Comment une idéologie qu’il serait défendu de désigner entend prendre le pouvoir par les mots…
L’objectif premier de l’islamo-gauchisme n’est pas du tout d’empêcher que l’on stigmatise les musulmans, mais de le faire croire et de prendre le pouvoir, grâce à l’appui des islamistes et de leur immense capital démographique. Faire croire en mentant, en travestissant la réalité, en créant même des réalités alternatives a toujours été la caractéristique principale des totalitarismes.
Ce que cet esprit totalitaire représenté à la fois par l’islamisme et le gauchisme, unis dans l’espoir d’un combat victorieux et définitif, craint par-dessus tout, ce sont les possibilités d’autonomie de la pensée qui échappent à son contrôle et menacent, si peu que ce soit, son accession à la puissance absolue.
La pensée, instrument par excellence de la liberté
Plutôt que d’exercer une surveillance détaillée, il lui est plus facile de détruire les liens naturels qui rendent cette autonomie possible. Un de ces liens est tout particulièrement visé, celui qui attache les mots à leur sens. Le briser, c’est empêcher, mieux qu’avec la censure, mieux qu’avec les lois les plus liberticides, l’exercice de la pensée, instrument par excellence de la liberté.
Dans ses Cahiers de prison, rédigés entre 1926 et 1937, le théoricien politique italien Antonio Gramsci indiquait que la maîtrise du vocabulaire est nécessaire dans le combat pour l’hégémonie culturelle et politique. Pour renverser la vapeur, toute conquête du pouvoir doit d’abord passer par un long travail idéologique, une lente préparation du terrain au sein de la société civile. Il faut, peu à peu, subvertir les esprits, installer les valeurs que l’on défend dans le domaine public afin de s’assurer d’une hégémonie culturelle avant et dans le but de prendre le pouvoir. La réalité fait place aux mots de l’idéologie qui n’a pas besoin de faire appel à des arguments ou à des relations de faits concrets et d’expériences personnelles.
La laïcité ouverte n’est plus la laïcité
Les mots qui ont construit notre société sont détournés de leur sens originel pour répondre aux besoins de ceux qui veulent conquérir le pouvoir. Ces mots sont détournés de leur sens originel, falsifiés et usurpés.
Les islamo-gauchistes imposent leurs propres définitions et espèrent que peu à peu les significations remplaceront nos mots et ainsi finiront les nouvelles réalités. Il en fut ainsi dans toutes les expérimentations totalitaires auxquels nous avons assisté depuis la Terreur jusqu’au nazisme et aux différents communismes qui à chaque fois ont fabriqué des réalités alternatives et les mots qui devaient les désigner.
Aujourd’hui, qu’est-il arrivé aux mots ? Qu’est-il arrivé aux mots que nous utilisions pour définir le réel ?
Ils parlent de République et de défense des valeurs de la République plutôt que de faire allégeance à la nation française. Ils parlent de laïcité ouverte pour ne pas dire que leur laïcité est une porte grande ouverte à l’invasion idéologique et religieuse. La radicalisation contre laquelle ils prétendent combattre, ce n’est pas l’islam et sa définition politico-religieuse courante. C’est, disent-ils, toute forme de terrorisme ou de suprématisme et c’est ainsi qu’ils évoquent le massacre de Christchurch commis contre des musulmans dans une mosquée, ou le colonialisme qui se prolonge selon eux dans le racisme institutionnel dirigé contre les personnes de couleur ou de religion musulmane. Ils se disent ainsi ennemis de tous les extrémismes de la « tenaille identitaire ». Leur promotion de la diversité et leurs attaques incessantes contre tous les symboles de la suprématie blanche veut cacher le remplacement des peuples, terme qui selon eux porte la marque infamante de l’extrême-droite mais qu’en même temps, de façon contradictoire, ils estiment nécessaire et inévitable.
Ça dépasse la fiction!
Leur antiracisme, c’est la défense et la promotion des « racisés » contre les blancs, l’accueil illimité des migrants et des réfugiés sans discrimination. Cet antiracisme leur fournit la preuve qu’ils sont les seuls à respecter véritablement les droits humains.
C’est cet univers, dans lequel la réalité devient non signifiante, que décrit Orwell, à travers son roman d’anticipation 1984, qui va bien au-delà d’une critique du totalitarisme. La post-vérité s’attaque à l’imaginaire social. Elle fabrique une fiction, qui n’enrichit pas le réel, mais le détruit pour assurer l’hégémonie espérée.
Propos recueillis par Danilo Kovač, géopoliticien et spécialiste des Balkans
L’été dernier, le président du Monténégro Milo Djukanović, dernier dirigeant communiste d’Europe, a perdu les élections législatives. Le communisme est au pouvoir dans ce pays depuis 30 ans. Djukanović est obligé de composer avec un gouvernement de coalition démocrate-chrétien. La semaine dernière, les élections municipales ont été remportés par la même coalition de centre-droit dans la seconde ville du pays, lieu de naissance de Djukanović, offrant une majorité pro-serbe et réformatrice.
Comment évaluez-vous les résultats des élections à Nikšić?
Les élections électorales dans la ville de Nikšić au Monténégro montrent plusieurs évolutions importantes. Dans la ville natale de celui qui a dominé la scène politique monténégrine depuis les années 1990, le président actuel Milo Djukanović, il est très intéressant de voir apparaître une opposition au niveau municipal à ce pouvoir autoritaire. Après les processions religieuses très suivies de l’an dernier, puis la victoire aux élections législatives de l’opposition pro-serbe, on sent que l’alternative est voulue par les citoyens monténégrins au niveau national, comme local.
En second lieu, la coalition désormais à la tête de la municipalité de deux listes pourtant différentes (« Pour l’avenir du Monténégro » menée par Zdravko Krivokapić et « Paix pour notre pays» dirigée par Momo Koprivica); montrent que les Monténégrins ont opté pour une coalition et une politique de compromis. C’est un fait nouveau dans un Monténégro dirigé depuis plus de 30 ans par le DPS (Parti Démocratique socialiste), mais qui peut le rapprocher des usages dans les démocraties occidentales.
Enfin, je pense que ces bons résultats pour un parti de la liste «Pour l’avenir du Monténégro», le Front Démocratique (DF), qui est déjà le parti-pivot au pouvoir au gouvernement central, vont permettre de faire avancer plus aisément les réformes politiques et économiques nécessaires au Monténégro.
Est-ce que les élections ont une signification étendue à tout le Monténégro?
Oui, je pense que la victoire de l’opposition au régime autoritaire de 30 ans de Milo Djukanović ont une importance à l’échelle de tout le pays. En effet, dans la deuxième ville du pays qu’est Nikšić, avec une population de 75 000 habitants, tous les analystes avaient les yeux rivés sur ces résultats. Même si la coalition «Pour l’avenir du Monténégro» (DF/SNP) a obtenu moins de voix qu’envisagé au départ (25,9 % des suffrages), cela lui permet de rentrer comme parti majoritaire à l’assemblée locale. Ce parti pro-serbe pourra à l’échelle locale mieux représenter la population majoritairement serbe de la municipalité, ce qui n’était pas le cas du DPS qui leur tournait le dos. Mais aussi, dans un centre économique, industriel et un carrefour de communication comme Nikšić, ces résultats ont aussi une portée nationale. Ils signifient aussi que, comme à Kotor ou à Budva, des majorités politiques dirigeront pour les prochaines mandatures municipales des régions entières en accord avec le gouvernement national, lui aussi porté par l’idée de la défense des intérêts serbes. A la fois plus respectueux du caractère plurinational du Monténégro (Monténégrins, Serbes, Albanais, Bosniaques et Turcs) et mieux coordonnés avec le gouvernement central (même parti), ils auront à cœur de développer les réformes qui s’imposent au pays.
Les élections à Nikšić ont provoqué une grande attention dans toute la région. Pensez-vous qu’il y a des raisons tangibles pour cela?
J’irai même plus loin, en disant que ces résultats sont en harmonie avec l’idée de la défense des intérêts serbes dans toute la région. En effet, n’oublions pas que Nikšić est à quelques dizaines de km de la Republika Srpska, une des deux entités de la Bosnie-Herzégovine. Un accord entre les peuples serbes des deux côtes de la frontière permettraient à l’économie, aux transports et aux échanges culturels de mieux être en symbiose.
Par ailleurs, ces résultats favorables à la coalition pro-serbe vont permettre au gouvernement de Monsieur Krivokapić de renouer les liens avec la matrice serbe. Les derniers mois du gouvernement DPS avaient été marqués par la volonté de Milo Djukanović de couper les ponts avec la Serbie, de façon parfois brutale; on se souvient de l’arrestation à la frontière serbo-monténégrine, durant la campagne des législatives à l’été 2020, de l’écrivain Matija Bečković. Dans une relation plus apaisée avec la Serbie voisine, le Monténégro va pouvoir renouer avec les Balkans et en quelque sorte se désenclaver, en accélérant notamment le projet autoroutier et ferroviaire Podgorica-Belgrade, les deux capitales.
Plus largement, ces élections municipales et législatives au Monténégro ont offert en l’espace de quelques mois l’occasion historique pour le peuple serbe de dépasser ses divisions internes et, dans un projet national renouvelé, de nouer des alliances avec les partis frères. Je pensai par exemple au parti Srpska d’Igor Simić au Kosovo-Métochie .
Comment considère-t-on en France Milo Djukanovic et son régime? Entend-on parler de la nature criminelle de son régime?
Dans mon dernier livre sur la situation géopolitique Balkans, j’avais intitulé mon chapitre sur le Monténégro «Milo Djukanovic, un aparatchik converti au libéralisme», en disant que né en 1962 à Nikšić, dans le centre du Monténégro, Milo Djukanović offre le profil type d’un ancien cadre communiste reconverti dans le nationalisme. Ancien basketteur, après de brillantes études en économie à l’université de Titograd, il se fait remarquer très vite par son dynamisme, son physique avantageux (1m 94) et ses qualités d’orateur. A 24 ans, il est membre de la présidence des Jeunesses socialistes de Yougoslavie. A 27 ans, il est le plus jeune membre du comité central du Parti Communiste Yougoslave. A 28 ans, il est élu député au Parlement monténégrin, et à 29 ans, en 1991, nommé Premier ministre du Monténégro. Au sein du Parti communiste yougoslave, lors de la reprise en mains du parti par Milošević, il est surnommé Milo Britva – « Milo le couteau » – tant son soutien au président serbe est total. Au cours de la guerre civile de 1992-1995, il encourage ses soldats qui vont aider les Serbes de Bosnie-Herzégovine et de Croatie, notamment lors du siège de Dubrovnik par les réservistes monténégrins. Mais, après 1995 et les accords de Dayton, il sent le vent tourner et abandonne son mentor Slobodan Milosevic pour adopter une attitude de neutralité pro-occidentale : « c’est un homme dépassé », dit de lui Djukanović.
En octobre 1997, il se présente contre son ancien ami Momir Bulatović, pro-serbe, et est élu Président de la République fédérée du Monténégro avec 50,8% de suffrages. Devenu maître du pays, il se tourne vers l’Occident et, lors des bombardements de la Serbie et du Kosovo par l’OTAN en 1999, il ouvre toutes grandes les frontières du Monténégro pour laisser entrer des dizaines de milliers de réfugiés albanais du Kosovo ainsi que des opposants serbes, dont son vieil ami Zoran Djindjić, futur Premier ministre de Serbie (assassiné en 2003). Trois mois plus tard, il propose de transformer la Fédération en une vague communauté de deux entités égales, et vise l’intégration européenne. Mais, homme d’affaires avisé, il est rattrapé en 2000 par ses liens avec la mafia italienne des Pouilles (Sacra Corona Unita), qui œuvre dans le trafic de cigarettes, de voitures et de travailleurs immigrés entre le Monténégro, l’Albanie et les Pouilles . L’enquête du parquet de Bari, en Italie, sur son implication personnelle dans un gigantesque trafic de cigarettes mène à son inculpation en 2000. Pour échapper aux foudres de la justice italienne, il abandonne la présidence de son pays, cédée à Filip Vujanović, pour redevenir Premier ministre en janvier 2003.
Mais l’opinion publique française, et occidentale en général, est très peu au fait de l’actualité dans les Balkans, et notamment des affaires monténégrines. Mes amis et moi avions par des publications et des manifestations alerté le public encore l’an dernier sur le caractère autoritaire de Djukanovic, mais ces événements avaient rencontré peu d’échos dans la presse officielle française. Celle-ci a intérêt à garder secret ce qui se passe actuellement au Monténégro pour plusieurs raisons :
– étant un pays laïc, la France ne peut comprendre l’adhésion à un mouvement religieux. Donc la lutte d’un peuple entier pour défendre ses églises ne peut être comprise dans le pays le plus sécularisé au monde, la France.
– c’est toujours le deux poids deux mesures qui régit les affaires internationales, notamment en ce qui concerne les Balkans. Alors que les médias grand public se font fort de critiquer l’autoritarisme d’un Loukachenko, car la Biélorussie est frontalière avec la Russie, il ne faudrait surtout pas évoquer que le dernier apparatchik communiste des Balkans, Milo Djukanović, a perdu la majorité au Parlement à l’automne dernier, car le Monténégro se trouve dans la sphère occidentale, déjà l’OTAN et bientôt l’UE.
– mais surtout, et notamment pour les leaders d’opinion en France, qui suivent les Balkans depuis trente ans, toute mise en relief d’une information qui viendrait à montrer qu’un de leurs chouchou n’ait plus la majorité, démontrerait que toutes les informations qu’ils ont distillé depuis trente ans était faux. Donc avouer qu’il se sont trompés et tout leur édifice explicatif tomberait comme un château de cartes (comme sur le exactions au Kosovo-Métochie par exemple).
A part les élections à Nikšić, une grande attention a été portée dans les médias locaux à la présence du Premier ministre Krivokapić à l’enterrement de l’Evêque orthodoxe de l’Eparchie Zahum-Herzégovine, Monseigneur Anastasije. De quelle façon vous analysez la stratégie du Premier ministre?
Le premier ministre du Monténégro, Zdravko Krivokapić a été présent le 6 mars aux obsèques de l’Evêque ortodoxe de l’Eparchie Zahum-Herzégovine, Monseigneur Anastasije Jevtić. Bien qu’il ait déclaré que c’était une visite privée, la délégation, avec plusieurs autres ministres du gouvernement monténégrin montre que c’était une visite quasi officielle dans la République serbe de Bosnie, une des deux entités de l’état limitrophe du Monténégro, la Bosnie-Herzégovine. Cet ingénieur de formation était rentré tardivement en politique en 2019, par réaction à la volonté de Milo Djukanović de spolier les biens de l’Eglise orthodoxe serbe du Monténégro. Krivokapić avait participé aux longues processions de l’année 2020 et avait même créé un rassemblement d’intellectuels sous le Collectif «Nous n’abandonnerons pas le Monténégro», s’opposant aux mesures autoritaires et anti-libérales du Président monténégrin.
