La France sortira-t-elle un jour des grands débats sur l’assimilation?
On peut se le demander tant l’actualité politique ou la vie intellectuelle sont occupées par la question. Le socialiste Manuel Valls vient de faire son «grand retour» en librairie avec Pas une goutte de sang français (Grasset). De son côté, Raphaël Doan a publié un essai remarqué Le rêve de l’assimilation (Passés Composés). Dans la majorité, Aurore Bergé part en croisade contre le rappeur Médine…
Vincent Coussedière prend la plume à son tour pour livrer son avis sur l’assimilation. Spécialiste du populisme, le professeur de philosophie se penche sur la question dans son dernier ouvrage Éloge de l’assimilation, critique de l’idéologie migratoire. Il déplore le fait que l’immigration soit désormais considérée comme un phénomène ordinaire, que personne ne remet plus en question.
Replacer la question du point de vue de la nation
Son livre invite à s’interroger sur la tradition française d’accueil des populations étrangères. Assimilation, intégration, inclusion: que faut-il faire de ces populations étrangères qui arrivent en grand nombre sur notre sol ? Jusqu’à la moitié du XXesiècle, il “s’agissait de se placer du point de vue de la nation”. L’assimilation était largement prédominante. L’immigré devait être avant tout utile à la nation et assimilable à elle. “Or, observe Coussedière, dès la fin des années 1970, un certain nombre de conflits sociaux se transformèrent, dans une logique sartrienne, en conflits identitaires, la reconnaissance de l’identité de l’immigré et particulièrement de son appartenance à l’islam, prenant le pas sur les revendications classiques d’égalité économique.” Depuis les années 1980, on change ainsi de paradigme. Vraisemblablement dans la continuité du mouvement de mai 68, c’est le respect de l’identité de l’étranger qui prime. Dès lors, ce ne sont plus les intérêts de la nation qui prévalent comme du temps de Charles de Gaulle, mais bien les besoins de ces nouvelles populations.
L’intégration offre l’avantage de préserver les identités propres aux arrivants, tout en les incluant dans notre société. C’est le fameux « vivre ensemble ». Étrangers chez eux, Français en société, telle était l’idée… L’auteur cite Jürgen Habermas pour qui la différence entre le plan des mœurs, relevant du cercle privé, et celui de la citoyenneté, relevant de la sphère publique, n’empêcherait pas d’arriver à une volonté commune. Mais séparer la sphère publique de la sphère privée est impossible pour un musulman qui voit toute sa vie réglée par la charia.
Renouer avec un projet national
Jusqu’alors, la laïcité et les valeurs de la République étaient le cadre offert par la nation française aux candidats à l’assimilation. Mais les défaillances de ce système sont désormais flagrantes. Le port du voile dans l’espace public montre à quel point cette idéologie migratoire a été naïve. L’essayiste cite Malika Sorel: « Nous ne sommes plus confrontés à un phénomène migratoire classique, mais à des phénomènes de diasporas. Les migrants n’ont plus besoin de se plier aux us et coutumes des Français. L’État lui-même a joué un rôle majeur dans la dégradation de l’insertion et de l’intégration. » Vincent Coussedière évoque également cette « soumission » à l’étranger, dont Michel Houellebecq a fait un roman.
Selon lui, l’idéologie migratoire repose sur trois verrous: un verrou affectif qui déplace sur la figure de l’immigré la honte du sort fait aux juifs, aux Noirs ou aux colonisés; un verrou théorique du libéralisme concret qui flatte l’identité propre à chaque individu; et un verrou militant de l’engagement des médias et du droit pour défendre les immigrés et leur représentation victimaire. Le philosophe analyse longuement la pensée de Sartre qui a posé les bases de l’idéologie multiculturelle en France: “Sartre ne s’est (…) pas préoccupé du sort réel des Juifs, des Noirs, des colonisés, des immigrés, il ne s’est pas préoccupé des torts qui leur sont fait en matière de droits et de liberté, il s’est préoccupé d’un tort essentiellement “moral”, d’un tort porté à la reconnaissance de leur identité.” Coussedière dénonce les amalgames faits trop souvent entre patriotisme et xénophobie, entre nationalisme et racisme, entre racisme et antiracisme. « Une relation équilibrée aux étrangers sera de nouveau possible dès lors que nous aurons renoué avec la fierté, non d’une simple identité, mais de la grandeur d’un projet national. » Pour les Grecs, filiation et éducation étaient les conditions nécessaires pour appartenir à la Cité. Avec notre droit du sol, on en est bien loin! La faiblesse de notre modèle français, qui a honte de lui-même, ne peut s’imposer face à la masse critique de l’immigration.
La solution : une assimilation sélective
Coussedière plaide pour qu’on revienne à une assimilation plus sélective. Il parle ainsi d’ « exclusion inclusive » des immigrés. Exclure l’immigré si ses modèles culturels sont incompatibles avec les nôtres, et l’inclure si ses modèles sont compatibles ou s’il accepte de s’en libérer pour s’assimiler à la France. Pour lui, il ne faut tout simplement plus considérer les immigrés comme des victimes, mais comme des êtres politiques avec un projet.
On ne peut que lui donner raison. Pour assimiler, il faut effectivement séduire, donner envie aux gens de s’intégrer. Mais la France d’aujourd’hui est-elle séduisante pour ceux qui arrivent? La binationalité n’est-elle pas une aberration française de plus? Un individu peut-il être citoyen de deux pays à la fois dans cette logique de renforcement de l’assimilation?
Et si l’on revoyait le film de Just Jaeckin dans sa version restaurée avec Françoise Fabian en mère maquerelle de haut standing?
Il y a un plaisir non coupable à revoir ce film de mai 1977 dans notre époque qui chasse le téton et prône l’émancipation par l’auto-entreprenariat. Dans les vapeurs d’alcôve, poudrée à saturation, avec ce grain voilé si caractéristique de la décennie, censé alors rehausser la qualité esthétique de l’image, surgissait une « Madame Claude » des beaux quartiers. Habillée par Guy Laroche, chapeautée à la Garbo, les lèvres soulignées d’un rouge carmin, à l’arrière d’une limousine Mercedes avec chauffeur, Françoise Fabian passait de la Maud de Rohmer à la Claude de Jaeckin sans se départir de son aura tentatrice. Elle possédait cet érotisme sulfureux qui fut longtemps l’apanage des bourgeoises-amazones avant qu’elles ne se décident à militer pour les droits de l’Homme et renoncent à leur charme vénéneux. Le réseau de call-girls de « Madame Claude » avait ce côté poisseux des dessous de la République, sa fesse sombre, arrangements policiers et renseignements sous la couette, toute la mythologie du « gai Paris » avec Giscard à la barre. Diplomatie à l’horizontale et parties de chasse en Sologne, la France tirait ses dernières cartouches des Trente Glorieuses. Autrefois, les grands de ce monde apprenaient notre langue en pratiquant le sexe hautement tarifé. Ils visitaient la capitale, le gland à la main, l’Assimil dans la braguette. Aujourd’hui comme hier, sur Netflix en biopic ou en VHS fatiguée, la prostitution de luxe est un sujet vendeur, fourre-tout, où le bon peuple peut nourrir sa haine des puissants et leur prêter toutes les turpitudes possibles. On peut faire dire tout et son contraire à ce fait de société. Des souvenirs polissons au trafic d’êtres humains, de l’accessoire au servage, de l’anecdotique au pathétique, de la gaudriole au salace, l’échelle des valeurs varie au gré des indignations. En 1977, Just Jaeckin photographe de mode starisé par « Emmanuelle » s’empare des « Mémoires de Madame Claude » écrites par Jacques Quoirez, le frère de Françoise Sagan, présenté dans la littérature de l’époque comme testeur en chef du réseau. Son rôle est tenu à l’écran par un Maurice Ronet, initiateur crépusculaire, avec juste le dégoût nécessaire pour rendre son personnage crédible. Dans ce polar légèrement dénudé, entre CIA et barbouzeries, casting international et agence de tops models, il n’y a pas de vérité historique à rechercher. Serge Gainsbourg signe la musique et Françoise Fabian, au mental d’acier délicatement ébréché, fascine par sa sécheresse et cette voix soupçonneuse qui semble toujours agresser pour mieux séduire. Elle fait du macrotage en jupons, une leçon de management à destination des jeunes travailleuses du sexe. Ce qui pouvait sembler un peu kitsch et démonstratif en 1977 prend une patine en 2021 dans cette version master haute définition qui comprend en bonus le documentaire « Les confessions de Madame Claude » d’une durée de 55 minutes. Certains flottements de la caméra, le flou comme mise en scène suggestive, font de cette œuvre parfois sous-estimée, à mi-chemin entre le thriller et l’étude de mœurs, un moment hors du temps. Avouons-le, terriblement addictif dans l’évocation d’un passé fantasmé et dont même les errements esthétiques forment de belles rides sur la pellicule. Just Jaeckin, promoteur inspiré d’un art de vivre décadent, filme avec volupté cette fin des années 1970. Quand la permission et la soumission jouait un entrelacs malsain. Jaeckin fut le talentueux étalagiste de la vitrine France. Le film s’ouvre ainsi sur le nez aquilin d’un Concorde de la British Airways. Il fait appel aux mannequins Dayle Haddon, Vibeke Knudsen et Yva Setterborg pour capter l’attention du spectateur. Rappelons pour mémoire les mensurations de Marie-Christine Deshayes, également à l’affiche du film et mannequin de l’agence Elite, ère John Casablancas, située rue d’Artois dans le VIIIème arrondissement : Hauteur 1,76/Poitrine 85/Taille 60/Hanches 89/Confection 38/40/Chaussures 40/ Gants 7½/ Cheveux bruns/ Yeux bruns. Pour faire peur, il fallait un méchant dans l’histoire, un affairiste fou à l’accent tranchant et à la blondeur gominée, Klaus Kinski en est la caricature. Il est embauché et on lui octroie un fils, le tout jeune comédien Pascal Greggory. Après La Mandarine de Molinaro, Murray Head continue à interpréter les jeunes anglais désœuvrés. Il est bizarrement doublé par Pierre Arditi ce qui rend le visionnage décalé mais pas désagréable pour autant. Et puis surtout, Jaeckin recrute deux seconds rôles de premier plan du cinéma français : André Falcon et François Perrot. Il suffit de les voir pour que notre mémoire se mette à tournoyer. Ils ont la raideur administrative nécessaire à leur fonction. Madame Claude est comme ces parfums, un peu trop voluptueux et chargés, qui ouvrent les vannes du passé.
Madame Claude de Just Jaeckin – DVD Nouveau Master Haute définition
Les camps sont désormais bien identifiés: extrême -gauche, décolonialisme, écologisme rougeâtre, pensée « woke », cancel culture et autres idiots utiles de l’islamisme et, en face, un assemblage hétéroclite de laïques, de souverainistes, de républicains du printemps, tous proches sans vouloir le dire toujours d’un nouveau Rassemblement national et de ses transfuges ou du moins partageant leurs préoccupations sur l’immigration, la guerre des banlieues, la sécurité quotidienne et la survie de la nation comme les Ménard, Messiha, Maréchal, Zemmour, Charlotte d’Ornellas. Une gauche et une droite en capilotade, un islamisme représenté par des frères musulmans, des Turcs erdoganistes, des tablighis, des salafistes. Des gouvernements qui tiennent la barre d’un navire qui craint de chavirer dans la tempête annoncée, s’appuyant sur une Europe à la face perdue et un droit désuet et une justice chancelante. Dans l’attente, une école qui ne se sait pas en ruines, une armée encore grande muette, une police qui gronde en sourdine et des citoyens divisés selon leurs revenus, leurs lieux d’habitation et de travail, divisés également par leurs appartenances communautaires, taiseux mais laissant échapper parfois des colères pas toujours bien entendues ni bien résumées.
Sur tout cela planent les ombres d’un Macworld encore américain mais désormais de plus en plus chinois et d’un djihad assumé et conquérant. Les réseaux sociaux s’empressent de n’offrir que le choix entre les arrangements soumis ou la guerre à outrance, où la raison, le dialogue et l’esprit critique n’ont plus de place ni la voix au chapitre. « Quos vult perdere Jupiter démentant ». « Jupiter rend fous ceux qu’il veut perdre. »
L’époque semble folle et le bon sens disparu. On est sommé d’appartenir à un camp et gare à ceux qui refusent d’être disposés dans de petites niches idéologiques. Ils sont vite vus comme des traitres à la cause. Comme dans la vie d’un individu tenté par le suicide, la dépression ou le meurtre, les sociétés balancent d’un extrême à l’autre, d’une maladie collective à une autre, élites et masses populaires unies dans le cynisme et la désespérance.
D’où viendra le salut ? La reconnaissance de la réalité? La fin des privilèges dans une nuit du 4 août renouvelée? Une révolution non manichéenne? Les retrouvailles avec l’amour de soi et la confiance en soi qui orientent l’action et déterminent un destin meilleur, même s’il faut en passer par l’usage de la force? Chacun de nous en est responsable et redevable, même si l’héritage des erreurs et des fautes passées est lourd. Nous aurons besoin de beaucoup de science et surtout de beaucoup de conscience.
Dans ce débat qui revient sans cesse, les sénateurs ont adopté le 30 mars un amendement présenté par Max Brisson (LR) élargissant le principe de neutralité aux parents accompagnant les sorties scolaires.
Bien plus courageux que le gouvernement, le Sénat a voté ces derniers jours plusieurs amendements bienvenus au projet de loi « confortant le respect des principes de la République ». L’un d’entre eux, en particulier, a suscité de nombreuses réactions. Et l’ampleur même de l’hostilité qu’il soulève parmi les islamistes et ceux que l’on appelle les islamo-gauchistes, prouve, si besoin était, qu’il est particulièrement bienvenu.
Il s’agit de l’élargissement du principe de neutralité aux parents accompagnant les sorties scolaires. En clair, et tout le monde sait que c’est ce dont il s’agit, de l’obligation faite aux « mamans voilées » d’ôter leur voile pour accompagner les sorties scolaires. Et mon titre est volontairement provocateur, puisqu’il ne s’agit évidemment à aucun moment d’interdire aux « mamans voilées » de participer aux sorties scolaires, mais simplement de leur imposer (comme d’ailleurs à tous les parents d’élèves) d’adopter lorsqu’elles y participent une tenue correcte et adaptée, ce qui n’est absolument pas la même chose.
Lydia Guirous, Fatiha Aga-Boudjahlat, Aurore Bergé favorables depuis longtemps
Défendue depuis des années par des personnalités de droite comme de gauche, au premier rang desquelles Lydia Guirous et Fatiha Aga-Boudjahlat, cette mesure a initialement été proposée à l’Assemblée par Aurore Bergé et Jean-Baptiste Moreau, malgré l’opposition de la majorité LREM à laquelle tous deux appartiennent. Le gouvernement était alors parvenu à censurer cette proposition sous des prétextes fallacieux, et on peut remercier la majorité de droite du Sénat, et en particulier Max Brisson, Bruno Retailleau, Jacqueline Eustache-Brinio et Valérie Boyer, d’avoir résolument remis la question à l’ordre du jour.
Alors que le sujet attise les passions – ce qui, redisons-le, suffit à démontrer que le voile n’est pas un « simple vêtement » – il est plus nécessaire que jamais de rappeler quelques éléments factuels, que je soumets à la réflexion de chacun.
La véritable impudicité n’est-elle pas du côté de cette soi-disant «pudeur» qui s’exhibe avec arrogance?
D’abord, il est ridicule d’évoquer un quelconque « droit de s’habiller comme on veut ». Outre évidemment l’article R645-1 du Code Pénal qui réprime « le port ou l’exhibition d’uniformes, insignes ou emblèmes rappelant ceux d’organisations ou de personnes responsables de crimes contre l’humanité », il serait (et heureusement !) inconcevable d’accompagner une sortie scolaire totalement nu à l’exception d’un string de cuir clouté et de bottes d’équitation. C’est donc que des limites, légales ou de simple bon sens, existent.
Une forme de courtoisie devrait aussi s’imposer. Serait-il légitime de prendre prétexte d’un rôle d’accompagnant pour infliger aux enfants d’autrui ses engagements militants personnels, quels qu’ils soient ? Voudrait-on voir fleurir pendant les sorties scolaires les t-shirts « Votez Mélenchon », « Le Pen, vite » ou « Tous avec Macron » ?
Naturellement, si l’Assemblée devait repousser l’amendement que nous évoquons, il sera probablement nécessaire de se faire un devoir d’accompagner les enfants en portant des vêtements ornés des plus belles caricatures de Charlie Hebdo, en particulier l’immortel « Charia Hebdo », afin d’imposer un contrepoids à l’ostentation religieuse du voile. Mais, sincèrement, ne vaudrait-il pas mieux garder le temps scolaire à l’écart de ces querelles ?
Un signe sexiste et obscurantiste
Au-delà de ces considérations générales sur la neutralité, et parce que c’est évidemment du voile islamique qu’il s’agit, et non de t-shirts politiques ou de la robe safran de moins bouddhistes, il est bon de se souvenir de certains points concernant spécifiquement ce voile, qu’il s’agisse d’un hijab, d’un simple foulard, d’un khimar, d’un jilbab ou que sais-je.
Avant tout, convenons que la signification d’un symbole dans l’espace public de dépend pas des intentions de la personne qui arbore ce symbole, mais du sens qui lui est collectivement attribué. Elle est définie par une histoire, un contexte, et son usage dans le cadre général. Ainsi, si deux spécialistes de la Rome antique se rencontrent dans la rue et se saluent à la romaine, on leur reprochera ce que tout le monde prendra pour un salut nazi, et ce reproche sera parfaitement justifié. Dans le cas du voile, la question n’est donc pas de spéculer sur les raisons pour lesquelles telle ou telle femme le porte, mais de savoir si oui ou non il s’agit d’un symbole, s’il a une signification dans l’espace public, et si oui, laquelle. Ensuite, et ensuite seulement, il sera possible de débattre de l’attitude à adopter.
On me rétorquera que nous ne sommes pas en Iran: nous ne sommes pas non plus un monde à part, sans lien avec le reste de la planète
L’histoire du voile est évidemment à prendre en compte, et sur ce point je renvoie d’une part à la conférence de Souâd Ayada sur le sujet, mais aussi à la prise de position pleine d’humour du président Nasser. On connaît ces photos des années 60, qui montrent que les universités du Caire ou de Téhéran accueillaient de nombreuses étudiantes, dont aucune ou presque n’était voilée. On sait que dans la foule iranienne qui pourtant acclamait Khomeiny à sa prise de pouvoir, il n’y avait pas de femmes voilées. Et on sait, ou en tout cas toute personne s’exprimant sur le sujet du voile devrait savoir, que dès que ce symbole fut rendu obligatoire par la république islamique, des Iraniennes descendirent courageusement dans la rue par milliers pour protester. Rappelons enfin que, selon les sondages, deux tiers des musulmanes vivant aujourd’hui en France ne portent pas le voile, et on en trouve même bon nombre qui sont les premières à s’y opposer !
