Accueil Site Page 3

La crosse et le réséda

Le premier a dédié sa vie à Dieu, le second à la France. Monseigneur Matthieu Rougé et Éric Zemmour n’étaient pas faits pour se rencontrer. Mais l’évêque de Nanterre, en pointe dans le combat contre les réformes bioéthiques, enseigne aussi la théologie politique au Collège des Bernardins. Et dans son dernier essai, le président de Reconquête ! appelle ses compatriotes à un « sursaut judéo-chrétien ». Dès lors, ces deux-là avaient beaucoup de choses à se dire.


Causeur. Monseigneur Rougé, que vous inspire le fait que ce plaidoyer vibrant pour l’identité judéo-chrétienne de la France émane d’un juif séfarade ? Cela vous agace-t-il qu’il soit parfois plus catholique que le pape ?

Mgr Matthieu Rougé. D’abord, je ne dirais pas cela !

Éric Zemmour. Et moi non plus !

Mgr M. R. Cela étant,l’identité chrétienne ne se comprend pleinement que dans sa relation fondatrice avec la Première Alliance. J’invite d’ailleurs les fidèles à parler du « Premier Testament » plutôt que de l’Ancien Testament qui, pour les chrétiens, n’est pas aboli, mais accompli. Je suis en relation constante avec des amis juifs, rabbins, intellectuels, qui m’aident dans ma manière d’être chrétien aujourd’hui.

Éric Zemmour n’est pas rabbin, mais un amoureux de la France, de son histoire et de sa culture, qui observe que le catholicisme a fait la France et se désole de voir notre héritage chrétien effacé ou dévoyé. Partagez-vous ce constat ?

Mgr M. R. Comme prêtre depuis plus de trois décennies, évêque depuis sept ans et comme fidèle engagé dans la foi depuis de nombreuses années, je sais que l’histoire de l’Église est faite de crises et de renouveaux. La situation du christianisme en France aujourd’hui combine paradoxalement une part d’effacement institutionnel et de réémergence spirituelle. Toute ma vie s’efforce d’être donnée à l’annonce de l’Évangile, dont je crois volontiers qu’il a de beaux jours devant lui.

E. Z. Monseigneur Rougé parle de l’importance de sa foi et je ne suis pas surpris. Toute l’ambivalence et toute la richesse du christianisme tiennent à ce qu’il est la première religion dont le message est fondé justement sur la foi, autrement dit sur un phénomène individuel et intérieur que l’on ne peut pas inoculer comme un sérum. Notre désaccord, qui ne sera pas tranché car il est historique, c’est que je crois que l’Europe chrétienne n’a pas été engendrée par les seuls élans de la foi, mais par les formes que celle-ci a prises : la culture chrétienne, l’architecture, la musique, la peinture, le droit, l’État, les soins donnés aux plus faibles, l’hôpital et les monastères, ces ancêtres des usines où on apprend à prier et à travailler en même temps. En un mot, le christianisme est une civilisation qui a été si grande qu’elle a été le terreau de la foi dont vous êtes le témoin et le propagandiste tout à fait légitime.

Mgr M. R. Il n’y a pas de civilisation chrétienne sans foi chrétienne. Ces formes sont les fruits d’un engagement de foi profonde. Les hôpitaux, c’est saint Vincent de Paul et tout le renouveau spirituel du Grand Siècle. La vie monastique est née au ive siècle parce que des hommes se sont laissé intérieurement toucher par l’appel à aller dans le désert vivre l’intimité avec Dieu et le combat spirituel. Certes, le christianisme est une religion de l’incarnation, qui se déploie à travers des institutions. Mais sans la force vive de la foi, l’Église ne survivrait pas longtemps.

E. Z. Chacun son registre. Je ne peux pas agir sur la foi. Je me cantonne à ce que je peux faire, c’est-à-dire à défendre le christianisme en tant que civilisation. Je me situe ici et maintenant, et j’observe un double mouvement catastrophique : la fin d’une déchristianisation commencée au xviiie siècle et une islamisation massive du pays.

Mgr M. R. Entendons-nous d’abord sur les mots et sur le passé.Vous écrivez que le christianisme a été l’inventeur de l’individu, donc de l’individualisme. Mais il y a un mot beaucoup plus riche, décisif pour la dignité humaine, c’est le mot « personne ». Voilà la véritable invention du christianisme. Ce concept permet de comprendre le Christ, l’unique personne divine en ses deux natures, et la Trinité, trois personnes en une seule nature. Et ce mot « personne », élaboré pour parler du Christ et de Dieu qui est amour, ouvre à une compréhension de l’individu dans sa profondeur spirituelle et dans sa dimension relationnelle. Le christianisme authentique, ce n’est donc pas l’individualisme, mais un personnalisme spirituel. La richesse du christianisme, ce ne sont pas les bâtiments, c’est la dignité de la personne humaine.

E. Z. Jusqu’au xviiie siècle, ce que vous appelez « personne » et ce que j’appelle « individu » se confondaient. Là résidait le génie de l’Église, qui avait su constituer l’homme comme individu libre tout en l’encadrant. Mais petit à petit, l’individu s’est révolté contre cet encadrement, sans voir que celui-ci était aussi la condition de sa dignité. Il est devenu cet être sans racine et sans foi, qui se libère même de ce qui l’a constitué, c’est-à-dire le catholicisme.

Mgr M. R. L’histoire de la civilisation chrétienne n’est pas aussi rectiligne. L’aventure chrétienne est complexe, comme l’aventure humaine. On peut valoriser la dimension personnelle sans minimiser la dimension collective. Et réciproquement.

Éric Zemmour, pendant vos années de jeunesse vous êtes passé de Voltaire à Pascal. Mais l’identité française n’est-elle pas une synthèse entre Pascal et Voltaire, le christianisme et l’anticléricalisme ? Les progressistes pensent que la France a commencé en 1789. À vous lire, on a l’impression qu’elle est morte en 1789.

E. Z. C’est une question sur laquelle j’ai évolué, notamment avec Taine. Je crois de plus en plus que la Révolution a été une catastrophe pour la France. Je n’aurais pas dit cela il y a vingt ans, mais désormais je suis convaincu que tout l’objectif des Lumières, de la Révolution, puis de la République était la déchristianisation du pays. Et cela a tellement bien réussi que, comme l’avait prévu Barrès, une religion beaucoup plus âpre, dogmatique et intolérante que le christianisme lui a succédé. Nous y sommes !

Vous rejetez même les Lumières ?

E. Z. J’apprécie les premières Lumières, qui étaient libérales et voulaient limiter le pouvoir absolu, par exemple Montesquieu ou le Voltaire anglais. Mais très vite, la vindicte antichrétienne prend le dessus et sape complètement les fondements de l’identité française.

Mgr M. R. Nous avons quelques références communes, notamment Chateaubriand dont j’aime beaucoup le passage que vous citez – « Voltaire eut l’art funeste, chez un peuple capricieux et aimable, de rendre l’incrédulité à la mode ». Cela dit, depuis le début du christianisme, il y a dans la rencontre entre la Révélation et la rationalité quelque chose de fécond, qui passionnait Benoît XVI.

E. Z. Oui, c’est la rencontre entre la pensée grecque et le prophétisme juif, dont le christianisme fait une brillante synthèse !

Mgr M. R. En effet. Mais en un sens, les interrogations des Lumières sont aussi stimulantes pour permettre à la Révélation chrétienne de déployer certaines de ses potentialités. Bien sûr la Révolution, et en particulier la Terreur, a été violemment antichrétienne. Nous avons célébré récemment les carmélites de Compiègne, martyrisées en 1794. Cela dit, le xixe siècle a été aussi un très grand siècle pour la foi chrétienne. Un « âge d’or » du catholicisme dont certains ont la nostalgie, c’est la période 1850-1950 qui a été celle d’une reconstruction chrétienne dans une France presque intégralement rurale, avec une incroyable dynamique missionnaire. La moitié des missionnaires dans le monde sont alors des Français. C’est alors que naissent en grand nombre des congrégations hospitalières ou enseignantes, qui marquent énormément notre pays. Et tout cela se passe après la Révolution.

E. Z. J’aime beaucoup vous entendre faire l’éloge d’une période où la République a persécuté les catholiques et fait exiler, après 1905, des milliers de religieux, qui ne sont revenus que pour participer à la Grande Guerre. J’admire votre mansuétude et votre absence de rancune.

Mgr M. R. Les« persécutions »que vous évoquez n’ont pas commencé dès 1850.Même si je cultive l’absence de rancune car le ressentiment est toujours contre-productif, je ne dis pas que la loi de séparation n’a pas laissé de profondes blessures : j’ai été le curé de la paroisse Sainte-Clotilde à Paris, où les « inventaires » ont été particulièrement violents.