En se déplaçant à Trebinje, dans la République serbe de Bosnie-Herzégovine, ce chrétien-démocrate a voulu signifier son soutien fervent à l’Eglise orthodoxe serbe, retournant ainsi l’ascenseur. En effet, durant la campagne électorale au Monténégro qui l’a mené à la victoire à l’automne 2020, l’Eglise orthodoxe serbe et le métropolite Amfilohije du Monténégro s’étaient engagés clairement pour Krivokapić. A tel point que le premier geste du nouveau Premier ministre du Monténégro avait été de se rendre à l’Eparchie baiser la main du mitropolite Amfilohije, lequel avait été même consulté pour la nomination des ministres.
Par ce geste, Krivokapić se place ainsi dans la droite ligne de la grande famille démocrate chrétienne européenne. Il veut aussi prendre le contrepied de pratiques népotistes de Milo Djukanović, mettant fin à trente ans de pouvoir du DPS (Parti Démocrate socialiste) marqués par une forte corruption.
Pour le quotidien américain, « les institutions françaises devraient prêter plus d’attention à l’histoire de l’esclavage du pays, au lieu d’honorer une icône de la suprématie blanche ».
Le journal américain qui a la prétention de se considérer comme LE quotidien de référence, est surtout devenu l’organe officiel de l’intolérance des prétendus progressistes de l’idéologie victimaire « woke ».
Sacrés Français!
Ne tirant aucune leçon des démissions l’an passé de son rédacteur en chef de la rubrique d’opinions James Bennet et de sa journaliste vedette Bari Weiss, le petit télégraphiste de la pensée unique qu’est devenu le New York Times ne ménage particulièrement pas ses efforts pour s’attaquer à la France et aux Français, ces « mauvais élèves de l’Empire du Bien » comme l’écrivait Philippe Muray.
Les « éveillés » du New York Times, adeptes des purges par l’effacement et le bannissement (la cancel culture) s’en prennent cette fois dans l’édition du 18 mars à Napoléon Bonaparte qui ne serait pas « un héros à célébrer ».
Aucune nuance ni mise en perspective historique
Ressassant l’argument du rétablissement de l’esclavagisme dans les colonies en 1802 (oubliant au passage le contexte historique de cette décision, les regrets de l’Empereur et l’abolition de la traite négrière pendant les Cent jours en 1815), Napoléon est considéré comme « le plus grand des tyrans, une icône de la suprématie blanche »… Sans aucune nuance ni mise en perspective, l’auteure de la tribune oublie la leçon de Marc Bloch sur le rôle de l’Histoire: comprendre et ne pas juger car « à force de juger, on finit presque fatalement, par perdre jusqu’au goût d’expliquer ».
Pire, elle fantasme l’organisation par l’État français (notamment à l’école) d’une ignorance officielle des sujets qui fâchent concernant Napoléon. C’est bien sûr faux, puisque le rétablissement de l’esclavagisme n’a jamais été nié en France et la polémique vient d’ailleurs et surtout depuis quelques années de certains Français eux-mêmes, adeptes de la repentance et du rejet de tout ce qui symbolise et doit représenter pourtant – en bloc – avec ses lumières et ses ombres, notre histoire nationale.
Les éditorialistes américains sont à l’ouest
Si malheureusement certains Français dénigrent notre passé, comment font-ils pour ne pas être révoltés par les attaques subies par notre pays suite à la décapitation de Samuel Paty devant le collège où il enseignait, après avoir été menacé pour avoir montré les caricatures de Charlie Hebdo dans le cadre d’un cours sur la liberté d’expression ?
L’annonce des mesures contre le séparatisme islamiste par Emmanuel Macron a conduit l’automne dernier à un déchaînement de la presse anglo-saxonne : pour le Financial Times« la guerre de Macron contre le séparatisme islamiste ne fait qu’accroître les divisions en France »; Politico titre sur « la laïcité, dangereuse religion française »; pour le Washington Post: « au lieu de s’attaquer au racisme systémique, la France veut réformer l’Islam »; et enfin le New York Times pose la question « la France alimente-t-elle le terrorisme en essayant de l’éradiquer ? ».
Pour cette presse, c’est donc un peu notre faute si nous sommes visés par des attaques terroristes et si un professeur d’Histoire se fait décapiter… Ce qui fait dire au président français dans sa réponse au New York Times: « quand je vois, dans ce contexte, de nombreux journaux qui je pense viennent de pays qui partagent nos valeurs, qui écrivent dans un pays qui est l’enfant naturel des Lumières et de la Révolution française, et qui légitiment ces violences, qui disent que le cœur du problème, c’est que la France est raciste et islamophobe, je dis : les fondamentaux sont perdus ».
Mais que peut-on espérer d’une presse libérale américaine qui n’est plus du tout « Charlie »? Le New York Times a d’ailleurs décidé fort peu courageusement il y a quelques années de supprimer toutes les caricatures dessinées de ses pages pour éviter de froisser les sensibilités…
Il est peut-être temps de déboulonner la statue du New York Times ?
Ce troisième non confinement montre encore à quel point, derrière la glorification de l’école qui reste ouverte, on méprise les profs.
Jamais en retard d’une attaque contre ses propres personnels pour complaire à l’opinion, le ministre Blanquer avait osé parler au mois de juin 2020, lors de la réouverture des écoles, de « profs décrocheurs » qui auraient profité du confinement pour se mettre aux abonnés absents. La baudruche s’est vite dégonflée devant les faits. Les profs, dans leur immense majorité, avaient fait ce qu’ils avaient pu et même avaient rivalisé d’ingéniosité pour pouvoir assurer avec les moyens du bord, c’est-à-dire les moyens dont ils disposaient chez eux, pour pallier l’imprévoyance et l’incompétence des décideurs de l’Éducation Nationale en matière d’enseignement à distance. Le ministère était trop occupé, sans doute, à créer des syndicats lycéens bidon et à trouver quelques élèves aisément manipulables ou ambitieux pour célébrer le génie de la réforme du baccalauréat qui est en fait l’aboutissement d’un long processus de dévalorisation de ce diplôme. La particularité de Blanquer, c’est de considérer le prof comme un ennemi personnel. On imagine un ministre de l’Intérieur s’amusant à ce petit jeu démagogique avec ses policiers. Ou plutôt ne l’imaginons pas, Castaner a tenté la chose en parlant de violences policières et ça lui a couté son poste. Peut-être les profs devraient-ils être armés et venir au lycée en voiture à gyrophare, ils auraient une petite chance d’être écoutés.
Rare hypocrisie
Aujourd’hui, Blanquer qui n’a peur de rien, se gargarise avec toute la macronie d’avoir laissé les écoles ouvertes. Qui connaît des profs ou des chefs d’établissements dans son entourage sait qu’ils sont informés des nouveaux protocoles sanitaires, en général inapplicables, par la presse, le vendredi soir pour le lundi. Ce mépris tranquille pour les personnels se double d’un discours d’une rare hypocrisie. Laisser les écoles ouvertes est un impératif éducatif, là nous sommes tous d’accord, et aussi un impératif social. Ne pas laisser se creuser les inégalités, ne pas perdre les élèves les plus fragiles dans la nature. Mais on ne dit pas que les suppressions de postes prévues sont toujours au programme malgré l’épidémie, que les projets de démantèlement de l’éducation prioritaire sont toujours dans les tuyaux et il est difficile de garder son calme devant un tel aplomb.
Si Blanquer, dans des conditions sanitaires dangereuses, peut laisser les écoles ouvertes, c’est tout simplement grâce au courage quotidien des profs. Rien de ce qui aurait pu être fait, depuis un an, ne l’a été. Les fameuses opérations de dépistage salivaire massif sont restées de la com et les remontées exactes des chiffres de contamination à l’école sont extrêmement difficiles, voire impossibles, à obtenir. Pour une raison simple : l’école coche toutes les cases des clusters potentiels. On y est nombreux dans des pièces trop petites presque impossibles à aérer, on se brasse dans les couloirs comme dans une rue commerçante un jour de soldes, on y mange dans des cantines où il y a autant de place que dans une brasserie parisienne, à l’époque où elles étaient ouvertes.
Halte garderie!
Dans une troisième vague féroce que le gouvernement, après avoir joué au matamore depuis janvier, tente d’endiguer avec un « confinement dehors », la seule mesure effective est la généralisation de la « demi-jauge » dans les lycées. Cela est mieux que rien. Mais pourquoi pas au collège, qui présente à peu près les mêmes problèmes ? Je vous le donne en mille, c’est qu’un collégien de sixième, c’est plus compliqué de le laisser se garder tout seul.
Bref, derrière la gloriole de l’école ouverte coûte que coûte, se profile l’idée qu’elle n’est pas là pour transmettre quoi que ce soit mais pour servir de garderie au pire et au mieux pour offrir le meilleur service possible à des parents dont un bon nombre réagissent comme des consommateurs. Dans Loué soient nos seigneurs, Régis Debray remarquait avec justesse que ce n’était pas à l’école de s’adapter à la société, mais le contraire. Ou bien l’on estime que c’est là que tout se joue, où on estime qu’elle est un service public comme un autre.
On pourrait demander leur avis aux profs. Le problème, c’est que les profs contrairement aux médecins, aux restaurateurs, aux policiers, aux gérants de station de ski, on ne les voit jamais sur les plateaux de chaînes infos.
Après avoir contribué à l’élection de Barack Obama et après son interview scandaleuse du Prince Harry et de sa femme Meghan, les spéculations sur les nouvelles ambitions de la star de la télévision américaine Oprah Winfrey vont bon train.
Elle a été sacrée « Reine des médias » au siècle dernier. Elle a dominé les classements des femmes les plus puissantes établis par les publications périodiques les plus prestigieuses de l’Amérique comme Time, USA Today ou Forbes. Elle est devenue l’Afro-américaine la plus riche du 20me siècle, et l’une des femmes « self-made » les plus riches de la planète tout court. Elle a raflé toutes les récompenses possibles et imaginables dans l’industrie télévisuelle, et au-delà. Depuis trente ans déjà, Oprah Winfrey écrit l’histoire de son pays. Mais ce cadre commençait peut-être à lui paraitre trop restreint…
En tout cas, son récent entretien-choc avec Meghan et Harry donne toutes les raisons de penser que la célèbre journaliste n’était pas là uniquement pour poser ces questions dont elle a le secret. Rappelons qu’Oprah Winfrey a été la personne qui a joué un rôle décisif dans l’élection du premier président noir de son pays.
Oprah derrière la victoire d’Obama
La page Wikipédia « L’approbation de Barack Obama par Oprah Winfrey » retrace, étape par étape l’évolution du statut du candidat Obama aux primaires du parti démocrate en 2007-2008, en fonction de l’engagement de la présentatrice du « Oprah Winfrey show » à ses côtés. Donné largement perdant face à la championne démocrate Hillary Clinton, le jeune universitaire de l’Illinois voit son incroyable médiatisation faire basculer les votes des femmes et des noirs en sa faveur. La fée Oprah est passée par là. Elle lève plusieurs millions de dollars pour sa campagne et prononce des discours incroyables d’éloquence lors de ses meetings électoraux. En Caroline du Sud, elle ose: « Dr (Martin Luter) King a parlé de rêve. Maintenant nous devons voter pour transformer ce rêve en réalité…». Qui peut résister à un tel appel, venant de la femme à qui se sont confessées les personnalités les plus puissantes du globe ?
Oprah Winfrey, née d’une fille-mère très jeune vivant dans une extrême pauvreté, molestée à maintes reprises pendant son enfance – comme hélas beaucoup d’enfants dans ce milieu – est la parfaite illustration que l’Amérique de la deuxième partie de XXème siècle, aujourd’hui décriée par le mouvement Black Lives matter, a permis à une femme noire de faire carrière et d’atteindre les sommets. Grace à son immense talent, grâce aussi aux gens qui ont cru en elle, bien évidemment.
What?
Le récent entretien de Meghan et Harry, vu par des dizaines de millions de personnes sur tous les continents est le nouveau chef-d’œuvre politico-médiatique de ce soft power nommé Oprah. Et cette fois l’insatiable « Reine des medias » a voulu se mesurer à une autre reine, une vraie et jusque-là intouchable, Elizabeth II d’Angleterre.
Le prince Harry, à qui les observateurs ne louent pas une grande finesse d’esprit, a fait un très curieux choix, une fois sa décision de quitter le cercle royal prise avec Meghan Markle. À peine traversé l’Atlantique, il signe en 2019 un accord avec Oprah Winfrey sur la co-production de séries sur la santé mentale pour Apple TV. Avec la journaliste-milliardaire comme alliée, le cadet de Diana et de Charles se dote d’une nouvelle arme médiatique redoutable. Reste à lui trouver un bon usage…
Le rendez-vous du jeune couple avec la vedette de la télé américaine sur CBS le 7 mars pourrait se résumer à un moment culminant, àun seul mot: « What ? », prononcé par celle qui a été nomée deux fois aux Oscars (car Oprah est également actrice, philanthrope et écrivaine, si vous l’ignoriez…). Ce « What ?», accompagné d’un regard horrifié digne d’un Hitchcock raté, est soigneusement préparé et utilisé très habilement dans les bandes-annonces de l’émission et durant l’interview avant chaque pause publicitaire. Ce « What ? » est prononcé par la journaliste en réaction au récit de Meghan sur la prétendue discussion « indécente » au sein de la famille royale au sujet de la couleur de peau de son fils Archie…
Le reste de l’entretien de trois heures n’était que de l’écume, pour faire de cette séquence un nouveau marqueur de la lutte progressiste. Une lutte bien décidée à ne reculer devant aucun obstacle, y compris la couronne britannique.
Et bien que quelques jours plus tard Elizabeth II ait publié un communiqué apaisant répondant à ce point bien précis de la conversation, ce nouveau « jeu de la dame » initié par la reine des médias ne fait probablement que commencer.
Achille Webo, l’entraîneur-adjoint par qui le scandale est arrivé, continue de dire que l’arbitre aurait dû désigner le joueur noir de l’équipe comme « le troisième gars en partant de la gauche ou le gars au bout de la rangée » plutot que de dire « negru » (noir en roumain)…
Les insultes sont le reflet d’une époque. Dans les années 1990, la pire insulte qu’on pouvait recevoir était « fils de p… ». Désormais, l’insulte suprême est d’être traité de raciste. On l’a vu avec l’accusation portée contre la famille royale britannique il y a quelques jours. On l’avait déjà vu avec l’accusation portée contre deux arbitres roumains lors du match de football PSG-Basaksehir Istanbul en décembre.
Souvenez-vous : pour la première fois de l’histoire du football, les joueurs avaient arrêté le match pour dénoncer le racisme présumé des arbitres. L’événement avait fait le tour du monde. Le lendemain, tous les joueurs portaient un tee-shirt « No to racism » et mettaient un genou à terre.
