Accueil Site Page 1111

Biden: le retour de l’ancien monde sera temporaire

0

Le populisme est là pour durer. L’analyse de Jean Messiha.


Le 20 janvier, à l’issue d’un grand show diversitaire qui, reconnaissons-le, correspond à l’ADN américain, Joe Biden a été investi 46ème président d’une nation dont même le plus souverainiste des souverainistes doit bien admettre qu’elle nous concerne et nous influence tous peu ou prou.

On pense ce que l’on veut de ce personnage à l’évidence usé par la vie. Une majorité d’Américains l’a porté au pouvoir malgré des accusations de fraudes « massives » massivement exploitées mais jamais suffisamment étayées pour paraitre crédibles.

Que nous réserve cette « nouvelle ère », pompeusement annoncée par les Démocrates et toute la caste médiacratique qui se réjouit ouvertement de la défaite de Trump ?

Il y a tout d’abord les conséquences politiques de la séquence calamiteuse qui a suivie le 4 novembre, culminant avec l’invasion du Capitole par des extrémistes.  Elle n’a pas constitué un bon point pour le mouvement dit « populiste » incarné par Trump, car ses adversaires ont eu beau jeu de le faire apparaitre comme mauvais joueur, complotiste et même violent.    

Des partisans radicaux de Donald Trump, entrés dans le Capitole, s'adressent aux policiers le 6 janvier 2021 à Washington © Manuel Balce Ceneta/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22528058_000027
Des partisans radicaux de Donald Trump, entrés dans le Capitole, s’adressent aux policiers le 6 janvier 2021 à Washington © Manuel Balce Ceneta/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22528058_000027

Donald Trump a réussi à porter au pouvoir ce populisme américain en l’incarnant fortement. Il a tenu nombre de ses promesses. Mais la crise du Covid qui fut mal gérée tant au niveau de Washington que des Etats a laminé son bilan. C’est injuste. Mais la vie politique l’est souvent. Il lui revenait de dire : « on a perdu cette fois-ci mais le combat continue car ce que nous avons créé ne s’arrêtera pas ». Ce faisant, il aurait solidement installé le « populisme de gouvernement » dans la vie politique américaine, fort des 74 millions de citoyens qui ont voté pour lui (soit environ 46% du total). Le couple Ivanka Trump / Jared Kushner aurait été idéalement placé pour reprendre le flambeau. Ombrageux et têtu, Trump a préféré la « terre brûlée ». Funeste décision.

A lire aussi: Les conservateurs du monde entier orphelins

La présidence Biden s’ouvre avec des initiatives importantes sur le plan sociétal, migratoire et économique. 

La question raciale revient en force dans un pays profondément fracturé sur la question identitaire. Une grande partie du peuple blanc, chrétienne et conservatrice, se raidit de plus en plus face à sa lente dilution dans une identité américaine en profonde mutation. Le biais ouvertement pro-minorités (ethniques et sexuelles) ainsi que pro-migrants de la nouvelle administration ne va pas l’apaiser. Biden pouvait-il faire autrement ? Probablement pas, tant minorités et migrants ont pris une place considérable dans base du parti démocrate et dans cet électorat américain qui change avec une immigration importante mais également avec des minorités qui participent de plus en plus activement au vote.

Biden a toutefois un atout dans son jeu pour « rassembler les Américains », au moins sur un point : l’économie.  Le gigantesque plan de soutien de 1.900 milliards de dollars (1.600 milliards d’euros), qu’il va proposer au Congrès et qui a de bonnes chances d’être approuvé au moins en partie, ne va pas profiter qu’aux minorités loin de là. La très majoritairement blanche classe moyenne durement touchée par la crise va en bénéficier également et, de fait, le monde entier car nous savons tous à quel point la consommation des Etats-Unis pèse encore lourd dans l’économie globale.

Sa politique étrangère ne va pas marquer la rupture que beaucoup attendent si ce n’est dans le style. Trump était un boxeur, Biden un papy affable.

Pas de changement de cap vis-à-vis de la Chine qui est devenue le rival global, tant sur le plan économique que géopolitique. 

Plus d’affect avec les alliés européens et en particulier l’UE ouvertement méprisée par Trump mais sans inflexion majeure. L’opinion américaine considère que l’Europe doit davantage contribuer à sa propre défense au lieu de s’abriter à moindre coût sous le parapluie militaire américain. Sur le plan commercial la partie sera serrée. Les sanctions imposées par la précédente administration n’étaient pas purement vexatoires ou nationalistes. Elles correspondaient à de vrais contentieux. Le retour du protectionnisme américain, fortement amplifié et médiatisé par Trump, ne sera nullement démenti par les Démocrates qui comptent aussi sur le vote des « cols bleus » laminés par la désindustrialisation.    

Pas de dégel particulier avec la Russie avec qui Trump n’a pas bâti de relations privilégiées, tant s’en faut. 

A lire ensuite: Le legs de Donald Trump au Moyen-Orient: les accords d’Abraham

Au Moyen-Orient, rien de révolutionnaire à attendre. Israël restera un allié stratégique et bénéficiera d’un soutien inconditionnel, même si la colonisation de la Cisjordanie attirera des critiques plus franches.     

C’est avec l’Iran que des changements sont attendus. Toutefois, sortis de l’accord de Paris après le retrait unilatéral de Trump et n’ayant eu aucun soutien effectif des Européens, les Iraniens ne sont pas disposés à revenir au statu quo ante. Ils ont appris à vivre sous un régime de sanctions terribles et ont gagné en autonomie nucléaire avec une forte croissance de leur activité d’enrichissement à vocation potentiellement militaire. Pas facile de faire rentrer le dentifrice une fois sorti du tube. 

C’est sur la lutte pour le climat que l’on peut objectivement se féliciter du départ de Trump. Son climato-scepticisme était insupportable. La préservation de l’« american way of life » au prix d’émissions de gaz à effets de serre parmi les plus élevés au monde par tête d’habitant (14,5 tonnes par an contre 4,5 en France) constituait un véritable vandalisme écologique. Les Etats-Unis reviennent dans l’accord de Paris et c’est tant mieux pour nous tous.         

En ce qui concerne le camp de la France – que je préfère parfois au terme de camp national – que change au fond le départ de Trump et l’arrivée de Biden ? 

Franchement pas grand-chose.

Plus de pression « progressiste » dans nos médias par décalquage idéologique ? 

Cela fait des années que nous subissons un assaut idéologique qui peut se résumer ainsi : plus de Bruxelles, plus de Maghreb et d’Afrique, plus de métissage, plus d’islam, plus de LGBT, de transgenrisme et d’intersectionnalité. Qu’est-ce que ce pauvre Biden peut ajouter à ce menu déjà bien fourni ?           

La chute d’un « modèle » ? Trump n’en a jamais été un pour nous, ou en tout cas pas complètement, tant nous divergeons sur le rôle de l’Etat dans la société. 

Nous le voulons stratège, aménageur, protecteur, redistributeur et social. Les « Trumpistes » sont dans une tradition ultra-libérale en matière fiscale et sociale.

Nous avons en revanche des points communs importants : la protection des frontières tant sur le plan économique que migratoire, le refus de laisser l’islam progresser dans nos pays ainsi que la défense de notre identité. 

A lire aussi: Cancel cul… quoi?

Sur ce dernier point toutefois, nous devons acter d’une différence fondamentale entre l’Amérique du Nord et l’Europe. La première s’est construite sur une vigoureuse et brutale colonisation de peuplement qui a annihilé les peuples amérindiens « de souche ». Sa composante noire n’est pas majoritairement immigrée mais déportée et, peu le savent, il y avait déjà une population hispanique depuis le 18ème siècle dans les territoires qui devinrent le Texas, le Nouveau Mexique, l’Arizona et la Californie.  

A part les malheureux Indiens, personne ne peut dire « cette terre est à moi depuis toujours ». Il en est bien différemment de l’Europe. Les Européens sont les peuples indigènes du continent du même nom.  A la différence des autochtones de l’autre-coté de l’Atlantique qui n’eurent pas les moyens de s’opposer à une invasion-submersion migratoire qui les balaya, le peuple d’ici a encore la possibilité de se défendre – mais plus pour très longtemps – aux côtés de ceux qui sont « devenus d’ici » par assimilation et patriotisme. 

A Phoenix (Arizona), des militants s'opposent à la venue de Trump le 23 juin 2020 © USA Today Network/Sipa USA/SIPA Numéro de reportage: SIPAUSA30224690_000014
A Phoenix (Arizona), des militants s’opposent à la venue de Trump le 23 juin 2020 © USA Today Network/Sipa USA/SIPA Numéro de reportage: SIPAUSA30224690_000014

Notre peuple n’a besoin de personne pour redessiner son avenir si compromis par tous les Quisling qui l’ont dirigé depuis des décennies. C’est en nous-mêmes que nous trouverons les idéaux, les solutions et surtout la force morale pour rebondir.

Trump a perdu la bataille politique de la présidentielle américaine de 2020. Mais ses idées lui survivront car elles correspondent aux aspirations d’un grand nombre d’Américains y compris au sein des minorités. Trump ne s’est pas hissé au niveau de l’opportunité historique que 2016 lui avait apporté.  Mais l’avenir appartient au grand mouvement de reconquête identitaire et économique qui anime les peuples européens ou d’origine européenne qui en ont marre d’être accablés, broyés et stigmatisés par l’idéologie diversitaire et mondialiste.

Régis Debray, le réel et son trouble


Sans nostalgie ni regrets, quoique avec une pointe de mélancolie, Régis Debray pose un regard indulgent sur son passé et le nôtre. L’ancien révolutionnaire qui voulait changer le monde avec des idées sait désormais que les peuples ne vivent pas d’abstractions. Observant la fin de la civilisation de l’écrit, il dissèque avec lucidité et gourmandise cette époque qui n’est pas tout à fait la sienne.


Au risque de fâcher notre philosophe, je me demande si la lecture de l’œuvre de Régis Debray n’est pas l’une des plus exaltantes écoles de conservatisme politique qui soient – pas de retour en arrière, mais de politique soucieuse de préserver ce qui mérite de l’être. Régis Debray parle si bien du monde d’hier, des possibilités humaines qui s’y jouaient, des aspirations fondamentales qui s’y exprimaient et auxquelles, bon an mal, les temps savaient répondre, il éclaire si vivement le monde dans lequel nous vivons et la nouvelle figure d’humanité qui s’y dessine, aplanie sur le présent, rétrécie aux dimensions de son moi, pauvre en imaginaire, que l’on referme tous ses livres avec le désir véhément de sauver ce qui peut encore l’être afin que le monde de demain soit encore un peu le monde d’hier.

Que l’on ne se méprenne pas. Nulle inclination à la désolation ou à l’indignation chez Debray. Non plus à la nostalgie. Pas davantage d’ailleurs, à l’euphorie. Debray se tient à égale distance, pour prendre les deux pointes extrêmes d’un même compas, de Michel Serres et d’Alain Finkielkraut. Du premier, il partage les curiosités et les intérêts, le goût de la technique et des nouvelles technologies ; du second, les fidélités et les tendresses (Israël excepté), l’attachement aux Humanités, à la langue, aux institutions. Il n’a toutefois pas les béatitudes du premier ni les inquiétudes et les colères du second. Enfin, là où l’un voit exclusivement des gains et l’autre d’abord des pertes, Régis Debray, lui, s’efforce de ne pas penser en ces termes, moralement connotés.

DEBRAY-Regis-causeurLe monde de Debray n’est pas pour autant un monde sans perte, sans larmes, sans deuil. Homme venu d’une autre rive temporelle, formé selon les modalités de vie et de pensée du vieux monde qu’il aime, Debray ne connaît pas la hantise du progressiste de paraître en retard sur son temps et singulièrement sur la jeunesse. Il est également épargné par cette autre maladie congénitale de la gauche, diagnostiquée par Jean-Claude Michéa, le complexe d’Orphée : il ne craint pas de regarder en arrière, au contraire, pour lui le flambeau du passé peut encore nous éclairer et nous guider, et il recommande vivement aux jeunes gens qui veulent entrer dans la carrière un détour par Thucydide, le cardinal de Retz ou Rousseau. « Un homme a des vues sur le futur dans la mesure où il en a sur le passé. »

Si Debray a fait vœu de suspension du jugement, ce n’est pas dérobade de sa part, mais conviction qu’il sera plus utile à ses semblables en s’enquérant de la nouveauté du temps présent qu’en soupirant après le monde d’hier ou en célébrant celui qui vient. Un monde se termine ; un autre advient, qu’il nous faut habiter et aménager, aussi mieux vaut apprendre à le connaître dans ses possibilités propres. « Le vent se lève !… il faut tenter de vivre », disait Paul Valéry. Ce vers, qui scandait la belle série estivale que Debray consacra au poète et penseur en 2018, pourrait servir d’épigraphe à l’ensemble de son œuvre.

Il n’en a pas toujours été ainsi. Longtemps, il l’avoue, il a caressé le rêve de contribuer à « changer le monde » – c’est encore ce qui l’entraîne aux côtés de François Mitterrand en 1981. Mais la vie, ses tribulations en Amérique latine, ses engagements en France, plus encore peut-être sa fréquentation du pouvoir, l’ont instruit. Il a décidé de remiser au placard les atours de l’intellectuel. Vanité de l’homme de lettres, comprend-il, que de prétendre exercer quelque influence sur les esprits et le cours des choses. Non que les idées soient fatalement impuissantes, mais encore leur faut-il rencontrer la courroie de transmission qui les fera descendre dans la caverne des hommes et les rendra agissantes. Or, à chaque époque, son médium. Et c’en est fini de l’écrit, révolu l’âge des Voltaire et des Zola. La graphosphère a fait son temps, voici venu celui de la vidéosphère : seules pourront désormais ambitionner quelque efficacité les idées qui emprunteront le canal de l’image, de l’audiovisuel et à présent des réseaux sociaux. Et c’est là tout l’objet de la médiologie, cette discipline que Debray fonde à la fin des années 1980 et qu’il dote d’un bouillonnant laboratoire d’investigation, Les Cahiers de médiologie, superbe publication réunissant des chercheurs de tous horizons.

Car c’est cela Debray, un esprit toujours inventif, toujours aux aguets. La passion de comprendre chevillée au corps, de harponner le nouveau, l’inédit. Rien n’est plus étranger à notre philosophe, et rien sans doute ne l’ennuierait davantage, que ce défaut, ce vice même du penseur professionnel, que la reconduction de l’inconnu au connu. Une écriture douée d’une énergie époustouflante, servie par un génie des télescopages, des « courts-circuits », des étincelles fulgurantes. Une pensée incarnée, ce qui est l’une de ses grandes saveurs. L’humaine nature ? « Le pot de confiture et le martyr » ; les jeunes filles de Proust défilant sur la digue de Balbec ? À peine les a-t-il aperçues qu’il peut tirer un trait « de la bicyclette au MLF ». Parole de médiologue : pas de libération de la femme sans l’avènement d’un nouvel outillage. Debray est un de nos derniers esprits encyclopédiques. Rien de ce qui est réel ne le laisse indifférent. Sa curiosité ne connaît pas de limite, pas de frontière. Il crochète et furète partout, « le bon médiologue est un chien, se flatte-t-il, il met son orgueil à regarder par terre, à renifler dans les coins ». En tout lieu, il se risque. Jusqu’à Dieu. On se souvient du coup d’éclat que fut en 2001 la publication de Dieu, un itinéraire : un homme de gauche qui prenait au sérieux la religion, qui ne la renvoyait pas dans les ténèbres de l’obscurantisme. Au contraire, il lui rendait sa légitimité en faisant apparaître ses fondements anthropologiques.

