Accueil Site

L’homme qui dort

Le sommeil a toujours inspiré les artistes. Et en réunissant des œuvres de l’Antiquité à nos jours, «L’Empire du sommeil», au musée Marmottan Monet, brosse le portrait psychologique de l’humanité occidentale : ses amours, ses textes saints, sa mythologie, ses désirs érotiques, ses ivresses et ses paradis artificiels.


Qu’il soit doux et « réparateur », profond, agité, peuplé de rêves ou de cauchemars, qu’il occupe une nuit noire ou un après-midi ensoleillé, le sommeil demeure une absence mystérieuse. Tout le monde dort, même les insomniaques. Nous passerions un tiers de notre vie à dormir. Et cet état d’abandon physique et intellectuel « frère de la mort » (Théophile Gautier) a toujours nourri la création artistique. Depuis des millénaires, musiciens, dramaturges, poètes, romanciers, sculpteurs et peintres ont représenté ce temps suspendu – qui n’est pas forcément de tout repos – avec une fascination teintée de crainte irrationnelle. Puis la médecine s’est penchée sur ce curieux moment de notre existence. Il lui reste beaucoup de choses à découvrir mais elle dévoile petit à petit l’activité perpétuelle du cerveau humain. Ce champ d’études infini a été exploré par la psychanalyse dès ses débuts, Freud estimant que « l’interprétation des rêves est la voie royale qui mène à la connaissance de l’inconscient de la vie psychique ». Le Viennois a également formulé un constat que nous pouvons tous partager : « La pensée des rêves est presque toute faite d’images. » Pourtant, aucune exposition n’avait été consacrée aux représentations du sommeil ; jusqu’à ce que le musée Marmottan Monet ouvre ses portes à Laura Bossi.

Cette neurologue et historienne des sciences s’est illustrée par les ponts qu’elle tend entre les disciplines, par sa façon peu commune d’associer histoire de l’art, histoire des idées et histoire des sciences. « Les Origines du monde. L’invention de la Nature au xixe siècle », au musée d’Orsay en 2020, en était une remarquable synthèse. On trouvait déjà cette patte à travers ses collaborations avec son époux Jean Clair qui ont fait date, « Mélancolie » (Grand Palais, 2005), « Crime et châtiment » (Orsay, 2010), « Sigmund Freud. Du regard à l’écoute » (MAHJ, 2018)… Avec « L’Empire du sommeil », elle brosse le portrait psychologique de l’humanité occidentale, ses amours, ses textes saints, sa mythologie, ses désirs érotiques, ses ivresses et ses paradis artificiels. Tout au long des huit salles du musée se côtoient dans un accrochage très « xixe » tableaux et gravures, photographies et dessins, sculptures et enluminures, soit cent trente-sept œuvres venues du monde entier et de tous les temps, de l’Antiquité à nos jours.

Laura Bossi. Photo : Hannah Assouline

Tendre regard

« Quasiment tous les artistes ont peint ou dessiné leurs proches endormis, nous dit Laura Bossi. Pendant la sieste, ce sommeil diurne particulièrement doux, ils ont portraituré leurs épouses, leurs maîtresses, leurs enfants ou leurs animaux domestiques. » Claude Monet peint son fils Jean au berceau (1868), les yeux clos, il serre une poupée aux joues roses comme les siennes. Mais le sommeil peut s’emparer de nous n’importe où. John Everett Millais immortalise une fillette richement vêtue qui s’est assoupie assise à l’église. Ses mains sont dissimulées dans un manchon de fourrure et ses petites jambes tendues d’un collant rouge ne touchent pas le sol. S’est-elle endormie d’ennui ? La toile s’intitule Mon deuxième sermon (1864).

À l’inverse, Un martyr. Le Marchand de violettes (1885) de Fernand Pelez représente un garçon bouleversant, a-t-il 10 ans, affalé à même le trottoir. Le malheureux aux pieds nus est tombé d’épuisement contre une porte cochère. Il dort la bouche ouverte, on découvre sa peau diaphane à travers ses haillons, ses mains délicates aux ongles noirs reposent parmi ses petits bouquets.

Une photo prise en 1905 nous montre Pierre Bonnard et le prince Antoine Bibesco piquant du nez, côte à côte sur une banquette de train, un livre ouvert sur les genoux. Quant à David Hockney, il a consacré une série de gravures à son chien en boule dans son panier (ici la No. 8, 1998). Les nombreux traits à la pointe sèche traduiraient presque les ronflements de l’animal. « Tous les animaux dorment, nous apprend Laura Bossi. Ceux qui nous sont les plus proches, les mammifères ou les oiseaux, mais aussi les serpents, les poissons, les araignées, les vers de terre… même les méduses ! »

La Somnambule, Maximilian Pirner, 1878. National Gallery Prague

C’était écrit

On dort aussi abondamment dans la Bible. Jacques Le Goff a recensé quarante-trois rêves dans l’Ancien Testament et neuf dans les Évangiles[1]. Dans la Genèse, le sommeil est lié à la symbolique des origines : Adam est endormi lors de la création d’Ève (superbe enluminure d’une Bible latine, xiie-xiiie siècles) ; Noé s’endort après avoir trop bu (la remarquable toile de Bellini, peinte vers 1515, montre ses fils tentant de cacher sa nudité avec un drap – rose et non blanc comme un linceul, car Noé dort, il n’est pas mort) ; et Job souffre d’insomnies (la gravure de William Blake, Rêves terrifiants de Job, 1825, en témoigne par une vision infernale).

Avec la promesse de résurrection du christianisme, le sommeil n’est plus apparenté à la mort. Au contraire, la mort est considérée comme un sommeil dont on sera réveillé. Le terme « dormition », du latin dormitio (sommeil), est d’ailleurs employé pour qualifier la mort des saints et surtout celle de la Vierge Marie. La Dormition de la Vierge est un état transitoire qui se caractérise par l’absence de souffrance et la paix de l’âme avant son élévation au Ciel, son Assomption. Il se dégage de La Dormition du xve siècle qui est exposée, exceptionnel haut-relief en bois polychrome et doré, un souffle joyeux. Les douze apôtres qui encadrent le lit de la Vierge lisent et chantent en chœur, ils sourient.

Le Christ a également eu de célèbres sommeils. Notamment en pleine tempête sur le lac de Tibériade. Affolés sur leur barque, les apôtres le réveillent, Il calme les eaux puis leur lance : « Hommes de peu de foi, de quoi avez-vous peur ? » Un sommeil serein comme allégorie de la foi. Ce même sommeil peut aussi être celui de la douleur, de la tristesse profonde face à la mort du Christ, c’est le cas de Luc et de Jean souvent représentés endormis ou mélancoliques. Jean s’endort même à la table de la Cène. Les Trois Apôtres endormis, un ivoire sculpté du xive siècle de quelques centimètres de hauteur est des plus émouvants.

Blanche nuit

« Je jalouse le sort des plus vils animaux / Qui peuvent se plonger dans un sommeil stupide », écrit Charles Baudelaire dans Les Fleurs du mal. Le « sommeil du juste » n’est pas donné à tout le monde et dès la fin du xviiie siècle, l’insomnie et les troubles nocturnes tels que le somnambulisme et les cauchemars ont inspiré les artistes bien avant les scientifiques. Goya, Füssli et Blake ont ainsi ouvert une voie aux romantiques allemands et français : la représentation des troubles de l’âme.

L’incube est une figure particulièrement équivoque. Ce gnome grotesque mêle angoisse et érotisme. C’est un démon à forme humaine qui vient violer les femmes dans leur sommeil. Assis comme une gargouille oppressante sur la poitrine de la belle endormie, il peut également incarner la paralysie du sommeil, cette incapacité éphémère de bouger ses muscles et de parler. Dans L’incube s’envolant, laissant deux jeunes femmes (1780), Füssli peint deux éplorées sur leur lit alors que la bête s’envole sur un cheval à travers la fenêtre. Peu de doute : elles ont vu le loup. Dans Le Cauchemar (1860), d’après Füssli, Gabriel von Max brosse un gnome terrifiant qui fixe le spectateur. Sous lui, la dame semble dormir, alanguie. A-t-il déjà commis son crime, s’apprête-t-il à le faire ? Sous le même titre, en 1846, Ditlev Blunck n’y va pas par quatre chemins. L’incube, corps d’homme et tête de lapin aux yeux exorbités, découvre les seins de l’endormie qui ne paraît pas du tout cauchemarder.

La nuit blanche est aussi synonyme de solitude. Edvard Munch, insomniaque, l’a représentée dans plusieurs autoportraits. Le magistral Noctambule (1923-24) erre ici dans la pénombre de son appartement, épaules voûtées et traits floutés.

In bed with…

« L’Empire du sommeil » se conclut sur un meuble qui lui est forcément associé, le lit. Georges Perec souligne que « même l’homme le plus criblé de dettes peut le conserver : les huissiers n’ont pas le pouvoir de saisir votre lit ; cela veut dire aussi – et on le vérifie dans la pratique – que nous n’avons qu’un lit, qui est notre lit ; quand il y en a d’autres dans la maison, on dit que ce sont des lits d’amis ou des lits d’appoint[2] ». Autrefois compagnon pour la vie, de la naissance à la mort en passant par la maladie, le lit personnel se troque désormais pour un lit à hôpital. Chez soi, il n’est plus que le lieu du sommeil et peut-être de l’amour. La force d’évocation des draps froissés de Delacroix (Le Lit défait, 1824), comme des oreillers rapprochés d’Avigdor Arikha (Lits, 2004), témoigne d’une action passée, d’un souffle érotique ou sensuel. Dans Mère (1900), de Joaquin Sorolla y Bastida, c’est un immense cocon de couettes blanches, chaud, profond et rassurant, duquel émergent les visages paisibles d’une mère et de son nourrisson. Avant d’empêcher ses parents de dormir, le petit d’homme consacre les premiers temps de son existence au sommeil.


À voir

« L’Empire du sommeil », musée Marmottan Monet, 2, rue Louis-Boilly, 75016 Paris, jusqu’au 1er mars 2026.

À lire

Le catalogue de l’exposition est riche de nombreux textes complémentaires, tels le sommeil au cinéma (Dominique Païni) et dans la musique (Ivan Alexandre).

L’Empire du sommeil, Laura Bossi (dir.), In Fine Éditions/Musée Marmottan Monet, 2025. 248 pages

L'EMPIRE DU SOMMEIL

Price: 35,00 €

5 used & new available from 35,00 €


[1] « Le christianisme et les rêves », in L’Imaginaire médiéval, 1985.

[2] Espèces d’espaces, 1974.

Globalisme et complotisme, le bel avenir du complot juif

0

Les nouvelles théories complotistes, les fantasmes autour du Forum de Davos, de l’Etat profond ou du « Great reset » auront-ils raison de l’inusable complot juif ?


Trois projets politiques globaux – sans définition nationale –  se sont affrontés au XXe siècle : le fascisme, le communisme et la démocratie  libérale. La démocratie libérale l’a emporté. La proclamation de sa victoire  en 1991, s’est accompagnée d’innovations technologiques  qui  ont permis d’organiser la division du travail à l’échelle mondiale, et ainsi d’étendre l’emprise du libéralisme,  sinon de la démocratie, au monde entier.  La « mondialisation heureuse » louée par Alain Minc a vu une amélioration  des conditions  matérielles d’une grande part de l’humanité. Mais celle-ci a été acquise au prix de l’urbanisation généralisée  qui a entraîné de graves atteintes  aux équilibres naturels et un ébranlement général  des systèmes de croyance et de socialisation. Ainsi la mondialisation est-elle  devenue également celle des angoisses : ce fut  la crise écologique, puis le réchauffement climatique et enfin le  risque pandémique.

On laissera ici de côté les controverses sur la nature, la profondeur et même  la réalité de ces problèmes. Les médias, l’école et les gouvernements les évoquent en permanence et prétendent y conformer leurs programmes et leurs politiques. Cela leur confère une consistance, une crédibilité, et suscite une nouvelle génération  de  projets globaux. Car à des problème globaux, il ne peut y avoir que des solution globales. Lesquelles supposent  une gouvernance globale.

L’ONU a été la première à proposer ses services  en 1992 à la Conférence de Rio sur l’environnement et le développement, le « Sommet de la terre », puis avec les Objectifs de Développement du Millénaire. Mais l’ONU n’a pas de mains, elle n’a que celles que lui prêtent les Etats, lesquels ont par définition un horizon essentiellement national. Kofi Annan, Secrétaire général  de l’ONU,  eut l’idée d’élargir aux entreprises l’assise financière  de l’organisation. Le seul grand capitaliste à jouer le jeu fut Bill Gates et ainsi naquit  l’Alliance Mondiale pour le vaccin et l’immunisation, le GAVI.

Dans son ensemble le grand capital s’est rallié à la proposition inverse : assujettir les peuples et les Etats à un agenda mondial défini par lui-même. Une fois de plus le capitalisme a démontré sa supériorité sur les bureaucraties. Aucune résolution n’a été adoptée, encore moins par un vote. Aucun objectif chiffré, aucun indicateur, aucune loi. Juste un consensus élaboré, entretenu, par un jamboree annuel à Davos, Suisse. Son contenu est assez simple : Même si le commun des mortels n’en a pas suffisamment conscience et doit être éduqué, les problèmes globaux existent. Ils sont gravissimes mais ils peuvent être réglés –  mieux, ils sont de opportunités de progrès – en tirant partie des avancées technologiques. Mais à deux conditions :  intensifier en capital les processus de production sans aucune limite au détriment du travail,  et ne pas entraver la liberté de mouvement capitalisme, ne pas toucher  à la  règle d’or du libéralisme : l’individu seul.

Divine surprise

La pandémie de 2020 a été pour Davos une divine surprise qui a permis de faire un grand bond en avant  vers l’informatisation de tout. Que de tels progrès conduisent tout droit à la division de l’humanité en deux classes, la seconde et la plus nombreuse étant celle d’un cheptel docile modestement entretenu, est une conséquence qui n’est pas mentionnée, du moins pas sous une forme aussi crue. Davos est le nom de ce programme et Klaus Schwab qui en a donné une formulation, le « Great Reset »,  est son prophète[1].

Si l’on ajoute au Forum Economique Mondial de Davos, quelques conciliabules annexes comme la conférence  de Bilderberg ou la Trilatérale, on voit apparaître en arrière-plan de cet inquiétant projet, une nébuleuse qui pourrait facilement être prise pour un gouvernement secret du monde. L’élite qui fréquente ces hauts lieux,  capitalistes, bureaucrates  et politique mêlés, se veut multilatéraliste, c’est-à-dire qu’elle soutient, du moins verbalement,  le renforcement du rôle de l’ONU dans la résolution des problèmes internationaux et globaux. Cela revient à défendre l’idée que ce qu’il faudrait, c’est un gouvernement mondial.

A lire aussi, Mgr Matthieu Rougé et Eric Zemmour: La crosse et le réséda

Il y a de fortes raisons de se méfier des projets de gouvernement mondial, la moindre d’entre elles étant qu’ils sont exclusifs de toute forme de démocratie. En outre, tout projet politique global est intrinsèquement dangereux car, étant situé à la plus grande distance  de l’expérience et du contrôle personnels, aucun amortisseur, sinon la morale la plus intime, ne limite son hybris. Quant au Great reset, qu’il s’intéresse au «   développement durable », à la « croissance inclusive », ou à la « quatrième révolution industrielle », il  est  soupçonné  d’être l’habillage  d’une mutation du capitalisme  vers de nouvelles  formes d’exploitation, de bureaucratisation,  voire d’emprise totalitaire. Mais ses implications politiques ne sont pas formalisées, malgré l’émergence du mouvement des « Lumières noires » outre-atlantique,  ni portées par une organisation politique comparable à l’ancienne internationale communiste. Ils ouvrent donc une  grande  fenêtre aux théories du complot.

Celles-ci ont effet pour premier objectif de  démasquer les conjurés[2] Pour ce faire, il faut les nommer : l’Etat profond, les globalistes, les Illuminati,  sont des termes qui ne désignent personne en particulier mais un parti caché qui tirerait  les ficelles et commanderait  aux politiques, lesquels  ne seraient que ses hommes de paille. Mais ces termes sont flous, alors qu’on dispose depuis longtemps  d’un nom pour désigner une internationale invisible organisée pour s’approprier le gouvernement du monde : l’inusable complot juif. Si l’on tient à trouver une conjuration internationale c’est évidemment là qu’il faut la chercher : qui donc sinon la diaspora juive  a des représentants  dans la plupart des cercles  de richesse  et de pouvoir du monde blanc et entretient une infinité de  réseaux  familiaux transfrontaliers?

Du bout des lèvres

En Occident tout au moins, le surmoi hérité de la seconde guerre mondiale interdit  pour l’instant de s’abandonner au grand jour à cette facilité. Beaucoup ont le mot au bout des lèvres  et la seule question est de savoir quand ils oseront le cracher. Certains ont d’ailleurs commencé à le faire : en Occident parmi les groupuscules de la vraie extrême-droite, dans le monde musulman que cette lubie occupe depuis des décennies,  et en Russie chez les tenants de la ligne dure contre l’Occident, les « turbopatriotes » . Il suffit d’aller voir les commentaires des articles de Russia Today pour constater que le complot juif n’a pas pris une ride, le mot sioniste a simplement remplacé le mot juif,  et que la Russie, du moins une partie d’entre elle, est, avec ses supporters inconditionnels, à l’avant-garde de la libération de la parole antisémite. 

Une théorie du complot a réponse à tout. Toute objection la renforce, la rationalité n’a pas de prise sur elle. Elle se nourrit d’équivoques, de demi-vérités, de fausses évidences, prospère dans les  zones d’ombre. Essayons  d’allumer un peu  la lumière.

Y a-t-il une machination ? Oui. Mais pas au sens d’une conjuration des gros cigares ou du Sanhédrin, au sens que lui donne Renaud Camus : la transformation progressive du monde en une vaste machine. La généalogie de ce processus a été décrite par Pierre  Musso dans  La religion industrielle[3] et  son actualité par Renaud Camus  dans ses récents ouvrages[4]. Il n’y a ni complot, ni  conjurés,  seulement le développement d’une métaphysique, celle de l’Occident, qui poursuit inexorablement sa marche en avant  vers la valorisation c’est-à-dire numérisation totale, la machination, du monde.

Celle-ci est-elle l’ennemie du genre humain ? Encore oui.  D’ores-et-déjà le transhumanisme  apparaît comme l’horizon inéluctable de cette accumulation de progrès.

Certains en tirent-ils profit?  Oui bien sûr. Comme toujours dans les grandes mutations, ceux qui sont capables, par les moyens dont ils disposent ou par leur intelligence et par leur cynisme,  de s’enrichir sur le dos de ceux qui n’ont pas ces atouts. En attendant d’apercevoir l’iceberg, la fête bat son plein sur le Titanic du progrès et les fortunes montent à des hauteurs sans doute jamais vues dans l’histoire.

Combien parmi ces gagnants y a-t-il de Juifs ? La réponse est la même qu’à l’ancienne question , combien de Juifs dans les organes  du Parti puis de l’Etat bolchevique : Beaucoup.  C’est naturellement là que le complot juif contemporain, comme naguère le judéo-bolchevisme trouve sa consistance.  Pourtant, dans un cas comme dans l’autre, il n’y a rien là  de mystérieux : la réussite sociale des Juifs tient à leur suradaptation  au mode de pensée de l’Occident. Sans doute parce qu’ils en sont les premiers auteurs, ou simplement  parce que des siècles et des siècles  d’étude talmudique ininterrompue de génération en génération, ça crée des habitudes de travail intellectuel.