Francois Mori/AP/SIPA AP22520599_000003
Voir du racisme là où il n’y en a pas
Le seul hic dans cette si belle histoire est… que les arbitres en question n’avaient pas fait preuve d’une once de racisme ! Je l’avais déjà souligné à l’époque[tooltips content= »https://www.causeur.fr/psg-racisme-foot-188407″](1)[/tooltips]. Aujourd’hui, c’est le rapport officiel de l’UEFA (l’Union européenne des associations de football) qui le reconnaît.
Curieusement, les chantres de la repentance sont les premiers à s’abstenir de toute repentance
Un quiproquo linguistique fut tout simplement monté en épingle. L’arbitre assistant avait conseillé à l’arbitre central d’expulser l’entraîneur-adjoint de l’équipe turque. Cet homme, Camerounais, était le seul noir de l’équipe technique d’Istanbul. Dans la précipitation et la confusion, l’arbitre assistant l’avait pointé du doigt en précisant « le noir » à l’arbitre central afin que ce dernier sache à qui attribuer un carton rouge parmi les personnes présentes, masquées et portant toutes l’uniforme de leur club. Or il se trouve que « le noir » se dit « ala negru » en roumain. L’expulsé avait cru entendre « negro » et c’est ainsi que l’accusation de racisme partit, malgré les dénégations du désigné coupable. L’affaire aurait pu être dégonflée en quelques secondes et le match reprendre. Mais pour cela, il eût fallu un peu plus de sang-froid et un peu moins d’idéologie.
Tu seras coupable
Puisque l’accusation de racisme était infondée, j’imaginais que l’UEFA présenterait ses excuses aux arbitres et leur payerait un psy pour se remettre d’avoir été cloué au pilori en mondovision, victimes collatérales de la guerre contre le racisme. Mais je suis encore un doux rêveur ! Les deux hommes ont tout de même été sanctionnés !
A croire que les belles âmes n’aiment pas perdre la face. Après un tel ramdam, l’UEFA s’est visiblement sentie obligée de leur trouver une paille dans leur œil pour mieux éviter de voir la poutre dans le sien.
En sus de leur sanction sportive, les deux arbitres devront suivre un « programme pédagogique ». Interrogée par le journal L’Equipe sur le contenu de ce programme, l’UEFA répond que les détails « n’ont pas encore été définis » mais que ses « services de l’arbitrage y travaillent »[tooltips content= »https://www.lequipe.fr/Football/Article/Ce-que-dit-le-rapport-de-l-uefa-sur-les-incidents-avec-le-4e-arbitre-lors-de-psg-basaksehir/1234398″](2)[/tooltips]. Ca sent bon le programme de rééducation ! Personnellement, je propose qu’on les envoie se former en Chine dans un camp de rééducation pour Ouïghours ! Je propose aussi d’envoyer tous ceux qui ont crié au racisme chez un opticien pour cesser de voir du racisme partout.
Et, puisqu’on est dans les chimères, je rêve que les joueurs de foot ne portent plus de tee-shirts « No to racism » mais « No to nonsense » ou « No to hypocrisy ».
Vous avez aimé la cancel culture? Vous allez adorer la color cancel!
Quand on parle sa langue natale, il faut désormais se demander si nos mots ne risquent pas de choquer d’autres êtres humains parlant une autre langue. Quand on voyage en Ouzbékistan, par exemple, il faut se demander si un mot français qu’on échange avec un compatriote ne ressemble pas de près ou de loin à un mot ouzbek qui pourrait choquer un Ouzbek l’entendant à la volée.
Dans cette lignée, l’UEFA indique son intention d’intégrer une « sensibilisation au langage » dans la formation des arbitres : « Un officiel de l’UEFA doit avoir la présence d’esprit de réaliser que certains termes peuvent être mal compris. »
Pourtant, l’expert en linguistique roumaine cité dans le rapport souligne que le mot « noir » « était loin d’être une insulte ou une agression. Dans la langue parlée et le vocabulaire roumain, ce mot n’a pas de connotation négative. » Alors qu’il en existe d’autres qui, eux, désignent une personne noire de manière méprisante ou offensante. C’est donc le mot « noir » qui est problématique. L’UEFA appelle désormais à éviter ce mot sensible. Dans ce cas, autant donc dissoudre des associations comme le CRAN qui utilisent cette couleur interdite !
Errare humanum est, perseverare diabolicum
Il arrive à tout le monde de faire des erreurs, mais il est diabolique de persévérer dans celles-ci. On aurait donc aimé que les médias, après les avoir traînés dans la boue, reconnaissent au moins leur erreur et présentent des excuses aux arbitres accusés à tort. La moindre des choses aurait aussi été que les acteurs du football et les hérauts de l’antiracisme fassent de même. Mais, pour cela, il faudrait faire preuve d’un minimum d’humilité et d’honnêteté, qualités qui ne sont pas les choses du monde les mieux partagées. Curieusement, les chantres de la repentance sont les premiers à s’abstenir de toute repentance!
Achille Webó, l’entraîneur-adjoint par qui le scandale est arrivé, indique très sérieusement que l’arbitre aurait dû le désigner comme « le troisième gars en partant de la gauche ou le gars au bout de la rangée ». Il est vrai que c’est tout à fait le genre de phrases que l’on entend sur un terrain de foot dans le feu de l’action ! Et il persiste à considérer « raciste et discriminatoire » le langage des arbitres. Et il n’est pas le seul.
Un phénomène sectaire
Cette obsession à voir du racisme là où il n’y en a pas fait écho à la dissonance cognitive[tooltips content= »Festinger L., A Theory of Cognitive Dissonance, Stanford University Press, 1957. »](3)[/tooltips]. L’être humain a du mal à admettre ses erreurs, si bien qu’il préfère déformer la réalité plutôt que prendre conscience qu’il s’est trompé. Un exemple célèbre est celui d’adeptes d’une secte qui croyaient en la destruction de la Terre par un ovni. Puisque cette prophétie ne s’est pas réalisée (sinon vous ne seriez pas en train de lire ces lignes !), on aurait pu s’attendre à ce qu’ils prennent conscience qu’ils avaient été manipulés depuis des mois.
Mais ils ont préféré interpréter la non-réalisation de la prophétie comme une seconde chance accordée par les extraterrestres à notre chère planète. C’est ainsi que leurs croyances ont repris de plus belle[tooltips content= »Festinger L. et al., When Prophecy Fails, University of Minnesota Press, 1956. »](4)[/tooltips]. Bien des hérauts de l’antiracisme fonctionnent de même. Il est plus facile de s’en prendre à un arbitre venant d’un « petit » pays plutôt que d’affronter les supporteurs ou les joueurs qui commettent des actes délictueux (insultes, cris de singes…). Selon que vous serez puissant ou misérable, vous serez racistes ou pas.
Figure de la nouvelle génération d’intellectuels au Québec, Alexandre Poulin[tooltips content= »Un désir d’achèvement: Réflexions d’un héritier politique, Editions du Boréal, 2020″](1)[/tooltips] analyse pour Causeur les effets de la crise sanitaire sur la société québécoise.
Au Québec, un « nationalisme sanitaire » hostile à la critique
Causeur. Vous faites partie des quelques observateurs à constater que la crise sanitaire aura révélé des travers peu reluisants de la « mentalité québécoise ». Quels sont ces principaux travers?
Alexandre Poulin. L’exclusion des vieillards, le corporatisme, le refus de l’autocritique, entre autres. Ces travers ne sont pas tous propres à la société québécoise. En effet, si certains d’entre eux sont partagés par la plupart des sociétés occidentales, le problème consiste en ceci qu’il y a un décalage entre le discours que la société québécoise tient sur elle-même et les données concrètes de la réalité. On a toujours dit que le Québec est une société « tricotée serré », c’est-à-dire unie et solidaire, une sorte de longue histoire de famille. Pourtant, le Québec parque ses personnes âgées dans des centres d’hébergement et de soins de longue durée – là où le virus fut le plus meurtrier – trois fois plus que le reste du Canada; environ le tiers de ces résidents, avant la pandémie, n’étaient visités qu’entre 0 et 3 heures par mois.
Alexandre Poulin
Le mythe de la solidarité en a aussi pris pour son grade. Aux heures les plus dures de la pandémie, quelque 5500 travailleurs du réseau de la santé se sont absentés par crainte d’être contaminés à la Covid-19, ce qui a incité l’exécutif à leur offrir d’importantes primes salariales. Québec a même demandé à Ottawa, la capitale fédérale, d’envoyer des soldats des Forces armées canadiennes – souvent mal perçues en raison de l’histoire du colonialisme britannique – afin de pallier l’absentéisme du personnel du réseau de la santé. Enfin, il fut très difficile de contester publiquement les décisions du gouvernement québécois, qui n’assume ses torts que du bout des lèvres; de même les médias ont-ils été complaisants vis-à-vis des autorités, en dépit des erreurs considérables que ces dernières ont commises. Les Québécois refusent sans doute de prendre l’exacte mesure de ce qui s’est passé pour ne pas abîmer l’image qu’ils se font d’eux-mêmes.
Dans votre récent ouvrage Un désir d’achèvement(Éditions du Boréal), vous écrivez entre autres que le Québec est traversé par une sorte de messianisme que vous associez à la psychologie des petites nations. Ce trait identitaire s’est-il manifesté à travers le déploiement des mesures sanitaires?
Toute collectivité dont l’existence n’est pas assurée – au contraire de celle la France – tend à se draper dans un discours vertueux, embelli, susceptible d’atteindre une forme d’enflure verbale selon sa situation politique et économique. C’est le cas du Québec, dont le messianisme a pris différentes formes à travers son histoire – catholique d’abord, ensuite écologique. De quelque forme qu’il soit, ce messianisme consiste en la formulation d’un discours mélioratif sur le sort de la nation et en un processus de compensation qui cherche à camoufler des faiblesses collectives. La pandémie de Covid-19 au Québec a réactivé une forme de surévaluation. Au début de la première vague, les Québécois se sont rassemblés, comme d’autres peuples, sous les couleurs de l’arc-en-ciel et le slogan « Ça va bien aller ». Ce slogan, qui a d’abord été utilisé en Italie (andrà tutto bene), a été particulièrement en vogue au Québec pendant les tout débuts.
Les Québécois n’avaient pas l’habitude que leur chef de gouvernement s’adresse directement à eux dans des allocutions télévisées, ce qui fut le cas jour après jour. Les conférences de presses quotidiennes, animées par le Premier ministre, le ministre de la Santé et des Services sociaux et le directeur national de santé publique, se tenaient en après-midi. D’aucuns ont parlé de l’Angélus de 13h pour les désigner. Il ne faut pas oublier que ce peuple, avant la Révolution tranquille (1960-1980) qui a modernisé et sécularisé le Québec, a figuré parmi les peuples les plus catholiques du monde.
Quoi qu’il en soit, les Québécois ont eu le sentiment d’être en famille, en sécurité, loin des images effrayantes en provenance d’Europe. Cette mise sur pause de l’économie s’est apparentée à des retrouvailles nationales. Le premier ministre du Québec, François Legault, a tenté de motiver ses concitoyens en invoquant l’Histoire, qui n’a jamais été bien clémente au pays de l’érable. « Les Québécois forment une armée de huit millions et demi pour combattre le virus, a-t-il dit le 25 mars 2020. Nous sommes en train de livrer la plus grande bataille collective de notre vie. Dans 50 ans, nos enfants raconteront comment le peuple québécois était uni et comment, ensemble, on a gagné la bataille de notre vie! »
Le bilan québécois est le pire de la fédération
Or, même si le poète Gaston Miron écrivait autrefois que nous croyions être immunisés contre « ces choses ailleurs qui n’arrivent qu’aux autres », la chute fut brutale. Vers la fin du mois d’avril 2020, la situation est devenue hors de contrôle dans les centres d’hébergement de soins de longue durée, où sont logés une partie des vieillards. Plus de 4000 morts y sont survenues très rapidement, devant la sidération et l’impéritie de l’État, alors que la province compte aujourd’hui plus de 10 500 décès. Le bilan québécois de la pandémie est le pire de la fédération : celui-ci compte la moitié des décès survenus au Canada, tandis qu’il ne représente que 23% de la population canadienne.
Malgré tout, le gouvernement formé par la Coalition Avenir Québec (centre droit) ne fait pas montre d’une grande humilité. Avant d’être retiré en raison des critiques qu’il a suscitées, un texte intitulé « Est-ce qu’une autre équipe aurait pu faire mieux ? » a été publié dans le site Internet du parti de la majorité. Durant la première vague, de surcroît, plusieurs s’étaient enorgueillis de ce que les données de Google avaient révélé que le Québec fut l’État nord-américain où la consigne de rester chez soi a été la mieux suivie. En l’occurrence, j’hésite à parler de messianisme, mais j’y vois certainement la manifestation d’un nationalisme sanitaire.
Plusieurs de mes amis français se reconnaissent spontanément dans les critiques que j’émets à propos des excès sanitaires au Québec. Dans ce domaine, la Belle Province est-elle vraiment différente des autres sociétés occidentales ?
Toutes les sociétés occidentales ont paru mal préparées pour braver la tempête contagieuse nommée « coronavirus ». La plupart d’entre elles ont réagi de la même façon : état d’urgence sanitaire, confinement, fermeture de larges pans de l’économie, voire l’instauration d’un couvre-feu.
Le Québec a adopté des mesures strictes, comparables à celles d’autres États occidentaux, mais les taux de satisfaction y sont très élevés. Un sondage d’avril 2020 révélait que 95% des Québécois étaient satisfaits des mesures choisies par le gouvernement Legault, et celui-ci a obtenu la plus grande satisfaction des gouvernements provinciaux au Canada. Les taux de satisfaction sont encore très hauts un an plus tard. Ce qui étonne encore davantage, c’est que le Québec est le seul État en Amérique du Nord à avoir imposé un couvre-feu intégral, lequel est en vigueur depuis le 9 janvier dernier selon des modalités qui ont varié.
Une piste est à explorer. Il se pourrait que la société québécoise, en raison de son vieillissement fulgurant – la plus vieille en Occident avec le Japon –, ait un goût accru pour la sécurité. La vice-première ministre, Geneviève Guilbault, a même demandé aux citoyens d’être « dociles ». La politique sanitaire du Québec est le prolongement de son inaction politique en tant que communauté nationale de langue française, qui est minoritaire à l’échelle du continent, en ce que le Québec apparaît de plus en plus comme une société contre le risque. Aussi cette société tend-elle à faire beaucoup plus confiance à son État que ne le fait la société française. Bien qu’il soit incomplet, l’État, ici, c’est nous, notre outil de survie culturelle. En conséquence, nous oublions qu’il est aussi « une chose froide qui ne peut être aimée » (Simone Weil).
L’abandon des chiffres romains dans certains musées est la dernière illustration du désastre égalitariste. Or les chiffres romains témoignent de notre enracinement et de notre dette. Ils disent ce que nous sommes.