L’équation simpliste musulmane = femme voilée est donc radicalement fausse. La critique même virulente de ce symbole, que le musulman et islamologue Ghaleb Bencheikh a qualifié « d’atteinte à la dignité humaine dans sa composante féminine », ne saurait donc être considérée comme un rejet des musulmanes en général. C’est même plutôt sa défense qui est très souvent une tentative d’invisibiliser les musulmanes non voilées !
En France, c’est le voile qui est impudique!
D’ailleurs, cette défense du voile s’accompagne systématiquement de la dévalorisation des femmes qui ne le portent pas, toutes les campagnes de promotion du hijab le prouvent. Ainsi, on se souvient de Hani Ramadan, déclarant « la femme sans voile est comme une pièce de deux euros, elle passe d’une main à l’autre. » On se souvient aussi des campagnes d’affichage comparant la femme voilée à une sucette emballée, et la femme non voilée à une sucette sans papier recouverte de mouches. Méprisant pour les femmes, et révélateur d’une certaine vision des hommes considérés comme incapables de respecter les femmes. « Un homme, ça s’empêche. Voilà ce qu’est un homme » écrivait Camus. Manifestement pas pour les défenseurs du voile. Intéressant aveu de ce qu’ils pensent d’eux-mêmes, de ce qu’ils pensent que leurs convictions ont fait d’eux.
Quant au terme désormais généralisé dans le monde anglo-saxon de « modest fashion » pour désigner la mode islamique, en français « mode pudique », il est une injure puisqu’il sous-entend que les femmes qui ne se plient pas à ses diktats seraient « immodestes », impudiques – diront-ils bientôt ouvertement « impures » ? Et au passage, la véritable impudicité n’est-elle pas du côté de cette soi-disant « pudeur » qui s’exhibe avec arrogance ? « Regardez-moi comme je me dissimule bien ! » « Regardez-moi comme je suis bien pudique ! » Profonde hypocrisie : il ne peut pas y avoir de pudeur ostentatoire.
Conséquence évidente, partout où le voile devient la norme, les femmes qui ne le portent pas voient leurs droits bafoués. Le cas de l’Iran est à cet égard emblématique, et on ne dira jamais assez le courage admirable des femmes qui s’opposent à ce vêtement devenu le symbole de la dictature totalitaire islamiste. On me rétorquera que nous ne sommes pas en Iran : nous ne sommes pas non plus un monde à part, sans lien avec le reste de la planète. Prétendre qu’il n’y aurait aucun rapport est, de la part de celles qui défendent ici le port du voile, d’un incroyable égoïsme. Comme le dit l’égyptienne Mona Eltahawy : « Les femmes du monde occidental portant un voile contribuent à asservir les femmes ailleurs dans le monde pour lesquelles le port du voile est une contrainte. »
Même en France, on observe la justesse de la formule de Waleed Al-Husseini : « le port du hijab est un choix, jusqu’à ce que vous l’enleviez. » Les tombereaux d’insultes que les réseaux sociaux déversent sur les femmes décidant d’ôter le voile le prouvent presque chaque jour, le cas de Mennel Ibtissem l’illustre bien. Harcèlement qui, hélas, ne se cantonne pas au monde virtuel : il faut entendre les nombreux témoignages comme celui-ci.
Les «mamans voilées» ne peuvent feindre d’ignorer le contexte
Se pose aussi la question cruciale de la réciprocité. Celles qui militent pour le port du voile militent-elles pour le droit de l’enlever ? Après l’attentat abominable de Christchurch, on a vu nombre de non-musulmanes porter un voile en signe de solidarité. Mais a-t-on déjà vu des musulmanes voilées enlever leur voile en signe de solidarité avec les victimes non-musulmanes des attentats islamistes ? Ou avec les femmes qui sont emprisonnées parce qu’elles refusent de porter cette tenue ? Jamais. Et cela ne suffit-il pas à nous dire tout ce que nous avons besoin de savoir sur le voile ?
Qu’on le veuille ou non, l’idéal islamique auquel se réfère le voile est sexiste, et méprisant envers les non-musulmans. Je ne dis pas que la situation des femmes dans les pays occidentaux serait parfaite : elle est cependant bien meilleure que dans les pays musulmans ! Chez nous, l’égalité des droits civiques entre femmes et hommes est garantie, alors que l’islam appelle à une radicale inégalité en droit (partage de l’héritage, valeur du témoignage, etc) qui concrétise une tout aussi radicale inégalité ontologique (la polygamie, même si elle peut être minoritaire, est autorisée, au contraire de la polyandrie, et le Coran normalise totalement les violences conjugales – sourate 4 verset 34 – ainsi que l’esclavage sexuel des prisonnières de guerre – sourate 4 versets 3, 23 et 24, sourate 23 verset 6, etc). Quant au mépris envers les non-musulmans, et plus profondément envers la liberté de conscience, il n’est qu’à constater la criminalisation de l’apostasie dans la quasi-totalité des pays musulmans pour s’en convaincre, sans oublier la légitimité doctrinale de la mise à mort des apostats.
Une tenue que les islamistes cherchent systématiquement à imposer ne saurait être considérée comme un simple vêtement : c’est un étendard, l’affichage ostentatoire de l’adhésion à une idéologie sexiste et totalitaire. Et même si celles qui le portent ne soutiennent pas tous les aspects de cette idéologie, elles en font néanmoins la promotion. C’est la situation du colleur d’affiche en période de campagne électorale : même s’il ne partage pas toutes les idées du parti qu’il soutient, en œuvrant à la victoire de ce parti il participe à la mise en œuvre de la totalité de son programme, y compris les points de ce programme avec lesquels il serait en désaccord.
Encore une fois, toutes les femmes voilées ne sont pas des islamistes. Mais aucune ne peut prétendre décider seule de la signification du symbole qu’elle porte, ni prétendre ignorer le contexte que je viens d’évoquer. Il se trouve que je connais une dame d’un certain âge, militante communiste, absolument adorable, chaleureuse, le cœur sur la main, prête à se mettre en danger pour défendre la liberté d’autrui. Est-ce une raison pour nier la réalité des goulags ? Est-ce une raison pour ne pas voir ce qui, dans l’idéologie communiste, a rendu les goulags non seulement possibles mais légitimes, pour ne pas dire inévitables ? Est-ce une raison pour autoriser des parents à participer à des sorties scolaires en arborant de la propagande stalinienne ?
Après avoir donné des gages à la gauche racialiste en soutenant les réunions interdites aux Blancs de l’UNEF, Audrey Pulvar adresse un nouveau signal fort en proposant la kolkhozisation complète de nos transports. Dans une tribune cosignée avec d’autres socialistes, elle appelle à s’engager pour ce qu’ils qualifient de « nouvelle conquête sociale».
Regroupés derrière Audrey Pulvar, qui brigue la présidence de la région Ile-de-France, six élus socialistes réclament la gratuité des transports en commun au niveau national dans le Journal du Dimanche du 11 avril. Les élus s’enflamment: « Chaque fois, la gratuité est un succès populaire immédiat, une conquête sociale que personne n’imagine plus remettre en cause ! »
Dans le texte qu’ils publient, les joyeux élus s’enthousiasment devant l’exemple du Luxembourg, premier pays où les transports sont gratuits sur l’ensemble du territoire. La gratuité est par ailleurs déjà effective dans quelques villes privilégiées comme Aubagne, Calais, Dunkerque, Niort, Libourne, Castres, Gap ou Châteauroux. Nous l’ignorions.
Des transports pour toutes et tous
Naturellement, les élus socialistes considèrent que « la gratuité, c’est l’égalité ». Cette obsession égalitariste propre à la gauche étant rappelée, les élus énumèrent ensuite les autres avantages, selon eux: « moins d’accidents de la route, moins de pollution de l’air, moins d’embouteillages sur les routes, moins de retards de livraisons ». Et s’ils ne l’écrivent pas, nous comprenons que dans leur vision, la voiture individuelle est presque le mal incarné ! Habilement, la transition écologique est invoquée pour justifier la collectivisation totale du coût des transports: « Au siècle du réchauffement climatique, notre nouvelle bataille doit être de permettre à toutes et à tous d’avoir un droit égal à une mobilité qui protège et préserve l’environnement ». Après avoir comparé leur cause à celle de la grande conquête de l’école gratuite du XIXe siècle, nos signataires ne s’en cachent donc pas: eux entendent carrément « sauver la planète ».
Initié par Audrey Pulvar, cet appel proprement révolutionnaire compte déjà des ralliements prestigieux: Michaël Delafosse, maire de Montpellier, Julie Frêche, vice-présidente de Montpellier Méditerranée Métropole, Anne Hidalgo, l’impayable maire de Paris et cheffe de Mme Pulvar, Stéphane Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis et Patrice Vergriete, maire de Dunkerque. Si l’ancienne journaliste de gauche (pléonasme ?) venait à gagner la région, la gratuité à venir du Pass Navigo en région parisienne ne serait pas sans coût pour la collectivité. La mesure est estimée à… 2.5 milliards d’euros par an. Pulvar envisage de trouver des financements en mettant en place d’obscures taxes sur le e-commerce ou les transports de marchandises polluantes. Eh oui: rien n’est gratuit. Mais Pulvar pourra aussi naturellement compter sur les conseils d’Anne Hidalgo, expérimentée dans l’art de mettre en place les budgets les plus audacieux…
Autres problèmes en commun
Quand elle se penche sur les transports, la gauche ne se préoccupe en revanche pas d’autres problèmes en commun. Celui des incivilités qui y prolifèrent, en premier lieu, ou celui plus inquiétant encore de l’insécurité qui y règne (on pense aussi au fléau des utilisateurs de drogue, zombies fumeurs de crack qui se mêlent aux honnêtes gens dans le métro parisien en plein jour). Quant aux très nombreux resquilleurs et à l’exorbitant coût de la fraude, cela n’est plus un sujet pour Anne Hidalgo. De fait, quand on milite pour la gratuité, ce n’est plus un problème.
Incapable de se faire entendre sur d’autres sujets que les réunions interdites aux Blancs de l’UNEF, parfois coupable de compromissions avec l’islamo-gauchisme, aphone sur la crise sanitaire (elle se borne à réclamer plus de lits, sans reconnaitre que les sommes colossales allouées à la santé sont mal employées), reconnaissons tout de même à la gauche le mérite d’essayer de lancer d’autres débats. Mais l’idée de transports gratuits n’est pas franchement nouvelle et c’est une chimère: le coût sera finalement réparti sur tout le monde, y compris ceux qui ne les utilisent pas, et de nouvelles taxes verront le jour. À gauche, hormis la mise en place de taxes, on ne peut pas dire qu’il y ait un embouteillage de bonnes idées.
La démographie nippone à l’épreuve: le sentiment d’isolement dû au coronavirus augmente tragiquement le nombre de suicides au Japon.
Le coronavirus ne frappe pas que ceux qu’il contamine.
En particulier au Japon, où les suicides ont flambé lors de la deuxième vague. En octobre 2020, 2 153 Japonais renonçaient à vivre, un chiffre très supérieur aux 194 morts du Covid ce mois-là et même à l’ensemble des décès Covid de janvier à octobre 2020 (1 753 morts). Certes, depuis son apparition, le virus a nettement moins tué au Japon qu’en France. Pour une population double de la nôtre, le pays déplore 8 800 morts contre 92 000 en France. Mais ce qui inquiète les Japonais, c’est l’effet de l’épidémie sur le moral nippon. Les suicides par désespoir ont augmenté de 16 % entre juillet et octobre 2020 par rapport à la même période en 2019. Chose inédite, ils frappent particulièrement les femmes (notamment les mères célibataires), les adolescents et les enfants. Les études attribuant ces suicides au sentiment d’isolement, le Premier ministre a nommé un ministre de la Solitude, Tetsushi Sakamoto, chargé jusque-là de la dénatalité et du redressement économique. Il a divulgué ses premières mesures mi-mars : subventions aux associations d’aide psychologique, prestations sociales, aides au logement pour les femmes seules, soutien aux « cafétérias pour enfants », ces restaurants qui servent aux mineurs des repas gratuits.
Cette hausse tragique des suicides vient encore obscurcir le tableau démographique du Japon dont la population (126,4 millions) fond depuis dix ans. Les projections prévoient une amplification du dépeuplement, due à un faible taux de fécondité (1,36) qui va de pair avec un taux de célibat en hausse constante. L’État japonais a débloqué 16 millions d’euros destinés aux préfectures qui s’engagent à améliorer la performance de leurs services matrimoniaux grâce à l’intelligence artificielle. Où l’on apprend qu’au Japon, à l’ère des sites de rencontre, subsistent d’authentiques agences matrimoniales. L’art de marier tradition et modernité…
Cyril Bennasar[tooltips content= »L’arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, 2021″](1)[/tooltips] se souvient de ses années de collège à Saint-Chéron, de ses transgressions d’adolescent dans la France Barre-Giscard, des « violences » innocentes de cette époque. Comment, quarante ans plus tard, devant ce même établissement, une collégienne de 14 ans a-t-elle pu être poignardée à mort? Qu’est-ce qui a changé?
Entre la sixième et la troisième, j’étais élève au collège de Saint-Chéron. On ne disait pas collège, on disait CES. On y allait en train et en sortant de la gare, on traversait en troupeau d’élèves une partie du village séparée du centre par le chemin de fer, dans un paysage aux maisons disparates, avec leurs dépendances en bois et en tôles, leurs potagers et leurs arbres fruitiers. Au milieu du chemin, on passait sur un petit pont de pierre et à la fin du parcours, on traversait un petit bois. À hauteur du pont, en descendant sur la berge et en longeant la rivière, on pouvait facilement entrer dans un jardin, en grimpant dans les arbres on cueillait des pommes et, à la fin de l’année scolaire, les premières cerises, et même des figues si mes souvenirs sont bons. Un jour, le propriétaire m’attrapa à la descente d’un pommier et me prit en photo en me menaçant de la montrer à mes parents, voire aux gendarmes, s’il m’y reprenait.
Voilà comment le retraité pensait impressionner les petits voleurs de pommes que nous étions à l’époque, pas si lointaine. On n’y croyait pas trop à son histoire de photo chez les gendarmes pour trois pommes, mais par politesse et par respect pour l’autorité d’un adulte, on faisait semblant et profil bas. On n’en savait rien, mais on était plutôt bien élevés. Le vieux m’avait fait le coup de la photo une première fois quand j’étais en sixième, puis une autre fois un ou deux ans plus tard. Comme j’avais pris de l’assurance, pour le petit oiseau et pour faire rire les copains, j’avais pris la pose. Ça avait mis le bonhomme en colère : « Ah, c’est pour la pose ! » et il m’avait attrapé pour faire mine de me jeter dans la rivière, avant de me chasser à coups de pied aux fesses. Mon audace avait beaucoup impressionné mes camarades et le récit m’avait rendu populaire. On était au maximum de l’insolence connue envers un adulte. On avait 12 ans.
À l’époque, il y avait déjà des immigrés dans cette France qu’on n’appelait pas encore périphérique. Des Portugais. À l’école, on ne peut pas dire qu’on vivait ensemble. On les appelait les « tiougs », les « portos » ou les « tos ». Pas devant eux, ils nous faisaient peur. Ils avaient deux ou trois ans et faisaient deux ou trois têtes de plus que nous, et surtout n’avaient pas les mêmes mœurs que nous. Ils étaient en cuirs et gominés, écoutaient Johnny et Elvis quand nous étions babas cool, en pataugas et patchouli et que nous écoutions Neil Young et Genesis. Ils ne nous harcelaient pas, ne nous volaient pas, on ne les voyait pas beaucoup, mais ils imposaient leur loi dans l’espace public des élèves. Lorsque nous occupions dans la cour un espace qu’ils convoitaient, ils nous en chassaient. Il faut reconnaître que ceux qui s’exécutaient sans broncher ne risquaient rien, sauf l’humiliation de la fuite, et quand on pense que ce n’est rien, quand on ne voit pas où est le problème parce que la cour est grande et qu’on n’a pas de territoire à défendre, tout va bien. Jamais on ne se serait battus pour un morceau de cour. Il aurait fallu pour ça admettre et surtout formuler qu’il y avait un « eux » et un « nous », et ne pas être encombrés de complexes parce que les mères des uns faisaient le ménage chez celles des autres. Assumer l’existence d’une forme de grégarité, d’un territoire à défendre, avec ses frontières, aurait été perçu comme une vulgaire régression de notre société, une basse trahison des idéaux libertaires qui parfumaient l’air du temps. En fait, nous vivions dix ans après 68 et eux dix ans avant. Ils étaient à la mode de nos parents, ils avaient une génération de retard. Il y avait entre eux et nous une étape de différence dans l’histoire des seventies, autant dire un monde à nos âges. Ils faisaient les caïds, et de toute notre condescendance, nous les méprisions. Nous étions pacifistes, ils étaient violents.
Des menaces mais sans couteau
Dans notre collège de 600 élèves, ils devaient être une trentaine, répartis dans deux classes allégées et spécialisées : les CPPN et les CPA. Je ne sais pas ce que ça signifie. Depuis, ces sigles ont changé au moins dix fois, remplacés par d’autres tout neufs quand ils sont devenus péjoratifs, remplacés à leur tour quand ils ont été rattrapés par la réalité qu’ils étaient censés recouvrir d’un sigle pudique. Il y a quelques années, une camarade de classe me rappelait que j’avais eu des problèmes avec eux à l’époque. « Avec les Portugais, il y avait un contrat sur ta tête ! » me dit-elle. J’avais la trouille comme tout le monde, mais j’étais trop orgueilleux pour me laisser faire. J’avais les cheveux longs. À 13 ans, j’avais lu le livre du hippie Jerry Rubin, Do it, que l’on pourrait traduire par « Fais ce que voudras » et je l’avais pris au mot. Les graisseux n’aimaient pas ça. À la sortie du collège et à la fin de la semaine, les menaces étaient courantes : « Si lundi, t’as pas coupé tes cheveux, tu vas voir tes dents ! » Plutôt crever que céder au chantage terroriste, j’ai pris quelques pains. En y repensant, me revient dans la bouche le goût du sang et de la chevalière d’un de ces enfoirés.
Un jour, une rumeur folle traversa le collège comme une flèche : une fille de troisième, bien connue pour sa grande gueule, avait, disait-on, été violée dans les toilettes par des Portugais, un truc incroyable qui nous avait sidérés. La fille avait démenti très vite en racontant l’incident à l’origine du scandale. Deux mecs étaient entrés dans les toilettes des filles et avaient poussé les portes des cabines. La sienne n’était pas fermée et ils l’avaient vue dans une position embarrassante. Elle les avait engueulés, le ton était monté et on avait entendu des cris depuis le préau. Toute l’histoire était là. Beaucoup de bruits et pas grand-chose. Voilà de quoi nous nous émouvions à l’époque. Je n’ai même pas le souvenir de rackets, en fait j’ai appris plus tard qu’il y en a eu, mais discrets et vite réglés par la directrice. Mais on ne parlait pas de violences. Personne n’a jamais été blessé et personne n’est mort.