Débat entre Éric Zemmour et Mgr Matthieu Rougé, novembre 2025. Photo : Hannah Assouline.

Éric Zemmour, remettez-vous en cause la loi de 1905 ? La religion catholique devrait-elle avoir un statut juridique particulier en France ?

E. Z. Tous les citoyens français sont libres et égaux en droit, quelles que soient leurs croyances. Je connais mes classiques. Mais le catholicisme a un statut culturel – avec un « r » – particulier. Comme disait le général de Gaulle, « la République est laïque, mais la France est chrétienne ». Non seulement je ne veux pas remettre en cause la loi de 1905, mais je veux revenir à son esprit qui a été fort bien défini par Jean-Pierre Chevènement lorsqu’il parlait de « devoir de discrétion ». La religion – surtout quand elle vient d’une civilisation étrangère – n’a pas à s’étaler dans l’espace public. Il faut arrêter de mentir, la loi de 1905 n’était pas une loi de liberté, mais une loi de combat contre l’Église et le christianisme. Nous devons donc utiliser la laïcité comme une arme de combat conte la dernière religion en date qui n’a pas dans son ADN ce rapport personnel et spirituel à la divinité : l’islam.

Mgr Rougé, la laïcité n’a-t-elle pas a été beaucoup plus « dure » avec les catholiques qu’avec les autres grandes religions ?

Mgr M. R. Notre laïcité française s’est objectivement construite contre l’Église catholique. Elle s’est pour une part rééquilibrée grâce aux accords diplomatiques des années 1920 entre la France et le Saint-Siège, ainsi que par la jurisprudence du Conseil d’État qui s’en est suivie. Il demeure aujourd’hui pour les pouvoirs publics une tentation de durcir notre laïcité, souvent par la confusion entre l’État, légitimement laïque, et la société, qui ne peut pas l’être car les religions font partie de l’expérience humaine et doivent pouvoir s’y exprimer. Certains catholiques s’autobrident eux-mêmes, surinterprètent notre régime de laïcité, à cause de cette confusion entre l’État et la société, typiquement française en raison de la force historique de nos pouvoirs publics.

Eric Zemmour, vous êtes très critique avec l’Église actuelle.  

EZ. En effet, elle est très catholique certes, mais elle oublie d’être une religion, c’est-à-dire de relier les humains entre eux et de les relier à leurs défunts. La terre et les morts, comme disait Barrès. À partir du moment où l’Église ne tient plus qu’un discours universaliste et plus du tout un discours identitaire, européen et occidental, j’estime qu’elle trahit ses origines et qu’elle abandonne les peuples européens face à ce qui leur arrive. Cet abandon a été personnifié selon moi par le pape François qui, voyant la déchristianisation et l’islamisation de notre continent, se disait qu’il fallait négocier le statut de dhimmi le plus favorable possible, et développer à l’avenir le catholicisme sur les autres continents, l’Amérique, l’Afrique, et l’Asie, qui sont des terres missionnaires plus fécondes. Voilà ce que je pense et ce que je regrette.

Mgr M. R. On ne peut pas opposer le local et l’universel. Le principe de la religion catholique consiste justement à unifier l’enracinement le plus profond et l’ouverture la plus large. Surtout, vous vous trompez en affirmant que le pape François a abandonné la France et l’Europe ! J’ai eu l’occasion d’échanger avec lui, parfois longuement, et il était extrêmement attentif et bienveillant à l’égard de notre pays. Du reste, comme tout jésuite de sa génération, il a grandi dans la lecture des grands intellectuels ignatiens français, comme Henri de Lubac ou Michel de Certeau.Le texte programmatique de son pontificat, intitulé « La joie de l’Évangile », est une vigoureuse invitation au renouveau missionnaire de tous dans l’Église, axée sur l’annonce du cœur de la foi, le « kérygme ». Pour un diocèse comme le mien, cette exhortation apostolique inaugurale a été une boussole.

Le pape François a aussi tenu à l’égard de l’Europe des exhortations proprement politiques !

Mgr M. R. Certes, mais il était d’abord missionnaire. François était moins un théoricien qu’un prédicateur décapant, voire provocateur. Il pensait qu’il fallait arracher les chrétiens occidentaux à un certain confort intellectuel, matériel et spirituel.

E. Z. En attendant, il ne plaidait jamais pour le christianisme identitaire d’Occident. Alors que moi, je rêve du catholicisme viril du Moyen Âge. Je pense qu’une religion est ce que les humains qui la reçoivent en font. J’emprunte cette idée à Renan, qui disait que le catholicisme était le judaïsme des Européens et l’islam le judaïsme des Arabes. Ce qui aboutit à deux religions qui n’ont plus rien à voir.

Mgr M. R. Vous citez beaucoup Renan, ancien séminariste ayant pris ses distances vis-à-vis de la foi, et Barrès. Leur lecture n’est pas inintéressante, mais ce sont des références trop restrictives si l’on veut parler de manière ajustée du christianisme.

E. Z. Je n’ai pas écrit un livre de théologie !

Mgr M. R. Certes, mais des intellectuels plus récents, qui expriment un regard chrétien sur le monde de l’intérieur de leur foi, seraient des témoins plus ajustés de ce qui fait vivre l’Église. Je pense, par exemple, à Jean-Luc Marion ou Rémi Brague.

E. Z. Vous tombez mal : Rémi Brague, je le lis beaucoup et depuis longtemps. C’est de lui que je tiens cette si pertinente remarque sur ceux, et ils sont nombreux dans la classe politique, qui croient que l’islam est « le christianisme des Arabes ». C’est de lui aussi que je tiens cette comparaison si éclairante sur la scène de l’Ancien Testament dans laquelle Dieu demande à Abraham d’aller annoncer leur destruction à Sodome et Gomorrhe. Abraham négocie avec Dieu le nombre de justes qui permettrait d’épargner les villes maudites – « et s’il y a cent justes ? » –, quand la version du Coran indique sobrement : « Et Abraham obéit à Dieu. » On ne discute pas en islam les ordres d’Allah, même s’ils vous paraissent monstrueux. Comme disait Claude Lévi-Strauss : « Si un corps de garde avait une religion, ce serait l’islam. »

Et puis je ne cite pas seulement Renan et Barrès. J’évoque aussi Fénelon et Bossuet. Pour le premier, l’important c’est que nous appartenons tous au genre humain, la « Grande Patrie » selon lui. Le second lui répliquait que nous sommes d’abord français. Depuis les années 1950, l’Église est allée trop loin dans le sens de Fénelon et de l’universalisme. Je souhaite qu’elle revienne à Bossuet et à la défense de l’identité chrétienne. En particulier dans l’enseignement des enfants.

Mgr M. R. Il y a bel et bien une tension entre l’enracinement et l’universalité. Mais c’est précisément le « génie du christianisme » de l’assumer par la profondeur. Ce que j’espère, pour ma part, ce à quoi je travaille, c’est à la qualité de la formation chrétienne et spirituelle du plus grand nombre. On ne peut habiter l’identité chrétienne de manière authentique que par la profondeur. C’est la formule programmatique de l’Évangile : Vivre « dans le monde » sans être « du monde ». Vous imaginez une sorte de catholicisme identitaire qui se couperait de sa proposition universelle de salut. Je crois plutôt que l’enracinement dans le Christ conduit à s’ouvrir à tous en restant soi-même. L’identité chrétienne est assez solide et profonde pour être en dialogue, en débat, voire en conflit. Cultiver une telle identité est heureux, mais devenir identitaire pour se rassurer en prétendant se sauver soi-même ne me semble ni juste ni convaincant.

E. Z. Ce n’est pas pour « se rassurer », comme vous dites, mais simplement pour ne pas mourir.

Mgr M. R. J’ai dit aussi « se sauver soi-même ».

E. Z. Et je répète, plus prosaïquement, « ne pas mourir » !

Mgr MG. Oui, mais moi je pense que nous sommes sauvés par le Christ, pas par nos efforts immédiats.

Cité du Vatican, 1er octobre 2014 : le pape François reçoit des survivants et des proches des victimes du naufrage de Lampedusa d’octobre 2013. AP Photo/SIPA

Aujourd’hui, les martyrs chrétiens ne sont plus à Rome, mais en Orient.

E. Z. Absolument. Ils sont persécutés par les régimes musulmans et communistes. Et je ne vois pas l’Église tellement les défendre.

Mgr M. R. Les martyrs sont nombreux, en Orient, mais aussi en Afrique. Nous nous efforçons de cultiver une profonde solidarité avec ces frères et sœurs persécutés. Le travail de l’Aide à l’Église en détresse et de l’Œuvre d’Orient, ainsi que le soutien que ces œuvres reçoivent d’un très grand nombre de fidèles en sont un signe éloquent.