On pouvait le voir venir depuis quelque temps déjà : les chiffres romains, entre autres vieilleries, n’en avaient plus pour longtemps. Il suffisait d’entendre lire à voix haute, en classe, les élèves d’aujourd’hui: plusieurs parmi eux butent sur l’antique graphie des chiffres, hésitent, en viennent parfois à proférer des énormités, aussi incongrues et comiques que dramatiques dans ce qu’elles révèlent d’ignorance. On n’est pas loin du sketch des Inconnus dans lequel les humoristes mettaient dans la bouche d’élèves parfaitement incultes un laborieux « Louis Croix Vé Bâton »…
Caricature gratuite ou prémonition ? Un échantillon de choses vues, et surtout entendues, dans la vraie vie : « Charles Vé » pour Charles V, ou encore (si j’utilise une transcription peu conforme à l’alphabet phonétique mais dont Queneau était adepte) « Paille iks » pour Pie X. Le temps scolaire des humanités n’est plus, les références ont changé: ce pauvre pape se trouve réduit dans la profération de son nom à un dessert aux pommes et au combat politique d’un certain Malcolm… – Coca-Cola a détrôné Caligula. L’écrit ne vaut pas mieux: une copie de bac mémorable évoque le Papino 103, sans doute un vieil Italien qui roule en Peugeot, en lieu et place du nom, romain jusque dans les chiffres, du pape Innocent III ! Récemment j’ai trouvé des Henri 4 et des Louis 14 sous la plume des élèves, que j’ai gratifiés d’un gros point d’exclamation censé exprimer la surprise et la désapprobation.
La société s’adapte à l’ignorance
Ce que je découvre, c’est que maintenant la société leur donne raison, et que je vais devoir me balader avec mon stylo rouge dans les musées parisiens, en tout cas ceux qui pratiquent la suppression des chiffres romains sur certains affichages: depuis quatre ans le Louvre, tout en conservant le nom traditionnel des rois et des reines, écrit les siècles en chiffres arabes, et le musée Carnavalet vient de prendre la décision d’appliquer cette mesure aux monarques eux-mêmes. Louis XIV devient donc, par la grâce de l’effaceuse modernité, Louis 14 : avouons qu’il perd dans l’opération pas mal de sa superbe et que le siècle qu’on dit grand n’a plus tout à fait la même allure! Comme dit Léo Ferré, « ça t’a une de ces gueules »… Oui, le XVIIème siècle et Louis XIV perdent de leur éclat et de leur solennité en devenant le 17ème et Louis 14. Les chiffres romains, on a beau dire, c’est peut-être intimidant mais ça force le respect.
Un surmoi bourdieusien est à la manœuvre chez ces démolisseurs…
Tout cela pourrait paraître anecdotique, mais dit en réalité beaucoup de ce que nous devenons : si l’on reprend les mots de la personne en charge du service des publics au musée Carnavalet, Noémie Giard, il s’agit de viser un principe « d’accessibilité universelle » afin de n’exclure aucun visiteur, y compris les étrangers ou les gens « en situation de handicap psychique ». Je ne sais pas trop ce que ce dernier élément, aux contours assez flous, vient faire là-dedans, mais bon. Si on traduit la chose, cela signifie que tout le monde doit pouvoir comprendre ce qui est écrit sur les cartels.
Profond mépris
Une telle préoccupation peut paraître louable et généreuse, mais comme toujours cet humanisme de pacotille révèle un profond mépris: sans le dire, cette simplification vise en réalité plus spécialement les « nouveaux publics », ceux qu’on cherche à attirer dans les musées, à savoir les jeunes générations et les classes populaires. Et que croit-on dans les milieux éclairés? Que ces publics viendront au musée si on se met à leur portée, si on parle la langue qu’ils peuvent comprendre. Ils ne viendront pas plus. Et surtout, plutôt que de les estimer capables d’apprendre quelque chose qu’ils ne connaissent pas ou qu’ils connaissent mal, capables de se familiariser avec cette graphie des temps anciens, on choisit de supprimer la difficulté, toute relative au demeurant – on n’est pas non plus devant la pierre de Rosette: nul besoin d’un Champollion pour décrypter les chiffres romains! Si on se met à supprimer tout ce que les gens sont susceptibles de ne pas comprendre, autant décrocher tout de suite, parce qu’elles sont pleines de références bibliques et historiques, les collections de peintures sur les murs des musées.
En somme, on craint de faire se sentir mal à l’aise quelqu’un qui ne sait pas, on a peur de discriminer l’inculte, de stigmatiser l’ignorant. C’est l’esprit du temps. Celui-là même qui a présidé à la destruction de l’enseignement de la langue française: on a jugé discriminante la maîtrise de l’orthographe et de la grammaire et on a fait en sorte – avec un succès certain – de ne plus permettre à aucun élève d’y accéder. Quand plus personne ne sait, les complexes disparaissent: l’ignorance est très égalitaire. Le nivellement par le bas est l’autre nom de « l’accessibilité universelle » dans la doxa qui se dit progressiste. Ceux qui ont réchappé de ce travail de sape à l’école sont des miraculés.
Surmoi bourdieusien
La même démarche démagogique amène plusieurs éditeurs à faire récrire les classiques de la littérature jeunesse, dont l’abord était rendu difficile par des phrases de plus de deux lignes, des mots recherchés et des verbes au passé simple ! Certaines maisons d’édition en sont à demander une réécriture modernisée de Molière, qui avait l’audace d’employer des mots ignorés par certains, parfois même dans une forme versifiée dont le méchant élitisme n’est plus à démontrer. Le surmoi bourdieusien qui est à la manœuvre chez ces démolisseurs leur souffle certainement qu’il est légitime, au nom d’une égalité mal comprise, de liquider ces antiquités. Toujours la même logique: supprimer l’obstacle plutôt que de donner les moyens de le surmonter par l’acquisition de la connaissance. Tous ces promoteurs de l’inculture ignorent qu’il puisse exister une curiosité intellectuelle, qu’il puisse y avoir une jouissance du dépassement de la difficulté, et qu’on puisse vouloir s’élever au-dessus de soi-même. Jamais ils ne font le pari du savoir et de l’intelligence. Apprendre à lire les chiffres romains pour un enfant, c’est avoir la satisfaction de percer un mystère qui lui ouvre un monde, et pas n’importe lequel: le sien.
Le vice-directeur du Corriere della Sera, Massimo Gramellini, a parfaitement saisi ce qui est à l’œuvre dans la suppression (même partielle) des chiffres romains. Il y voit « la synthèse parfaite de la catastrophe culturelle en cours ». « D’abord, dit-il, on n’enseigne plus les choses, puis on les élimine pour que ceux qui les ignorent ne se sentent pas mal à l’aise. » Ce qui s’est passé avec l’orthographe, ce qui se passe avec les classiques, on le retrouve dans cette nouvelle doctrine muséale: il faut exclure tout ce qui n’inclut pas. Et les chiffres romains, eh bien ça n’inclut pas assez…
Ce que cette décision dit aussi de nous, au-delà du désastre égalitariste, c’est que nous ne voulons plus être affiliés: les chiffres romains disent notre enracinement et notre dette. Ils nous désignent comme les enfants d’une aire géographique, les enfants d’une histoire, d’une pensée et d’un art qui ont façonné notre rapport au monde. Remplacer les chiffres romains, dans les musées puis dans les livres, c’est effacer ce qui nous relie, c’est faire croire que nous procédons de nous-mêmes. Un homme désaffilié, sans passé, sans dette, qui ne sait plus rien et n’a plus rien à transmettre, réduit à la pure fonctionnalité de l’immédiat, voilà ce que donne à voir la disparition programmée des chiffres romains. Supprimer les signes, c’est supprimer les choses: Orwell, Klemperer et les partisans de la « cancel culture » le savent, les deux premiers pour nous préserver de l’entreprise d’effacement totalitaire, les autres pour nous y entraîner et nous y perdre.
Nous sommes héritiers et dépositaires, mais la modernité s’acharne à nous détacher. Et le temps n’est pas loin où les jeunes gens ne verront plus dans les inscriptions sur les églises et les monuments que les hiéroglyphes d’une civilisation disparue.
La dernière cérémonie des César était navrante, ce dont tout le monde convient. Mais c’est la baisse effrayante du niveau culturel du pays depuis cinquante ans qui devrait vraiment nous inquiéter.
Presque tous les médias sont tombés à bras raccourcis sur la 46ème cérémonie des César. Dès la fin de la soirée, les critiques ont commencé de pleuvoir. Un vrai feu d’artifice comme dans les quartiers lorsqu’une bande s’en prend aux pompiers et aux forces de l’ordre avec des mortiers. L’image est osée ? Laissons-lui la bride sur le cou pour voir ce que ça donne!
Imaginons qu’une bande de lascars soit entrée ce soir-là dans le théâtre de l’Olympia en hurlant : « Y en a assez de toutes vos conneries. On en a marre de dealer en bas des immeubles. On s’emmerde à la maison avec vos petites cérémonies et vos grandes déclarations. On veut du vrai cinéma, du vrai spectacle ».
Imaginons, car hélas ! ce n’est pas ce qu’il s’est passé, qu’un gars de la bande se soit précipité sur scène, ait pris le micro et s’en soit pris à la pitoyable Corinne Masiero : « T’as vu à quoi tu ressembles à poil avec tes tampons hygiéniques accrochés aux oreilles comme des cerises. Tes leçons, tu peux te les accrocher aussi. T’es même pas foutue d’écrire sans faire de fautes. « Rend nous (sic) l’art Jean ! » que t’as écrit sur ton dos… qu’une copine plutôt a écrit, surtout pas un mec, parce que t’as des convictions ! Tu ne sais pas que « rendre » ça prend un « s » à l’impératif ? Tu verras demain les médias, ils oseront pas ajouter un petit sic entre parenthèse derrière ta faute ! Ils te corrigeront sans rien dire ; ils ont peur. Parce qu’une faute d’orthographe, c’est pas grand-chose, ça se pointe pas du doigt, ça ferait ringard ! On ne va tout de même pas se ridiculiser en disant que c’est grave. On en a vu d’autres, avec les boîtes de Merda d’artista dans les musées et les urinoirs ! Et tes copines qui ont installé sur l’esplanade du Trocadéro un clito géant, on aurait dit une mante religieuse ! Alors une faute, ce n’est rien. L’orthographe, y en a plus ! La pudeur ? Si demain on te dit que t’as été trop loin, qu’il y en a assez de ton féminisme à deux balles, que ta défense de ce que ton dos appelle « Art » et tes seins, « Culture », personne n’en veut, que n’importe quelle conne peut se mettre à poil sur scène, que ça a déjà été fait mille fois, t’auras plus qu’à venir devant les caméras pour dire que t’assumes, que tu t’en fous. Je t’entends déjà te répandre, chez Mediapart, avec une sincérité « premier prix » trouvée dans les rayons du bas : « Qu’une meuf de mon âge se foute à oilpé [à poil NDLR], sans être rafistolée, avec les miches qui tombent et puis la cellulite (…) le ventre comme ça et les seins qui font comme ça (…), pas épilée, rien du tout. Oh, mon dieu ! (…) Ça révèle beaucoup de choses, non ? On est bien dans une société patriarcale et sexiste (…) Moi, ma force c’est d’être moche et populaire et vulgaire. Et donc si ça gêne des gens, posez-vous la question de pourquoi ça vous gêne. » T’es dans le poncif, capitaine Marleau ! Ce qui me gêne, c’est pas que tu te mettes à poil avec les miches qui dégringolent, c’est ta grosse faute dans le dos. Une faute d’orthographe, c’est pire qu’une faute morale ou qu’une faute de goût, c’est le péché originel depuis cinquante ans, qui fait que tout va de travers dans ce pays. Tu veux nous prouver quoi ? Que les hommes sont des salauds, surtout s’ils sont blancs ? Que sans la culture des navets de ta télé, on serait en manque ? Tu rigoles, tu nous as tout simplement montré qu’à force de ne plus apprendre à l’école à mettre un « s », on ne sait que montrer ses fesses. Mais on le savait. » Rideau !
Christophe Bourseiller publie un essai sur une des plus étranges et des plus fascinantes figures de la littérature contemporaine, disparue en 2010.
Quelle surprise de voir paraître un essai intitulé En cherchant Jean Parvulesco, sous la plume de Christophe Bourseiller, journaliste, spécialiste de l’ultragauche… et surtout connu comme acteur. Fils de comédiens, il apparaît en effet très jeune dans trois films de Jean-Luc Godard, son parrain aux côtés, le veinard, de Marina Vlady ou de Macha Méril. Avec le recul, il se voit comme un « singe savant » ou, plus âgé (dans les films d’Yves Robert ou de Claude Lelouch), comme « un pitre plein de morgue ».
Devenir immortel et puis mourir
En réalité, le livre est une sorte de lettre à Godard, pleine d’amertume. Sa première moitié est centrée sur le cinéaste, à la fois placé sur un piédestal et cible de reproches plus ou moins implicites. A l’origine, la fameuse scène d’A bout de souffle où Jean-Pierre Melville, qui joue le rôle d’un écrivain qui s’appelle Jean Parvulesco, répond à Jean Seberg que sa plus grande ambition dans la vie est de « devenir immortel, et puis mourir ».
Christophe Bourseiller semble s’agacer a posteriori de l’importance accordée par Godard à cet inconnu, car, en 1960, Jean Parvulesco n’a rien publié ; il grenouille dans les milieux de la Nouvelle Vague avec Alfred Eibel et Michel Mourlet. Ce futur auteur ésotérique, ami d’Abellio et de Rohmer, proche d’Eliade et de Melville, justement, est en train de devenir une figure mythique. Fut-il un agent de la Sécurité militaire française, voire des services britanniques, dans la Vienne du Troisième Homme ? Quel fut son rôle occulte dans certain gouvernement provisoire en exil à Madrid ? Sauva-t-il l’acteur Maurice Ronet d’une plongée fatale dans la guérilla anti-marxiste en Angola ? Mystère et boule de gomme.
Tout au long des pages, le lecteur perçoit chez Christophe Bourseiller un mélange de fascination ennuyée pour Parvulesco, perdant complet aux yeux de cet homme installé (professeur à Sciences Po, chez lui dans tout l’appareil politico-médiatique) et aussi de profond ressentiment à l’égard de Godard. Nous passons de l’une à l’autre sans toujours savoir où veut en venir ce Narcisse contrarié. Parfois pointe l’impression que l’exilé roumain sert de stylet dans un règlement de compte. Bourseiller n’est pas écrivain, juste un journaliste – lui manque hélas ! la patte du styliste pour décrire ce malaise. D’où ma déception à lecture de son livre, qui n’est pas vraiment une enquête ni une descente en soi-même. Dommage.
Le flamboyant mythomane
En un mot comme en cent, l’énigmatique Jean Parvulesco (1929-2010), un ami regretté, qui écrivait « dans un but de guerre eschatologique finale », le voyant extra-lucide entre burlesque et vision, le continuateur en géopolitique de Karl Haushofer –Endkampf pour le bloc continental ! -, le conspirateur-né et le flamboyant mythomane, cette figure attachante des décennies durant d’un certain underground, attend toujours un livre digne de lui.