Ces expériences du vivre-ensemble dont nous étions un peu les cobayes étaient pénibles mais pas mortelles. On acceptait tant bien que mal, sans le formuler et sans même le comprendre, cette implicite répartition des territoires : ils régnaient dans la rue, on avait accès à tout le reste, aux études et aux bonnes places dans la société alors on prenait notre mal en patience. On savait qu’après la cinquième, ils partiraient en CET ou iraient poser des parpaings, des Velux ou du carrelage avec leurs oncles. On comptait un peu sur la reproduction sociale pour nous éloigner de ces brutes épaisses.
J’en ai revu un beaucoup plus tard. Un pas méchant. Ce devait être l’intellectuel de la bande, parce qu’il était devenu mon conseiller au Crédit Agricole. Contre tout déterminisme, c’est lui qui avait les mains blanches et lisses d’un travailleur du tertiaire et moi qui respirais la poussière d’un atelier. Sans doute avait-il rêvé d’être important et moi d’être libre, et nous avions tous les deux réussi. En costume et les cheveux secs, il avait pris les manières obséquieuses d’un employé de banque. J’étais devenu Monsieur Bennasar et lui Monsieur Da Silva. Il s’appelait Emmanuel, il ne restait de ses origines que son patronyme, tout le reste s’était fondu dans le paysage français, même l’accent de ses parents plein de « ou » et de « ech » avait disparu, le même que celui de notre femme de ménage, Madame Gomez.
On ne pouvait pas parler de bandes ni de territoires: on était tous chez nous
Elle descendait des cités HLM en mobylette pour venir travailler dans notre pavillon modeste, identique à 700 autres dans une résidence qui n’avait pas dix ans, et qui faisait de nous pour les autres habitants de la région, des bourgeois. Parce qu’elle était moche et très ridée, mon père qui trouvait qu’elle ressemblait à Zira, l’avait surnommée « la planète des singes ». Le film avec Charlton Heston était passé à la télé. Au bout de quelques années, elle était devenue « la planète ». Je l’entends encore demander : « Elle vient demain la planète ? » Elle parlait beaucoup à ma mère. Elle lui avait raconté qu’un dimanche, alors qu’elle recevait ses enfants adultes et mariés à déjeuner, elle avait remarqué que l’une de ses belles-filles avait un œil poché. Madame Gomez avait compris tout de suite, et tandis que le mari de l’amochée s’approchait de sa mère pour l’embrasser, elle s’était haussée sur la pointe des pieds, car c’était une petite femme, et avait envoyé une gifle retentissante à son grand gaillard. « Ici, on est en France, on ne bat pas sa femme. Et que ça vous serve de leçon à vous autres ! » avait-elle prévenu en regardant ses fils.
Je l’ai revue un jour, dans la salle d’attente d’un service de l’hôpital d’Arpajon. Elle m’a demandé des nouvelles de ma famille, je lui ai renvoyé l’attention et l’ai trouvée contrariée. Elle venait d’apprendre que les soins dentaires dont son mari avait besoin ne seraient pas pris en charge et elle ne comprenait pas. En levant le menton pour me désigner discrètement, assise à côté, une femme CMU en boubou, débonnaire et accompagnée d’enfants nombreux et turbulents, elle me dit : « Et eux là, ils ont droit à tout. » Elle ne comprenait pas que ceux qui viennent d’arriver, qui font des enfants sans compter et qui tendent la main soient mieux traités que ceux qui, toute leur vie, se sont retroussé les manches.
Nous étions tous chez nous
Je n’ai pas le souvenir de véritables violences entre jeunes en 1977, ni avec les Portugais ni entre nous Français. Il y avait des inimitiés, parfois durables, et autour de deux jeunes qui ne pouvaient pas se saquer, d’autres se regroupaient sans que l’on puisse parler de bandes, sans qu’il soit question de territoires, nous étions tous chez nous. On se jouait des tours. Une fois, on avait pris devant sa maison le vélo d’une fille qu’on n’aimait pas pour le cacher dans un jardin trois maisons plus loin. On avait téléphoné chez elle en déguisant notre voix. J’avais enveloppé le combiné dans un mouchoir et, comme deux précautions valent mieux qu’une, j’avais pris l’accent pied-noir (ce qui n’était pas très malin parce que j’étais le seul Bencouscous du coin). On était tombés sur le père, car il n’y avait à l’époque qu’un téléphone fixe par foyer, et on avait exigé que la fille se pointe au bord du lac à minuit si elle voulait revoir sa bicyclette. Je me souviens qu’on s’était roulés par terre de rire en s’arrachant l’écouteur et en entendant le bonhomme sortir de ses gonds. Le soir même, alors qu’on remettait le vélo à sa place, un voisin avait surpris notre manège et nous avait demandé des explications, car les adultes ne renonçaient pas alors à remplir leur rôle d’adultes par crainte d’être lynchés. Je lui avais répondu que nous faisions une blague, mais il n’en croyait rien et nous prenait pour des voleurs, et pensant nous effrayer, avait lancé à sa femme : « Josiane, fais le numéro ! » (sous-entendu, celui des gendarmes). J’avais repris sa formule et répété à sa femme qui sortait sur le perron : « Oui c’est ça Josiane, fais le numéro ! » avant de déguerpir en courant. Pendant des semaines, on avait ri en se lançant pour un oui pour un non « Josiane, fais le numéro ! ».
L’époque des parents responsables
Pendant des vacances scolaires, avec deux copains, Christophe et Philippe dit « Doudou », on avait construit une cabane sur un champ de broussailles pas loin de l’école primaire. On aurait bien voulu qu’elle reste secrète mais au bout de quelques jours, tous les jeunes du village venaient s’y retrouver. Comme on n’était plus chez nous, on a fini par décider d’y renoncer et de pratiquer la politique de la terre brûlée. Un jour, on y a mis le feu. On lui a dit adieu et, croyant le feu éteint, on est partis sans regrets. Manque de pot, le feu a repris et a cramé la moitié du terrain. On nous a retrouvés sans délai parce que, pour l’éducation des garnements, tout le monde participait et tout le monde parlait, il n’y avait pas d’omerta, les gens étaient plus soucieux de prendre leurs responsabilités qu’inquiets à l’idée d’être traités de balances. Les gendarmes ont sonné aux portes de nos parents avant la fin des vacances. Le père de Christophe a trouvé un arrangement avec la force publique. Comme il travaillait à la Compagnie des eaux et de l’ozone, il connaissait les pompiers. Pour nous apprendre, on nous a envoyés un samedi dans une caserne pour nettoyer des casques, des bottes et des engins. On s’est sentis petits merdeux au milieu des hommes, mais mon copain a tellement aimé l’ambiance que quelques années plus tard, malgré son CAP d’électromécanique, il est devenu pompier. Il l’était encore aux dernières nouvelles.
Ça ne nous a pas servi de leçon. L’année suivante, une nuit, on est allés peindre une fresque sur la façade d’une salle paroissiale toute neuve et toute moche construite sur ce qui nous servait de terrain de foot. Il savait dessiner, je ne savais qu’écrire. Inspirés par un dessin de Reiser, il avait représenté un curé, un chasseur et un flic avec à la place du sexe, une croix, un fusil et une matraque et j’avais écrit au-dessus et en dessous : « Les gens qui ont des petites bites trouvent toujours des rallonges. » En rentrant chez lui, ce con a mis au linge sale ses vêtements tachés de peinture et sa mère n’a pas mis longtemps à faire le lien avec le graffiti de notoriété publique. C’est elle qui nous a emmenés à la gendarmerie. Une fois de plus, nos parents ont trouvé un arrangement avec l’association catho propriétaire de l’édifice outragé. On est allés se faire sermonner en regardant nos pieds et les parents ont payé un ravalement. Je leur ai remboursé ma part en travaillant l’été suivant à étaler du goudron dans les parkings de La Défense. Je ne suis pas devenu terrassier, mais peut-être un peu plus responsable.
On avait piqué la peinture pour la fresque, de gros biberons de toutes les couleurs, dans l’école maternelle en passant en pleine nuit par un Velux entrouvert et en descendant avec une corde dans le préau. On était restés des heures, à faire du tricycle, à ouvrir la cage aux tourterelles et à jouer au ballon. Je me souviens de notre fou rire quand, assis au bureau de la directrice, alors que je jouais le rôle de Madame Tapedur qui recevait les parents convoqués du petit Bennasar en tapant du poing sur la table, un des lapins qu’on avait libérés plus tôt avait passé la tête par la porte, avec ses yeux idiots, ses longues oreilles et son museau frémissant. C’était des années avant que l’on aille, pour continuer à se marrer, acheter de la pâte à rire à des dealers civilisés dont le plus gros défaut était leur manque de ponctualité, revenus de Turquie ou du Maroc en minibus Volkswagen sans croiser le moindre compatriote djihadiste, des trafiquants qui pratiquaient un commerce illégal certes, mais sans kalachnikovs.
On hésite à dire que c’était mieux avant pour ne pas risquer de passer pour un vieux con réac
Et pendant toutes les années qui ont suivi, avec leurs épisodes intermittents de petite délinquance, de squats, d’effractions plus que de cambriolages, de gardes à vue avec tartes dans la gueule, de petits deals, d’un emprunt de voiture plus que d’un vol et de deux ou trois départs précipités et sans payer d’hôtels ou de restaurants, je n’ai jamais vu briller la lame d’un schlass, et sauf pour les besoins des bagarres à la sortie des concerts, je n’ai jamais cogné ni bousculé personne. Dans toutes ces aventures illégales de mon adolescence, je n’ai jamais fait de mal à une mouche et je n’ai jamais envisagé de porter un couteau et encore moins un coup de couteau. J’en ai eu un mais avant, quand j’étais enfant, avant même d’avoir trouvé ma bite. Quand je suis entré aux Éclaireurs de France, mon père m’a emmené chez l’armurier d’Arpajon qui n’existe plus, remplacé par un kebab ou un barbier pour métrosexuels. Il m’a acheté un Opinel numéro 8 avec girolle de sécurité qui m’a beaucoup servi entre 8 et 12 ans pour jouer à la pichenette ou pour tailler des flèches dans des branches de noisetier, à l’époque où j’étais un Indien. Quand j’ai commencé à jouer les apaches, je l’ai laissé à la maison dans mon sac à dos.
C’était il y a quarante ans autour du collège de Saint-Chéron. On était à la fin des années 1970, avant la construction dans cette campagne à 50 kilomètres de Paris de ces lotissements de pavillons avec dans les jardins des cabanes en plastique coloré pour les enfants nombreux. C’était avant qu’on ouvre vers l’intérieur du pays ce que Christophe Guilluy nomme « le sas d’entrée de l’immigration » ; avant que le besoin de désengorger les quartiers des Pyramides d’Évry ou des Tarterêts à Corbeil disperse, à coups de logements sociaux et à coûts de politiques de la ville, les nouveaux Français dans les vieilles campagnes ; avant que l’on vide les cités de leur surpopulation, pas carcérale mais pas loin, sur les villages tranquilles ; avant que les petits Blancs de la petite classe moyenne dont j’étais soient rattrapés par la banlieue qu’ils avaient fuie ; avant que les Noirs à capuche et les Arabes voilées, qui avaient poussé mes parents à lâcher une HLM à Saint-Ouen pour s’endetter dans le sud de l’Essonne et mon père à se taper chaque jour 100 kilomètres aller et retour pour aller travailler, redeviennent nos voisins ; avant que la France reçoive par millions des gens venus de loin à qui on a dit « Faites comme chez vous ! » ; avant que la « culture urbaine », métissage afro-américain du bled et du ghetto qui a décomplexé le sexisme, la xénophobie, le racisme, l’antisémitisme, l’homophobie, l’ultralibéralisme mafieux, le totalitarisme en proche banlieue et ressuscité au pays de Voltaire le délit de blasphème puni de mort ou la polygamie ; avant donc que cette « culture urbaine », très loin de l’idée que l’on se faisait avant du sens des mots « culture » et « urbain », s’étale en couronne autour de Paris vers la campagne et installe des poches de territoires perdus, archaïques et violents ; avant qu’il y ait entre nous et nos camarades immigrés plus qu’une génération d’écart : une civilisation de différence ; dans cet avant dont on hésite à dire qu’il était mieux pour ne pas risquer de passer pour un vieux con réac.
Voilà de quoi étaient faits à l’époque nos affrontements, nos insolences, nos désobéissances, nos bêtises de vacances, nos délinquances. Voilà ce qu’étaient nos façons de grandir, de sortir de nos enfances, de répondre aux adultes, d’être affranchis. Voilà ce qu’était notre jeunesse. Et si on nous avait dit alors : « Mais vous les jeunes, vous qui êtes désœuvrés, oisifs, livrés à vous-mêmes pendant les vacances scolaires et le soir quand les gymnases et les stades sont fermés ; vous qui voyez sur vos écrans des images violentes et des gens qui meurent ; vous qui ne pesez pas toujours les conséquences de vos actes, qui ne discernez pas toujours la réalité de la fiction ; vous qui, faute de moyens publics, n’avez plus de gardiens dans vos immeubles, ni de grands frères subventionnés, ni d’éducateurs formés, ni d’associations pour assurer le lien social, ni de dispositif alerte “anti-rixes” ; comment se fait-il qu’au premier litige entre vous, vous ne vous enfonciez pas de couteaux dans le ventre ? »
Si on nous avait demandé ça, je parie que même à 13 ans, on l’aurait mal pris, on se serait sentis infantilisés et on aurait sûrement répondu, peut-être en pensant à des images vues de guerres tribales en Afrique ou d’un lycée dans le Bronx : « Mais enfin, pour qui nous prenez-vous, pour des sauvages ? »
Le 22 février 2021, à Saint-Chéron, Lilibelle Galazzo, une jeune fille de 14 ans, était tuée d’un coup de couteau en s’interposant dans une bagarre entre des élèves de son collège et des jeunes de Dourdan, vêtus de noir et de capuches. Elle-même venait d’un collège de Dourdan dont elle avait été renvoyée, et renvoyée encore de celui de Saint-Chéron pour être admise ailleurs à la rentrée. Pour parler de l’événement, j’appelle une amie qui a enseigné dans ce collège, le collège du Pont-de-Bois. L’affaire l’a étonnée, ces violences étaient plutôt attendues aux abords des collèges entourés de cités HLM, à Dourdan ou à Étampes, mais pas dans ce coin tranquille devant un établissement fermé pour les vacances. Elle a constaté que l’immigration avait changé ces deux dernières décennies, qu’elle était devenue africaine mais que les jeunes à problèmes sont de toutes les origines, immigrée ou française et même parfois bourgeoise. Elle ajoute qu’ils ont en commun d’être peu suivis, pas soutenus, laissés à eux-mêmes et de vivre presque toujours avec des mères seules, de faible niveau culturel, en détresse économique, des cas sociaux. Elle ajoute, parce qu’elle me voit venir avec mes gros sabots sur l’immigration, que ce qui était mieux avant, c’était les familles, l’éducation et l’emploi. J’insiste un peu. Je lui rappelle les violences entre les bandes des Pyramides d’Évry et celles des Tarterêts de Corbeil, il y a dix ans, les coups de couteau et les jeunes à l’hosto. Je lui fais remarquer que tout ça s’est déplacé de 30 kilomètres, et que ce n’est pas la mode des divorces qui s’est répandue, mais celle des nouvelles populations. Mais elle persiste. Elle ne voit que des cas individuels, des cas sociaux, pas de quoi faire des généralités. Elle est dans le métier et je vois ça de loin. Elle doit avoir raison, sans doute moins qu’elle ne croit, mais sûrement plus que je l’imaginais.
Dans 33 ans avec vous, la vedette de TF1 relate un tiers de siècle de journal télévisé au plus près des campagnes.
« Jean-Pierre Pernaut accomplissait chaque jour cette tâche messianique consistant à guider le téléspectateur, terrorisé et stressé, vers les régions idylliques d’une campagne préservée, où l’homme vivait en harmonie avec la nature », analysa Michel Houellebecq dans La Carte et le Territoire. À l’époque cette phrase surprit l’intéressé, assure ce dernier, qui se décrit pourtant comme « profondément attaché à la nature, aux racines, aux terroirs, aux traditions ».
JPP visionnaire
Il y a quinze ans, un chroniqueur de Voici estimait que « Jean-Pierre [présentait] un journal pour les bouseux ». En septembre dernier, un fameux « spécialiste des médias » écrivait dans Libération que Pernaut incarnait « la France mythologique des marchés et des clochers, de l’école en blouse et des déjeuners à la maison ». Ont-ils déjà franchi le périphérique parisien ? Dans les années 1990 et 2000, avant l’essor des chaînes d’information continue, des millions de Français ont rompu le pain à l’heure du déjeuner devant la grande communion du 13 heures. On a tous un ami d’enfance vivant dans un village ou une grand-mère isolée chez qui on a religieusement regardé au moins une fois les reportages dans la France profonde de Pernaut. Que l’on en soit un adepte ou que l’on juge ces incursions à la campagne d’une platitude abyssale, Pernaut est comme un ami de longue date qui a toujours fait partie du paysage.
En lisant 33 ans avec vous, on entend la voix de JPP comme au temps du JT. De ses débuts au Courrier Picard à ses adieux au JT en septembre, l’Amiénois relate son parcours l’ayant mené jusqu’au fleuve Parana au Brésil, au pays du soleil levant ou en Inde avant de retourner sciemment à ses racines pour présenter, 33 ans durant, un journal « pour les vrais gens ». 115 000 reportages dans les villages -y compris les plus paumés- et leurs marchés, 15 000 consacrés aux terroirs lors de cette époque pas si lointaine où la seule évocation de « traditions », « patrimoine rural » ou même « produits locaux » faisaient doucement rigoler une petite élite qui n’avait d’yeux que pour les métropoles cosmopolites, leur bouffe multiculturelle et le grand marché mondial. Il y a eu ensuite les gilets jaunes puis la crise sanitaire. « Déléguer notre alimentation est une folie », déclarait Emmanuel Macron il y un an tandis qu’en octobre, 60% des Français se disaient désormais favorables au protectionnisme. Donnant bien avant la parole aux petites gens dont tout le monde se foutait, Pernaut était un visionnaire.
Conservateur à l’ancienne
De toutes ces années où il s’est quotidiennement « invité à déjeuner » chez les Français, Pernaut ne regrette rien. Au risque de lasser le lecteur, il lance constamment des fleurs à son équipe et à ses téléspectateurs. « Années fabuleuses », « aventure inouïe », « magnifique » utilisé une bonne trentaine de fois, envolées enthousiastes ponctuées par des exclamations, Pernaut ne lésine pas sur les guirlandes quand il s’agit d’honorer ses soutiens. Pas naïf mais optimiste, ce conservateur à l’ancienne tacle gentiment les « grincheux » qui snobent l’élection de Miss France. Mais n’attendez pas qu’il règle ses comptes avec la « petite élite parisienne », Pernaut n’a pas le temps pour ces querelles de médias, il sait que le salut viendra des « vrais gens », des petits pavillons, des agriculteurs et des champs.