Enfin, en bon philosophe, Debray sait l’art d’enrichir le vocabulaire de notre intelligence et de notre perception de catégories nouvelles, d’élaborer des distinctions qui sont autant de navettes pour démêler les fils enchevêtrés de la réalité. Mentionnons la si féconde polarité République/démocratie, où l’altière République vient redresser l’horizontale et égalitaire démocratie ou encore le couple transmettre/communiquer. Profondeur, épaisseur des temps, maturation et continuité des peuples et des civilisations versus surface et superficie du seul présent et du seul moi.

Si Debray n’est pas, ou plus, un penseur engagé, il reste un penseur éminemment embarqué. Ce monde ne le laisse pas en repos. Doublement. Ce qui l’intéresse d’abord, ce sont les tremblements du temps, les transformations, les mutations qui affectent les sociétés et les hommes. D’un siècle l’autre (Gallimard), tel est le titre de l’ouvrage qu’il fait paraître aujourd’hui. Au prisme de sa propre traversée du temps, du xxe au xxie siècle, Debray offre une synthèse de ses expériences et de ses conquêtes. Debray parle en première personne, mais ce livre n’est pas une autobiographie – celle-ci existe déjà, magnifique trilogie composée de Masques, Par amour de l’art et Loués soient nos seigneurs : son objet c’est nous, hommes du xxie siècle, et singulièrement nous, Français. Parlant de moi, je parle de vous, « nul de nous n’a l’honneur d’avoir une vie qui soit à lui […], la destinée est une », dit-il en substance à la suite de Victor Hugo.

Mais si, chez le Janus qu’est le penseur Debray, l’une des faces regarde vers les transformations, l’autre est tournée, l’œil non moins aigu, du côté des retours et des invariants, des constantes de la nature humaine. Retour de la religion, retour de la nation et des frontières, retour du lieu, du terroir, bref de la géographie. Or, et c’est là l’immense apport de Debray à la réflexion contemporaine, il ne se contente pas d’identifier ces revivals, il leur donne leur fondement anthropologique. Là où certains ne perçoivent, dans ces retours, que régression, et au mieux crispation et frilosité, Debray, lui, au contraire, entend résonner comme un rappel des aspirations humaines fondamentales, rappel d’autant plus ardent que les avancées techniques les nient.

DEBRAY-RegisTrois « mystères », ainsi qu’il les appelle, charpentent son ouvrage, aussi solidement qu’ils constituent nos épreuves et nos défis. Mystère du politique : comment faire du commun avec de la diversité. Réponse de Debray : on ne cimente pas un peuple et on ne le mobilise pas avec des abstractions, avec les valeurs de la République ou la laïcité, mais avec des réalités concrètes, charnelles, et Debray rend salutairement toute sa légitimité à la « fonction fabulatrice », aux récits et même, hardiment, aux légendes qui, établit-il, ne sont pas sans vertu politique. « Pour quitter mitaines et charentaises, il faut se raconter des histoires. » Que de temps eussions-nous gagné, il est encore temps, si nos politiques avaient daigné tendre l’oreille à ce qu’il martèle depuis des années ! Mystère des civilisations et de leur continuité. Réponse de Debray : la transmission, fil qui relie les vivants aux morts et à ceux qui naîtront après eux et assure un avenir au passé. Mystère, enfin, de la religion et du besoin fondamental des hommes de prendre part à des réalités plus vastes qu’eux-mêmes. L’homme de Debray est cette créature qui se tient debout précisément parce qu’elle est comme aimantée par quelque chose qui la dépasse : Dieu ou la patrie, jusqu’à présent. La nature remplira-t-elle cet office ? Telle est de nous aujourd’hui la question. Debray se montre fort réservé sur la « puissance de convocation » de la déesse Gaïa.

De ma première rencontre avec Régis Debray, il me reste une image, celle de l’amateur d’art. Il venait d’acquérir une toile du peintre Leonardo Cremonini, et il avait l’enthousiasme de l’admiration. Si j’évoque ce souvenir, c’est que ses écrits sur l’art me semblent la part la plus méconnue de son œuvre. Et pourtant, c’est loin d’être la moins roborative. Il faut lire par exemple sa « Lettre à Claude Simon sur le roman moderne », une réplique parfaite et pour ainsi dire définitive au formalisme littéraire, un hymne à la littérature comme instrument de perception, « viatique et guide pour ne pas se perdre en forêt » ; ses écrits sur la photographie, ce ne sont parfois que quelques lignes, ainsi sur Cartier-Bresson, le texte qu’il consacre au Tintoret, génie de l’image en mouvement, précurseur du cinéma.

« Promis, on fera mieux la prochaine fois », c’est sur ces mots, empreints d’une pudeur mélancolique et qu’on ne lit pas sans un serrement de cœur, que Régis Debray referme D’un siècle l’autre. La barre est placée haut !

Régis Debray, D’un siècle l’autre, Gallimard, 2020.

Les Petits Meurtres se téléportent dans les 70’s

0

La saison 3 de la série star de France 2 inspirée d’Agatha Christie démarre ce soir à 21h05 dans une ambiance disco-MLF


Il y a des franchises télé que l’on a plaisir à voir. Des rendez-vous qui soudent les générations et colorent les tristes vendredis soir de couvre-feu. Ce soir, à 21 h 05, pour la seule et unique fois de la semaine, vous ne verrez ni Castex, ni Véran dans le petit écran. Oubliez les recommandations du conseil scientifique et les débats sur la chloroquine, le temps d’un téléfilm familial.

L’adieu aux sixties…

On s’était habitué depuis 27 épisodes à l’élégance sixties du commissaire Laurence (Samuel Labarthe) et de son beau cabriolet Facelia sur les routes du Nord de la France. Sa suffisance narquoise s’accordait si bien à l’impétuosité touchante de la journaliste Alice Avril (Blandine Bellavoir) et au tendre romantisme de sa fidèle secrétaire, la fausse ingénue Marlène (Elodie Frenck). Ces trois-là maîtrisaient l’art du contre-pied et de la comédie policière légère comme un Walther-PPK. Ils avaient succédé à un autre duo composé du commissaire Larosière (Antoine Duléry) et de l’inspecteur Lampion (Marius Colucci), en service régulier sur la chaîne publique, entre 2009 et 2012. Après les années 30 et les années 60, « Les Petits Meurtres d’Agatha Christie » débarquent dans les 70’s sous la plume de Flore Kosinetz et de Hélène Lombard. Attention aux yeux, comme dirait Marielle, ça mitraille sec!

A lire aussi: Marielle, Broca, Belmondo: le beau recueil nostalgique de Thomas Morales

Le code couleur a changé! Les lugubres demeures de la saison 1 ou les tenues apprêtées de Miss Marlène en saison 2, c’est du passé. Fini aussi les robes vichy et les coiffures choucroutées, les Lambretta et les yéyés, place aux mini-jupes et aux looks psychédéliques. Un vent de « Peace and Love » va souffler dans les rues de Lille, Tourcoing, Douai et Lens, lieux des tournages. Nous sommes toujours en terre ch’ti mais en 1972.

… et l’arrivée dans les seventies

La recette est toujours la même: le décalage et l’étude des caractères sur fond d’émancipation féminine, avec toujours un soin particulier accordé au décor. Pour que la téléportation fonctionne, chaque détail vestimentaire compte, chaque objet ne doit pas faire toc. Les amateurs de fringues Vintage seront aux anges. Il y a du losange, des chemisiers à imprimé Vasarely, du similicuir, du sabot, de la cuissarde et de la pelle à tarte. Que les accros des bagnoles non-électriques se rassurent, les créateurs de cette troisième saison ont peaufiné leur paysage automobile. De la SM, de la Simca 1000, de la 911 vert pomme et du taxi Pigeot 504 nous ramènent aux Trente Glorieuses sans culpabilité. La fumette et l’autoradio à bloc traduisent l’atmosphère libérée de l’époque.

© Escazal Films
© Escazal Films

A lire aussi: « 3615 Monique » et « Ovni(s) »: Dis papa, c’était vraiment comme ça la France?

« La nuit qui ne finit pas » premier épisode diffusé ce soir et réalisé par Nicolas Picard-Dreyfuss voit l’arrivée de la commissaire Annie Gréco (Émilie Gavois-Kahn), une expérience « sociétale » initiée par le Ministère de l’Intérieur pour favoriser l’égalité homme-femme. Cette intrusion dans un univers 100% masculin est bien évidemment prétexte à la raillerie et aux scènes grotesques. Cette nouvelle saison a vocation à nous amuser des clichés. Elle y réussit parfaitement grâce à un casting sur-mesure qui s’est moulé dans les années 70. Émilie Gavois-Kahn a pris du galon, elle est seulement major dans « Cassandre », une autre série policière qui passe sur France 3. Cette grande professionnelle, à la justesse impeccable, est à l’aise dans tous les registres, elle excelle aussi bien dans l’émotion que dans la farce. Avec son imper croisé et ses bas « nylon », elle est aimable comme une porte de prison. Les cinéphiles apprécieront l’hommage subtil rendu à Annie Girardot, la commissaire Lise Tanquerelle de « Tendre Poulet ».

© Escazal Films
© Escazal Films

Une mention spéciale

Outre une bande de flics, phallocrates hilarants, Annie Gréco fait équipe avec le lieutenant placardisé Max Beretta (Arthur Dupont), Starsky du 59 conduisant une Renault 15 jaune aussi mémorable que la Ford Gran Torino de ses collègues américains.

A lire aussi, du même auteur: De quoi la Renault 5 est-elle le nom?

Pour compléter cette triplette vraiment très réussie, Rose Bellecour (Chloé Chaudoye), psy à papa, Tara King des maîtres de forges, promène son expertise et ses doutes existentiels avec une force comique qui augure d’une longue carrière. Mention spéciale au commissaire divisionnaire Servan Legoff interprété par Quentin Baillot, il y a du Noël Rocquevert en lui.

Cette semaine, la fièvre du samedi soir a un jour d’avance.

Saison 3 – « Les Petits Meurtres d’Agatha Christie » – France 2 – Vendredi 29 janvier – 21 h 05.

Et si je ne revoyais pas la gauche au pouvoir avant ma mort?

0

Travaillée par ses contradictions, on ne voit pas bien comment la gauche pourrait un jour, même lointain, revenir au pouvoir. Reste à savoir si le pouvoir est encore quelque chose qui a une existence quelconque aujourd’hui. L’édito politique de Jérôme Leroy.


Dans un sondage paru dans l’Opinion, il y a quelques jours, sur le premier tour des présidentielles, les résultats étaient sans appel. Marine Le Pen fait la course en tête, Emmanuel Macron la talonne. Ensuite, dix bons points derrière, on trouve d’éventuels candidats de la droite classique comme Xavier Bertrand et Valérie Pécresse. Quant à la gauche, elle arrive derrière avec un Mélenchon qui tutoie les 11%, un éventuel Jadot autour de 7 ou 8% et la gauche social-démocrate qui annonce une Hidalgo entre 6 et 7% et un Montebourg à 5%. 

A lire aussi: Où va le populisme?

C’est mal parti et pour très longtemps

L’électeur de gauche quinquagénaire que je suis voit ainsi se confirmer une certitude un peu mélancolique : je ne reverrai pas la gauche au pouvoir avant ma mort. On m’objectera que ce n’est qu’un sondage à dix-huit mois de la présidentielle, il illustre quand même une tendance lourde. Bien sûr, la gauche aura toujours des mairies, des députés et des départements ou des régions. Mais pour la présidentielle, c’est plus que mal parti, et pour très longtemps.

Il y a à cela une première raison conjoncturelle : la Vème république étant un concours de beauté et la gauche ayant toujours tendance à la scissiparité plutôt qu’à l’unité, il devient impossible d’accéder au second tour. Il y a en une seconde, beaucoup plus grave qui est idéologique. La gauche, dans chacune de ses composantes, est prise en étau entre les partisans de l’intersectionnalité et ceux qui la voient comme un simple aménagement du libéralisme qu’elle teinterait vaguement de quelques mesures sociales. Mais pour l’électeur de gauche old school, comme votre serviteur,  un républicain qui souhaite une rupture avec le système et une redéfinition des périmètres du marché avec l’éducation, les transports, la santé, la recherche, l’énergie, le crédit et la transition écologique qui devraient rester l’affaire de l’État, c’est-à-dire l’affaire de tous, eh bien l’horizon est complètement bouché.

A lire aussi: Isabelle Saporta: « Les maires EELV devraient être modestes et travailler »

On me dira Mélenchon ou les écolos ? Mais la France Insoumise est pourtant l’illustration de cette contamination de l’intersectionnalité qui explique d’ailleurs en grande partie pourquoi elle est passée de 19% à la présidentielle de 2017 à 6% aux dernières européennes. Pareil pour les écolos, qui comme le remarquait Hidalgo qui les connaît de près, ont un problème avec l’intangibilité des principes républicains.

Yannick Jadot à Lille, 23 juin 2020 © Denis ALLARD/Leextra via Leemage.
Yannick Jadot à Lille, 23 juin 2020 © Denis ALLARD/Leextra via Leemage.

Le pouvoir, pour quoi faire ?

Il ne faudrait pas pour autant que les droites macronienne, lepéniste ou classique se réjouissent. Marine Le Pen, par exemple, comme son père avant elle, joue le rôle de Goldstein dans 1984, l’ennemie officielle, choisie par Big Brother: elle est là pour faire peur, et au second tour, coaliser contre elle tous les autres. Et puis il n’est pas impossible que ceux qui seront au pouvoir dans  les prochaines années, n’aient plus les moyens de mener la politique qu’ils souhaitent pour une raison bien simple: les catastrophes sanitaires et environnementales ne les laisseront pas appliquer leur programme. 

A lire aussi: Eric Zemmour: ira, n’ira pas?

À ce titre la crise du Covid-19, qui n’est qu’un hors d’œuvre, en est déjà une preuve éclatante. Le quinquennat de Macron, qui devait nous amener à la victoire d’un néo-thatchérisme repeint à la couleur des start-up, est en train de se résumer à une gestion à vue d’une épidémie. Qui aurait imaginé, il y a un an, notre vie d’aujourd’hui ? Personne et surement pas Macron. Et qu’est-ce que ce sera, si réélu, il doit affronter des épisodes climatiques extrêmes comme une canicule de 2003 à la puissance dix ? 

La Zad ou le monastère

La gauche n’aura plus le pouvoir mais il est bien possible que le pouvoir lui-même ne soit de toute manière qu’une notion très relative puisque il sera surtout occupé à gérer les effondrements successifs et mortifères de notre monde. Alors que faire ? Pour ma part, j’hésite à me réfugier dans une ZAD ou mieux, entrer dans un monastère, dominicain de préférence : je pourrais étudier tranquillement, en attendant la fin, ces beaux textes fondateurs du communisme que sont les Actes des Apôtres ou la Cité de Dieu de saint Augustin. Et à méditer sur ce que nous aurons raté alors que ce monde aurait pu être si beau.

Vivonne

Price: 22,00 €

33 used & new available from 3,77 €

Guerre d’Algérie: après le rapport Stora, à quelle «initiative mémorielle» doit-on s’attendre?

0

Nul ne sait encore ce que le président Macron fera du rapport de Benjamin Stora sur la colonisation et la guerre d’Algérie. Mais il est certain que jouer la carte de la repentance ne serait pas sans risques


Le président Macron érigera-t-il une stèle à l’émir Abdelkader qui a combattu les troupes françaises ? Organisera-t-il une journée de repentance pour les « crimes contre l’humanité » commis par la France pendant la colonisation ? Aurons-nous droit à des noms de rues de « résistants » du FLN ?

