’école à trois ans et la suppression de l’école à la maison, mon collègue Blanquer soit exactement dans la même optique, mais il y a quand même quelque chose de cela.

À lire aussi: Pierre Vermeren: «L’État de droit est en train d’asphyxier la démocratie»

Pourquoi rattacher Emmanuel Macron à Saint-Simon plutôt qu’à Marx ? Marx aussi installe le primat de l’économie après tout.

Et pourquoi rattacher le pape à Jésus-Christ plutôt qu’à saint Paul ? Eh bien, parce que saint Paul est un disciple de Jésus-Christ ! Or, s’agissant de la place de l’économie et de la conception de l’Histoire, Marx est très largement un disciple de Saint-Simon, comme il le reconnaît volontiers. En outre, il y a dans la problématique macronienne du dépassement de la politique par l’économie un évident lien de parenté avec Saint-Simon. Enfin, il y a chez Macron cette dimension libérale indéniable dont vous conviendrez qu’on peut difficilement la rattacher au Manifeste du Parti communiste.

Qualifieriez-vous le macronisme d’utopie ?

À certains égards, oui. Comme le saint-simonisme, il rêve d’une sorte de réconciliation universelle à laquelle on parviendra en dépassant ou en surmontant les différences (entre riches et pauvres, hommes et femmes, etc.). Libérés des conflits, les hommes seront libres d’agir selon leur volonté et de réussir selon leurs talents. Il y aura donc autant d’histoires que d’êtres humains : c’est la fin de l’Histoire.

Ces quelques rappels étant faits, venons-en aux reproches ! À vous lire, on dirait que la seule alternative au monde liquide décrit par Zygmunt Bauman est l’ordre ancien et immuable dans lequel la naissance était déterminante. Si l’histoire n’avait pas opéré de liquidations successives, nous serions encore dans les cavernes.

Ne me caricaturez pas trop ! Évidemment qu’il faut de la souplesse. Récuser la liquidation universelle et permanente, reconnaître le rôle structurant des limites ou des frontières ne signifie pas qu’on veut mettre des limites partout, et à tout. Si la tradition n’est pas en évolution permanente, elle se suicide. Quant au vrai but du conservateur, ce n’est pas de conserver la totalité de ce qui existe, mais de reconnaître qu’il y a dans le passé des choses qui sont bonnes, d’autres qui le sont moins et de faire un tri. Il est contraint à un devoir d’inventaire permanent. De son côté, le saint-simonisme, y compris dans sa version macronienne, valorise le mouvement en tant que tel. Ce qu’il faut c’est être « en marche », changer, être dans le « trans », le passage. Et si l’islam inquiète Macron, c’est moins parce qu’il menace une certaine identité française, que parce qu’il fait obstacle à la société liquide et dépourvue de repères fixes rêvée par Saint-Simon.

En attendant, « à chacun selon ses capacités », c’est la définition de la méritocratie. Vous dénoncez le gouvernement des experts, mais je me rappelle les Gilets jaunes affirmant que n’importe qui est capable de gouverner. Désolée, je ne leur aurais pas confié la boutique ! On ne peut pas se passer d’une forme de légitimité rationnelle.

Je ne nie évidemment pas le rôle des experts, des scientifiques, des universitaires – dont je fais partie. Ce que je reproche à Macron c’est de nous jouer le grand air de la démocratie citoyenne. Les saint-simoniens au moins assumaient leurs idées : ils établissaient clairement une hiérarchie entre ceux qui ne savent rien, et qu’il faut par conséquent écarter du pouvoir, et ceux qui savent, à qui il incombe de diriger à proportion de leur savoir : Cédric Villani président, en somme, en attendant l’intronisation de la prochaine médaille Fields. La méritocratie des experts, c’est l’aristocratie du savoir qui entraîne, chez les saint-simoniens, une oligarchie du pouvoir. En soi, la chose n’est pas forcément négative, je ne me sens pas personnellement une appétence démocratique faramineuse. Ce qui est plus gênant, c’est d’être dans le faux-semblant, de mettre en place cette aristocratie sans l’assumer tout en faisant croire que l’on est toujours dans une perspective parfaitement démocratique ! Notre fameuse convention citoyenne pour le climat s’inscrit dans cette logique : on fait croire que c’est le peuple qui parle, alors que derrière la scène, les experts prennent les décisions, avant que le président ne déclare à Brut, le 4 décembre, que ce n’est pas « parce que les 150 citoyens ont écrit un truc que c’est la Bible, ou le Coran ».

Notre politique sanitaire actuelle – et le sacro-saint principe de précaution sur lequel elle est fondée – renvoie au « corps glorieux » de Saint-Simon.

En effet, les saint-simoniens voulaient réconcilier l’esprit et la matière. C’est ce qu’ils appelaient « la réhabilitation de la chair » : tout un programme !

La religion de l’homme exige que tout soit fait pour que son corps, sa vie matérielle ou physique soient préservés

Ambition louable…

C’est vous qui le dites… En tous cas, cela peut évoluer vers un hygiénisme fanatique. De nombreux médecins entouraient du reste les saint-simoniens, tout comme Macron aujourd’hui. En 1832, lors de l’épidémie de choléra à Paris, ils n’hésitent d’ailleurs pas à préconiser une dictature sanitaire assumée comme telle. La religion de l’homme exige que tout soit fait pour que son corps, sa vie matérielle ou physique soient préservés, « quoi qu’il en coûte », comme dirait qui vous savez… Quand on ne croit plus qu’en l’homme, il faut absolument sauver ça, sinon tout est fichu. Or, comme le montre Olivier Rey dans L’Idolâtrie de la vie, plus l’État donne, plus cela crée de frustrations qui engendrent à leur tour une nouvelle demande, qui entraîne plus d’intervention de l’État et ainsi de suite.

D’une façon générale, vous semblez partir du principe que tout vient d’en haut et vous oubliez la demande sociale qui est à la fois une demande de protection, d’ouverture et de flexibilité. Les gouvernés aussi font du « en même temps ». La doctrine macrono-simonienne n’est-elle pas la plus adaptée à l’individu roi qui veut que ses droits lui soient garantis tout en ayant accès à ce qui se passe à l’autre bout de la planète ?

En effet, si Emmanuel Macron a gagné la présidentielle, ce n’est pas juste parce qu’il était là à ce moment-là, que Hollande avait fait preuve de son incapacité et que Fillon avait les mains sales. Macron correspond tout à fait à notre époque. Le nouveau monde dont il parle, c’est celui qu’on a devant les yeux. Je serais étonné qu’il ne soit pas réélu en 2022, car il est dans le sens de l’Histoire, comme les disciples de Saint-Simon l’étaient au moment de la révolution industrielle. Dans le sens du vent. Mais je doute que ce vent soit toujours bon pour notre pays.

En tout cas, les peuples ne veulent plus de modernisation à marche forcée. Peut-on dire que le saint-simonisme, que vous créditez aussi de plusieurs réalisations, a accompli sa mission historique ?

C’est une question de marxiste ! Effectivement, si l’Europe de Jean Monnet ne me fait pas vibrer, le saint-simonisme a sans doute fait des choses utiles. Pour autant, je ne pense pas qu’il y ait une « mission historique » du saint-simonisme. Ni d’aucune doctrine d’ailleurs !

Claude-Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon (1760-1825). © Bridgeman Images/Leemage
Claude-Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon (1760-1825). © Bridgeman Images/Leemage

Justement, Emmanuel Macron n’est-il pas plus complexe que ce que vous pensez ? Avant même le tournant de ces derniers mois, il avait une certaine prétention à la verticalité, là où le saint-simonisme consacre le triomphe de l’horizontalité. Bref, on ne peut pas le réduire à l’utilitarisme.

Il l’a montré en choisissant le Louvre pour son premier discours de président. C’était étonnant, et assez séduisant. Il y a chez lui une forme de verticalité, un sens de la culture, même s’il explique « en même temps » que la culture française n’existe pas, un sens du spirituel, même si dans son livre Révolution (2016), il oublie complètement les interrogations religieuses de sa propre jeunesse. Sa seule incursion dans ce domaine consiste à expliquer que les religions sont des obscurantismes allant à l’encontre des Lumières : référence d’ailleurs omniprésente dans son discours, et qui le replace dans une généalogie plus longue.

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Macron n’a-t-il pas été rattrapé par le réel, c’est-à-dire par l’anthropologie ? Aujourd’hui, il semble comprendre qu’il y a bien une nation et un peuple français, il parle des frontières, il fait son aggiornamento sur l’islamisme. J’ai beaucoup de mal à croire qu’il n’y ait que de la communication, du paraître, dans ce nouveau cours.

Je ne sais pas quelle est la sincérité de son propos, qui a connu sur ce point nombre de sinuosités. À certains moments, il semble habité par l’histoire de France, à d’autres, plus fréquents, il paraît dominé par sa vision européiste, ou bien il évoque la souveraineté de la France tout en croyant d’abord en celle de l’Europe, donnant l’impression de faire des variations autour d’un thème fixe, comme quelqu’un qui ferait des circonvolutions en trottinette sans sortir de la piste cyclable.

Avec le coronavirus et le « séparatisme » islamiste, Emmanuel Macron met en veilleuse certaines de ses convictions

Peut-être, mais l’homme nouveau n’est pas apparu par miracle, il y a toujours des gens attachés à des territoires, des langues et des histoires particulières. Que cela lui plaise ou pas, Macron est capable de le comprendre et d’en tirer les conséquences.

Je ne pense pas que quelques attentats, aussi atroces soient-ils, suffisent à faire basculer aussi radicalement un homme doté depuis si longtemps de cette colonne vertébrale idéologique qu’est le saint-simonisme. Charles Perrault, l’un des premiers grands progressistes de la fin du xviie siècle, compare l’Histoire à un fleuve qui traverse parfois des grottes souterraines pour ressortir plus loin, encore plus puissant. Je ne crois pas que le Macron nouveau, qui parle avec émotion de la France, de son histoire, de sa culture, soit le Macron définitif, ni même le véritable. Avec le coronavirus et le « séparatisme » islamiste, il met en veilleuse certaines de ses convictions – mais dès que les choses iront mieux, on retrouvera le progressiste qui constitue le « Macron profond ».

Multiculturalisme britannique: tea for too many

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La marche des fiertés de Londres, 6 juillet 2019. © Gareth Cattermole/Getty Images/AFP

Vus de France, les Britanniques paraissent incarner le multiculturalisme assumé, pour le meilleur et pour le pire. Outre-Manche, cette doctrine, qui n’a jamais joui d’un statut officiel, est contestée mais largement pratiquée localement. Cependant, il n’y a pas consensus sur une identité nationale partagée par tous.


« Londres n’est plus vraiment une ville anglaise. » Ce propos hautement coupable n’émane pas de quelque xénophobe militant, mais de l’acteur et scénariste comique John Cleese, ancien membre des Monty Python, qui d’habitude affiche des opinions très libérales. Pourtant, son intervention à la télévision australienne en 2011 a provoqué un esclandre. Pure coïncidence, c’est en 2011 que le dernier recensement officiel, qui permet le recueil de statistiques ethniques, a révélé que seuls 44 % des Londoniens s’identifiaient comme « Blancs britanniques ». En 1971, le chiffre aurait été de 86 %. Certes, l’appartenance ethnique ne détermine pas nécessairement l’appartenance culturelle et Cleese s’est défendu contre les inévitables accusations de racisme en prétendant qu’il parlait en termes culturels, exprimant une nostalgie pour un mode de vie aujourd’hui balayé par la mondialisation. Mais cette défense a été disqualifiée, au nom des bienfaits indiscutables de la diversité en 2011 par le maire conservateur de Londres, Boris Johnson, et en 2019 par une déclaration véhémente de son successeur, le travailliste Sadiq Khan. Le multiculturel est d’emblée supérieur au monoculturel.