En cherchant Jean Parvulesco de Christophe Bourseiller (La Table Ronde)
Comment une idéologie qu’il serait défendu de désigner entend prendre le pouvoir par les mots…
L’objectif premier de l’islamo-gauchisme n’est pas du tout d’empêcher que l’on stigmatise les musulmans, mais de le faire croire et de prendre le pouvoir, grâce à l’appui des islamistes et de leur immense capital démographique. Faire croire en mentant, en travestissant la réalité, en créant même des réalités alternatives a toujours été la caractéristique principale des totalitarismes.
Ce que cet esprit totalitaire représenté à la fois par l’islamisme et le gauchisme, unis dans l’espoir d’un combat victorieux et définitif, craint par-dessus tout, ce sont les possibilités d’autonomie de la pensée qui échappent à son contrôle et menacent, si peu que ce soit, son accession à la puissance absolue.
La pensée, instrument par excellence de la liberté
Plutôt que d’exercer une surveillance détaillée, il lui est plus facile de détruire les liens naturels qui rendent cette autonomie possible. Un de ces liens est tout particulièrement visé, celui qui attache les mots à leur sens. Le briser, c’est empêcher, mieux qu’avec la censure, mieux qu’avec les lois les plus liberticides, l’exercice de la pensée, instrument par excellence de la liberté.
Dans ses Cahiers de prison, rédigés entre 1926 et 1937, le théoricien politique italien Antonio Gramsci indiquait que la maîtrise du vocabulaire est nécessaire dans le combat pour l’hégémonie culturelle et politique. Pour renverser la vapeur, toute conquête du pouvoir doit d’abord passer par un long travail idéologique, une lente préparation du terrain au sein de la société civile. Il faut, peu à peu, subvertir les esprits, installer les valeurs que l’on défend dans le domaine public afin de s’assurer d’une hégémonie culturelle avant et dans le but de prendre le pouvoir. La réalité fait place aux mots de l’idéologie qui n’a pas besoin de faire appel à des arguments ou à des relations de faits concrets et d’expériences personnelles.
La laïcité ouverte n’est plus la laïcité
Les mots qui ont construit notre société sont détournés de leur sens originel pour répondre aux besoins de ceux qui veulent conquérir le pouvoir. Ces mots sont détournés de leur sens originel, falsifiés et usurpés.
Les islamo-gauchistes imposent leurs propres définitions et espèrent que peu à peu les significations remplaceront nos mots et ainsi finiront les nouvelles réalités. Il en fut ainsi dans toutes les expérimentations totalitaires auxquels nous avons assisté depuis la Terreur jusqu’au nazisme et aux différents communismes qui à chaque fois ont fabriqué des réalités alternatives et les mots qui devaient les désigner.
Aujourd’hui, qu’est-il arrivé aux mots ? Qu’est-il arrivé aux mots que nous utilisions pour définir le réel ?
Ils parlent de République et de défense des valeurs de la République plutôt que de faire allégeance à la nation française. Ils parlent de laïcité ouverte pour ne pas dire que leur laïcité est une porte grande ouverte à l’invasion idéologique et religieuse. La radicalisation contre laquelle ils prétendent combattre, ce n’est pas l’islam et sa définition politico-religieuse courante. C’est, disent-ils, toute forme de terrorisme ou de suprématisme et c’est ainsi qu’ils évoquent le massacre de Christchurch commis contre des musulmans dans une mosquée, ou le colonialisme qui se prolonge selon eux dans le racisme institutionnel dirigé contre les personnes de couleur ou de religion musulmane. Ils se disent ainsi ennemis de tous les extrémismes de la « tenaille identitaire ». Leur promotion de la diversité et leurs attaques incessantes contre tous les symboles de la suprématie blanche veut cacher le remplacement des peuples, terme qui selon eux porte la marque infamante de l’extrême-droite mais qu’en même temps, de façon contradictoire, ils estiment nécessaire et inévitable.
Ça dépasse la fiction!
Leur antiracisme, c’est la défense et la promotion des « racisés » contre les blancs, l’accueil illimité des migrants et des réfugiés sans discrimination. Cet antiracisme leur fournit la preuve qu’ils sont les seuls à respecter véritablement les droits humains.
C’est cet univers, dans lequel la réalité devient non signifiante, que décrit Orwell, à travers son roman d’anticipation 1984, qui va bien au-delà d’une critique du totalitarisme. La post-vérité s’attaque à l’imaginaire social. Elle fabrique une fiction, qui n’enrichit pas le réel, mais le détruit pour assurer l’hégémonie espérée.
Propos recueillis par Danilo Kovač, géopoliticien et spécialiste des Balkans
L’été dernier, le président du Monténégro Milo Djukanović, dernier dirigeant communiste d’Europe, a perdu les élections législatives. Le communisme est au pouvoir dans ce pays depuis 30 ans. Djukanović est obligé de composer avec un gouvernement de coalition démocrate-chrétien. La semaine dernière, les élections municipales ont été remportés par la même coalition de centre-droit dans la seconde ville du pays, lieu de naissance de Djukanović, offrant une majorité pro-serbe et réformatrice.
Comment évaluez-vous les résultats des élections à Nikšić?
Les élections électorales dans la ville de Nikšić au Monténégro montrent plusieurs évolutions importantes. Dans la ville natale de celui qui a dominé la scène politique monténégrine depuis les années 1990, le président actuel Milo Djukanović, il est très intéressant de voir apparaître une opposition au niveau municipal à ce pouvoir autoritaire. Après les processions religieuses très suivies de l’an dernier, puis la victoire aux élections législatives de l’opposition pro-serbe, on sent que l’alternative est voulue par les citoyens monténégrins au niveau national, comme local.
En second lieu, la coalition désormais à la tête de la municipalité de deux listes pourtant différentes (« Pour l’avenir du Monténégro » menée par Zdravko Krivokapić et « Paix pour notre pays» dirigée par Momo Koprivica); montrent que les Monténégrins ont opté pour une coalition et une politique de compromis. C’est un fait nouveau dans un Monténégro dirigé depuis plus de 30 ans par le DPS (Parti Démocratique socialiste), mais qui peut le rapprocher des usages dans les démocraties occidentales.
Enfin, je pense que ces bons résultats pour un parti de la liste «Pour l’avenir du Monténégro», le Front Démocratique (DF), qui est déjà le parti-pivot au pouvoir au gouvernement central, vont permettre de faire avancer plus aisément les réformes politiques et économiques nécessaires au Monténégro.
Est-ce que les élections ont une signification étendue à tout le Monténégro?
Oui, je pense que la victoire de l’opposition au régime autoritaire de 30 ans de Milo Djukanović ont une importance à l’échelle de tout le pays. En effet, dans la deuxième ville du pays qu’est Nikšić, avec une population de 75 000 habitants, tous les analystes avaient les yeux rivés sur ces résultats. Même si la coalition «Pour l’avenir du Monténégro» (DF/SNP) a obtenu moins de voix qu’envisagé au départ (25,9 % des suffrages), cela lui permet de rentrer comme parti majoritaire à l’assemblée locale. Ce parti pro-serbe pourra à l’échelle locale mieux représenter la population majoritairement serbe de la municipalité, ce qui n’était pas le cas du DPS qui leur tournait le dos. Mais aussi, dans un centre économique, industriel et un carrefour de communication comme Nikšić, ces résultats ont aussi une portée nationale. Ils signifient aussi que, comme à Kotor ou à Budva, des majorités politiques dirigeront pour les prochaines mandatures municipales des régions entières en accord avec le gouvernement national, lui aussi porté par l’idée de la défense des intérêts serbes. A la fois plus respectueux du caractère plurinational du Monténégro (Monténégrins, Serbes, Albanais, Bosniaques et Turcs) et mieux coordonnés avec le gouvernement central (même parti), ils auront à cœur de développer les réformes qui s’imposent au pays.
Les élections à Nikšić ont provoqué une grande attention dans toute la région. Pensez-vous qu’il y a des raisons tangibles pour cela?
J’irai même plus loin, en disant que ces résultats sont en harmonie avec l’idée de la défense des intérêts serbes dans toute la région. En effet, n’oublions pas que Nikšić est à quelques dizaines de km de la Republika Srpska, une des deux entités de la Bosnie-Herzégovine. Un accord entre les peuples serbes des deux côtes de la frontière permettraient à l’économie, aux transports et aux échanges culturels de mieux être en symbiose.
Par ailleurs, ces résultats favorables à la coalition pro-serbe vont permettre au gouvernement de Monsieur Krivokapić de renouer les liens avec la matrice serbe. Les derniers mois du gouvernement DPS avaient été marqués par la volonté de Milo Djukanović de couper les ponts avec la Serbie, de façon parfois brutale; on se souvient de l’arrestation à la frontière serbo-monténégrine, durant la campagne des législatives à l’été 2020, de l’écrivain Matija Bečković. Dans une relation plus apaisée avec la Serbie voisine, le Monténégro va pouvoir renouer avec les Balkans et en quelque sorte se désenclaver, en accélérant notamment le projet autoroutier et ferroviaire Podgorica-Belgrade, les deux capitales.
Plus largement, ces élections municipales et législatives au Monténégro ont offert en l’espace de quelques mois l’occasion historique pour le peuple serbe de dépasser ses divisions internes et, dans un projet national renouvelé, de nouer des alliances avec les partis frères. Je pensai par exemple au parti Srpska d’Igor Simić au Kosovo-Métochie .
Comment considère-t-on en France Milo Djukanovic et son régime? Entend-on parler de la nature criminelle de son régime?
Dans mon dernier livre sur la situation géopolitique Balkans, j’avais intitulé mon chapitre sur le Monténégro «Milo Djukanovic, un aparatchik converti au libéralisme», en disant que né en 1962 à Nikšić, dans le centre du Monténégro, Milo Djukanović offre le profil type d’un ancien cadre communiste reconverti dans le nationalisme. Ancien basketteur, après de brillantes études en économie à l’université de Titograd, il se fait remarquer très vite par son dynamisme, son physique avantageux (1m 94) et ses qualités d’orateur. A 24 ans, il est membre de la présidence des Jeunesses socialistes de Yougoslavie. A 27 ans, il est le plus jeune membre du comité central du Parti Communiste Yougoslave. A 28 ans, il est élu député au Parlement monténégrin, et à 29 ans, en 1991, nommé Premier ministre du Monténégro. Au sein du Parti communiste yougoslave, lors de la reprise en mains du parti par Milošević, il est surnommé Milo Britva – « Milo le couteau » – tant son soutien au président serbe est total. Au cours de la guerre civile de 1992-1995, il encourage ses soldats qui vont aider les Serbes de Bosnie-Herzégovine et de Croatie, notamment lors du siège de Dubrovnik par les réservistes monténégrins. Mais, après 1995 et les accords de Dayton, il sent le vent tourner et abandonne son mentor Slobodan Milosevic pour adopter une attitude de neutralité pro-occidentale : « c’est un homme dépassé », dit de lui Djukanović.
En octobre 1997, il se présente contre son ancien ami Momir Bulatović, pro-serbe, et est élu Président de la République fédérée du Monténégro avec 50,8% de suffrages. Devenu maître du pays, il se tourne vers l’Occident et, lors des bombardements de la Serbie et du Kosovo par l’OTAN en 1999, il ouvre toutes grandes les frontières du Monténégro pour laisser entrer des dizaines de milliers de réfugiés albanais du Kosovo ainsi que des opposants serbes, dont son vieil ami Zoran Djindjić, futur Premier ministre de Serbie (assassiné en 2003). Trois mois plus tard, il propose de transformer la Fédération en une vague communauté de deux entités égales, et vise l’intégration européenne. Mais, homme d’affaires avisé, il est rattrapé en 2000 par ses liens avec la mafia italienne des Pouilles (Sacra Corona Unita), qui œuvre dans le trafic de cigarettes, de voitures et de travailleurs immigrés entre le Monténégro, l’Albanie et les Pouilles . L’enquête du parquet de Bari, en Italie, sur son implication personnelle dans un gigantesque trafic de cigarettes mène à son inculpation en 2000. Pour échapper aux foudres de la justice italienne, il abandonne la présidence de son pays, cédée à Filip Vujanović, pour redevenir Premier ministre en janvier 2003.
Mais l’opinion publique française, et occidentale en général, est très peu au fait de l’actualité dans les Balkans, et notamment des affaires monténégrines. Mes amis et moi avions par des publications et des manifestations alerté le public encore l’an dernier sur le caractère autoritaire de Djukanovic, mais ces événements avaient rencontré peu d’échos dans la presse officielle française. Celle-ci a intérêt à garder secret ce qui se passe actuellement au Monténégro pour plusieurs raisons :
– étant un pays laïc, la France ne peut comprendre l’adhésion à un mouvement religieux. Donc la lutte d’un peuple entier pour défendre ses églises ne peut être comprise dans le pays le plus sécularisé au monde, la France.
– c’est toujours le deux poids deux mesures qui régit les affaires internationales, notamment en ce qui concerne les Balkans. Alors que les médias grand public se font fort de critiquer l’autoritarisme d’un Loukachenko, car la Biélorussie est frontalière avec la Russie, il ne faudrait surtout pas évoquer que le dernier apparatchik communiste des Balkans, Milo Djukanović, a perdu la majorité au Parlement à l’automne dernier, car le Monténégro se trouve dans la sphère occidentale, déjà l’OTAN et bientôt l’UE.
– mais surtout, et notamment pour les leaders d’opinion en France, qui suivent les Balkans depuis trente ans, toute mise en relief d’une information qui viendrait à montrer qu’un de leurs chouchou n’ait plus la majorité, démontrerait que toutes les informations qu’ils ont distillé depuis trente ans était faux. Donc avouer qu’il se sont trompés et tout leur édifice explicatif tomberait comme un château de cartes (comme sur le exactions au Kosovo-Métochie par exemple).
A part les élections à Nikšić, une grande attention a été portée dans les médias locaux à la présence du Premier ministre Krivokapić à l’enterrement de l’Evêque orthodoxe de l’Eparchie Zahum-Herzégovine, Monseigneur Anastasije. De quelle façon vous analysez la stratégie du Premier ministre?
Le premier ministre du Monténégro, Zdravko Krivokapić a été présent le 6 mars aux obsèques de l’Evêque ortodoxe de l’Eparchie Zahum-Herzégovine, Monseigneur Anastasije Jevtić. Bien qu’il ait déclaré que c’était une visite privée, la délégation, avec plusieurs autres ministres du gouvernement monténégrin montre que c’était une visite quasi officielle dans la République serbe de Bosnie, une des deux entités de l’état limitrophe du Monténégro, la Bosnie-Herzégovine. Cet ingénieur de formation était rentré tardivement en politique en 2019, par réaction à la volonté de Milo Djukanović de spolier les biens de l’Eglise orthodoxe serbe du Monténégro. Krivokapić avait participé aux longues processions de l’année 2020 et avait même créé un rassemblement d’intellectuels sous le Collectif «Nous n’abandonnerons pas le Monténégro», s’opposant aux mesures autoritaires et anti-libérales du Président monténégrin.