L’avenir le dira. Une chose parait à peu près sure, une initiative « mémorielle » aura lieu. Emmanuel Macron a indiqué à de multiples reprises qu’il avait l’ambition d’attacher son nom à un évènement historique. Il a esquissé la chose avec Notre Dame (« nous la reconstruirons plus belle ») ; une tentative d’instituer le 14 juillet comme « un grand moment de libération du peuple de France » a aussi été imaginée ; l’idée d’un Mémorial aux victimes du Covid comme il existe un Mémorial de la Shoah par exemple a aussi été étudiée. Mais la piste guerre d’Algérie semble plus assurée. D’autant qu’elle est plus ancienne.

Le lien choquant fait dans l’avion de retour d’Israël

Dès 2017, au cours de sa campagne électorale, Emmanuel Macron a affirmé que la colonisation avait été un « crime contre l’humanité ». En septembre 2018, il a reconnu la responsabilité de la France dans la disparition de Maurice Audin, mort « sous la torture du fait du système institué alors en Algérie par la France ». En janvier 2020, dans l’avion qui le ramenait de Jérusalem, Emmanuel Macron a confié à trois journalistes qu’il existait un défi mémoriel entre l’Algérie et la France et qu’il souhaitait prendre une initiative qui ait « à peu près le même statut que la Shoah pour Chirac en 1995 ». Le parallèle Auschwitz-Algérie laisse clairement entendre qu’un peuple (français) a abusé mortellement d’un autre (le peuple algérien).

Benjamin Stora remet son rapport au président Macron, le 20 janvier 2021, Palais de l'Elysée   © STEPHANE LEMOUTON-POOL/SIPA Numéro de reportage  : 01000815_000010
Benjamin Stora remet son rapport au président Macron, le 20 janvier 2021, Palais de l’Elysée
© STEPHANE LEMOUTON-POOL/SIPA Numéro de reportage : 01000815_000010

Cette initiative mémorielle prendra-t-elle la forme d’une loi qui s’inscrira dans la petite liste des évènements mémoriels qui ont déjà fracturé la société française ? Le 13 juillet 1990, la loi Gayssot a fait du négationnisme de la Shoah un délit. Le 29 janvier 2001 une loi a officialisé la reconnaissance du génocide arménien. Le 21 mai 2001 une loi dite Taubira a fait de l’esclavage un crime contre l’humanité. Et enfin, la loi du 23 février 2005 sur la présence française outre-mer a disposé dans son article 4 que « les programmes (scolaires) reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit ».

Pas d’excuses au programme

Officiellement, Emmanuel Macron ne souhaite ni présenter d’excuses qui seront immanquablement jugées insuffisantes par les Algériens, ni se livrer à un exercice de repentance qui ferait bondir à la droite.

A lire aussi: Zemmourisation des esprits: panique au musée de l’immigration!

Mais comme chaque fois avec Emmanuel Macron, le « ni-ni » n’empêche pas le « en même temps » qui va brouiller la compréhension. Ainsi, le 25 septembre 2021, une commémoration célèbrera le rôle des Harkis, qui ont combattu pour la France en Algérie, mais cette cérémonie sera suivie moins de quatre semaines plus tard par une autre cérémonie à la mémoire des Algériens qui ont trouvé la mort pour avoir manifesté à l’appel du FLN, à Paris le 17 octobre 1961. À un mois de la présidentielle, le 18 mars 2022, Emmanuel Macron commémorera aussi les soixante ans des accords d’Evian qui marquent la fin de la guerre d’Algérie.

Mais le vrai danger de l’initiative mémorielle promise par le président ne tient pas au risque de mécontenter les Algériens, ou les Pieds Noirs, ou les Harkis, ou les anciens combattants… Le danger est d’officialiser une politique de culpabilité qui sera immanquablement génératrice de violences.

L’analyse que l’auteur américain Shelby Steele, Senior Fellow de la Hoover institution – lui-même issu d’un mariage interracial – fait de la condition noire dans White Guilt, un livre paru en 2006, est entièrement transposable à la France. Pour Shelby Steele, la colère des Noirs qui a surgi dans les années 1960 ne doit pas être interprétée comme la conséquence de la ségrégation raciale. Elle est la colère d’entrepreneurs identitaires noirs qui ont entrepris d’exploiter la culpabilité d’une société blanche qui avait entrepris de démanteler sa politique de ségrégation raciale.

Ne pas se mettre en position de faiblesse

Pour Shelby Steele, la violence a envahi les rues quand les Noirs ont pris conscience que l’oppresseur blanc était soudain en position de faiblesse. En affichant sa culpabilité et son besoin de réparer le mal qu’elle avait causé, la société américaine a prêté le flanc à des demandes incessantes de réparations. Aujourd’hui, des milices comme Black Lives Matter ne prospèrent pas en raison de la violence raciste qui sévit aux États-Unis, mais parce que la culpabilité blanche leur a donné un pouvoir de stigmatisation.

A lire aussi: Rapport Stora : la repentance à sens unique?

Que des minorités identitaires inventent le racisme là où il n’est pas, et exploitent la culpabilité des occidentaux n’est pas une spécificité américaine. Les Palestiniens exploitent la culpabilité des anciennes puissances coloniales européennes ; en Europe, les islamistes se posent en victimes de l’islamophobie européenne, et les Algériens libres de toute colonisation depuis soixante ans font porter à l’ancienne métropole les causes de leurs échecs économiques et politiques.

Plus l’occident est tolérant, plus on l’accuse d’être intolérant…

En d’autres termes, c’est au moment où les sociétés occidentales, par leur histoire (les États Unis) ou par choix (la France), tentent de s’assumer comme des sociétés multiculturelles, égalitaires, soucieuses de réparer un passé raciste ou colonialiste qu’elles sont le plus férocement accusées de racisme et de discrimination.

C’est pourquoi il est à craindre qu’un geste de contrition nationale spectaculaire sur la guerre d’Algérie, un geste qui sera répété chaque année, loin de pacifier la situation ne conduise à plus de ressentiment, plus de haine, plus de violence encore. La seule initiative mémorielle qui mériterait d’être tentée serait celle qui dirait aux Algériens et aux franco-algériens, qu’avez-vous fait de la décolonisation ? Qui êtes-vous sans la violence de la colonisation ? Existez-vous en dehors de ce statut de victime dans lequel vous vous complaisez ?

Vivement la prochaine princesse Disney obèse, trans et handicapée!

0

On ne plaisante presque pas… Partisane du mouvement body positive, l’Australienne Ashleigh Beevers redessine Blanche-Neige, Ariel, Belle et les autres avec des courbes généreuses. Oubliez les princesses filiformes qui ont bercé votre enfance!


Le procès contre les dessins animés Disney continue. Après avoir ostracisé Les Aristochats, la Belle et le Clochard, Dumbo ou Peter Pan, c’est au tour des personnages féminins de passer sous les fourches caudines de la révolution culturelle du progressisme révisionniste.

En cause, non pas cette fois les stéréotypes racistes – quoi que tout de même, à commencer par son nom, Blanche-Neige a tout pour déplaire à tous les fanatiques de cet antiracisme obnubilé par la race – mais les silhouettes des princesses Disney. Trop belles, elles pourraient être nocives à l’imaginaire des enfants.

Ariel:

Ashleigh Beevers, artiste au service du “body positivism”

Oui, Blanche-Neige et ses copines ont des tailles de guêpe ! Logique, à l’époque où elles ont été créées, c’était plutôt la norme. L’obésité dans les années 40 n’était pas un fléau qui courait les rues. O tempora o mores ! Aujourd’hui, ces héroïnes sont accusées de véhiculer une image du corps féminin trop discriminante. Alors, la sanction tombe. Et celle qui s’en charge c’est Ashleigh Beevers, une dessinatrice australienne qui a mis son art au service de ses convictions idéologiques. Cette dernière fait partie d’un mouvement militant, le « body positivism », courant qui proteste contre les stigmatisations liées aux représentations trop normées des corps féminins éternellement jeunes et minces dans la fiction ou la publicité, et affirme le droit d’être fier d’exhiber une morphologie opposée. L’activiste milite pour une chair tombante, ridée, gonflée de cellulite et fière de ses vergetures. C’est bien connu, ça fait rêver tout le monde !

Blanche-Neige: 

Belle:


Avec un pinceau en guise de bistouri, Ashleigh Beevers épaissit les traits des fées, des princesses ou des sorcières qui peuplent les dessins animés Disney. Il n’y a pas si longtemps, c’est Barbie qui avait subi le même sort, prenant quelques kilos pour ne plus traumatiser les fillettes.

Tout le monde y passe, aussi bien l’innocente Blanche-Neige que la guerrière Mulan, l’intrépide petite sirène Ariel que l’horrible Ursula, les saintes héroïnes comme les ennemies maléfiques. Toutes doivent monter sur l’échafaud du comité de salut anti-discriminant et antisexiste ! Et à défaut de leur couper la tête, on modifie leurs silhouettes trop gracieuses et filiformes, pour les faire rentrer dans les nouveaux canons de beauté imposés par le minoritairement correct et que l’on peut résumer en cette sentence : Sois laide et grosse, on te toléra mieux. 

Un résultat contre-productif

Le « body positivism » a beau prôner la diversité des morphologies, la militante Ashleigh Beevers applique immanquablement le même coup de scalpel grossissant à toutes les héroïnes, sans distinction, les classiques comme les nouvelles venues, les gentilles comme les méchantes, toutes y passent. Pas de chichi. 

Bilan de ce relooking disgracieux : nos héroïnes d’hier prennent quelques kilos, et elles affichent aussi paradoxalement des moues un peu sexy et des corps hypersexualisés à la chair débordante, tatouée et dénudée. Nos princesses se transforment en catins au bois bandant ! Mais n’allez surtout pas y voir de la vulgarité plutôt que de la beauté.

Eric Zemmour: ira, n’ira pas?

0

Interrogé sur Paris Première à ce sujet, l’intéressé n’a pas dit non


L’idée lancine et turlupine. Eric Zemmour candidat à la présidentielle. Oui ? Non ? Sur le plateau de Paris Première, l’insubmersible Alain Duhamel, invité du jour, lui pose une fois de plus la question  : « Y’a des gens qui souhaiteraient ça, alors quant à lui, il va peut-être nous dire s’il le souhaite ou pas… » La réponse n’écarte pas la possibilité. Comme un aveu, mais pas tout à fait : « C’est pas ici et aujourd’hui que je vais le dire. » 

A lire aussi: Nicolas Dupont-Aignan assure qu’il n’est pas isolé

Il déroule son programme chaque jour à la télé

Aucun doute, il y pense. Le matin en se rasant, le midi en comptant les cheveux qui lui restent, le soir dans « Face à l’info » lorsqu’il présente son programme. Que sont des propositions concrètes sur l’immigration, l’Europe, l’emploi, l’Islam, la politique extérieure qu’il énonce chaque jour, sinon un programme ? 

A lire aussi: Qui sont ceux qui dénoncent la “radicalisation” zemmourienne de la chaîne CNews?

Stratégie judicieuse dans le cas d’une candidature. En guise de programme-papier, un livre. Disons début 2022. Énorme succès de librairie. Une manière inédite et même révolutionnaire de prétendre à la fonction suprême. Donald Trump avait gagné grâce à Twitter, Zemmour peut l’emporter par le biais du média télé-internet, conjugué à un puissant ouvrage dans lequel il développerait sa vision pour la France. Après le « ni droite ni gauche » de Macron, le hors-sentiers battus, hors-parti, hors-politique politicienne d’un penseur indépendant. Le pied-de-nez monumental à l’ensemble de la classe politique. Un bras d’honneur adressé au jeu des alliances d’arrière-boutique, d’appartenance à tel ou tel clan. Perçu comme neuf par l’électorat. Providentiel. Ni ex-ministre, ni futur calculateur, Zemmour est encore moins issu d’on ne sait quel sérail. Et pour l’estocade finale à ceux qui doutaient encore: Emmanuel Macron pourrait être désintégré lors du débat du deuxième tour [Un article récent de Valeurs actuelles prétend démontrer qu’Eric Zemmour gagne tous ses débats NDLR].

Marine Le Pen en travers de sa route

À ce scénario idyllique s’oppose le nom fatal que tout un chacun a sur le bout de la langue : Marine Le Pen. MLP, trois lettres qui viennent obstruer la route menant vers une possible victoire du héros de « Face à l’info »… Un débat d’entre deux tours face à une chaise vide, la chaise l’emporte. Jolis barreaux, très beau dossier. Alain Duhamel exulte en direct de Conforama. Le meuble nous a sauvé du nazisme. Marine Le Pen, perdante (à coup sûr ?). Peut-être, mais elle est tenace.

A lire aussi: Le numéro de Zemmour sur Cnews est-il parti pour s’user ou durer?

Anaïs Bouton, animatrice de l’émission Zemmour & Naulleau, relance Eric Zemmou sur Paris Première : « Ah vous ne dites pas non alors ? » Non, il ne dira pas non. Oui non plus. Peut-être ne le sait-il pas lui-même. Les Philippot, Onfray, Dupont-Aignan, Ménard, Poisson et consort suivront. Reste le caillou dans la chaussure : le partisan du Rassemblement National partagé entre la chèvre et le chou. Irréductible ou convertible à un autre scénario ? Évaluer cette donnée mystérieuse est la clé de l’énigme. De cette réflexion et ses conclusions pourraient bien dépendre la décision du gaillard.

Destin français

Price: 2,26 €

37 used & new available from

Multiculturalisme britannique: tea for too many


Vus de France, les Britanniques paraissent incarner le multiculturalisme assumé, pour le meilleur et pour le pire. Outre-Manche, cette doctrine, qui n’a jamais joui d’un statut officiel, est contestée mais largement pratiquée localement. Cependant, il n’y a pas consensus sur une identité nationale partagée par tous.


« Londres n’est plus vraiment une ville anglaise. » Ce propos hautement coupable n’émane pas de quelque xénophobe militant, mais de l’acteur et scénariste comique John Cleese, ancien membre des Monty Python, qui d’habitude affiche des opinions très libérales. Pourtant, son intervention à la télévision australienne en 2011 a provoqué un esclandre. Pure coïncidence, c’est en 2011 que le dernier recensement officiel, qui permet le recueil de statistiques ethniques, a révélé que seuls 44 % des Londoniens s’identifiaient comme « Blancs britanniques ». En 1971, le chiffre aurait été de 86 %. Certes, l’appartenance ethnique ne détermine pas nécessairement l’appartenance culturelle et Cleese s’est défendu contre les inévitables accusations de racisme en prétendant qu’il parlait en termes culturels, exprimant une nostalgie pour un mode de vie aujourd’hui balayé par la mondialisation. Mais cette défense a été disqualifiée, au nom des bienfaits indiscutables de la diversité en 2011 par le maire conservateur de Londres, Boris Johnson, et en 2019 par une déclaration véhémente de son successeur, le travailliste Sadiq Khan. Le multiculturel est d’emblée supérieur au monoculturel.

À lire aussi, Frédéric Ferney: Un affreux «Bojo»

Le hasard ou la nécessité ?

Le discours de la diversité et de l’inclusion a pris la relève de l’apologie du multiculturalisme qui survit aujourd’hui sous ces synonymes. Le terme, mais non pas l’idée, est tombé en disgrâce outre-Manche suite aux critiques acharnées dont la doctrine a fait l’objet tout au long des années 2000. Ces condamnations, venant tant de la gauche que de la droite, provoquées par des émeutes dans le nord de l’Angleterre et les attentats terroristes, ont culminé en 2011 quand le Premier ministre conservateur, David Cameron, a déclaré que le multiculturalisme était un échec. Pourtant, le mot « multiculturalisme » est ambigu : une société est-elle multiculturelle quand il y existe une pluralité de cultures en l’absence de toute stratégie publique efficace ? Ou quand la coexistence plus ou moins harmonieuse de différentes communautés a été savamment orchestrée par les autorités ? Dans la mesure où le Londres de notre époque, comme le Royaume-Uni, est multiculturel, est-ce le fruit des circonstances ou d’un calcul politique ? Dans le débat en France, le Royaume-Uni est présenté comme le parangon du multiculturalisme – et la preuve que l’approche de l’État français est mauvaise, pour les uns, bonne, pour les autres. Tous ont tort.