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Le hasard ou la nécessité ?

Le discours de la diversité et de l’inclusion a pris la relève de l’apologie du multiculturalisme qui survit aujourd’hui sous ces synonymes. Le terme, mais non pas l’idée, est tombé en disgrâce outre-Manche suite aux critiques acharnées dont la doctrine a fait l’objet tout au long des années 2000. Ces condamnations, venant tant de la gauche que de la droite, provoquées par des émeutes dans le nord de l’Angleterre et les attentats terroristes, ont culminé en 2011 quand le Premier ministre conservateur, David Cameron, a déclaré que le multiculturalisme était un échec. Pourtant, le mot « multiculturalisme » est ambigu : une société est-elle multiculturelle quand il y existe une pluralité de cultures en l’absence de toute stratégie publique efficace ? Ou quand la coexistence plus ou moins harmonieuse de différentes communautés a été savamment orchestrée par les autorités ? Dans la mesure où le Londres de notre époque, comme le Royaume-Uni, est multiculturel, est-ce le fruit des circonstances ou d’un calcul politique ? Dans le débat en France, le Royaume-Uni est présenté comme le parangon du multiculturalisme – et la preuve que l’approche de l’État français est mauvaise, pour les uns, bonne, pour les autres. Tous ont tort.

Une société poulet tikka masala

Le multiculturalisme, qui est largement la création de théoriciens universitaires, est tout sauf une doctrine simple. S’il désigne une tolérance générale qui encourage les différentes communautés issues de l’immigration à garder leurs caractéristiques propres – habits, cuisine, musique, festivals religieux, voire langue –, il pose la question de l’équilibre entre le pluralisme culturel et un ensemble de valeurs partagées par tous les citoyens. Les différentes manières d’envisager cet équilibre permettent de distinguer deux grandes tendances. La première, fusionniste, envisage la création d’une culture nationale commune, largement constituée d’éléments provenant de la culture « indigène » majoritaire, mais incorporant certains apports des immigrés. Selon la deuxième, souvent qualifiée de séparatiste dans le jargon académique, chaque communauté est libre de s’isoler des autres, tout en participant à une économie commune, aucun statut spécial n’étant réservé à la culture indigène. Le Royaume-Uni a essayé de suivre la première approche sans tomber dans la seconde. Un des symboles de cette nouvelle culture commune est le carnaval de Notting Hill, la fusion d’une tradition venant de Trinité-et-Tobago et d’un festival de rue créé par des hippies blancs dans les années 1960. Un autre est le poulet tikka masala. En 2001, le ministre des Affaires étrangères a déclaré que cette recette, que certains prétendent inventée sur le territoire britannique par un immigré indien, avait évincé le fish and chips comme plat national. Toutefois, plusieurs polémiques ont révélé les limites de cette approche. Certes, il est largement admis que les sikhs roulant à moto soient dispensés du port du casque et que les femmes aient le droit d’arborer le voile intégral en public, en dépit du principe de l’égalité femme-homme. En revanche, la mansuétude de la justice envers les auteurs de crimes d’honneur, ainsi que l’hésitation des politiques et des médias à mettre en exergue l’ethnicité des bandes criminelles organisant l’exploitation sexuelle de mineures dans certaines villes ont suscité la controverse. Cette ligne de faille entre le fusionnisme et le séparatisme a donné lieu à un malaise profond et persistant.

Quand la confiance s’épuise

Toute la politique d’immigration britannique à partir des années 1950 et 1960 est fondée sur un compromis. Tandis que certaines restrictions sont imposées aux afflux en provenance du Commonwealth, en contrepartie, une législation de plus en plus stricte en faveur de l’égalité et contre le racisme vise à protéger les communautés d’immigrés qui se trouvent sur place. Le discours gouvernemental parle haut et fort de cette protection tout en taisant autant que possible sa volonté de limiter les arrivées.

Cependant, le multiculturalisme n’a jamais fait partie de la doctrine officielle de l’État. En revanche, il s’est insinué dans la pratique des municipalités. Les communautés diasporiques se plaignant toujours d’être les victimes de discriminations et de violences, certaines grandes villes comme Londres ou Bradford ont tenté de les compenser en subventionnant abondamment les associations locales. L’effet en a été de renforcer l’identité individuelle de chaque communauté, d’autant que l’accès aux fonds dépendait de l’affirmation d’une identité bien distincte. Au lieu de réduire les barrières, cette politique les a renforcées, non seulement entre Blancs et personnes de couleur, mais aussi entre sikhs et musulmans, Noirs et hindous.

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Des études sur l’exploitation commune de puits d’eau apportent un éclairage précieux ici. Dans une région spécifique du Kenya, la multiplicité des groupes ethniques sape la confiance réciproque au point de rendre cette exploitation très difficile. De l’autre côté de la frontière, en Tanzanie, où il y a la même multiplicité, la confiance est forte et l’exploitation plus facile. La raison en est que, à la différence du gouvernement du Kenya, celui de sa voisine a toujours eu comme objectif stratégique la création une identité nationale transcendant les identités ethniques. Actuellement, le Royaume-Uni souffre d’un défaut de confiance réciproque : d’un côté, des tendances culturellement séparatistes s’affirment dans certaines communautés ; de l’autre, l’identité commune censée rassembler tous les citoyens au-delà de leurs différences est l’objet de disputes acharnées dans lesquelles l’existence même d’une identité indigène majoritaire est contestée. Celle-ci ayant été réaffirmée par le vote pour le Brexit en 2016, on ne s’étonnera pas qu’elle ait fait l’objet d’un rejet brutal par le mouvement #BLM cette année. Les Britanniques vont-ils partager le fish and chips, le poulet tikka ou quelque galimafrée amère et indigeste ? La France et l’Angleterre, si longtemps séparées par la cuisine, sont unies par la même incertitude sur le plan identitaire.

Voulez-vous savoir pourquoi Macron hésite à reconfiner? Regardez du côté des Pays-Bas!

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Emeute anti-confinement à Eindhoven, le 24 janvier 2021 © Teun Voeten/Sipa USA/SIPA Numéro de reportage : SIPAUSA30251552_000035.

Le confinement et la peur de la désobéissance civile


Pendant que la situation est critique en Hollande, en France, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal a testé hier l’idée d’un confinement “très serré” auprès de l’opinion publique. Le mot clé “désobéissance civile” s’est alors envolé sur les réseaux sociaux.

La Hollande brûle. Dans un mélange explosif de détresse, de ressentiment et de complotisme, des milliers d’émeutiers affrontent violemment les forces de l’ordre. Le confinement et le couvre-feu ont soufflé sur des braises qui ne sont pas près de s’éteindre.

A lire aussi, Yves Mamou: Guerre d’Algérie: après le rapport Stora, à quelle «initiative mémorielle» doit-on s’attendre?

Les premières manifestations ont débuté dans la « Bible Belt » la région la plus croyante des Pays-Bas. L’interdiction faite aux temples d’accueillir plus de 30 croyants a été le signal de la révolte.

Je sors de chez moi

Puis des émeutes se sont étendues aux grandes villes, Rotterdam, Eindhoven. Sans masques, bravant le couvre-feu des milliers de manifestants sont descendus dans la rue. Leur slogan ce n’est pas « je reste chez moi, je sauve des vies » mais « je sors de chez moi, je sauve ma vie ».

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Ils ont été rejoints par des voyous venus des « quartiers chauds » (c’est comme ça qu’on appelle là-bas les quartiers sensibles). Ils parlent le wesh wesh néerlandais. Et n’ont rien à envier à leurs cousins français. Eux ils sont là juste pour le pillage et la dépouille.

Une guerre civile redoutée

Certains bourgmestres hollandais évoquent « un risque de guerre civile ». Le Covid-19 tue des êtres humains : il en détruit psychiquement beaucoup plus ! Boris Cyrulnik psychiatre unanimement reconnu, voit dans le confinement « une agression psychologique insupportable ».

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Il voit juste. Pour le moment la France est – comparée aux Pays-Bas – un pays sage. Il n’est pas certain que cette soumission à l’ordre sanitaire soit éternelle. Macron a pris la mesure de ce danger. S’agissant du confinement, il pèse et sous-pèse le pour et le contre. Le président de la République sait également que dans l’ancienne Egypte on mettait à mort les porteurs de mauvaises nouvelles.

Sanofi doit assumer son échec et se repenser

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© ALLILI MOURAD/SIPA Numéro de reportage : 01001758_000009

La France doit retrouver sa formidable capacité à innover et son rôle historique de précurseur dans la vaccination, après le terrible échec industriel de Sanofi.


Pour ceux qui continuent de s’étonner de l’existence d’une pandémie mondiale qui déstabilise tous les pays en excusant le nôtre, la France, de ne pas s’y être préparé, il convient de faire quelques rappels simples : ce sont les vaccins qui ont permis de stopper les ravages habituels sur l’humanité. La conséquence c’est que le nombre des humains a augmenté et que les techniques modernes ont augmenté les échanges mondiaux et donc la possibilité d’explosion quasi universelle des maladies transmissibles, contagieuses. Le succès incontestable des sciences médicales et biologiques ont permis de limiter la mortalité et donc d’augmenter la démographie avec comme conséquences des pandémies mondiales possibles, mais aussi une utilisation désordonnée des ressources naturelles conduisant aux atteintes actuelles à l’environnement. 

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En France, comme ailleurs dans le monde entier, on savait donc que les virus rodaient, et en particulier les coronavirus avec leur particularité de muter pour résister à ceux qui les combattent. Les sociétés pharmaceutiques mondiales devenaient de plus en plus grosses (Big Pharma) pour pouvoir financer les dépenses de mise au point de fabrication et de diffusion des médicaments et vaccins, non pas que la recherche en elle-même était très onéreuse, mais parce que les règlementations nationales et internationales demandaient de plus en plus d’essais thérapeutiques avant d’obtenir le droit de commercialiser un nouveau produit. Le gigantisme assumé par les gouvernements des pays développés était donc issu de la précaution et non du désir d’innover. C’est ainsi qu’en France Sanofi a absorbé la plupart des laboratoires nationaux, puis est allé faire ses emplettes à l’étranger, et il en a été de même pour l’ensemble du monde pharmaceutique.

On peut mettre beaucoup d’argent et échouer, l’essentiel est dans l’inventivité, l’innovation, dans la capacité de sortir des sentiers battus, de se remettre en question, tout le contraire du conformisme et de la précaution dans laquelle la société française s’enlise comme certaines de ses entreprises… hélas !