E. Z. Je pense pourtant qu’en Europe, l’Église n’entend pas assez les avertissements de certains hauts dignitaires du christianisme oriental, qui nous alertent sur ce qui leur est arrivé et qui est en train d’arriver chez nous.

Mgr M. R. Je ne crois pas manquer de lucidité sur la situation de l’Église en France aujourd’hui : elle a de grandes fragilités, mais aussi des atouts spirituels et missionnaires.

E. Z. C’est de la langue de bois !

Mgr M. R. Non, c’est un constat historique. L’Église n’a cessé d’osciller entre crises et renouveaux, entre morts et résurrections. Regardez la France de l’époque de la Fronde : le futur saint Vincent de Paul est nommé curé en pleine épidémie ; refusant de se confiner (voilà qui nous rappelle des souvenirs récents…), il découvre une vieille femme morte de faim ; il va donc trouver le menuisier et lui dit : « Je suis ton curé, fais un cercueil. » Que lui répond le menuisier ? « Il n’y a plus de curé, il n’y a plus de Bon Dieu. » Nous sommes alors au seuil d’un des plus grands renouveaux de l’histoire chrétienne dans notre pays. N’en restons pas à des jugements historiques univoques : l’histoire réelle est plus riche et plus complexe !

E. Z. Si vous voulez. Mais, cela ne doit pas nous détourner de certaines évidences. Telles que celle qu’a formulée le général de Gaulle : l’État est laïque, la France est chrétienne. C’est tout, c’est simple. Il n’y a pas lieu d’épiloguer. Notre peuple est de culture chrétienne, même ses citoyens qui ne sont pas chrétiens.

Ce que personne ne nie ici.

E. Z. Peut-être, mais aujourd’hui nombre de nos contemporains sont tellement déchristianisés qu’ils ont perdu de vue cette identité profonde. Sans parler des millions de musulmans de notre pays, qui imposent leur religion, leur culture et leur civilisation. Ils ne reconnaissent pas l’imprégnation chrétienne de la France et veulent imposer leur identité musulmane.

Mgr M. R. La présence de musulmans nombreux en France aujourd’hui modifie évidemment notre situation culturelle et religieuse de façon très significative. Mais il ne faut pas oublier la présence d’un judaïsme plus affirmé et la vitalité du protestantisme évangélique, sans compter le matérialisme et l’individualisme massifs d’un très grand nombre de nos contemporains. Cela ne rend que plus urgent le témoignage de fond de chrétiens cherchant à articuler le sens de Dieu et le goût de la liberté.

La suite de l’entretien ici

Jusqu’où ira le «salesconnesgate»?

Les militantes néoféministes ne décolèrent pas contre Brigitte Macron, qui a osé qualifier de « sales connes » les perturbatrices du spectacle de l’humoriste Ary Abittan. Les éditocrates bien-pensants forceront-ils la Première dame à s’excuser?


DR.

Les propos tenus par Brigitte Macron auprès d’Ary Abittan en coulisses aux Folies Bergère continuent de faire des vagues. Le salesconnesgate a pris une telle ampleur que l’Élysée a dû organiser hier un semi-rétropédalage et faire savoir que Brigitte Macron visait seulement les méthodes des manifestantes outragées. Toutes les pleureuses du néo-féminisme y vont de leur couplet indigné à commencer par l’inévitable Godrèche. Les Insoumis éructent. François Hollande gronde. Elle a dit conne! Quelle vulgarité! Un crachat sur les victimes! Qu’elle se lave la bouche avec du savon! Quand Souchon traite les électeurs RN de cons, ces beaux esprits ne mouftent pas. D’accord, Souchon n’est pas Première dame.

Brigitte Macron était en confiance. Elle était avec des amis. Elle a parlé comme on parle dans la vie et dit au passage ce que nous sommes beaucoup à penser (quoique « connes », c’est un peu mou). La caméra était celle de Bestimages, agence de Mimi Marchand, une proche du couple Macron qui était là pour faire du people sans histoires… D’après Le Parisien, on n’a pas voulu nuire à l’épouse du président de la République, il n’y a pas eu de coup tordu, juste une suite de négligences. Il semble que la vidéo a été vendue à l’hebdomadaire Public sans que quiconque n’ait écouté le son.

A lire aussi, Dominique Labarrière: Bravo Brigitte!

S’il y a une victime dans cette affaire, c’est Ary Abittan. Mais curieusement, tous ces gens intraitables sur les bonnes manières ne trouvent rien à redire au fait que des militantes fassent irruption dans un spectacle et traitent de violeur un homme doublement blanchi par la Justice. Une intrusion par la force c’est tout de même plus grave qu’une insulte. Et violeur plus grave que connes. Mais non, le scandale, ce sont deux mots de Madame Macron. « Le moindre solécisme en parlant vous irrite mais vous en faites vous d’étranges en conduite » (Les femmes savantes).

Ces militantes ont bien le droit de critiquer une décision de justice comme je le fais moi-même souvent, me répliquerez-vous. Seulement ici, ce n’est pas de la critique, c’est de l’intimidation. Je trouve l’incarcération de Nicolas Sarkozy injuste. Mais je ne suis pas allée manifester devant la Santé pour l’empêcher. Puisque la Justice ne condamne pas sans preuves, les militantes néoféministes prétendent la remplacer par une justice expéditive qui condamne à la mort sociale tout homme accusé – car les femmes ne mentent jamais et ne se vengent jamais, c’est bien connu. Elles essaient d’effrayer les producteurs, les directeurs de théâtres et autres employeurs potentiels des hommes mis en cause. Et comme le courage n’est pas la première vertu du monde du spectacle, des centaines d’hommes blanchis ou ayant purgé leur peine se retrouvent non seulement chômeurs mais bannis. Elles expliquent qu’un non-lieu ne blanchit pas. On ne peut pas vous condamner mais vous n’êtes jamais innocenté. Génial! C’est la logique de la Terreur: tout homme est un coupable en puissance. L’une des associations énervées et qui annonce porter plainte contre Mme Macron s’appelle d’ailleurs les Tricoteuses hystériques. N’est-il pas un peu curieux de revendiquer une filiation avec les femmes qui pendant la Révolution assistaient avec gourmandise aux exécutions ?

Les tricoteuses d’aujourd’hui s’impatientent, elles trouvent que la guillotine sociale ne turbine pas assez. Comme disait Anatole France, les dieux ont soif. Et moi j’ai peur.


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale, au micro de Patrick Roger

Israël boycotté à l’Eurovision: on connait la chanson

Si Israël pourra bien participer au concours à Vienne en mai prochain, l’Espagne, l’Irlande, les Pays-Bas et la Slovénie ont annoncé qu’ils n’iront pas en Autriche.


L’Europe est une vieille dame épuisée qui croit qu’en levant le petit doigt elle va sauver le monde. Elle a trop vécu, trop bu, trop sermonné, alors elle cherche une cause légère, un geste propre. Cette année, ce sera le concours de l’Eurovision puisque des artistes israéliens s’y produiront. L’Espagne, l’Irlande, les Pays-Bas et la Slovénie ont donc sorti le boycott comme un exorciste son crucifix. On a chassé les fantômes et on s’est cru héroïque. Dans cette affaire, la France, pour une fois, mais avec d’autres, a évité de se ridiculiser.

Le « plus jamais ça » est devenu, pour certains, un abonnement illimité à la bonne conscience. Ça évite de regarder le réel, ça donne même un petit frisson de vertu. Ce vieux continent aux « penchants criminels », comme dit Milner, n’aime pas son propre reflet. Alors il repeint la glace et s’offre une innocence de pacotille.
L’Espagne, d’ailleurs, devrait se souvenir que la « limpieza de sangre » n’est pas née dans les labos du IIIe Reich mais chez ses propres Inquisiteurs, et qu’elle s’est taillée un empire en évangélisant tout un continent à coup de canons, de lances, de haches et de feu… Venir, avec un tel passé, donner des leçons de comportement n’est pas très sérieux.

A relire: Eurovision, la douce revanche d’Israël

Derrière toute cette mise en scène, il y a l’ombre d’Edward Saïd. Pas le vrai – trop complexe – mais sa version low-cost qui découpe le monde en deux couleurs ; les colonisés, d’un côté, les colonisateurs, de l’autre. Une grille simple, pratique, qui permet à l’Occident de se sentir innocent sans faire beaucoup d’efforts. La nuance est fatigante, l’alibi tellement plus reposant.