En une de France Dimanche pas plus tard que cette semaine sous un titre infamant, JPP ne déborde pas d’amour pour la presse à scandale et ses paparazzis, « désormais remplacés par le fléau des réseaux sociaux », analyse-t-il. S’il ne s’attarde guère sur le sujet, il prédit qu’ « on va longtemps regretter la télé d’avant, où l’on pouvait s’amuser, rire de presque tout dans les émissions de divertissement, et donner les informations dans les JT sans craindre de se faire lyncher sur la Toile par des aigris, des jaloux et des pisse-froid du politiquement correct ». N’en jetez plus ! Septuagénaire increvable, Pernaut anime tous les samedis Jean Pierre et vous pendant une heure et quart (!) sur LCI. Au menu, « parole aux Français » et « formidables » richesses régionales. Ceux qui coupent les écrans le week-end peuvent se plonger dans 33 ans avec vous !
Suite et fin. Où nous découvrons comment les « groupes de paroles » sur le racisme font partie d’un programme destiné à diviser la société en deux camps: l’un dominé par le ressentiment, l’autre par la contrition, mais tous les deux manipulables à des fins politiques.
Nous avons vu que les militants antiracistes, pour justifier leur militantisme, ont besoin de démontrer la présence dans la société de racistes en grand nombre. Nous avons vu avec quels cris de rage les antiracistes ont salué la publication, outre-Manche au mois de mars, d’un rapport qui, tout en acceptant que le racisme existe et en proposant des actions concrètes pour y remédier, niait – preuves à l’appui – que la société britannique soit raciste sur le plan systématique et institutionnel. Voilà de quoi limiter le fonds de commerce de nos militants. En conséquence, ceux-ci ont développé une méthode pour essayer de pallier de telles difficultés. Il s’agit d’un concept, le « privilège blanc », selon lequel tout Blanc est, par sa blancheur, raciste, même à son propre insu. Un test pseudoscientifique, dit « des associations implicites », le démontre. Aux États-Unis et, dans une moindre mesure, au Royaume Uni, le concept et le test sont déployés dans des ateliers de formation destinés aux entreprises et aux écoles. Dans ce dernier cas, les tranches d’âge sont de plus en plus jeunes. Maintenant il nous reste à traiter un dernier élément dans la panoplie des antiracistes, à savoir des techniques d’interaction permettant de susciter et de canaliser les émotions, surtout à des fins politiques…
Parole, parole…!
Après notre incursion outre-Manche et outre-Atlantique, rentrons en France où les « groupes de parole » consacrés au racisme, initiés par l’UNEF et défendus par Audrey Pulvar, ont créé la controverse. Le fait que ces groupes soient réservés aux non-Blancs ou, si les Blancs sont présents, que ceux-ci soient obligés de rester muets, a choqué la notion d’universalisme à la française. Et pour cause. Ce dont on a beaucoup moins parlé, c’est l’usage potentiellement pernicieux qui peut être fait de ces réunions. Les défenseurs de ces dernières se sont empressés de situer leur origine dans les groupes de parole des femmes, mais les groupes consacrés à la race ont leur propre histoire.
Les groupes de parole de notre époque sont en apparence plus « polis » que ceux du passé, mais leur structure psychodramatique est toujours la même
La généalogie de ces événements en général où les participants sont invités à « libérer » la parole remonte jusqu’aux premières décennies du XXe siècle, mais une étape importante arrive dans les années 60. En marge du mouvement de la « psychologie humaniste », certains thérapeutes créent les soi-disant « encounter groups » (« encounter ayant à la fois le sens de rencontre et de confrontation), notamment au centre new age d’Esalen en Californie[tooltips content= »Jessica Grogan, Encountering America. Humanistic Psychology, Sixties Culture and the Shaping of the Modern Self (Harper, 2013). « ](1)[/tooltips]. Dans ces groupes, les individus réunis pour une période de plusieurs jours sont, non pas invités, mais forcés par des animateurs charismatiques à exprimer publiquement leurs émotions les plus refoulées et, inévitablement, les plus destructrices. Le but est de les décharger de quelque fardeau mental, mais le résultat est trop souvent de provoquer des traumas plus durables que la catharsis éphémère qui résulte de la « libération. » Des époux finissent souvent par divorcer suite à la participation du couple à une de ces séances collectives.
Le mot d’ordre de ces groupes – et de leurs héritiers d’aujourd’hui – consiste à demander aux participants, non pas « Qu’est-ce que vous pensez ? » mais « Qu’est-ce que vous ressentez ? » On contourne les systèmes rationnels du cerveau pour donner libre carrière aux émotions brutes. Les dégâts provoqués rendent ces techniques très controversées, et la mode des « encounter groups » sous la forme la plus dramatique se révèle de courte durée. Pourtant, c’est dans ce contexte que des tentatives sont faites pour guérir les blessures du racisme à l’américaine en créant des « encounter groups » composés de Noirs et de Blancs. Le résultat est prévisible : les Noirs expriment leur colère, souvent de manière violente ; les Blancs expriment déni, peur et contrition, de manière aussi agressive et excessive. Le psychodrame exacerbe les lignes de faille déjà connues mais n’apporte pas de solution durable. Le psychiatre afro-américain, Price Cobbs, qui a co-initié ces groupes de parole, a commenté plus tard : « Un des buts était de permettre aux Noirs de découvrir leur colère et aux Blancs de découvrir leurs craintes. À cette époque comme aujourd’hui, je savais que des comportements liés à la colère incomprise sont imprévisibles et ceux liés à des craintes inavouées sont potentiellement explosifs. » Le co-auteur d’un livre important, Black Rage, publié en 1968, Cobbs, un penseur plus profond et subtil que beaucoup de ceux qui ont essayé de lui emboîter le pas, a décidé d’orienter ses interventions autrement. Mais une idée était lancée qui s’alimenterait à d’autres sources : le racisme doit être guéri par la libération des émotions. Le problème, c’est que les émotions sont souvent manipulables.
La tyrannie de l’émotion
La conviction qu’éradiquer le racisme doit passer par une forme de psychodrame se trouve dans la contribution d’une pionnière de la formation à la diversité, Jane Elliott, qui est toujours portée aux nues par les spécialistes dans ce domaine. À l’origine institutrice, avant de mener une carrière de formatrice à la diversité dans les entreprises et d’autres institutions, elle conçoit en 1968, au lendemain de l’assassinat de Martin Luther King, un jeu de rôles pour ses petits élèves blancs d’Iowa, destiné à leur dessiller les yeux quant à la réalité du racisme.
Devenu célèbre par la suite, l’exercice intitulé « Yeux bleus – yeux marrons » sépare la classe en deux groupes selon la couleur des yeux. Déclarant qu’un des groupes représente des gens supérieurs et l’autre des gens inférieurs, Elliott remonte chaque camp contre l’autre. Quelques jours plus tard, elle inverse le statut des groupes et recommence. Comme pour les psychologues britanniques qui ont organisé l’expérience dans le documentaire, « The School that Tried to End Racism », Elliott ne craint pas de violer des normes éthiques en prétendant manipuler les attitudes des très jeunes. Pour débarrasser les gens de leur prétendu racisme, on a apparemment le droit de leur faire subir un véritable psychodrame émotionnel. L’approche plus mature de la formatrice se révèle dans la vidéo ci-dessous :
On voit ici que la tactique adoptée par Elliott consiste à intimider, rudoyer, malmener ses sujets sur le plan émotionnel. C’est ainsi que les deux Blanches, l’une gardant un silence craintif, l’autre essayant de se rebeller, doivent être réduites en larmes et humiliées devant le groupe pour que la leçon concernant leur racisme inné soit bien claire pour tout le monde. Les études menées sur l’efficacité des méthodes de Jane Elliott pour réduire le racisme sont peu concluantes. Tout ça pour si peu ? Sans doute que les groupes de parole et les ateliers sur la diversité de notre époque sont en apparence plus « polis » que ceux du passé, mais leur structure psychodramatique est toujours la même. Ils sont animés comme des séances de thérapie, le plus souvent par des personnes qui ne sont pas des thérapeutes qualifiés. Surtout, c’est toujours le même théâtre émotionnel qui se prête facilement à la création d’un groupe de victimes en colère et d’un autre de coupables contrits. Il faut que les minorités expriment rage et ressentiment ; il faut que la majorité se confesse, demande pardon et se montre docile.
Micro-agressions: une culture de victimisation
C’est un phénomène bien connu des managers : quand on demande au personnel, « Dans notre organisation, qu’est-ce qui ne va pas ? », le cahier des doléances se rallonge sans fin. Focaliser l’attention des gens sur leurs plaintes les amène à voir tout ce qui est négatif dans leur vie, surtout si les individus interrogés collectivement éprouvent une certaine émulation. En ce qui concerne le racisme, des victimes ont très certainement des histoires aussi terrifiantes qu’authentiques à raconter. Le hic, c’est que l’accent est mis par les tenants du privilège blanc sur les « micro-agressions », ces affronts quotidiens que les Blancs infligent aux minorités par des gestes et des paroles qui, de manière presque insensible, remettent les autres à leur place. Ces micro-agressions présentent l’avantage que tout acte, tout mot, peut être interprété de différentes manières : il suffit d’y voir une intention raciste.
Un exemple classique se trouve dans un podcast enregistré par Michelle Obama au mois d’août de l’année dernière. Elle raconte comment, voulant acheter des glaces dans une boutique Haagen-Dazs, elle trouve sa place dans la queue usurpée par une Blanche qui, à cause de son racisme inné, n’aurait pas vu la femme du président devant elle. Il nous est arrivé à nous tous de trouver des resquilleurs sur notre chemin dans la vie, mais pour Michelle Obama la motivation en question ne peut être que raciste. On pense à l’éther, cet élément qui, selon les scientifiques du XIXe siècle, était partout dans l’univers mais détectable nulle part. Selon leurs théories un tel élément devait exister – jusqu’à ce qu’Einstein prouve le contraire. Les micro-agressions sont omniprésentes dans la vie. Comment le savons-nous ? Parce que la théorie du privilège blanc l’exige.
Dans un livre remarquable, The Rise of Victimhood Culture, deux sociologues américains font une distinction entre trois types de culture[tooltips content= »Bradley Campbell, Jason Manning, The Rise of Victimhood Culture. Microaggressions, Safe Spaces and the New Culture Wars (Palgrave Macmillan, 2018). »](2)[/tooltips]. Dans la culture de l’honneur, la moindre offense qu’on reçoit doit être punie, de préférence par la violence. C’est cette France du XVIIe siècle où Richelieu a tenté en vain d’empêcher les duels incessants entre gentilshommes. Dans la culture de la dignité, qui caractérise les démocraties libérales, on fait preuve de tolérance devant les offenses à l’honneur, normalement verbales, pour ne pas encourager la spirale des représailles ; on ne punit généralement que les actes d’agression physique. Aujourd’hui, nous assistons à la montée d’une culture de la victimisation : celle-ci rejette la culture de la dignité en prétendant que toute offense est intolérable et doit être punie ; sa seule différence d’avec la culture de l’honneur, c’est que la violence de la punition n’est pas physique mais prend la forme d’un ostracisme social (« cancel culture ») non moins destructeur à la fin. Cette culture, créant une armée d’accusateurs en colère et une foule de racistes mortifiés et dociles, peut être facilement instrumentalisée à des fins politiques. La culture des victimes est propagée par les groupes de paroles ainsi que par toute une littérature de bestsellers, de la Fragilité blanche de Robin DiAngelo, ou Comment devenir antiraciste d’Ibram Kendi, à la Pensée blanche de Lilian Thuram. Du succès de ces auteurs, on peut dire, en modifiant un mot de Joseph de Maistre, « Ils sont fameux parce que nous sommes abrutis, et nous le sommes surtout parce que nous les avons crus. »[tooltips content= » « La réputation des livres ne dépend point de leur mérite », dans Six paradoxes (L’Herne, 2016), p. 77.
« ](3)[/tooltips] La France saura-t-elle résister à cette culture ? La réponse dans le prochain numéro de Causeur…
Les parents sont plus susceptibles de divorcer si leur premier-né est une fille. La science explique cela très bien.
Les sujets familiaux font d’inépuisables citernes à sagesse populaire, en particulier lorsqu’il est question du nombre et du sexe des enfants. Parmi cette avalanche d’idées reçues, celle voulant que les parents fassent plus d’efforts pour leurs fils. Ou celle, connexe, selon laquelle les filles seraient une sinécure pour leurs parents – plus faciles à élever, parce que plus dociles, plus sages, plus calmes. Comme tous les stéréotypes, ceux-ci ne sont pas totalement faux, mais pas précisément vrais non plus.
Détricotant autant le chouchoutage des garçons que la facilité d’entretien des filles, les économistes Jan Kabatek, chercheur au Melbourne Institute (Australie), et David C. Ribar, de l’université d’État de Géorgie (États-Unis), ont voulu savoir si et pour quelle raison le sexe des enfants pouvait peser sur le risque de divorce des parents. Pourquoi ? Parce que tout un corpus montre que ce risque est en effet légèrement plus élevé chez les parents de filles que de garçons. L’explication d’obédience féministe fréquemment donnée à ce phénomène est celle dite de la « préférence pour les fils », qui veut que les pères de filles soient plus susceptibles de quitter leur premier foyer pour aller en fonder un autre en raison de leur envie pressante de (faire) pondre un « héritier mâle ».
Ne partageant pas ce présupposé, Kabatek et Ribar ont réagi comme tout bon scientifique turlupiné qui se respecte : en quantifiant le phénomène. Et pas qu’un peu. Grâce aux registres démographiques néerlandais, leur étude publiée à la toute fin de 2020 porte sur près de 3 millions de mariages noués entre 1971 et 2016. L’année 1971 est celle où les Pays-Bas ont reconnu le divorce sans faute : à partir de là, les chercheurs ont pu travailler sur une cohorte de désunions davantage motivées par la volonté individuelle, si ce n’est le consentement mutuel, que lors des époques antérieures.
Globalement, l’étude ne va pas à contre-courant du consensus et montre que les parents sont effectivement plus susceptibles de divorcer si leur premier-né est une fille. Ensuite, et là encore dans la droite ligne de leurs prédécesseurs, Kabatek et Ribar observent un effet modeste – en moyenne et jusqu’aux 18 ans de leur fille, les familles avec aînée ont seulement 1,8 % de risque supplémentaire de divorcer. Mais ce risque augmente avec le nombre de filles du couple et leur âge. Par exemple, les couples néerlandais ont plus de 5 % de risque de divorcer lorsque leur fille a entre 13 et 18 ans. L’année de tous les dangers est celle de ses 15 ans, avec près de 10 % de risque supplémentaire. Aux États-Unis, pour lesquels Kabatek et Ribar disposaient d’un échantillon moins substantiel, les chiffres sont quasiment deux fois plus élevés.
Que le risque de divorce augmente avec l’âge en général, et soit le plus élevé à l’adolescence est le coup le plus dur donné à la théorie de la « préférence pour les fils ». Il est assez évident que lorsqu’un sale phallocrate est démangé par un besoin d’héritier mâle, il ne va pas attendre treize ou quinze ans pour l’assouvir. Comme le détaillent les chercheurs, l’explication plus probable s’oriente plutôt vers des relations conjugales ombrageuses au sujet des normes éducatives. À l’appui de cette hypothèse, l’étude montre que l’« effet fille » sur la séparation est d’autant plus fort que parents et enfants sont susceptibles d’avoir des croyances contradictoires sur ces rôles (par exemple, parce que les parents sont immigrés ou d’une génération plus ancienne que la moyenne). Et il explose (relativement parlant) si les parents ont eux-mêmes des croyances opposées (par exemple, lorsqu’un parent est immigré et l’autre non, lorsque les deux parents sont immigrés, mais issus de deux bassins culturels contrastés en matière de liberté des mœurs ou encore lorsque les niveaux d’études des parents sont très éloignés).
Cette augmentation du risque de divorce chez les parents de filles s’explique aussi par la fatigue relative que constitue leur éducation. À rebours de l’idée que les parents consentent des sacrifices supérieurs pour les garçons, l’investissement requis par l’éducation d’une fille est en réalité et en moyenne plus élevé que pour un fils. Des études observent notamment que les parents consacrent plus de temps aux activités pédagogiques pour leurs filles en âge préscolaire que pour leurs garçons. D’autres montrent que les parents allouent en tendance plus de ressources à leurs filles et d’autres encore que les familles défavorisées protègent davantage les besoins alimentaires de leurs filles adolescentes. Sans compter que le « calme » relatif des filles pourrait être un révélateur d’agitation parentale, vu que les fœtus masculins résistent moins bien au stress maternel et que les femmes déplorant un degré élevé de conflictualité conjugale avant de tomber enceintes sont plus susceptibles de donner naissance à des filles qu’à des garçons.
Des résultats cohérents avec l’un des piliers de la biologie évolutive, l’effet Trivers-Willard, posant que les conditions écologiques, en jouant sur la condition physique de la mère, ont de quoi faire fluctuer le sexe de la progéniture. L’hypothèse de Trivers-Willard statue en effet que lorsqu’un sexe est plus variable que l’autre dans son succès reproducteur (fitness) au cours de sa vie, et si les sexes n’ont pas les mêmes facilités (ou difficultés) d’accès aux ressources, alors il est possible de prédire quel environnement fera que tel sexe sera préféré par les parents aux dépens de l’autre. Chez l’humain, comme dans la grande majorité des espèces sexuées et anisogames – c’est-à-dire productrices de cellules sexuelles, les gamètes, très différentes en taille, en mobilité et en exigences énergétiques –, c’est la reproduction des mâles qui est la plus variable : quelques hommes se partagent la part du lion du gâteau de la reproduction et le gros des troupes n’a plus que des miettes, si ce n’est du vent. Les mères ont donc tout intérêt à préférer leurs filles quand la météo écologique est mauvaise (le pari est moins risqué : une fille a toujours plus de chances de se reproduire qu’un garçon) et de faire pencher la balance vers leurs fils quand les temps sont radieux. Le modèle prédit également que dans des environnements à la fois inégalitaires et précaires, il sera biologiquement logique de préférer les filles aux garçons dans les familles pauvres. À l’inverse, chez les riches, les fils auront le plus de chances d’être favorisés.
Mais la découverte la plus cocasse de l’étude de Kabatek et Ribar est sans doute que l’« effet fille » sur le divorce dépend fortement de la composition de la fratrie… du père. Pour les pères n’ayant pas de sœur, l’effet est fort, mais il est inexistant chez les hommes ayant eu au moins une sœur. Comme si, commentent Kabatek et Ribar, « l’exposition des hommes à des interactions parentales avec des filles pendant leur enfance pouvait atténuer certains des conflits qu’ils sont susceptibles de rencontrer sur leur propre trajectoire parentale ». Eurêka, on a découvert le vaccin contre le divorce.
La France sortira-t-elle un jour des grands débats sur l’assimilation?