Mais qu’y avait-il de vraiment nouveau dans tout cela depuis les antibiotiques, les vaccins Pasteur-Koch et la découverte de la structure de l’ADN ? Finalement beaucoup d’améliorations mais rien d’essentiel. Les “nouveaux” produits devaient donc démontrer à la fois le plus de leur action et leur non-nocivité après des centaines de millions dépensés pour protéger la population d’effets secondaires désastreux immédiats ou futurs. 

La satisfaction des actionnaires privilégiée

On a donc assisté à une dérive des firmes pharmaceutiques, à l’origine possédées par des hommes de science convertis à la production et à la vente, vers des immenses conglomérats visant les revenus gigantesques de produits phares (blockbusters) pour satisfaire des actionnaires à la fois avisés et avides. On a changé de dirigeants, de stratégies et d’objectifs.

Les pères fondateurs de Sanofi partis (Jean-René Sautier et Jean-François Dehecq), alors qu’ils avaient fini par regrouper la quasi-totalité de la pharmacie nationale, l’entreprise est devenue un géant financier préoccupé essentiellement de la rentabilité pour ses actionnaires. Le virage pris en 2008 et 2010 a conduit à des changements fréquents de dirigeants, à une mondialisation assumée et à une stratégie hésitante. C’est ainsi que dans le domaine des vaccins la vente de la santé animale « Mérial » que Mérieux avait développé à Lyon a démontré une méconnaissance profonde du monde de la vaccination et de la biologie qui s’intéresse au vivant qu’il soit animal ou humain. L’unité vaccins humains restait une référence mondiale, compte tenu de la réputation universelle de Pasteur et Mérieux, mais les nouvelles technologies se développaient en dehors des grandes cathédrales dans les start-ups de « Biotech » qui fleurissaient à travers le monde, mais pas beaucoup en France. Ainsi pour faire brillamment ses travaux de recherche Emmanuelle Charpentier, prix Nobel de Chimie 2020 a dû s’expatrier, de même que beaucoup de chercheurs français. 

Manque d’écoute des communautés scientifiques et des argentiers pour les travaux non conformistes autour de la génétique, frilosité, principe de précaution, anathèmes… et lorsque quelque chose d’intéressant semblait près de l’éclosion, il valait mieux franchir le Rhin ou l’Atlantique ! Sanofi vaccins est donc resté dans sa ligne classique. Les avancées timides vers d’autres horizons n’entamaient jamais les certitudes de la  compétence historique illimitée des méthodes classiques. 

Sanofi doit se relever

L’histoire des vaccins s’est donc déroulée depuis dix ans en dehors d’une volonté nationale forte d’être sur tous les fronts et de rester les meilleurs du monde grâce à une réputation de sérieux mais aussi au soutien de l’innovation, de l’invention, du génie, de l’anticonformisme, qui ont fait la réputation séculaire de la science et de la technique françaises dans tous les domaines. La taille et les moyens financiers de Sanofi lui auraient permis de poursuivre ses travaux sur les vaccins dits sous -unitaires en poussant aussi les adénovirus comme les ARN messagers qui étaient étudiés par d’autres, mais cela n’a pas été le cas. Et pour la première société mondiale de vaccins, après l’abandon du vaccin animal c’est un échec qu’il faut assumer si on souhaite s’en relever. On ne peut pas dire, attendez, on va voir, peut-être mon vaccin a du retard, il sera meilleur, moins cher et plus universel. La pandémie actuelle était une hypothèse sur laquelle le monde entier travaillait, en particulier à Boston depuis plus de dix ans. Le coronavirus précédent avait été un avertissement que tous les scientifiques connaissaient. Si on voulait rester les premiers mondiaux il fallait travailler dans toutes les directions et avec les promoteurs des Biotech dont certains, d’ailleurs, comme Tal Zaks directeur médical de Moderna, étaient issus de Sanofi, comme son Président Stéphane Bancel de l’Institut Mérieux ! Pour éviter le drame actuel économique et social un vaccin était la seule possibilité, un vaccin français imaginé en France et financé chez nous aurait donné une priorité sanitaire au pays. Force est de constater que c’est le désormais ancien Président des Etats-Unis qui a décidé de « mettre le paquet » pour son pays sur les nouvelles technologies de vaccins qui redonnent l’espoir à son pays d’abord, puis à l’ensemble du monde de sortir de cette torpeur mortifère qui finit par anémier les humains et leurs œuvres. 

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Pour réussir un industriel doit être là au bon moment avec le bon produit, il est inutile de se chercher des excuses, et faire le retour d’expérience est alors une nécessité si on ne veut pas poursuivre dans la répétition des échecs: le plan de relance de l’économie montre bien l’insuffisance de réflexion sur ce qu’est l’industrie. On peut mettre beaucoup d’argent et échouer, l’essentiel est dans l’inventivité, l’innovation, dans la capacité de sortir des sentiers battus, de se remettre en question, tout le contraire du conformisme et de la précaution dans laquelle la société française s’enlise comme certaines de ses entreprises… hélas !  

Par ailleurs dans cette pandémie où le taux de mortalité reste faible comparé à celui des grands désastres historiques, la perspective de revenir à un fonctionnement social acceptable ne peut venir que d’une vaccination générale et donc d’une entraide de tous les pays et de toutes les entreprises. Aussi, on comprend donc tout à fait que Sanofi se mette à la disposition de Pfizer pour conditionner ses vaccins. Et ils pourraient faire de même pour Moderna ou Astra-Zeneca.

Génération identitaire victime de la dissolution de BarakaCity

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Paris, novembre 2019 © Remon Haazen/Shutterstock/SIPA Numéro de reportage : Shutterstock40821926_000005

Le projet visant à interdire Génération identitaire en donne fortement l’impression.


Il y a de cela quelques semaines, Gérald Darmanin annonçait sur Twitter la dissolution de l’ONG islamiste Baraka City. Immédiatement, sur le même réseau social, où, sur l’air des victimes (paroles de Camélia Jordana, fanfare du FLN), la plupart des jeunes prennent la défense des djihadistes après chaque attentat, tout ce que la France compte de racisés s’était indigné et avait exigé la dissolution parallèle de Génération Identitaire. Les figures de l’islamo-gauchisme avaient fait de même. Pas entendues sur le moment, elles ne désarmèrent pas. Le 4 janvier, dans Regards, revue progressiste ultra, elles y allaient carrément d’une tribune afin que « la haine » du « groupuscule d’extrême droite » soit enfin admise par les pouvoirs publics et entraîne sa chute. 

Dans cette philippique, l’exagération voisinait avec le pur mensonge. Aubry, Autain, Thomas Portes et les autres écrivaient que les membres de Génération Identitaire se prêtaient à des « actions violentes, racistes et xénophobes ». Ils précisaient que « pas un mois ne s’écoule sans que ces nervis identitaires mènent des actions de terreur à travers le pays (sic) ». De quelles « actions » parlaient-ils ? Des ratonnades ? Des viols collectifs de femmes noires et arabes dans des fermes vendéennes ? Des décapitations de musulmans ? Des tueries au FAMAS dans des concerts de raï ? Non ! Il s’agissait du déploiement d’une banderole, de l’occupation du toit de la CAF de Bobigny, du « saccage » du siège d’SOS Méditerranée à Marseille. Dans l’esprit des auteurs de ce texte fort mal écrit, l’emploi du mot « terreur » visait bien sûr à amalgamer Génération Identitaire à l’islamisme politique radical – n’hésitez pas à ajouter une épithète, ça ne coûte rien –, à mettre sur le même plan – et même un peu devant, en fait – l’agit-prop d’un mouvement patriotique et les incessants massacres perpétrés, sur notre sol, par des islamistes. Pour justifier cette odieuse comparaison, nos Durutti des beaux quartiers versaient même dans une manipulation digne des heures les plus sombres de l’Union soviétique : « En octobre, en Avignon, c’est un homme portant un blouson de Génération Identitaire qui a braqué et menacé un chef d’entreprise avant d’être abattu par la police ». On se souvient que ce jour-là, déjà sur les réseaux sociaux, les mêmes fanatiques du vivrensemble s’étaient précipités sur ce détail ; ah ! avaient-ils claironné, on vous l’avait bien dit qu’à force d’humilier les musulmans, de gifler leur sensibilité, à force d’oser mêler l’islam aux crimes commis par des loups solitaires ou des déséquilibrés, vous alliez réveiller LABÊTIMONDE. Sauf que, apprit-on rapidement, le trentenaire qui avait erré en Avignon, arme à la main, était un ancien militant du PCF, qu’il avait fait dix séjours en HP, qu’il était inconnu au bataillon chez Génération Identitaire, et que le blouson en question, n’importe qui pouvait – et peut sans doute encore – en acheter un sur Internet. La suite de la diatribe était du même tonneau. En conclusion, ces contempteurs de l’identité française révélaient le véritable motif de leur appel à Darmanin : « Nous sommes extrêmement préoccupés par la décision rendue par la cour d’appel de Grenoble qui a prononcé une relaxe suite à l’occupation du col de l’échelle (sic) ». Au printemps 2018, en effet, des membres de Génération Identitaire avait fort pacifiquement manifesté, au sommet du col en question, contre l’invasion migratoire, sous les huées des médias qui les avaient présentés comme des nazis. C’est d’abord ce verdict qui avait poussé nos maquisards du XIe arrondissement à aligner des mots dans un texte si mal fichu que même Geoffroy de Lagasnerie – le Michel Foucault de Rennes-II – en aurait honte. Malgré le soutien de la magistrature, acquise à la cause antiraciste et à l’intersectionnalité, le droit n’avait pas permis de condamner les « nervis ». Après avoir lu ce torchon, je m’étais dit – j’ai des témoins – que Darmanin ne tarderait pas à céder afin d’envoyer un « signal » à la gauche qui, depuis deux siècles, dans ce pays dont elle déteste tant le peuple, oriente tous les « débats », est l’arbitre des élégances, domine le champ des idées comme la Mannschaft dominait autrefois les Bleus – Schumacher, on te retrouvera. 

Eh bien voilà, ça y est, nous y sommes. Après avoir répété, dans les Pyrénées, sa placide opération des Alpes, Génération Identitaire est à nouveau accablé par « les Amis du Désastre » (Renaud Camus). Et cette fois, Darmanin a pris les choses en main. « J’ai demandé aux services du ministère de l’Intérieur de réunir les éléments qui permettraient de proposer la dissolution de Génération Identitaire », a-t-il twitté. En français, cela veut dire que des fonctionnaires – et des contractuels en plus grand nombre – zélés sont en train de fouiller les CV, les comptes, les draps, les chiottes de tous les membres de l’association. « Il n’est pas de grand homme pour son valet de chambre », écrit Goethe ; il est certain qu’en sondant de la sorte, les équipes du ministre de l’Intérieur trouveront ce qu’elles cherchent ; nos juges rouges-verts pourront ainsi, enfin, condamner ce « groupuscule » qui les fait tant cauchemarder, pèse tant sur leur conscience, qu’ils ont très mauvaise, comme tout gauchiste qui se respecte. 