C’est ainsi que, lorsque vers  1870 le régime tsariste  décide d’ouvrir l’enseignement supérieur à ce qui est alors la plus forte communauté juive du monde, la jeunesse juive , dont la plupart des parents savaient à peine le russe, se précipite vers les universités en si grand nombre et y connait de tels succès qu’on juge nécessaire d’instaurer des quotas limitant le nombre de  Juifs par établissement. Un demi-siècle plus tard, les mêmes causes produisant les mêmes effets, les universités américaines de l’Ivy League  prendront des mesures comparables.

Entretemps le judaïsme russe a connu trois ruptures : L’émigration de deux  millions de juifs russes aux Etats-Unis, le sionisme et  la révolution bolchevique.

La révolution de 1917 interdit le commerce privé, source première de revenu des Juifs russes, supprima la zone de résidence  des Juifs et détruisit l’administration tsariste. Les Juifs quittèrent alors massivement la zone de résidence et se ruèrent vers les grandes villes où s’offrit à eux une seule possibilité économique : remplacer les cadres de l’ancienne administration. Ils le firent avec une efficacité qui sans doute sauva le nouveau régime de l’effondrement et, pour beaucoup, une tendance à se venger d’un siècle d’humiliation . Cela suffit-il à accréditer le mythe du judéo-bolchevisme, cette variante  du complot juif qui fut le  grand thème de la propagande nazie ?  Soljenitsyne, qui a dressé un tableau implacable de la participation  des Juifs à la mise en place du pouvoir bolchevique et  de leur rôle dans les organes de répression, a répondu : la révolution bolchevique  a été faite par des rénégats. En majorité des rénégats de l’orthodoxie  russe, mais aussi des rénégats du judaïsme  et d’autres traditions encore. Dire que la révolution bolchevique a été une révolution juive n’a aucun sens[5].

A lire aussi, Didier Desrimais: Faut-il laisser Orwell tranquille?

Les Juifs qui émigrèrent en Amérique, emportèrent avec eux, en même temps qu’un ressentiment à l’égard de la Russie  dont on trouve la trace encore aujourd’hui chez les Kagan, Wolfowitz et autres  néo-conservateurs,  leur capacités intellectuelles et de travail. Au XXe siècle 37% des Américains honorés d’un prix Nobel  ont été des juifs, lesquels représentaient  2% de la  population du pays . Il n’y avait  aucune raison pour que ces talents  restent  cantonnés aux sphères éthérées de la science et des arts. Elles assurèrent dès le début du XXe siècle une place importante aux Juifs dans le monde  des affaires et d’abord de la finance, un domaine d’expertise traditionnel des Juifs. Bien entendu, les Juifs américains sont largement représentés à Davos.

Ils y retrouvent d’ailleurs  des Juifs russes, ceux-ci étant, tout aussi évidemment,  nombreux parmi les oligarques, adversaires mais plus souvent (pour ceux qui sont encore en vie) soutiens de Vladimir  Poutine. On ne prend pas trop de risque à prédire que si les fins stratèges  qui ne souhaitent que le départ de Poutine obtiennent gain de cause, on assistera à une nouvelle poussée de fièvre antisémite en Russie.


Globalisme et complotisme sont les deux faces d’une même monnaie, celle dont se paie le déracinement. L’un comme l’autre nous disent qu’on a raison d’avoir peur. Le globalisme contemporain n’embrigade plus, ne promet  plus des lendemains qui chantent, il protège. La technocratie, « la science » qui savent mieux que nous, nous disent comment nous devons vivre  pour conjurer les invisibles et d’autant plus terribles périls qui nous menacent. Le complotisme , lui, désigne des coupables.

Peter Thiel, quant à lui, annonce carrément le retour de l’Antéchrist et l’Apocalypse. On peut en sourire,  ou bien lire le Court récit sur l’Antéchrist[6] écrit en 1899 par Vladimir Soloviev. On y apprend que l’Antéchrist n’est pas du tout un méchant. Il  est le chef de ce que Philippe Muray nommera quelques  décennies plus tard, L’Empire du Bien[7]. Lui aussi prétend sauver la planète. La différence avec la situation actuelle est que dans le texte de Soloviev, les grandes religions sont encore capables de se lever pour dénoncer et, avec l’aide du Ciel, renverser l’imposteur.  Aujourd’hui plus rien ne semble capable  de s’opposer au dogme écologiste-progressiste-davosien sinon la colère, pour l’instant impuissante, du peuple.

Le complotisme fait  cadeau à ses adversaires d’une arme extraordinairement efficace : son existence-même , avec ses obsessions, sa vulgarité, son antisémitisme plus ou moins subliminal. Toute opposition, toute expression d’un doute à l’égard des causes du changement climatique, des bienfaits de l’escalade électronique ou du bien-fondé des atteintes aux libertés fondamentales sous couvert de prophylaxie, sont disqualifiées avec dédain comme complotistes. Mais c’est une arme à double tranchant. La mise au ban de la représentation les couches populaires  sous l’incrimination de «  populisme », qui est une façon encore polie de les renvoyer aux marécages malodorants  du complotisme,  met en danger la pérennité-même du système démocratique. Elle les pousse dans la direction de l’embrigadement de la colère,  ce qui, au siècle dernier,  s’appelait le fascisme.

La Dépossession: ou Du remplacisme global

Price: 40,00 €

1 used & new available from 40,00 €

LE MAGICIEN DE DAVOS : vérité(s) et mensonge(s) de la Grande Réinitialisation

Price: 9,99 €

1 used & new available from 9,99 €


[1] Cf Modeste Schwarz, Le Magicien de Davos, vérité(s) et mesnsonge(s) de la grande réinitialisation, Cultures et Racines, 2021

[2] Dans Les Protocoles des sages de Sion, faux et usage d’un faux (Berg et Fayard 2004) Pierre- André Taguieff définit plus précisément les fonctions des théories du complot: identifier les forces occultes à l’origine du prétendu complot — et confirmer qu’elles sont impitoyables ; lutter contre ces forces en révélant les secrets qui les rendent puissantes ; justifier la contre-attaque contre l’ennemi désormais identifié ; mobiliser les foules (et/ou les autorités) en faveur de la cause opposée au complot ; recréer un monde enchanté.

[3] Fayard 2017

[4] Voir en particulier La Dépossession  ou du remplacisme global, La Nouvelle Librairie 2022

[5] Alexandre Soljenitsyne Deux Siècles ensemble, tome 2 Juifs et Russes pendant la période soviétique Fayard 2003

[6] Vladimir Soloviev, Trois entretiens. Sur la guerre, la morale et la religion suivis du Court récit sur l’Antéchrist, Ad Solem 2005

[7] Philippe Muray, L’Empire du Bien, Les Belles Lettres 1991

Apprivoiser la mort

0

Dans ses romans biographiques érudits, Sophie Chauveau explore la vie des plus grands peintres (Lippi, Botticelli, Picasso, Fragonard ou encore Masaccio …).

Elle a aussi été la première à ouvrir la boite de Pandore du tabou de l’inceste « généalogique », avec La fabrique des pervers, le livre qui, selon Camille Kouchner, l’a incitée à livrer son propre témoignage choc.

J’ai adoré mourir est un singulier pas de côté. John Huston nous invitait en 1974 à une Promenade avec l’amour et la mort, Sophie Chauveau nous propose plus encore : un cheminement souriant, main dans la main avec la camarde, derrière le cortège, de plus en plus fourni, des défunts qui ont occupé une place à part dans sa vie, partageant ses passions et ses engagements féministes et écologistes de la première heure. Marceline Loridan-Ivens, Maurice Clavel, Honoré, Philippe Sollers :  elle leur dit son amour, son affection et son admiration.

De leur vivant, ils ont cheminé de conserve, morts ils habitent avec elle chaque jour. Son récit est aussi un chant d’amour à ses filles et aux animaux de sa vie (sans véritable préséance, tant sa dévotion aux unes comme aux autres est inconditionnelle). Sophie Chauveau n’a pas seulement apprivoisé la mort des autres, elle a croisé la sienne à plusieurs reprises et le raconte avec un naturel apaisé et réconfortant. Scène mémorable : la dispersion des cendres de son père dans la mer, précédée pourtant d’un lourd passif, exhale la sérénité joyeuse qui traverse ce texte, baigné par la lumière et les parfums de la Méditerranée. Sophie Chauveau a adoré mourir, la lire peut revigorer les anxieux.

J’ai adoré mourir de Sophie Chauveau, Editions Telemaque 325 pages

J'ai adoré mourir

Price: 22,00 €

16 used & new available from 2,47 €

L’antisionisme radical ou la haine réhabilitée


Le dimanche 14 décembre 2025, une attaque terroriste a profondément marqué l’Australie et la conscience internationale : lors d’une célébration publique de Hanoucca sur Bondi Beach, à Sydney, deux hommes ont ouvert le feu sur la foule rassemblée, tuant au moins 15 personnes et en blessant des dizaines d’autres, parmi lesquelles des enfants, des survivants de la Shoah et des figures communautaires juives. Ce massacre, le plus meurtrier en Australie depuis des décennies, a immédiatement été qualifié par les autorités d’attentat terroriste antisémite visant spécifiquement la communauté juive australienne. 

Daesh est toujours là

Les premières enquêtes indiquent que les deux assaillants — un père et son fils — pourraient avoir été inspirés par l’idéologie de l’État islamique, après un récent séjour dans une région des Philippines connue pour des activités liées à des groupes jihadistes. Des drapeaux et des engins explosifs ont été retrouvés à bord de leur véhicule, renforçant l’hypothèse d’une motivation terroriste religieusement radicalisée. 

Cette tragédie a suscité une vague de réactions politiques et institutionnelles à travers le monde. En Australie, le Premier ministre Anthony Albanese a qualifié l’attaque d’« acte de haine antisémite et de terrorisme » et a promis de réévaluer la législation sur les armes ainsi que les stratégies de prévention de l’extrémisme violent.  À l’international, des dirigeants tels que le président américain Donald Trump et des responsables religieux comme le pape Léon XIVont fermement condamné l’événement, insistant sur la nécessité d’une action globale contre l’antisémitisme. Emmanuel Macron a écrit que la France « partage la douleur du peuple australien et continuera de lutter sans faiblesse contre la haine antisémite qui nous meurtrit tous, partout où elle frappe. »

Pour la communauté juive mondiale, les funérailles des victimes ont été marquées par une émotion intense, reflétant non seulement un deuil collectif mais aussi la peur renouvelée face à des violences antisémites qui semblent gagner en fréquence et en brutalité dans différents pays depuis le déclenchement de la guerre de Gaza en octobre 2023.  Des voix critiques, y compris au sein même de la communauté australienne, reprochent aux autorités une sous-estimation des signaux d’alerte avant l’attaque et un manque de mesures concrètes face à la montée des actes de haine. 

Drôle de mélange

Ce contexte tragique illustre à quel point la violence dirigée contre les Juifs peut se nourrir d’un mélange complexe d’idéologies extrémistes, d’interprétations grotesques de l’antisionisme et de narratifs conspiratifs diffusés dans certains milieux politiques, religieux ou médiatiques. Dans cette lumière, l’antisionisme radical ne doit pas être analysé comme un simple désaccord politique autour du conflit israélo-palestinien, mais comme une matrice dans laquelle des formes plus larges de haine — parfois violentes — peuvent s’enraciner et se légitimer, jusqu’à franchir le seuil du passage à l’acte terroriste.

Pourquoi Israël concentre-t-il aujourd’hui une hostilité aussi violente, aussi disproportionnée, aussi obsessionnelle, de la part de certains milieux intellectuels occidentaux et du monde arabo-musulman ? Comment expliquer que dans un monde traversé de conflits, d’injustices, de tragédies humaines innombrables, un seul pays focalise autant de ressentiment, de soupçon, de colère ?

Ce texte propose une réponse sans fard : l’antisionisme radical contemporain n’est que la forme renouvelée, socialement acceptée, culturellement reconfigurée, d’un antisémitisme ancestral. Il ne s’agit pas d’une critique légitime de la politique israélienne. Il s’agit d’une entreprise de délégitimation, de déshumanisation, de désignation d’un mal absolu. Et ses conséquences sont déjà visibles, dangereuses, explosives.

Israël, cible d’une passion idéologique

Attribuer la haine d’Israël à la seule conduite de ses gouvernements successifs est une solution de facilité. C’est supposer que cet État, seul au monde, incarnerait une monstruosité sans équivalent, dans un univers pourtant saturé de crimes de guerre, de nettoyages ethniques, de dictatures impitoyables. Israël, dans cette vision, devient un cas d’exception maléfique. Cela ne tient pas.

Ce schéma ressemble à s’y méprendre à celui de l’antisémite traditionnel, pour qui la haine des Juifs n’est qu’une réponse aux « agissements » de ces derniers. Dans les deux cas, on justifie la haine par le comportement supposé de l’objet haï. La passion prime sur la raison. La condamnation est préalable aux faits.

La mécanique de la diabolisation

L’antisionisme radical est une passion, non une opinion. Il ne débat pas, il condamne. Il ne s’appuie pas sur des faits, il se nourrit de symboles. Et son moteur principal est la diabolisation.

Diaboliser, c’est caricaturer, exagérer, essentialiser. C’est effacer la complexité, nier les circonstances, interdire l’empathie. C’est réduire un peuple, une nation, à une fonction : incarner le Mal. Ce procédé n’est pas nouveau. Il était déjà à l’œuvre au Moyen Âge, quand les Juifs étaient accusés de profaner les hosties, d’empoisonner les puits, d’être les agents du diable.

Aujourd’hui, c’est Israël qui joue ce rôle. Un bouc émissaire global, qui permet à chacun — islamiste humilié, intellectuel culpabilisé, militant égaré — de se croire moral en haïssant un ennemi commode.

Le vieil antisémitisme religieux recyclé

Le lien entre le Juif et le diable est enraciné dans les textes et les traditions du christianisme médiéval. De Jean à Luther, en passant par la mystique populaire européenne, cette image a traversé les siècles. Elle s’est ensuite sécularisée sous des formes politiques, puis raciales, et aujourd’hui idéologiques.

Le monde musulman, de son côté, n’a pas échappé à cette construction. Certains versets coraniques, certains hadiths, ont été interprétés pour enraciner un antisémitisme durable. Ce n’est pas une haine circonstancielle, mais une vision théologique et historique du monde, où les Juifs sont dépeints comme infidèles, sournois, maudits.

À la différence notable des religions asiatiques — qui n’ont jamais développé de haine des Juifs —, les monothéismes issus d’Abraham semblent avoir eu besoin, chacun à leur manière, de délégitimer l’existence juive.

Le conflit israélo-palestinien, prétexte métaphysique

Dans cette perspective, le conflit israélo-arabe n’est plus une question géopolitique ou territoriale. Il devient un théâtre symbolique. Le penseur Hamed Abdel-Samad le résume crûment : « Ce n’est pas Israël que nous détestons. Ce sont les Juifs. » Même si Israël rendait toutes ses terres, l’hostilité ne cesserait pas. Car elle ne repose pas sur l’occupation, mais sur l’existence même d’un État juif souverain.

Cette souveraineté est vécue comme une offense. Elle contredit les prophéties. Elle humilie ceux qui avaient relégué les Juifs au rang de peuple soumis, minoritaire, résiduel. Israël, en gagnant ses guerres, en prospérant, en survivant, ne fait pas que se défendre : il accuse, silencieusement, ceux qui le haïssent. Et c’est cela qui devient insupportable.

L’Occident progressiste en miroir

C’est là qu’intervient la grande hypocrisie des élites occidentales. Traversées par la honte de la Shoah, du colonialisme et de l’esclavage, pétries de vertus chrétiennes retournées contre elles-mêmes, ces élites trouvent dans l’antisionisme un exutoire commode. Elles inversent les rôles : les descendants des victimes deviennent bourreaux ; les porteurs de haine deviennent résistants.

Le Palestinien est élevé au rang de figure christique, et l’Israélien abaissé à celui de soldat romain. Ce récit manichéen arrange tout le monde : il permet de réconcilier la bonne conscience avec la haine, de faire du ressentiment une vertu, de recycler les vieux tropes antisémites sous des formes acceptables.

Un monstre symbolique : Israël comme démon moderne

On reproche à Israël exactement ce qu’on a reproché aux Juifs pendant des siècles : la cruauté, la ruse, la soif de domination mondiale. On lui attribue un projet délirant — du Nil à l’Euphrate, de Tombouctou à New York. C’est une projection pure, au sens psychanalytique : les fantasmes de domination d’autrui sont projetés sur Israël pour mieux s’en absoudre soi-même.

Ce délire s’auto-alimente dans les réseaux, les campus, les conférences militantes. Israël devient un archétype du mal. Et cette image sert à justifier tout : les appels à l’intifada, les meurtres de civils, l’importation du conflit sur le sol européen. L’antisionisme n’est plus une position : c’est une arme.

Conséquences : un climat de violence intellectuelle et physique

Cette passion antisioniste radicale produit des effets. Elle transforme les débats en inquisitions. Elle rend la défense d’Israël honteuse, voire dangereuse. Elle pénètre les universités, les syndicats, les partis, jusqu’aux ONG. Elle instille une haine froide, justifiée, éthique — donc irréfutable.

Dans les rues d’Occident, on acclame des slogans appelant à l’éradication d’un État. On justifie des attentats. On attaque des synagogues. On cible des enfants. Et trop souvent, les autorités regardent ailleurs. Le courage politique est absent. Le mot « juif » fait peur à prononcer — sauf quand il s’agit de le dénoncer.

La trahison des clercs

Les intellectuels, censés être les garants de la pensée libre, ont pour beaucoup déserté leur poste. Par paresse, par conformisme, par lâcheté, ils ont abdiqué. Ils répètent les slogans, travestissent l’histoire, tordent le réel. Ils trahissent non seulement Israël, mais leur propre mission : éclairer, pas attiser.

La critique d’Israël est légitime. Sa diabolisation est une trahison. Une insulte à l’intelligence. Une faute morale.

Un antisémitisme relooké

L’antisionisme radical contemporain n’est rien d’autre que l’antisémitisme classique relooké pour convenir aux canons du progressisme mondain. Il n’est ni plus noble, ni plus légitime. Il est peut-être pire, car il s’ignore ou se ment à lui-même.

Israël n’est pas haï pour ce qu’il fait. Il est haï pour ce qu’il est : un État juif, fort, vivant, insoumis. Ce rejet n’a rien d’un combat pour la justice. C’est le prolongement d’un vieux refus : celui de laisser les Juifs exister autrement que dans la soumission ou la disparition.

Ce combat n’est pas israélien. Il est global. Il est civilisationnel. Et il est temps d’ouvrir les yeux.

D’une morale l’autre

Pour Chantal Delsol, l’héritage judéo chrétien est une réalité dont il faut reconnaître les apports majeurs à l’humanité. Mais elle estime que les chrétiens, devenus minoritaires, ne sont plus les prescripteurs moraux de nos sociétés et qu’ils ne doivent pas chercher à le redevenir.