En se déplaçant à Trebinje, dans la République serbe de Bosnie-Herzégovine, ce chrétien-démocrate a voulu signifier son soutien fervent à l’Eglise orthodoxe serbe, retournant ainsi l’ascenseur. En effet, durant la campagne électorale au Monténégro qui l’a mené à la victoire à l’automne 2020, l’Eglise orthodoxe serbe et le métropolite Amfilohije du Monténégro s’étaient engagés clairement pour Krivokapić. A tel point que le premier geste du nouveau Premier ministre du Monténégro avait été de se rendre à l’Eparchie baiser la main du mitropolite Amfilohije, lequel avait été même consulté pour la nomination des ministres.
Par ce geste, Krivokapić se place ainsi dans la droite ligne de la grande famille démocrate chrétienne européenne. Il veut aussi prendre le contrepied de pratiques népotistes de Milo Djukanović, mettant fin à trente ans de pouvoir du DPS (Parti Démocrate socialiste) marqués par une forte corruption.
Pour le quotidien américain, « les institutions françaises devraient prêter plus d’attention à l’histoire de l’esclavage du pays, au lieu d’honorer une icône de la suprématie blanche ».
Le journal américain qui a la prétention de se considérer comme LE quotidien de référence, est surtout devenu l’organe officiel de l’intolérance des prétendus progressistes de l’idéologie victimaire « woke ».
Sacrés Français!
Ne tirant aucune leçon des démissions l’an passé de son rédacteur en chef de la rubrique d’opinions James Bennet et de sa journaliste vedette Bari Weiss, le petit télégraphiste de la pensée unique qu’est devenu le New York Times ne ménage particulièrement pas ses efforts pour s’attaquer à la France et aux Français, ces « mauvais élèves de l’Empire du Bien » comme l’écrivait Philippe Muray.
Les « éveillés » du New York Times, adeptes des purges par l’effacement et le bannissement (la cancel culture) s’en prennent cette fois dans l’édition du 18 mars à Napoléon Bonaparte qui ne serait pas « un héros à célébrer ».
Aucune nuance ni mise en perspective historique
Ressassant l’argument du rétablissement de l’esclavagisme dans les colonies en 1802 (oubliant au passage le contexte historique de cette décision, les regrets de l’Empereur et l’abolition de la traite négrière pendant les Cent jours en 1815), Napoléon est considéré comme « le plus grand des tyrans, une icône de la suprématie blanche »… Sans aucune nuance ni mise en perspective, l’auteure de la tribune oublie la leçon de Marc Bloch sur le rôle de l’Histoire: comprendre et ne pas juger car « à force de juger, on finit presque fatalement, par perdre jusqu’au goût d’expliquer ».
Pire, elle fantasme l’organisation par l’État français (notamment à l’école) d’une ignorance officielle des sujets qui fâchent concernant Napoléon. C’est bien sûr faux, puisque le rétablissement de l’esclavagisme n’a jamais été nié en France et la polémique vient d’ailleurs et surtout depuis quelques années de certains Français eux-mêmes, adeptes de la repentance et du rejet de tout ce qui symbolise et doit représenter pourtant – en bloc – avec ses lumières et ses ombres, notre histoire nationale.
Les éditorialistes américains sont à l’ouest
Si malheureusement certains Français dénigrent notre passé, comment font-ils pour ne pas être révoltés par les attaques subies par notre pays suite à la décapitation de Samuel Paty devant le collège où il enseignait, après avoir été menacé pour avoir montré les caricatures de Charlie Hebdo dans le cadre d’un cours sur la liberté d’expression ?
L’annonce des mesures contre le séparatisme islamiste par Emmanuel Macron a conduit l’automne dernier à un déchaînement de la presse anglo-saxonne : pour le Financial Times« la guerre de Macron contre le séparatisme islamiste ne fait qu’accroître les divisions en France »; Politico titre sur « la laïcité, dangereuse religion française »; pour le Washington Post: « au lieu de s’attaquer au racisme systémique, la France veut réformer l’Islam »; et enfin le New York Times pose la question « la France alimente-t-elle le terrorisme en essayant de l’éradiquer ? ».
Pour cette presse, c’est donc un peu notre faute si nous sommes visés par des attaques terroristes et si un professeur d’Histoire se fait décapiter… Ce qui fait dire au président français dans sa réponse au New York Times: « quand je vois, dans ce contexte, de nombreux journaux qui je pense viennent de pays qui partagent nos valeurs, qui écrivent dans un pays qui est l’enfant naturel des Lumières et de la Révolution française, et qui légitiment ces violences, qui disent que le cœur du problème, c’est que la France est raciste et islamophobe, je dis : les fondamentaux sont perdus ».
Mais que peut-on espérer d’une presse libérale américaine qui n’est plus du tout « Charlie »? Le New York Times a d’ailleurs décidé fort peu courageusement il y a quelques années de supprimer toutes les caricatures dessinées de ses pages pour éviter de froisser les sensibilités…
Il est peut-être temps de déboulonner la statue du New York Times ?
Ce troisième non confinement montre encore à quel point, derrière la glorification de l’école qui reste ouverte, on méprise les profs.
Jamais en retard d’une attaque contre ses propres personnels pour complaire à l’opinion, le ministre Blanquer avait osé parler au mois de juin 2020, lors de la réouverture des écoles, de « profs décrocheurs » qui auraient profité du confinement pour se mettre aux abonnés absents. La baudruche s’est vite dégonflée devant les faits. Les profs, dans leur immense majorité, avaient fait ce qu’ils avaient pu et même avaient rivalisé d’ingéniosité pour pouvoir assurer avec les moyens du bord, c’est-à-dire les moyens dont ils disposaient chez eux, pour pallier l’imprévoyance et l’incompétence des décideurs de l’Éducation Nationale en matière d’enseignement à distance. Le ministère était trop occupé, sans doute, à créer des syndicats lycéens bidon et à trouver quelques élèves aisément manipulables ou ambitieux pour célébrer le génie de la réforme du baccalauréat qui est en fait l’aboutissement d’un long processus de dévalorisation de ce diplôme. La particularité de Blanquer, c’est de considérer le prof comme un ennemi personnel. On imagine un ministre de l’Intérieur s’amusant à ce petit jeu démagogique avec ses policiers. Ou plutôt ne l’imaginons pas, Castaner a tenté la chose en parlant de violences policières et ça lui a couté son poste. Peut-être les profs devraient-ils être armés et venir au lycée en voiture à gyrophare, ils auraient une petite chance d’être écoutés.
Rare hypocrisie
Aujourd’hui, Blanquer qui n’a peur de rien, se gargarise avec toute la macronie d’avoir laissé les écoles ouvertes. Qui connaît des profs ou des chefs d’établissements dans son entourage sait qu’ils sont informés des nouveaux protocoles sanitaires, en général inapplicables, par la presse, le vendredi soir pour le lundi. Ce mépris tranquille pour les personnels se double d’un discours d’une rare hypocrisie. Laisser les écoles ouvertes est un impératif éducatif, là nous sommes tous d’accord, et aussi un impératif social. Ne pas laisser se creuser les inégalités, ne pas perdre les élèves les plus fragiles dans la nature. Mais on ne dit pas que les suppressions de postes prévues sont toujours au programme malgré l’épidémie, que les projets de démantèlement de l’éducation prioritaire sont toujours dans les tuyaux et il est difficile de garder son calme devant un tel aplomb.
Si Blanquer, dans des conditions sanitaires dangereuses, peut laisser les écoles ouvertes, c’est tout simplement grâce au courage quotidien des profs. Rien de ce qui aurait pu être fait, depuis un an, ne l’a été. Les fameuses opérations de dépistage salivaire massif sont restées de la com et les remontées exactes des chiffres de contamination à l’école sont extrêmement difficiles, voire impossibles, à obtenir. Pour une raison simple : l’école coche toutes les cases des clusters potentiels. On y est nombreux dans des pièces trop petites presque impossibles à aérer, on se brasse dans les couloirs comme dans une rue commerçante un jour de soldes, on y mange dans des cantines où il y a autant de place que dans une brasserie parisienne, à l’époque où elles étaient ouvertes.
Halte garderie!
Dans une troisième vague féroce que le gouvernement, après avoir joué au matamore depuis janvier, tente d’endiguer avec un « confinement dehors », la seule mesure effective est la généralisation de la « demi-jauge » dans les lycées. Cela est mieux que rien. Mais pourquoi pas au collège, qui présente à peu près les mêmes problèmes ? Je vous le donne en mille, c’est qu’un collégien de sixième, c’est plus compliqué de le laisser se garder tout seul.
Bref, derrière la gloriole de l’école ouverte coûte que coûte, se profile l’idée qu’elle n’est pas là pour transmettre quoi que ce soit mais pour servir de garderie au pire et au mieux pour offrir le meilleur service possible à des parents dont un bon nombre réagissent comme des consommateurs. Dans Loué soient nos seigneurs, Régis Debray remarquait avec justesse que ce n’était pas à l’école de s’adapter à la société, mais le contraire. Ou bien l’on estime que c’est là que tout se joue, où on estime qu’elle est un service public comme un autre.
On pourrait demander leur avis aux profs. Le problème, c’est que les profs contrairement aux médecins, aux restaurateurs, aux policiers, aux gérants de station de ski, on ne les voit jamais sur les plateaux de chaînes infos.
Après avoir contribué à l’élection de Barack Obama et après son interview scandaleuse du Prince Harry et de sa femme Meghan, les spéculations sur les nouvelles ambitions de la star de la télévision américaine Oprah Winfrey vont bon train.
Elle a été sacrée « Reine des médias » au siècle dernier. Elle a dominé les classements des femmes les plus puissantes établis par les publications périodiques les plus prestigieuses de l’Amérique comme Time, USA Today ou Forbes. Elle est devenue l’Afro-américaine la plus riche du 20me siècle, et l’une des femmes « self-made » les plus riches de la planète tout court. Elle a raflé toutes les récompenses possibles et imaginables dans l’industrie télévisuelle, et au-delà. Depuis trente ans déjà, Oprah Winfrey écrit l’histoire de son pays. Mais ce cadre commençait peut-être à lui paraitre trop restreint…
En tout cas, son récent entretien-choc avec Meghan et Harry donne toutes les raisons de penser que la célèbre journaliste n’était pas là uniquement pour poser ces questions dont elle a le secret. Rappelons qu’Oprah Winfrey a été la personne qui a joué un rôle décisif dans l’élection du premier président noir de son pays.
Oprah derrière la victoire d’Obama
La page Wikipédia « L’approbation de Barack Obama par Oprah Winfrey » retrace, étape par étape l’évolution du statut du candidat Obama aux primaires du parti démocrate en 2007-2008, en fonction de l’engagement de la présentatrice du « Oprah Winfrey show » à ses côtés. Donné largement perdant face à la championne démocrate Hillary Clinton, le jeune universitaire de l’Illinois voit son incroyable médiatisation faire basculer les votes des femmes et des noirs en sa faveur. La fée Oprah est passée par là. Elle lève plusieurs millions de dollars pour sa campagne et prononce des discours incroyables d’éloquence lors de ses meetings électoraux. En Caroline du Sud, elle ose: « Dr (Martin Luter) King a parlé de rêve. Maintenant nous devons voter pour transformer ce rêve en réalité…». Qui peut résister à un tel appel, venant de la femme à qui se sont confessées les personnalités les plus puissantes du globe ?
Oprah Winfrey, née d’une fille-mère très jeune vivant dans une extrême pauvreté, molestée à maintes reprises pendant son enfance – comme hélas beaucoup d’enfants dans ce milieu – est la parfaite illustration que l’Amérique de la deuxième partie de XXème siècle, aujourd’hui décriée par le mouvement Black Lives matter, a permis à une femme noire de faire carrière et d’atteindre les sommets. Grace à son immense talent, grâce aussi aux gens qui ont cru en elle, bien évidemment.
What?
Le récent entretien de Meghan et Harry, vu par des dizaines de millions de personnes sur tous les continents est le nouveau chef-d’œuvre politico-médiatique de ce soft power nommé Oprah. Et cette fois l’insatiable « Reine des medias » a voulu se mesurer à une autre reine, une vraie et jusque-là intouchable, Elizabeth II d’Angleterre.
Le prince Harry, à qui les observateurs ne louent pas une grande finesse d’esprit, a fait un très curieux choix, une fois sa décision de quitter le cercle royal prise avec Meghan Markle. À peine traversé l’Atlantique, il signe en 2019 un accord avec Oprah Winfrey sur la co-production de séries sur la santé mentale pour Apple TV. Avec la journaliste-milliardaire comme alliée, le cadet de Diana et de Charles se dote d’une nouvelle arme médiatique redoutable. Reste à lui trouver un bon usage…
Le rendez-vous du jeune couple avec la vedette de la télé américaine sur CBS le 7 mars pourrait se résumer à un moment culminant, àun seul mot: « What ? », prononcé par celle qui a été nomée deux fois aux Oscars (car Oprah est également actrice, philanthrope et écrivaine, si vous l’ignoriez…). Ce « What ?», accompagné d’un regard horrifié digne d’un Hitchcock raté, est soigneusement préparé et utilisé très habilement dans les bandes-annonces de l’émission et durant l’interview avant chaque pause publicitaire. Ce « What ? » est prononcé par la journaliste en réaction au récit de Meghan sur la prétendue discussion « indécente » au sein de la famille royale au sujet de la couleur de peau de son fils Archie…
Le reste de l’entretien de trois heures n’était que de l’écume, pour faire de cette séquence un nouveau marqueur de la lutte progressiste. Une lutte bien décidée à ne reculer devant aucun obstacle, y compris la couronne britannique.
Et bien que quelques jours plus tard Elizabeth II ait publié un communiqué apaisant répondant à ce point bien précis de la conversation, ce nouveau « jeu de la dame » initié par la reine des médias ne fait probablement que commencer.
Achille Webo, l’entraîneur-adjoint par qui le scandale est arrivé, continue de dire que l’arbitre aurait dû désigner le joueur noir de l’équipe comme « le troisième gars en partant de la gauche ou le gars au bout de la rangée » plutot que de dire « negru » (noir en roumain)…
Les insultes sont le reflet d’une époque. Dans les années 1990, la pire insulte qu’on pouvait recevoir était « fils de p… ». Désormais, l’insulte suprême est d’être traité de raciste. On l’a vu avec l’accusation portée contre la famille royale britannique il y a quelques jours. On l’avait déjà vu avec l’accusation portée contre deux arbitres roumains lors du match de football PSG-Basaksehir Istanbul en décembre.
Souvenez-vous : pour la première fois de l’histoire du football, les joueurs avaient arrêté le match pour dénoncer le racisme présumé des arbitres. L’événement avait fait le tour du monde. Le lendemain, tous les joueurs portaient un tee-shirt « No to racism » et mettaient un genou à terre.