Quand on est patriote, on a le droit d’être en désaccord avec les actions menées par Génération Identitaire. On a aussi et surtout le devoir de se regarder dans une glace et de se demander ce que l’on fait concrètement pour contrarier l’effondrement accéléré de la civilisation française. Génération Identitaire, avec qui je n’ai aucun lien, dont je ne connais aucun des membres, se bouge, permet à de jeunes gens de se retrouver au milieu des décombres sous le poids desquels, isolés, promis à l’amertume par un système qui vise justement à nous briser moralement, nous croulons.  Et il n’hésite pas, ce mouvement, à occuper cette rue dont la gauche se croit propriétaire. Même s’il commet peut-être des erreurs stratégiques ou de communication – qui n’en commet pas ? –, il contribue au réarmement moral et intellectuel de la jeunesse française contre les puissances qui désirent la liquider. Son programme est, il me semble, plein de bon sens : il affirme que la France appartient d’abord aux Français. Ceux qui pensent que cette revendication est raciste n’iraient jamais contester que l’Algérie appartient aux Algériens, le Bénin, aux Béninois, la Thaïlande, aux Thaïlandais. 
Macron vient de lancer un « débat » sur l’identité nationale. Nul doute que ce dernier aussi ridicule que celui qui avait accompagné les dernières semaines du mouvement des Gilets jaunes. C’était en effet pitié que tous ces élus des territoires qui râlaient parce qu’ils n’avaient pas qui une médiathèque, qui une rocade, qui une dotation suffisante pour mieux nourrir le clientélisme sans lequel ces notables républicains resteraient dans l’ombre à laquelle leur médiocrité les destine. Quel « débat » sérieux est possible quand le pouvoir progressiste en choisit à la fois le cadre, les termes et les participants ? La dernière fois que nous eûmes droit à un raout de ce genre, sous Sarkozy, nous gagnâmes un musée de l’Immigration… De celui-là sortira peut-être un musée Adama Traoré.

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Ironie interdite

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D.R.

Professeurs, Xavier Gorce, Alain Finkielkraut… Dans un monde cerné par la mal-nommée cancel culture, il devient périlleux de sortir en oubliant les guillemets.


L’ironie est le fait de dire le contraire de ce que l’on pense de façon à ce que l’on comprenne que l’on pense le contraire de ce que l’on dit. « C’est du joli ! » disait ma mère à chacune de mes frasques — et je comprenais globalement qu’elle n’appréciait pas outre mesure. J’avais peut-être quatre ou cinq ans, et ce n’était pas extraordinaire, dans ma génération, de comprendre le second degré à cet âge.

Changement de ton. Des adultes désormais sont infichus d’avoir de l’humour — ou d’en saisir le sel. La condamnation de Xavier Gorce par le Monde en fournit une preuve éclatante. «  Ce dessin peut en effet, écrit Caroline Monnot, directrice de la rédaction,  être lu comme une relativisation de la gravité des faits d’inceste, en des termes déplacés vis-à-vis des victimes et des personnes transgenres. Le Monde tient à s’excuser de cette erreur auprès des lectrices et lecteurs qui ont pu en être choqués. Nous tenons également à rappeler notre engagement, illustré par de nombreux articles ces derniers mois, pour une meilleure prise en compte, par la société et par la justice, des actes d’inceste, ainsi qu’en faveur d’une stricte égalité du traitement entre toutes les personnes. » Déjà l’année dernière le New York Times avait décidé de se passer de dessins de presse : l’humour de Chappatte et consorts paraissait trop subtil pour un journal qui désormais flatte la cancel culture — qui n’a par définition rien à voir avec la culture, puisqu’elle l’interdit.

Faut-il y voir une islamisation des esprits ? Je m’explique.

Ceux qui n’appréciaient pas les parodies de George Cukor (« Une étoile est née » — dans le cul de Mahomet) ou de Godard (« Et mes fesses ? Tu les aimes, mes fesses ? » — à propos du même) fournissent-ils désormais les codes de lecture de l’humour ? Les Juifs ne s’indignaient pas en 1986 que Desproges commençât un  sketch en glissant à mi-voix aux spectateurs : « Il paraît que des Juifs se sont glissés dans la salle » — continuant sur ce mode avec une férocité désarmante qui déclenchait des salves de rires dans un public qui n’était pas celui de Dieudonné. Mais ce même numéro, diffusé à des étudiants contemporains à qui je voulais faire saisir les mécanismes du second degré, provoqua récemment des mines inquiètes et des commentaires indignés. Qu’est-ce qui s’est perdu ? Comment Rabbi Jacob, film merveilleux où De Funès s’étonne (« Salomon est juif ! ») et surjoue le rabbin chantant, est-il devenu sinon invisible, du moins irréalisable aujourd’hui ?

Ce qui s’est perdu, c’est la perspective historique. Ce qui avait un sens dans une époque donnée n’a plus le même quand on perd le recul et la connaissance du contexte. Quand on perd le sens de l’humour.

Je suis au bout de ma carrière. Mais je plains les néoprofs d’aujourd’hui, qui devront allumer les guillemets avec les mains (ah, ce geste de, plus en plus fréquent pour signifier qu’on n’adhère pas à ce que l’on articule !) en étudiant le fameux plaidoyer de Montesquieu sur « l’esclavage des nègres ». Déjà, l’usage du mot « nègre » fait frémir d’horreur les consciences contemporaines. Alors quand le philosophe argumente : « Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête ; et ils ont le nez si écrasé, qu’il est presque impossible de les plaindre » et en rajoute une louche : « On ne peut se mettre dans l’esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir », comment ne pas s’insurger — sans comprendre que sans Montesquieu et quelques autres, l’esclavage serait toujours d’actualité, comme il l’est dans nombre de pays arabes où l’on a de la plaisanterie un usage fort discret. 

Ou encore, ce passage si célèbre du Candide de Voltaire :

« Là des filles, éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros, rendaient les derniers soupirs… »

Comment ? « Besoins naturels » ? M’sieur, c’est de viols en série qu’il est question ! Quelle ordure, ce Voltaire…

Il suffit de parcourir l’article Wikipedia sur Voltaire pour voir que les soucis contemporains, sur les femmes, les Noirs, les Juifs ou les homosexuels, ont corrodé notre image de l’un des plus grands philosophes des Lumières. Lire la féroce critique de la Bible du Dictionnaire philosophique à la lueur de la Shoah expose à des contresens redoutables, et à voir de l’antisémitisme là où il y avait de l’anti-jésuitisme. Mais qu’importe aux censeurs modernes qui du haut de leur nanisme intellectuel s’arrogent le droit de condamner tout ce qui ne pense pas comme eux…

Encore que « penser », en ce qui les concerne…

Une phrase décontextualisée suffit à vous faire passer au tribunal médiatique. En fait, décontextualiser revient à recontextualiser — dans un contexte mensonger. Vous ôtez à Voltaire l’ambiance de la Guerre de Sept ans, les atrocités des « Abares » et des « Bulgares », l’effroi de son héros devant la « boucherie héroïque », et vous ne conservez que l’expression de l’ironie qui, hors contexte, paraît une affirmation monstrueuse : « les besoins naturels », et ce glissement suave du viol à la violence et au meurtre.

Ajoutez à cela que le philosophe écrivait pour une poignée de gens cultivés : au XVIIIe siècle, les incultes ne s’occupaient pas à lire ses plaisanteries sérieuses, ni d’ailleurs quoi que ce soit. La généralisation des savoirs élémentaires n’a pas forcément produit une hausse du niveau, les imbéciles sont toujours légion, mais ils ont la possibilité de proférer leurs insanités sur les réseaux sociaux — en s’estimant largement les égaux de Voltaire.

Alain Finkielkraut a récemment fait l’expérience de ce qu’un propos découpé par des salauds malintentionnés peut provoquer auprès des naïfs. 

Nous vivons dans l’instant, persuadés d’être bons juges. Et nous ramenons à l’instant présent des œuvres ou des comportements issus de conditions totalement différentes. Comme si nous appartenions à une culture « incréée », comme le dieu du même nom. Hier, aujourd’hui ou demain sont à même enseigne. Et ce qui fut vrai dans les sables du désert il y a quatorze siècles est réputé vrai aujourd’hui.

Au XVIe siècle, quand on s’occupa de multiplier les signes de ponctuation, un grammairien proposa un « point d’ironie », pour signaler au lecteur qu’il ne fallait pas prendre au premier degré ce qu’il lisait. Mais on ne retint pas la proposition : personne ne pouvait se méprendre sur un trait d’humour, que diable ! 

Mais nous sommes tellement plus intelligents que nous avons besoin, désormais, de signaler d’un geste éloquent des doigts mis en crochets que nous plaisantons. Et que faute d’une gestuelle d’accompagnement, nous croyons que ce que dit l’autre est toujours déplorablement sérieux. Serait-ce que nous sommes devenus sérieusement crétins ?

Les effets des confinements sur la qualité de l’air largement exagérés

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Photo: Ashley Fontana / Pexels.

Les confinements ont permis de mener une expérience sans précédent en grandeur réelle. Mesurer l’impact réel des transports sur la pollution atmosphérique dans les villes. Conclusion, si la circulation routière contribue évidemment à répandre des particules fines, du dioxyde d’azote et de l’ozone dans l’atmosphère, c’est dans des proportions bien moindres que l’affirment sans cesse les adversaires des véhicules motorisés. Et parfois, les effets sont marginaux. Ainsi, les proclamations d’une baisse spectaculaire de la pollution atmosphérique au début de l’année 2020 étaient très exagérées. Les graphiques d’Airparif pendant les deux confinements le montrent tout comme une étude récente de chercheurs de l’Université de Birmingham sur 11 grandes villes dans le monde.


Le problème avec le simplisme est qu’il déforme parfois tellement la réalité qu’il ne permet plus de s’attaquer vraiment aux problèmes. Tout au plus de les effleurer. La question de la pollution atmosphérique dans les grandes villes en est un bon exemple.

Tout d’abord, et contrairement à de nombreuses idées reçues, elle a beaucoup baissé au cours des dernières décennies. Ensuite, si la circulation automobile a un impact indéniable, elle n’est pas de loin la seule et principale cause de phénomènes complexes. Les confinements ont été une expérience sans précédent en grandeur réelle qui a permis de le démontrer. Faut-il encore accepter des faits qui ne correspondent pas au discours automatique.

Deux alertes majeures aux particules fines à Paris pendant les deux confinements

Ainsi, l’agglomération parisienne aura connu deux alertes majeures à la pollution aux particules fines pendant le premier et le deuxième confinement. Il y aura eu en tout trois pics de pollution aux particules fines l’an dernier à Paris, dont deux pendant les confinements marqués pourtant par des baisses sensibles de la circulation routière. Le premier le 28 mars, le second les 26 et 27 novembre.

Toujours dans l’agglomération parisienne, si les émissions de dioxyde d’azote semblent elles bien évoluer en corrélation avec le niveau de circulation automobile, il n’en est rien des particules fines qui sont cancérogènes et dont on affirme depuis des années qu’elles proviennent notamment des motorisations diesel. Mais depuis quelques mois, les communications officielles insistent surtout sur les niveaux de dioxyde d’azote. Ce polluant proviendrait à Paris pour 61% de la circulation automobile, selon les chiffres officiels. Et sa quantité dans l’atmosphère parisienne a bien diminué pendant le premier confinement de 28% en mars, 48% en avril et 44% en mai.