On ressort donc le mot « colonialisme » par réflexe, pour éviter de regarder les responsabilités d’aujourd’hui. Cette éthique de surface finit toujours de la même manière. Ceux qui tirent se retrouvent exonérés, ceux qui se protègent deviennent suspects. Le boycott d’une émission de divertissement n’est pas une politique, c’est un petit rituel de purification emballé dans du courage de poche. Ça fait du bien à celui qui le pose, le boycotteur. Ça ne change rien à la réalité sur le terrain, et cette posture hypocrite ne fait pas avancer la paix d’un millimètre. Eh oui, s’il suffisait de changer de chaîne pour arrêter une guerre séculaire, ça se saurait.
On assiste peut-être ici à la victoire posthume de l’auteur de L’orientalisme dans sa version sloganisée. Une victoire triste, celle d’une pensée amputée, répétée sans la comprendre, devenue simple décor pour ceux qui préfèrent la pureté imaginaire à la lucidité.

La vraie morale, pourtant, n’est pas un miroir où l’on se regarde devenir vertueux. C’est une promesse, une charge qui demande d’avoir les yeux ouverts, même quand ça fait mal. Cette morale-là ne consiste pas à agir pour se donner bonne conscience, mais pour faire l’Histoire. On se trompe rarement en observant de quel côté l’Europe – du moins, une certaine Europe – se range.

L'Orientalisme: L'Orient créé par l'Occident

Price: 13,95 €

10 used & new available from 13,40 €

Les penchants criminels de l'Europe démocratique

Price: 13,70 €

28 used & new available from 5,38 €

La novlangue est devenue la nôtre…


Dans une page très éclairante du Journal du Dimanche du 7 décembre 2025, François Bousquet et Pascal Meynadier ont décrypté les mots de 1984, le chef-d’œuvre de George Orwell.

L’antiphrase, « l’art souverain de dire l’inverse de ce qui est ». Le ministère de la Vérité, grâce auquel la vérité devient « une appellation contrôlée ». « On ne falsifie pas, on rectifie… on ne surveille pas, on labellise. »

La doublepensée, qui offre l’avantage de « croire deux choses incompatibles ». L’ennemi, car « le totalitarisme, pour fonctionner, doit disposer d’un visage à brûler »… Une sorte de « front républicain » et de « cordon sanitaire » avant l’heure, la franchise en plus ?

Les deux minutes de la haine, « un défouloir supervisé où la haine devient service public et sévices publics ». L’Assemblée nationale ?

Big Brother, « le culte de la personnalité fonctionne encore mieux quand la personnalité n’existe pas… »

Le télécran : « l’objet domestique de la tyrannie ».

La Police de la Pensée, elle traque le « crimepensée », « seule infraction qu’on peut commettre en dormant ou sans s’en rendre compte ».

La salle 101, « la destruction méthodique de chacun grâce à la connaissance de la peur ultime de chacun… ».

A lire aussi: Notre-Dame de Paris à l’Opéra: après l’incendie de 2019, une autre calamité

Chacun de ces mots, chacun de ces pièges, de ces étouffements, chacune de ces tyrannies masquées et de ces tortures mériterait une analyse approfondie, tant ils résonnent tous, fortement, avec notre monde et notre actualité.

Mais j’ai gardé précieusement le mot capital qui me paraît anticiper tragiquement l’état de notre société, le niveau de notre réflexion collective, la pauvreté de notre langage et la faiblesse de notre pensée. Ce mot, c’est « la novlangue ». « Son objectif est simple : réduire le vocabulaire pour réduire la pensée. » Abaisser l’exigence de la pensée et de la vie de l’esprit pour n’avoir plus besoin de la moindre richesse de la langue. Façonner l’idée et le mot de telle manière que l’une et l’autre n’aient plus d’autre ressource que de devenir outrance, insulte, caricature et, pire, mensonge.

La novlangue est présente : elle n’est plus une menace, mais une réalité. Écoutons Sébastien Delogu crachant sur la police et vantant Assa Traoré, « sa petite sœur ». Écoutons les mille vulgarités odieuses ou grossières qui se justifient parce qu’elles sont proférées par des gens sans expression ni fond.

Regardons, à rebours, comment un Jean-Luc Mélenchon a été si délicatement traité devant la commission, parce qu’il l’impressionnait par une culture et un verbe pourtant totalement déconnectés du moindre souci de vérité, mais jamais mis à mal.

La novlangue est présente : on nomme mal et le monde se défait. Les derniers résistants parlent une belle langue et ont une pensée juste dans le désert.

1984

Price: 9,50 €

32 used & new available from 4,95 €

Bravo Brigitte!

Dans des propos qui n’étaient pas destinés à devenir publics, Brigitte Macron qualifie de « sales connes » des militantes féministes qui ont interrompu un spectacle d’Ary Abittan…


Samedi, des agitées du féminisme dévoyé ont cru malin de troubler le spectacle de l’acteur Ary Abittan, aux Folies Bergères. J’emploie le mot agitées et non pas celui de militantes, car il est des cas, nombreux quand même, où le militantisme mérite respect et considération. Ce n’est évidemment pas le cas ici. De même, pour l’expression « féminisme dévoyé », car ce qui anime ces aboyeuses hystériques n’est pas tant la valorisation et l’épanouissement de la femme que la castration du mâle.

Elles étaient quatre, courageusement cachées sous des masques à l’effigie de l’acteur. Elles braillaient « Abittan violeur ! » Or, il se trouve que notre homme, qui de fait eut à répondre d’une telle accusation devant la justice, a été purement et simplement innocenté, en première instance comme en appel. Mais pour l’Inquisition nouveau genre et ces bergères en folie, gardiennes du troupeau des brebis rousseauistes (Sandrine, pas Jean-Jacques), cela – l’innocence dûment reconnue – ne compte pas plus qu’un pet d’agneau d’un jour, la justice n’étant selon elle que le dernier refuge du patriarcat le plus borné. Donc lavé de toute culpabilité ou non par les tribunaux, le mâle est coupable, forcément coupable, comme aurait dit Duras. À cet égard, un message posté par une autre engagée-enragée dit clairement le niveau de bêtise qu’on atteint ces temps-ci : « Un non-lieu n’efface pas la parole d’une femme. » En d’autres termes, l’accusation fondée ou non d’une femme vaut jugement définitif et doit être considérée comme l’étalon or de la vérité. Splendide.

A lire aussi: Rendez-nous Nicolas Bedos !

Le jour suivant, dimanche, Brigitte Macron, notre Première Dame, a tenu à assister au spectacle de Ary Abittan. Et, avant le lever du rideau, elle a souhaité le rencontrer en coulisses pour lui manifester son soutien. Elle n’y est pas allée par quatre chemins et n’a pas mâché ses mots. L’acteur lui confiant son appréhension de devoir essuyer une nouvelle agression, elle eut cette formule définitive, cette claque expédiée à la figure des excitées : « S’il y a des sales connes on va les foutre dehors. » Alors, là, bravo Madame ! Bravo Brigitte ! Que cela fait du bien d’entendre appeler chat un chat et des connes des connes ! Beaucoup de bien, vraiment. Cela libère !

Là-dessus la pseudo actrice Judith Godrèche, qui n’a plus guère que ce registre-là pour croire exister encore, a considéré opportun d’apporter ses encouragements aux tapageuses masquées : « Moi aussi, je suis une sale conne », a-t-elle revendiqué. Bon, on s’en doutait bien un peu. Merci à elle tout de même de nous apporter cette confirmation très officielle.

LES TÊTES MOLLES - HONTE ET RUINE DE LA FRANCE

Price: 14,77 €

5 used & new available from 10,78 €

Zack, nouveau gourou écolo

Au Royaume-Uni, l’ancien charlatan Zack Polanski est devenu en peu de temps la personnalité politique de gauche préférée hors Parti travailliste. Faisons connaissance avec l’alter ego britannique de Sandrine Rousseau


En France, on a Sandrine Rousseau, l’impayable députée écolo, pour qui « le monde crève de trop de rationalité » et qui était à deux doigts d’être investie par son parti aux dernières présidentielles. En Amérique, ils ont Zohran Mamdani, le nouveau maire démocrate de New York (également soutenu par le mouvement environnementaliste Sunrise), qui déclarait il y a encore deux ans que « lorsque la botte de la police de New York vous serre le cou, c’est sous l’influence de l’armée israélienne ».