On peut se le demander tant l’actualité politique ou la vie intellectuelle sont occupées par la question. Le socialiste Manuel Valls vient de faire son «grand retour» en librairie avec Pas une goutte de sang français (Grasset). De son côté, Raphaël Doan a publié un essai remarqué Le rêve de l’assimilation (Passés Composés). Dans la majorité, Aurore Bergé part en croisade contre le rappeur Médine…
Vincent Coussedière prend la plume à son tour pour livrer son avis sur l’assimilation. Spécialiste du populisme, le professeur de philosophie se penche sur la question dans son dernier ouvrage Éloge de l’assimilation, critique de l’idéologie migratoire. Il déplore le fait que l’immigration soit désormais considérée comme un phénomène ordinaire, que personne ne remet plus en question.
Replacer la question du point de vue de la nation
Son livre invite à s’interroger sur la tradition française d’accueil des populations étrangères. Assimilation, intégration, inclusion: que faut-il faire de ces populations étrangères qui arrivent en grand nombre sur notre sol ? Jusqu’à la moitié du XXesiècle, il “s’agissait de se placer du point de vue de la nation”. L’assimilation était largement prédominante. L’immigré devait être avant tout utile à la nation et assimilable à elle. “Or, observe Coussedière, dès la fin des années 1970, un certain nombre de conflits sociaux se transformèrent, dans une logique sartrienne, en conflits identitaires, la reconnaissance de l’identité de l’immigré et particulièrement de son appartenance à l’islam, prenant le pas sur les revendications classiques d’égalité économique.” Depuis les années 1980, on change ainsi de paradigme. Vraisemblablement dans la continuité du mouvement de mai 68, c’est le respect de l’identité de l’étranger qui prime. Dès lors, ce ne sont plus les intérêts de la nation qui prévalent comme du temps de Charles de Gaulle, mais bien les besoins de ces nouvelles populations.
L’intégration offre l’avantage de préserver les identités propres aux arrivants, tout en les incluant dans notre société. C’est le fameux « vivre ensemble ». Étrangers chez eux, Français en société, telle était l’idée… L’auteur cite Jürgen Habermas pour qui la différence entre le plan des mœurs, relevant du cercle privé, et celui de la citoyenneté, relevant de la sphère publique, n’empêcherait pas d’arriver à une volonté commune. Mais séparer la sphère publique de la sphère privée est impossible pour un musulman qui voit toute sa vie réglée par la charia.
Renouer avec un projet national
Jusqu’alors, la laïcité et les valeurs de la République étaient le cadre offert par la nation française aux candidats à l’assimilation. Mais les défaillances de ce système sont désormais flagrantes. Le port du voile dans l’espace public montre à quel point cette idéologie migratoire a été naïve. L’essayiste cite Malika Sorel: « Nous ne sommes plus confrontés à un phénomène migratoire classique, mais à des phénomènes de diasporas. Les migrants n’ont plus besoin de se plier aux us et coutumes des Français. L’État lui-même a joué un rôle majeur dans la dégradation de l’insertion et de l’intégration. » Vincent Coussedière évoque également cette « soumission » à l’étranger, dont Michel Houellebecq a fait un roman.
Selon lui, l’idéologie migratoire repose sur trois verrous: un verrou affectif qui déplace sur la figure de l’immigré la honte du sort fait aux juifs, aux Noirs ou aux colonisés; un verrou théorique du libéralisme concret qui flatte l’identité propre à chaque individu; et un verrou militant de l’engagement des médias et du droit pour défendre les immigrés et leur représentation victimaire. Le philosophe analyse longuement la pensée de Sartre qui a posé les bases de l’idéologie multiculturelle en France: “Sartre ne s’est (…) pas préoccupé du sort réel des Juifs, des Noirs, des colonisés, des immigrés, il ne s’est pas préoccupé des torts qui leur sont fait en matière de droits et de liberté, il s’est préoccupé d’un tort essentiellement “moral”, d’un tort porté à la reconnaissance de leur identité.” Coussedière dénonce les amalgames faits trop souvent entre patriotisme et xénophobie, entre nationalisme et racisme, entre racisme et antiracisme. « Une relation équilibrée aux étrangers sera de nouveau possible dès lors que nous aurons renoué avec la fierté, non d’une simple identité, mais de la grandeur d’un projet national. » Pour les Grecs, filiation et éducation étaient les conditions nécessaires pour appartenir à la Cité. Avec notre droit du sol, on en est bien loin! La faiblesse de notre modèle français, qui a honte de lui-même, ne peut s’imposer face à la masse critique de l’immigration.
La solution : une assimilation sélective
Coussedière plaide pour qu’on revienne à une assimilation plus sélective. Il parle ainsi d’ « exclusion inclusive » des immigrés. Exclure l’immigré si ses modèles culturels sont incompatibles avec les nôtres, et l’inclure si ses modèles sont compatibles ou s’il accepte de s’en libérer pour s’assimiler à la France. Pour lui, il ne faut tout simplement plus considérer les immigrés comme des victimes, mais comme des êtres politiques avec un projet.
On ne peut que lui donner raison. Pour assimiler, il faut effectivement séduire, donner envie aux gens de s’intégrer. Mais la France d’aujourd’hui est-elle séduisante pour ceux qui arrivent? La binationalité n’est-elle pas une aberration française de plus? Un individu peut-il être citoyen de deux pays à la fois dans cette logique de renforcement de l’assimilation?
Et si l’on revoyait le film de Just Jaeckin dans sa version restaurée avec Françoise Fabian en mère maquerelle de haut standing?
Il y a un plaisir non coupable à revoir ce film de mai 1977 dans notre époque qui chasse le téton et prône l’émancipation par l’auto-entreprenariat. Dans les vapeurs d’alcôve, poudrée à saturation, avec ce grain voilé si caractéristique de la décennie, censé alors rehausser la qualité esthétique de l’image, surgissait une « Madame Claude » des beaux quartiers. Habillée par Guy Laroche, chapeautée à la Garbo, les lèvres soulignées d’un rouge carmin, à l’arrière d’une limousine Mercedes avec chauffeur, Françoise Fabian passait de la Maud de Rohmer à la Claude de Jaeckin sans se départir de son aura tentatrice. Elle possédait cet érotisme sulfureux qui fut longtemps l’apanage des bourgeoises-amazones avant qu’elles ne se décident à militer pour les droits de l’Homme et renoncent à leur charme vénéneux. Le réseau de call-girls de « Madame Claude » avait ce côté poisseux des dessous de la République, sa fesse sombre, arrangements policiers et renseignements sous la couette, toute la mythologie du « gai Paris » avec Giscard à la barre. Diplomatie à l’horizontale et parties de chasse en Sologne, la France tirait ses dernières cartouches des Trente Glorieuses. Autrefois, les grands de ce monde apprenaient notre langue en pratiquant le sexe hautement tarifé. Ils visitaient la capitale, le gland à la main, l’Assimil dans la braguette. Aujourd’hui comme hier, sur Netflix en biopic ou en VHS fatiguée, la prostitution de luxe est un sujet vendeur, fourre-tout, où le bon peuple peut nourrir sa haine des puissants et leur prêter toutes les turpitudes possibles. On peut faire dire tout et son contraire à ce fait de société. Des souvenirs polissons au trafic d’êtres humains, de l’accessoire au servage, de l’anecdotique au pathétique, de la gaudriole au salace, l’échelle des valeurs varie au gré des indignations. En 1977, Just Jaeckin photographe de mode starisé par « Emmanuelle » s’empare des « Mémoires de Madame Claude » écrites par Jacques Quoirez, le frère de Françoise Sagan, présenté dans la littérature de l’époque comme testeur en chef du réseau. Son rôle est tenu à l’écran par un Maurice Ronet, initiateur crépusculaire, avec juste le dégoût nécessaire pour rendre son personnage crédible. Dans ce polar légèrement dénudé, entre CIA et barbouzeries, casting international et agence de tops models, il n’y a pas de vérité historique à rechercher. Serge Gainsbourg signe la musique et Françoise Fabian, au mental d’acier délicatement ébréché, fascine par sa sécheresse et cette voix soupçonneuse qui semble toujours agresser pour mieux séduire. Elle fait du macrotage en jupons, une leçon de management à destination des jeunes travailleuses du sexe. Ce qui pouvait sembler un peu kitsch et démonstratif en 1977 prend une patine en 2021 dans cette version master haute définition qui comprend en bonus le documentaire « Les confessions de Madame Claude » d’une durée de 55 minutes. Certains flottements de la caméra, le flou comme mise en scène suggestive, font de cette œuvre parfois sous-estimée, à mi-chemin entre le thriller et l’étude de mœurs, un moment hors du temps. Avouons-le, terriblement addictif dans l’évocation d’un passé fantasmé et dont même les errements esthétiques forment de belles rides sur la pellicule. Just Jaeckin, promoteur inspiré d’un art de vivre décadent, filme avec volupté cette fin des années 1970. Quand la permission et la soumission jouait un entrelacs malsain. Jaeckin fut le talentueux étalagiste de la vitrine France. Le film s’ouvre ainsi sur le nez aquilin d’un Concorde de la British Airways. Il fait appel aux mannequins Dayle Haddon, Vibeke Knudsen et Yva Setterborg pour capter l’attention du spectateur. Rappelons pour mémoire les mensurations de Marie-Christine Deshayes, également à l’affiche du film et mannequin de l’agence Elite, ère John Casablancas, située rue d’Artois dans le VIIIème arrondissement : Hauteur 1,76/Poitrine 85/Taille 60/Hanches 89/Confection 38/40/Chaussures 40/ Gants 7½/ Cheveux bruns/ Yeux bruns. Pour faire peur, il fallait un méchant dans l’histoire, un affairiste fou à l’accent tranchant et à la blondeur gominée, Klaus Kinski en est la caricature. Il est embauché et on lui octroie un fils, le tout jeune comédien Pascal Greggory. Après La Mandarine de Molinaro, Murray Head continue à interpréter les jeunes anglais désœuvrés. Il est bizarrement doublé par Pierre Arditi ce qui rend le visionnage décalé mais pas désagréable pour autant. Et puis surtout, Jaeckin recrute deux seconds rôles de premier plan du cinéma français : André Falcon et François Perrot. Il suffit de les voir pour que notre mémoire se mette à tournoyer. Ils ont la raideur administrative nécessaire à leur fonction. Madame Claude est comme ces parfums, un peu trop voluptueux et chargés, qui ouvrent les vannes du passé.
Madame Claude de Just Jaeckin – DVD Nouveau Master Haute définition
Les camps sont désormais bien identifiés: extrême -gauche, décolonialisme, écologisme rougeâtre, pensée « woke », cancel culture et autres idiots utiles de l’islamisme et, en face, un assemblage hétéroclite de laïques, de souverainistes, de républicains du printemps, tous proches sans vouloir le dire toujours d’un nouveau Rassemblement national et de ses transfuges ou du moins partageant leurs préoccupations sur l’immigration, la guerre des banlieues, la sécurité quotidienne et la survie de la nation comme les Ménard, Messiha, Maréchal, Zemmour, Charlotte d’Ornellas. Une gauche et une droite en capilotade, un islamisme représenté par des frères musulmans, des Turcs erdoganistes, des tablighis, des salafistes. Des gouvernements qui tiennent la barre d’un navire qui craint de chavirer dans la tempête annoncée, s’appuyant sur une Europe à la face perdue et un droit désuet et une justice chancelante. Dans l’attente, une école qui ne se sait pas en ruines, une armée encore grande muette, une police qui gronde en sourdine et des citoyens divisés selon leurs revenus, leurs lieux d’habitation et de travail, divisés également par leurs appartenances communautaires, taiseux mais laissant échapper parfois des colères pas toujours bien entendues ni bien résumées.
Sur tout cela planent les ombres d’un Macworld encore américain mais désormais de plus en plus chinois et d’un djihad assumé et conquérant. Les réseaux sociaux s’empressent de n’offrir que le choix entre les arrangements soumis ou la guerre à outrance, où la raison, le dialogue et l’esprit critique n’ont plus de place ni la voix au chapitre. « Quos vult perdere Jupiter démentant ». « Jupiter rend fous ceux qu’il veut perdre. »
L’époque semble folle et le bon sens disparu. On est sommé d’appartenir à un camp et gare à ceux qui refusent d’être disposés dans de petites niches idéologiques. Ils sont vite vus comme des traitres à la cause. Comme dans la vie d’un individu tenté par le suicide, la dépression ou le meurtre, les sociétés balancent d’un extrême à l’autre, d’une maladie collective à une autre, élites et masses populaires unies dans le cynisme et la désespérance.
D’où viendra le salut ? La reconnaissance de la réalité? La fin des privilèges dans une nuit du 4 août renouvelée? Une révolution non manichéenne? Les retrouvailles avec l’amour de soi et la confiance en soi qui orientent l’action et déterminent un destin meilleur, même s’il faut en passer par l’usage de la force? Chacun de nous en est responsable et redevable, même si l’héritage des erreurs et des fautes passées est lourd. Nous aurons besoin de beaucoup de science et surtout de beaucoup de conscience.
Dans ce débat qui revient sans cesse, les sénateurs ont adopté le 30 mars un amendement présenté par Max Brisson (LR) élargissant le principe de neutralité aux parents accompagnant les sorties scolaires.
Bien plus courageux que le gouvernement, le Sénat a voté ces derniers jours plusieurs amendements bienvenus au projet de loi « confortant le respect des principes de la République ». L’un d’entre eux, en particulier, a suscité de nombreuses réactions. Et l’ampleur même de l’hostilité qu’il soulève parmi les islamistes et ceux que l’on appelle les islamo-gauchistes, prouve, si besoin était, qu’il est particulièrement bienvenu.
Il s’agit de l’élargissement du principe de neutralité aux parents accompagnant les sorties scolaires. En clair, et tout le monde sait que c’est ce dont il s’agit, de l’obligation faite aux « mamans voilées » d’ôter leur voile pour accompagner les sorties scolaires. Et mon titre est volontairement provocateur, puisqu’il ne s’agit évidemment à aucun moment d’interdire aux « mamans voilées » de participer aux sorties scolaires, mais simplement de leur imposer (comme d’ailleurs à tous les parents d’élèves) d’adopter lorsqu’elles y participent une tenue correcte et adaptée, ce qui n’est absolument pas la même chose.
Lydia Guirous, Fatiha Aga-Boudjahlat, Aurore Bergé favorables depuis longtemps
Défendue depuis des années par des personnalités de droite comme de gauche, au premier rang desquelles Lydia Guirous et Fatiha Aga-Boudjahlat, cette mesure a initialement été proposée à l’Assemblée par Aurore Bergé et Jean-Baptiste Moreau, malgré l’opposition de la majorité LREM à laquelle tous deux appartiennent. Le gouvernement était alors parvenu à censurer cette proposition sous des prétextes fallacieux, et on peut remercier la majorité de droite du Sénat, et en particulier Max Brisson, Bruno Retailleau, Jacqueline Eustache-Brinio et Valérie Boyer, d’avoir résolument remis la question à l’ordre du jour.
Alors que le sujet attise les passions – ce qui, redisons-le, suffit à démontrer que le voile n’est pas un « simple vêtement » – il est plus nécessaire que jamais de rappeler quelques éléments factuels, que je soumets à la réflexion de chacun.
La véritable impudicité n’est-elle pas du côté de cette soi-disant «pudeur» qui s’exhibe avec arrogance?
D’abord, il est ridicule d’évoquer un quelconque « droit de s’habiller comme on veut ». Outre évidemment l’article R645-1 du Code Pénal qui réprime « le port ou l’exhibition d’uniformes, insignes ou emblèmes rappelant ceux d’organisations ou de personnes responsables de crimes contre l’humanité », il serait (et heureusement !) inconcevable d’accompagner une sortie scolaire totalement nu à l’exception d’un string de cuir clouté et de bottes d’équitation. C’est donc que des limites, légales ou de simple bon sens, existent.
Une forme de courtoisie devrait aussi s’imposer. Serait-il légitime de prendre prétexte d’un rôle d’accompagnant pour infliger aux enfants d’autrui ses engagements militants personnels, quels qu’ils soient ? Voudrait-on voir fleurir pendant les sorties scolaires les t-shirts « Votez Mélenchon », « Le Pen, vite » ou « Tous avec Macron » ?
Naturellement, si l’Assemblée devait repousser l’amendement que nous évoquons, il sera probablement nécessaire de se faire un devoir d’accompagner les enfants en portant des vêtements ornés des plus belles caricatures de Charlie Hebdo, en particulier l’immortel « Charia Hebdo », afin d’imposer un contrepoids à l’ostentation religieuse du voile. Mais, sincèrement, ne vaudrait-il pas mieux garder le temps scolaire à l’écart de ces querelles ?
Un signe sexiste et obscurantiste
Au-delà de ces considérations générales sur la neutralité, et parce que c’est évidemment du voile islamique qu’il s’agit, et non de t-shirts politiques ou de la robe safran de moins bouddhistes, il est bon de se souvenir de certains points concernant spécifiquement ce voile, qu’il s’agisse d’un hijab, d’un simple foulard, d’un khimar, d’un jilbab ou que sais-je.
Avant tout, convenons que la signification d’un symbole dans l’espace public de dépend pas des intentions de la personne qui arbore ce symbole, mais du sens qui lui est collectivement attribué. Elle est définie par une histoire, un contexte, et son usage dans le cadre général. Ainsi, si deux spécialistes de la Rome antique se rencontrent dans la rue et se saluent à la romaine, on leur reprochera ce que tout le monde prendra pour un salut nazi, et ce reproche sera parfaitement justifié. Dans le cas du voile, la question n’est donc pas de spéculer sur les raisons pour lesquelles telle ou telle femme le porte, mais de savoir si oui ou non il s’agit d’un symbole, s’il a une signification dans l’espace public, et si oui, laquelle. Ensuite, et ensuite seulement, il sera possible de débattre de l’attitude à adopter.
On me rétorquera que nous ne sommes pas en Iran: nous ne sommes pas non plus un monde à part, sans lien avec le reste de la planète
L’histoire du voile est évidemment à prendre en compte, et sur ce point je renvoie d’une part à la conférence de Souâd Ayada sur le sujet, mais aussi à la prise de position pleine d’humour du président Nasser. On connaît ces photos des années 60, qui montrent que les universités du Caire ou de Téhéran accueillaient de nombreuses étudiantes, dont aucune ou presque n’était voilée. On sait que dans la foule iranienne qui pourtant acclamait Khomeiny à sa prise de pouvoir, il n’y avait pas de femmes voilées. Et on sait, ou en tout cas toute personne s’exprimant sur le sujet du voile devrait savoir, que dès que ce symbole fut rendu obligatoire par la république islamique, des Iraniennes descendirent courageusement dans la rue par milliers pour protester. Rappelons enfin que, selon les sondages, deux tiers des musulmanes vivant aujourd’hui en France ne portent pas le voile, et on en trouve même bon nombre qui sont les premières à s’y opposer !