Une société poulet tikka masala

Le multiculturalisme, qui est largement la création de théoriciens universitaires, est tout sauf une doctrine simple. S’il désigne une tolérance générale qui encourage les différentes communautés issues de l’immigration à garder leurs caractéristiques propres – habits, cuisine, musique, festivals religieux, voire langue –, il pose la question de l’équilibre entre le pluralisme culturel et un ensemble de valeurs partagées par tous les citoyens. Les différentes manières d’envisager cet équilibre permettent de distinguer deux grandes tendances. La première, fusionniste, envisage la création d’une culture nationale commune, largement constituée d’éléments provenant de la culture « indigène » majoritaire, mais incorporant certains apports des immigrés. Selon la deuxième, souvent qualifiée de séparatiste dans le jargon académique, chaque communauté est libre de s’isoler des autres, tout en participant à une économie commune, aucun statut spécial n’étant réservé à la culture indigène. Le Royaume-Uni a essayé de suivre la première approche sans tomber dans la seconde. Un des symboles de cette nouvelle culture commune est le carnaval de Notting Hill, la fusion d’une tradition venant de Trinité-et-Tobago et d’un festival de rue créé par des hippies blancs dans les années 1960. Un autre est le poulet tikka masala. En 2001, le ministre des Affaires étrangères a déclaré que cette recette, que certains prétendent inventée sur le territoire britannique par un immigré indien, avait évincé le fish and chips comme plat national. Toutefois, plusieurs polémiques ont révélé les limites de cette approche. Certes, il est largement admis que les sikhs roulant à moto soient dispensés du port du casque et que les femmes aient le droit d’arborer le voile intégral en public, en dépit du principe de l’égalité femme-homme. En revanche, la mansuétude de la justice envers les auteurs de crimes d’honneur, ainsi que l’hésitation des politiques et des médias à mettre en exergue l’ethnicité des bandes criminelles organisant l’exploitation sexuelle de mineures dans certaines villes ont suscité la controverse. Cette ligne de faille entre le fusionnisme et le séparatisme a donné lieu à un malaise profond et persistant.

Quand la confiance s’épuise

Toute la politique d’immigration britannique à partir des années 1950 et 1960 est fondée sur un compromis. Tandis que certaines restrictions sont imposées aux afflux en provenance du Commonwealth, en contrepartie, une législation de plus en plus stricte en faveur de l’égalité et contre le racisme vise à protéger les communautés d’immigrés qui se trouvent sur place. Le discours gouvernemental parle haut et fort de cette protection tout en taisant autant que possible sa volonté de limiter les arrivées.

Cependant, le multiculturalisme n’a jamais fait partie de la doctrine officielle de l’État. En revanche, il s’est insinué dans la pratique des municipalités. Les communautés diasporiques se plaignant toujours d’être les victimes de discriminations et de violences, certaines grandes villes comme Londres ou Bradford ont tenté de les compenser en subventionnant abondamment les associations locales. L’effet en a été de renforcer l’identité individuelle de chaque communauté, d’autant que l’accès aux fonds dépendait de l’affirmation d’une identité bien distincte. Au lieu de réduire les barrières, cette politique les a renforcées, non seulement entre Blancs et personnes de couleur, mais aussi entre sikhs et musulmans, Noirs et hindous.

À lire aussi, Ingrid Riocreux: Comment les médias progressistes nous vendent la « rédemption » de Johnson senior

Des études sur l’exploitation commune de puits d’eau apportent un éclairage précieux ici. Dans une région spécifique du Kenya, la multiplicité des groupes ethniques sape la confiance réciproque au point de rendre cette exploitation très difficile. De l’autre côté de la frontière, en Tanzanie, où il y a la même multiplicité, la confiance est forte et l’exploitation plus facile. La raison en est que, à la différence du gouvernement du Kenya, celui de sa voisine a toujours eu comme objectif stratégique la création une identité nationale transcendant les identités ethniques. Actuellement, le Royaume-Uni souffre d’un défaut de confiance réciproque : d’un côté, des tendances culturellement séparatistes s’affirment dans certaines communautés ; de l’autre, l’identité commune censée rassembler tous les citoyens au-delà de leurs différences est l’objet de disputes acharnées dans lesquelles l’existence même d’une identité indigène majoritaire est contestée. Celle-ci ayant été réaffirmée par le vote pour le Brexit en 2016, on ne s’étonnera pas qu’elle ait fait l’objet d’un rejet brutal par le mouvement #BLM cette année. Les Britanniques vont-ils partager le fish and chips, le poulet tikka ou quelque galimafrée amère et indigeste ? La France et l’Angleterre, si longtemps séparées par la cuisine, sont unies par la même incertitude sur le plan identitaire.

Voulez-vous savoir pourquoi Macron hésite à reconfiner? Regardez du côté des Pays-Bas!

0

Le confinement et la peur de la désobéissance civile


Pendant que la situation est critique en Hollande, en France, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal a testé hier l’idée d’un confinement “très serré” auprès de l’opinion publique. Le mot clé “désobéissance civile” s’est alors envolé sur les réseaux sociaux.

La Hollande brûle. Dans un mélange explosif de détresse, de ressentiment et de complotisme, des milliers d’émeutiers affrontent violemment les forces de l’ordre. Le confinement et le couvre-feu ont soufflé sur des braises qui ne sont pas près de s’éteindre.

A lire aussi, Yves Mamou: Guerre d’Algérie: après le rapport Stora, à quelle «initiative mémorielle» doit-on s’attendre?

Les premières manifestations ont débuté dans la « Bible Belt » la région la plus croyante des Pays-Bas. L’interdiction faite aux temples d’accueillir plus de 30 croyants a été le signal de la révolte.

Je sors de chez moi

Puis des émeutes se sont étendues aux grandes villes, Rotterdam, Eindhoven. Sans masques, bravant le couvre-feu des milliers de manifestants sont descendus dans la rue. Leur slogan ce n’est pas « je reste chez moi, je sauve des vies » mais « je sors de chez moi, je sauve ma vie ».

A lire aussi: Pays-Bas : Thierry Baudet se bat pour sa survie en politique

Ils ont été rejoints par des voyous venus des « quartiers chauds » (c’est comme ça qu’on appelle là-bas les quartiers sensibles). Ils parlent le wesh wesh néerlandais. Et n’ont rien à envier à leurs cousins français. Eux ils sont là juste pour le pillage et la dépouille.

Une guerre civile redoutée

Certains bourgmestres hollandais évoquent « un risque de guerre civile ». Le Covid-19 tue des êtres humains : il en détruit psychiquement beaucoup plus ! Boris Cyrulnik psychiatre unanimement reconnu, voit dans le confinement « une agression psychologique insupportable ».

A lire aussi, Anne-Laure Boch: Vaccinée, enfin!

Il voit juste. Pour le moment la France est – comparée aux Pays-Bas – un pays sage. Il n’est pas certain que cette soumission à l’ordre sanitaire soit éternelle. Macron a pris la mesure de ce danger. S’agissant du confinement, il pèse et sous-pèse le pour et le contre. Le président de la République sait également que dans l’ancienne Egypte on mettait à mort les porteurs de mauvaises nouvelles.

Sanofi doit assumer son échec et se repenser


La France doit retrouver sa formidable capacité à innover et son rôle historique de précurseur dans la vaccination, après le terrible échec industriel de Sanofi.


Pour ceux qui continuent de s’étonner de l’existence d’une pandémie mondiale qui déstabilise tous les pays en excusant le nôtre, la France, de ne pas s’y être préparé, il convient de faire quelques rappels simples : ce sont les vaccins qui ont permis de stopper les ravages habituels sur l’humanité. La conséquence c’est que le nombre des humains a augmenté et que les techniques modernes ont augmenté les échanges mondiaux et donc la possibilité d’explosion quasi universelle des maladies transmissibles, contagieuses. Le succès incontestable des sciences médicales et biologiques ont permis de limiter la mortalité et donc d’augmenter la démographie avec comme conséquences des pandémies mondiales possibles, mais aussi une utilisation désordonnée des ressources naturelles conduisant aux atteintes actuelles à l’environnement. 

A lire aussi: Vaccinée, enfin!

En France, comme ailleurs dans le monde entier, on savait donc que les virus rodaient, et en particulier les coronavirus avec leur particularité de muter pour résister à ceux qui les combattent. Les sociétés pharmaceutiques mondiales devenaient de plus en plus grosses (Big Pharma) pour pouvoir financer les dépenses de mise au point de fabrication et de diffusion des médicaments et vaccins, non pas que la recherche en elle-même était très onéreuse, mais parce que les règlementations nationales et internationales demandaient de plus en plus d’essais thérapeutiques avant d’obtenir le droit de commercialiser un nouveau produit. Le gigantisme assumé par les gouvernements des pays développés était donc issu de la précaution et non du désir d’innover. C’est ainsi qu’en France Sanofi a absorbé la plupart des laboratoires nationaux, puis est allé faire ses emplettes à l’étranger, et il en a été de même pour l’ensemble du monde pharmaceutique.

On peut mettre beaucoup d’argent et échouer, l’essentiel est dans l’inventivité, l’innovation, dans la capacité de sortir des sentiers battus, de se remettre en question, tout le contraire du conformisme et de la précaution dans laquelle la société française s’enlise comme certaines de ses entreprises… hélas !

Mais qu’y avait-il de vraiment nouveau dans tout cela depuis les antibiotiques, les vaccins Pasteur-Koch et la découverte de la structure de l’ADN ? Finalement beaucoup d’améliorations mais rien d’essentiel. Les “nouveaux” produits devaient donc démontrer à la fois le plus de leur action et leur non-nocivité après des centaines de millions dépensés pour protéger la population d’effets secondaires désastreux immédiats ou futurs. 

La satisfaction des actionnaires privilégiée

On a donc assisté à une dérive des firmes pharmaceutiques, à l’origine possédées par des hommes de science convertis à la production et à la vente, vers des immenses conglomérats visant les revenus gigantesques de produits phares (blockbusters) pour satisfaire des actionnaires à la fois avisés et avides. On a changé de dirigeants, de stratégies et d’objectifs.

Les pères fondateurs de Sanofi partis (Jean-René Sautier et Jean-François Dehecq), alors qu’ils avaient fini par regrouper la quasi-totalité de la pharmacie nationale, l’entreprise est devenue un géant financier préoccupé essentiellement de la rentabilité pour ses actionnaires. Le virage pris en 2008 et 2010 a conduit à des changements fréquents de dirigeants, à une mondialisation assumée et à une stratégie hésitante. C’est ainsi que dans le domaine des vaccins la vente de la santé animale « Mérial » que Mérieux avait développé à Lyon a démontré une méconnaissance profonde du monde de la vaccination et de la biologie qui s’intéresse au vivant qu’il soit animal ou humain. L’unité vaccins humains restait une référence mondiale, compte tenu de la réputation universelle de Pasteur et Mérieux, mais les nouvelles technologies se développaient en dehors des grandes cathédrales dans les start-ups de « Biotech » qui fleurissaient à travers le monde, mais pas beaucoup en France. Ainsi pour faire brillamment ses travaux de recherche Emmanuelle Charpentier, prix Nobel de Chimie 2020 a dû s’expatrier, de même que beaucoup de chercheurs français. 

Manque d’écoute des communautés scientifiques et des argentiers pour les travaux non conformistes autour de la génétique, frilosité, principe de précaution, anathèmes… et lorsque quelque chose d’intéressant semblait près de l’éclosion, il valait mieux franchir le Rhin ou l’Atlantique ! Sanofi vaccins est donc resté dans sa ligne classique. Les avancées timides vers d’autres horizons n’entamaient jamais les certitudes de la  compétence historique illimitée des méthodes classiques. 

Sanofi doit se relever

L’histoire des vaccins s’est donc déroulée depuis dix ans en dehors d’une volonté nationale forte d’être sur tous les fronts et de rester les meilleurs du monde grâce à une réputation de sérieux mais aussi au soutien de l’innovation, de l’invention, du génie, de l’anticonformisme, qui ont fait la réputation séculaire de la science et de la technique françaises dans tous les domaines. La taille et les moyens financiers de Sanofi lui auraient permis de poursuivre ses travaux sur les vaccins dits sous -unitaires en poussant aussi les adénovirus comme les ARN messagers qui étaient étudiés par d’autres, mais cela n’a pas été le cas. Et pour la première société mondiale de vaccins, après l’abandon du vaccin animal c’est un échec qu’il faut assumer si on souhaite s’en relever. On ne peut pas dire, attendez, on va voir, peut-être mon vaccin a du retard, il sera meilleur, moins cher et plus universel. La pandémie actuelle était une hypothèse sur laquelle le monde entier travaillait, en particulier à Boston depuis plus de dix ans. Le coronavirus précédent avait été un avertissement que tous les scientifiques connaissaient. Si on voulait rester les premiers mondiaux il fallait travailler dans toutes les directions et avec les promoteurs des Biotech dont certains, d’ailleurs, comme Tal Zaks directeur médical de Moderna, étaient issus de Sanofi, comme son Président Stéphane Bancel de l’Institut Mérieux ! Pour éviter le drame actuel économique et social un vaccin était la seule possibilité, un vaccin français imaginé en France et financé chez nous aurait donné une priorité sanitaire au pays. Force est de constater que c’est le désormais ancien Président des Etats-Unis qui a décidé de « mettre le paquet » pour son pays sur les nouvelles technologies de vaccins qui redonnent l’espoir à son pays d’abord, puis à l’ensemble du monde de sortir de cette torpeur mortifère qui finit par anémier les humains et leurs œuvres. 

A lire aussi: Des nouvelles du futur

Pour réussir un industriel doit être là au bon moment avec le bon produit, il est inutile de se chercher des excuses, et faire le retour d’expérience est alors une nécessité si on ne veut pas poursuivre dans la répétition des échecs: le plan de relance de l’économie montre bien l’insuffisance de réflexion sur ce qu’est l’industrie. On peut mettre beaucoup d’argent et échouer, l’essentiel est dans l’inventivité, l’innovation, dans la capacité de sortir des sentiers battus, de se remettre en question, tout le contraire du conformisme et de la précaution dans laquelle la société française s’enlise comme certaines de ses entreprises… hélas !  

Par ailleurs dans cette pandémie où le taux de mortalité reste faible comparé à celui des grands désastres historiques, la perspective de revenir à un fonctionnement social acceptable ne peut venir que d’une vaccination générale et donc d’une entraide de tous les pays et de toutes les entreprises. Aussi, on comprend donc tout à fait que Sanofi se mette à la disposition de Pfizer pour conditionner ses vaccins. Et ils pourraient faire de même pour Moderna ou Astra-Zeneca.

Biden: le retour de l’ancien monde sera temporaire

0
Washington, 26 janvier 2021 © Doug Mills/UPI/SIPA Numéro de reportage : Shutterstock40822094_000018

Le populisme est là pour durer. L’analyse de Jean Messiha.


Le 20 janvier, à l’issue d’un grand show diversitaire qui, reconnaissons-le, correspond à l’ADN américain, Joe Biden a été investi 46ème président d’une nation dont même le plus souverainiste des souverainistes doit bien admettre qu’elle nous concerne et nous influence tous peu ou prou.