Les Britanniques, eux, ont Zack Polanski, le nouveau président du Parti vert d’Angleterre et du Pays de Galles, élu à son poste début septembre. C’est en un temps record que cet ancien libéral-démocrate est devenu une star de la politique. Grâce à des déclarations baroques, il ne cesse de faire le buzz sur les réseaux sociaux. Car Polanski ne se contente pas de vouloir classiquement taxer les riches et d’accuser Israël de génocide. Il propose aussi de légaliser toutes les drogues, de sortir de l’OTAN et d’accorder l’indépendance au Pays de Galles (à rebours de l’intitulé même de sa formation1). Résultat, selon le dernier sondage de l’institut YouGov, sa cote de sympathie s’est envolée à 12 %, ce qui fait de lui la personnalité de la gauche non travailliste préférée du pays. Et dire que le quadragénaire a fait mille métiers avant d’arriver à la célébrité : barman, physionomiste de boîte de nuit, acteur, et même hypnothérapeute ! Mais attention, dans le genre escroc. En 2013, Polanski se vantait dans les colonnes du journal à scandale The Sun d’être capable, grâce à ses pouvoirs de suggestion mentale, d’augmenter la taille de la poitrine de ses clientes ! Cette archive gênante n’a pas manqué de refaire surface et l’intéressé a présenté ses excuses. Non pour avoir été un sacré charlatan, mais parce qu’il a glorifié le volume mammaire des femmes, soit le plus abject des sexismes aux yeux de ses nouveaux amis verts.

Pour clore la polémique, Polanski a cité Tony Benn, la figure tutélaire de l’aile gauche du Parti travailliste (le « bennisme ») : « Je me fiche d’où tu viens. Ce qui compte, c’est où tu vas. »


  1. Leader du « Green Party of England and Wales » NDLR ↩︎

La drogue, poésie noire de notre renoncement

0

Charles Rojzman est très pessimiste quant à l’issue de la guerre de la France contre le « narcotrafic ».


Les faits divers du matin se ressemblent : un adolescent abattu devant son immeuble, une mère frappée par une balle perdue, une rafale tirée sur un simple hall d’entrée devenu frontière de clans. Les autorités parlent d’« opérations », de « mobilisation », de « lutte contre les réseaux ». On évoque même une « guerre contre le narcotrafic ». Mais quelle guerre, quand l’ennemi se multiplie plus vite qu’on ne l’arrête, quand chaque point de deal détruit ressemble à un membre coupé qui repousse aussitôt ? Les politiciens répètent que la solution viendra à long terme, comme on récite une prière dont on ne croit plus un mot.

Nouvelle France

En vérité, la maîtrise leur échappe. Le trafic n’est plus seulement un crime : c’est un pouvoir parallèle, une souveraineté nocturne qui, chaque semaine, mord un peu plus profondément dans le pays. Chaque tir, chaque corps au sol rappelle la même évidence : ce qui circule dans les veines de la France n’est plus du sang, mais une résignation corrosive — l’annonce d’une chute qu’on n’ose pas nommer.

La France est entrée dans une saison d’opium : un temps mourant où les villes, le soir venu, respirent comme un organisme intoxiqué. On croit encore à l’idée d’incivilités, maigre paravent de mots qu’agite une société qui n’ose plus se regarder dans la glace. En vérité, ce ne sont pas des débordements : ce sont les secousses d’un corps qui se défait, les spasmes d’une nation qui ne sait plus quel souffle la traverse.

A lire aussi, Olivier Dartigolles: Trafic de drogue: faut-il punir les consommateurs?

La drogue n’est pas une ombre jetée sur la France : elle est son miroir, une eau noire où se reflète l’effondrement intérieur. Elle relie les barres d’immeubles aux avenues bourgeoises, les caves humides aux appartements feutrés où l’on sniffe en murmurant des phrases progressistes. Les trafics ne font que respecter la géographie morale du pays : partout des fissures, partout des veines ouvertes, partout cette attente d’une délivrance chimique qui tienne lieu de destin.

On ne sait plus ce que c’est qu’habiter un monde. Alors on s’endort dans les vapeurs du cannabis, on s’éveille dans l’éclair blanc de la cocaïne, on traverse la journée avec des pilules qui tiennent lieu de credo. Une génération entière vit sous perfusion d’oubli, et l’on voudrait croire qu’il s’agit d’un phénomène marginal. Non : c’est le nouvel ornement du siècle, l’aura toxique d’une civilisation qui n’a plus que cela à offrir — l’abrutissement comme consolation.

Vacarme sourd

Nos dirigeants eux aussi, avancent dans ce brouillard. On les voit, ces visages polis par les caméras, trembler parfois sous l’effort de la maîtrise. Ils parlent d’ordre, de sécurité, d’avenir ; mais leurs voix, à peine audibles sous les projecteurs, portent la fatigue d’une époque où l’on gouverne à la place du sens disparu. Eux aussi parfois cherchent refuge : dans la poudre, dans les psychotropes légaux, dans les illusions diplomatiques. Le pouvoir n’est plus vertical : il est vacillant, pareil à un funambule ivre qui avance au-dessus du vide.

La France, jadis figure de clarté, se déplace aujourd’hui dans une lumière trouble. Elle ne croit plus en la transcendance, ni en l’histoire, ni en la continuité ; elle s’est réfugiée dans l’instant, comme ces malades qui n’attendent plus rien du lendemain. La drogue n’est pas un produit : c’est une liturgie substitutive, la religion liquide d’un peuple qui a perdu sa mémoire.

A lire aussi, du même auteur: Une jeunesse musulmane orpheline de pères et assoiffée d’autorité

Et tout ce qui n’est pas chimique devient idéologique. On se convainc de progrès tandis que l’on glisse. On proclame la solidarité en évitant soigneusement la vérité. On vit dans un vacarme moral pour couvrir la rumeur sourde de la défaite. Les villes, la nuit, en portent la trace : odeur d’essence brûlée, pas pressés d’adolescents sans horizon, voitures qui flambent comme des cierges funéraires, sirènes perdues dans la profondeur des cités.

La France ne meurt pas : elle se nie. Elle se dissout dans un mélange de culpabilité, d’anomie, de jouissance triste. Elle se tient debout encore, à peine, telle une figure de roman russe, cherchant dans la douleur une noblesse qu’elle n’a plus le courage de conquérir.

La drogue n’est pas notre ennemie. Elle est la poésie noire de notre renoncement.

Et tandis que les dirigeants se débattent dans l’ombre, que la jeunesse se consume dans l’éclat bref des paradis chimiques, que les intellectuels anesthésient la catastrophe sous des discours usés, la France avance vers son propre crépuscule, lentement, magnifiquement, tragiquement — comme une cathédrale sans fidèles, où l’encens seul subsiste, tournoyant dans l’air vide.

La société malade

Price: 23,90 €

3 used & new available from 23,48 €

Le RN fout le bordel

0

La pénalisation des clients ayant aggravé la situation des prostituées, le député Jean-Philippe Tanguy prépare un projet de loi pour rouvrir les maisons closes. Une excellente idée.


Le Rassemblement national veut rouvrir les maisons closes. Une idée qui affole le braillomètre et enrage les ligues de vertu féministe ne peut pas être mauvaise. Cette proposition de Jean-Philippe Tanguy de créer des bordels sans proxénètes, gérés par des femmes (pourquoi pas des hommes) qui décident librement de se prostituer est excellente d’un point de vue pragmatique et philosophique.

Touche pas à ma pute !

La loi de 2016 interdit de recourir aux services d’une prostituée mais autorise le racolage – comme si des boulangers avaient le droit de vendre du pain, mais qu’il était tout à fait interdit d’en acheter ! Comme l’observe Tanguy, elle n’a pas fait disparaître la prostitution. On trouve en outre sur internet de quoi satisfaire tous les fantasmes. Mais, en la plongeant dans l’illégalité, la loi a rendu les prostituées plus précaires. Cette activité doit donc être encadrée. La maison close apparait comme la solution la plus sûre, la plus digne, et la plus rationnelle économiquement (c’est une mise en commun de moyens, comme des avocats ou des médecins le font).

A lire aussi, Iannis Ezziadi: Les hommes préfèrent les trans

Mais en légiférant, on légitime, répliquera-t-on. Et on contredit l’objectif abolitionniste affiché par la France. Tant mieux. Cet objectif est ridicule, liberticide, paternaliste et lesté de puritanisme bourgeois. C’est une « fausse vertu, un faux humanisme qui déshumanise les prostituées », dit Tanguy qui en a croisé quelques-unes en faisant des maraudes dans sa jeunesse.

Arrêtons de mentir

Numéro 7 de « Causeur », novembre 2013.

Si la prostitution a existé sous tous les cieux et régimes, y compris quand on embastillait les « femmes de mauvaise vie », c’est qu’elle répond à une demande sociale. La prostitution a sauvé le mariage et la famille bourgeois et engendré des personnages inoubliables de putains magnifiques dans la littérature ou le cinéma, Nana chez Zola, Esther chez Balzac, Belle de jour avec Deneuve chez Buñuel… Ce n’est pas la prostitution qu’il faut combattre mais l’exploitation.