Le problème est que si le dioxyde d’azote est nocif pour la santé, il présente…

>>> Lire la suite de l’article sur le site de la revue Transitions& Energies <<<

Berlin débat des quotas d’immigrés dans les emplois publics

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Une proposition de la gauche radicale vise un objectif de 35% de personnes issues de l’immigration dans l’administration


La discrimination positive à l’anglo-saxonne va-t-elle aussi envahir l’Allemagne ? Selon une information du Tagesspiegel[tooltips content= »https://www.tagesspiegel.de/berlin/erster-vorstoss-deutschlandweit-berlin-plant-eine-migrantenquote-von-35-prozent-fuer-die-verwaltung/26822470.html »](1)[/tooltips] reprise dans la presse d’outre-Rhin ces derniers jours, une proposition de loi serait sur le point d’être déposée à la chambre des députés de Berlin par le groupe Die Linke, parti héritier du PDS, idéologiquement proche de La France Insoumise. L’idée centrale : instaurer un quota de personnes « issues de l’immigration » dans la fonction publique berlinoise, avec un objectif de 35% qui correspondrait peu ou prou à la population d’origine étrangère dans ce Land allemand, selon les statistiques publiques [tooltips content= »https://www.govdata.de/daten/-/searchresult/f/licence:http%253A%252F%252Fdcat-ap.de%252Fdef%252Flicenses%252Fcc-by,format:pdf,type:dataset,tags:migrationshintergrund,sourceportal:23d695da-6d4e-497f-b36b-3a388949c729,/s/relevance_desc »](2)[/tooltips] [tooltips content= »https://www.statistik-berlin-brandenburg.de/publikationen/stat_berichte/2017/SB_A01-05-00_2016h02_BE.pdf »](3)[/tooltips]

À l’origine de ce projet, Elke Breitenbach, la très virulente sénatrice berlinoise du Travail, de l’Intégration et des Affaires Sociales, selon laquelle « tous les habitants de cette ville doivent avoir les mêmes opportunités » et qui « n’accepte pas la discrimination structurelle ». Curieuse affirmation pour quelqu’un qui vise justement à instaurer un quota qui, par nature, est très clairement discriminatoire. 

Car selon les premiers éléments du projet de loi, le quota devrait s’appliquer à l’ensemble de l’administration publique et à toutes les entreprises publiques telles que la BSR (propreté) et la BVG (transports publics). Selon des membres du parti Die Linke joints par le Tagesspiegel, le texte viserait à parvenir au quota en donnant la préférence aux personnes d’origine immigrée dans les procédures de sélection et de recrutement avec des qualifications égales si celles-ci sont sous-représentés dans telle ou telle administration.

A lire aussi, du même auteur: Autriche: un leader est né

Mieux : Katarina Niewiedzial, déléguée à l’intégration et l’immigration de la ville de Berlin, affirme sans sourciller que « le terme d’intégration n’est plus d’actualité » (sic). « La société tout entière est façonnée par l’immigration ; je parle donc plus volontiers de Migrationsgesellschaft ». Dans ce fourre-tout idéologique, on case, selon Madame Niewiedzal, « les personnes qui, statistiquement parlant, sont des personnes issues de l’immigration, mais aussi celles qui sont victimes de discrimination raciale et qui selon leurs propres déclarations se voient attribuer une origine migratoire ». C’est fabuleux. 

Même le SPD ne suit pas

Si la proposition de quotas parait ahurissante, elle aura en réalité du mal à passer. Pour preuve, la coalition « rouge-rouge-vert » en place à Berlin depuis 2016, se déchire elle-même sur le sujet.

L’initiative d’Elke Breitenbach est d’ailleurs qualifiée de « grossière » par les sociaux-démocrates du SPD, membres de la coalition. Plusieurs de leurs responsables à Berlin, à commencer par Raed Saleh et Frank Zimmermann, s’en sont assez rapidement distanciés. D’autres se sont fendus d’une déclaration de bonne intention sur la « diversité » tout en rejetant l’idée même de quota, apanage de la gauche radicale et d’une partie des Verts, telle que l’inénarrable Bettina Jarasch, qui a cru bon de ressasser une antienne progressiste selon laquelle « l’image de la société a besoin d’être modernisée ». 

Mais de quoi parle-t-on au juste ? Comme l’a très justement rappelé Henryk Broder, éditorialiste au quotidien Die Welt, « à Berlin, il serait difficile de trouver quelqu’un dont les ancêtres ne seraient pas originaires de Gdansk, Breslau, Brno, Katowice ou de Transylvanie, sans parler des descendants des huguenots qui ont fui à Berlin à la fin du XVIIe siècle. Vers 1700, un berlinois sur quatre était un immigrant français ». [tooltips content= »https://www.welt.de/debatte/kommentare/plus224544714/Warum-die-Migrantenquote-der-Stadt-Berlin-problematisch-ist.html »](4)[/tooltips]

La notion de personne « d’origine immigrée » – les Allemands parlent de « MmM » pour Mensch mit Migrationshintergrund – serait d’ailleurs très difficile à définir. Jusqu’où faut-il remonter ? Une personne qui souhaite être reconnue comme MmM doit-elle être issue d’immigrés tant du côté maternel que paternel, ou bien un seul des deux ? Le débat serait sans fin, sensible, et aberrant. 

Une mesure anticonstitutionnelle?

Plusieurs juristes allemands pointent d’ailleurs l’inconstitutionnalité d’une telle mesure. Elle ne serait en conformité ni avec la Constitution de Berlin de 1995, ni avec la Loi Fondamentale de l’État fédéral, et notamment son article 33§2, qui énonce que « tout Allemand a un accès égal à toutes les fonctions publiques en fonction de ses aptitudes, qualifications et performances professionnelles ».

A lire aussi: Charte de l’islam: nécessaire, mais très loin d’être suffisant

Au demeurant, l’opposition a vivement protesté contre l’initiative législative de Breitenbach. Le chef du groupe parlementaire FDP, Sebastian Czaja, a déclaré au Tagesspiegel: « Ce n’est pas parce que l’objectif est louable que tous les chemins sont justes. Un quota qui est régi par le traitement préférentiel de groupes prédéterminés ne combat toujours que le symptôme, pas la cause »

Même ton chez l’AfD et les chrétiens-démocrates (CDU), dont le responsable local, Kai Wegner, a pesté contre cette « proposition de mauvais goût ».

École: l’habillement généreux d’une démission civilisationnelle

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En classe, le travail des enfants, peinture de Jean Geoffroy (1853 - 1924). Photo D.R.

Je ne connais de signification précise au mot « liberté », écrivait Valéry en 1938, que celle qu’en donnent la dynamique et la théorie des mécanismes ; c’est-à-dire, comme latitude demeurant à un système une fois toutes ses contraintes conformationnelles respectées. C’est dans cette soustraction opérée sur une mobilité qui serait absolue que naît la sensation de liberté, nous dicte-t-il encore : sans gênes, son sentiment n’advient pas. La liberté, pour le dire autrement, réside donc dans un hypostatisme léger, et non dans un hypostatisme total ; si on l’éprouve, c’est parce qu’elle est amputée, et non intacte : la liberté est un reliquat. La vouloir sans entraves, c’est désirer l’impossible ; une liberté non bornée est une idée destructrice d’elle-même, comme celle de néant. La liberté illimitée, cela a néanmoins un nom : cela s’appelle la licence, et c’est l’antithèse de la liberté. La tragédie de notre époque se noue alors là : elle croit qu’il n’y a de liberté que dans la licence ; alors qu’elle n’existe qu’en dehors de celle-ci.

Continuum de la licence et de la tyrannie

La licence, répétons-le encore, n’est pas la liberté ; la licence, c’est une liberté exercée dans l’anomie, une liberté pratiquée dans l’indiscipline et le désordre. C’est une liberté dont on jouit sans conscience, une liberté qu’on fait jouer dans le sens du chaos, et qui n’aboutit qu’à s’annihiler elle-même. « L’ordre, et l’ordre seul, fait en définitive la liberté », écrivait Péguy en 1905. « Le désordre fait la servitude ». Il en va ainsi de la licence, c’est-à-dire de la liberté entendue comme allergie à toute espèce d’ordre : elle n’affranchit pas l’individu, elle prépare son assujettissement. Aux contraintes fortifiantes de la liberté, fabriquant les âmes fermes et tendues, elle substitue un sybaritisme dissolvant, qui les fait molles et alanguies. Le continuum ne va donc pas de la liberté à la licence ; il va de la licence à la tyrannie. Dynamite pour discipline intérieure, la licence ne prépare pas des régimes libertaires ; mais, consubstantielle à l’État faible, prédispose au contraire à la dictature. Après tout, si l’on en croit La Boétie, Cyrus n’eut-il pas qu’à établir dans la ville de Sardes « des bordels, des tavernes et des jeux publics », et à rendre obligatoire leur fréquentation, pour s’assurer définitivement des Lydiens ?

D’une liberté que rien ne borne, l’homme finit vite par se lasser ; il mesure alors, effrayé, l’état de dislocation produit par sa pratique démissionnaire, quand elle est généralisée à l’échelle d’une société. Mais qu’est-ce qui pourrait bien sauver un édifice public dont chacun, pour paraphraser Nietzsche, a cessé d’être pierre ? La tyrannie elle-même ne saurait directement remédier à ce ferment centrifuge qui est d’abord intérieur. Son idée, toutefois, finit par s’imposer, comme pis-aller nécessaire devant le spectacle, révoltant pour l’esprit, d’une incurie publique de tous les instants. Qui, d’ailleurs, serait en état de s’opposer à son instauration ? Non, la dictature est le lot d’une société ayant collectivement décidé de démissionner, comme le prix à payer pour son douloureux dégrisement.

La toute-puissance originelle du poncif

La grande illusion de la liberté, chez l’homme, c’est qu’on la croit innée et naturelle, première et originelle ; alors qu’elle n’advient jamais qu’au terme d’un apprentissage. La liberté, en effet, ne consiste pas à n’avoir aucun maître ; elle consiste à être à soi-même son maître[1]. Et même chez un anarchiste tel que Bakounine, on n’y trouvera pas la liberté décrite comme un fruit vers lequel l’individu n’aurait qu’à tendre la main pour s’en saisir. Au contraire, professait-il, la liberté requiert une éducation, et ce n’est qu’à mesure qu’elle progresse que la figure extérieure d’autorité cesse graduellement d’être nécessaire, et devient dispensable. « Une immolation progressive de l’autorité au profit de la liberté » : telle est la définition qu’il donne d’une éducation rationnelle, dans Dieu et l’État.

Notre premier élan, contrairement à ce que nous aimerions croire, ne va pas à l’original, mais au cliché ; de même que nous n’avons pas l’instinct de la liberté, mais celui de la licence. Ce qui règne d’abord tyranniquement en nous, ce n’est donc pas l’inusité, le jamais-vu ou l’inouï ; c’est, à rebours, le lieu commun. Appelés à décrire une tour ancienne, combien, à cet égard, fût-elle de couleur claire, ne manqueraient pas, à l’instar de l’écolier d’Alain, d’en signaler les inévitables « pierres noircies par le temps », que la toute-puissance du poncif leur fait voir alors même qu’elles sont à l’évidence absentes ? La pensée singulière d’un enfant n’est pas une source claire n’attendant qu’un coup de pioche pour jaillir ; c’est un liquide trouble contenant beaucoup de truismes et peu d’idées en propre, qu’il faut chauffer et porter à ébullition longtemps pour en extraire à froid quelques gouttes de distillat.