Les civilisations existent. C’est une utopie de croire en une future culture unique mondialisée qui effacerait toutes les différences. Et d’où viennent ces différences culturelles qui font les civilisations ? Des diverses manières de répondre aux questions immuables posées à l’être humain : Pourquoi dois-je mourir ? question religieuse ; Comment définir le bien et le mal ? question morale ; Comment trouver l’abondance en luttant contre la rareté ? question économique ; etc. Les civilisations représentent les réponses diverses et toujours incertaines que les humains se donnent selon le lieu et le temps, leur histoire et leur caractère. Ces réponses ne sont pas figées, elles évoluent, elles se croisent et s’influencent entre elles – mais elles constituent tout de même, les unes et les autres, des entités reconnaissables, significatives, et toujours intéressantes.

Dans toutes les directions

Un grand écrivain chinois du xxe siècle, Liang Shuming, avait défini trois grandes civilisations mondiales : la chinoise, l’indienne et l’occidentale. Il en oubliait un grand nombre, mais son point de vue nous éclaire sur nous-mêmes. Il les décrivait d’abord d’un trait. La chinoise « s’adapte au monde » (Confucius, le taoïsme). L’indienne « veut le néant » (Bouddha). L’occidentale « va de l’avant » (Moïse, Platon, Jésus). Que veut dire ici « aller de l’avant » ? La civilisation occidentale, qui commence avec les Juifs et les Grecs (saint Augustin pense que Platon a rencontré des penseurs juifs, car le Timée ressemble trop à l’Ancien Testament), poursuivie par le christianisme, s’exprime ainsi : elle conceptualise, invente, diffuse, construit, explore, conquiert, tout cela dans un maelström continuel et effréné. L’invention de la transcendance (la croyance en un Dieu transcendant qui se révèle) suscite le déploiement de la science, parce que l’idée d’un créateur rationnel commande de chercher dans la nature les lois qui la structurent. L’idée de personne libre et responsable annonce l’invention de la démocratie moderne, d’abord dans les monastères puis dans les villes italiennes, dans la Magna Carta anglaise puis les régimes démocratiques modernes. En même temps, l’idée de personne libre et responsable inspire des sociétés occidentales dans lesquelles, dès l’origine, les filles se marient tard (par rapport à d’autres civilisations), la monogamie est d’usage, l’instruction des jeunes, prioritaire (même l’instruction des filles). Le choc de la saison révolutionnaire, à la fin du xviiie siècle, représente à la fois une rupture et une continuité, puisque les idéaux religieux (la personne, l’amélioration du monde) sont repris et laïcisés. C’est ainsi que se déploient au xixe siècle l’idée de progrès et la moralisation du monde – abolition de l’esclavage, émancipation des femmes, lutte contre la peine de mort, la torture, la prostitution, etc., moralisation qui se poursuit aujourd’hui avec la criminalisation de la pédophilie et du viol.

Ces caractéristiques occidentales, qui décrivent notre civilisation, ont pu exister ailleurs mais jamais de cette manière. La Chine a inventé des techniques bien avant nous (le vaccin, l’imprimerie), mais les a réservées au palais alors que nous les diffusions à tous. La civilisation musulmane a créé des madrasas qui sont des écoles théologiques, mais c’est en Europe que sont nées les universités, permettant au grand nombre d’accéder à tous les savoirs. Le Japon a développé des féodalités comparables aux nôtres, mais la démocratie nous est spécifique. La Chine a exploré le monde au début du xve siècle, puis interdit les voyages maritimes, mais nous avons pendant des siècles exploré la terre dans toutes les directions, découvert les détroits et les pôles, gravi les sommets du monde.

Universalisme

Cependant, la spécificité essentielle de l’Occident, c’est l’universalisme, d’abord chrétien puis laïque. Autrement dit la certitude que nos croyances et principes sont valables pour tous les humains – et qu’il faut donc les diffuser partout. Le christianisme se donne pour une vérité, un message adressé à tous les peuples de la terre. Plus tard, les droits de l’homme se présentent comme un message universel. D’où la mission, d’abord chrétienne, puis laïque. L’Occident apporte partout la vérité découverte ici.

Ces deux facteurs cumulatifs, l’idée d’universel et la puissance conférée par les découvertes scientifiques, font de l’Occident une civilisation conquérante. À partir du xve siècle, l’Europe avale et digère les deux Amériques, devenant ainsi l’Occident (le « pays du soir »), puis elle colonise l’Afrique et une grande partie de l’Asie. Elle apporte partout ses découvertes, depuis la médecine moderne jusqu’au chemin de fer, depuis l’émancipation des femmes jusqu’aux armements. De sorte que le monde est tout entier habité des trouvailles de l’Occident et qu’après une période de conquêtes coloniales intenses, on peut parler aujourd’hui d’un empire culturel mondial.

A lire aussi, Eric Zemmour: « Mon parti représente un judéo-christianisme conservateur et identitaire! »

Cette histoire extraordinaire ne se déroule pas sans drames intenses. Toute puissance court à l’ubris, et une puissance pareille, mondiale pour la première fois, commet des exactions et des crimes, produit des forêts d’arrogance et des mépris impardonnables, même si elle apporte aussi ses bienfaits. Nous arrivons au moment où l’hégémon se voit mis en cause pour ses excès, et se met lui-même en cause, ce qui est aussi une de ses caractéristiques, issue de la philosophie critique et de la culpabilité judéo-chrétienne. La situation présente est celle d’un Occident récusé et détesté de toutes parts, qui en même temps se déteste lui-même, et dans sa honte, prétend ne pas même exister en tant que tel.

Notre vraie difficulté, je dirais même notre véritable angoisse, concerne la survie de nos principes fondateurs dans l’esprit et les comportements des générations futures. La récusation mondiale de notre universel nous fait douter de nous-mêmes au point d’hésiter à nous défendre : existons-nous encore si nos principes ne valent plus que pour nous ?

Influence perdue

Or depuis la seconde moitié du xxe siècle, il semble que l’héritage judéo-chrétien vacille au moment même où il perd sa prépondérance extérieure. Le message laïque des droits de l’homme, héritier du christianisme, finit par écarter son fondateur et promouvoir une société à certains égards « païenne ». La chrétienté, entendue comme gouvernement moral et dogmatique de l’Église sur les sociétés, s’effondre. Les chrétiens s’en émeuvent, et se demandent comment reprendre leur influence perdue.

Que peuvent-ils faire ? D’abord regarder la situation en face : les lunettes de la décadence sont mauvaises conseillères. Contrairement à ce que disent certains pessimistes, nous ne sommes tombés ni dans le nihilisme, ni dans le relativisme. Nous vivons, bien plutôt, une transformation de la morale, une continuation de la morale judéo-chrétienne qui concerne désormais l’individu et le protège contre les institutions. La morale ancienne ne se détruit pas, plutôt elle évolue. On légitime l’IVG, mais on criminalise la pédophilie. On légitime le suicide assisté, mais on criminalise le viol. Il s’agit toujours de protéger les faibles contre les hiérarchies institutionnelles. Naturellement on peut contester cette évolution. Mais elle est là, et elle est désormais légitimée par la grande majorité de nos concitoyens.

Pour la première fois depuis quinze siècles, nos sociétés se trouvent écartelées entre deux types de morale – une, chrétienne traditionnelle, et une autre, post-chrétienne. Les deux morales s’affrontent, l’ancienne et la nouvelle – mais ceux qui défendent l’ancienne morale représentent, dans un pays comme la France, un pourcentage très minoritaire. Quelles sont les conséquences de cette situation ? D’abord, les Églises désormais marginales ne peuvent plus imposer la morale publique comme auparavant : c’est donc l’État qui décrète la morale. Ensuite : dans des pays démocratiques, les décisions morales vont désormais obéir aux majorités. Je doute qu’il y ait grand monde en France pour réclamer de revenir à la criminalisation de l’IVG. C’est le cas dans certains États américains, mais ce n’est clairement pas le cas en Europe. Certains chrétiens laissent entendre qu’il faudrait se faire élire et puis abolir les réformes sociétales récentes pour revenir à l’état ante. Naïveté ou sauvagerie ? On ne peut exercer une domination minoritaire, sur des sujets aussi sensibles, sans prétendre à des fascismes de type entre-deux-guerres. Car le retour au passé est encore une utopie, non moins dangereuse que l’utopie du futur, et tout autant terroriste. Je ne comprends même pas qu’on puisse caresser ce genre de rêve brutal. En tout cas, ce serait sans moi.

Nous devons vivre avec cette idée que les chrétiens ne sont plus les prescripteurs moraux de nos sociétés : le gouvernement moral des sociétés par le christianisme, qui s’appelait chrétienté, n’est plus. Les chrétiens ne représentent plus qu’une partie, souvent très minoritaire – ce qui exige d’eux, désormais, davantage de lucidité que de nostalgie.

Insurrection des particularités

Price: 21,90 €

7 used & new available from 17,98 €

Quart d’heure warholien

0

Une caissière de supermarché devient la star de TikTok.


Après le loup d’Intermarché, la caissière de Carrefour. Elle s’appelle Léonie, j’ignorais que le prénom de ma grand-mère revenait en grâce. La vingtaine, étudiante, méritante et ravissante, elle travaille au Carrefour de Laval le weekend.

Et pendant ses pauses, elle fait des vidéos avec ses collègues. Des jolies chorégraphies au milieu des rayons, des mimiques, quelques accessoires, le tout en uniforme frappé du logo de la maison. Le genre de trucs qu’on fait au mariage de sa meilleure copine et que le magasin poste sur son compte TikTok qui compte désormais 150 000 abonnés (je suppose que personne ne s’abonne au compte TikTok d’un hyper sans une raison particulière).

Comment ça a démarré, mystère mais en quelques jours, Léonie devient un phénomène.  Ses vidéos font des centaines de milliers de vues. Les commentaires pleuvent. Des troupes de jeunes gens (mâles) se précipitent au Carrefour qui, à en juger aux photos, semble planté dans la Pampa, dans l’espoir d’apercevoir la belle et surtout, de se filmer dans cette quête et de poster à leur tour. Et le magasin annonce avoir recruté un garde du corps pour Léonie, ce qui rajoute une page à l’histoire.

A lire aussi: Bravo Brigitte!

Que nous raconte cette histoire ? La version joli conte de Noël, c’est l’amour des petits, des humbles, des métiers essentiels comme on disait du temps du Covid… En réalité, je pense que c’est plutôt la prophétie de Andy Warhol réalisée. Chacun son quart d’heure de gloire. Mais cette célébrité est autoréférentielle. On n’est pas célèbre pour ses œuvres ou ses exploits mais parce qu’on est célèbre (à l’image de Kim Kardashian). Léonie n’est pas célèbre parce qu’elle danse bien – même si elle danse bien et qu’elle est très mignonne – mais parce qu’elle est virale. Peu importe le talent, ce qui compte c’est le nombre de vues et de followers. On la regarde parce que des milliers d’autres l’ont regardée. Les réseaux sociaux consacrent le triomphe du désir mimétique. La vox populi me dit ce que j’aime.

Certains se réjouiront de cette démocratisation de la célébrité devenue un objectif en soi – on me regarde donc je suis. Après tout, elle n’est pas toujours répartie très justement. Des tas de gens nuls et moralement douteux sont célèbres avec tous les avantages afférents. La promesse impossible de la Révolution française était Tous aristocrates ! La promesse des réseaux sociaux c’est Tous célèbres ! L’ennui, c’est qu’à la fin, il n’y aura plus de public.

Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

https://www.youtube.com/watch?v=2WXk599vw18

«Les féministes font du tri entre les victimes»

Victime d’un viol commis par un multirécidiviste africain sous OQTF, le 11 novembre 2023, et après un procès largement médiatisé, Claire Géronimi a fait naître de cette tragédie l’association Éclats de Femmes, pour donner voix aux victimes, dénoncer les défaillances du système judiciaire et alerter sur l’insécurité grandissante en France. Elle est également la vice-présidente du parti UDR fondé par Éric Ciotti. À travers ces deux engagements, elle entend porter un féminisme concret et exigeant. Son livre, dans lequel elle racontera son parcours et son combat, sortira en janvier 2026. Rencontre.   


Causeur. Un chiffre vient de tomber : en Île-de-France, 62 %[1] des agressions sexuelles dans les transports en commun seraient commises par des étrangers. Quand on vous accuse de faire un lien entre immigration et violences faites aux femmes, de stigmatiser ou d’instrumentaliser ces faits, que répondez-vous ?

Claire Géronimi. Tout part de là, j’ai été victime d’un viol sauvage, comme trop de femmes en France. Ce que j’ai vécu est indissociable de l’insécurité qui gangrène le quotidien. Dans les transports en commun, dans la rue, la nuit, partout… les femmes ont peur. Aujourd’hui, on partage notre localisation en temps réel à nos proches, on se couvre davantage, on évite certains trajets. Et ce n’est plus seulement dans les grandes villes, c’est partout.

Mon violeur avait 11 condamnations inscrites sur son casier judiciaire, c’était un multirécidiviste. Et comme lui, trop d’agresseurs restent sur le territoire alors qu’ils n’auraient jamais dû y être. Oui, il y a un problème d’immigration totalement hors de contrôle, et plus particulièrement avec les OQTF qui ne sont pas exécutées. Mon combat n’est pas parcellaire, il englobe à la fois la lutte contre les violences faites aux femmes, le rétablissement de la sécurité partout sur le territoire et la fin de cette impunité organisée. On ne peut pas défendre les femmes sans parler de tout cela.  

À quel moment avez-vous choisi de transformer votre expérience personnelle en engagement concret pour les victimes ?

Je ne pouvais plus rester les bras croisés. Passer mes journées devant mon ordinateur à réfléchir à des stratégies business qui, au fond, m’importaient peu… ça ne me ressemblait plus. J’ai d’abord eu l’idée de créer le podcast Éclats de Femmes pour libérer la parole de femmes qu’on n’entend presque jamais, redonner ses lettres de noblesse au féminisme et porter mon féminisme, celui qui compte vraiment pour moi. J’ai invité des personnalités fortes comme Alizée Le Corre, Marie-Estelle Dupont, des psychologues, des avocats… L’objectif est de donner des clés concrètes aux victimes et d’offrir un micro à celles dont la voix est étouffée. Très vite, je me suis rendue compte qu’il manquait cruellement un accompagnement global pour ces femmes. J’ai donc créé l’association. Le podcast est sorti en septembre 2024, l’association a suivi en novembre. Et aujourd’hui, nous sommes déjà trois salariées.

A lire aussi: Tartuffe sous le sapin

Vous auriez pu vous arrêter à l’engagement associatif. Pourquoi ajouter un engagement politique aux côtés d’Éric Ciotti ?

L’engagement social est essentiel, mais ses effets restent limités. L’association Éclats de Femmes est et restera apolitique, nous accompagnons toutes les victimes, du dépôt de plainte jusqu’au procès, avec une équipe juridique et psychologique. On ne porte pas de message politique, mais on ne va pas non plus cacher la réalité si une femme a été agressée par une personne sous OQTF, on le dit et on l’accompagne, point.

Éric Ciotti a été l’un des rares responsables politiques à me tendre la main dès le début, quand je cherchais des réponses concrètes du gouvernement quant à la présence de mon agresseur sur le territoire. Après la création de son parti, il m’a proposé de le rejoindre pour porter la voix des femmes à droite. J’ai longtemps réfléchi. Et puis je me suis dit que c’était une opportunité, défendre mon féminisme, oui, mais aussi m’engager sur les questions de sécurité et d’économie, des sujets qui me touchent en tant qu’ancienne entrepreneure. Pour faire vraiment bouger les lignes, il faut parfois être au cœur du réacteur. C’est le seul moyen de porter ses idées jusqu’au bout.

Vous avez affirmé à plusieurs reprises vous sentir seule et abandonnée.

Lors de mon agression, je me suis sentie abandonnée par les citoyens. Une voisine a entendu du bruit, a regardé dans la cour, mais n’est pas intervenue. Quand on entend une femme crier et du bruit de verre brisé, on ne sort pas de chez soi ? Cela pose une véritable question de responsabilité collective dans notre société. Une deuxième voisine m’a retrouvée en sang dans le hall de l’immeuble ; elle a fait fuir l’agresseur, mais ne m’a pas porté assistance car elle devait prendre un avion.

Après l’agression, malheureusement, comme je l’ai déjà dit dans de nombreuses interviews, j’en veux au système qui est mal conçu pour les victimes : on manque de soutien, une fois la plainte déposée.

Je me sens aussi abandonnée par le gouvernement. Depuis le début, j’ai pris la parole publiquement ; la moindre des choses aurait été un mea culpa, d’autant que j’ai créé une association. Ils n’ont pas envie d’affronter la réalité d’une victime agressée par une personne sous OQTF, car cela mettrait en lumière leurs propres défaillances. À l’époque, ni Bérangère Couillard ni Gérald Darmanin n’ont répondu à mes contacts. Aurore Bergé non plus n’a pas eu le courage de m’envoyer un message de soutien ou de me rencontrer avant le procès, malgré les demandes qui lui avaient été transmises.

Vous avez même évoqué, dans une interview, le fait que le système cherche à culpabiliser les victimes dans leurs démarches ?

Exactement. Lors des expertises psychiatriques pendant la phase d’instruction, mandatées par la CIVI (ndlr : Commission d’indemnisation des victimes), on se retrouve face à de vieux professionnels qui nous poussent dans nos retranchements. Les victimes devraient savoir qu’elles ont le droit d’être accompagnées par un avocat et un médecin conseil, ce qui n’est jamais précisé. On se retrouve seule dans une salle avec un expert de la CIVI et un psychiatre ; on m’a même reproché de ne pas avoir pris d’anxiolytiques, sous-entendant que cela réduirait mon indemnisation. Pendant l’instruction, les victimes ne sont pas réellement prises en considération. Les blessures physiques sont prises beaucoup plus au sérieux que les séquelles psychologiques, car elles sont plus faciles à mesurer. Pourtant, dans les cas de violences sexuelles, il y a très peu de blessures physiques visibles, hormis des bleus et des coups qui disparaissent au bout de six mois.
Mathilde, l’autre victime, et moi, avons commencé à avoir les gencives qui saignaient à l’approche du procès, un signe de stress intense qui persiste, mais cela n’a pas encore été comptabilisé comme dommage corporel. Je milite pour une réforme profonde de ce système.

Les féministes de gauche vous présentent comme une figure du « fémonationalisme ». Quel regard portez-vous sur ces féministes pour qui toutes les victimes ne se valent pas ?

Elles font du tri entre les victimes, discriminent et choisissent leurs combats, alors que ces causes devraient être transpartisanes. J’avais envoyé un message à Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes, sur LinkedIn ; le message a été vu, mais pas de réponse. D’autres associations m’ont répondu : « On ne peut pas vous aider. » À l’époque, j’étais en telle détresse que je n’ai pas insisté. Aujourd’hui, Anne-Cécile Mailfert m’insulte sur les réseaux sociaux… Des insultes indirectes sur l’instrumentalisation supposée de mon histoire par certains médias de droite, du fait que mon agresseur était sous OQTF. Je discuterais pourtant avec elles avec grand plaisir, mais la communication est aujourd’hui rendue impossible. Marlène Schiappa est l’une des seules à m’avoir soutenue, et je la remercie énormément. Elle a eu le courage de le faire. Nous ne sommes pas d’accord sur tout, nous n’avons pas les mêmes idées politiques, mais nous sommes d’accord sur le fait que ce combat doit être transpartisan.

Pensez-vous que ces féministes de gauche seront amenées à perdre de leur influence ?