On pense ce que l’on veut de ce personnage à l’évidence usé par la vie. Une majorité d’Américains l’a porté au pouvoir malgré des accusations de fraudes « massives » massivement exploitées mais jamais suffisamment étayées pour paraitre crédibles.

Que nous réserve cette « nouvelle ère », pompeusement annoncée par les Démocrates et toute la caste médiacratique qui se réjouit ouvertement de la défaite de Trump ?

Il y a tout d’abord les conséquences politiques de la séquence calamiteuse qui a suivie le 4 novembre, culminant avec l’invasion du Capitole par des extrémistes.  Elle n’a pas constitué un bon point pour le mouvement dit « populiste » incarné par Trump, car ses adversaires ont eu beau jeu de le faire apparaitre comme mauvais joueur, complotiste et même violent.    

Des partisans radicaux de Donald Trump, entrés dans le Capitole, s'adressent aux policiers le 6 janvier 2021 à Washington © Manuel Balce Ceneta/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22528058_000027
Des partisans radicaux de Donald Trump, entrés dans le Capitole, s’adressent aux policiers le 6 janvier 2021 à Washington © Manuel Balce Ceneta/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22528058_000027

Donald Trump a réussi à porter au pouvoir ce populisme américain en l’incarnant fortement. Il a tenu nombre de ses promesses. Mais la crise du Covid qui fut mal gérée tant au niveau de Washington que des Etats a laminé son bilan. C’est injuste. Mais la vie politique l’est souvent. Il lui revenait de dire : « on a perdu cette fois-ci mais le combat continue car ce que nous avons créé ne s’arrêtera pas ». Ce faisant, il aurait solidement installé le « populisme de gouvernement » dans la vie politique américaine, fort des 74 millions de citoyens qui ont voté pour lui (soit environ 46% du total). Le couple Ivanka Trump / Jared Kushner aurait été idéalement placé pour reprendre le flambeau. Ombrageux et têtu, Trump a préféré la « terre brûlée ». Funeste décision.

A lire aussi: Les conservateurs du monde entier orphelins

La présidence Biden s’ouvre avec des initiatives importantes sur le plan sociétal, migratoire et économique. 

La question raciale revient en force dans un pays profondément fracturé sur la question identitaire. Une grande partie du peuple blanc, chrétienne et conservatrice, se raidit de plus en plus face à sa lente dilution dans une identité américaine en profonde mutation. Le biais ouvertement pro-minorités (ethniques et sexuelles) ainsi que pro-migrants de la nouvelle administration ne va pas l’apaiser. Biden pouvait-il faire autrement ? Probablement pas, tant minorités et migrants ont pris une place considérable dans base du parti démocrate et dans cet électorat américain qui change avec une immigration importante mais également avec des minorités qui participent de plus en plus activement au vote.

Biden a toutefois un atout dans son jeu pour « rassembler les Américains », au moins sur un point : l’économie.  Le gigantesque plan de soutien de 1.900 milliards de dollars (1.600 milliards d’euros), qu’il va proposer au Congrès et qui a de bonnes chances d’être approuvé au moins en partie, ne va pas profiter qu’aux minorités loin de là. La très majoritairement blanche classe moyenne durement touchée par la crise va en bénéficier également et, de fait, le monde entier car nous savons tous à quel point la consommation des Etats-Unis pèse encore lourd dans l’économie globale.

Sa politique étrangère ne va pas marquer la rupture que beaucoup attendent si ce n’est dans le style. Trump était un boxeur, Biden un papy affable.

Pas de changement de cap vis-à-vis de la Chine qui est devenue le rival global, tant sur le plan économique que géopolitique. 

Plus d’affect avec les alliés européens et en particulier l’UE ouvertement méprisée par Trump mais sans inflexion majeure. L’opinion américaine considère que l’Europe doit davantage contribuer à sa propre défense au lieu de s’abriter à moindre coût sous le parapluie militaire américain. Sur le plan commercial la partie sera serrée. Les sanctions imposées par la précédente administration n’étaient pas purement vexatoires ou nationalistes. Elles correspondaient à de vrais contentieux. Le retour du protectionnisme américain, fortement amplifié et médiatisé par Trump, ne sera nullement démenti par les Démocrates qui comptent aussi sur le vote des « cols bleus » laminés par la désindustrialisation.    

Pas de dégel particulier avec la Russie avec qui Trump n’a pas bâti de relations privilégiées, tant s’en faut. 

A lire ensuite: Le legs de Donald Trump au Moyen-Orient: les accords d’Abraham

Au Moyen-Orient, rien de révolutionnaire à attendre. Israël restera un allié stratégique et bénéficiera d’un soutien inconditionnel, même si la colonisation de la Cisjordanie attirera des critiques plus franches.     

C’est avec l’Iran que des changements sont attendus. Toutefois, sortis de l’accord de Paris après le retrait unilatéral de Trump et n’ayant eu aucun soutien effectif des Européens, les Iraniens ne sont pas disposés à revenir au statu quo ante. Ils ont appris à vivre sous un régime de sanctions terribles et ont gagné en autonomie nucléaire avec une forte croissance de leur activité d’enrichissement à vocation potentiellement militaire. Pas facile de faire rentrer le dentifrice une fois sorti du tube. 

C’est sur la lutte pour le climat que l’on peut objectivement se féliciter du départ de Trump. Son climato-scepticisme était insupportable. La préservation de l’« american way of life » au prix d’émissions de gaz à effets de serre parmi les plus élevés au monde par tête d’habitant (14,5 tonnes par an contre 4,5 en France) constituait un véritable vandalisme écologique. Les Etats-Unis reviennent dans l’accord de Paris et c’est tant mieux pour nous tous.         

En ce qui concerne le camp de la France – que je préfère parfois au terme de camp national – que change au fond le départ de Trump et l’arrivée de Biden ? 

Franchement pas grand-chose.

Plus de pression « progressiste » dans nos médias par décalquage idéologique ? 

Cela fait des années que nous subissons un assaut idéologique qui peut se résumer ainsi : plus de Bruxelles, plus de Maghreb et d’Afrique, plus de métissage, plus d’islam, plus de LGBT, de transgenrisme et d’intersectionnalité. Qu’est-ce que ce pauvre Biden peut ajouter à ce menu déjà bien fourni ?           

La chute d’un « modèle » ? Trump n’en a jamais été un pour nous, ou en tout cas pas complètement, tant nous divergeons sur le rôle de l’Etat dans la société. 

Nous le voulons stratège, aménageur, protecteur, redistributeur et social. Les « Trumpistes » sont dans une tradition ultra-libérale en matière fiscale et sociale.

Nous avons en revanche des points communs importants : la protection des frontières tant sur le plan économique que migratoire, le refus de laisser l’islam progresser dans nos pays ainsi que la défense de notre identité. 

A lire aussi: Cancel cul… quoi?

Sur ce dernier point toutefois, nous devons acter d’une différence fondamentale entre l’Amérique du Nord et l’Europe. La première s’est construite sur une vigoureuse et brutale colonisation de peuplement qui a annihilé les peuples amérindiens « de souche ». Sa composante noire n’est pas majoritairement immigrée mais déportée et, peu le savent, il y avait déjà une population hispanique depuis le 18ème siècle dans les territoires qui devinrent le Texas, le Nouveau Mexique, l’Arizona et la Californie.  

A part les malheureux Indiens, personne ne peut dire « cette terre est à moi depuis toujours ». Il en est bien différemment de l’Europe. Les Européens sont les peuples indigènes du continent du même nom.  A la différence des autochtones de l’autre-coté de l’Atlantique qui n’eurent pas les moyens de s’opposer à une invasion-submersion migratoire qui les balaya, le peuple d’ici a encore la possibilité de se défendre – mais plus pour très longtemps – aux côtés de ceux qui sont « devenus d’ici » par assimilation et patriotisme. 

A Phoenix (Arizona), des militants s'opposent à la venue de Trump le 23 juin 2020 © USA Today Network/Sipa USA/SIPA Numéro de reportage: SIPAUSA30224690_000014
A Phoenix (Arizona), des militants s’opposent à la venue de Trump le 23 juin 2020 © USA Today Network/Sipa USA/SIPA Numéro de reportage: SIPAUSA30224690_000014

Notre peuple n’a besoin de personne pour redessiner son avenir si compromis par tous les Quisling qui l’ont dirigé depuis des décennies. C’est en nous-mêmes que nous trouverons les idéaux, les solutions et surtout la force morale pour rebondir.

Trump a perdu la bataille politique de la présidentielle américaine de 2020. Mais ses idées lui survivront car elles correspondent aux aspirations d’un grand nombre d’Américains y compris au sein des minorités. Trump ne s’est pas hissé au niveau de l’opportunité historique que 2016 lui avait apporté.  Mais l’avenir appartient au grand mouvement de reconquête identitaire et économique qui anime les peuples européens ou d’origine européenne qui en ont marre d’être accablés, broyés et stigmatisés par l’idéologie diversitaire et mondialiste.

Régis Debray, le réel et son trouble

0
Régis Debray © Photos: Hannah Assouline

Sans nostalgie ni regrets, quoique avec une pointe de mélancolie, Régis Debray pose un regard indulgent sur son passé et le nôtre. L’ancien révolutionnaire qui voulait changer le monde avec des idées sait désormais que les peuples ne vivent pas d’abstractions. Observant la fin de la civilisation de l’écrit, il dissèque avec lucidité et gourmandise cette époque qui n’est pas tout à fait la sienne.


Au risque de fâcher notre philosophe, je me demande si la lecture de l’œuvre de Régis Debray n’est pas l’une des plus exaltantes écoles de conservatisme politique qui soient – pas de retour en arrière, mais de politique soucieuse de préserver ce qui mérite de l’être. Régis Debray parle si bien du monde d’hier, des possibilités humaines qui s’y jouaient, des aspirations fondamentales qui s’y exprimaient et auxquelles, bon an mal, les temps savaient répondre, il éclaire si vivement le monde dans lequel nous vivons et la nouvelle figure d’humanité qui s’y dessine, aplanie sur le présent, rétrécie aux dimensions de son moi, pauvre en imaginaire, que l’on referme tous ses livres avec le désir véhément de sauver ce qui peut encore l’être afin que le monde de demain soit encore un peu le monde d’hier.

Que l’on ne se méprenne pas. Nulle inclination à la désolation ou à l’indignation chez Debray. Non plus à la nostalgie. Pas davantage d’ailleurs, à l’euphorie. Debray se tient à égale distance, pour prendre les deux pointes extrêmes d’un même compas, de Michel Serres et d’Alain Finkielkraut. Du premier, il partage les curiosités et les intérêts, le goût de la technique et des nouvelles technologies ; du second, les fidélités et les tendresses (Israël excepté), l’attachement aux Humanités, à la langue, aux institutions. Il n’a toutefois pas les béatitudes du premier ni les inquiétudes et les colères du second. Enfin, là où l’un voit exclusivement des gains et l’autre d’abord des pertes, Régis Debray, lui, s’efforce de ne pas penser en ces termes, moralement connotés.

DEBRAY-Regis-causeurLe monde de Debray n’est pas pour autant un monde sans perte, sans larmes, sans deuil. Homme venu d’une autre rive temporelle, formé selon les modalités de vie et de pensée du vieux monde qu’il aime, Debray ne connaît pas la hantise du progressiste de paraître en retard sur son temps et singulièrement sur la jeunesse. Il est également épargné par cette autre maladie congénitale de la gauche, diagnostiquée par Jean-Claude Michéa, le complexe d’Orphée : il ne craint pas de regarder en arrière, au contraire, pour lui le flambeau du passé peut encore nous éclairer et nous guider, et il recommande vivement aux jeunes gens qui veulent entrer dans la carrière un détour par Thucydide, le cardinal de Retz ou Rousseau. « Un homme a des vues sur le futur dans la mesure où il en a sur le passé. »

Si Debray a fait vœu de suspension du jugement, ce n’est pas dérobade de sa part, mais conviction qu’il sera plus utile à ses semblables en s’enquérant de la nouveauté du temps présent qu’en soupirant après le monde d’hier ou en célébrant celui qui vient. Un monde se termine ; un autre advient, qu’il nous faut habiter et aménager, aussi mieux vaut apprendre à le connaître dans ses possibilités propres. « Le vent se lève !… il faut tenter de vivre », disait Paul Valéry. Ce vers, qui scandait la belle série estivale que Debray consacra au poète et penseur en 2018, pourrait servir d’épigraphe à l’ensemble de son œuvre.

Il n’en a pas toujours été ainsi. Longtemps, il l’avoue, il a caressé le rêve de contribuer à « changer le monde » – c’est encore ce qui l’entraîne aux côtés de François Mitterrand en 1981. Mais la vie, ses tribulations en Amérique latine, ses engagements en France, plus encore peut-être sa fréquentation du pouvoir, l’ont instruit. Il a décidé de remiser au placard les atours de l’intellectuel. Vanité de l’homme de lettres, comprend-il, que de prétendre exercer quelque influence sur les esprits et le cours des choses. Non que les idées soient fatalement impuissantes, mais encore leur faut-il rencontrer la courroie de transmission qui les fera descendre dans la caverne des hommes et les rendra agissantes. Or, à chaque époque, son médium. Et c’en est fini de l’écrit, révolu l’âge des Voltaire et des Zola. La graphosphère a fait son temps, voici venu celui de la vidéosphère : seules pourront désormais ambitionner quelque efficacité les idées qui emprunteront le canal de l’image, de l’audiovisuel et à présent des réseaux sociaux. Et c’est là tout l’objet de la médiologie, cette discipline que Debray fonde à la fin des années 1980 et qu’il dote d’un bouillonnant laboratoire d’investigation, Les Cahiers de médiologie, superbe publication réunissant des chercheurs de tous horizons.

Car c’est cela Debray, un esprit toujours inventif, toujours aux aguets. La passion de comprendre chevillée au corps, de harponner le nouveau, l’inédit. Rien n’est plus étranger à notre philosophe, et rien sans doute ne l’ennuierait davantage, que ce défaut, ce vice même du penseur professionnel, que la reconduction de l’inconnu au connu. Une écriture douée d’une énergie époustouflante, servie par un génie des télescopages, des « courts-circuits », des étincelles fulgurantes. Une pensée incarnée, ce qui est l’une de ses grandes saveurs. L’humaine nature ? « Le pot de confiture et le martyr » ; les jeunes filles de Proust défilant sur la digue de Balbec ? À peine les a-t-il aperçues qu’il peut tirer un trait « de la bicyclette au MLF ». Parole de médiologue : pas de libération de la femme sans l’avènement d’un nouvel outillage. Debray est un de nos derniers esprits encyclopédiques. Rien de ce qui est réel ne le laisse indifférent. Sa curiosité ne connaît pas de limite, pas de frontière. Il crochète et furète partout, « le bon médiologue est un chien, se flatte-t-il, il met son orgueil à regarder par terre, à renifler dans les coins ». En tout lieu, il se risque. Jusqu’à Dieu. On se souvient du coup d’éclat que fut en 2001 la publication de Dieu, un itinéraire : un homme de gauche qui prenait au sérieux la religion, qui ne la renvoyait pas dans les ténèbres de l’obscurantisme. Au contraire, il lui rendait sa légitimité en faisant apparaître ses fondements anthropologiques.

Enfin, en bon philosophe, Debray sait l’art d’enrichir le vocabulaire de notre intelligence et de notre perception de catégories nouvelles, d’élaborer des distinctions qui sont autant de navettes pour démêler les fils enchevêtrés de la réalité. Mentionnons la si féconde polarité République/démocratie, où l’altière République vient redresser l’horizontale et égalitaire démocratie ou encore le couple transmettre/communiquer. Profondeur, épaisseur des temps, maturation et continuité des peuples et des civilisations versus surface et superficie du seul présent et du seul moi.