Programmatique de la page blanche et pupillarité éternelle

Las, une telle vérité n’est pas à l’ordre du jour ! La modernité éducative, à rebours du réalisme des siècles passés, qui voyait dans l’enfant l’élément humain le plus faible – c’est-à-dire celui auquel il fallait tout donner, celui qui devait tout recevoir -, feint de n’avoir plus affaire en la matière qu’à des surhommes, capables de tout tirer de leur fonds. L’écolier n’est plus un pupille vis-à-vis duquel l’adulte exerce un magistère ; c’est un génie qu’il importe avant tout de laisser à son œuvre, pour n’en pas falsifier l’accouchement. L’assimilation des trésors du passé, dès lors, ne lui est plus une addition nécessaire et féconde ; mais un fardeau malvenu et stérile, un appesantissement même nuisible, propre à en détourner les Muses, et à en bouleverser l’homéostasie intérieure. L’instruction ne se présente plus alors que sous un seul visage : celui de la toujours possible aliénation.

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Bakounine ressuscité, plaidant pour le maître, aurait ainsi aujourd’hui des allures de conservateur, sinon de réactionnaire. Il est vrai aussi, pour lui, que la férule des premiers jours avait toutefois une contrepartie : c’est que cette autorité ne s’éternise pas ; c’est que cette tutelle finisse effectivement par s’abolir. Sinon, dénonçait-il, l’École ne sera jamais que le nouveau nom de l’Église, et le peuple demeuré troupeau aura seulement changé de tondeurs. Ô, pensée d’un autre âge ! Cela fait bien des années que l’institution a abandonné ce vieux projet émancipateur : fabriquer des citoyens adultes, aptes à penser par eux-mêmes, chez lesquels l’esprit de responsabilité aura été développé à part égale de celui de liberté, est une mode qui a passé. Nous en sommes désormais revenus au régime éprouvé que le philosophe russe connaissait : celui de l’éternelle minorité, dans lequel l’adulte ne l’est jamais qu’à titre sursitaire, et se voit d’ailleurs quotidiennement traité comme s’il ne l’était pas.

Le risque démocratique est-il encore admissible?

C’est qu’entre-temps, le totalitarisme nazi a eu lieu, et que nos sociétés occidentales demeurent sous l’émotion des horreurs qu’il a produites. Or, cette dimension d’abord charnelle qu’ont conservé pour nous ces événements historiques a réactivé, pour tout ce qui touche à cette période, des logiques de pur et d’impur. Qu’une chose, quelle qu’elle soit, ait un point de contact avec le nazisme, sa vérité se résume alors à cette intersection, son Être devient indissociable de l’horreur génocidaire ; la penser « innocemment » cesse d’être possible, son premier visage est désormais – toujours – celui de sa parenté avec le Mal[2].

Aussi, parmi les irréparables dégâts causés par l’hitlérisme, faut-il encore compter ceux liés aux mots et aux idées dont il a pour longtemps vicié l’emploi, par son compagnonnage radioactif ; et d’abord, à la démocratie comme confiance placée sans réserves dans l’instruction, et dans l’homme ordinaire qui en a bénéficié. A cette foi, en effet, le nazisme a fait rétrospectivement se succéder l’effroi ; or, la démocratie ne va de soi qu’en régime de banalité du bien. Si, au contraire, la loi véritable est celle de la banalité du mal, une société peut-elle encore prendre le risque de la démocratie ? A des adultes intellectuellement émancipés, mais toujours susceptibles de replonger dans l’ignominie, ne vaut-il pas mieux alors préférer le maintien des individus dans une certaine minorité de l’esprit, qui les rendra plus perméables aux clichés ? C’est, à bien des égards, le choix que me paraît avoir opéré l’époque, dans sa substitution de colos vaguement érudites aux anciens cloîtres consacrés au seul culte du savoir.

L’adulte à l’école de l’enfant

Dans cette philosophie nouvelle, l’école n’est plus pensée comme un sas, entre la famille et le monde, entre l’enfance et la majorité, où l’élève est soustrait au Dehors et arraché à lui-même ; au contraire, cette étanchéité, cet hermétisme, cette extraction même, quintessencient ce qu’on entend détruire. L’école, précisément, doit devenir l’espace rieur où le petit d’homme n’a jamais à se quitter, et peut demeurer en permanence dans la fidélité à lui-même ; perméable aux parents (c’est-à-dire à la famille) comme aux enjeux idéologiques du moment (c’est-à-dire au tumulte du monde) ; ouvert sur le jeu (c’est-à-dire sur l’enfance) comme sur l’univers de l’entreprise (c’est-à-dire sur l’âge adulte). Son objet n’est plus l’expérience de la coupure et de la séparation, la distanciation d’avec son Moi ; mais le métissage des extérieurs, et l’arraisonnement à soi.

L’école, alors, de lieu clos, se fait continuum ; et la frontière entre l’adulte et l’enfant se brouille. On n’est plus très sûr de savoir qui doit faire la leçon à qui. Le maître surplombe-t-il vraiment l’élève ? N’ont-ils pas réciproquement beaucoup à s’apprendre ? Dans les matières nouvelles désignées comme vitales par l’école réformée, n’est-ce pas plutôt aux adultes de ressortir leurs cahiers, et à leurs enfants de faire cours[3] ? Certes, ils n’ont qu’une vague idée de l’orthographe et de la syntaxe, et leur vocabulaire ne dépasse pas 300 mots ; mais ne maîtrisent-ils pas le tri sélectif ? N’ont-ils pas déjà appris à déconstruire maints préjugés de genre et de race ?

Le refus du dressage est un refus paradoxal de la liberté

La France, nous a-t-on rapporté récemment avec les résultats de l’enquête TIMSS 2019, dévisse en matières scientifiques au primaire et au collège ; et de nombreux médias – jusqu’au Monde ! – ont cru devoir s’alarmer de voir nos élèves de 4ème n’exhiber plus, en mathématiques, que le niveau alors arboré, en 1995, par leurs homologues de 5ème. Cet effroi général m’a, je l’avoue, bien surpris. Parmi toutes ces voix – et il y en avait de progressistes – , nulle en effet n’a énoncé cette évidence qui aurait pourtant rasséréné chacun : savoir, qu’il y a belle lurette que de tels tests ne sont plus adaptés aux enseignements dispensés par notre école ; et que toutes ces enquêtes ne sont jamais configurées que pour des systèmes d’instruction antédiluviens, où l’on croit encore que connaître ses tables de multiplication est utile au citoyen. Non, interrogeons nos enfants sur les notions que notre école fait travailler, cuisinons-les sur le développement durable, les vertus du métissage, et nous les verrons à nouveau truster les premières places de ces classements iniques.

« Parmi les victimes de la liberté [l’emploi du mot « licence » eût été ici plus juste], les formes, et dans tous les sens du terme, le style. Tout ce qui exige un dressage, des observances d’abord inexplicables, des reprises infinies ; tout ce qui mène par contrainte d’une liberté de refuser l’obstacle à la liberté supérieure de le franchir », consignait encore Valéry. Or, précisément, quels sont les enseignements les plus rigoureusement astreints à l’observance stricte des formes, sinon l’orthographe et la syntaxe, en matière « littéraire », et les mathématiques, en matière scientifique ? Notre école moderne est toute entière fondée sur le refus du dressage, comme maltraitance insupportable perpétrée à l’égard du Moi de l’enfant ; mais comment s’étonner, alors, que la chute du niveau scolaire trouve d’abord à s’illustrer par des prestations minables en ces domaines ? Le paradoxe, en effet, c’est qu’il faut être arraché à soi pour s’y voir ensuite rendu ; mais comment faire entendre une telle vérité ?

L’abstention généreuse

Le malheur de notre époque, c’est que les demi-habiles ont pris le pouvoir, et que tous leurs efforts pour paver des paradis n’aboutissent chaque fois qu’à des enfers, en matière éducative comme en matière de « vivre-ensemble » d’ailleurs. Le motif est systématiquement le même : il consiste à croire en l’existence d’un Autre, avec une majuscule – l’Enfant, mais aussi l’Étranger –, formant avec ses semblables un univers autonome, vis-à-vis duquel, par égard même, nous devons nous abstenir de toute ingérence, pour ne pas leur inoculer notre poison.

Dans l’adulte, dans le natif occidental, gît en effet quelque chose de contagieux, une corruption d’où le mal est sorti[4] et dont la communauté autogestionnaire de l’Autre doit être préservée, si on n’en veut pas vicier irrémédiablement la pureté et l’harmonie. Aussi, par humanitarisme même, faut-il demeurer au seuil de ces mondes, pour ne pas provoquer leur fatale dénaturation. Ce qu’on eût autrefois rangé dans la catégorie des démissions et des lâchetés devient alors l’incarnation même du cœur et du souci généreux. Être altruiste désormais, ce n’est plus s’investir, c’est s’abstenir. Renoncer à avoir pour autrui une exigence – c’est-à-dire une ambition – ne marque plus le désintérêt, ou la désaffection ; mais témoigne au contraire de l’amour qu’on lui porte.

La neutralité devient alors l’horizon indépassable : et vis-à-vis de l’enfant, vis-à-vis de l’étranger, il ne s’agit plus d’être un parent ou un pays singuliers, mais un parent quelconque, et un pays quelconque, ayant le degré d’abstraction et de généralité mobilisé pour les démonstrations mathématiques. La préservation de la virginité ontologique de l’Autre est à ce prix. Il nous faut devenir page blanche, pour l’enfant, et terre vierge, pour l’étranger. L’adulte et le natif ne sont plus des figures à imiter, des référents culturels avec lesquels coïncider un jour, pour le nouveau-né et le nouveau-venu ; à bien des égards au contraire, ces modèles viciés ne constituent plus que leur passé – eux, sont l’avenir  –.

Le refus de la continuité du monde

Arendt écrivait : « avec la conception et la naissance, les parents n’ont pas seulement donné la vie à leurs enfants ; ils les ont en même temps introduits dans un monde. En les éduquant, ils assument la responsabilité de la vie et du développement de l’enfant, mais aussi celle de la continuité du monde […] [Car] ce monde aussi a besoin d’une protection qui l’empêche d’être dévasté et détruit par la vague des nouveaux venus qui déferle sur lui à chaque nouvelle génération. »

Mais aimons-nous encore assez notre monde pour en vouloir assurer la continuité ? Y sommes-nous encore assez attachés pour refuser le contractualisme culturel qu’on nous propose, et affirmer qu’à côté de la démocratie des vivants, existe aussi une démocratie des morts, qui nous inscrit une filiation qui n’est pas à choisir, mais qui nous est prescrite ? Avons-nous encore, sur notre propre sol, une civilisation à transmettre et le désir de la voir se perpétuer, ou sommes-nous mûrs pour le multiculturalisme, c’est-à-dire pour la soustraction de la terre à l’Histoire, et la concurrence libre et non faussée des allégeances et des mœurs ?

Chacun, désormais, peut constater les résultats édifiants de 45 années de démission, à l’école et aux frontières. Saurons-nous, pourtant, renoncer à la licence, et assumer le devoir de continuité civilisationnelle qui nous incombe ? Le doute est plus que jamais permis, même si notre pays, à d’autres carrefours de l’Histoire, a su démontrer qu’il avait le sens du sursaut…

[1]Donc, d’abord, à devenir tel.