L’équation simpliste musulmane = femme voilée est donc radicalement fausse. La critique même virulente de ce symbole, que le musulman et islamologue Ghaleb Bencheikh a qualifié « d’atteinte à la dignité humaine dans sa composante féminine », ne saurait donc être considérée comme un rejet des musulmanes en général. C’est même plutôt sa défense qui est très souvent une tentative d’invisibiliser les musulmanes non voilées !
En France, c’est le voile qui est impudique!
D’ailleurs, cette défense du voile s’accompagne systématiquement de la dévalorisation des femmes qui ne le portent pas, toutes les campagnes de promotion du hijab le prouvent. Ainsi, on se souvient de Hani Ramadan, déclarant « la femme sans voile est comme une pièce de deux euros, elle passe d’une main à l’autre. » On se souvient aussi des campagnes d’affichage comparant la femme voilée à une sucette emballée, et la femme non voilée à une sucette sans papier recouverte de mouches. Méprisant pour les femmes, et révélateur d’une certaine vision des hommes considérés comme incapables de respecter les femmes. « Un homme, ça s’empêche. Voilà ce qu’est un homme » écrivait Camus. Manifestement pas pour les défenseurs du voile. Intéressant aveu de ce qu’ils pensent d’eux-mêmes, de ce qu’ils pensent que leurs convictions ont fait d’eux.
Quant au terme désormais généralisé dans le monde anglo-saxon de « modest fashion » pour désigner la mode islamique, en français « mode pudique », il est une injure puisqu’il sous-entend que les femmes qui ne se plient pas à ses diktats seraient « immodestes », impudiques – diront-ils bientôt ouvertement « impures » ? Et au passage, la véritable impudicité n’est-elle pas du côté de cette soi-disant « pudeur » qui s’exhibe avec arrogance ? « Regardez-moi comme je me dissimule bien ! » « Regardez-moi comme je suis bien pudique ! » Profonde hypocrisie : il ne peut pas y avoir de pudeur ostentatoire.
Conséquence évidente, partout où le voile devient la norme, les femmes qui ne le portent pas voient leurs droits bafoués. Le cas de l’Iran est à cet égard emblématique, et on ne dira jamais assez le courage admirable des femmes qui s’opposent à ce vêtement devenu le symbole de la dictature totalitaire islamiste. On me rétorquera que nous ne sommes pas en Iran : nous ne sommes pas non plus un monde à part, sans lien avec le reste de la planète. Prétendre qu’il n’y aurait aucun rapport est, de la part de celles qui défendent ici le port du voile, d’un incroyable égoïsme. Comme le dit l’égyptienne Mona Eltahawy : « Les femmes du monde occidental portant un voile contribuent à asservir les femmes ailleurs dans le monde pour lesquelles le port du voile est une contrainte. »
Même en France, on observe la justesse de la formule de Waleed Al-Husseini : « le port du hijab est un choix, jusqu’à ce que vous l’enleviez. » Les tombereaux d’insultes que les réseaux sociaux déversent sur les femmes décidant d’ôter le voile le prouvent presque chaque jour, le cas de Mennel Ibtissem l’illustre bien. Harcèlement qui, hélas, ne se cantonne pas au monde virtuel : il faut entendre les nombreux témoignages comme celui-ci.
Les «mamans voilées» ne peuvent feindre d’ignorer le contexte
Se pose aussi la question cruciale de la réciprocité. Celles qui militent pour le port du voile militent-elles pour le droit de l’enlever ? Après l’attentat abominable de Christchurch, on a vu nombre de non-musulmanes porter un voile en signe de solidarité. Mais a-t-on déjà vu des musulmanes voilées enlever leur voile en signe de solidarité avec les victimes non-musulmanes des attentats islamistes ? Ou avec les femmes qui sont emprisonnées parce qu’elles refusent de porter cette tenue ? Jamais. Et cela ne suffit-il pas à nous dire tout ce que nous avons besoin de savoir sur le voile ?
Qu’on le veuille ou non, l’idéal islamique auquel se réfère le voile est sexiste, et méprisant envers les non-musulmans. Je ne dis pas que la situation des femmes dans les pays occidentaux serait parfaite : elle est cependant bien meilleure que dans les pays musulmans ! Chez nous, l’égalité des droits civiques entre femmes et hommes est garantie, alors que l’islam appelle à une radicale inégalité en droit (partage de l’héritage, valeur du témoignage, etc) qui concrétise une tout aussi radicale inégalité ontologique (la polygamie, même si elle peut être minoritaire, est autorisée, au contraire de la polyandrie, et le Coran normalise totalement les violences conjugales – sourate 4 verset 34 – ainsi que l’esclavage sexuel des prisonnières de guerre – sourate 4 versets 3, 23 et 24, sourate 23 verset 6, etc). Quant au mépris envers les non-musulmans, et plus profondément envers la liberté de conscience, il n’est qu’à constater la criminalisation de l’apostasie dans la quasi-totalité des pays musulmans pour s’en convaincre, sans oublier la légitimité doctrinale de la mise à mort des apostats.
Une tenue que les islamistes cherchent systématiquement à imposer ne saurait être considérée comme un simple vêtement : c’est un étendard, l’affichage ostentatoire de l’adhésion à une idéologie sexiste et totalitaire. Et même si celles qui le portent ne soutiennent pas tous les aspects de cette idéologie, elles en font néanmoins la promotion. C’est la situation du colleur d’affiche en période de campagne électorale : même s’il ne partage pas toutes les idées du parti qu’il soutient, en œuvrant à la victoire de ce parti il participe à la mise en œuvre de la totalité de son programme, y compris les points de ce programme avec lesquels il serait en désaccord.
Encore une fois, toutes les femmes voilées ne sont pas des islamistes. Mais aucune ne peut prétendre décider seule de la signification du symbole qu’elle porte, ni prétendre ignorer le contexte que je viens d’évoquer. Il se trouve que je connais une dame d’un certain âge, militante communiste, absolument adorable, chaleureuse, le cœur sur la main, prête à se mettre en danger pour défendre la liberté d’autrui. Est-ce une raison pour nier la réalité des goulags ? Est-ce une raison pour ne pas voir ce qui, dans l’idéologie communiste, a rendu les goulags non seulement possibles mais légitimes, pour ne pas dire inévitables ? Est-ce une raison pour autoriser des parents à participer à des sorties scolaires en arborant de la propagande stalinienne ?
Après avoir donné des gages à la gauche racialiste en soutenant les réunions interdites aux Blancs de l’UNEF, Audrey Pulvar adresse un nouveau signal fort en proposant la kolkhozisation complète de nos transports. Dans une tribune cosignée avec d’autres socialistes, elle appelle à s’engager pour ce qu’ils qualifient de « nouvelle conquête sociale».
Regroupés derrière Audrey Pulvar, qui brigue la présidence de la région Ile-de-France, six élus socialistes réclament la gratuité des transports en commun au niveau national dans le Journal du Dimanche du 11 avril. Les élus s’enflamment: « Chaque fois, la gratuité est un succès populaire immédiat, une conquête sociale que personne n’imagine plus remettre en cause ! »
Dans le texte qu’ils publient, les joyeux élus s’enthousiasment devant l’exemple du Luxembourg, premier pays où les transports sont gratuits sur l’ensemble du territoire. La gratuité est par ailleurs déjà effective dans quelques villes privilégiées comme Aubagne, Calais, Dunkerque, Niort, Libourne, Castres, Gap ou Châteauroux. Nous l’ignorions.
Des transports pour toutes et tous
Naturellement, les élus socialistes considèrent que « la gratuité, c’est l’égalité ». Cette obsession égalitariste propre à la gauche étant rappelée, les élus énumèrent ensuite les autres avantages, selon eux: « moins d’accidents de la route, moins de pollution de l’air, moins d’embouteillages sur les routes, moins de retards de livraisons ». Et s’ils ne l’écrivent pas, nous comprenons que dans leur vision, la voiture individuelle est presque le mal incarné ! Habilement, la transition écologique est invoquée pour justifier la collectivisation totale du coût des transports: « Au siècle du réchauffement climatique, notre nouvelle bataille doit être de permettre à toutes et à tous d’avoir un droit égal à une mobilité qui protège et préserve l’environnement ». Après avoir comparé leur cause à celle de la grande conquête de l’école gratuite du XIXe siècle, nos signataires ne s’en cachent donc pas: eux entendent carrément « sauver la planète ».
Initié par Audrey Pulvar, cet appel proprement révolutionnaire compte déjà des ralliements prestigieux: Michaël Delafosse, maire de Montpellier, Julie Frêche, vice-présidente de Montpellier Méditerranée Métropole, Anne Hidalgo, l’impayable maire de Paris et cheffe de Mme Pulvar, Stéphane Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis et Patrice Vergriete, maire de Dunkerque. Si l’ancienne journaliste de gauche (pléonasme ?) venait à gagner la région, la gratuité à venir du Pass Navigo en région parisienne ne serait pas sans coût pour la collectivité. La mesure est estimée à… 2.5 milliards d’euros par an. Pulvar envisage de trouver des financements en mettant en place d’obscures taxes sur le e-commerce ou les transports de marchandises polluantes. Eh oui: rien n’est gratuit. Mais Pulvar pourra aussi naturellement compter sur les conseils d’Anne Hidalgo, expérimentée dans l’art de mettre en place les budgets les plus audacieux…
Autres problèmes en commun
Quand elle se penche sur les transports, la gauche ne se préoccupe en revanche pas d’autres problèmes en commun. Celui des incivilités qui y prolifèrent, en premier lieu, ou celui plus inquiétant encore de l’insécurité qui y règne (on pense aussi au fléau des utilisateurs de drogue, zombies fumeurs de crack qui se mêlent aux honnêtes gens dans le métro parisien en plein jour). Quant aux très nombreux resquilleurs et à l’exorbitant coût de la fraude, cela n’est plus un sujet pour Anne Hidalgo. De fait, quand on milite pour la gratuité, ce n’est plus un problème.
Incapable de se faire entendre sur d’autres sujets que les réunions interdites aux Blancs de l’UNEF, parfois coupable de compromissions avec l’islamo-gauchisme, aphone sur la crise sanitaire (elle se borne à réclamer plus de lits, sans reconnaitre que les sommes colossales allouées à la santé sont mal employées), reconnaissons tout de même à la gauche le mérite d’essayer de lancer d’autres débats. Mais l’idée de transports gratuits n’est pas franchement nouvelle et c’est une chimère: le coût sera finalement réparti sur tout le monde, y compris ceux qui ne les utilisent pas, et de nouvelles taxes verront le jour. À gauche, hormis la mise en place de taxes, on ne peut pas dire qu’il y ait un embouteillage de bonnes idées.
La démographie nippone à l’épreuve: le sentiment d’isolement dû au coronavirus augmente tragiquement le nombre de suicides au Japon.
Le coronavirus ne frappe pas que ceux qu’il contamine.
En particulier au Japon, où les suicides ont flambé lors de la deuxième vague. En octobre 2020, 2 153 Japonais renonçaient à vivre, un chiffre très supérieur aux 194 morts du Covid ce mois-là et même à l’ensemble des décès Covid de janvier à octobre 2020 (1 753 morts). Certes, depuis son apparition, le virus a nettement moins tué au Japon qu’en France. Pour une population double de la nôtre, le pays déplore 8 800 morts contre 92 000 en France. Mais ce qui inquiète les Japonais, c’est l’effet de l’épidémie sur le moral nippon. Les suicides par désespoir ont augmenté de 16 % entre juillet et octobre 2020 par rapport à la même période en 2019. Chose inédite, ils frappent particulièrement les femmes (notamment les mères célibataires), les adolescents et les enfants. Les études attribuant ces suicides au sentiment d’isolement, le Premier ministre a nommé un ministre de la Solitude, Tetsushi Sakamoto, chargé jusque-là de la dénatalité et du redressement économique. Il a divulgué ses premières mesures mi-mars : subventions aux associations d’aide psychologique, prestations sociales, aides au logement pour les femmes seules, soutien aux « cafétérias pour enfants », ces restaurants qui servent aux mineurs des repas gratuits.
Cette hausse tragique des suicides vient encore obscurcir le tableau démographique du Japon dont la population (126,4 millions) fond depuis dix ans. Les projections prévoient une amplification du dépeuplement, due à un faible taux de fécondité (1,36) qui va de pair avec un taux de célibat en hausse constante. L’État japonais a débloqué 16 millions d’euros destinés aux préfectures qui s’engagent à améliorer la performance de leurs services matrimoniaux grâce à l’intelligence artificielle. Où l’on apprend qu’au Japon, à l’ère des sites de rencontre, subsistent d’authentiques agences matrimoniales. L’art de marier tradition et modernité…
Cyril Bennasar[tooltips content= »L’arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, 2021″](1)[/tooltips] se souvient de ses années de collège à Saint-Chéron, de ses transgressions d’adolescent dans la France Barre-Giscard, des « violences » innocentes de cette époque. Comment, quarante ans plus tard, devant ce même établissement, une collégienne de 14 ans a-t-elle pu être poignardée à mort? Qu’est-ce qui a changé?
Entre la sixième et la troisième, j’étais élève au collège de Saint-Chéron. On ne disait pas collège, on disait CES. On y allait en train et en sortant de la gare, on traversait en troupeau d’élèves une partie du village séparée du centre par le chemin de fer, dans un paysage aux maisons disparates, avec leurs dépendances en bois et en tôles, leurs potagers et leurs arbres fruitiers. Au milieu du chemin, on passait sur un petit pont de pierre et à la fin du parcours, on traversait un petit bois. À hauteur du pont, en descendant sur la berge et en longeant la rivière, on pouvait facilement entrer dans un jardin, en grimpant dans les arbres on cueillait des pommes et, à la fin de l’année scolaire, les premières cerises, et même des figues si mes souvenirs sont bons. Un jour, le propriétaire m’attrapa à la descente d’un pommier et me prit en photo en me menaçant de la montrer à mes parents, voire aux gendarmes, s’il m’y reprenait.
Voilà comment le retraité pensait impressionner les petits voleurs de pommes que nous étions à l’époque, pas si lointaine. On n’y croyait pas trop à son histoire de photo chez les gendarmes pour trois pommes, mais par politesse et par respect pour l’autorité d’un adulte, on faisait semblant et profil bas. On n’en savait rien, mais on était plutôt bien élevés. Le vieux m’avait fait le coup de la photo une première fois quand j’étais en sixième, puis une autre fois un ou deux ans plus tard. Comme j’avais pris de l’assurance, pour le petit oiseau et pour faire rire les copains, j’avais pris la pose. Ça avait mis le bonhomme en colère : « Ah, c’est pour la pose ! » et il m’avait attrapé pour faire mine de me jeter dans la rivière, avant de me chasser à coups de pied aux fesses. Mon audace avait beaucoup impressionné mes camarades et le récit m’avait rendu populaire. On était au maximum de l’insolence connue envers un adulte. On avait 12 ans.
À l’époque, il y avait déjà des immigrés dans cette France qu’on n’appelait pas encore périphérique. Des Portugais. À l’école, on ne peut pas dire qu’on vivait ensemble. On les appelait les « tiougs », les « portos » ou les « tos ». Pas devant eux, ils nous faisaient peur. Ils avaient deux ou trois ans et faisaient deux ou trois têtes de plus que nous, et surtout n’avaient pas les mêmes mœurs que nous. Ils étaient en cuirs et gominés, écoutaient Johnny et Elvis quand nous étions babas cool, en pataugas et patchouli et que nous écoutions Neil Young et Genesis. Ils ne nous harcelaient pas, ne nous volaient pas, on ne les voyait pas beaucoup, mais ils imposaient leur loi dans l’espace public des élèves. Lorsque nous occupions dans la cour un espace qu’ils convoitaient, ils nous en chassaient. Il faut reconnaître que ceux qui s’exécutaient sans broncher ne risquaient rien, sauf l’humiliation de la fuite, et quand on pense que ce n’est rien, quand on ne voit pas où est le problème parce que la cour est grande et qu’on n’a pas de territoire à défendre, tout va bien. Jamais on ne se serait battus pour un morceau de cour. Il aurait fallu pour ça admettre et surtout formuler qu’il y avait un « eux » et un « nous », et ne pas être encombrés de complexes parce que les mères des uns faisaient le ménage chez celles des autres. Assumer l’existence d’une forme de grégarité, d’un territoire à défendre, avec ses frontières, aurait été perçu comme une vulgaire régression de notre société, une basse trahison des idéaux libertaires qui parfumaient l’air du temps. En fait, nous vivions dix ans après 68 et eux dix ans avant. Ils étaient à la mode de nos parents, ils avaient une génération de retard. Il y avait entre eux et nous une étape de différence dans l’histoire des seventies, autant dire un monde à nos âges. Ils faisaient les caïds, et de toute notre condescendance, nous les méprisions. Nous étions pacifistes, ils étaient violents.
Des menaces mais sans couteau
Dans notre collège de 600 élèves, ils devaient être une trentaine, répartis dans deux classes allégées et spécialisées : les CPPN et les CPA. Je ne sais pas ce que ça signifie. Depuis, ces sigles ont changé au moins dix fois, remplacés par d’autres tout neufs quand ils sont devenus péjoratifs, remplacés à leur tour quand ils ont été rattrapés par la réalité qu’ils étaient censés recouvrir d’un sigle pudique. Il y a quelques années, une camarade de classe me rappelait que j’avais eu des problèmes avec eux à l’époque. « Avec les Portugais, il y avait un contrat sur ta tête ! » me dit-elle. J’avais la trouille comme tout le monde, mais j’étais trop orgueilleux pour me laisser faire. J’avais les cheveux longs. À 13 ans, j’avais lu le livre du hippie Jerry Rubin, Do it, que l’on pourrait traduire par « Fais ce que voudras » et je l’avais pris au mot. Les graisseux n’aimaient pas ça. À la sortie du collège et à la fin de la semaine, les menaces étaient courantes : « Si lundi, t’as pas coupé tes cheveux, tu vas voir tes dents ! » Plutôt crever que céder au chantage terroriste, j’ai pris quelques pains. En y repensant, me revient dans la bouche le goût du sang et de la chevalière d’un de ces enfoirés.
Un jour, une rumeur folle traversa le collège comme une flèche : une fille de troisième, bien connue pour sa grande gueule, avait, disait-on, été violée dans les toilettes par des Portugais, un truc incroyable qui nous avait sidérés. La fille avait démenti très vite en racontant l’incident à l’origine du scandale. Deux mecs étaient entrés dans les toilettes des filles et avaient poussé les portes des cabines. La sienne n’était pas fermée et ils l’avaient vue dans une position embarrassante. Elle les avait engueulés, le ton était monté et on avait entendu des cris depuis le préau. Toute l’histoire était là. Beaucoup de bruits et pas grand-chose. Voilà de quoi nous nous émouvions à l’époque. Je n’ai même pas le souvenir de rackets, en fait j’ai appris plus tard qu’il y en a eu, mais discrets et vite réglés par la directrice. Mais on ne parlait pas de violences. Personne n’a jamais été blessé et personne n’est mort.