Si Debray n’est pas, ou plus, un penseur engagé, il reste un penseur éminemment embarqué. Ce monde ne le laisse pas en repos. Doublement. Ce qui l’intéresse d’abord, ce sont les tremblements du temps, les transformations, les mutations qui affectent les sociétés et les hommes. D’un siècle l’autre (Gallimard), tel est le titre de l’ouvrage qu’il fait paraître aujourd’hui. Au prisme de sa propre traversée du temps, du xxe au xxie siècle, Debray offre une synthèse de ses expériences et de ses conquêtes. Debray parle en première personne, mais ce livre n’est pas une autobiographie – celle-ci existe déjà, magnifique trilogie composée de Masques, Par amour de l’art et Loués soient nos seigneurs : son objet c’est nous, hommes du xxie siècle, et singulièrement nous, Français. Parlant de moi, je parle de vous, « nul de nous n’a l’honneur d’avoir une vie qui soit à lui […], la destinée est une », dit-il en substance à la suite de Victor Hugo.

Mais si, chez le Janus qu’est le penseur Debray, l’une des faces regarde vers les transformations, l’autre est tournée, l’œil non moins aigu, du côté des retours et des invariants, des constantes de la nature humaine. Retour de la religion, retour de la nation et des frontières, retour du lieu, du terroir, bref de la géographie. Or, et c’est là l’immense apport de Debray à la réflexion contemporaine, il ne se contente pas d’identifier ces revivals, il leur donne leur fondement anthropologique. Là où certains ne perçoivent, dans ces retours, que régression, et au mieux crispation et frilosité, Debray, lui, au contraire, entend résonner comme un rappel des aspirations humaines fondamentales, rappel d’autant plus ardent que les avancées techniques les nient.

DEBRAY-RegisTrois « mystères », ainsi qu’il les appelle, charpentent son ouvrage, aussi solidement qu’ils constituent nos épreuves et nos défis. Mystère du politique : comment faire du commun avec de la diversité. Réponse de Debray : on ne cimente pas un peuple et on ne le mobilise pas avec des abstractions, avec les valeurs de la République ou la laïcité, mais avec des réalités concrètes, charnelles, et Debray rend salutairement toute sa légitimité à la « fonction fabulatrice », aux récits et même, hardiment, aux légendes qui, établit-il, ne sont pas sans vertu politique. « Pour quitter mitaines et charentaises, il faut se raconter des histoires. » Que de temps eussions-nous gagné, il est encore temps, si nos politiques avaient daigné tendre l’oreille à ce qu’il martèle depuis des années ! Mystère des civilisations et de leur continuité. Réponse de Debray : la transmission, fil qui relie les vivants aux morts et à ceux qui naîtront après eux et assure un avenir au passé. Mystère, enfin, de la religion et du besoin fondamental des hommes de prendre part à des réalités plus vastes qu’eux-mêmes. L’homme de Debray est cette créature qui se tient debout précisément parce qu’elle est comme aimantée par quelque chose qui la dépasse : Dieu ou la patrie, jusqu’à présent. La nature remplira-t-elle cet office ? Telle est de nous aujourd’hui la question. Debray se montre fort réservé sur la « puissance de convocation » de la déesse Gaïa.

De ma première rencontre avec Régis Debray, il me reste une image, celle de l’amateur d’art. Il venait d’acquérir une toile du peintre Leonardo Cremonini, et il avait l’enthousiasme de l’admiration. Si j’évoque ce souvenir, c’est que ses écrits sur l’art me semblent la part la plus méconnue de son œuvre. Et pourtant, c’est loin d’être la moins roborative. Il faut lire par exemple sa « Lettre à Claude Simon sur le roman moderne », une réplique parfaite et pour ainsi dire définitive au formalisme littéraire, un hymne à la littérature comme instrument de perception, « viatique et guide pour ne pas se perdre en forêt » ; ses écrits sur la photographie, ce ne sont parfois que quelques lignes, ainsi sur Cartier-Bresson, le texte qu’il consacre au Tintoret, génie de l’image en mouvement, précurseur du cinéma.

« Promis, on fera mieux la prochaine fois », c’est sur ces mots, empreints d’une pudeur mélancolique et qu’on ne lit pas sans un serrement de cœur, que Régis Debray referme D’un siècle l’autre. La barre est placée haut !

Régis Debray, D’un siècle l’autre, Gallimard, 2020.

D'un siècle l'autre

Price: 20,00 €

33 used & new available from 1,69 €

Les Petits Meurtres se téléportent dans les 70’s

0
© Escazal Films

La saison 3 de la série star de France 2 inspirée d’Agatha Christie démarre ce soir à 21h05 dans une ambiance disco-MLF


Il y a des franchises télé que l’on a plaisir à voir. Des rendez-vous qui soudent les générations et colorent les tristes vendredis soir de couvre-feu. Ce soir, à 21 h 05, pour la seule et unique fois de la semaine, vous ne verrez ni Castex, ni Véran dans le petit écran. Oubliez les recommandations du conseil scientifique et les débats sur la chloroquine, le temps d’un téléfilm familial.

L’adieu aux sixties…

On s’était habitué depuis 27 épisodes à l’élégance sixties du commissaire Laurence (Samuel Labarthe) et de son beau cabriolet Facelia sur les routes du Nord de la France. Sa suffisance narquoise s’accordait si bien à l’impétuosité touchante de la journaliste Alice Avril (Blandine Bellavoir) et au tendre romantisme de sa fidèle secrétaire, la fausse ingénue Marlène (Elodie Frenck). Ces trois-là maîtrisaient l’art du contre-pied et de la comédie policière légère comme un Walther-PPK. Ils avaient succédé à un autre duo composé du commissaire Larosière (Antoine Duléry) et de l’inspecteur Lampion (Marius Colucci), en service régulier sur la chaîne publique, entre 2009 et 2012. Après les années 30 et les années 60, « Les Petits Meurtres d’Agatha Christie » débarquent dans les 70’s sous la plume de Flore Kosinetz et de Hélène Lombard. Attention aux yeux, comme dirait Marielle, ça mitraille sec!

A lire aussi: Marielle, Broca, Belmondo: le beau recueil nostalgique de Thomas Morales

Le code couleur a changé! Les lugubres demeures de la saison 1 ou les tenues apprêtées de Miss Marlène en saison 2, c’est du passé. Fini aussi les robes vichy et les coiffures choucroutées, les Lambretta et les yéyés, place aux mini-jupes et aux looks psychédéliques. Un vent de « Peace and Love » va souffler dans les rues de Lille, Tourcoing, Douai et Lens, lieux des tournages. Nous sommes toujours en terre ch’ti mais en 1972.

… et l’arrivée dans les seventies

La recette est toujours la même: le décalage et l’étude des caractères sur fond d’émancipation féminine, avec toujours un soin particulier accordé au décor. Pour que la téléportation fonctionne, chaque détail vestimentaire compte, chaque objet ne doit pas faire toc. Les amateurs de fringues Vintage seront aux anges. Il y a du losange, des chemisiers à imprimé Vasarely, du similicuir, du sabot, de la cuissarde et de la pelle à tarte. Que les accros des bagnoles non-électriques se rassurent, les créateurs de cette troisième saison ont peaufiné leur paysage automobile. De la SM, de la Simca 1000, de la 911 vert pomme et du taxi Pigeot 504 nous ramènent aux Trente Glorieuses sans culpabilité. La fumette et l’autoradio à bloc traduisent l’atmosphère libérée de l’époque.

© Escazal Films
© Escazal Films

A lire aussi: « 3615 Monique » et « Ovni(s) »: Dis papa, c’était vraiment comme ça la France?

« La nuit qui ne finit pas » premier épisode diffusé ce soir et réalisé par Nicolas Picard-Dreyfuss voit l’arrivée de la commissaire Annie Gréco (Émilie Gavois-Kahn), une expérience « sociétale » initiée par le Ministère de l’Intérieur pour favoriser l’égalité homme-femme. Cette intrusion dans un univers 100% masculin est bien évidemment prétexte à la raillerie et aux scènes grotesques. Cette nouvelle saison a vocation à nous amuser des clichés. Elle y réussit parfaitement grâce à un casting sur-mesure qui s’est moulé dans les années 70. Émilie Gavois-Kahn a pris du galon, elle est seulement major dans « Cassandre », une autre série policière qui passe sur France 3. Cette grande professionnelle, à la justesse impeccable, est à l’aise dans tous les registres, elle excelle aussi bien dans l’émotion que dans la farce. Avec son imper croisé et ses bas « nylon », elle est aimable comme une porte de prison. Les cinéphiles apprécieront l’hommage subtil rendu à Annie Girardot, la commissaire Lise Tanquerelle de « Tendre Poulet ».

© Escazal Films
© Escazal Films

Une mention spéciale

Outre une bande de flics, phallocrates hilarants, Annie Gréco fait équipe avec le lieutenant placardisé Max Beretta (Arthur Dupont), Starsky du 59 conduisant une Renault 15 jaune aussi mémorable que la Ford Gran Torino de ses collègues américains.

A lire aussi, du même auteur: De quoi la Renault 5 est-elle le nom?

Pour compléter cette triplette vraiment très réussie, Rose Bellecour (Chloé Chaudoye), psy à papa, Tara King des maîtres de forges, promène son expertise et ses doutes existentiels avec une force comique qui augure d’une longue carrière. Mention spéciale au commissaire divisionnaire Servan Legoff interprété par Quentin Baillot, il y a du Noël Rocquevert en lui.

Cette semaine, la fièvre du samedi soir a un jour d’avance.

Saison 3 – « Les Petits Meurtres d’Agatha Christie » – France 2 – Vendredi 29 janvier – 21 h 05.

Et si je ne revoyais pas la gauche au pouvoir avant ma mort?

0
Anne Hidalgo, janvier 2021 © ERIC DESSONS/JDD/SIPA

Travaillée par ses contradictions, on ne voit pas bien comment la gauche pourrait un jour, même lointain, revenir au pouvoir. Reste à savoir si le pouvoir est encore quelque chose qui a une existence quelconque aujourd’hui. L’édito politique de Jérôme Leroy.


Dans un sondage paru dans l’Opinion, il y a quelques jours, sur le premier tour des présidentielles, les résultats étaient sans appel. Marine Le Pen fait la course en tête, Emmanuel Macron la talonne. Ensuite, dix bons points derrière, on trouve d’éventuels candidats de la droite classique comme Xavier Bertrand et Valérie Pécresse. Quant à la gauche, elle arrive derrière avec un Mélenchon qui tutoie les 11%, un éventuel Jadot autour de 7 ou 8% et la gauche social-démocrate qui annonce une Hidalgo entre 6 et 7% et un Montebourg à 5%. 

A lire aussi: Où va le populisme?

C’est mal parti et pour très longtemps

L’électeur de gauche quinquagénaire que je suis voit ainsi se confirmer une certitude un peu mélancolique : je ne reverrai pas la gauche au pouvoir avant ma mort. On m’objectera que ce n’est qu’un sondage à dix-huit mois de la présidentielle, il illustre quand même une tendance lourde. Bien sûr, la gauche aura toujours des mairies, des députés et des départements ou des régions. Mais pour la présidentielle, c’est plus que mal parti, et pour très longtemps.

Il y a à cela une première raison conjoncturelle : la Vème république étant un concours de beauté et la gauche ayant toujours tendance à la scissiparité plutôt qu’à l’unité, il devient impossible d’accéder au second tour. Il y a en une seconde, beaucoup plus grave qui est idéologique. La gauche, dans chacune de ses composantes, est prise en étau entre les partisans de l’intersectionnalité et ceux qui la voient comme un simple aménagement du libéralisme qu’elle teinterait vaguement de quelques mesures sociales. Mais pour l’électeur de gauche old school, comme votre serviteur,  un républicain qui souhaite une rupture avec le système et une redéfinition des périmètres du marché avec l’éducation, les transports, la santé, la recherche, l’énergie, le crédit et la transition écologique qui devraient rester l’affaire de l’État, c’est-à-dire l’affaire de tous, eh bien l’horizon est complètement bouché.

A lire aussi: Isabelle Saporta: « Les maires EELV devraient être modestes et travailler »

On me dira Mélenchon ou les écolos ? Mais la France Insoumise est pourtant l’illustration de cette contamination de l’intersectionnalité qui explique d’ailleurs en grande partie pourquoi elle est passée de 19% à la présidentielle de 2017 à 6% aux dernières européennes. Pareil pour les écolos, qui comme le remarquait Hidalgo qui les connaît de près, ont un problème avec l’intangibilité des principes républicains.

Yannick Jadot à Lille, 23 juin 2020 © Denis ALLARD/Leextra via Leemage.
Yannick Jadot à Lille, 23 juin 2020 © Denis ALLARD/Leextra via Leemage.

Le pouvoir, pour quoi faire ?

Il ne faudrait pas pour autant que les droites macronienne, lepéniste ou classique se réjouissent. Marine Le Pen, par exemple, comme son père avant elle, joue le rôle de Goldstein dans 1984, l’ennemie officielle, choisie par Big Brother: elle est là pour faire peur, et au second tour, coaliser contre elle tous les autres. Et puis il n’est pas impossible que ceux qui seront au pouvoir dans  les prochaines années, n’aient plus les moyens de mener la politique qu’ils souhaitent pour une raison bien simple: les catastrophes sanitaires et environnementales ne les laisseront pas appliquer leur programme. 

A lire aussi: Eric Zemmour: ira, n’ira pas?

À ce titre la crise du Covid-19, qui n’est qu’un hors d’œuvre, en est déjà une preuve éclatante. Le quinquennat de Macron, qui devait nous amener à la victoire d’un néo-thatchérisme repeint à la couleur des start-up, est en train de se résumer à une gestion à vue d’une épidémie. Qui aurait imaginé, il y a un an, notre vie d’aujourd’hui ? Personne et surement pas Macron. Et qu’est-ce que ce sera, si réélu, il doit affronter des épisodes climatiques extrêmes comme une canicule de 2003 à la puissance dix ? 

La Zad ou le monastère

La gauche n’aura plus le pouvoir mais il est bien possible que le pouvoir lui-même ne soit de toute manière qu’une notion très relative puisque il sera surtout occupé à gérer les effondrements successifs et mortifères de notre monde. Alors que faire ? Pour ma part, j’hésite à me réfugier dans une ZAD ou mieux, entrer dans un monastère, dominicain de préférence : je pourrais étudier tranquillement, en attendant la fin, ces beaux textes fondateurs du communisme que sont les Actes des Apôtres ou la Cité de Dieu de saint Augustin. Et à méditer sur ce que nous aurons raté alors que ce monde aurait pu être si beau.

Vivonne

Price: 22,00 €

33 used & new available from 3,77 €

Guerre d’Algérie: après le rapport Stora, à quelle «initiative mémorielle» doit-on s’attendre?

0
Paris, juillet 2019 © Kamil Zihnioglu/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22357522_000001

Nul ne sait encore ce que le président Macron fera du rapport de Benjamin Stora sur la colonisation et la guerre d’Algérie. Mais il est certain que jouer la carte de la repentance ne serait pas sans risques


Le président Macron érigera-t-il une stèle à l’émir Abdelkader qui a combattu les troupes françaises ? Organisera-t-il une journée de repentance pour les « crimes contre l’humanité » commis par la France pendant la colonisation ? Aurons-nous droit à des noms de rues de « résistants » du FLN ?