[2]J’ai à cet égard en mémoire l’interrogation, effarante de stupidité, posée par Ruth Elkrief au candidat Jean-Frédéric Poisson, lors du second débat de la primaire de la droite et du centre : « Jean-Frédéric Poisson, vous, vous voulez un ministère de l’instruction publique, et cette appellation elle date de 1828, elle a même été reprise sous Vichy. Est-ce que c’est la nostalgie qui fera avancer le jeune en 2017 ? » Fermez le ban ! Que Vichy ait pu appeler ainsi un ministère suffisait à disqualifier toute entreprise consistant à définir si l’État doit avoir part à l’éducation des enfants, ou à leur seule instruction – belle question dont on pourrait d’ailleurs dire que la modernité l’a résolue en établissant que l’État doit intervenir toujours davantage dans l’éducation de l’enfant, et toujours moins dans son instruction.

[3]A cet égard, on connaissait depuis longtemps le fameux conseil prodigué par la vieille femme au Zarathoustra de Nietzsche, dans son commerce avec le sexe opposé. Mais l’on ignorait encore, jusqu’à l’avènement de l’inénarrable Greta, sa transposition au monde des adultes. Une version actualisée par notre prophétesse adolescente n’est pas encore prévue, mais je propose déjà : « Tu vas chez les adultes ? N’oublie pas le fouet ! »

[4]Nazi bien sûr ; mais encore colonial, esclavagiste, et aujourd’hui, faustien, anti-écologique.

La traductrice française de Charles Manson

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© Photo: Hannah Assouline

Longtemps exception féminine dans le monde du journalisme rock, Laurence Romance fait connaître en France les figures mythiques et sulfureuses de l’histoire de cette révolution
culturelle, dont ce musicien raté des sixties, devenu célèbre pour avoir orchestré le meurtre de Sharon Tate et d’autres, Charles Manson. Portrait.


Laurence Romance me reçoit dans sa chambre, « d’enfant de la forêt » comme elle se plaît à qualifier son antre, version féminine du repaire du Des Esseintes de Huysmans : ambiance gothique et plafond étoilé qui rappelle sa féminité de petit lutin rock’n’roll. Morticia Addams meets Suzi Quatro. Cette enfant du rock apporte sa fraîcheur au sein du milieu très masculin du journalisme musical, peut-être même l’a-t-elle bouleversé.

Charles Manson, ungrateful dead

Le prétexte de notre rencontre, c’est l’ouvrage qu’elle a traduit, Charles Manson par lui-même, publié par les éditions Séguier en mai 2019 pour le cinquantième anniversaire du terrifiant imbroglio qui fit exploser l’Amérique du « Summer of Love ». Ce sont des entretiens que le mythe le plus sulfureux et diabolique engendré par l’Amérique a accordés en prison.

Dans sa bibliothèque, on croise Huysmans, mais aussi Léon Bloy ou Villiers de L’Isle-Adam et son Ève future…

Dans cet ultime témoignage et témoignage ultime, Manson se raconte sans filtre, de son enfance fracassée à la nuit sanglante où Sharon Tate, parmi d’autres sacrifiés, perdit deux vies : la sienne et celle de son bébé. Derrière ses aveux qu’il arrange forcément à sa sauce, c’est une histoire de l’Amérique qui se dessine, de la vie sordide des oubliés du rêve américain à la flamboyance hollywoodienne qui lui parut pendant un temps accessible. Cette rencontre de deux mondes, comme un précipité chimique qui finit en tragédie barbare, est très bien analysée par Simon Liberati dans California Girls. Ce drame, écrit-il dans la préface, est « le fruit d’une mauvaise alchimie, la rencontre d’un musicien intelligent et rêveur au cœur plein de rancune et de l’été de l’amour qui amena des jeunes filles bien élevées à abandonner leurs vies bourgeoises et à le suivre sur des sentiers qui ne menaient nulle part dans cette Californie encore pleine de sortilèges du vieil Hollywood et du diabolisme indien ». Les sortilèges maléfiques de Manson – que Dennis Wilson, beau gosse et batteur des Beach Boys, qualifiait de « sorcier » (wizard) – ont aspergé de soufre et de sang le nouvel Hollywood des hippies.

Laurence Romance, 2020 © Photo: Hannah Assouline
Laurence Romance, 2020 © Photo: Hannah Assouline

Après des années de prison, notamment pour proxénétisme, Manson débarque en Californie, passant sans transition du monde corseté des fifties au monde débridé des sixties, qu’il devine fait pour lui. Il organise une communauté de gamines en perdition vite soumises à son talent pour la tchatche et le sexe. D’après ceux qui l’ont approché, ce petit bonhomme de 1,54 mètre est manipulateur, séducteur, charismatique au point de charmer les musiciens les plus en vue de l’époque, dont Dennis Wilson.

Charlie a une obsession : devenir musicien. Ayant infiltré le sérail de Los Angeles, il croit que son heure est venue, mais, incarcéré pendant des années, il a raté la décennie qui a bouleversé le rock’n’roll. Les jeunes ne vibrent plus au son d’Elvis, mais des Doors ou de Grateful Dead. Encore une fois, il est laissé pour compte. Et comme le chante Neil Young dans Revolution Blues, « he can’t take rejection » (« il ne supporte pas d’être rejeté »).

C’est sans doute se venger des puissants d’Hollywood que le diablotin aux yeux déments a envoyé sa « family », les filles « engouroutées » et droguées, perpétrer un des crimes les plus macabres du xxe siècle. La machine à fantasmes a accouché de nombreuses hypothèses. On a dit qu’il était à la solde de la CIA, payé pour détruire le mouvement hippie, que la tuerie n’avait été qu’un banal règlement de comptes pour une affaire de drogue ou encore qu’il voulait libérer Bobby Beausoleil, emprisonné quelques mois plus tôt pour le meurtre d’un professeur de musique.

Finalement, peu importe. « Puisque rien n’est vrai tout est permis », proclamaient les Magiciens du Chaos, des disciples d’Aleistair Crowley, sorcier sataniste pop. Perdant maléfique qui mit en scène le chaos de la société américaine, Manson aurait pu en faire sa devise.

Si Laurence Romance, qui a réalisé la dernière interview filmée de Kurt Cobain et traduit son journal intime, s’est intéressée à Manson, c’est par fascination pour le mythe, pas pour le personnage. Lorsque celui-ci meurt en 2017, elle découvre que les entretiens parus en 1986 aux États-Unis n’ont pas été traduits en France et se démène pour trouver un éditeur.

Romance vient d’un coin perdu de France, une région de marais à proximité de Saint-Omer dans le Pas-de-Calais, Manson de l’Ohio, en plein Midwest. Deux endroits que l’on qualifierait aujourd’hui de périphériques. Tous les deux sont issus d’un milieu populaire. La comparaison s’arrête là.

Les parents de la future compagne de Nick Kent, légendaire journaliste de rock british, tenaient un café. Elle en a gardé sa gouaille ainsi qu’une certaine connaissance de l’alcoolisme et des bagarres qu’il provoque, qui explique peut-être son goût pour le metal, mouvement musical extrême. Après le lycée qu’elle quitte avant le bac, elle va vivre à Lille où elle enchaîne des petits boulots, d’ouvreuse de cinéma à vendeuse de barbes à papa. Elle connaît ensuite le chemin classique qui mène à la gloire ou pas. Chanteuse dans un groupe lillois, Radio Romance, qui lui inspire son pseudo, elle se lance à la conquête de Paris où, parrainée par l’incontournable Patrick Eudeline, elle devient la madame rock de Libération sous la direction de Bayon. Elle prête aussi sa plume, volontiers acide, à Best, Rock & Folk, aux Inrocks, ainsi qu’à Rolling Stone où elle traite des sujets de société. Laurence aime virevolter, de journaux en journaux, de sujets légers en interviews cultes, de la presse écrite à la télé. Cheveux vermillon et tenues gothiques pop, elle est connue du grand public pour « Rock Express », l’émission qu’elle a présentée sur M6 pendant cinq ans, ce qui lui vaut d’être traitée de vendue par les gardiens du temple.

Mais le rock est loin d’être sa seule vie. Comme beaucoup de protagonistes du dernier âge d’or du rock’n’roll, elle voue un culte aux auteurs fantastiques et gothiques ainsi qu’à la littérature dite décadente de la fin du xixe. Dans sa bibliothèque, on croise Huysmans, mais aussi Léon Bloy ou Villiers de L’Isle-Adam et son Ève future. Sa préférence va cependant à Rémy de Gourmont, obscur bibliothécaire qui déploie dans Sixtine, roman de la vie cérébrale, son idéalisme désenchanté.

Chez Romance, la vitalité l’a emporté sur le désenchantement. Elle se consacre aujourd’hui à la traduction, notamment celle des ouvrages du British de sa vie, Nick Kent, dont elle a fait paraître un recueil d’articles, The Dark Stuff : l’envers du décor, et l’autobiographie, Apathy For the Devil, publiée en France avec le sous-titre Les seventies, voyage au cœur des ténèbres.

Cette « branleuse » comme elle se qualifie, a découvert un peu ébahie via les réseaux sociaux qu’elle était devenue une « passeuse » pour les nouvelles générations. Après s’être plongée pendant des années dans les ténèbres mansoniennes, elle envisage d’écrire son autobiographie.

Charles Manson par lui-même, propos recueillis par Nuel Emmons (trad. Laurence Romance), Séguier, 2019.

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Photo: Hannah Assouline
Photo: Hannah Assouline

Frédéric Rouvillois: l’automne du «Penser printemps»

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Frédéric Rouvillois, professeur de droit public et écrivain © Hannah Assouline

Pour l’historien et essayiste conservateur, auteur de Liquidation, Emmanuel Macron et le saint-simonisme (Le Cerf, 2020), Emmanuel Macron incarne mieux que personne le monde dans lequel nous vivons: on ne sait pas où on va, mais on avance bien. Dans le sillage du saint-simonisme, notre président, derrière une façade démocratique, met en place une oligarchie d’experts. Entretien


Causeur. Pour vous, Macron est un continuateur du comte de Saint-Simon (1760-1825). Peut-être faut-il rafraîchir la mémoire de quelques lecteurs (et de votre servante). Peut-on dire que les saint-simoniens sont les ancêtres des élites mondialisées ?

Frédéric Rouvillois. En tout cas, ils annoncent certaines de ces élites mondialisées qui réalisent la fusion du libéralisme et du socialisme, plus exactement d’un libéralisme encadré et d’un socialisme inégalitaire. En un sens, le saint-simonisme est une sorte de religion théorisée par Saint-Simon dans son dernier ouvrage, Le Nouveau Christianisme (1825), avec une église et une morale presque droit-de-l’hommiste, qui substitue aux fois anciennes, supposées mensongères, une religion de l’Homme s’émancipant par l’économie de la misère et de l’ignorance, et accédant à l’âge d’or.

Mais le saint-simonisme est avant tout une idéologie de la mobilité, de la fluidité et de la compétition, avec l’idée que chacun doit repartir de zéro pour se lancer dans la compétition à corps perdu, en fonction de ses « capacités ».