Non seulement les lois anti-prostitution ne parviennent pas à la supprimer, mais l’objectif de l’abolition est parfaitement illibéral. Au nom de quoi interdirait-on à des femmes de se prostituer ? Elles sont aliénées, me dit-on, mais quand t’es amoureuse à l’œil aussi. Personne ne peut décider pour l’autre ce qu’est être libre (c’est d’ailleurs pour cela que je ne veux pas restreindre le voile islamique au nom de la liberté des femmes, mais au nom de ma liberté de ne pas voir ce symbole d’inégalité).

A ne pas manquer: Causeur #140: Il était une foi en France

Certaines femmes considèrent que leur corps est un temple qu’on ne peut pénétrer qu’après en avoir fait huit fois le tour et signé un contrat, d’autres trouvent naturel de monnayer des actes sexuels, c’est leur droit à chacune. La prostitution fait peur, parce qu’elle concerne le désir, la sexualité, les tourments de l’âme humaine. Dès lors qu’il n’y a pas de violence, ce n’est ni à la société ni à l’État de décider dans quelles conditions des adultes libres s’adonnent au stupre et à la fornication. (En bon français, mêlez-vous de vos fesses).

Nana

Price: 4,20 €

92 used & new available from 1,47 €

Splendeurs et Misères des courtisanes

Price: 10,50 €

35 used & new available from 2,41 €


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale, avec Patrick Roger

Liste noire: la gauche lyncheuse se poutinise

Après s’être attaqué à Pascal Praud, Complément d’enquête charge l’entrepreneur Bernard Arnault. Alors qu’il est en tête dans plusieurs sondages d’intention de vote, une plainte est déposée contre Jordan Bardella pour son « média training ».


La gauche lyncheuse a complété sa liste noire. Vincent Bolloré, Pierre-Edouard Stérin, Bernard Arnault, sont parmi les nouveaux proscrits. Ainsi font les Amis de la Terreur.

Les épurateurs détestent ceux qui ont fait fortune, qui leur tiennent tête, pensent mal, écoutent le peuple, lui donnent la parole. Tout cela fait du monde.

A lire aussi, Didier Desrimais: L’immigration, la science et les gardiens du temple médiatique

Parmi les journalistes, Pascal Praud a été promu pestiféré No 1, y compris dans une vidéo accusatrice de l’Élysée du 1er décembre. Ce week-end, le Nouvel Obs a fait sa couverture sur la star de CNews (« Profession propagandiste ») accusée d’« orchestrer la montée de l’extrême droite ». Le 21 novembre, Libération avait ouvert le tir à vue en titrant finement sur la « Praudpagande ». Jeudi, France 2 démolissait pour sa part, dans Cash Investigation, l’entrepreneur Bernard Arnault, patron de LVMH. Le même soir, l’extrême gauche tentait violemment de perturber La Nuit du Bien Commun, aux Folies Bergères : une œuvre caritative lancée initialement par le milliardaire catholique Pierre-Edouard Stérin.

Plus généralement, la « bollosphère », force médiatique construite par Vincent Bolloré, est désormais l’unique obsession du pouvoir et de sa presse labellisée. Celle-ci ne se résout pas à sa marginalisation par le numérique et les médias alternatifs, audiovisuels et écrits. Parmi eux, le magazine Frontières, dont le dernier numéro a révélé que le député LFI Raphaël Arnault, fiché S, a été définitivement condamné (quatre mois de prison avec sursis) pour « violences volontaires en réunion ». Parallèlement, Jordan Bardella, en tête dans les sondages pour la présidentielle, vient d’être visé opportunément par une plainte de l’association AC Corruption auprès du Parquet national financier, pour « favoritisme » et « détournement de fonds publics ». Bref, le progressisme en sursis a remobilisé ses sicaires.

A lire aussi: 🎙️ Podcast: Impuissance du gouvernement, entrisme islamiste à gauche, échecs et succès littéraires…

Les censeurs et les coupeurs de têtes n’ont qu’un ennemi en ligne de mire : le « populisme ». Il peut être aussi bien politique que scientifique, télévisuel, religieux, artistique, littéraire, etc. En fait, le populisme est là où l’opinion autorisée n’a plus prise. Autant dire que ce retour au bon sens est partout. La gauche, mélenchoniste et macronienne, est submergée par ce qu’elle appelle les « réactionnaires ». Mais ces dissidents ne sont autres que les Français excédés et réactifs. Longtemps bernés, ils récusent les certitudes et les mensonges de ceux qui prétendent les guider et les informer.

Les assauts contre la liberté d’expression sont menés par un pouvoir qui ne sait convaincre qu’avec le matraquage de sa police de la pensée. La poutinisation de la gauche a atteint Emmanuel Macron dans ses tentatives de contrôle de la parole sur l’internet (dont X, à travers ses algorithmes) et les chaînes privées. La haine que déversent les « humanistes » contre Praud et ses succès d’audience dévoile leurs intolérances. Pour avoir choisi de quitter son émission (L’heure des pros) il y a près de quatre ans sur un désaccord personnel, je reconnais d’autant plus volontiers, derrière le one-man-show de l’acteur, la justesse et l’efficacité de sa récente radicalisation face à un système en sursis qui lui-même se raidit, mais se noie.

Journal d'un paria: Journal d'un paria suivi de Bloc-notes 2020-21

Price: 11,99 €

1 used & new available from 11,99 €

Venezuela: une crise américaine, un sujet français

0

Alors que le ministre français des Affaires étrangères s’inquiète des opérations américaines contre le narcotrafic au large du Venezuela, il est nécessaire de regarder la situation sans naïveté ni œillères idéologiques. Le Venezuela, miné par les cartels, déstabilise toute la région… jusqu’à la Guyane française.


C’est l’un des navires les plus modernes au monde. L’USS Gerald R. Ford, 340 m de long, 100 000 tonnes, 4 000 marins, une escadre aérienne complète d’environ 70 appareils, tout cela pour un prix avoisinant les 13 milliards de dollars. Il a quitté la Méditerranée il y a quelques jours. Depuis la semaine dernière, il mouille dans les Caraïbes, à quelques centaines de kilomètres du Venezuela, puissance pétrolière devenue narco-État corrompu. Dans sa ligne de mire : le régime de Nicolás Maduro, bête noire de Donald Trump. Devant cette montée des tensions, la réaction de la France, puissance diplomatique, membre permanent du Conseil de sécurité… et puissance régionale, était attendue.

On oublie trop souvent que la Guyane, ce sont 84 000 km² de territoire français en Amérique du Sud, l’équivalent du Portugal ou de l’Autriche. Le 12 novembre, au G7 diplomatique au Canada, Jean-Noël Barrot a condamné fermement la stratégie américaine, estimant que ces opérations «s’affranchissaient du droit international».

On connaît l’anti-trumpisme du Quai d’Orsay, mais la réaction à tout de même de quoi surprendre. Car en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe, la France est en première ligne face au narco-État vénézuélien. Les routes maritimes et aériennes en provenance de Caracas structurent un trafic devenu un défi sécuritaire majeur. En 2024, les saisies de cocaïne ont bondi de plus de 30 % en Guyane, et de 180% en Martinique et en Guadeloupe. Et si les « narcos » vénézuéliens n’en sont pas les seuls responsables, leurs réseaux alimentent une violence hors-normes dans ces territoires, où le taux d’homicide est sept fois supérieur à celui de la métropole.

À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles

On peut débattre de la légalité des frappes américaines visant les embarcations chargées de drogue au large du Venezuela. Mais les faits sont connus : la criminalité a explosé parallèlement à l’effondrement économique du pays. Les cartels ont trouvé dans le chaos vénézuélien un terrain idéal où prospérer, corrompant police, armée et responsables politiques.

Les accusations de connivence entre autorités vénézuéliennes et narcotrafiquants ne sont pas infondées. Les États-Unis, dont la population forme le principal marché de la drogue, ont des raisons d’être mécontents, ne serait-ce que de l’inefficacité des mesures déployées par Caracas pour lutter contre les narcotrafiquants.

A lire aussi: Panama, Groenland, Canada: quand Donald Trump ravive la Doctrine Monroe

Dans ce contexte, il n’est pas illégitime qu’un État cherche des moyens pour se protéger de cette menace criminelle transnationale. Les frappes américaines relèvent de cette logique défensive. Selon Reuters, l’armée américaine a déjà détruit quatorze embarcations, tuant leurs occupants. Ces éliminations sommaires, sans jugement, posent la question de leur fondement juridique. Des experts du United Nations Human Rights Council les ont ainsi qualifiées d’«exécutions extrajudiciaires». S’il faut tenir compte de cette opinion, il faut aussi faire remarquer que ces frappes restent limitées

et précisément ciblées. Elles relèvent de mesures exceptionnelles, non d’une attaque contre la souveraineté vénézuélienne.