Ces expériences du vivre-ensemble dont nous étions un peu les cobayes étaient pénibles mais pas mortelles. On acceptait tant bien que mal, sans le formuler et sans même le comprendre, cette implicite répartition des territoires : ils régnaient dans la rue, on avait accès à tout le reste, aux études et aux bonnes places dans la société alors on prenait notre mal en patience. On savait qu’après la cinquième, ils partiraient en CET ou iraient poser des parpaings, des Velux ou du carrelage avec leurs oncles. On comptait un peu sur la reproduction sociale pour nous éloigner de ces brutes épaisses.
J’en ai revu un beaucoup plus tard. Un pas méchant. Ce devait être l’intellectuel de la bande, parce qu’il était devenu mon conseiller au Crédit Agricole. Contre tout déterminisme, c’est lui qui avait les mains blanches et lisses d’un travailleur du tertiaire et moi qui respirais la poussière d’un atelier. Sans doute avait-il rêvé d’être important et moi d’être libre, et nous avions tous les deux réussi. En costume et les cheveux secs, il avait pris les manières obséquieuses d’un employé de banque. J’étais devenu Monsieur Bennasar et lui Monsieur Da Silva. Il s’appelait Emmanuel, il ne restait de ses origines que son patronyme, tout le reste s’était fondu dans le paysage français, même l’accent de ses parents plein de « ou » et de « ech » avait disparu, le même que celui de notre femme de ménage, Madame Gomez.
On ne pouvait pas parler de bandes ni de territoires: on était tous chez nous
Elle descendait des cités HLM en mobylette pour venir travailler dans notre pavillon modeste, identique à 700 autres dans une résidence qui n’avait pas dix ans, et qui faisait de nous pour les autres habitants de la région, des bourgeois. Parce qu’elle était moche et très ridée, mon père qui trouvait qu’elle ressemblait à Zira, l’avait surnommée « la planète des singes ». Le film avec Charlton Heston était passé à la télé. Au bout de quelques années, elle était devenue « la planète ». Je l’entends encore demander : « Elle vient demain la planète ? » Elle parlait beaucoup à ma mère. Elle lui avait raconté qu’un dimanche, alors qu’elle recevait ses enfants adultes et mariés à déjeuner, elle avait remarqué que l’une de ses belles-filles avait un œil poché. Madame Gomez avait compris tout de suite, et tandis que le mari de l’amochée s’approchait de sa mère pour l’embrasser, elle s’était haussée sur la pointe des pieds, car c’était une petite femme, et avait envoyé une gifle retentissante à son grand gaillard. « Ici, on est en France, on ne bat pas sa femme. Et que ça vous serve de leçon à vous autres ! » avait-elle prévenu en regardant ses fils.
Je l’ai revue un jour, dans la salle d’attente d’un service de l’hôpital d’Arpajon. Elle m’a demandé des nouvelles de ma famille, je lui ai renvoyé l’attention et l’ai trouvée contrariée. Elle venait d’apprendre que les soins dentaires dont son mari avait besoin ne seraient pas pris en charge et elle ne comprenait pas. En levant le menton pour me désigner discrètement, assise à côté, une femme CMU en boubou, débonnaire et accompagnée d’enfants nombreux et turbulents, elle me dit : « Et eux là, ils ont droit à tout. » Elle ne comprenait pas que ceux qui viennent d’arriver, qui font des enfants sans compter et qui tendent la main soient mieux traités que ceux qui, toute leur vie, se sont retroussé les manches.
Nous étions tous chez nous
Je n’ai pas le souvenir de véritables violences entre jeunes en 1977, ni avec les Portugais ni entre nous Français. Il y avait des inimitiés, parfois durables, et autour de deux jeunes qui ne pouvaient pas se saquer, d’autres se regroupaient sans que l’on puisse parler de bandes, sans qu’il soit question de territoires, nous étions tous chez nous. On se jouait des tours. Une fois, on avait pris devant sa maison le vélo d’une fille qu’on n’aimait pas pour le cacher dans un jardin trois maisons plus loin. On avait téléphoné chez elle en déguisant notre voix. J’avais enveloppé le combiné dans un mouchoir et, comme deux précautions valent mieux qu’une, j’avais pris l’accent pied-noir (ce qui n’était pas très malin parce que j’étais le seul Bencouscous du coin). On était tombés sur le père, car il n’y avait à l’époque qu’un téléphone fixe par foyer, et on avait exigé que la fille se pointe au bord du lac à minuit si elle voulait revoir sa bicyclette. Je me souviens qu’on s’était roulés par terre de rire en s’arrachant l’écouteur et en entendant le bonhomme sortir de ses gonds. Le soir même, alors qu’on remettait le vélo à sa place, un voisin avait surpris notre manège et nous avait demandé des explications, car les adultes ne renonçaient pas alors à remplir leur rôle d’adultes par crainte d’être lynchés. Je lui avais répondu que nous faisions une blague, mais il n’en croyait rien et nous prenait pour des voleurs, et pensant nous effrayer, avait lancé à sa femme : « Josiane, fais le numéro ! » (sous-entendu, celui des gendarmes). J’avais repris sa formule et répété à sa femme qui sortait sur le perron : « Oui c’est ça Josiane, fais le numéro ! » avant de déguerpir en courant. Pendant des semaines, on avait ri en se lançant pour un oui pour un non « Josiane, fais le numéro ! ».
L’époque des parents responsables
Pendant des vacances scolaires, avec deux copains, Christophe et Philippe dit « Doudou », on avait construit une cabane sur un champ de broussailles pas loin de l’école primaire. On aurait bien voulu qu’elle reste secrète mais au bout de quelques jours, tous les jeunes du village venaient s’y retrouver. Comme on n’était plus chez nous, on a fini par décider d’y renoncer et de pratiquer la politique de la terre brûlée. Un jour, on y a mis le feu. On lui a dit adieu et, croyant le feu éteint, on est partis sans regrets. Manque de pot, le feu a repris et a cramé la moitié du terrain. On nous a retrouvés sans délai parce que, pour l’éducation des garnements, tout le monde participait et tout le monde parlait, il n’y avait pas d’omerta, les gens étaient plus soucieux de prendre leurs responsabilités qu’inquiets à l’idée d’être traités de balances. Les gendarmes ont sonné aux portes de nos parents avant la fin des vacances. Le père de Christophe a trouvé un arrangement avec la force publique. Comme il travaillait à la Compagnie des eaux et de l’ozone, il connaissait les pompiers. Pour nous apprendre, on nous a envoyés un samedi dans une caserne pour nettoyer des casques, des bottes et des engins. On s’est sentis petits merdeux au milieu des hommes, mais mon copain a tellement aimé l’ambiance que quelques années plus tard, malgré son CAP d’électromécanique, il est devenu pompier. Il l’était encore aux dernières nouvelles.
Ça ne nous a pas servi de leçon. L’année suivante, une nuit, on est allés peindre une fresque sur la façade d’une salle paroissiale toute neuve et toute moche construite sur ce qui nous servait de terrain de foot. Il savait dessiner, je ne savais qu’écrire. Inspirés par un dessin de Reiser, il avait représenté un curé, un chasseur et un flic avec à la place du sexe, une croix, un fusil et une matraque et j’avais écrit au-dessus et en dessous : « Les gens qui ont des petites bites trouvent toujours des rallonges. » En rentrant chez lui, ce con a mis au linge sale ses vêtements tachés de peinture et sa mère n’a pas mis longtemps à faire le lien avec le graffiti de notoriété publique. C’est elle qui nous a emmenés à la gendarmerie. Une fois de plus, nos parents ont trouvé un arrangement avec l’association catho propriétaire de l’édifice outragé. On est allés se faire sermonner en regardant nos pieds et les parents ont payé un ravalement. Je leur ai remboursé ma part en travaillant l’été suivant à étaler du goudron dans les parkings de La Défense. Je ne suis pas devenu terrassier, mais peut-être un peu plus responsable.
On avait piqué la peinture pour la fresque, de gros biberons de toutes les couleurs, dans l’école maternelle en passant en pleine nuit par un Velux entrouvert et en descendant avec une corde dans le préau. On était restés des heures, à faire du tricycle, à ouvrir la cage aux tourterelles et à jouer au ballon. Je me souviens de notre fou rire quand, assis au bureau de la directrice, alors que je jouais le rôle de Madame Tapedur qui recevait les parents convoqués du petit Bennasar en tapant du poing sur la table, un des lapins qu’on avait libérés plus tôt avait passé la tête par la porte, avec ses yeux idiots, ses longues oreilles et son museau frémissant. C’était des années avant que l’on aille, pour continuer à se marrer, acheter de la pâte à rire à des dealers civilisés dont le plus gros défaut était leur manque de ponctualité, revenus de Turquie ou du Maroc en minibus Volkswagen sans croiser le moindre compatriote djihadiste, des trafiquants qui pratiquaient un commerce illégal certes, mais sans kalachnikovs.
On hésite à dire que c’était mieux avant pour ne pas risquer de passer pour un vieux con réac
Et pendant toutes les années qui ont suivi, avec leurs épisodes intermittents de petite délinquance, de squats, d’effractions plus que de cambriolages, de gardes à vue avec tartes dans la gueule, de petits deals, d’un emprunt de voiture plus que d’un vol et de deux ou trois départs précipités et sans payer d’hôtels ou de restaurants, je n’ai jamais vu briller la lame d’un schlass, et sauf pour les besoins des bagarres à la sortie des concerts, je n’ai jamais cogné ni bousculé personne. Dans toutes ces aventures illégales de mon adolescence, je n’ai jamais fait de mal à une mouche et je n’ai jamais envisagé de porter un couteau et encore moins un coup de couteau. J’en ai eu un mais avant, quand j’étais enfant, avant même d’avoir trouvé ma bite. Quand je suis entré aux Éclaireurs de France, mon père m’a emmené chez l’armurier d’Arpajon qui n’existe plus, remplacé par un kebab ou un barbier pour métrosexuels. Il m’a acheté un Opinel numéro 8 avec girolle de sécurité qui m’a beaucoup servi entre 8 et 12 ans pour jouer à la pichenette ou pour tailler des flèches dans des branches de noisetier, à l’époque où j’étais un Indien. Quand j’ai commencé à jouer les apaches, je l’ai laissé à la maison dans mon sac à dos.
C’était il y a quarante ans autour du collège de Saint-Chéron. On était à la fin des années 1970, avant la construction dans cette campagne à 50 kilomètres de Paris de ces lotissements de pavillons avec dans les jardins des cabanes en plastique coloré pour les enfants nombreux. C’était avant qu’on ouvre vers l’intérieur du pays ce que Christophe Guilluy nomme « le sas d’entrée de l’immigration » ; avant que le besoin de désengorger les quartiers des Pyramides d’Évry ou des Tarterêts à Corbeil disperse, à coups de logements sociaux et à coûts de politiques de la ville, les nouveaux Français dans les vieilles campagnes ; avant que l’on vide les cités de leur surpopulation, pas carcérale mais pas loin, sur les villages tranquilles ; avant que les petits Blancs de la petite classe moyenne dont j’étais soient rattrapés par la banlieue qu’ils avaient fuie ; avant que les Noirs à capuche et les Arabes voilées, qui avaient poussé mes parents à lâcher une HLM à Saint-Ouen pour s’endetter dans le sud de l’Essonne et mon père à se taper chaque jour 100 kilomètres aller et retour pour aller travailler, redeviennent nos voisins ; avant que la France reçoive par millions des gens venus de loin à qui on a dit « Faites comme chez vous ! » ; avant que la « culture urbaine », métissage afro-américain du bled et du ghetto qui a décomplexé le sexisme, la xénophobie, le racisme, l’antisémitisme, l’homophobie, l’ultralibéralisme mafieux, le totalitarisme en proche banlieue et ressuscité au pays de Voltaire le délit de blasphème puni de mort ou la polygamie ; avant donc que cette « culture urbaine », très loin de l’idée que l’on se faisait avant du sens des mots « culture » et « urbain », s’étale en couronne autour de Paris vers la campagne et installe des poches de territoires perdus, archaïques et violents ; avant qu’il y ait entre nous et nos camarades immigrés plus qu’une génération d’écart : une civilisation de différence ; dans cet avant dont on hésite à dire qu’il était mieux pour ne pas risquer de passer pour un vieux con réac.
Voilà de quoi étaient faits à l’époque nos affrontements, nos insolences, nos désobéissances, nos bêtises de vacances, nos délinquances. Voilà ce qu’étaient nos façons de grandir, de sortir de nos enfances, de répondre aux adultes, d’être affranchis. Voilà ce qu’était notre jeunesse. Et si on nous avait dit alors : « Mais vous les jeunes, vous qui êtes désœuvrés, oisifs, livrés à vous-mêmes pendant les vacances scolaires et le soir quand les gymnases et les stades sont fermés ; vous qui voyez sur vos écrans des images violentes et des gens qui meurent ; vous qui ne pesez pas toujours les conséquences de vos actes, qui ne discernez pas toujours la réalité de la fiction ; vous qui, faute de moyens publics, n’avez plus de gardiens dans vos immeubles, ni de grands frères subventionnés, ni d’éducateurs formés, ni d’associations pour assurer le lien social, ni de dispositif alerte “anti-rixes” ; comment se fait-il qu’au premier litige entre vous, vous ne vous enfonciez pas de couteaux dans le ventre ? »
Si on nous avait demandé ça, je parie que même à 13 ans, on l’aurait mal pris, on se serait sentis infantilisés et on aurait sûrement répondu, peut-être en pensant à des images vues de guerres tribales en Afrique ou d’un lycée dans le Bronx : « Mais enfin, pour qui nous prenez-vous, pour des sauvages ? »
Le 22 février 2021, à Saint-Chéron, Lilibelle Galazzo, une jeune fille de 14 ans, était tuée d’un coup de couteau en s’interposant dans une bagarre entre des élèves de son collège et des jeunes de Dourdan, vêtus de noir et de capuches. Elle-même venait d’un collège de Dourdan dont elle avait été renvoyée, et renvoyée encore de celui de Saint-Chéron pour être admise ailleurs à la rentrée. Pour parler de l’événement, j’appelle une amie qui a enseigné dans ce collège, le collège du Pont-de-Bois. L’affaire l’a étonnée, ces violences étaient plutôt attendues aux abords des collèges entourés de cités HLM, à Dourdan ou à Étampes, mais pas dans ce coin tranquille devant un établissement fermé pour les vacances. Elle a constaté que l’immigration avait changé ces deux dernières décennies, qu’elle était devenue africaine mais que les jeunes à problèmes sont de toutes les origines, immigrée ou française et même parfois bourgeoise. Elle ajoute qu’ils ont en commun d’être peu suivis, pas soutenus, laissés à eux-mêmes et de vivre presque toujours avec des mères seules, de faible niveau culturel, en détresse économique, des cas sociaux. Elle ajoute, parce qu’elle me voit venir avec mes gros sabots sur l’immigration, que ce qui était mieux avant, c’était les familles, l’éducation et l’emploi. J’insiste un peu. Je lui rappelle les violences entre les bandes des Pyramides d’Évry et celles des Tarterêts de Corbeil, il y a dix ans, les coups de couteau et les jeunes à l’hosto. Je lui fais remarquer que tout ça s’est déplacé de 30 kilomètres, et que ce n’est pas la mode des divorces qui s’est répandue, mais celle des nouvelles populations. Mais elle persiste. Elle ne voit que des cas individuels, des cas sociaux, pas de quoi faire des généralités. Elle est dans le métier et je vois ça de loin. Elle doit avoir raison, sans doute moins qu’elle ne croit, mais sûrement plus que je l’imaginais.
Dans 33 ans avec vous, la vedette de TF1 relate un tiers de siècle de journal télévisé au plus près des campagnes.
« Jean-Pierre Pernaut accomplissait chaque jour cette tâche messianique consistant à guider le téléspectateur, terrorisé et stressé, vers les régions idylliques d’une campagne préservée, où l’homme vivait en harmonie avec la nature », analysa Michel Houellebecq dans La Carte et le Territoire. À l’époque cette phrase surprit l’intéressé, assure ce dernier, qui se décrit pourtant comme « profondément attaché à la nature, aux racines, aux terroirs, aux traditions ».
JPP visionnaire
Il y a quinze ans, un chroniqueur de Voici estimait que « Jean-Pierre [présentait] un journal pour les bouseux ». En septembre dernier, un fameux « spécialiste des médias » écrivait dans Libération que Pernaut incarnait « la France mythologique des marchés et des clochers, de l’école en blouse et des déjeuners à la maison ». Ont-ils déjà franchi le périphérique parisien ? Dans les années 1990 et 2000, avant l’essor des chaînes d’information continue, des millions de Français ont rompu le pain à l’heure du déjeuner devant la grande communion du 13 heures. On a tous un ami d’enfance vivant dans un village ou une grand-mère isolée chez qui on a religieusement regardé au moins une fois les reportages dans la France profonde de Pernaut. Que l’on en soit un adepte ou que l’on juge ces incursions à la campagne d’une platitude abyssale, Pernaut est comme un ami de longue date qui a toujours fait partie du paysage.
En lisant 33 ans avec vous, on entend la voix de JPP comme au temps du JT. De ses débuts au Courrier Picard à ses adieux au JT en septembre, l’Amiénois relate son parcours l’ayant mené jusqu’au fleuve Parana au Brésil, au pays du soleil levant ou en Inde avant de retourner sciemment à ses racines pour présenter, 33 ans durant, un journal « pour les vrais gens ». 115 000 reportages dans les villages -y compris les plus paumés- et leurs marchés, 15 000 consacrés aux terroirs lors de cette époque pas si lointaine où la seule évocation de « traditions », « patrimoine rural » ou même « produits locaux » faisaient doucement rigoler une petite élite qui n’avait d’yeux que pour les métropoles cosmopolites, leur bouffe multiculturelle et le grand marché mondial. Il y a eu ensuite les gilets jaunes puis la crise sanitaire. « Déléguer notre alimentation est une folie », déclarait Emmanuel Macron il y un an tandis qu’en octobre, 60% des Français se disaient désormais favorables au protectionnisme. Donnant bien avant la parole aux petites gens dont tout le monde se foutait, Pernaut était un visionnaire.
Conservateur à l’ancienne
De toutes ces années où il s’est quotidiennement « invité à déjeuner » chez les Français, Pernaut ne regrette rien. Au risque de lasser le lecteur, il lance constamment des fleurs à son équipe et à ses téléspectateurs. « Années fabuleuses », « aventure inouïe », « magnifique » utilisé une bonne trentaine de fois, envolées enthousiastes ponctuées par des exclamations, Pernaut ne lésine pas sur les guirlandes quand il s’agit d’honorer ses soutiens. Pas naïf mais optimiste, ce conservateur à l’ancienne tacle gentiment les « grincheux » qui snobent l’élection de Miss France. Mais n’attendez pas qu’il règle ses comptes avec la « petite élite parisienne », Pernaut n’a pas le temps pour ces querelles de médias, il sait que le salut viendra des « vrais gens », des petits pavillons, des agriculteurs et des champs.