On le voit déjà dans les tendances politiques actuelles, donc oui, elles perdent déjà de l’influence. Lors de ma première manifestation féministe avec Éclats de femmes, j’ai essayé de négocier avec la police pour intégrer le cortège principal ; on m’a répondu que, pour ma sécurité, je devais rester en arrière avec Némésis et Nous Vivrons. Pourquoi le cortège appartient-il exclusivement aux associations féministes de gauche ? Pourquoi doivent-elles seules mener l’opinion des femmes ? En plus, ces féministes sont souvent violentes et discriminent les autres féministes. Leurs messages politiques sont terribles, avec des pancartes comme ACAB (ndlr : All Cops Are Bastards, « Tous les flics sont des salauds »).

La Fondation des femmes, institution reconnue d’utilité publique, n’est jamais connotée négativement, alors que mon association dérange immédiatement, bien qu’elle soit apolitique, uniquement à cause de mes positions politiques sur les OQTF. Nous sommes bannies et mal vues dès qu’on est perçues à droite. J’ai d’ailleurs perdu un contrat, nous fabriquions des bijoux au profit des victimes ; cette marque nous a demandé de supprimer la collaboration sous prétexte de pressions liées à nos partenariats. Cela me révolte, car la Fondation des femmes n’aurait jamais eu ce problème.

A lire aussi: MeTooMedia: le palmarès de l’entre-soi

Jordy Goukara, 26 ans, sous OQTF, multirécidiviste, délinquant depuis son adolescence… La peine qui a été prononcée[2] est-elle proportionnelle à la gravité des faits ?  

Mon avocat m’a indiqué que la moyenne pour ce type de faits est de 12-13 ans et que la peine maximale est de 20 ans ; 18 ans est donc une peine lourde et satisfaisante. L’accusé ne fera sûrement pas appel. La justice a eu peur, car le procès était très médiatisé. Son comportement fait qu’en prison, il n’aura probablement pas d’aménagement de peine. À mi-peine, soit dans neuf ans, il pourra demander à purger le reste de sa condamnation en République centrafricaine. J’espère que ce sera le cas, qu’il partira pour que je n’entende plus jamais parler de lui.

Vous avez soutenu l’idée d’un projet de loi selon lequel l’État serait responsable lorsqu’une personne sous OQTF commet une agression. Qu’attendez- vous de ce texte ?

Il s’agit d’une proposition de loi développée par l’Institut pour la Justice. Nous étions allés voir Olivier Marleix (avant la scission LR/Ciotti) ; Christelle Morançais devait initialement la porter. Elle a été déposée en mars, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, mais elle est actuellement en stand-by. L’idée est de démontrer que l’État est fautif lorsqu’il n’exécute pas une OQTF et qu’une agression en découle, et de créer un fonds spécifique pour indemniser les victimes. Nous avions estimé qu’une victime doit débourser environ 35 000 € en frais d’avocat et de justice. Nous voulions montrer qu’il coûte finalement plus cher à l’État de ne pas appliquer les OQTF que d’indemniser correctement les victimes.

Quel regard portez-vous sur la vie politique française et ses acteurs ?

Je pense que les Français sont fatigués de l’instabilité politique actuelle. Cela contribue, par ricochet, à une société plus individualiste. J’échange régulièrement avec de nombreux entrepreneurs qui envisagent de quitter la France, qu’ils jugent trop fortement taxée. L’audiovisuel public s’en prend à Bernard Arnault, pourtant premier créateur de richesse du pays. Résultat : trop de très bons profils s’en vont, alimentant une véritable fuite des cerveaux, attirés par des perspectives jugées meilleures ailleurs. Pendant mon master HEC-Polytechnique, nous rêvions tous de créer une licorne ; malheureusement, les trois quarts de la promotion sont partis dans la Silicon Valley.

Quels sont vos vœux de fin d’année, pour vous et pour la France ?

Deux priorités. D’abord, que l’association continue de se développer. Nous avons déjà aidé 250 femmes, mais ce n’est pas suffisant. Nous avons besoin de recruter davantage de bénévoles, de soutiens matériels et financiers, et de renforcer l’équipe interne, j’aimerais pouvoir recruter deux personnes supplémentaires en 2026. Nous souhaitons également intervenir davantage dans les écoles et les entreprises sur les questions de violences sexistes et sexuelles, en proposant des formations qui ne soient pas wokistes. Pour la France, mon vœu le plus cher serait que plus aucune femme ne soit violée ou assassinée d’ici la fin de l’année.

Le hall d’entrée, Éditions Fayard. Sortie prévue le 28 janvier 2026.

Le hall d'entrée

Price: 19,00 €

1 used & new available from 19,00 €


[1] https://www.lejdd.fr/Societe/agressions-sexuelles-dans-les-transports-parisiens-la-part-des-auteurs-etrangers-en-hausse-164902

[2] Nldr : 18 ans de réclusion assortis d’une interdiction définitive du territoire.

Sacha Guitry, le triomphe de l’esprit français

0

Les politiciens sont dépassés, les caisses sont vides, la guerre menace, la morosité règne. Alors un conseil: courez voir La Jalousie, de Sacha Guitry, au théâtre de la Michodière qui fête ses cent ans, dans une mise en scène soignée de Michel Fau.


Sacha Guitry (1885-1957), fils de l’acteur Lucien Guitry, s’affirme rapidement comme un auteur dramatique de grand talent. Il saisit les caractères de l’être humain, s’en amuse, les raille avec élégance et légèreté. Il n’épargne pas la bourgeoisie, pusillanime, hypocrite, misogyne, préférant toujours l’argent à l’honneur. Ses phrases sont mordantes, le ton est juste, les répliques font mouche. L’ironie domine ; elle rappelle celle de Voltaire. Les rapports entre les hommes et les femmes sont étudiés dans son laboratoire personnel, ce qui lui permet d’être d’un réalisme impitoyable, sans toutefois tomber dans le graveleux. Le bon goût le protège, comme le champagne désarme le révolver les soirs de vive amertume. Guitry, c’est aussi un splendide acteur, avec cette voix un peu précieuse et inimitable. Il met également en scène ses textes et n’hésite pas à devenir réalisateur de films historiques grandioses. C’est un artiste complet. Indémodable. Il suscite la jalousie durant la période de l’Occupation. Ses pièces sont jouées et rencontrent le succès. Cela suffit pour qu’il soit inquiété à la Libération. On lui cherche des poux dans la tête. On ne trouve rien. Pas de voyage en Allemagne, pas de contrat signé avec la firme Continentale.  Il passe cependant par la case prison. Le dossier est vide. Le chef d’accusation ne comporte que deux mots : « Rumeur publique ».

A lire aussi, Michel Fau: L’exercice chaotique du biopic

La jalousie, justement. Thème de la pièce écrite alors que « le grand Sacha », comme l’appelait Michel Simon, a tout juste 30 ans. Vous avez le choix entre les 600 pages de La Prisonnière, de Proust, pour tout savoir sur ce sentiment dévastateur qui rend malade le jaloux avant de le détruire, lui et son entourage, et les dialogues incisifs du texte court de Guitry.

Albert Blondel, fonctionnaire à la moralité de façade, rentre à son domicile cossu. Il vient de tromper sa femme avec une « grue ». Il cherche toutes les excuses possibles pour expliquer son retard. Son imagination n’est guère débordante. Il se perd en conjectures. C’est alors qu’il s’aperçoit que son épouse n’est pas encore rentrée. La jalousie commence à le submerger, un délire obsessionnel l’envahit qui va le dévorer. La jalousie se confond avec la possession. Sa femme, sous la pression des insupportables questions de son mari, finit par faire ce qu’elle n’aurait jamais imaginé faire. C’est à la fois cruel et jubilatoire. Les mots claquent, laissant le spectateur étourdi par les bonds et rebonds des répliques. Guitry avait interprété le rôle de Blondel. Il est repris par Michel Fau – magistral Mitterrand dans L’Inconnu de la Grande Arche, film de Stéphane Demoustier –, parfait en mari jaloux qui flirte avec la folie. Son visage, souvent, inquiète. Il y a du Hamlet en lui quand, dans une lumière blafarde, il se dirige seul vers la salle. Une fêlure intérieure happe le spectateur attentif.

A lire aussi: Et si on jouait à Noël?

Le personnage de l’écrivain infatué de soi-même, interprété par Alexis Moncorgé, est caricatural. Guitry nous livre l’image de ce qu’il aurait pu être, si le génie de ses textes lui avait tourné le dos. Mais le « maitre » sut rester à la hauteur de ses mots d’esprit si français. Michel Fau, dont la liberté de ton est à souligner en ces temps de moraline, résume, à propos de La Jalousie : « Dans cette comédie, l’auteur fortement influencé par Jules Renard, Octave Mirbeau mais aussi Georges Feydeau et Georges de Porto-Riche, cultive les contrastes ; une satire sociale côtoie une farce raffinée, une psychologie échevelée se frotte à une férocité joyeuse. »

À noter que la tragédienne Geneviève Casile, qui interprète aujourd’hui la belle-mère, jouait le rôle de la femme de Blondel quand la pièce fut reprise à la Comédie-Française. Il lui incombe d’affirmer que les femmes sont douées pour le mensonge. Le propos n’engage que « le grand Sacha ».

La Jalousie, pièce de Sacha Guitry, mise en scène de Michel Fau, à la Michodière. 1h40 Paris 2e. Prolongation jusqu’à mars 2026.

Les patrons dans le camp du mal?

0

Notre contributrice répond aux accusations d’entremetteuse avec le RN qui lui sont adressées ces derniers jours dans la presse.


Les médias ont tout dit sur le Rassemblement national, et depuis des années : antirépublicain, populiste, infréquentable, démago, inculte, raciste, extrémiste, haineux, facho… Comme, semble-t-il désormais, 42% des Français[1] !

Il va donc falloir absolument trouver autre chose pour culpabiliser ceux qui pourraient ne pas manifester une détestation irréversible et notoire vis-à-vis de la droite nationale ; sachant, pour mémoire, que le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella ne s’appelle pas « extrême droite » mais « Rassemblement national ».

C’est ma fête

C’est maintenant la fête des patrons, qui n’en peuvent plus, car les médias se sont reportés sur eux, embusqués, les soupçonnant d’être des « collabos » du RN qui avancent masqués. Ainsi, comme le martèle Laurent Mauduit dans son dernier ouvrage[2], remontant pour cela à la guerre, nous, les patrons, aurions toujours fricoté avec les politiques les plus infréquentables. Dont acte.

Depuis quelques mois, et je peux en témoigner, nous sommes toutes les semaines interrogés sur nos rapports avec l’extrême droite au sens large. D’Éric Zemmour à Jordan Bardella en passant par Marion Maréchal, Éric Ciotti, et d’autres noms que nous ne connaissons même pas, nous sommes accusés de flirter avec de dangereux individus…

A lire aussi, Marine Le Pen: « Je ne vais pas y retourner vingt-cinq fois de suite »

Je suis désormais qualifiée d’« entremetteuse » au service du RN, alors que je n’ai jamais voté pour ce parti, dont je ne partage pas les valeurs, et que je me déclare — bien que mon combat pour les entreprises soit apolitique — soutien du libéral David Lisnard. Tout cela parce que j’ai été la première présidente d’un mouvement patronal à inviter Marine Le Pen, lors de l’élection de 2012, à débattre devant des patrons curieux ; et que, depuis, à chaque échéance politique, j’ai agi de la même manière avec l’ensemble des représentants des partis politiques. Gloire à LFI et à la gauche qui jamais ne nous ont répondu ni même parlé, leur honneur est sauf : les patrons à la lanterne !

Les patrons sont pragmatiques

Je vais aller plus loin : si par le plus grand des hasards, et comme annoncé actuellement par tous les sondeurs, arrivait au pouvoir suprême un membre du RN, je serais la première à rencontrer ses équipes pour défendre la seule cause qui nous importe, celle des entreprises, et tenter d’éviter les erreurs économiques programmées et fatales (comme le recul de l’âge de la retraite, etc.).

Les patrons vont ainsi, chapeau enfoncé jusqu’aux yeux, rasant les murs, cherchant les endroits discrets pour discuter économiquement avec les infréquentables, sur l’avenir que leur réserverait la fameuse « extrême droite ». Rappelons que tous sont d’accord sur ce constat: le RN n’est ni extrême ni de droite, il ne peut être qualifié d’« extrême » que dans sa détestation de l’immigration non-contrôlée.

Oui, il est de notre devoir de patrons de préparer l’avenir économique de la France et d’empêcher pour l’avenir le désastre que nous voyons déjà se profiler aujourd’hui. Oui, le RN reçoit les patrons, hélas plus que les autres partis et il nous écoute vraiment. Ne parlons pas de l’Élysée ou Matignon, aux abonnés absents, à moins qu’il ne s’agisse des présidents des trois organismes dits représentatifs. Oui, nous patrons, allons même jusqu’à leur transmettre nos rapports que personne d’autre ne lit et luttons pour informer et faire cette pédagogie qui manque cruellement.  Expliquer nos constats, nos méthodes pour simplifier ou réformer… et même nos propositions, par exemple : accorder un permis de séjour de la durée du contrat de travail à un sans-papier. Car lesdits sans-papiers sous interdiction de travailler, s’ils présentent 12 feuilles de salaires d’affilée seront récompensés de leur désobéissance à l’État par un permis de travail en bonne et due forme ! Une honte.

A lire aussi, Jean-Jacques Netter: Suicide économique, mode d’emploi

Mais la chasse aux patrons qui fréquentent épisodiquement le RN est donc lancée, et ils seront tous crucifiés au pilori médiatique ! Le phénomène s’amplifie, les journalistes veulent savoir… Qui connaissez-vous comme patrons qui voient le RN ? Et vous-mêmes, les avez-vous reçus ? Combien de fois ? À quelle date ? Vous étiez présente ? Qui vous accompagnait ? On ne dira rien, mais on peut les appeler de votre part ? Vous avez des noms précis ? Leurs coordonnées ? Les avez-vous revus après les avoir vus ? Communiquez-vous régulièrement avec eux par SMS ? etc. Quelles que soient ses réponses, la réputation du courageux sera incontestablement entachée par l’article à paraitre… Et si ce n’est pas le cas, c’est qu’il s’agit bien sûr d’un article d’une presse infréquentable (c’est-à-dire au mieux, « de droite » !)

Cette presse d’investigation réalise-t-elle qu’en cherchant à marginaliser le RN, elle contribue à sa progression ? Les patrons, inquiets pour l’avenir, veulent désormais se faire entendre en tentant d’influencer un parti qu’ils jugent proche du pouvoir, notamment pour infléchir son programme économique. Comment ne pas avoir envie d’encourager la glissade de Jordan Berdella vers des rivages libéraux ? Beaucoup espèrent ainsi orienter Jordan Bardella vers une ligne plus libérale, convaincus qu’un parti « jamais essayé » pourrait accéder au pouvoir.

Dans un paysage politique jugé verrouillé, les chefs d’entreprise, qui votent avant tout pour la survie de leur activité, cherchent à anticiper et peser sur l’avenir, y compris auprès de partis qu’ils ne soutiennent pas naturellement.

Réussir, c'est possible !: 42 parcours de patrons "Made in France"

Price: 22,00 €

13 used & new available from 2,46 €


[1] 42% des Français ont déjà voté pour le RN ou un candidat RN selon un sondage réalisé par IFOP-Fiducial pour le JDD et Sud Radio, ce qui démontre que le processus de respectabilisation du parti de Jordan Bardella progresse.

[2] Collaborations, Enquête sur l’extrême droite et les milieux d’affaires, La Découverte, 2025

Ces élites éthérées qui mettent les Français en danger

0

Tandis que la menace terroriste impose un renforcement de la sécurité autour des marchés de Noël, sous l’autorité de Laurent Nuñez, l’idée d’une union des droites (présentée par ses promoteurs comme le seul moyen d’enrayer l’immigration massive et les dérives islamistes qui l’accompagnent) continue de susciter l’indignation-réflexe d’une majeure partie de la classe politique.


Les paisibles marchés de Noël ont été placés sous surveillance sécuritaire. L’ennemi djihadiste peut, en effet, frapper à tout instant. Le ministre de l’Intérieur est le premier à le savoir. Un 7-octobre semblable à celui lancé par le Hamas contre Israël en 2023 est envisageable en France. Pourtant, Emmanuel Macron regarde ailleurs.

Il s’emploie à préparer l’opinion à une guerre « existentielle » contre la Russie. L’« extrême droite » et le « populisme » sont ses deux autres obsessions. Une grande partie de la classe politique acquiesce aux postures déconcertantes du chef de l’Etat, agréées par le politiquent correct. Interrogée, mardi, par Libération sur l’ouverture proposée par Nicolas Sarkozy vers le RN et sur son refus d’avaliser un front républicain contre Marine Le Pen, Florence Portelli, vice-présidente des LR, s’est dite « effarée » d’un tel rapprochement : pour elle, il y aurait au sein du RN « des gens qui sont contre tout ce qui est créatif, contre l’art contemporain, contre une bonne partie de ce que fait le cinéma ». Les platitudes de cette Marie-Chantal illustrent la vacuité de la pensée de luxe, exhibée par la droite mondaine et ses précieuses ridicules. Rien n’est pire, pour ces gens-là, que de se mélanger à la plèbe et de partager son bon sens. En réalité, ce monde éthéré doit être tenu pour responsable de l’état de violence permanente que subit désormais la France. Le conformisme du personnel politique, identifiable à la lâcheté interdisant de désigner ceux qui, de l’intérieur, assaillent le pays et aux faux procès intentés à ceux qui s’inquiètent des déroutes françaises, est une aubaine pour l’islam conquérant, obsédé par son désir d’humilier l’Occident en déclin.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Un loup pour l’homme

La tuerie antijuive perpétrée à Sydney (Australie), samedi, par deux membres se réclamant de Daesh qui ont pris pour cible une foule fêtant Hanouka à Bondi Beach, est le produit d’une complaisance irréfléchie avec la cause palestinienne. L’Australie, comme la France, ont cru moralement bien faire en reconnaissant l’Etat de Palestine et en se désolidarisant de la résistance israélienne. Ce faisant, les gouvernements ont libéré l’expression des ressentiments judéophobes portés par une partie de la nouvelle population musulmane issue de l’immigration. Si les Juifs ne sont plus en sécurité en Australie ni en France, ce n’est pas à cause de la Russie ni d’une extrême droite fantasmée. Les responsables sont ceux qui, par un humanisme déclamé et un cosmopolitisme de salon, passent leur temps à grimer en xénophobes et en racistes ceux qui ne se lassent pas d’alerter sur les risques d’une immigration de masse ouverte à l’islam colonisateur, en conflit millénaire avec les juifs et l’Europe chrétienne. Ce mercredi matin, sur RTL, Dominique de Villepin n’a rien vu de sa propre contradiction consistant à appeler au « rassemblement » autour de sa « France humaniste », tout en excluant les « populistes » du RN, c’est-à-dire le premier mouvement national, porté par les sondages. Ces élites à bonne figure, qui déplorent la montée du nouvel antisémitisme, sont des dangers pour les Français, juifs ou pas. Elles le sont au même titre que l’extrême gauche.

L’homme qui dort

0
Le Sommeil de saint Pierre, Giuseppe Antonio Petrini, vers 1740 ©Grand Palais RMN/Stéphane Maréchalle

Le sommeil a toujours inspiré les artistes. Et en réunissant des œuvres de l’Antiquité à nos jours, «L’Empire du sommeil», au musée Marmottan Monet, brosse le portrait psychologique de l’humanité occidentale : ses amours, ses textes saints, sa mythologie, ses désirs érotiques, ses ivresses et ses paradis artificiels.