Francois Mori/AP/SIPA AP22520599_000003
Voir du racisme là où il n’y en a pas
Le seul hic dans cette si belle histoire est… que les arbitres en question n’avaient pas fait preuve d’une once de racisme ! Je l’avais déjà souligné à l’époque[tooltips content= »https://www.causeur.fr/psg-racisme-foot-188407″](1)[/tooltips]. Aujourd’hui, c’est le rapport officiel de l’UEFA (l’Union européenne des associations de football) qui le reconnaît.
Curieusement, les chantres de la repentance sont les premiers à s’abstenir de toute repentance
Un quiproquo linguistique fut tout simplement monté en épingle. L’arbitre assistant avait conseillé à l’arbitre central d’expulser l’entraîneur-adjoint de l’équipe turque. Cet homme, Camerounais, était le seul noir de l’équipe technique d’Istanbul. Dans la précipitation et la confusion, l’arbitre assistant l’avait pointé du doigt en précisant « le noir » à l’arbitre central afin que ce dernier sache à qui attribuer un carton rouge parmi les personnes présentes, masquées et portant toutes l’uniforme de leur club. Or il se trouve que « le noir » se dit « ala negru » en roumain. L’expulsé avait cru entendre « negro » et c’est ainsi que l’accusation de racisme partit, malgré les dénégations du désigné coupable. L’affaire aurait pu être dégonflée en quelques secondes et le match reprendre. Mais pour cela, il eût fallu un peu plus de sang-froid et un peu moins d’idéologie.
Tu seras coupable
Puisque l’accusation de racisme était infondée, j’imaginais que l’UEFA présenterait ses excuses aux arbitres et leur payerait un psy pour se remettre d’avoir été cloué au pilori en mondovision, victimes collatérales de la guerre contre le racisme. Mais je suis encore un doux rêveur ! Les deux hommes ont tout de même été sanctionnés !
A croire que les belles âmes n’aiment pas perdre la face. Après un tel ramdam, l’UEFA s’est visiblement sentie obligée de leur trouver une paille dans leur œil pour mieux éviter de voir la poutre dans le sien.
En sus de leur sanction sportive, les deux arbitres devront suivre un « programme pédagogique ». Interrogée par le journal L’Equipe sur le contenu de ce programme, l’UEFA répond que les détails « n’ont pas encore été définis » mais que ses « services de l’arbitrage y travaillent »[tooltips content= »https://www.lequipe.fr/Football/Article/Ce-que-dit-le-rapport-de-l-uefa-sur-les-incidents-avec-le-4e-arbitre-lors-de-psg-basaksehir/1234398″](2)[/tooltips]. Ca sent bon le programme de rééducation ! Personnellement, je propose qu’on les envoie se former en Chine dans un camp de rééducation pour Ouïghours ! Je propose aussi d’envoyer tous ceux qui ont crié au racisme chez un opticien pour cesser de voir du racisme partout.
Et, puisqu’on est dans les chimères, je rêve que les joueurs de foot ne portent plus de tee-shirts « No to racism » mais « No to nonsense » ou « No to hypocrisy ».
Vous avez aimé la cancel culture? Vous allez adorer la color cancel!
Quand on parle sa langue natale, il faut désormais se demander si nos mots ne risquent pas de choquer d’autres êtres humains parlant une autre langue. Quand on voyage en Ouzbékistan, par exemple, il faut se demander si un mot français qu’on échange avec un compatriote ne ressemble pas de près ou de loin à un mot ouzbek qui pourrait choquer un Ouzbek l’entendant à la volée.
Dans cette lignée, l’UEFA indique son intention d’intégrer une « sensibilisation au langage » dans la formation des arbitres : « Un officiel de l’UEFA doit avoir la présence d’esprit de réaliser que certains termes peuvent être mal compris. »
Pourtant, l’expert en linguistique roumaine cité dans le rapport souligne que le mot « noir » « était loin d’être une insulte ou une agression. Dans la langue parlée et le vocabulaire roumain, ce mot n’a pas de connotation négative. » Alors qu’il en existe d’autres qui, eux, désignent une personne noire de manière méprisante ou offensante. C’est donc le mot « noir » qui est problématique. L’UEFA appelle désormais à éviter ce mot sensible. Dans ce cas, autant donc dissoudre des associations comme le CRAN qui utilisent cette couleur interdite !
Errare humanum est, perseverare diabolicum
Il arrive à tout le monde de faire des erreurs, mais il est diabolique de persévérer dans celles-ci. On aurait donc aimé que les médias, après les avoir traînés dans la boue, reconnaissent au moins leur erreur et présentent des excuses aux arbitres accusés à tort. La moindre des choses aurait aussi été que les acteurs du football et les hérauts de l’antiracisme fassent de même. Mais, pour cela, il faudrait faire preuve d’un minimum d’humilité et d’honnêteté, qualités qui ne sont pas les choses du monde les mieux partagées. Curieusement, les chantres de la repentance sont les premiers à s’abstenir de toute repentance!
Achille Webó, l’entraîneur-adjoint par qui le scandale est arrivé, indique très sérieusement que l’arbitre aurait dû le désigner comme « le troisième gars en partant de la gauche ou le gars au bout de la rangée ». Il est vrai que c’est tout à fait le genre de phrases que l’on entend sur un terrain de foot dans le feu de l’action ! Et il persiste à considérer « raciste et discriminatoire » le langage des arbitres. Et il n’est pas le seul.
Un phénomène sectaire
Cette obsession à voir du racisme là où il n’y en a pas fait écho à la dissonance cognitive[tooltips content= »Festinger L., A Theory of Cognitive Dissonance, Stanford University Press, 1957. »](3)[/tooltips]. L’être humain a du mal à admettre ses erreurs, si bien qu’il préfère déformer la réalité plutôt que prendre conscience qu’il s’est trompé. Un exemple célèbre est celui d’adeptes d’une secte qui croyaient en la destruction de la Terre par un ovni. Puisque cette prophétie ne s’est pas réalisée (sinon vous ne seriez pas en train de lire ces lignes !), on aurait pu s’attendre à ce qu’ils prennent conscience qu’ils avaient été manipulés depuis des mois.
Mais ils ont préféré interpréter la non-réalisation de la prophétie comme une seconde chance accordée par les extraterrestres à notre chère planète. C’est ainsi que leurs croyances ont repris de plus belle[tooltips content= »Festinger L. et al., When Prophecy Fails, University of Minnesota Press, 1956. »](4)[/tooltips]. Bien des hérauts de l’antiracisme fonctionnent de même. Il est plus facile de s’en prendre à un arbitre venant d’un « petit » pays plutôt que d’affronter les supporteurs ou les joueurs qui commettent des actes délictueux (insultes, cris de singes…). Selon que vous serez puissant ou misérable, vous serez racistes ou pas.
Figure de la nouvelle génération d’intellectuels au Québec, Alexandre Poulin[tooltips content= »Un désir d’achèvement: Réflexions d’un héritier politique, Editions du Boréal, 2020″](1)[/tooltips] analyse pour Causeur les effets de la crise sanitaire sur la société québécoise.
Au Québec, un « nationalisme sanitaire » hostile à la critique
Causeur. Vous faites partie des quelques observateurs à constater que la crise sanitaire aura révélé des travers peu reluisants de la « mentalité québécoise ». Quels sont ces principaux travers?
Alexandre Poulin. L’exclusion des vieillards, le corporatisme, le refus de l’autocritique, entre autres. Ces travers ne sont pas tous propres à la société québécoise. En effet, si certains d’entre eux sont partagés par la plupart des sociétés occidentales, le problème consiste en ceci qu’il y a un décalage entre le discours que la société québécoise tient sur elle-même et les données concrètes de la réalité. On a toujours dit que le Québec est une société « tricotée serré », c’est-à-dire unie et solidaire, une sorte de longue histoire de famille. Pourtant, le Québec parque ses personnes âgées dans des centres d’hébergement et de soins de longue durée – là où le virus fut le plus meurtrier – trois fois plus que le reste du Canada; environ le tiers de ces résidents, avant la pandémie, n’étaient visités qu’entre 0 et 3 heures par mois.
Alexandre Poulin
Le mythe de la solidarité en a aussi pris pour son grade. Aux heures les plus dures de la pandémie, quelque 5500 travailleurs du réseau de la santé se sont absentés par crainte d’être contaminés à la Covid-19, ce qui a incité l’exécutif à leur offrir d’importantes primes salariales. Québec a même demandé à Ottawa, la capitale fédérale, d’envoyer des soldats des Forces armées canadiennes – souvent mal perçues en raison de l’histoire du colonialisme britannique – afin de pallier l’absentéisme du personnel du réseau de la santé. Enfin, il fut très difficile de contester publiquement les décisions du gouvernement québécois, qui n’assume ses torts que du bout des lèvres; de même les médias ont-ils été complaisants vis-à-vis des autorités, en dépit des erreurs considérables que ces dernières ont commises. Les Québécois refusent sans doute de prendre l’exacte mesure de ce qui s’est passé pour ne pas abîmer l’image qu’ils se font d’eux-mêmes.
Dans votre récent ouvrage Un désir d’achèvement(Éditions du Boréal), vous écrivez entre autres que le Québec est traversé par une sorte de messianisme que vous associez à la psychologie des petites nations. Ce trait identitaire s’est-il manifesté à travers le déploiement des mesures sanitaires?
Toute collectivité dont l’existence n’est pas assurée – au contraire de celle la France – tend à se draper dans un discours vertueux, embelli, susceptible d’atteindre une forme d’enflure verbale selon sa situation politique et économique. C’est le cas du Québec, dont le messianisme a pris différentes formes à travers son histoire – catholique d’abord, ensuite écologique. De quelque forme qu’il soit, ce messianisme consiste en la formulation d’un discours mélioratif sur le sort de la nation et en un processus de compensation qui cherche à camoufler des faiblesses collectives. La pandémie de Covid-19 au Québec a réactivé une forme de surévaluation. Au début de la première vague, les Québécois se sont rassemblés, comme d’autres peuples, sous les couleurs de l’arc-en-ciel et le slogan « Ça va bien aller ». Ce slogan, qui a d’abord été utilisé en Italie (andrà tutto bene), a été particulièrement en vogue au Québec pendant les tout débuts.
Les Québécois n’avaient pas l’habitude que leur chef de gouvernement s’adresse directement à eux dans des allocutions télévisées, ce qui fut le cas jour après jour. Les conférences de presses quotidiennes, animées par le Premier ministre, le ministre de la Santé et des Services sociaux et le directeur national de santé publique, se tenaient en après-midi. D’aucuns ont parlé de l’Angélus de 13h pour les désigner. Il ne faut pas oublier que ce peuple, avant la Révolution tranquille (1960-1980) qui a modernisé et sécularisé le Québec, a figuré parmi les peuples les plus catholiques du monde.
Quoi qu’il en soit, les Québécois ont eu le sentiment d’être en famille, en sécurité, loin des images effrayantes en provenance d’Europe. Cette mise sur pause de l’économie s’est apparentée à des retrouvailles nationales. Le premier ministre du Québec, François Legault, a tenté de motiver ses concitoyens en invoquant l’Histoire, qui n’a jamais été bien clémente au pays de l’érable. « Les Québécois forment une armée de huit millions et demi pour combattre le virus, a-t-il dit le 25 mars 2020. Nous sommes en train de livrer la plus grande bataille collective de notre vie. Dans 50 ans, nos enfants raconteront comment le peuple québécois était uni et comment, ensemble, on a gagné la bataille de notre vie! »
Le bilan québécois est le pire de la fédération
Or, même si le poète Gaston Miron écrivait autrefois que nous croyions être immunisés contre « ces choses ailleurs qui n’arrivent qu’aux autres », la chute fut brutale. Vers la fin du mois d’avril 2020, la situation est devenue hors de contrôle dans les centres d’hébergement de soins de longue durée, où sont logés une partie des vieillards. Plus de 4000 morts y sont survenues très rapidement, devant la sidération et l’impéritie de l’État, alors que la province compte aujourd’hui plus de 10 500 décès. Le bilan québécois de la pandémie est le pire de la fédération : celui-ci compte la moitié des décès survenus au Canada, tandis qu’il ne représente que 23% de la population canadienne.
Malgré tout, le gouvernement formé par la Coalition Avenir Québec (centre droit) ne fait pas montre d’une grande humilité. Avant d’être retiré en raison des critiques qu’il a suscitées, un texte intitulé « Est-ce qu’une autre équipe aurait pu faire mieux ? » a été publié dans le site Internet du parti de la majorité. Durant la première vague, de surcroît, plusieurs s’étaient enorgueillis de ce que les données de Google avaient révélé que le Québec fut l’État nord-américain où la consigne de rester chez soi a été la mieux suivie. En l’occurrence, j’hésite à parler de messianisme, mais j’y vois certainement la manifestation d’un nationalisme sanitaire.
Plusieurs de mes amis français se reconnaissent spontanément dans les critiques que j’émets à propos des excès sanitaires au Québec. Dans ce domaine, la Belle Province est-elle vraiment différente des autres sociétés occidentales ?
Toutes les sociétés occidentales ont paru mal préparées pour braver la tempête contagieuse nommée « coronavirus ». La plupart d’entre elles ont réagi de la même façon : état d’urgence sanitaire, confinement, fermeture de larges pans de l’économie, voire l’instauration d’un couvre-feu.
Le Québec a adopté des mesures strictes, comparables à celles d’autres États occidentaux, mais les taux de satisfaction y sont très élevés. Un sondage d’avril 2020 révélait que 95% des Québécois étaient satisfaits des mesures choisies par le gouvernement Legault, et celui-ci a obtenu la plus grande satisfaction des gouvernements provinciaux au Canada. Les taux de satisfaction sont encore très hauts un an plus tard. Ce qui étonne encore davantage, c’est que le Québec est le seul État en Amérique du Nord à avoir imposé un couvre-feu intégral, lequel est en vigueur depuis le 9 janvier dernier selon des modalités qui ont varié.
Une piste est à explorer. Il se pourrait que la société québécoise, en raison de son vieillissement fulgurant – la plus vieille en Occident avec le Japon –, ait un goût accru pour la sécurité. La vice-première ministre, Geneviève Guilbault, a même demandé aux citoyens d’être « dociles ». La politique sanitaire du Québec est le prolongement de son inaction politique en tant que communauté nationale de langue française, qui est minoritaire à l’échelle du continent, en ce que le Québec apparaît de plus en plus comme une société contre le risque. Aussi cette société tend-elle à faire beaucoup plus confiance à son État que ne le fait la société française. Bien qu’il soit incomplet, l’État, ici, c’est nous, notre outil de survie culturelle. En conséquence, nous oublions qu’il est aussi « une chose froide qui ne peut être aimée » (Simone Weil).
L’abandon des chiffres romains dans certains musées est la dernière illustration du désastre égalitariste. Or les chiffres romains témoignent de notre enracinement et de notre dette. Ils disent ce que nous sommes.