En une de France Dimanche pas plus tard que cette semaine sous un titre infamant, JPP ne déborde pas d’amour pour la presse à scandale et ses paparazzis, « désormais remplacés par le fléau des réseaux sociaux », analyse-t-il. S’il ne s’attarde guère sur le sujet, il prédit qu’ « on va longtemps regretter la télé d’avant, où l’on pouvait s’amuser, rire de presque tout dans les émissions de divertissement, et donner les informations dans les JT sans craindre de se faire lyncher sur la Toile par des aigris, des jaloux et des pisse-froid du politiquement correct ». N’en jetez plus ! Septuagénaire increvable, Pernaut anime tous les samedis Jean Pierre et vous pendant une heure et quart (!) sur LCI. Au menu, « parole aux Français » et « formidables » richesses régionales. Ceux qui coupent les écrans le week-end peuvent se plonger dans 33 ans avec vous !
Une adolescente en pleurs lors d'un groupe de parole organisé par Jane Elliott
Image : capture d'écran YouTube
Suite et fin. Où nous découvrons comment les « groupes de paroles » sur le racisme font partie d’un programme destiné à diviser la société en deux camps: l’un dominé par le ressentiment, l’autre par la contrition, mais tous les deux manipulables à des fins politiques.
Nous avons vu que les militants antiracistes, pour justifier leur militantisme, ont besoin de démontrer la présence dans la société de racistes en grand nombre. Nous avons vu avec quels cris de rage les antiracistes ont salué la publication, outre-Manche au mois de mars, d’un rapport qui, tout en acceptant que le racisme existe et en proposant des actions concrètes pour y remédier, niait – preuves à l’appui – que la société britannique soit raciste sur le plan systématique et institutionnel. Voilà de quoi limiter le fonds de commerce de nos militants. En conséquence, ceux-ci ont développé une méthode pour essayer de pallier de telles difficultés. Il s’agit d’un concept, le « privilège blanc », selon lequel tout Blanc est, par sa blancheur, raciste, même à son propre insu. Un test pseudoscientifique, dit « des associations implicites », le démontre. Aux États-Unis et, dans une moindre mesure, au Royaume Uni, le concept et le test sont déployés dans des ateliers de formation destinés aux entreprises et aux écoles. Dans ce dernier cas, les tranches d’âge sont de plus en plus jeunes. Maintenant il nous reste à traiter un dernier élément dans la panoplie des antiracistes, à savoir des techniques d’interaction permettant de susciter et de canaliser les émotions, surtout à des fins politiques…
Parole, parole…!
Après notre incursion outre-Manche et outre-Atlantique, rentrons en France où les « groupes de parole » consacrés au racisme, initiés par l’UNEF et défendus par Audrey Pulvar, ont créé la controverse. Le fait que ces groupes soient réservés aux non-Blancs ou, si les Blancs sont présents, que ceux-ci soient obligés de rester muets, a choqué la notion d’universalisme à la française. Et pour cause. Ce dont on a beaucoup moins parlé, c’est l’usage potentiellement pernicieux qui peut être fait de ces réunions. Les défenseurs de ces dernières se sont empressés de situer leur origine dans les groupes de parole des femmes, mais les groupes consacrés à la race ont leur propre histoire.
Les groupes de parole de notre époque sont en apparence plus « polis » que ceux du passé, mais leur structure psychodramatique est toujours la même
La généalogie de ces événements en général où les participants sont invités à « libérer » la parole remonte jusqu’aux premières décennies du XXe siècle, mais une étape importante arrive dans les années 60. En marge du mouvement de la « psychologie humaniste », certains thérapeutes créent les soi-disant « encounter groups » (« encounter ayant à la fois le sens de rencontre et de confrontation), notamment au centre new age d’Esalen en Californie[tooltips content= »Jessica Grogan, Encountering America. Humanistic Psychology, Sixties Culture and the Shaping of the Modern Self (Harper, 2013). « ](1)[/tooltips]. Dans ces groupes, les individus réunis pour une période de plusieurs jours sont, non pas invités, mais forcés par des animateurs charismatiques à exprimer publiquement leurs émotions les plus refoulées et, inévitablement, les plus destructrices. Le but est de les décharger de quelque fardeau mental, mais le résultat est trop souvent de provoquer des traumas plus durables que la catharsis éphémère qui résulte de la « libération. » Des époux finissent souvent par divorcer suite à la participation du couple à une de ces séances collectives.
Le mot d’ordre de ces groupes – et de leurs héritiers d’aujourd’hui – consiste à demander aux participants, non pas « Qu’est-ce que vous pensez ? » mais « Qu’est-ce que vous ressentez ? » On contourne les systèmes rationnels du cerveau pour donner libre carrière aux émotions brutes. Les dégâts provoqués rendent ces techniques très controversées, et la mode des « encounter groups » sous la forme la plus dramatique se révèle de courte durée. Pourtant, c’est dans ce contexte que des tentatives sont faites pour guérir les blessures du racisme à l’américaine en créant des « encounter groups » composés de Noirs et de Blancs. Le résultat est prévisible : les Noirs expriment leur colère, souvent de manière violente ; les Blancs expriment déni, peur et contrition, de manière aussi agressive et excessive. Le psychodrame exacerbe les lignes de faille déjà connues mais n’apporte pas de solution durable. Le psychiatre afro-américain, Price Cobbs, qui a co-initié ces groupes de parole, a commenté plus tard : « Un des buts était de permettre aux Noirs de découvrir leur colère et aux Blancs de découvrir leurs craintes. À cette époque comme aujourd’hui, je savais que des comportements liés à la colère incomprise sont imprévisibles et ceux liés à des craintes inavouées sont potentiellement explosifs. » Le co-auteur d’un livre important, Black Rage, publié en 1968, Cobbs, un penseur plus profond et subtil que beaucoup de ceux qui ont essayé de lui emboîter le pas, a décidé d’orienter ses interventions autrement. Mais une idée était lancée qui s’alimenterait à d’autres sources : le racisme doit être guéri par la libération des émotions. Le problème, c’est que les émotions sont souvent manipulables.
La tyrannie de l’émotion
La conviction qu’éradiquer le racisme doit passer par une forme de psychodrame se trouve dans la contribution d’une pionnière de la formation à la diversité, Jane Elliott, qui est toujours portée aux nues par les spécialistes dans ce domaine. À l’origine institutrice, avant de mener une carrière de formatrice à la diversité dans les entreprises et d’autres institutions, elle conçoit en 1968, au lendemain de l’assassinat de Martin Luther King, un jeu de rôles pour ses petits élèves blancs d’Iowa, destiné à leur dessiller les yeux quant à la réalité du racisme.
Devenu célèbre par la suite, l’exercice intitulé « Yeux bleus – yeux marrons » sépare la classe en deux groupes selon la couleur des yeux. Déclarant qu’un des groupes représente des gens supérieurs et l’autre des gens inférieurs, Elliott remonte chaque camp contre l’autre. Quelques jours plus tard, elle inverse le statut des groupes et recommence. Comme pour les psychologues britanniques qui ont organisé l’expérience dans le documentaire, « The School that Tried to End Racism », Elliott ne craint pas de violer des normes éthiques en prétendant manipuler les attitudes des très jeunes. Pour débarrasser les gens de leur prétendu racisme, on a apparemment le droit de leur faire subir un véritable psychodrame émotionnel. L’approche plus mature de la formatrice se révèle dans la vidéo ci-dessous :
On voit ici que la tactique adoptée par Elliott consiste à intimider, rudoyer, malmener ses sujets sur le plan émotionnel. C’est ainsi que les deux Blanches, l’une gardant un silence craintif, l’autre essayant de se rebeller, doivent être réduites en larmes et humiliées devant le groupe pour que la leçon concernant leur racisme inné soit bien claire pour tout le monde. Les études menées sur l’efficacité des méthodes de Jane Elliott pour réduire le racisme sont peu concluantes. Tout ça pour si peu ? Sans doute que les groupes de parole et les ateliers sur la diversité de notre époque sont en apparence plus « polis » que ceux du passé, mais leur structure psychodramatique est toujours la même. Ils sont animés comme des séances de thérapie, le plus souvent par des personnes qui ne sont pas des thérapeutes qualifiés. Surtout, c’est toujours le même théâtre émotionnel qui se prête facilement à la création d’un groupe de victimes en colère et d’un autre de coupables contrits. Il faut que les minorités expriment rage et ressentiment ; il faut que la majorité se confesse, demande pardon et se montre docile.
Micro-agressions: une culture de victimisation
C’est un phénomène bien connu des managers : quand on demande au personnel, « Dans notre organisation, qu’est-ce qui ne va pas ? », le cahier des doléances se rallonge sans fin. Focaliser l’attention des gens sur leurs plaintes les amène à voir tout ce qui est négatif dans leur vie, surtout si les individus interrogés collectivement éprouvent une certaine émulation. En ce qui concerne le racisme, des victimes ont très certainement des histoires aussi terrifiantes qu’authentiques à raconter. Le hic, c’est que l’accent est mis par les tenants du privilège blanc sur les « micro-agressions », ces affronts quotidiens que les Blancs infligent aux minorités par des gestes et des paroles qui, de manière presque insensible, remettent les autres à leur place. Ces micro-agressions présentent l’avantage que tout acte, tout mot, peut être interprété de différentes manières : il suffit d’y voir une intention raciste.
Un exemple classique se trouve dans un podcast enregistré par Michelle Obama au mois d’août de l’année dernière. Elle raconte comment, voulant acheter des glaces dans une boutique Haagen-Dazs, elle trouve sa place dans la queue usurpée par une Blanche qui, à cause de son racisme inné, n’aurait pas vu la femme du président devant elle. Il nous est arrivé à nous tous de trouver des resquilleurs sur notre chemin dans la vie, mais pour Michelle Obama la motivation en question ne peut être que raciste. On pense à l’éther, cet élément qui, selon les scientifiques du XIXe siècle, était partout dans l’univers mais détectable nulle part. Selon leurs théories un tel élément devait exister – jusqu’à ce qu’Einstein prouve le contraire. Les micro-agressions sont omniprésentes dans la vie. Comment le savons-nous ? Parce que la théorie du privilège blanc l’exige.
Dans un livre remarquable, The Rise of Victimhood Culture, deux sociologues américains font une distinction entre trois types de culture[tooltips content= »Bradley Campbell, Jason Manning, The Rise of Victimhood Culture. Microaggressions, Safe Spaces and the New Culture Wars (Palgrave Macmillan, 2018). »](2)[/tooltips]. Dans la culture de l’honneur, la moindre offense qu’on reçoit doit être punie, de préférence par la violence. C’est cette France du XVIIe siècle où Richelieu a tenté en vain d’empêcher les duels incessants entre gentilshommes. Dans la culture de la dignité, qui caractérise les démocraties libérales, on fait preuve de tolérance devant les offenses à l’honneur, normalement verbales, pour ne pas encourager la spirale des représailles ; on ne punit généralement que les actes d’agression physique. Aujourd’hui, nous assistons à la montée d’une culture de la victimisation : celle-ci rejette la culture de la dignité en prétendant que toute offense est intolérable et doit être punie ; sa seule différence d’avec la culture de l’honneur, c’est que la violence de la punition n’est pas physique mais prend la forme d’un ostracisme social (« cancel culture ») non moins destructeur à la fin. Cette culture, créant une armée d’accusateurs en colère et une foule de racistes mortifiés et dociles, peut être facilement instrumentalisée à des fins politiques. La culture des victimes est propagée par les groupes de paroles ainsi que par toute une littérature de bestsellers, de la Fragilité blanche de Robin DiAngelo, ou Comment devenir antiraciste d’Ibram Kendi, à la Pensée blanche de Lilian Thuram. Du succès de ces auteurs, on peut dire, en modifiant un mot de Joseph de Maistre, « Ils sont fameux parce que nous sommes abrutis, et nous le sommes surtout parce que nous les avons crus. »[tooltips content= » « La réputation des livres ne dépend point de leur mérite », dans Six paradoxes (L’Herne, 2016), p. 77.
« ](3)[/tooltips] La France saura-t-elle résister à cette culture ? La réponse dans le prochain numéro de Causeur…
Les parents sont plus susceptibles de divorcer si leur premier-né est une fille. La science explique cela très bien.
Les sujets familiaux font d’inépuisables citernes à sagesse populaire, en particulier lorsqu’il est question du nombre et du sexe des enfants. Parmi cette avalanche d’idées reçues, celle voulant que les parents fassent plus d’efforts pour leurs fils. Ou celle, connexe, selon laquelle les filles seraient une sinécure pour leurs parents – plus faciles à élever, parce que plus dociles, plus sages, plus calmes. Comme tous les stéréotypes, ceux-ci ne sont pas totalement faux, mais pas précisément vrais non plus.
Détricotant autant le chouchoutage des garçons que la facilité d’entretien des filles, les économistes Jan Kabatek, chercheur au Melbourne Institute (Australie), et David C. Ribar, de l’université d’État de Géorgie (États-Unis), ont voulu savoir si et pour quelle raison le sexe des enfants pouvait peser sur le risque de divorce des parents. Pourquoi ? Parce que tout un corpus montre que ce risque est en effet légèrement plus élevé chez les parents de filles que de garçons. L’explication d’obédience féministe fréquemment donnée à ce phénomène est celle dite de la « préférence pour les fils », qui veut que les pères de filles soient plus susceptibles de quitter leur premier foyer pour aller en fonder un autre en raison de leur envie pressante de (faire) pondre un « héritier mâle ».
Ne partageant pas ce présupposé, Kabatek et Ribar ont réagi comme tout bon scientifique turlupiné qui se respecte : en quantifiant le phénomène. Et pas qu’un peu. Grâce aux registres démographiques néerlandais, leur étude publiée à la toute fin de 2020 porte sur près de 3 millions de mariages noués entre 1971 et 2016. L’année 1971 est celle où les Pays-Bas ont reconnu le divorce sans faute : à partir de là, les chercheurs ont pu travailler sur une cohorte de désunions davantage motivées par la volonté individuelle, si ce n’est le consentement mutuel, que lors des époques antérieures.
Globalement, l’étude ne va pas à contre-courant du consensus et montre que les parents sont effectivement plus susceptibles de divorcer si leur premier-né est une fille. Ensuite, et là encore dans la droite ligne de leurs prédécesseurs, Kabatek et Ribar observent un effet modeste – en moyenne et jusqu’aux 18 ans de leur fille, les familles avec aînée ont seulement 1,8 % de risque supplémentaire de divorcer. Mais ce risque augmente avec le nombre de filles du couple et leur âge. Par exemple, les couples néerlandais ont plus de 5 % de risque de divorcer lorsque leur fille a entre 13 et 18 ans. L’année de tous les dangers est celle de ses 15 ans, avec près de 10 % de risque supplémentaire. Aux États-Unis, pour lesquels Kabatek et Ribar disposaient d’un échantillon moins substantiel, les chiffres sont quasiment deux fois plus élevés.
Que le risque de divorce augmente avec l’âge en général, et soit le plus élevé à l’adolescence est le coup le plus dur donné à la théorie de la « préférence pour les fils ». Il est assez évident que lorsqu’un sale phallocrate est démangé par un besoin d’héritier mâle, il ne va pas attendre treize ou quinze ans pour l’assouvir. Comme le détaillent les chercheurs, l’explication plus probable s’oriente plutôt vers des relations conjugales ombrageuses au sujet des normes éducatives. À l’appui de cette hypothèse, l’étude montre que l’« effet fille » sur la séparation est d’autant plus fort que parents et enfants sont susceptibles d’avoir des croyances contradictoires sur ces rôles (par exemple, parce que les parents sont immigrés ou d’une génération plus ancienne que la moyenne). Et il explose (relativement parlant) si les parents ont eux-mêmes des croyances opposées (par exemple, lorsqu’un parent est immigré et l’autre non, lorsque les deux parents sont immigrés, mais issus de deux bassins culturels contrastés en matière de liberté des mœurs ou encore lorsque les niveaux d’études des parents sont très éloignés).
Cette augmentation du risque de divorce chez les parents de filles s’explique aussi par la fatigue relative que constitue leur éducation. À rebours de l’idée que les parents consentent des sacrifices supérieurs pour les garçons, l’investissement requis par l’éducation d’une fille est en réalité et en moyenne plus élevé que pour un fils. Des études observent notamment que les parents consacrent plus de temps aux activités pédagogiques pour leurs filles en âge préscolaire que pour leurs garçons. D’autres montrent que les parents allouent en tendance plus de ressources à leurs filles et d’autres encore que les familles défavorisées protègent davantage les besoins alimentaires de leurs filles adolescentes. Sans compter que le « calme » relatif des filles pourrait être un révélateur d’agitation parentale, vu que les fœtus masculins résistent moins bien au stress maternel et que les femmes déplorant un degré élevé de conflictualité conjugale avant de tomber enceintes sont plus susceptibles de donner naissance à des filles qu’à des garçons.
Des résultats cohérents avec l’un des piliers de la biologie évolutive, l’effet Trivers-Willard, posant que les conditions écologiques, en jouant sur la condition physique de la mère, ont de quoi faire fluctuer le sexe de la progéniture. L’hypothèse de Trivers-Willard statue en effet que lorsqu’un sexe est plus variable que l’autre dans son succès reproducteur (fitness) au cours de sa vie, et si les sexes n’ont pas les mêmes facilités (ou difficultés) d’accès aux ressources, alors il est possible de prédire quel environnement fera que tel sexe sera préféré par les parents aux dépens de l’autre. Chez l’humain, comme dans la grande majorité des espèces sexuées et anisogames – c’est-à-dire productrices de cellules sexuelles, les gamètes, très différentes en taille, en mobilité et en exigences énergétiques –, c’est la reproduction des mâles qui est la plus variable : quelques hommes se partagent la part du lion du gâteau de la reproduction et le gros des troupes n’a plus que des miettes, si ce n’est du vent. Les mères ont donc tout intérêt à préférer leurs filles quand la météo écologique est mauvaise (le pari est moins risqué : une fille a toujours plus de chances de se reproduire qu’un garçon) et de faire pencher la balance vers leurs fils quand les temps sont radieux. Le modèle prédit également que dans des environnements à la fois inégalitaires et précaires, il sera biologiquement logique de préférer les filles aux garçons dans les familles pauvres. À l’inverse, chez les riches, les fils auront le plus de chances d’être favorisés.
Mais la découverte la plus cocasse de l’étude de Kabatek et Ribar est sans doute que l’« effet fille » sur le divorce dépend fortement de la composition de la fratrie… du père. Pour les pères n’ayant pas de sœur, l’effet est fort, mais il est inexistant chez les hommes ayant eu au moins une sœur. Comme si, commentent Kabatek et Ribar, « l’exposition des hommes à des interactions parentales avec des filles pendant leur enfance pouvait atténuer certains des conflits qu’ils sont susceptibles de rencontrer sur leur propre trajectoire parentale ». Eurêka, on a découvert le vaccin contre le divorce.