Qu’il soit doux et « réparateur », profond, agité, peuplé de rêves ou de cauchemars, qu’il occupe une nuit noire ou un après-midi ensoleillé, le sommeil demeure une absence mystérieuse. Tout le monde dort, même les insomniaques. Nous passerions un tiers de notre vie à dormir. Et cet état d’abandon physique et intellectuel « frère de la mort » (Théophile Gautier) a toujours nourri la création artistique. Depuis des millénaires, musiciens, dramaturges, poètes, romanciers, sculpteurs et peintres ont représenté ce temps suspendu – qui n’est pas forcément de tout repos – avec une fascination teintée de crainte irrationnelle. Puis la médecine s’est penchée sur ce curieux moment de notre existence. Il lui reste beaucoup de choses à découvrir mais elle dévoile petit à petit l’activité perpétuelle du cerveau humain. Ce champ d’études infini a été exploré par la psychanalyse dès ses débuts, Freud estimant que « l’interprétation des rêves est la voie royale qui mène à la connaissance de l’inconscient de la vie psychique ». Le Viennois a également formulé un constat que nous pouvons tous partager : « La pensée des rêves est presque toute faite d’images. » Pourtant, aucune exposition n’avait été consacrée aux représentations du sommeil ; jusqu’à ce que le musée Marmottan Monet ouvre ses portes à Laura Bossi.

Cette neurologue et historienne des sciences s’est illustrée par les ponts qu’elle tend entre les disciplines, par sa façon peu commune d’associer histoire de l’art, histoire des idées et histoire des sciences. « Les Origines du monde. L’invention de la Nature au xixe siècle », au musée d’Orsay en 2020, en était une remarquable synthèse. On trouvait déjà cette patte à travers ses collaborations avec son époux Jean Clair qui ont fait date, « Mélancolie » (Grand Palais, 2005), « Crime et châtiment » (Orsay, 2010), « Sigmund Freud. Du regard à l’écoute » (MAHJ, 2018)… Avec « L’Empire du sommeil », elle brosse le portrait psychologique de l’humanité occidentale, ses amours, ses textes saints, sa mythologie, ses désirs érotiques, ses ivresses et ses paradis artificiels. Tout au long des huit salles du musée se côtoient dans un accrochage très « xixe » tableaux et gravures, photographies et dessins, sculptures et enluminures, soit cent trente-sept œuvres venues du monde entier et de tous les temps, de l’Antiquité à nos jours.

Laura Bossi. Photo : Hannah Assouline

Tendre regard

« Quasiment tous les artistes ont peint ou dessiné leurs proches endormis, nous dit Laura Bossi. Pendant la sieste, ce sommeil diurne particulièrement doux, ils ont portraituré leurs épouses, leurs maîtresses, leurs enfants ou leurs animaux domestiques. » Claude Monet peint son fils Jean au berceau (1868), les yeux clos, il serre une poupée aux joues roses comme les siennes. Mais le sommeil peut s’emparer de nous n’importe où. John Everett Millais immortalise une fillette richement vêtue qui s’est assoupie assise à l’église. Ses mains sont dissimulées dans un manchon de fourrure et ses petites jambes tendues d’un collant rouge ne touchent pas le sol. S’est-elle endormie d’ennui ? La toile s’intitule Mon deuxième sermon (1864).

À l’inverse, Un martyr. Le Marchand de violettes (1885) de Fernand Pelez représente un garçon bouleversant, a-t-il 10 ans, affalé à même le trottoir. Le malheureux aux pieds nus est tombé d’épuisement contre une porte cochère. Il dort la bouche ouverte, on découvre sa peau diaphane à travers ses haillons, ses mains délicates aux ongles noirs reposent parmi ses petits bouquets.

Une photo prise en 1905 nous montre Pierre Bonnard et le prince Antoine Bibesco piquant du nez, côte à côte sur une banquette de train, un livre ouvert sur les genoux. Quant à David Hockney, il a consacré une série de gravures à son chien en boule dans son panier (ici la No. 8, 1998). Les nombreux traits à la pointe sèche traduiraient presque les ronflements de l’animal. « Tous les animaux dorment, nous apprend Laura Bossi. Ceux qui nous sont les plus proches, les mammifères ou les oiseaux, mais aussi les serpents, les poissons, les araignées, les vers de terre… même les méduses ! »

La Somnambule, Maximilian Pirner, 1878. National Gallery Prague

C’était écrit

On dort aussi abondamment dans la Bible. Jacques Le Goff a recensé quarante-trois rêves dans l’Ancien Testament et neuf dans les Évangiles[1]. Dans la Genèse, le sommeil est lié à la symbolique des origines : Adam est endormi lors de la création d’Ève (superbe enluminure d’une Bible latine, xiie-xiiie siècles) ; Noé s’endort après avoir trop bu (la remarquable toile de Bellini, peinte vers 1515, montre ses fils tentant de cacher sa nudité avec un drap – rose et non blanc comme un linceul, car Noé dort, il n’est pas mort) ; et Job souffre d’insomnies (la gravure de William Blake, Rêves terrifiants de Job, 1825, en témoigne par une vision infernale).

Avec la promesse de résurrection du christianisme, le sommeil n’est plus apparenté à la mort. Au contraire, la mort est considérée comme un sommeil dont on sera réveillé. Le terme « dormition », du latin dormitio (sommeil), est d’ailleurs employé pour qualifier la mort des saints et surtout celle de la Vierge Marie. La Dormition de la Vierge est un état transitoire qui se caractérise par l’absence de souffrance et la paix de l’âme avant son élévation au Ciel, son Assomption. Il se dégage de La Dormition du xve siècle qui est exposée, exceptionnel haut-relief en bois polychrome et doré, un souffle joyeux. Les douze apôtres qui encadrent le lit de la Vierge lisent et chantent en chœur, ils sourient.

Le Christ a également eu de célèbres sommeils. Notamment en pleine tempête sur le lac de Tibériade. Affolés sur leur barque, les apôtres le réveillent, Il calme les eaux puis leur lance : « Hommes de peu de foi, de quoi avez-vous peur ? » Un sommeil serein comme allégorie de la foi. Ce même sommeil peut aussi être celui de la douleur, de la tristesse profonde face à la mort du Christ, c’est le cas de Luc et de Jean souvent représentés endormis ou mélancoliques. Jean s’endort même à la table de la Cène. Les Trois Apôtres endormis, un ivoire sculpté du xive siècle de quelques centimètres de hauteur est des plus émouvants.

Blanche nuit

« Je jalouse le sort des plus vils animaux / Qui peuvent se plonger dans un sommeil stupide », écrit Charles Baudelaire dans Les Fleurs du mal. Le « sommeil du juste » n’est pas donné à tout le monde et dès la fin du xviiie siècle, l’insomnie et les troubles nocturnes tels que le somnambulisme et les cauchemars ont inspiré les artistes bien avant les scientifiques. Goya, Füssli et Blake ont ainsi ouvert une voie aux romantiques allemands et français : la représentation des troubles de l’âme.

L’incube est une figure particulièrement équivoque. Ce gnome grotesque mêle angoisse et érotisme. C’est un démon à forme humaine qui vient violer les femmes dans leur sommeil. Assis comme une gargouille oppressante sur la poitrine de la belle endormie, il peut également incarner la paralysie du sommeil, cette incapacité éphémère de bouger ses muscles et de parler. Dans L’incube s’envolant, laissant deux jeunes femmes (1780), Füssli peint deux éplorées sur leur lit alors que la bête s’envole sur un cheval à travers la fenêtre. Peu de doute : elles ont vu le loup. Dans Le Cauchemar (1860), d’après Füssli, Gabriel von Max brosse un gnome terrifiant qui fixe le spectateur. Sous lui, la dame semble dormir, alanguie. A-t-il déjà commis son crime, s’apprête-t-il à le faire ? Sous le même titre, en 1846, Ditlev Blunck n’y va pas par quatre chemins. L’incube, corps d’homme et tête de lapin aux yeux exorbités, découvre les seins de l’endormie qui ne paraît pas du tout cauchemarder.

La nuit blanche est aussi synonyme de solitude. Edvard Munch, insomniaque, l’a représentée dans plusieurs autoportraits. Le magistral Noctambule (1923-24) erre ici dans la pénombre de son appartement, épaules voûtées et traits floutés.

In bed with…

« L’Empire du sommeil » se conclut sur un meuble qui lui est forcément associé, le lit. Georges Perec souligne que « même l’homme le plus criblé de dettes peut le conserver : les huissiers n’ont pas le pouvoir de saisir votre lit ; cela veut dire aussi – et on le vérifie dans la pratique – que nous n’avons qu’un lit, qui est notre lit ; quand il y en a d’autres dans la maison, on dit que ce sont des lits d’amis ou des lits d’appoint[2] ». Autrefois compagnon pour la vie, de la naissance à la mort en passant par la maladie, le lit personnel se troque désormais pour un lit à hôpital. Chez soi, il n’est plus que le lieu du sommeil et peut-être de l’amour. La force d’évocation des draps froissés de Delacroix (Le Lit défait, 1824), comme des oreillers rapprochés d’Avigdor Arikha (Lits, 2004), témoigne d’une action passée, d’un souffle érotique ou sensuel. Dans Mère (1900), de Joaquin Sorolla y Bastida, c’est un immense cocon de couettes blanches, chaud, profond et rassurant, duquel émergent les visages paisibles d’une mère et de son nourrisson. Avant d’empêcher ses parents de dormir, le petit d’homme consacre les premiers temps de son existence au sommeil.


À voir

« L’Empire du sommeil », musée Marmottan Monet, 2, rue Louis-Boilly, 75016 Paris, jusqu’au 1er mars 2026.

À lire

Le catalogue de l’exposition est riche de nombreux textes complémentaires, tels le sommeil au cinéma (Dominique Païni) et dans la musique (Ivan Alexandre).

L’Empire du sommeil, Laura Bossi (dir.), In Fine Éditions/Musée Marmottan Monet, 2025. 248 pages

L'EMPIRE DU SOMMEIL

Price: 35,00 €

5 used & new available from 35,00 €


[1] « Le christianisme et les rêves », in L’Imaginaire médiéval, 1985.

[2] Espèces d’espaces, 1974.

Globalisme et complotisme, le bel avenir du complot juif

0
Klaus Schwab à Davos, 18 janvier 2023 © Markus Schreiber/AP/SIPA

Les nouvelles théories complotistes, les fantasmes autour du Forum de Davos, de l’Etat profond ou du « Great reset » auront-ils raison de l’inusable complot juif ?


Trois projets politiques globaux – sans définition nationale –  se sont affrontés au XXe siècle : le fascisme, le communisme et la démocratie  libérale. La démocratie libérale l’a emporté. La proclamation de sa victoire  en 1991, s’est accompagnée d’innovations technologiques  qui  ont permis d’organiser la division du travail à l’échelle mondiale, et ainsi d’étendre l’emprise du libéralisme,  sinon de la démocratie, au monde entier.  La « mondialisation heureuse » louée par Alain Minc a vu une amélioration  des conditions  matérielles d’une grande part de l’humanité. Mais celle-ci a été acquise au prix de l’urbanisation généralisée  qui a entraîné de graves atteintes  aux équilibres naturels et un ébranlement général  des systèmes de croyance et de socialisation. Ainsi la mondialisation est-elle  devenue également celle des angoisses : ce fut  la crise écologique, puis le réchauffement climatique et enfin le  risque pandémique.

On laissera ici de côté les controverses sur la nature, la profondeur et même  la réalité de ces problèmes. Les médias, l’école et les gouvernements les évoquent en permanence et prétendent y conformer leurs programmes et leurs politiques. Cela leur confère une consistance, une crédibilité, et suscite une nouvelle génération  de  projets globaux. Car à des problème globaux, il ne peut y avoir que des solution globales. Lesquelles supposent  une gouvernance globale.

L’ONU a été la première à proposer ses services  en 1992 à la Conférence de Rio sur l’environnement et le développement, le « Sommet de la terre », puis avec les Objectifs de Développement du Millénaire. Mais l’ONU n’a pas de mains, elle n’a que celles que lui prêtent les Etats, lesquels ont par définition un horizon essentiellement national. Kofi Annan, Secrétaire général  de l’ONU,  eut l’idée d’élargir aux entreprises l’assise financière  de l’organisation. Le seul grand capitaliste à jouer le jeu fut Bill Gates et ainsi naquit  l’Alliance Mondiale pour le vaccin et l’immunisation, le GAVI.

Dans son ensemble le grand capital s’est rallié à la proposition inverse : assujettir les peuples et les Etats à un agenda mondial défini par lui-même. Une fois de plus le capitalisme a démontré sa supériorité sur les bureaucraties. Aucune résolution n’a été adoptée, encore moins par un vote. Aucun objectif chiffré, aucun indicateur, aucune loi. Juste un consensus élaboré, entretenu, par un jamboree annuel à Davos, Suisse. Son contenu est assez simple : Même si le commun des mortels n’en a pas suffisamment conscience et doit être éduqué, les problèmes globaux existent. Ils sont gravissimes mais ils peuvent être réglés –  mieux, ils sont de opportunités de progrès – en tirant partie des avancées technologiques. Mais à deux conditions :  intensifier en capital les processus de production sans aucune limite au détriment du travail,  et ne pas entraver la liberté de mouvement capitalisme, ne pas toucher  à la  règle d’or du libéralisme : l’individu seul.

Divine surprise

La pandémie de 2020 a été pour Davos une divine surprise qui a permis de faire un grand bond en avant  vers l’informatisation de tout. Que de tels progrès conduisent tout droit à la division de l’humanité en deux classes, la seconde et la plus nombreuse étant celle d’un cheptel docile modestement entretenu, est une conséquence qui n’est pas mentionnée, du moins pas sous une forme aussi crue. Davos est le nom de ce programme et Klaus Schwab qui en a donné une formulation, le « Great Reset »,  est son prophète[1].

Si l’on ajoute au Forum Economique Mondial de Davos, quelques conciliabules annexes comme la conférence  de Bilderberg ou la Trilatérale, on voit apparaître en arrière-plan de cet inquiétant projet, une nébuleuse qui pourrait facilement être prise pour un gouvernement secret du monde. L’élite qui fréquente ces hauts lieux,  capitalistes, bureaucrates  et politique mêlés, se veut multilatéraliste, c’est-à-dire qu’elle soutient, du moins verbalement,  le renforcement du rôle de l’ONU dans la résolution des problèmes internationaux et globaux. Cela revient à défendre l’idée que ce qu’il faudrait, c’est un gouvernement mondial.

A lire aussi, Mgr Matthieu Rougé et Eric Zemmour: La crosse et le réséda

Il y a de fortes raisons de se méfier des projets de gouvernement mondial, la moindre d’entre elles étant qu’ils sont exclusifs de toute forme de démocratie. En outre, tout projet politique global est intrinsèquement dangereux car, étant situé à la plus grande distance  de l’expérience et du contrôle personnels, aucun amortisseur, sinon la morale la plus intime, ne limite son hybris. Quant au Great reset, qu’il s’intéresse au «   développement durable », à la « croissance inclusive », ou à la « quatrième révolution industrielle », il  est  soupçonné  d’être l’habillage  d’une mutation du capitalisme  vers de nouvelles  formes d’exploitation, de bureaucratisation,  voire d’emprise totalitaire. Mais ses implications politiques ne sont pas formalisées, malgré l’émergence du mouvement des « Lumières noires » outre-atlantique,  ni portées par une organisation politique comparable à l’ancienne internationale communiste. Ils ouvrent donc une  grande  fenêtre aux théories du complot.

Celles-ci ont effet pour premier objectif de  démasquer les conjurés[2] Pour ce faire, il faut les nommer : l’Etat profond, les globalistes, les Illuminati,  sont des termes qui ne désignent personne en particulier mais un parti caché qui tirerait  les ficelles et commanderait  aux politiques, lesquels  ne seraient que ses hommes de paille. Mais ces termes sont flous, alors qu’on dispose depuis longtemps  d’un nom pour désigner une internationale invisible organisée pour s’approprier le gouvernement du monde : l’inusable complot juif. Si l’on tient à trouver une conjuration internationale c’est évidemment là qu’il faut la chercher : qui donc sinon la diaspora juive  a des représentants  dans la plupart des cercles  de richesse  et de pouvoir du monde blanc et entretient une infinité de  réseaux  familiaux transfrontaliers?

Du bout des lèvres

En Occident tout au moins, le surmoi hérité de la seconde guerre mondiale interdit  pour l’instant de s’abandonner au grand jour à cette facilité. Beaucoup ont le mot au bout des lèvres  et la seule question est de savoir quand ils oseront le cracher. Certains ont d’ailleurs commencé à le faire : en Occident parmi les groupuscules de la vraie extrême-droite, dans le monde musulman que cette lubie occupe depuis des décennies,  et en Russie chez les tenants de la ligne dure contre l’Occident, les « turbopatriotes » . Il suffit d’aller voir les commentaires des articles de Russia Today pour constater que le complot juif n’a pas pris une ride, le mot sioniste a simplement remplacé le mot juif,  et que la Russie, du moins une partie d’entre elle, est, avec ses supporters inconditionnels, à l’avant-garde de la libération de la parole antisémite. 

Une théorie du complot a réponse à tout. Toute objection la renforce, la rationalité n’a pas de prise sur elle. Elle se nourrit d’équivoques, de demi-vérités, de fausses évidences, prospère dans les  zones d’ombre. Essayons  d’allumer un peu  la lumière.

Y a-t-il une machination ? Oui. Mais pas au sens d’une conjuration des gros cigares ou du Sanhédrin, au sens que lui donne Renaud Camus : la transformation progressive du monde en une vaste machine. La généalogie de ce processus a été décrite par Pierre  Musso dans  La religion industrielle[3] et  son actualité par Renaud Camus  dans ses récents ouvrages[4]. Il n’y a ni complot, ni  conjurés,  seulement le développement d’une métaphysique, celle de l’Occident, qui poursuit inexorablement sa marche en avant  vers la valorisation c’est-à-dire numérisation totale, la machination, du monde.

Celle-ci est-elle l’ennemie du genre humain ? Encore oui.  D’ores-et-déjà le transhumanisme  apparaît comme l’horizon inéluctable de cette accumulation de progrès.

Certains en tirent-ils profit?  Oui bien sûr. Comme toujours dans les grandes mutations, ceux qui sont capables, par les moyens dont ils disposent ou par leur intelligence et par leur cynisme,  de s’enrichir sur le dos de ceux qui n’ont pas ces atouts. En attendant d’apercevoir l’iceberg, la fête bat son plein sur le Titanic du progrès et les fortunes montent à des hauteurs sans doute jamais vues dans l’histoire.

Combien parmi ces gagnants y a-t-il de Juifs ? La réponse est la même qu’à l’ancienne question , combien de Juifs dans les organes  du Parti puis de l’Etat bolchevique : Beaucoup.  C’est naturellement là que le complot juif contemporain, comme naguère le judéo-bolchevisme trouve sa consistance.  Pourtant, dans un cas comme dans l’autre, il n’y a rien là  de mystérieux : la réussite sociale des Juifs tient à leur suradaptation  au mode de pensée de l’Occident. Sans doute parce qu’ils en sont les premiers auteurs, ou simplement  parce que des siècles et des siècles  d’étude talmudique ininterrompue de génération en génération, ça crée des habitudes de travail intellectuel.