On pouvait le voir venir depuis quelque temps déjà : les chiffres romains, entre autres vieilleries, n’en avaient plus pour longtemps. Il suffisait d’entendre lire à voix haute, en classe, les élèves d’aujourd’hui: plusieurs parmi eux butent sur l’antique graphie des chiffres, hésitent, en viennent parfois à proférer des énormités, aussi incongrues et comiques que dramatiques dans ce qu’elles révèlent d’ignorance. On n’est pas loin du sketch des Inconnus dans lequel les humoristes mettaient dans la bouche d’élèves parfaitement incultes un laborieux « Louis Croix Vé Bâton »…
Caricature gratuite ou prémonition ? Un échantillon de choses vues, et surtout entendues, dans la vraie vie : « Charles Vé » pour Charles V, ou encore (si j’utilise une transcription peu conforme à l’alphabet phonétique mais dont Queneau était adepte) « Paille iks » pour Pie X. Le temps scolaire des humanités n’est plus, les références ont changé: ce pauvre pape se trouve réduit dans la profération de son nom à un dessert aux pommes et au combat politique d’un certain Malcolm… – Coca-Cola a détrôné Caligula. L’écrit ne vaut pas mieux: une copie de bac mémorable évoque le Papino 103, sans doute un vieil Italien qui roule en Peugeot, en lieu et place du nom, romain jusque dans les chiffres, du pape Innocent III ! Récemment j’ai trouvé des Henri 4 et des Louis 14 sous la plume des élèves, que j’ai gratifiés d’un gros point d’exclamation censé exprimer la surprise et la désapprobation.
La société s’adapte à l’ignorance
Ce que je découvre, c’est que maintenant la société leur donne raison, et que je vais devoir me balader avec mon stylo rouge dans les musées parisiens, en tout cas ceux qui pratiquent la suppression des chiffres romains sur certains affichages: depuis quatre ans le Louvre, tout en conservant le nom traditionnel des rois et des reines, écrit les siècles en chiffres arabes, et le musée Carnavalet vient de prendre la décision d’appliquer cette mesure aux monarques eux-mêmes. Louis XIV devient donc, par la grâce de l’effaceuse modernité, Louis 14 : avouons qu’il perd dans l’opération pas mal de sa superbe et que le siècle qu’on dit grand n’a plus tout à fait la même allure! Comme dit Léo Ferré, « ça t’a une de ces gueules »… Oui, le XVIIème siècle et Louis XIV perdent de leur éclat et de leur solennité en devenant le 17ème et Louis 14. Les chiffres romains, on a beau dire, c’est peut-être intimidant mais ça force le respect.
Un surmoi bourdieusien est à la manœuvre chez ces démolisseurs…
Tout cela pourrait paraître anecdotique, mais dit en réalité beaucoup de ce que nous devenons : si l’on reprend les mots de la personne en charge du service des publics au musée Carnavalet, Noémie Giard, il s’agit de viser un principe « d’accessibilité universelle » afin de n’exclure aucun visiteur, y compris les étrangers ou les gens « en situation de handicap psychique ». Je ne sais pas trop ce que ce dernier élément, aux contours assez flous, vient faire là-dedans, mais bon. Si on traduit la chose, cela signifie que tout le monde doit pouvoir comprendre ce qui est écrit sur les cartels.
Profond mépris
Une telle préoccupation peut paraître louable et généreuse, mais comme toujours cet humanisme de pacotille révèle un profond mépris: sans le dire, cette simplification vise en réalité plus spécialement les « nouveaux publics », ceux qu’on cherche à attirer dans les musées, à savoir les jeunes générations et les classes populaires. Et que croit-on dans les milieux éclairés? Que ces publics viendront au musée si on se met à leur portée, si on parle la langue qu’ils peuvent comprendre. Ils ne viendront pas plus. Et surtout, plutôt que de les estimer capables d’apprendre quelque chose qu’ils ne connaissent pas ou qu’ils connaissent mal, capables de se familiariser avec cette graphie des temps anciens, on choisit de supprimer la difficulté, toute relative au demeurant – on n’est pas non plus devant la pierre de Rosette: nul besoin d’un Champollion pour décrypter les chiffres romains! Si on se met à supprimer tout ce que les gens sont susceptibles de ne pas comprendre, autant décrocher tout de suite, parce qu’elles sont pleines de références bibliques et historiques, les collections de peintures sur les murs des musées.
En somme, on craint de faire se sentir mal à l’aise quelqu’un qui ne sait pas, on a peur de discriminer l’inculte, de stigmatiser l’ignorant. C’est l’esprit du temps. Celui-là même qui a présidé à la destruction de l’enseignement de la langue française: on a jugé discriminante la maîtrise de l’orthographe et de la grammaire et on a fait en sorte – avec un succès certain – de ne plus permettre à aucun élève d’y accéder. Quand plus personne ne sait, les complexes disparaissent: l’ignorance est très égalitaire. Le nivellement par le bas est l’autre nom de « l’accessibilité universelle » dans la doxa qui se dit progressiste. Ceux qui ont réchappé de ce travail de sape à l’école sont des miraculés.
Surmoi bourdieusien
La même démarche démagogique amène plusieurs éditeurs à faire récrire les classiques de la littérature jeunesse, dont l’abord était rendu difficile par des phrases de plus de deux lignes, des mots recherchés et des verbes au passé simple ! Certaines maisons d’édition en sont à demander une réécriture modernisée de Molière, qui avait l’audace d’employer des mots ignorés par certains, parfois même dans une forme versifiée dont le méchant élitisme n’est plus à démontrer. Le surmoi bourdieusien qui est à la manœuvre chez ces démolisseurs leur souffle certainement qu’il est légitime, au nom d’une égalité mal comprise, de liquider ces antiquités. Toujours la même logique: supprimer l’obstacle plutôt que de donner les moyens de le surmonter par l’acquisition de la connaissance. Tous ces promoteurs de l’inculture ignorent qu’il puisse exister une curiosité intellectuelle, qu’il puisse y avoir une jouissance du dépassement de la difficulté, et qu’on puisse vouloir s’élever au-dessus de soi-même. Jamais ils ne font le pari du savoir et de l’intelligence. Apprendre à lire les chiffres romains pour un enfant, c’est avoir la satisfaction de percer un mystère qui lui ouvre un monde, et pas n’importe lequel: le sien.
Le vice-directeur du Corriere della Sera, Massimo Gramellini, a parfaitement saisi ce qui est à l’œuvre dans la suppression (même partielle) des chiffres romains. Il y voit « la synthèse parfaite de la catastrophe culturelle en cours ». « D’abord, dit-il, on n’enseigne plus les choses, puis on les élimine pour que ceux qui les ignorent ne se sentent pas mal à l’aise. » Ce qui s’est passé avec l’orthographe, ce qui se passe avec les classiques, on le retrouve dans cette nouvelle doctrine muséale: il faut exclure tout ce qui n’inclut pas. Et les chiffres romains, eh bien ça n’inclut pas assez…
Ce que cette décision dit aussi de nous, au-delà du désastre égalitariste, c’est que nous ne voulons plus être affiliés: les chiffres romains disent notre enracinement et notre dette. Ils nous désignent comme les enfants d’une aire géographique, les enfants d’une histoire, d’une pensée et d’un art qui ont façonné notre rapport au monde. Remplacer les chiffres romains, dans les musées puis dans les livres, c’est effacer ce qui nous relie, c’est faire croire que nous procédons de nous-mêmes. Un homme désaffilié, sans passé, sans dette, qui ne sait plus rien et n’a plus rien à transmettre, réduit à la pure fonctionnalité de l’immédiat, voilà ce que donne à voir la disparition programmée des chiffres romains. Supprimer les signes, c’est supprimer les choses: Orwell, Klemperer et les partisans de la « cancel culture » le savent, les deux premiers pour nous préserver de l’entreprise d’effacement totalitaire, les autres pour nous y entraîner et nous y perdre.
Nous sommes héritiers et dépositaires, mais la modernité s’acharne à nous détacher. Et le temps n’est pas loin où les jeunes gens ne verront plus dans les inscriptions sur les églises et les monuments que les hiéroglyphes d’une civilisation disparue.
La dernière cérémonie des César était navrante, ce dont tout le monde convient. Mais c’est la baisse effrayante du niveau culturel du pays depuis cinquante ans qui devrait vraiment nous inquiéter.
Presque tous les médias sont tombés à bras raccourcis sur la 46ème cérémonie des César. Dès la fin de la soirée, les critiques ont commencé de pleuvoir. Un vrai feu d’artifice comme dans les quartiers lorsqu’une bande s’en prend aux pompiers et aux forces de l’ordre avec des mortiers. L’image est osée ? Laissons-lui la bride sur le cou pour voir ce que ça donne!
Imaginons qu’une bande de lascars soit entrée ce soir-là dans le théâtre de l’Olympia en hurlant : « Y en a assez de toutes vos conneries. On en a marre de dealer en bas des immeubles. On s’emmerde à la maison avec vos petites cérémonies et vos grandes déclarations. On veut du vrai cinéma, du vrai spectacle ».
Imaginons, car hélas ! ce n’est pas ce qu’il s’est passé, qu’un gars de la bande se soit précipité sur scène, ait pris le micro et s’en soit pris à la pitoyable Corinne Masiero : « T’as vu à quoi tu ressembles à poil avec tes tampons hygiéniques accrochés aux oreilles comme des cerises. Tes leçons, tu peux te les accrocher aussi. T’es même pas foutue d’écrire sans faire de fautes. « Rend nous (sic) l’art Jean ! » que t’as écrit sur ton dos… qu’une copine plutôt a écrit, surtout pas un mec, parce que t’as des convictions ! Tu ne sais pas que « rendre » ça prend un « s » à l’impératif ? Tu verras demain les médias, ils oseront pas ajouter un petit sic entre parenthèse derrière ta faute ! Ils te corrigeront sans rien dire ; ils ont peur. Parce qu’une faute d’orthographe, c’est pas grand-chose, ça se pointe pas du doigt, ça ferait ringard ! On ne va tout de même pas se ridiculiser en disant que c’est grave. On en a vu d’autres, avec les boîtes de Merda d’artista dans les musées et les urinoirs ! Et tes copines qui ont installé sur l’esplanade du Trocadéro un clito géant, on aurait dit une mante religieuse ! Alors une faute, ce n’est rien. L’orthographe, y en a plus ! La pudeur ? Si demain on te dit que t’as été trop loin, qu’il y en a assez de ton féminisme à deux balles, que ta défense de ce que ton dos appelle « Art » et tes seins, « Culture », personne n’en veut, que n’importe quelle conne peut se mettre à poil sur scène, que ça a déjà été fait mille fois, t’auras plus qu’à venir devant les caméras pour dire que t’assumes, que tu t’en fous. Je t’entends déjà te répandre, chez Mediapart, avec une sincérité « premier prix » trouvée dans les rayons du bas : « Qu’une meuf de mon âge se foute à oilpé [à poil NDLR], sans être rafistolée, avec les miches qui tombent et puis la cellulite (…) le ventre comme ça et les seins qui font comme ça (…), pas épilée, rien du tout. Oh, mon dieu ! (…) Ça révèle beaucoup de choses, non ? On est bien dans une société patriarcale et sexiste (…) Moi, ma force c’est d’être moche et populaire et vulgaire. Et donc si ça gêne des gens, posez-vous la question de pourquoi ça vous gêne. » T’es dans le poncif, capitaine Marleau ! Ce qui me gêne, c’est pas que tu te mettes à poil avec les miches qui dégringolent, c’est ta grosse faute dans le dos. Une faute d’orthographe, c’est pire qu’une faute morale ou qu’une faute de goût, c’est le péché originel depuis cinquante ans, qui fait que tout va de travers dans ce pays. Tu veux nous prouver quoi ? Que les hommes sont des salauds, surtout s’ils sont blancs ? Que sans la culture des navets de ta télé, on serait en manque ? Tu rigoles, tu nous as tout simplement montré qu’à force de ne plus apprendre à l’école à mettre un « s », on ne sait que montrer ses fesses. Mais on le savait. » Rideau !
Christophe Bourseiller publie un essai sur une des plus étranges et des plus fascinantes figures de la littérature contemporaine, disparue en 2010.
Quelle surprise de voir paraître un essai intitulé En cherchant Jean Parvulesco, sous la plume de Christophe Bourseiller, journaliste, spécialiste de l’ultragauche… et surtout connu comme acteur. Fils de comédiens, il apparaît en effet très jeune dans trois films de Jean-Luc Godard, son parrain aux côtés, le veinard, de Marina Vlady ou de Macha Méril. Avec le recul, il se voit comme un « singe savant » ou, plus âgé (dans les films d’Yves Robert ou de Claude Lelouch), comme « un pitre plein de morgue ».
Devenir immortel et puis mourir
En réalité, le livre est une sorte de lettre à Godard, pleine d’amertume. Sa première moitié est centrée sur le cinéaste, à la fois placé sur un piédestal et cible de reproches plus ou moins implicites. A l’origine, la fameuse scène d’A bout de souffle où Jean-Pierre Melville, qui joue le rôle d’un écrivain qui s’appelle Jean Parvulesco, répond à Jean Seberg que sa plus grande ambition dans la vie est de « devenir immortel, et puis mourir ».
Christophe Bourseiller semble s’agacer a posteriori de l’importance accordée par Godard à cet inconnu, car, en 1960, Jean Parvulesco n’a rien publié ; il grenouille dans les milieux de la Nouvelle Vague avec Alfred Eibel et Michel Mourlet. Ce futur auteur ésotérique, ami d’Abellio et de Rohmer, proche d’Eliade et de Melville, justement, est en train de devenir une figure mythique. Fut-il un agent de la Sécurité militaire française, voire des services britanniques, dans la Vienne du Troisième Homme ? Quel fut son rôle occulte dans certain gouvernement provisoire en exil à Madrid ? Sauva-t-il l’acteur Maurice Ronet d’une plongée fatale dans la guérilla anti-marxiste en Angola ? Mystère et boule de gomme.
Tout au long des pages, le lecteur perçoit chez Christophe Bourseiller un mélange de fascination ennuyée pour Parvulesco, perdant complet aux yeux de cet homme installé (professeur à Sciences Po, chez lui dans tout l’appareil politico-médiatique) et aussi de profond ressentiment à l’égard de Godard. Nous passons de l’une à l’autre sans toujours savoir où veut en venir ce Narcisse contrarié. Parfois pointe l’impression que l’exilé roumain sert de stylet dans un règlement de compte. Bourseiller n’est pas écrivain, juste un journaliste – lui manque hélas ! la patte du styliste pour décrire ce malaise. D’où ma déception à lecture de son livre, qui n’est pas vraiment une enquête ni une descente en soi-même. Dommage.
Le flamboyant mythomane
En un mot comme en cent, l’énigmatique Jean Parvulesco (1929-2010), un ami regretté, qui écrivait « dans un but de guerre eschatologique finale », le voyant extra-lucide entre burlesque et vision, le continuateur en géopolitique de Karl Haushofer –Endkampf pour le bloc continental ! -, le conspirateur-né et le flamboyant mythomane, cette figure attachante des décennies durant d’un certain underground, attend toujours un livre digne de lui.
En cherchant Jean Parvulesco de Christophe Bourseiller (La Table Ronde)