Un élément trop peu commenté tend à le confirmer : non seulement les forces armées et la police du Venezuela n’ont jamais été ciblées par les Américains, mais elles ne cherchent pas à protéger les embarcations visées. C’est pourquoi les pays latino-américains se sont contentés de protestations de façade. Tous savent que le Venezuela est devenu un narco-État dont les trafics empoisonnent le continent.

L’administration Trump use d’un ton abrupt, mais sa stratégie reste coercitive et calibrée. Rien qui ne ressemble à une invasion en préparation. Nous sommes loin des interventions à Grenade, Panama ou au Nicaragua qu’a pu opérer dans le passé « Oncle Sam ».

Regarder la situation avec lucidité

La France doit tenir compte de cette réalité. Le Venezuela n’est pas seulement un théâtre de confrontation entre Washington et Caracas : il s’agit d’un État effondré dont les réseaux criminels frappent notre propre territoire. Avant de condamner les États-Unis, il faut peser les responsabilités de chacun, les risques régionaux, et le coût humain de l’impuissance vénézuélienne.

L’Amérique latine n’a ni besoin d’un affrontement idéologique supplémentaire ni même de postures diplomatiques «de principe». Elle a besoin d’un réalisme froid : reconnaître les causes profondes de la crise et, surtout, oser affronter un narcotrafic qui dépasse très largement les frontières du continent. On sait depuis Thomas Hobbes que la principale justification à l’existence des États est la sécurité qu’ils apportent aux individus. Qu’ils soient américains ou européens, les États ne peuvent donc pas perdre ce combat.

La crosse et le réséda

0
© Hannah Assouline

Le premier a dédié sa vie à Dieu, le second à la France. Monseigneur Matthieu Rougé et Éric Zemmour n’étaient pas faits pour se rencontrer. Mais l’évêque de Nanterre, en pointe dans le combat contre les réformes bioéthiques, enseigne aussi la théologie politique au Collège des Bernardins. Et dans son dernier essai, le président de Reconquête ! appelle ses compatriotes à un « sursaut judéo-chrétien ». Dès lors, ces deux-là avaient beaucoup de choses à se dire.


Causeur. Monseigneur Rougé, que vous inspire le fait que ce plaidoyer vibrant pour l’identité judéo-chrétienne de la France émane d’un juif séfarade ? Cela vous agace-t-il qu’il soit parfois plus catholique que le pape ?

Mgr Matthieu Rougé. D’abord, je ne dirais pas cela !

Éric Zemmour. Et moi non plus !

Mgr M. R. Cela étant,l’identité chrétienne ne se comprend pleinement que dans sa relation fondatrice avec la Première Alliance. J’invite d’ailleurs les fidèles à parler du « Premier Testament » plutôt que de l’Ancien Testament qui, pour les chrétiens, n’est pas aboli, mais accompli. Je suis en relation constante avec des amis juifs, rabbins, intellectuels, qui m’aident dans ma manière d’être chrétien aujourd’hui.

Éric Zemmour n’est pas rabbin, mais un amoureux de la France, de son histoire et de sa culture, qui observe que le catholicisme a fait la France et se désole de voir notre héritage chrétien effacé ou dévoyé. Partagez-vous ce constat ?

Mgr M. R. Comme prêtre depuis plus de trois décennies, évêque depuis sept ans et comme fidèle engagé dans la foi depuis de nombreuses années, je sais que l’histoire de l’Église est faite de crises et de renouveaux. La situation du christianisme en France aujourd’hui combine paradoxalement une part d’effacement institutionnel et de réémergence spirituelle. Toute ma vie s’efforce d’être donnée à l’annonce de l’Évangile, dont je crois volontiers qu’il a de beaux jours devant lui.

E. Z. Monseigneur Rougé parle de l’importance de sa foi et je ne suis pas surpris. Toute l’ambivalence et toute la richesse du christianisme tiennent à ce qu’il est la première religion dont le message est fondé justement sur la foi, autrement dit sur un phénomène individuel et intérieur que l’on ne peut pas inoculer comme un sérum. Notre désaccord, qui ne sera pas tranché car il est historique, c’est que je crois que l’Europe chrétienne n’a pas été engendrée par les seuls élans de la foi, mais par les formes que celle-ci a prises : la culture chrétienne, l’architecture, la musique, la peinture, le droit, l’État, les soins donnés aux plus faibles, l’hôpital et les monastères, ces ancêtres des usines où on apprend à prier et à travailler en même temps. En un mot, le christianisme est une civilisation qui a été si grande qu’elle a été le terreau de la foi dont vous êtes le témoin et le propagandiste tout à fait légitime.

Mgr M. R. Il n’y a pas de civilisation chrétienne sans foi chrétienne. Ces formes sont les fruits d’un engagement de foi profonde. Les hôpitaux, c’est saint Vincent de Paul et tout le renouveau spirituel du Grand Siècle. La vie monastique est née au ive siècle parce que des hommes se sont laissé intérieurement toucher par l’appel à aller dans le désert vivre l’intimité avec Dieu et le combat spirituel. Certes, le christianisme est une religion de l’incarnation, qui se déploie à travers des institutions. Mais sans la force vive de la foi, l’Église ne survivrait pas longtemps.

E. Z. Chacun son registre. Je ne peux pas agir sur la foi. Je me cantonne à ce que je peux faire, c’est-à-dire à défendre le christianisme en tant que civilisation. Je me situe ici et maintenant, et j’observe un double mouvement catastrophique : la fin d’une déchristianisation commencée au xviiie siècle et une islamisation massive du pays.

Mgr M. R. Entendons-nous d’abord sur les mots et sur le passé.Vous écrivez que le christianisme a été l’inventeur de l’individu, donc de l’individualisme. Mais il y a un mot beaucoup plus riche, décisif pour la dignité humaine, c’est le mot « personne ». Voilà la véritable invention du christianisme. Ce concept permet de comprendre le Christ, l’unique personne divine en ses deux natures, et la Trinité, trois personnes en une seule nature. Et ce mot « personne », élaboré pour parler du Christ et de Dieu qui est amour, ouvre à une compréhension de l’individu dans sa profondeur spirituelle et dans sa dimension relationnelle. Le christianisme authentique, ce n’est donc pas l’individualisme, mais un personnalisme spirituel. La richesse du christianisme, ce ne sont pas les bâtiments, c’est la dignité de la personne humaine.

E. Z. Jusqu’au xviiie siècle, ce que vous appelez « personne » et ce que j’appelle « individu » se confondaient. Là résidait le génie de l’Église, qui avait su constituer l’homme comme individu libre tout en l’encadrant. Mais petit à petit, l’individu s’est révolté contre cet encadrement, sans voir que celui-ci était aussi la condition de sa dignité. Il est devenu cet être sans racine et sans foi, qui se libère même de ce qui l’a constitué, c’est-à-dire le catholicisme.

Mgr M. R. L’histoire de la civilisation chrétienne n’est pas aussi rectiligne. L’aventure chrétienne est complexe, comme l’aventure humaine. On peut valoriser la dimension personnelle sans minimiser la dimension collective. Et réciproquement.

Éric Zemmour, pendant vos années de jeunesse vous êtes passé de Voltaire à Pascal. Mais l’identité française n’est-elle pas une synthèse entre Pascal et Voltaire, le christianisme et l’anticléricalisme ? Les progressistes pensent que la France a commencé en 1789. À vous lire, on a l’impression qu’elle est morte en 1789.

E. Z. C’est une question sur laquelle j’ai évolué, notamment avec Taine. Je crois de plus en plus que la Révolution a été une catastrophe pour la France. Je n’aurais pas dit cela il y a vingt ans, mais désormais je suis convaincu que tout l’objectif des Lumières, de la Révolution, puis de la République était la déchristianisation du pays. Et cela a tellement bien réussi que, comme l’avait prévu Barrès, une religion beaucoup plus âpre, dogmatique et intolérante que le christianisme lui a succédé. Nous y sommes !

Vous rejetez même les Lumières ?

E. Z. J’apprécie les premières Lumières, qui étaient libérales et voulaient limiter le pouvoir absolu, par exemple Montesquieu ou le Voltaire anglais. Mais très vite, la vindicte antichrétienne prend le dessus et sape complètement les fondements de l’identité française.

Mgr M. R. Nous avons quelques références communes, notamment Chateaubriand dont j’aime beaucoup le passage que vous citez – « Voltaire eut l’art funeste, chez un peuple capricieux et aimable, de rendre l’incrédulité à la mode ». Cela dit, depuis le début du christianisme, il y a dans la rencontre entre la Révélation et la rationalité quelque chose de fécond, qui passionnait Benoît XVI.

E. Z. Oui, c’est la rencontre entre la pensée grecque et le prophétisme juif, dont le christianisme fait une brillante synthèse !