C’est ainsi que, lorsque vers  1870 le régime tsariste  décide d’ouvrir l’enseignement supérieur à ce qui est alors la plus forte communauté juive du monde, la jeunesse juive , dont la plupart des parents savaient à peine le russe, se précipite vers les universités en si grand nombre et y connait de tels succès qu’on juge nécessaire d’instaurer des quotas limitant le nombre de  Juifs par établissement. Un demi-siècle plus tard, les mêmes causes produisant les mêmes effets, les universités américaines de l’Ivy League  prendront des mesures comparables.

Entretemps le judaïsme russe a connu trois ruptures : L’émigration de deux  millions de juifs russes aux Etats-Unis, le sionisme et  la révolution bolchevique.

La révolution de 1917 interdit le commerce privé, source première de revenu des Juifs russes, supprima la zone de résidence  des Juifs et détruisit l’administration tsariste. Les Juifs quittèrent alors massivement la zone de résidence et se ruèrent vers les grandes villes où s’offrit à eux une seule possibilité économique : remplacer les cadres de l’ancienne administration. Ils le firent avec une efficacité qui sans doute sauva le nouveau régime de l’effondrement et, pour beaucoup, une tendance à se venger d’un siècle d’humiliation . Cela suffit-il à accréditer le mythe du judéo-bolchevisme, cette variante  du complot juif qui fut le  grand thème de la propagande nazie ?  Soljenitsyne, qui a dressé un tableau implacable de la participation  des Juifs à la mise en place du pouvoir bolchevique et  de leur rôle dans les organes de répression, a répondu : la révolution bolchevique  a été faite par des rénégats. En majorité des rénégats de l’orthodoxie  russe, mais aussi des rénégats du judaïsme  et d’autres traditions encore. Dire que la révolution bolchevique a été une révolution juive n’a aucun sens[5].

A lire aussi, Didier Desrimais: Faut-il laisser Orwell tranquille?

Les Juifs qui émigrèrent en Amérique, emportèrent avec eux, en même temps qu’un ressentiment à l’égard de la Russie  dont on trouve la trace encore aujourd’hui chez les Kagan, Wolfowitz et autres  néo-conservateurs,  leur capacités intellectuelles et de travail. Au XXe siècle 37% des Américains honorés d’un prix Nobel  ont été des juifs, lesquels représentaient  2% de la  population du pays . Il n’y avait  aucune raison pour que ces talents  restent  cantonnés aux sphères éthérées de la science et des arts. Elles assurèrent dès le début du XXe siècle une place importante aux Juifs dans le monde  des affaires et d’abord de la finance, un domaine d’expertise traditionnel des Juifs. Bien entendu, les Juifs américains sont largement représentés à Davos.

Ils y retrouvent d’ailleurs  des Juifs russes, ceux-ci étant, tout aussi évidemment,  nombreux parmi les oligarques, adversaires mais plus souvent (pour ceux qui sont encore en vie) soutiens de Vladimir  Poutine. On ne prend pas trop de risque à prédire que si les fins stratèges  qui ne souhaitent que le départ de Poutine obtiennent gain de cause, on assistera à une nouvelle poussée de fièvre antisémite en Russie.


Globalisme et complotisme sont les deux faces d’une même monnaie, celle dont se paie le déracinement. L’un comme l’autre nous disent qu’on a raison d’avoir peur. Le globalisme contemporain n’embrigade plus, ne promet  plus des lendemains qui chantent, il protège. La technocratie, « la science » qui savent mieux que nous, nous disent comment nous devons vivre  pour conjurer les invisibles et d’autant plus terribles périls qui nous menacent. Le complotisme , lui, désigne des coupables.

Peter Thiel, quant à lui, annonce carrément le retour de l’Antéchrist et l’Apocalypse. On peut en sourire,  ou bien lire le Court récit sur l’Antéchrist[6] écrit en 1899 par Vladimir Soloviev. On y apprend que l’Antéchrist n’est pas du tout un méchant. Il  est le chef de ce que Philippe Muray nommera quelques  décennies plus tard, L’Empire du Bien[7]. Lui aussi prétend sauver la planète. La différence avec la situation actuelle est que dans le texte de Soloviev, les grandes religions sont encore capables de se lever pour dénoncer et, avec l’aide du Ciel, renverser l’imposteur.  Aujourd’hui plus rien ne semble capable  de s’opposer au dogme écologiste-progressiste-davosien sinon la colère, pour l’instant impuissante, du peuple.

Le complotisme fait  cadeau à ses adversaires d’une arme extraordinairement efficace : son existence-même , avec ses obsessions, sa vulgarité, son antisémitisme plus ou moins subliminal. Toute opposition, toute expression d’un doute à l’égard des causes du changement climatique, des bienfaits de l’escalade électronique ou du bien-fondé des atteintes aux libertés fondamentales sous couvert de prophylaxie, sont disqualifiées avec dédain comme complotistes. Mais c’est une arme à double tranchant. La mise au ban de la représentation les couches populaires  sous l’incrimination de «  populisme », qui est une façon encore polie de les renvoyer aux marécages malodorants  du complotisme,  met en danger la pérennité-même du système démocratique. Elle les pousse dans la direction de l’embrigadement de la colère,  ce qui, au siècle dernier,  s’appelait le fascisme.

La Dépossession: ou Du remplacisme global

Price: 40,00 €

1 used & new available from 40,00 €

LE MAGICIEN DE DAVOS : vérité(s) et mensonge(s) de la Grande Réinitialisation

Price: 9,99 €

1 used & new available from 9,99 €


[1] Cf Modeste Schwarz, Le Magicien de Davos, vérité(s) et mesnsonge(s) de la grande réinitialisation, Cultures et Racines, 2021

[2] Dans Les Protocoles des sages de Sion, faux et usage d’un faux (Berg et Fayard 2004) Pierre- André Taguieff définit plus précisément les fonctions des théories du complot: identifier les forces occultes à l’origine du prétendu complot — et confirmer qu’elles sont impitoyables ; lutter contre ces forces en révélant les secrets qui les rendent puissantes ; justifier la contre-attaque contre l’ennemi désormais identifié ; mobiliser les foules (et/ou les autorités) en faveur de la cause opposée au complot ; recréer un monde enchanté.

[3] Fayard 2017

[4] Voir en particulier La Dépossession  ou du remplacisme global, La Nouvelle Librairie 2022

[5] Alexandre Soljenitsyne Deux Siècles ensemble, tome 2 Juifs et Russes pendant la période soviétique Fayard 2003

[6] Vladimir Soloviev, Trois entretiens. Sur la guerre, la morale et la religion suivis du Court récit sur l’Antéchrist, Ad Solem 2005

[7] Philippe Muray, L’Empire du Bien, Les Belles Lettres 1991

Apprivoiser la mort

0
L'écrivain Sophie Chauveau © GINIES/SIPA Numéro de reportage : 00552468_000006

Dans ses romans biographiques érudits, Sophie Chauveau explore la vie des plus grands peintres (Lippi, Botticelli, Picasso, Fragonard ou encore Masaccio …).

Elle a aussi été la première à ouvrir la boite de Pandore du tabou de l’inceste « généalogique », avec La fabrique des pervers, le livre qui, selon Camille Kouchner, l’a incitée à livrer son propre témoignage choc.

J’ai adoré mourir est un singulier pas de côté. John Huston nous invitait en 1974 à une Promenade avec l’amour et la mort, Sophie Chauveau nous propose plus encore : un cheminement souriant, main dans la main avec la camarde, derrière le cortège, de plus en plus fourni, des défunts qui ont occupé une place à part dans sa vie, partageant ses passions et ses engagements féministes et écologistes de la première heure. Marceline Loridan-Ivens, Maurice Clavel, Honoré, Philippe Sollers :  elle leur dit son amour, son affection et son admiration.

De leur vivant, ils ont cheminé de conserve, morts ils habitent avec elle chaque jour. Son récit est aussi un chant d’amour à ses filles et aux animaux de sa vie (sans véritable préséance, tant sa dévotion aux unes comme aux autres est inconditionnelle). Sophie Chauveau n’a pas seulement apprivoisé la mort des autres, elle a croisé la sienne à plusieurs reprises et le raconte avec un naturel apaisé et réconfortant. Scène mémorable : la dispersion des cendres de son père dans la mer, précédée pourtant d’un lourd passif, exhale la sérénité joyeuse qui traverse ce texte, baigné par la lumière et les parfums de la Méditerranée. Sophie Chauveau a adoré mourir, la lire peut revigorer les anxieux.

J’ai adoré mourir de Sophie Chauveau, Editions Telemaque 325 pages

J'ai adoré mourir

Price: 22,00 €

16 used & new available from 2,47 €

L’antisionisme radical ou la haine réhabilitée

0
Sydney, 16 décembre 2025 © Mark Baker/AP/SIPA

Le dimanche 14 décembre 2025, une attaque terroriste a profondément marqué l’Australie et la conscience internationale : lors d’une célébration publique de Hanoucca sur Bondi Beach, à Sydney, deux hommes ont ouvert le feu sur la foule rassemblée, tuant au moins 15 personnes et en blessant des dizaines d’autres, parmi lesquelles des enfants, des survivants de la Shoah et des figures communautaires juives. Ce massacre, le plus meurtrier en Australie depuis des décennies, a immédiatement été qualifié par les autorités d’attentat terroriste antisémite visant spécifiquement la communauté juive australienne. 

Daesh est toujours là

Les premières enquêtes indiquent que les deux assaillants — un père et son fils — pourraient avoir été inspirés par l’idéologie de l’État islamique, après un récent séjour dans une région des Philippines connue pour des activités liées à des groupes jihadistes. Des drapeaux et des engins explosifs ont été retrouvés à bord de leur véhicule, renforçant l’hypothèse d’une motivation terroriste religieusement radicalisée. 

Cette tragédie a suscité une vague de réactions politiques et institutionnelles à travers le monde. En Australie, le Premier ministre Anthony Albanese a qualifié l’attaque d’« acte de haine antisémite et de terrorisme » et a promis de réévaluer la législation sur les armes ainsi que les stratégies de prévention de l’extrémisme violent.  À l’international, des dirigeants tels que le président américain Donald Trump et des responsables religieux comme le pape Léon XIVont fermement condamné l’événement, insistant sur la nécessité d’une action globale contre l’antisémitisme. Emmanuel Macron a écrit que la France « partage la douleur du peuple australien et continuera de lutter sans faiblesse contre la haine antisémite qui nous meurtrit tous, partout où elle frappe. »

Pour la communauté juive mondiale, les funérailles des victimes ont été marquées par une émotion intense, reflétant non seulement un deuil collectif mais aussi la peur renouvelée face à des violences antisémites qui semblent gagner en fréquence et en brutalité dans différents pays depuis le déclenchement de la guerre de Gaza en octobre 2023.  Des voix critiques, y compris au sein même de la communauté australienne, reprochent aux autorités une sous-estimation des signaux d’alerte avant l’attaque et un manque de mesures concrètes face à la montée des actes de haine. 

Drôle de mélange

Ce contexte tragique illustre à quel point la violence dirigée contre les Juifs peut se nourrir d’un mélange complexe d’idéologies extrémistes, d’interprétations grotesques de l’antisionisme et de narratifs conspiratifs diffusés dans certains milieux politiques, religieux ou médiatiques. Dans cette lumière, l’antisionisme radical ne doit pas être analysé comme un simple désaccord politique autour du conflit israélo-palestinien, mais comme une matrice dans laquelle des formes plus larges de haine — parfois violentes — peuvent s’enraciner et se légitimer, jusqu’à franchir le seuil du passage à l’acte terroriste.

Pourquoi Israël concentre-t-il aujourd’hui une hostilité aussi violente, aussi disproportionnée, aussi obsessionnelle, de la part de certains milieux intellectuels occidentaux et du monde arabo-musulman ? Comment expliquer que dans un monde traversé de conflits, d’injustices, de tragédies humaines innombrables, un seul pays focalise autant de ressentiment, de soupçon, de colère ?

Ce texte propose une réponse sans fard : l’antisionisme radical contemporain n’est que la forme renouvelée, socialement acceptée, culturellement reconfigurée, d’un antisémitisme ancestral. Il ne s’agit pas d’une critique légitime de la politique israélienne. Il s’agit d’une entreprise de délégitimation, de déshumanisation, de désignation d’un mal absolu. Et ses conséquences sont déjà visibles, dangereuses, explosives.

Israël, cible d’une passion idéologique

Attribuer la haine d’Israël à la seule conduite de ses gouvernements successifs est une solution de facilité. C’est supposer que cet État, seul au monde, incarnerait une monstruosité sans équivalent, dans un univers pourtant saturé de crimes de guerre, de nettoyages ethniques, de dictatures impitoyables. Israël, dans cette vision, devient un cas d’exception maléfique. Cela ne tient pas.

Ce schéma ressemble à s’y méprendre à celui de l’antisémite traditionnel, pour qui la haine des Juifs n’est qu’une réponse aux « agissements » de ces derniers. Dans les deux cas, on justifie la haine par le comportement supposé de l’objet haï. La passion prime sur la raison. La condamnation est préalable aux faits.

La mécanique de la diabolisation

L’antisionisme radical est une passion, non une opinion. Il ne débat pas, il condamne. Il ne s’appuie pas sur des faits, il se nourrit de symboles. Et son moteur principal est la diabolisation.

Diaboliser, c’est caricaturer, exagérer, essentialiser. C’est effacer la complexité, nier les circonstances, interdire l’empathie. C’est réduire un peuple, une nation, à une fonction : incarner le Mal. Ce procédé n’est pas nouveau. Il était déjà à l’œuvre au Moyen Âge, quand les Juifs étaient accusés de profaner les hosties, d’empoisonner les puits, d’être les agents du diable.

Aujourd’hui, c’est Israël qui joue ce rôle. Un bouc émissaire global, qui permet à chacun — islamiste humilié, intellectuel culpabilisé, militant égaré — de se croire moral en haïssant un ennemi commode.

Le vieil antisémitisme religieux recyclé

Le lien entre le Juif et le diable est enraciné dans les textes et les traditions du christianisme médiéval. De Jean à Luther, en passant par la mystique populaire européenne, cette image a traversé les siècles. Elle s’est ensuite sécularisée sous des formes politiques, puis raciales, et aujourd’hui idéologiques.

Le monde musulman, de son côté, n’a pas échappé à cette construction. Certains versets coraniques, certains hadiths, ont été interprétés pour enraciner un antisémitisme durable. Ce n’est pas une haine circonstancielle, mais une vision théologique et historique du monde, où les Juifs sont dépeints comme infidèles, sournois, maudits.

À la différence notable des religions asiatiques — qui n’ont jamais développé de haine des Juifs —, les monothéismes issus d’Abraham semblent avoir eu besoin, chacun à leur manière, de délégitimer l’existence juive.

Le conflit israélo-palestinien, prétexte métaphysique

Dans cette perspective, le conflit israélo-arabe n’est plus une question géopolitique ou territoriale. Il devient un théâtre symbolique. Le penseur Hamed Abdel-Samad le résume crûment : « Ce n’est pas Israël que nous détestons. Ce sont les Juifs. » Même si Israël rendait toutes ses terres, l’hostilité ne cesserait pas. Car elle ne repose pas sur l’occupation, mais sur l’existence même d’un État juif souverain.

Cette souveraineté est vécue comme une offense. Elle contredit les prophéties. Elle humilie ceux qui avaient relégué les Juifs au rang de peuple soumis, minoritaire, résiduel. Israël, en gagnant ses guerres, en prospérant, en survivant, ne fait pas que se défendre : il accuse, silencieusement, ceux qui le haïssent. Et c’est cela qui devient insupportable.

L’Occident progressiste en miroir

C’est là qu’intervient la grande hypocrisie des élites occidentales. Traversées par la honte de la Shoah, du colonialisme et de l’esclavage, pétries de vertus chrétiennes retournées contre elles-mêmes, ces élites trouvent dans l’antisionisme un exutoire commode. Elles inversent les rôles : les descendants des victimes deviennent bourreaux ; les porteurs de haine deviennent résistants.

Le Palestinien est élevé au rang de figure christique, et l’Israélien abaissé à celui de soldat romain. Ce récit manichéen arrange tout le monde : il permet de réconcilier la bonne conscience avec la haine, de faire du ressentiment une vertu, de recycler les vieux tropes antisémites sous des formes acceptables.

Un monstre symbolique : Israël comme démon moderne

On reproche à Israël exactement ce qu’on a reproché aux Juifs pendant des siècles : la cruauté, la ruse, la soif de domination mondiale. On lui attribue un projet délirant — du Nil à l’Euphrate, de Tombouctou à New York. C’est une projection pure, au sens psychanalytique : les fantasmes de domination d’autrui sont projetés sur Israël pour mieux s’en absoudre soi-même.

Ce délire s’auto-alimente dans les réseaux, les campus, les conférences militantes. Israël devient un archétype du mal. Et cette image sert à justifier tout : les appels à l’intifada, les meurtres de civils, l’importation du conflit sur le sol européen. L’antisionisme n’est plus une position : c’est une arme.

Conséquences : un climat de violence intellectuelle et physique

Cette passion antisioniste radicale produit des effets. Elle transforme les débats en inquisitions. Elle rend la défense d’Israël honteuse, voire dangereuse. Elle pénètre les universités, les syndicats, les partis, jusqu’aux ONG. Elle instille une haine froide, justifiée, éthique — donc irréfutable.

Dans les rues d’Occident, on acclame des slogans appelant à l’éradication d’un État. On justifie des attentats. On attaque des synagogues. On cible des enfants. Et trop souvent, les autorités regardent ailleurs. Le courage politique est absent. Le mot « juif » fait peur à prononcer — sauf quand il s’agit de le dénoncer.

La trahison des clercs

Les intellectuels, censés être les garants de la pensée libre, ont pour beaucoup déserté leur poste. Par paresse, par conformisme, par lâcheté, ils ont abdiqué. Ils répètent les slogans, travestissent l’histoire, tordent le réel. Ils trahissent non seulement Israël, mais leur propre mission : éclairer, pas attiser.

La critique d’Israël est légitime. Sa diabolisation est une trahison. Une insulte à l’intelligence. Une faute morale.

Un antisémitisme relooké

L’antisionisme radical contemporain n’est rien d’autre que l’antisémitisme classique relooké pour convenir aux canons du progressisme mondain. Il n’est ni plus noble, ni plus légitime. Il est peut-être pire, car il s’ignore ou se ment à lui-même.

Israël n’est pas haï pour ce qu’il fait. Il est haï pour ce qu’il est : un État juif, fort, vivant, insoumis. Ce rejet n’a rien d’un combat pour la justice. C’est le prolongement d’un vieux refus : celui de laisser les Juifs exister autrement que dans la soumission ou la disparition.

Ce combat n’est pas israélien. Il est global. Il est civilisationnel. Et il est temps d’ouvrir les yeux.

D’une morale l’autre

0
Chantal Delsol © Hannah Assouline

Pour Chantal Delsol, l’héritage judéo chrétien est une réalité dont il faut reconnaître les apports majeurs à l’humanité. Mais elle estime que les chrétiens, devenus minoritaires, ne sont plus les prescripteurs moraux de nos sociétés et qu’ils ne doivent pas chercher à le redevenir.