L’avenir le dira. Une chose parait à peu près sure, une initiative « mémorielle » aura lieu. Emmanuel Macron a indiqué à de multiples reprises qu’il avait l’ambition d’attacher son nom à un évènement historique. Il a esquissé la chose avec Notre Dame (« nous la reconstruirons plus belle ») ; une tentative d’instituer le 14 juillet comme « un grand moment de libération du peuple de France » a aussi été imaginée ; l’idée d’un Mémorial aux victimes du Covid comme il existe un Mémorial de la Shoah par exemple a aussi été étudiée. Mais la piste guerre d’Algérie semble plus assurée. D’autant qu’elle est plus ancienne.

Le lien choquant fait dans l’avion de retour d’Israël

Dès 2017, au cours de sa campagne électorale, Emmanuel Macron a affirmé que la colonisation avait été un « crime contre l’humanité ». En septembre 2018, il a reconnu la responsabilité de la France dans la disparition de Maurice Audin, mort « sous la torture du fait du système institué alors en Algérie par la France ». En janvier 2020, dans l’avion qui le ramenait de Jérusalem, Emmanuel Macron a confié à trois journalistes qu’il existait un défi mémoriel entre l’Algérie et la France et qu’il souhaitait prendre une initiative qui ait « à peu près le même statut que la Shoah pour Chirac en 1995 ». Le parallèle Auschwitz-Algérie laisse clairement entendre qu’un peuple (français) a abusé mortellement d’un autre (le peuple algérien).

Benjamin Stora remet son rapport au président Macron, le 20 janvier 2021, Palais de l'Elysée   © STEPHANE LEMOUTON-POOL/SIPA Numéro de reportage  : 01000815_000010
Benjamin Stora remet son rapport au président Macron, le 20 janvier 2021, Palais de l’Elysée
© STEPHANE LEMOUTON-POOL/SIPA Numéro de reportage : 01000815_000010

Cette initiative mémorielle prendra-t-elle la forme d’une loi qui s’inscrira dans la petite liste des évènements mémoriels qui ont déjà fracturé la société française ? Le 13 juillet 1990, la loi Gayssot a fait du négationnisme de la Shoah un délit. Le 29 janvier 2001 une loi a officialisé la reconnaissance du génocide arménien. Le 21 mai 2001 une loi dite Taubira a fait de l’esclavage un crime contre l’humanité. Et enfin, la loi du 23 février 2005 sur la présence française outre-mer a disposé dans son article 4 que « les programmes (scolaires) reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit ».

Pas d’excuses au programme

Officiellement, Emmanuel Macron ne souhaite ni présenter d’excuses qui seront immanquablement jugées insuffisantes par les Algériens, ni se livrer à un exercice de repentance qui ferait bondir à la droite.

A lire aussi: Zemmourisation des esprits: panique au musée de l’immigration!

Mais comme chaque fois avec Emmanuel Macron, le « ni-ni » n’empêche pas le « en même temps » qui va brouiller la compréhension. Ainsi, le 25 septembre 2021, une commémoration célèbrera le rôle des Harkis, qui ont combattu pour la France en Algérie, mais cette cérémonie sera suivie moins de quatre semaines plus tard par une autre cérémonie à la mémoire des Algériens qui ont trouvé la mort pour avoir manifesté à l’appel du FLN, à Paris le 17 octobre 1961. À un mois de la présidentielle, le 18 mars 2022, Emmanuel Macron commémorera aussi les soixante ans des accords d’Evian qui marquent la fin de la guerre d’Algérie.

Mais le vrai danger de l’initiative mémorielle promise par le président ne tient pas au risque de mécontenter les Algériens, ou les Pieds Noirs, ou les Harkis, ou les anciens combattants… Le danger est d’officialiser une politique de culpabilité qui sera immanquablement génératrice de violences.

L’analyse que l’auteur américain Shelby Steele, Senior Fellow de la Hoover institution – lui-même issu d’un mariage interracial – fait de la condition noire dans White Guilt, un livre paru en 2006, est entièrement transposable à la France. Pour Shelby Steele, la colère des Noirs qui a surgi dans les années 1960 ne doit pas être interprétée comme la conséquence de la ségrégation raciale. Elle est la colère d’entrepreneurs identitaires noirs qui ont entrepris d’exploiter la culpabilité d’une société blanche qui avait entrepris de démanteler sa politique de ségrégation raciale.

Ne pas se mettre en position de faiblesse

Pour Shelby Steele, la violence a envahi les rues quand les Noirs ont pris conscience que l’oppresseur blanc était soudain en position de faiblesse. En affichant sa culpabilité et son besoin de réparer le mal qu’elle avait causé, la société américaine a prêté le flanc à des demandes incessantes de réparations. Aujourd’hui, des milices comme Black Lives Matter ne prospèrent pas en raison de la violence raciste qui sévit aux États-Unis, mais parce que la culpabilité blanche leur a donné un pouvoir de stigmatisation.

A lire aussi: Rapport Stora : la repentance à sens unique?

Que des minorités identitaires inventent le racisme là où il n’est pas, et exploitent la culpabilité des occidentaux n’est pas une spécificité américaine. Les Palestiniens exploitent la culpabilité des anciennes puissances coloniales européennes ; en Europe, les islamistes se posent en victimes de l’islamophobie européenne, et les Algériens libres de toute colonisation depuis soixante ans font porter à l’ancienne métropole les causes de leurs échecs économiques et politiques.

Plus l’occident est tolérant, plus on l’accuse d’être intolérant…

En d’autres termes, c’est au moment où les sociétés occidentales, par leur histoire (les États Unis) ou par choix (la France), tentent de s’assumer comme des sociétés multiculturelles, égalitaires, soucieuses de réparer un passé raciste ou colonialiste qu’elles sont le plus férocement accusées de racisme et de discrimination.

C’est pourquoi il est à craindre qu’un geste de contrition nationale spectaculaire sur la guerre d’Algérie, un geste qui sera répété chaque année, loin de pacifier la situation ne conduise à plus de ressentiment, plus de haine, plus de violence encore. La seule initiative mémorielle qui mériterait d’être tentée serait celle qui dirait aux Algériens et aux franco-algériens, qu’avez-vous fait de la décolonisation ? Qui êtes-vous sans la violence de la colonisation ? Existez-vous en dehors de ce statut de victime dans lequel vous vous complaisez ?

Vivement la prochaine princesse Disney obèse, trans et handicapée!

0
Parc Disneyland à Hong-Kpng, septembre 2020 © Kin Cheung/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22496781_000012

On ne plaisante presque pas… Partisane du mouvement body positive, l’Australienne Ashleigh Beevers redessine Blanche-Neige, Ariel, Belle et les autres avec des courbes généreuses. Oubliez les princesses filiformes qui ont bercé votre enfance!


Le procès contre les dessins animés Disney continue. Après avoir ostracisé Les Aristochats, la Belle et le Clochard, Dumbo ou Peter Pan, c’est au tour des personnages féminins de passer sous les fourches caudines de la révolution culturelle du progressisme révisionniste.

En cause, non pas cette fois les stéréotypes racistes – quoi que tout de même, à commencer par son nom, Blanche-Neige a tout pour déplaire à tous les fanatiques de cet antiracisme obnubilé par la race – mais les silhouettes des princesses Disney. Trop belles, elles pourraient être nocives à l’imaginaire des enfants.

Ariel:

Ashleigh Beevers, artiste au service du “body positivism”

Oui, Blanche-Neige et ses copines ont des tailles de guêpe ! Logique, à l’époque où elles ont été créées, c’était plutôt la norme. L’obésité dans les années 40 n’était pas un fléau qui courait les rues. O tempora o mores ! Aujourd’hui, ces héroïnes sont accusées de véhiculer une image du corps féminin trop discriminante. Alors, la sanction tombe. Et celle qui s’en charge c’est Ashleigh Beevers, une dessinatrice australienne qui a mis son art au service de ses convictions idéologiques. Cette dernière fait partie d’un mouvement militant, le « body positivism », courant qui proteste contre les stigmatisations liées aux représentations trop normées des corps féminins éternellement jeunes et minces dans la fiction ou la publicité, et affirme le droit d’être fier d’exhiber une morphologie opposée. L’activiste milite pour une chair tombante, ridée, gonflée de cellulite et fière de ses vergetures. C’est bien connu, ça fait rêver tout le monde !

Blanche-Neige: 

Belle:


Avec un pinceau en guise de bistouri, Ashleigh Beevers épaissit les traits des fées, des princesses ou des sorcières qui peuplent les dessins animés Disney. Il n’y a pas si longtemps, c’est Barbie qui avait subi le même sort, prenant quelques kilos pour ne plus traumatiser les fillettes.

Tout le monde y passe, aussi bien l’innocente Blanche-Neige que la guerrière Mulan, l’intrépide petite sirène Ariel que l’horrible Ursula, les saintes héroïnes comme les ennemies maléfiques. Toutes doivent monter sur l’échafaud du comité de salut anti-discriminant et antisexiste ! Et à défaut de leur couper la tête, on modifie leurs silhouettes trop gracieuses et filiformes, pour les faire rentrer dans les nouveaux canons de beauté imposés par le minoritairement correct et que l’on peut résumer en cette sentence : Sois laide et grosse, on te toléra mieux. 

Un résultat contre-productif

Le « body positivism » a beau prôner la diversité des morphologies, la militante Ashleigh Beevers applique immanquablement le même coup de scalpel grossissant à toutes les héroïnes, sans distinction, les classiques comme les nouvelles venues, les gentilles comme les méchantes, toutes y passent. Pas de chichi. 

Bilan de ce relooking disgracieux : nos héroïnes d’hier prennent quelques kilos, et elles affichent aussi paradoxalement des moues un peu sexy et des corps hypersexualisés à la chair débordante, tatouée et dénudée. Nos princesses se transforment en catins au bois bandant ! Mais n’allez surtout pas y voir de la vulgarité plutôt que de la beauté.

Eric Zemmour: ira, n’ira pas?

0
Image : captures d'écrans YouTube

Interrogé sur Paris Première à ce sujet, l’intéressé n’a pas dit non


L’idée lancine et turlupine. Eric Zemmour candidat à la présidentielle. Oui ? Non ? Sur le plateau de Paris Première, l’insubmersible Alain Duhamel, invité du jour, lui pose une fois de plus la question  : « Y’a des gens qui souhaiteraient ça, alors quant à lui, il va peut-être nous dire s’il le souhaite ou pas… » La réponse n’écarte pas la possibilité. Comme un aveu, mais pas tout à fait : « C’est pas ici et aujourd’hui que je vais le dire. » 

A lire aussi: Nicolas Dupont-Aignan assure qu’il n’est pas isolé

Il déroule son programme chaque jour à la télé

Aucun doute, il y pense. Le matin en se rasant, le midi en comptant les cheveux qui lui restent, le soir dans « Face à l’info » lorsqu’il présente son programme. Que sont des propositions concrètes sur l’immigration, l’Europe, l’emploi, l’Islam, la politique extérieure qu’il énonce chaque jour, sinon un programme ? 

A lire aussi: Qui sont ceux qui dénoncent la “radicalisation” zemmourienne de la chaîne CNews?

Stratégie judicieuse dans le cas d’une candidature. En guise de programme-papier, un livre. Disons début 2022. Énorme succès de librairie. Une manière inédite et même révolutionnaire de prétendre à la fonction suprême. Donald Trump avait gagné grâce à Twitter, Zemmour peut l’emporter par le biais du média télé-internet, conjugué à un puissant ouvrage dans lequel il développerait sa vision pour la France. Après le « ni droite ni gauche » de Macron, le hors-sentiers battus, hors-parti, hors-politique politicienne d’un penseur indépendant. Le pied-de-nez monumental à l’ensemble de la classe politique. Un bras d’honneur adressé au jeu des alliances d’arrière-boutique, d’appartenance à tel ou tel clan. Perçu comme neuf par l’électorat. Providentiel. Ni ex-ministre, ni futur calculateur, Zemmour est encore moins issu d’on ne sait quel sérail. Et pour l’estocade finale à ceux qui doutaient encore: Emmanuel Macron pourrait être désintégré lors du débat du deuxième tour [Un article récent de Valeurs actuelles prétend démontrer qu’Eric Zemmour gagne tous ses débats NDLR].

Marine Le Pen en travers de sa route

À ce scénario idyllique s’oppose le nom fatal que tout un chacun a sur le bout de la langue : Marine Le Pen. MLP, trois lettres qui viennent obstruer la route menant vers une possible victoire du héros de « Face à l’info »… Un débat d’entre deux tours face à une chaise vide, la chaise l’emporte. Jolis barreaux, très beau dossier. Alain Duhamel exulte en direct de Conforama. Le meuble nous a sauvé du nazisme. Marine Le Pen, perdante (à coup sûr ?). Peut-être, mais elle est tenace.

A lire aussi: Le numéro de Zemmour sur Cnews est-il parti pour s’user ou durer?

Anaïs Bouton, animatrice de l’émission Zemmour & Naulleau, relance Eric Zemmou sur Paris Première : « Ah vous ne dites pas non alors ? » Non, il ne dira pas non. Oui non plus. Peut-être ne le sait-il pas lui-même. Les Philippot, Onfray, Dupont-Aignan, Ménard, Poisson et consort suivront. Reste le caillou dans la chaussure : le partisan du Rassemblement National partagé entre la chèvre et le chou. Irréductible ou convertible à un autre scénario ? Évaluer cette donnée mystérieuse est la clé de l’énigme. De cette réflexion et ses conclusions pourraient bien dépendre la décision du gaillard.

Destin français

Price: 2,26 €

37 used & new available from

Multiculturalisme britannique: tea for too many

0
La marche des fiertés de Londres, 6 juillet 2019. © Gareth Cattermole/Getty Images/AFP

Vus de France, les Britanniques paraissent incarner le multiculturalisme assumé, pour le meilleur et pour le pire. Outre-Manche, cette doctrine, qui n’a jamais joui d’un statut officiel, est contestée mais largement pratiquée localement. Cependant, il n’y a pas consensus sur une identité nationale partagée par tous.


« Londres n’est plus vraiment une ville anglaise. » Ce propos hautement coupable n’émane pas de quelque xénophobe militant, mais de l’acteur et scénariste comique John Cleese, ancien membre des Monty Python, qui d’habitude affiche des opinions très libérales. Pourtant, son intervention à la télévision australienne en 2011 a provoqué un esclandre. Pure coïncidence, c’est en 2011 que le dernier recensement officiel, qui permet le recueil de statistiques ethniques, a révélé que seuls 44 % des Londoniens s’identifiaient comme « Blancs britanniques ». En 1971, le chiffre aurait été de 86 %. Certes, l’appartenance ethnique ne détermine pas nécessairement l’appartenance culturelle et Cleese s’est défendu contre les inévitables accusations de racisme en prétendant qu’il parlait en termes culturels, exprimant une nostalgie pour un mode de vie aujourd’hui balayé par la mondialisation. Mais cette défense a été disqualifiée, au nom des bienfaits indiscutables de la diversité en 2011 par le maire conservateur de Londres, Boris Johnson, et en 2019 par une déclaration véhémente de son successeur, le travailliste Sadiq Khan. Le multiculturel est d’emblée supérieur au monoculturel.

À lire aussi, Frédéric Ferney: Un affreux «Bojo»

Le hasard ou la nécessité ?