La compétition, que ce soit pour les femmes, le pouvoir et l’argent, est l’un des moteurs de l’existence humaine, bien avant l’époque moderne.

Je ne prétends pas que nous devrions vivre comme les moutons d’un troupeau bêlant de concert. Mais pour le saint-simonisme, la vie et l’histoire du monde se résument à cette compétition, l’objectif de chaque individu étant d’être « à sa place » dans la cordée. Le postulat de Saint-Simon, « à chacun selon ses capacités, à chaque capacité selon ses œuvres », implique à certains égards une table rase indéfiniment répétée, puisque pour que chacun parte sur la même ligne que tous les autres, il faudrait éliminer non seulement le patrimoine matériel accumulé au sein de chaque famille, mais aussi le patrimoine culturel… Le système éducatif jacobin imaginé par Robespierre préconisait que les enfants soient retirés de leur famille pour qu’ils ne soient pas pervertis, qu’ils grandissent ensemble jusqu’à l’âge adulte pour pouvoir participer de manière égalitaire à la République. Je ne dis pas qu’en prônant l’école à trois ans et la suppression de l’école à la maison, mon collègue Blanquer soit exactement dans la même optique, mais il y a quand même quelque chose de cela.

À lire aussi: Pierre Vermeren: «L’État de droit est en train d’asphyxier la démocratie»

Pourquoi rattacher Emmanuel Macron à Saint-Simon plutôt qu’à Marx ? Marx aussi installe le primat de l’économie après tout.

Et pourquoi rattacher le pape à Jésus-Christ plutôt qu’à saint Paul ? Eh bien, parce que saint Paul est un disciple de Jésus-Christ ! Or, s’agissant de la place de l’économie et de la conception de l’Histoire, Marx est très largement un disciple de Saint-Simon, comme il le reconnaît volontiers. En outre, il y a dans la problématique macronienne du dépassement de la politique par l’économie un évident lien de parenté avec Saint-Simon. Enfin, il y a chez Macron cette dimension libérale indéniable dont vous conviendrez qu’on peut difficilement la rattacher au Manifeste du Parti communiste.

Qualifieriez-vous le macronisme d’utopie ?

À certains égards, oui. Comme le saint-simonisme, il rêve d’une sorte de réconciliation universelle à laquelle on parviendra en dépassant ou en surmontant les différences (entre riches et pauvres, hommes et femmes, etc.). Libérés des conflits, les hommes seront libres d’agir selon leur volonté et de réussir selon leurs talents. Il y aura donc autant d’histoires que d’êtres humains : c’est la fin de l’Histoire.

Ces quelques rappels étant faits, venons-en aux reproches ! À vous lire, on dirait que la seule alternative au monde liquide décrit par Zygmunt Bauman est l’ordre ancien et immuable dans lequel la naissance était déterminante. Si l’histoire n’avait pas opéré de liquidations successives, nous serions encore dans les cavernes.

Ne me caricaturez pas trop ! Évidemment qu’il faut de la souplesse. Récuser la liquidation universelle et permanente, reconnaître le rôle structurant des limites ou des frontières ne signifie pas qu’on veut mettre des limites partout, et à tout. Si la tradition n’est pas en évolution permanente, elle se suicide. Quant au vrai but du conservateur, ce n’est pas de conserver la totalité de ce qui existe, mais de reconnaître qu’il y a dans le passé des choses qui sont bonnes, d’autres qui le sont moins et de faire un tri. Il est contraint à un devoir d’inventaire permanent. De son côté, le saint-simonisme, y compris dans sa version macronienne, valorise le mouvement en tant que tel. Ce qu’il faut c’est être « en marche », changer, être dans le « trans », le passage. Et si l’islam inquiète Macron, c’est moins parce qu’il menace une certaine identité française, que parce qu’il fait obstacle à la société liquide et dépourvue de repères fixes rêvée par Saint-Simon.

En attendant, « à chacun selon ses capacités », c’est la définition de la méritocratie. Vous dénoncez le gouvernement des experts, mais je me rappelle les Gilets jaunes affirmant que n’importe qui est capable de gouverner. Désolée, je ne leur aurais pas confié la boutique ! On ne peut pas se passer d’une forme de légitimité rationnelle.

Je ne nie évidemment pas le rôle des experts, des scientifiques, des universitaires – dont je fais partie. Ce que je reproche à Macron c’est de nous jouer le grand air de la démocratie citoyenne. Les saint-simoniens au moins assumaient leurs idées : ils établissaient clairement une hiérarchie entre ceux qui ne savent rien, et qu’il faut par conséquent écarter du pouvoir, et ceux qui savent, à qui il incombe de diriger à proportion de leur savoir : Cédric Villani président, en somme, en attendant l’intronisation de la prochaine médaille Fields. La méritocratie des experts, c’est l’aristocratie du savoir qui entraîne, chez les saint-simoniens, une oligarchie du pouvoir. En soi, la chose n’est pas forcément négative, je ne me sens pas personnellement une appétence démocratique faramineuse. Ce qui est plus gênant, c’est d’être dans le faux-semblant, de mettre en place cette aristocratie sans l’assumer tout en faisant croire que l’on est toujours dans une perspective parfaitement démocratique ! Notre fameuse convention citoyenne pour le climat s’inscrit dans cette logique : on fait croire que c’est le peuple qui parle, alors que derrière la scène, les experts prennent les décisions, avant que le président ne déclare à Brut, le 4 décembre, que ce n’est pas « parce que les 150 citoyens ont écrit un truc que c’est la Bible, ou le Coran ».

Notre politique sanitaire actuelle – et le sacro-saint principe de précaution sur lequel elle est fondée – renvoie au « corps glorieux » de Saint-Simon.

En effet, les saint-simoniens voulaient réconcilier l’esprit et la matière. C’est ce qu’ils appelaient « la réhabilitation de la chair » : tout un programme !

La religion de l’homme exige que tout soit fait pour que son corps, sa vie matérielle ou physique soient préservés

Ambition louable…

C’est vous qui le dites… En tous cas, cela peut évoluer vers un hygiénisme fanatique. De nombreux médecins entouraient du reste les saint-simoniens, tout comme Macron aujourd’hui. En 1832, lors de l’épidémie de choléra à Paris, ils n’hésitent d’ailleurs pas à préconiser une dictature sanitaire assumée comme telle. La religion de l’homme exige que tout soit fait pour que son corps, sa vie matérielle ou physique soient préservés, « quoi qu’il en coûte », comme dirait qui vous savez… Quand on ne croit plus qu’en l’homme, il faut absolument sauver ça, sinon tout est fichu. Or, comme le montre Olivier Rey dans L’Idolâtrie de la vie, plus l’État donne, plus cela crée de frustrations qui engendrent à leur tour une nouvelle demande, qui entraîne plus d’intervention de l’État et ainsi de suite.

D’une façon générale, vous semblez partir du principe que tout vient d’en haut et vous oubliez la demande sociale qui est à la fois une demande de protection, d’ouverture et de flexibilité. Les gouvernés aussi font du « en même temps ». La doctrine macrono-simonienne n’est-elle pas la plus adaptée à l’individu roi qui veut que ses droits lui soient garantis tout en ayant accès à ce qui se passe à l’autre bout de la planète ?

En effet, si Emmanuel Macron a gagné la présidentielle, ce n’est pas juste parce qu’il était là à ce moment-là, que Hollande avait fait preuve de son incapacité et que Fillon avait les mains sales. Macron correspond tout à fait à notre époque. Le nouveau monde dont il parle, c’est celui qu’on a devant les yeux. Je serais étonné qu’il ne soit pas réélu en 2022, car il est dans le sens de l’Histoire, comme les disciples de Saint-Simon l’étaient au moment de la révolution industrielle. Dans le sens du vent. Mais je doute que ce vent soit toujours bon pour notre pays.

En tout cas, les peuples ne veulent plus de modernisation à marche forcée. Peut-on dire que le saint-simonisme, que vous créditez aussi de plusieurs réalisations, a accompli sa mission historique ?

C’est une question de marxiste ! Effectivement, si l’Europe de Jean Monnet ne me fait pas vibrer, le saint-simonisme a sans doute fait des choses utiles. Pour autant, je ne pense pas qu’il y ait une « mission historique » du saint-simonisme. Ni d’aucune doctrine d’ailleurs !

Claude-Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon (1760-1825). © Bridgeman Images/Leemage
Claude-Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon (1760-1825). © Bridgeman Images/Leemage

Justement, Emmanuel Macron n’est-il pas plus complexe que ce que vous pensez ? Avant même le tournant de ces derniers mois, il avait une certaine prétention à la verticalité, là où le saint-simonisme consacre le triomphe de l’horizontalité. Bref, on ne peut pas le réduire à l’utilitarisme.

Il l’a montré en choisissant le Louvre pour son premier discours de président. C’était étonnant, et assez séduisant. Il y a chez lui une forme de verticalité, un sens de la culture, même s’il explique « en même temps » que la culture française n’existe pas, un sens du spirituel, même si dans son livre Révolution (2016), il oublie complètement les interrogations religieuses de sa propre jeunesse. Sa seule incursion dans ce domaine consiste à expliquer que les religions sont des obscurantismes allant à l’encontre des Lumières : référence d’ailleurs omniprésente dans son discours, et qui le replace dans une généalogie plus longue.

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Macron n’a-t-il pas été rattrapé par le réel, c’est-à-dire par l’anthropologie ? Aujourd’hui, il semble comprendre qu’il y a bien une nation et un peuple français, il parle des frontières, il fait son aggiornamento sur l’islamisme. J’ai beaucoup de mal à croire qu’il n’y ait que de la communication, du paraître, dans ce nouveau cours.

Je ne sais pas quelle est la sincérité de son propos, qui a connu sur ce point nombre de sinuosités. À certains moments, il semble habité par l’histoire de France, à d’autres, plus fréquents, il paraît dominé par sa vision européiste, ou bien il évoque la souveraineté de la France tout en croyant d’abord en celle de l’Europe, donnant l’impression de faire des variations autour d’un thème fixe, comme quelqu’un qui ferait des circonvolutions en trottinette sans sortir de la piste cyclable.

Avec le coronavirus et le « séparatisme » islamiste, Emmanuel Macron met en veilleuse certaines de ses convictions

Peut-être, mais l’homme nouveau n’est pas apparu par miracle, il y a toujours des gens attachés à des territoires, des langues et des histoires particulières. Que cela lui plaise ou pas, Macron est capable de le comprendre et d’en tirer les conséquences.

Je ne pense pas que quelques attentats, aussi atroces soient-ils, suffisent à faire basculer aussi radicalement un homme doté depuis si longtemps de cette colonne vertébrale idéologique qu’est le saint-simonisme. Charles Perrault, l’un des premiers grands progressistes de la fin du xviie siècle, compare l’Histoire à un fleuve qui traverse parfois des grottes souterraines pour ressortir plus loin, encore plus puissant. Je ne crois pas que le Macron nouveau, qui parle avec émotion de la France, de son histoire, de sa culture, soit le Macron définitif, ni même le véritable. Avec le coronavirus et le « séparatisme » islamiste, il met en veilleuse certaines de ses convictions – mais dès que les choses iront mieux, on retrouvera le progressiste qui constitue le « Macron profond ».

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