Les civilisations existent. C’est une utopie de croire en une future culture unique mondialisée qui effacerait toutes les différences. Et d’où viennent ces différences culturelles qui font les civilisations ? Des diverses manières de répondre aux questions immuables posées à l’être humain : Pourquoi dois-je mourir ? question religieuse ; Comment définir le bien et le mal ? question morale ; Comment trouver l’abondance en luttant contre la rareté ? question économique ; etc. Les civilisations représentent les réponses diverses et toujours incertaines que les humains se donnent selon le lieu et le temps, leur histoire et leur caractère. Ces réponses ne sont pas figées, elles évoluent, elles se croisent et s’influencent entre elles – mais elles constituent tout de même, les unes et les autres, des entités reconnaissables, significatives, et toujours intéressantes.

Dans toutes les directions

Un grand écrivain chinois du xxe siècle, Liang Shuming, avait défini trois grandes civilisations mondiales : la chinoise, l’indienne et l’occidentale. Il en oubliait un grand nombre, mais son point de vue nous éclaire sur nous-mêmes. Il les décrivait d’abord d’un trait. La chinoise « s’adapte au monde » (Confucius, le taoïsme). L’indienne « veut le néant » (Bouddha). L’occidentale « va de l’avant » (Moïse, Platon, Jésus). Que veut dire ici « aller de l’avant » ? La civilisation occidentale, qui commence avec les Juifs et les Grecs (saint Augustin pense que Platon a rencontré des penseurs juifs, car le Timée ressemble trop à l’Ancien Testament), poursuivie par le christianisme, s’exprime ainsi : elle conceptualise, invente, diffuse, construit, explore, conquiert, tout cela dans un maelström continuel et effréné. L’invention de la transcendance (la croyance en un Dieu transcendant qui se révèle) suscite le déploiement de la science, parce que l’idée d’un créateur rationnel commande de chercher dans la nature les lois qui la structurent. L’idée de personne libre et responsable annonce l’invention de la démocratie moderne, d’abord dans les monastères puis dans les villes italiennes, dans la Magna Carta anglaise puis les régimes démocratiques modernes. En même temps, l’idée de personne libre et responsable inspire des sociétés occidentales dans lesquelles, dès l’origine, les filles se marient tard (par rapport à d’autres civilisations), la monogamie est d’usage, l’instruction des jeunes, prioritaire (même l’instruction des filles). Le choc de la saison révolutionnaire, à la fin du xviiie siècle, représente à la fois une rupture et une continuité, puisque les idéaux religieux (la personne, l’amélioration du monde) sont repris et laïcisés. C’est ainsi que se déploient au xixe siècle l’idée de progrès et la moralisation du monde – abolition de l’esclavage, émancipation des femmes, lutte contre la peine de mort, la torture, la prostitution, etc., moralisation qui se poursuit aujourd’hui avec la criminalisation de la pédophilie et du viol.

Ces caractéristiques occidentales, qui décrivent notre civilisation, ont pu exister ailleurs mais jamais de cette manière. La Chine a inventé des techniques bien avant nous (le vaccin, l’imprimerie), mais les a réservées au palais alors que nous les diffusions à tous. La civilisation musulmane a créé des madrasas qui sont des écoles théologiques, mais c’est en Europe que sont nées les universités, permettant au grand nombre d’accéder à tous les savoirs. Le Japon a développé des féodalités comparables aux nôtres, mais la démocratie nous est spécifique. La Chine a exploré le monde au début du xve siècle, puis interdit les voyages maritimes, mais nous avons pendant des siècles exploré la terre dans toutes les directions, découvert les détroits et les pôles, gravi les sommets du monde.

Universalisme

Cependant, la spécificité essentielle de l’Occident, c’est l’universalisme, d’abord chrétien puis laïque. Autrement dit la certitude que nos croyances et principes sont valables pour tous les humains – et qu’il faut donc les diffuser partout. Le christianisme se donne pour une vérité, un message adressé à tous les peuples de la terre. Plus tard, les droits de l’homme se présentent comme un message universel. D’où la mission, d’abord chrétienne, puis laïque. L’Occident apporte partout la vérité découverte ici.

Ces deux facteurs cumulatifs, l’idée d’universel et la puissance conférée par les découvertes scientifiques, font de l’Occident une civilisation conquérante. À partir du xve siècle, l’Europe avale et digère les deux Amériques, devenant ainsi l’Occident (le « pays du soir »), puis elle colonise l’Afrique et une grande partie de l’Asie. Elle apporte partout ses découvertes, depuis la médecine moderne jusqu’au chemin de fer, depuis l’émancipation des femmes jusqu’aux armements. De sorte que le monde est tout entier habité des trouvailles de l’Occident et qu’après une période de conquêtes coloniales intenses, on peut parler aujourd’hui d’un empire culturel mondial.

A lire aussi, Eric Zemmour: « Mon parti représente un judéo-christianisme conservateur et identitaire! »

Cette histoire extraordinaire ne se déroule pas sans drames intenses. Toute puissance court à l’ubris, et une puissance pareille, mondiale pour la première fois, commet des exactions et des crimes, produit des forêts d’arrogance et des mépris impardonnables, même si elle apporte aussi ses bienfaits. Nous arrivons au moment où l’hégémon se voit mis en cause pour ses excès, et se met lui-même en cause, ce qui est aussi une de ses caractéristiques, issue de la philosophie critique et de la culpabilité judéo-chrétienne. La situation présente est celle d’un Occident récusé et détesté de toutes parts, qui en même temps se déteste lui-même, et dans sa honte, prétend ne pas même exister en tant que tel.

Notre vraie difficulté, je dirais même notre véritable angoisse, concerne la survie de nos principes fondateurs dans l’esprit et les comportements des générations futures. La récusation mondiale de notre universel nous fait douter de nous-mêmes au point d’hésiter à nous défendre : existons-nous encore si nos principes ne valent plus que pour nous ?

Influence perdue

Or depuis la seconde moitié du xxe siècle, il semble que l’héritage judéo-chrétien vacille au moment même où il perd sa prépondérance extérieure. Le message laïque des droits de l’homme, héritier du christianisme, finit par écarter son fondateur et promouvoir une société à certains égards « païenne ». La chrétienté, entendue comme gouvernement moral et dogmatique de l’Église sur les sociétés, s’effondre. Les chrétiens s’en émeuvent, et se demandent comment reprendre leur influence perdue.

Que peuvent-ils faire ? D’abord regarder la situation en face : les lunettes de la décadence sont mauvaises conseillères. Contrairement à ce que disent certains pessimistes, nous ne sommes tombés ni dans le nihilisme, ni dans le relativisme. Nous vivons, bien plutôt, une transformation de la morale, une continuation de la morale judéo-chrétienne qui concerne désormais l’individu et le protège contre les institutions. La morale ancienne ne se détruit pas, plutôt elle évolue. On légitime l’IVG, mais on criminalise la pédophilie. On légitime le suicide assisté, mais on criminalise le viol. Il s’agit toujours de protéger les faibles contre les hiérarchies institutionnelles. Naturellement on peut contester cette évolution. Mais elle est là, et elle est désormais légitimée par la grande majorité de nos concitoyens.

Pour la première fois depuis quinze siècles, nos sociétés se trouvent écartelées entre deux types de morale – une, chrétienne traditionnelle, et une autre, post-chrétienne. Les deux morales s’affrontent, l’ancienne et la nouvelle – mais ceux qui défendent l’ancienne morale représentent, dans un pays comme la France, un pourcentage très minoritaire. Quelles sont les conséquences de cette situation ? D’abord, les Églises désormais marginales ne peuvent plus imposer la morale publique comme auparavant : c’est donc l’État qui décrète la morale. Ensuite : dans des pays démocratiques, les décisions morales vont désormais obéir aux majorités. Je doute qu’il y ait grand monde en France pour réclamer de revenir à la criminalisation de l’IVG. C’est le cas dans certains États américains, mais ce n’est clairement pas le cas en Europe. Certains chrétiens laissent entendre qu’il faudrait se faire élire et puis abolir les réformes sociétales récentes pour revenir à l’état ante. Naïveté ou sauvagerie ? On ne peut exercer une domination minoritaire, sur des sujets aussi sensibles, sans prétendre à des fascismes de type entre-deux-guerres. Car le retour au passé est encore une utopie, non moins dangereuse que l’utopie du futur, et tout autant terroriste. Je ne comprends même pas qu’on puisse caresser ce genre de rêve brutal. En tout cas, ce serait sans moi.

Nous devons vivre avec cette idée que les chrétiens ne sont plus les prescripteurs moraux de nos sociétés : le gouvernement moral des sociétés par le christianisme, qui s’appelait chrétienté, n’est plus. Les chrétiens ne représentent plus qu’une partie, souvent très minoritaire – ce qui exige d’eux, désormais, davantage de lucidité que de nostalgie.

Insurrection des particularités

Price: 21,90 €

7 used & new available from 17,98 €

Quart d’heure warholien

0
DR.

Une caissière de supermarché devient la star de TikTok.


Après le loup d’Intermarché, la caissière de Carrefour. Elle s’appelle Léonie, j’ignorais que le prénom de ma grand-mère revenait en grâce. La vingtaine, étudiante, méritante et ravissante, elle travaille au Carrefour de Laval le weekend.

Et pendant ses pauses, elle fait des vidéos avec ses collègues. Des jolies chorégraphies au milieu des rayons, des mimiques, quelques accessoires, le tout en uniforme frappé du logo de la maison. Le genre de trucs qu’on fait au mariage de sa meilleure copine et que le magasin poste sur son compte TikTok qui compte désormais 150 000 abonnés (je suppose que personne ne s’abonne au compte TikTok d’un hyper sans une raison particulière).

Comment ça a démarré, mystère mais en quelques jours, Léonie devient un phénomène.  Ses vidéos font des centaines de milliers de vues. Les commentaires pleuvent. Des troupes de jeunes gens (mâles) se précipitent au Carrefour qui, à en juger aux photos, semble planté dans la Pampa, dans l’espoir d’apercevoir la belle et surtout, de se filmer dans cette quête et de poster à leur tour. Et le magasin annonce avoir recruté un garde du corps pour Léonie, ce qui rajoute une page à l’histoire.

A lire aussi: Bravo Brigitte!

Que nous raconte cette histoire ? La version joli conte de Noël, c’est l’amour des petits, des humbles, des métiers essentiels comme on disait du temps du Covid… En réalité, je pense que c’est plutôt la prophétie de Andy Warhol réalisée. Chacun son quart d’heure de gloire. Mais cette célébrité est autoréférentielle. On n’est pas célèbre pour ses œuvres ou ses exploits mais parce qu’on est célèbre (à l’image de Kim Kardashian). Léonie n’est pas célèbre parce qu’elle danse bien – même si elle danse bien et qu’elle est très mignonne – mais parce qu’elle est virale. Peu importe le talent, ce qui compte c’est le nombre de vues et de followers. On la regarde parce que des milliers d’autres l’ont regardée. Les réseaux sociaux consacrent le triomphe du désir mimétique. La vox populi me dit ce que j’aime.

Certains se réjouiront de cette démocratisation de la célébrité devenue un objectif en soi – on me regarde donc je suis. Après tout, elle n’est pas toujours répartie très justement. Des tas de gens nuls et moralement douteux sont célèbres avec tous les avantages afférents. La promesse impossible de la Révolution française était Tous aristocrates ! La promesse des réseaux sociaux c’est Tous célèbres ! L’ennui, c’est qu’à la fin, il n’y aura plus de public.

Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

https://www.youtube.com/watch?v=2WXk599vw18

«Les féministes font du tri entre les victimes»

0
La vice-présidente de l'UDR et militante féministe Claire Géronimi © ANTHONY QUITTOT/JDD/SIPA

Victime d’un viol commis par un multirécidiviste africain sous OQTF, le 11 novembre 2023, et après un procès largement médiatisé, Claire Géronimi a fait naître de cette tragédie l’association Éclats de Femmes, pour donner voix aux victimes, dénoncer les défaillances du système judiciaire et alerter sur l’insécurité grandissante en France. Elle est également la vice-présidente du parti UDR fondé par Éric Ciotti. À travers ces deux engagements, elle entend porter un féminisme concret et exigeant. Son livre, dans lequel elle racontera son parcours et son combat, sortira en janvier 2026. Rencontre.   


Causeur. Un chiffre vient de tomber : en Île-de-France, 62 %[1] des agressions sexuelles dans les transports en commun seraient commises par des étrangers. Quand on vous accuse de faire un lien entre immigration et violences faites aux femmes, de stigmatiser ou d’instrumentaliser ces faits, que répondez-vous ?

Claire Géronimi. Tout part de là, j’ai été victime d’un viol sauvage, comme trop de femmes en France. Ce que j’ai vécu est indissociable de l’insécurité qui gangrène le quotidien. Dans les transports en commun, dans la rue, la nuit, partout… les femmes ont peur. Aujourd’hui, on partage notre localisation en temps réel à nos proches, on se couvre davantage, on évite certains trajets. Et ce n’est plus seulement dans les grandes villes, c’est partout.

Mon violeur avait 11 condamnations inscrites sur son casier judiciaire, c’était un multirécidiviste. Et comme lui, trop d’agresseurs restent sur le territoire alors qu’ils n’auraient jamais dû y être. Oui, il y a un problème d’immigration totalement hors de contrôle, et plus particulièrement avec les OQTF qui ne sont pas exécutées. Mon combat n’est pas parcellaire, il englobe à la fois la lutte contre les violences faites aux femmes, le rétablissement de la sécurité partout sur le territoire et la fin de cette impunité organisée. On ne peut pas défendre les femmes sans parler de tout cela.  

À quel moment avez-vous choisi de transformer votre expérience personnelle en engagement concret pour les victimes ?

Je ne pouvais plus rester les bras croisés. Passer mes journées devant mon ordinateur à réfléchir à des stratégies business qui, au fond, m’importaient peu… ça ne me ressemblait plus. J’ai d’abord eu l’idée de créer le podcast Éclats de Femmes pour libérer la parole de femmes qu’on n’entend presque jamais, redonner ses lettres de noblesse au féminisme et porter mon féminisme, celui qui compte vraiment pour moi. J’ai invité des personnalités fortes comme Alizée Le Corre, Marie-Estelle Dupont, des psychologues, des avocats… L’objectif est de donner des clés concrètes aux victimes et d’offrir un micro à celles dont la voix est étouffée. Très vite, je me suis rendue compte qu’il manquait cruellement un accompagnement global pour ces femmes. J’ai donc créé l’association. Le podcast est sorti en septembre 2024, l’association a suivi en novembre. Et aujourd’hui, nous sommes déjà trois salariées.

A lire aussi: Tartuffe sous le sapin

Vous auriez pu vous arrêter à l’engagement associatif. Pourquoi ajouter un engagement politique aux côtés d’Éric Ciotti ?

L’engagement social est essentiel, mais ses effets restent limités. L’association Éclats de Femmes est et restera apolitique, nous accompagnons toutes les victimes, du dépôt de plainte jusqu’au procès, avec une équipe juridique et psychologique. On ne porte pas de message politique, mais on ne va pas non plus cacher la réalité si une femme a été agressée par une personne sous OQTF, on le dit et on l’accompagne, point.

Éric Ciotti a été l’un des rares responsables politiques à me tendre la main dès le début, quand je cherchais des réponses concrètes du gouvernement quant à la présence de mon agresseur sur le territoire. Après la création de son parti, il m’a proposé de le rejoindre pour porter la voix des femmes à droite. J’ai longtemps réfléchi. Et puis je me suis dit que c’était une opportunité, défendre mon féminisme, oui, mais aussi m’engager sur les questions de sécurité et d’économie, des sujets qui me touchent en tant qu’ancienne entrepreneure. Pour faire vraiment bouger les lignes, il faut parfois être au cœur du réacteur. C’est le seul moyen de porter ses idées jusqu’au bout.

Vous avez affirmé à plusieurs reprises vous sentir seule et abandonnée.

Lors de mon agression, je me suis sentie abandonnée par les citoyens. Une voisine a entendu du bruit, a regardé dans la cour, mais n’est pas intervenue. Quand on entend une femme crier et du bruit de verre brisé, on ne sort pas de chez soi ? Cela pose une véritable question de responsabilité collective dans notre société. Une deuxième voisine m’a retrouvée en sang dans le hall de l’immeuble ; elle a fait fuir l’agresseur, mais ne m’a pas porté assistance car elle devait prendre un avion.

Après l’agression, malheureusement, comme je l’ai déjà dit dans de nombreuses interviews, j’en veux au système qui est mal conçu pour les victimes : on manque de soutien, une fois la plainte déposée.

Je me sens aussi abandonnée par le gouvernement. Depuis le début, j’ai pris la parole publiquement ; la moindre des choses aurait été un mea culpa, d’autant que j’ai créé une association. Ils n’ont pas envie d’affronter la réalité d’une victime agressée par une personne sous OQTF, car cela mettrait en lumière leurs propres défaillances. À l’époque, ni Bérangère Couillard ni Gérald Darmanin n’ont répondu à mes contacts. Aurore Bergé non plus n’a pas eu le courage de m’envoyer un message de soutien ou de me rencontrer avant le procès, malgré les demandes qui lui avaient été transmises.

Vous avez même évoqué, dans une interview, le fait que le système cherche à culpabiliser les victimes dans leurs démarches ?

Exactement. Lors des expertises psychiatriques pendant la phase d’instruction, mandatées par la CIVI (ndlr : Commission d’indemnisation des victimes), on se retrouve face à de vieux professionnels qui nous poussent dans nos retranchements. Les victimes devraient savoir qu’elles ont le droit d’être accompagnées par un avocat et un médecin conseil, ce qui n’est jamais précisé. On se retrouve seule dans une salle avec un expert de la CIVI et un psychiatre ; on m’a même reproché de ne pas avoir pris d’anxiolytiques, sous-entendant que cela réduirait mon indemnisation. Pendant l’instruction, les victimes ne sont pas réellement prises en considération. Les blessures physiques sont prises beaucoup plus au sérieux que les séquelles psychologiques, car elles sont plus faciles à mesurer. Pourtant, dans les cas de violences sexuelles, il y a très peu de blessures physiques visibles, hormis des bleus et des coups qui disparaissent au bout de six mois.
Mathilde, l’autre victime, et moi, avons commencé à avoir les gencives qui saignaient à l’approche du procès, un signe de stress intense qui persiste, mais cela n’a pas encore été comptabilisé comme dommage corporel. Je milite pour une réforme profonde de ce système.

Les féministes de gauche vous présentent comme une figure du « fémonationalisme ». Quel regard portez-vous sur ces féministes pour qui toutes les victimes ne se valent pas ?

Elles font du tri entre les victimes, discriminent et choisissent leurs combats, alors que ces causes devraient être transpartisanes. J’avais envoyé un message à Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes, sur LinkedIn ; le message a été vu, mais pas de réponse. D’autres associations m’ont répondu : « On ne peut pas vous aider. » À l’époque, j’étais en telle détresse que je n’ai pas insisté. Aujourd’hui, Anne-Cécile Mailfert m’insulte sur les réseaux sociaux… Des insultes indirectes sur l’instrumentalisation supposée de mon histoire par certains médias de droite, du fait que mon agresseur était sous OQTF. Je discuterais pourtant avec elles avec grand plaisir, mais la communication est aujourd’hui rendue impossible. Marlène Schiappa est l’une des seules à m’avoir soutenue, et je la remercie énormément. Elle a eu le courage de le faire. Nous ne sommes pas d’accord sur tout, nous n’avons pas les mêmes idées politiques, mais nous sommes d’accord sur le fait que ce combat doit être transpartisan.

Pensez-vous que ces féministes de gauche seront amenées à perdre de leur influence ?