Le discours de la diversité et de l’inclusion a pris la relève de l’apologie du multiculturalisme qui survit aujourd’hui sous ces synonymes. Le terme, mais non pas l’idée, est tombé en disgrâce outre-Manche suite aux critiques acharnées dont la doctrine a fait l’objet tout au long des années 2000. Ces condamnations, venant tant de la gauche que de la droite, provoquées par des émeutes dans le nord de l’Angleterre et les attentats terroristes, ont culminé en 2011 quand le Premier ministre conservateur, David Cameron, a déclaré que le multiculturalisme était un échec. Pourtant, le mot « multiculturalisme » est ambigu : une société est-elle multiculturelle quand il y existe une pluralité de cultures en l’absence de toute stratégie publique efficace ? Ou quand la coexistence plus ou moins harmonieuse de différentes communautés a été savamment orchestrée par les autorités ? Dans la mesure où le Londres de notre époque, comme le Royaume-Uni, est multiculturel, est-ce le fruit des circonstances ou d’un calcul politique ? Dans le débat en France, le Royaume-Uni est présenté comme le parangon du multiculturalisme – et la preuve que l’approche de l’État français est mauvaise, pour les uns, bonne, pour les autres. Tous ont tort.

Une société poulet tikka masala

Le multiculturalisme, qui est largement la création de théoriciens universitaires, est tout sauf une doctrine simple. S’il désigne une tolérance générale qui encourage les différentes communautés issues de l’immigration à garder leurs caractéristiques propres – habits, cuisine, musique, festivals religieux, voire langue –, il pose la question de l’équilibre entre le pluralisme culturel et un ensemble de valeurs partagées par tous les citoyens. Les différentes manières d’envisager cet équilibre permettent de distinguer deux grandes tendances. La première, fusionniste, envisage la création d’une culture nationale commune, largement constituée d’éléments provenant de la culture « indigène » majoritaire, mais incorporant certains apports des immigrés. Selon la deuxième, souvent qualifiée de séparatiste dans le jargon académique, chaque communauté est libre de s’isoler des autres, tout en participant à une économie commune, aucun statut spécial n’étant réservé à la culture indigène. Le Royaume-Uni a essayé de suivre la première approche sans tomber dans la seconde. Un des symboles de cette nouvelle culture commune est le carnaval de Notting Hill, la fusion d’une tradition venant de Trinité-et-Tobago et d’un festival de rue créé par des hippies blancs dans les années 1960. Un autre est le poulet tikka masala. En 2001, le ministre des Affaires étrangères a déclaré que cette recette, que certains prétendent inventée sur le territoire britannique par un immigré indien, avait évincé le fish and chips comme plat national. Toutefois, plusieurs polémiques ont révélé les limites de cette approche. Certes, il est largement admis que les sikhs roulant à moto soient dispensés du port du casque et que les femmes aient le droit d’arborer le voile intégral en public, en dépit du principe de l’égalité femme-homme. En revanche, la mansuétude de la justice envers les auteurs de crimes d’honneur, ainsi que l’hésitation des politiques et des médias à mettre en exergue l’ethnicité des bandes criminelles organisant l’exploitation sexuelle de mineures dans certaines villes ont suscité la controverse. Cette ligne de faille entre le fusionnisme et le séparatisme a donné lieu à un malaise profond et persistant.

Quand la confiance s’épuise

Toute la politique d’immigration britannique à partir des années 1950 et 1960 est fondée sur un compromis. Tandis que certaines restrictions sont imposées aux afflux en provenance du Commonwealth, en contrepartie, une législation de plus en plus stricte en faveur de l’égalité et contre le racisme vise à protéger les communautés d’immigrés qui se trouvent sur place. Le discours gouvernemental parle haut et fort de cette protection tout en taisant autant que possible sa volonté de limiter les arrivées.

Cependant, le multiculturalisme n’a jamais fait partie de la doctrine officielle de l’État. En revanche, il s’est insinué dans la pratique des municipalités. Les communautés diasporiques se plaignant toujours d’être les victimes de discriminations et de violences, certaines grandes villes comme Londres ou Bradford ont tenté de les compenser en subventionnant abondamment les associations locales. L’effet en a été de renforcer l’identité individuelle de chaque communauté, d’autant que l’accès aux fonds dépendait de l’affirmation d’une identité bien distincte. Au lieu de réduire les barrières, cette politique les a renforcées, non seulement entre Blancs et personnes de couleur, mais aussi entre sikhs et musulmans, Noirs et hindous.

À lire aussi, Ingrid Riocreux: Comment les médias progressistes nous vendent la « rédemption » de Johnson senior

Des études sur l’exploitation commune de puits d’eau apportent un éclairage précieux ici. Dans une région spécifique du Kenya, la multiplicité des groupes ethniques sape la confiance réciproque au point de rendre cette exploitation très difficile. De l’autre côté de la frontière, en Tanzanie, où il y a la même multiplicité, la confiance est forte et l’exploitation plus facile. La raison en est que, à la différence du gouvernement du Kenya, celui de sa voisine a toujours eu comme objectif stratégique la création une identité nationale transcendant les identités ethniques. Actuellement, le Royaume-Uni souffre d’un défaut de confiance réciproque : d’un côté, des tendances culturellement séparatistes s’affirment dans certaines communautés ; de l’autre, l’identité commune censée rassembler tous les citoyens au-delà de leurs différences est l’objet de disputes acharnées dans lesquelles l’existence même d’une identité indigène majoritaire est contestée. Celle-ci ayant été réaffirmée par le vote pour le Brexit en 2016, on ne s’étonnera pas qu’elle ait fait l’objet d’un rejet brutal par le mouvement #BLM cette année. Les Britanniques vont-ils partager le fish and chips, le poulet tikka ou quelque galimafrée amère et indigeste ? La France et l’Angleterre, si longtemps séparées par la cuisine, sont unies par la même incertitude sur le plan identitaire.

Voulez-vous savoir pourquoi Macron hésite à reconfiner? Regardez du côté des Pays-Bas!

0
Emeute anti-confinement à Eindhoven, le 24 janvier 2021 © Teun Voeten/Sipa USA/SIPA Numéro de reportage : SIPAUSA30251552_000035.

Le confinement et la peur de la désobéissance civile


Pendant que la situation est critique en Hollande, en France, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal a testé hier l’idée d’un confinement “très serré” auprès de l’opinion publique. Le mot clé “désobéissance civile” s’est alors envolé sur les réseaux sociaux.

La Hollande brûle. Dans un mélange explosif de détresse, de ressentiment et de complotisme, des milliers d’émeutiers affrontent violemment les forces de l’ordre. Le confinement et le couvre-feu ont soufflé sur des braises qui ne sont pas près de s’éteindre.

A lire aussi, Yves Mamou: Guerre d’Algérie: après le rapport Stora, à quelle «initiative mémorielle» doit-on s’attendre?

Les premières manifestations ont débuté dans la « Bible Belt » la région la plus croyante des Pays-Bas. L’interdiction faite aux temples d’accueillir plus de 30 croyants a été le signal de la révolte.

Je sors de chez moi

Puis des émeutes se sont étendues aux grandes villes, Rotterdam, Eindhoven. Sans masques, bravant le couvre-feu des milliers de manifestants sont descendus dans la rue. Leur slogan ce n’est pas « je reste chez moi, je sauve des vies » mais « je sors de chez moi, je sauve ma vie ».

A lire aussi: Pays-Bas : Thierry Baudet se bat pour sa survie en politique

Ils ont été rejoints par des voyous venus des « quartiers chauds » (c’est comme ça qu’on appelle là-bas les quartiers sensibles). Ils parlent le wesh wesh néerlandais. Et n’ont rien à envier à leurs cousins français. Eux ils sont là juste pour le pillage et la dépouille.

Une guerre civile redoutée

Certains bourgmestres hollandais évoquent « un risque de guerre civile ». Le Covid-19 tue des êtres humains : il en détruit psychiquement beaucoup plus ! Boris Cyrulnik psychiatre unanimement reconnu, voit dans le confinement « une agression psychologique insupportable ».

A lire aussi, Anne-Laure Boch: Vaccinée, enfin!

Il voit juste. Pour le moment la France est – comparée aux Pays-Bas – un pays sage. Il n’est pas certain que cette soumission à l’ordre sanitaire soit éternelle. Macron a pris la mesure de ce danger. S’agissant du confinement, il pèse et sous-pèse le pour et le contre. Le président de la République sait également que dans l’ancienne Egypte on mettait à mort les porteurs de mauvaises nouvelles.

Sanofi doit assumer son échec et se repenser

0
© ALLILI MOURAD/SIPA Numéro de reportage : 01001758_000009

La France doit retrouver sa formidable capacité à innover et son rôle historique de précurseur dans la vaccination, après le terrible échec industriel de Sanofi.


Pour ceux qui continuent de s’étonner de l’existence d’une pandémie mondiale qui déstabilise tous les pays en excusant le nôtre, la France, de ne pas s’y être préparé, il convient de faire quelques rappels simples : ce sont les vaccins qui ont permis de stopper les ravages habituels sur l’humanité. La conséquence c’est que le nombre des humains a augmenté et que les techniques modernes ont augmenté les échanges mondiaux et donc la possibilité d’explosion quasi universelle des maladies transmissibles, contagieuses. Le succès incontestable des sciences médicales et biologiques ont permis de limiter la mortalité et donc d’augmenter la démographie avec comme conséquences des pandémies mondiales possibles, mais aussi une utilisation désordonnée des ressources naturelles conduisant aux atteintes actuelles à l’environnement. 

A lire aussi: Vaccinée, enfin!

En France, comme ailleurs dans le monde entier, on savait donc que les virus rodaient, et en particulier les coronavirus avec leur particularité de muter pour résister à ceux qui les combattent. Les sociétés pharmaceutiques mondiales devenaient de plus en plus grosses (Big Pharma) pour pouvoir financer les dépenses de mise au point de fabrication et de diffusion des médicaments et vaccins, non pas que la recherche en elle-même était très onéreuse, mais parce que les règlementations nationales et internationales demandaient de plus en plus d’essais thérapeutiques avant d’obtenir le droit de commercialiser un nouveau produit. Le gigantisme assumé par les gouvernements des pays développés était donc issu de la précaution et non du désir d’innover. C’est ainsi qu’en France Sanofi a absorbé la plupart des laboratoires nationaux, puis est allé faire ses emplettes à l’étranger, et il en a été de même pour l’ensemble du monde pharmaceutique.

On peut mettre beaucoup d’argent et échouer, l’essentiel est dans l’inventivité, l’innovation, dans la capacité de sortir des sentiers battus, de se remettre en question, tout le contraire du conformisme et de la précaution dans laquelle la société française s’enlise comme certaines de ses entreprises… hélas !

Mais qu’y avait-il de vraiment nouveau dans tout cela depuis les antibiotiques, les vaccins Pasteur-Koch et la découverte de la structure de l’ADN ? Finalement beaucoup d’améliorations mais rien d’essentiel. Les “nouveaux” produits devaient donc démontrer à la fois le plus de leur action et leur non-nocivité après des centaines de millions dépensés pour protéger la population d’effets secondaires désastreux immédiats ou futurs. 

La satisfaction des actionnaires privilégiée

On a donc assisté à une dérive des firmes pharmaceutiques, à l’origine possédées par des hommes de science convertis à la production et à la vente, vers des immenses conglomérats visant les revenus gigantesques de produits phares (blockbusters) pour satisfaire des actionnaires à la fois avisés et avides. On a changé de dirigeants, de stratégies et d’objectifs.

Les pères fondateurs de Sanofi partis (Jean-René Sautier et Jean-François Dehecq), alors qu’ils avaient fini par regrouper la quasi-totalité de la pharmacie nationale, l’entreprise est devenue un géant financier préoccupé essentiellement de la rentabilité pour ses actionnaires. Le virage pris en 2008 et 2010 a conduit à des changements fréquents de dirigeants, à une mondialisation assumée et à une stratégie hésitante. C’est ainsi que dans le domaine des vaccins la vente de la santé animale « Mérial » que Mérieux avait développé à Lyon a démontré une méconnaissance profonde du monde de la vaccination et de la biologie qui s’intéresse au vivant qu’il soit animal ou humain. L’unité vaccins humains restait une référence mondiale, compte tenu de la réputation universelle de Pasteur et Mérieux, mais les nouvelles technologies se développaient en dehors des grandes cathédrales dans les start-ups de « Biotech » qui fleurissaient à travers le monde, mais pas beaucoup en France. Ainsi pour faire brillamment ses travaux de recherche Emmanuelle Charpentier, prix Nobel de Chimie 2020 a dû s’expatrier, de même que beaucoup de chercheurs français. 

Manque d’écoute des communautés scientifiques et des argentiers pour les travaux non conformistes autour de la génétique, frilosité, principe de précaution, anathèmes… et lorsque quelque chose d’intéressant semblait près de l’éclosion, il valait mieux franchir le Rhin ou l’Atlantique ! Sanofi vaccins est donc resté dans sa ligne classique. Les avancées timides vers d’autres horizons n’entamaient jamais les certitudes de la  compétence historique illimitée des méthodes classiques. 

Sanofi doit se relever

L’histoire des vaccins s’est donc déroulée depuis dix ans en dehors d’une volonté nationale forte d’être sur tous les fronts et de rester les meilleurs du monde grâce à une réputation de sérieux mais aussi au soutien de l’innovation, de l’invention, du génie, de l’anticonformisme, qui ont fait la réputation séculaire de la science et de la technique françaises dans tous les domaines. La taille et les moyens financiers de Sanofi lui auraient permis de poursuivre ses travaux sur les vaccins dits sous -unitaires en poussant aussi les adénovirus comme les ARN messagers qui étaient étudiés par d’autres, mais cela n’a pas été le cas. Et pour la première société mondiale de vaccins, après l’abandon du vaccin animal c’est un échec qu’il faut assumer si on souhaite s’en relever. On ne peut pas dire, attendez, on va voir, peut-être mon vaccin a du retard, il sera meilleur, moins cher et plus universel. La pandémie actuelle était une hypothèse sur laquelle le monde entier travaillait, en particulier à Boston depuis plus de dix ans. Le coronavirus précédent avait été un avertissement que tous les scientifiques connaissaient. Si on voulait rester les premiers mondiaux il fallait travailler dans toutes les directions et avec les promoteurs des Biotech dont certains, d’ailleurs, comme Tal Zaks directeur médical de Moderna, étaient issus de Sanofi, comme son Président Stéphane Bancel de l’Institut Mérieux ! Pour éviter le drame actuel économique et social un vaccin était la seule possibilité, un vaccin français imaginé en France et financé chez nous aurait donné une priorité sanitaire au pays. Force est de constater que c’est le désormais ancien Président des Etats-Unis qui a décidé de « mettre le paquet » pour son pays sur les nouvelles technologies de vaccins qui redonnent l’espoir à son pays d’abord, puis à l’ensemble du monde de sortir de cette torpeur mortifère qui finit par anémier les humains et leurs œuvres. 

A lire aussi: Des nouvelles du futur

Pour réussir un industriel doit être là au bon moment avec le bon produit, il est inutile de se chercher des excuses, et faire le retour d’expérience est alors une nécessité si on ne veut pas poursuivre dans la répétition des échecs: le plan de relance de l’économie montre bien l’insuffisance de réflexion sur ce qu’est l’industrie. On peut mettre beaucoup d’argent et échouer, l’essentiel est dans l’inventivité, l’innovation, dans la capacité de sortir des sentiers battus, de se remettre en question, tout le contraire du conformisme et de la précaution dans laquelle la société française s’enlise comme certaines de ses entreprises… hélas !  

Par ailleurs dans cette pandémie où le taux de mortalité reste faible comparé à celui des grands désastres historiques, la perspective de revenir à un fonctionnement social acceptable ne peut venir que d’une vaccination générale et donc d’une entraide de tous les pays et de toutes les entreprises. Aussi, on comprend donc tout à fait que Sanofi se mette à la disposition de Pfizer pour conditionner ses vaccins. Et ils pourraient faire de même pour Moderna ou Astra-Zeneca.