On le voit déjà dans les tendances politiques actuelles, donc oui, elles perdent déjà de l’influence. Lors de ma première manifestation féministe avec Éclats de femmes, j’ai essayé de négocier avec la police pour intégrer le cortège principal ; on m’a répondu que, pour ma sécurité, je devais rester en arrière avec Némésis et Nous Vivrons. Pourquoi le cortège appartient-il exclusivement aux associations féministes de gauche ? Pourquoi doivent-elles seules mener l’opinion des femmes ? En plus, ces féministes sont souvent violentes et discriminent les autres féministes. Leurs messages politiques sont terribles, avec des pancartes comme ACAB (ndlr : All Cops Are Bastards, « Tous les flics sont des salauds »).

La Fondation des femmes, institution reconnue d’utilité publique, n’est jamais connotée négativement, alors que mon association dérange immédiatement, bien qu’elle soit apolitique, uniquement à cause de mes positions politiques sur les OQTF. Nous sommes bannies et mal vues dès qu’on est perçues à droite. J’ai d’ailleurs perdu un contrat, nous fabriquions des bijoux au profit des victimes ; cette marque nous a demandé de supprimer la collaboration sous prétexte de pressions liées à nos partenariats. Cela me révolte, car la Fondation des femmes n’aurait jamais eu ce problème.

A lire aussi: MeTooMedia: le palmarès de l’entre-soi

Jordy Goukara, 26 ans, sous OQTF, multirécidiviste, délinquant depuis son adolescence… La peine qui a été prononcée[2] est-elle proportionnelle à la gravité des faits ?  

Mon avocat m’a indiqué que la moyenne pour ce type de faits est de 12-13 ans et que la peine maximale est de 20 ans ; 18 ans est donc une peine lourde et satisfaisante. L’accusé ne fera sûrement pas appel. La justice a eu peur, car le procès était très médiatisé. Son comportement fait qu’en prison, il n’aura probablement pas d’aménagement de peine. À mi-peine, soit dans neuf ans, il pourra demander à purger le reste de sa condamnation en République centrafricaine. J’espère que ce sera le cas, qu’il partira pour que je n’entende plus jamais parler de lui.

Vous avez soutenu l’idée d’un projet de loi selon lequel l’État serait responsable lorsqu’une personne sous OQTF commet une agression. Qu’attendez- vous de ce texte ?

Il s’agit d’une proposition de loi développée par l’Institut pour la Justice. Nous étions allés voir Olivier Marleix (avant la scission LR/Ciotti) ; Christelle Morançais devait initialement la porter. Elle a été déposée en mars, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, mais elle est actuellement en stand-by. L’idée est de démontrer que l’État est fautif lorsqu’il n’exécute pas une OQTF et qu’une agression en découle, et de créer un fonds spécifique pour indemniser les victimes. Nous avions estimé qu’une victime doit débourser environ 35 000 € en frais d’avocat et de justice. Nous voulions montrer qu’il coûte finalement plus cher à l’État de ne pas appliquer les OQTF que d’indemniser correctement les victimes.

Quel regard portez-vous sur la vie politique française et ses acteurs ?

Je pense que les Français sont fatigués de l’instabilité politique actuelle. Cela contribue, par ricochet, à une société plus individualiste. J’échange régulièrement avec de nombreux entrepreneurs qui envisagent de quitter la France, qu’ils jugent trop fortement taxée. L’audiovisuel public s’en prend à Bernard Arnault, pourtant premier créateur de richesse du pays. Résultat : trop de très bons profils s’en vont, alimentant une véritable fuite des cerveaux, attirés par des perspectives jugées meilleures ailleurs. Pendant mon master HEC-Polytechnique, nous rêvions tous de créer une licorne ; malheureusement, les trois quarts de la promotion sont partis dans la Silicon Valley.

Quels sont vos vœux de fin d’année, pour vous et pour la France ?

Deux priorités. D’abord, que l’association continue de se développer. Nous avons déjà aidé 250 femmes, mais ce n’est pas suffisant. Nous avons besoin de recruter davantage de bénévoles, de soutiens matériels et financiers, et de renforcer l’équipe interne, j’aimerais pouvoir recruter deux personnes supplémentaires en 2026. Nous souhaitons également intervenir davantage dans les écoles et les entreprises sur les questions de violences sexistes et sexuelles, en proposant des formations qui ne soient pas wokistes. Pour la France, mon vœu le plus cher serait que plus aucune femme ne soit violée ou assassinée d’ici la fin de l’année.

Le hall d’entrée, Éditions Fayard. Sortie prévue le 28 janvier 2026.

Le hall d'entrée

Price: 19,00 €

1 used & new available from 19,00 €


[1] https://www.lejdd.fr/Societe/agressions-sexuelles-dans-les-transports-parisiens-la-part-des-auteurs-etrangers-en-hausse-164902

[2] Nldr : 18 ans de réclusion assortis d’une interdiction définitive du territoire.

Sacha Guitry, le triomphe de l’esprit français

0
Gwendoline Hamon et Michel Fau, "La Jalousie" © Marcel Hartmann

Les politiciens sont dépassés, les caisses sont vides, la guerre menace, la morosité règne. Alors un conseil: courez voir La Jalousie, de Sacha Guitry, au théâtre de la Michodière qui fête ses cent ans, dans une mise en scène soignée de Michel Fau.


Sacha Guitry (1885-1957), fils de l’acteur Lucien Guitry, s’affirme rapidement comme un auteur dramatique de grand talent. Il saisit les caractères de l’être humain, s’en amuse, les raille avec élégance et légèreté. Il n’épargne pas la bourgeoisie, pusillanime, hypocrite, misogyne, préférant toujours l’argent à l’honneur. Ses phrases sont mordantes, le ton est juste, les répliques font mouche. L’ironie domine ; elle rappelle celle de Voltaire. Les rapports entre les hommes et les femmes sont étudiés dans son laboratoire personnel, ce qui lui permet d’être d’un réalisme impitoyable, sans toutefois tomber dans le graveleux. Le bon goût le protège, comme le champagne désarme le révolver les soirs de vive amertume. Guitry, c’est aussi un splendide acteur, avec cette voix un peu précieuse et inimitable. Il met également en scène ses textes et n’hésite pas à devenir réalisateur de films historiques grandioses. C’est un artiste complet. Indémodable. Il suscite la jalousie durant la période de l’Occupation. Ses pièces sont jouées et rencontrent le succès. Cela suffit pour qu’il soit inquiété à la Libération. On lui cherche des poux dans la tête. On ne trouve rien. Pas de voyage en Allemagne, pas de contrat signé avec la firme Continentale.  Il passe cependant par la case prison. Le dossier est vide. Le chef d’accusation ne comporte que deux mots : « Rumeur publique ».

A lire aussi, Michel Fau: L’exercice chaotique du biopic

La jalousie, justement. Thème de la pièce écrite alors que « le grand Sacha », comme l’appelait Michel Simon, a tout juste 30 ans. Vous avez le choix entre les 600 pages de La Prisonnière, de Proust, pour tout savoir sur ce sentiment dévastateur qui rend malade le jaloux avant de le détruire, lui et son entourage, et les dialogues incisifs du texte court de Guitry.

Albert Blondel, fonctionnaire à la moralité de façade, rentre à son domicile cossu. Il vient de tromper sa femme avec une « grue ». Il cherche toutes les excuses possibles pour expliquer son retard. Son imagination n’est guère débordante. Il se perd en conjectures. C’est alors qu’il s’aperçoit que son épouse n’est pas encore rentrée. La jalousie commence à le submerger, un délire obsessionnel l’envahit qui va le dévorer. La jalousie se confond avec la possession. Sa femme, sous la pression des insupportables questions de son mari, finit par faire ce qu’elle n’aurait jamais imaginé faire. C’est à la fois cruel et jubilatoire. Les mots claquent, laissant le spectateur étourdi par les bonds et rebonds des répliques. Guitry avait interprété le rôle de Blondel. Il est repris par Michel Fau – magistral Mitterrand dans L’Inconnu de la Grande Arche, film de Stéphane Demoustier –, parfait en mari jaloux qui flirte avec la folie. Son visage, souvent, inquiète. Il y a du Hamlet en lui quand, dans une lumière blafarde, il se dirige seul vers la salle. Une fêlure intérieure happe le spectateur attentif.

A lire aussi: Et si on jouait à Noël?

Le personnage de l’écrivain infatué de soi-même, interprété par Alexis Moncorgé, est caricatural. Guitry nous livre l’image de ce qu’il aurait pu être, si le génie de ses textes lui avait tourné le dos. Mais le « maitre » sut rester à la hauteur de ses mots d’esprit si français. Michel Fau, dont la liberté de ton est à souligner en ces temps de moraline, résume, à propos de La Jalousie : « Dans cette comédie, l’auteur fortement influencé par Jules Renard, Octave Mirbeau mais aussi Georges Feydeau et Georges de Porto-Riche, cultive les contrastes ; une satire sociale côtoie une farce raffinée, une psychologie échevelée se frotte à une férocité joyeuse. »

À noter que la tragédienne Geneviève Casile, qui interprète aujourd’hui la belle-mère, jouait le rôle de la femme de Blondel quand la pièce fut reprise à la Comédie-Française. Il lui incombe d’affirmer que les femmes sont douées pour le mensonge. Le propos n’engage que « le grand Sacha ».

La Jalousie, pièce de Sacha Guitry, mise en scène de Michel Fau, à la Michodière. 1h40 Paris 2e. Prolongation jusqu’à mars 2026.

Les patrons dans le camp du mal?

0
Le maire de Cannes David Lisnard et la chef du syndicat patronal Ethic Sophie de Menthon, 2022, DR.

Notre contributrice répond aux accusations d’entremetteuse avec le RN qui lui sont adressées ces derniers jours dans la presse.


Les médias ont tout dit sur le Rassemblement national, et depuis des années : antirépublicain, populiste, infréquentable, démago, inculte, raciste, extrémiste, haineux, facho… Comme, semble-t-il désormais, 42% des Français[1] !

Il va donc falloir absolument trouver autre chose pour culpabiliser ceux qui pourraient ne pas manifester une détestation irréversible et notoire vis-à-vis de la droite nationale ; sachant, pour mémoire, que le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella ne s’appelle pas « extrême droite » mais « Rassemblement national ».

C’est ma fête

C’est maintenant la fête des patrons, qui n’en peuvent plus, car les médias se sont reportés sur eux, embusqués, les soupçonnant d’être des « collabos » du RN qui avancent masqués. Ainsi, comme le martèle Laurent Mauduit dans son dernier ouvrage[2], remontant pour cela à la guerre, nous, les patrons, aurions toujours fricoté avec les politiques les plus infréquentables. Dont acte.

Depuis quelques mois, et je peux en témoigner, nous sommes toutes les semaines interrogés sur nos rapports avec l’extrême droite au sens large. D’Éric Zemmour à Jordan Bardella en passant par Marion Maréchal, Éric Ciotti, et d’autres noms que nous ne connaissons même pas, nous sommes accusés de flirter avec de dangereux individus…

A lire aussi, Marine Le Pen: « Je ne vais pas y retourner vingt-cinq fois de suite »

Je suis désormais qualifiée d’« entremetteuse » au service du RN, alors que je n’ai jamais voté pour ce parti, dont je ne partage pas les valeurs, et que je me déclare — bien que mon combat pour les entreprises soit apolitique — soutien du libéral David Lisnard. Tout cela parce que j’ai été la première présidente d’un mouvement patronal à inviter Marine Le Pen, lors de l’élection de 2012, à débattre devant des patrons curieux ; et que, depuis, à chaque échéance politique, j’ai agi de la même manière avec l’ensemble des représentants des partis politiques. Gloire à LFI et à la gauche qui jamais ne nous ont répondu ni même parlé, leur honneur est sauf : les patrons à la lanterne !

Les patrons sont pragmatiques

Je vais aller plus loin : si par le plus grand des hasards, et comme annoncé actuellement par tous les sondeurs, arrivait au pouvoir suprême un membre du RN, je serais la première à rencontrer ses équipes pour défendre la seule cause qui nous importe, celle des entreprises, et tenter d’éviter les erreurs économiques programmées et fatales (comme le recul de l’âge de la retraite, etc.).

Les patrons vont ainsi, chapeau enfoncé jusqu’aux yeux, rasant les murs, cherchant les endroits discrets pour discuter économiquement avec les infréquentables, sur l’avenir que leur réserverait la fameuse « extrême droite ». Rappelons que tous sont d’accord sur ce constat: le RN n’est ni extrême ni de droite, il ne peut être qualifié d’« extrême » que dans sa détestation de l’immigration non-contrôlée.

Oui, il est de notre devoir de patrons de préparer l’avenir économique de la France et d’empêcher pour l’avenir le désastre que nous voyons déjà se profiler aujourd’hui. Oui, le RN reçoit les patrons, hélas plus que les autres partis et il nous écoute vraiment. Ne parlons pas de l’Élysée ou Matignon, aux abonnés absents, à moins qu’il ne s’agisse des présidents des trois organismes dits représentatifs. Oui, nous patrons, allons même jusqu’à leur transmettre nos rapports que personne d’autre ne lit et luttons pour informer et faire cette pédagogie qui manque cruellement.  Expliquer nos constats, nos méthodes pour simplifier ou réformer… et même nos propositions, par exemple : accorder un permis de séjour de la durée du contrat de travail à un sans-papier. Car lesdits sans-papiers sous interdiction de travailler, s’ils présentent 12 feuilles de salaires d’affilée seront récompensés de leur désobéissance à l’État par un permis de travail en bonne et due forme ! Une honte.

A lire aussi, Jean-Jacques Netter: Suicide économique, mode d’emploi

Mais la chasse aux patrons qui fréquentent épisodiquement le RN est donc lancée, et ils seront tous crucifiés au pilori médiatique ! Le phénomène s’amplifie, les journalistes veulent savoir… Qui connaissez-vous comme patrons qui voient le RN ? Et vous-mêmes, les avez-vous reçus ? Combien de fois ? À quelle date ? Vous étiez présente ? Qui vous accompagnait ? On ne dira rien, mais on peut les appeler de votre part ? Vous avez des noms précis ? Leurs coordonnées ? Les avez-vous revus après les avoir vus ? Communiquez-vous régulièrement avec eux par SMS ? etc. Quelles que soient ses réponses, la réputation du courageux sera incontestablement entachée par l’article à paraitre… Et si ce n’est pas le cas, c’est qu’il s’agit bien sûr d’un article d’une presse infréquentable (c’est-à-dire au mieux, « de droite » !)

Cette presse d’investigation réalise-t-elle qu’en cherchant à marginaliser le RN, elle contribue à sa progression ? Les patrons, inquiets pour l’avenir, veulent désormais se faire entendre en tentant d’influencer un parti qu’ils jugent proche du pouvoir, notamment pour infléchir son programme économique. Comment ne pas avoir envie d’encourager la glissade de Jordan Berdella vers des rivages libéraux ? Beaucoup espèrent ainsi orienter Jordan Bardella vers une ligne plus libérale, convaincus qu’un parti « jamais essayé » pourrait accéder au pouvoir.

Dans un paysage politique jugé verrouillé, les chefs d’entreprise, qui votent avant tout pour la survie de leur activité, cherchent à anticiper et peser sur l’avenir, y compris auprès de partis qu’ils ne soutiennent pas naturellement.

Réussir, c'est possible !: 42 parcours de patrons "Made in France"

Price: 22,00 €

13 used & new available from 2,46 €


[1] 42% des Français ont déjà voté pour le RN ou un candidat RN selon un sondage réalisé par IFOP-Fiducial pour le JDD et Sud Radio, ce qui démontre que le processus de respectabilisation du parti de Jordan Bardella progresse.

[2] Collaborations, Enquête sur l’extrême droite et les milieux d’affaires, La Découverte, 2025

Ces élites éthérées qui mettent les Français en danger

0
Dans le Parisien, Dominique de Villepin menace: "La prochaine campagne présidentielle sera spectaculaire". Dans Libération, Florence Portelli se déclare "effarée par l'union des droites". Sipa.

Tandis que la menace terroriste impose un renforcement de la sécurité autour des marchés de Noël, sous l’autorité de Laurent Nuñez, l’idée d’une union des droites (présentée par ses promoteurs comme le seul moyen d’enrayer l’immigration massive et les dérives islamistes qui l’accompagnent) continue de susciter l’indignation-réflexe d’une majeure partie de la classe politique.


Les paisibles marchés de Noël ont été placés sous surveillance sécuritaire. L’ennemi djihadiste peut, en effet, frapper à tout instant. Le ministre de l’Intérieur est le premier à le savoir. Un 7-octobre semblable à celui lancé par le Hamas contre Israël en 2023 est envisageable en France. Pourtant, Emmanuel Macron regarde ailleurs.

Il s’emploie à préparer l’opinion à une guerre « existentielle » contre la Russie. L’« extrême droite » et le « populisme » sont ses deux autres obsessions. Une grande partie de la classe politique acquiesce aux postures déconcertantes du chef de l’Etat, agréées par le politiquent correct. Interrogée, mardi, par Libération sur l’ouverture proposée par Nicolas Sarkozy vers le RN et sur son refus d’avaliser un front républicain contre Marine Le Pen, Florence Portelli, vice-présidente des LR, s’est dite « effarée » d’un tel rapprochement : pour elle, il y aurait au sein du RN « des gens qui sont contre tout ce qui est créatif, contre l’art contemporain, contre une bonne partie de ce que fait le cinéma ». Les platitudes de cette Marie-Chantal illustrent la vacuité de la pensée de luxe, exhibée par la droite mondaine et ses précieuses ridicules. Rien n’est pire, pour ces gens-là, que de se mélanger à la plèbe et de partager son bon sens. En réalité, ce monde éthéré doit être tenu pour responsable de l’état de violence permanente que subit désormais la France. Le conformisme du personnel politique, identifiable à la lâcheté interdisant de désigner ceux qui, de l’intérieur, assaillent le pays et aux faux procès intentés à ceux qui s’inquiètent des déroutes françaises, est une aubaine pour l’islam conquérant, obsédé par son désir d’humilier l’Occident en déclin.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Un loup pour l’homme

La tuerie antijuive perpétrée à Sydney (Australie), samedi, par deux membres se réclamant de Daesh qui ont pris pour cible une foule fêtant Hanouka à Bondi Beach, est le produit d’une complaisance irréfléchie avec la cause palestinienne. L’Australie, comme la France, ont cru moralement bien faire en reconnaissant l’Etat de Palestine et en se désolidarisant de la résistance israélienne. Ce faisant, les gouvernements ont libéré l’expression des ressentiments judéophobes portés par une partie de la nouvelle population musulmane issue de l’immigration. Si les Juifs ne sont plus en sécurité en Australie ni en France, ce n’est pas à cause de la Russie ni d’une extrême droite fantasmée. Les responsables sont ceux qui, par un humanisme déclamé et un cosmopolitisme de salon, passent leur temps à grimer en xénophobes et en racistes ceux qui ne se lassent pas d’alerter sur les risques d’une immigration de masse ouverte à l’islam colonisateur, en conflit millénaire avec les juifs et l’Europe chrétienne. Ce mercredi matin, sur RTL, Dominique de Villepin n’a rien vu de sa propre contradiction consistant à appeler au « rassemblement » autour de sa « France humaniste », tout en excluant les « populistes » du RN, c’est-à-dire le premier mouvement national, porté par les sondages. Ces élites à bonne figure, qui déplorent la montée du nouvel antisémitisme, sont des dangers pour les Français, juifs ou pas. Elles le sont au même titre que l’extrême gauche.