Mgr M. R. En effet. Mais en un sens, les interrogations des Lumières sont aussi stimulantes pour permettre à la Révélation chrétienne de déployer certaines de ses potentialités. Bien sûr la Révolution, et en particulier la Terreur, a été violemment antichrétienne. Nous avons célébré récemment les carmélites de Compiègne, martyrisées en 1794. Cela dit, le xixe siècle a été aussi un très grand siècle pour la foi chrétienne. Un « âge d’or » du catholicisme dont certains ont la nostalgie, c’est la période 1850-1950 qui a été celle d’une reconstruction chrétienne dans une France presque intégralement rurale, avec une incroyable dynamique missionnaire. La moitié des missionnaires dans le monde sont alors des Français. C’est alors que naissent en grand nombre des congrégations hospitalières ou enseignantes, qui marquent énormément notre pays. Et tout cela se passe après la Révolution.

E. Z. J’aime beaucoup vous entendre faire l’éloge d’une période où la République a persécuté les catholiques et fait exiler, après 1905, des milliers de religieux, qui ne sont revenus que pour participer à la Grande Guerre. J’admire votre mansuétude et votre absence de rancune.

Mgr M. R. Les« persécutions »que vous évoquez n’ont pas commencé dès 1850.Même si je cultive l’absence de rancune car le ressentiment est toujours contre-productif, je ne dis pas que la loi de séparation n’a pas laissé de profondes blessures : j’ai été le curé de la paroisse Sainte-Clotilde à Paris, où les « inventaires » ont été particulièrement violents.

Débat entre Éric Zemmour et Mgr Matthieu Rougé, novembre 2025. Photo : Hannah Assouline.

Éric Zemmour, remettez-vous en cause la loi de 1905 ? La religion catholique devrait-elle avoir un statut juridique particulier en France ?

E. Z. Tous les citoyens français sont libres et égaux en droit, quelles que soient leurs croyances. Je connais mes classiques. Mais le catholicisme a un statut culturel – avec un « r » – particulier. Comme disait le général de Gaulle, « la République est laïque, mais la France est chrétienne ». Non seulement je ne veux pas remettre en cause la loi de 1905, mais je veux revenir à son esprit qui a été fort bien défini par Jean-Pierre Chevènement lorsqu’il parlait de « devoir de discrétion ». La religion – surtout quand elle vient d’une civilisation étrangère – n’a pas à s’étaler dans l’espace public. Il faut arrêter de mentir, la loi de 1905 n’était pas une loi de liberté, mais une loi de combat contre l’Église et le christianisme. Nous devons donc utiliser la laïcité comme une arme de combat conte la dernière religion en date qui n’a pas dans son ADN ce rapport personnel et spirituel à la divinité : l’islam.

Mgr Rougé, la laïcité n’a-t-elle pas a été beaucoup plus « dure » avec les catholiques qu’avec les autres grandes religions ?

Mgr M. R. Notre laïcité française s’est objectivement construite contre l’Église catholique. Elle s’est pour une part rééquilibrée grâce aux accords diplomatiques des années 1920 entre la France et le Saint-Siège, ainsi que par la jurisprudence du Conseil d’État qui s’en est suivie. Il demeure aujourd’hui pour les pouvoirs publics une tentation de durcir notre laïcité, souvent par la confusion entre l’État, légitimement laïque, et la société, qui ne peut pas l’être car les religions font partie de l’expérience humaine et doivent pouvoir s’y exprimer. Certains catholiques s’autobrident eux-mêmes, surinterprètent notre régime de laïcité, à cause de cette confusion entre l’État et la société, typiquement française en raison de la force historique de nos pouvoirs publics.

Eric Zemmour, vous êtes très critique avec l’Église actuelle.  

EZ. En effet, elle est très catholique certes, mais elle oublie d’être une religion, c’est-à-dire de relier les humains entre eux et de les relier à leurs défunts. La terre et les morts, comme disait Barrès. À partir du moment où l’Église ne tient plus qu’un discours universaliste et plus du tout un discours identitaire, européen et occidental, j’estime qu’elle trahit ses origines et qu’elle abandonne les peuples européens face à ce qui leur arrive. Cet abandon a été personnifié selon moi par le pape François qui, voyant la déchristianisation et l’islamisation de notre continent, se disait qu’il fallait négocier le statut de dhimmi le plus favorable possible, et développer à l’avenir le catholicisme sur les autres continents, l’Amérique, l’Afrique, et l’Asie, qui sont des terres missionnaires plus fécondes. Voilà ce que je pense et ce que je regrette.

Mgr M. R. On ne peut pas opposer le local et l’universel. Le principe de la religion catholique consiste justement à unifier l’enracinement le plus profond et l’ouverture la plus large. Surtout, vous vous trompez en affirmant que le pape François a abandonné la France et l’Europe ! J’ai eu l’occasion d’échanger avec lui, parfois longuement, et il était extrêmement attentif et bienveillant à l’égard de notre pays. Du reste, comme tout jésuite de sa génération, il a grandi dans la lecture des grands intellectuels ignatiens français, comme Henri de Lubac ou Michel de Certeau.Le texte programmatique de son pontificat, intitulé « La joie de l’Évangile », est une vigoureuse invitation au renouveau missionnaire de tous dans l’Église, axée sur l’annonce du cœur de la foi, le « kérygme ». Pour un diocèse comme le mien, cette exhortation apostolique inaugurale a été une boussole.

Le pape François a aussi tenu à l’égard de l’Europe des exhortations proprement politiques !

Mgr M. R. Certes, mais il était d’abord missionnaire. François était moins un théoricien qu’un prédicateur décapant, voire provocateur. Il pensait qu’il fallait arracher les chrétiens occidentaux à un certain confort intellectuel, matériel et spirituel.

E. Z. En attendant, il ne plaidait jamais pour le christianisme identitaire d’Occident. Alors que moi, je rêve du catholicisme viril du Moyen Âge. Je pense qu’une religion est ce que les humains qui la reçoivent en font. J’emprunte cette idée à Renan, qui disait que le catholicisme était le judaïsme des Européens et l’islam le judaïsme des Arabes. Ce qui aboutit à deux religions qui n’ont plus rien à voir.

Mgr M. R. Vous citez beaucoup Renan, ancien séminariste ayant pris ses distances vis-à-vis de la foi, et Barrès. Leur lecture n’est pas inintéressante, mais ce sont des références trop restrictives si l’on veut parler de manière ajustée du christianisme.

E. Z. Je n’ai pas écrit un livre de théologie !

Mgr M. R. Certes, mais des intellectuels plus récents, qui expriment un regard chrétien sur le monde de l’intérieur de leur foi, seraient des témoins plus ajustés de ce qui fait vivre l’Église. Je pense, par exemple, à Jean-Luc Marion ou Rémi Brague.

E. Z. Vous tombez mal : Rémi Brague, je le lis beaucoup et depuis longtemps. C’est de lui que je tiens cette si pertinente remarque sur ceux, et ils sont nombreux dans la classe politique, qui croient que l’islam est « le christianisme des Arabes ». C’est de lui aussi que je tiens cette comparaison si éclairante sur la scène de l’Ancien Testament dans laquelle Dieu demande à Abraham d’aller annoncer leur destruction à Sodome et Gomorrhe. Abraham négocie avec Dieu le nombre de justes qui permettrait d’épargner les villes maudites – « et s’il y a cent justes ? » –, quand la version du Coran indique sobrement : « Et Abraham obéit à Dieu. » On ne discute pas en islam les ordres d’Allah, même s’ils vous paraissent monstrueux. Comme disait Claude Lévi-Strauss : « Si un corps de garde avait une religion, ce serait l’islam. »

Et puis je ne cite pas seulement Renan et Barrès. J’évoque aussi Fénelon et Bossuet. Pour le premier, l’important c’est que nous appartenons tous au genre humain, la « Grande Patrie » selon lui. Le second lui répliquait que nous sommes d’abord français. Depuis les années 1950, l’Église est allée trop loin dans le sens de Fénelon et de l’universalisme. Je souhaite qu’elle revienne à Bossuet et à la défense de l’identité chrétienne. En particulier dans l’enseignement des enfants.

Mgr M. R. Il y a bel et bien une tension entre l’enracinement et l’universalité. Mais c’est précisément le « génie du christianisme » de l’assumer par la profondeur. Ce que j’espère, pour ma part, ce à quoi je travaille, c’est à la qualité de la formation chrétienne et spirituelle du plus grand nombre. On ne peut habiter l’identité chrétienne de manière authentique que par la profondeur. C’est la formule programmatique de l’Évangile : Vivre « dans le monde » sans être « du monde ». Vous imaginez une sorte de catholicisme identitaire qui se couperait de sa proposition universelle de salut. Je crois plutôt que l’enracinement dans le Christ conduit à s’ouvrir à tous en restant soi-même. L’identité chrétienne est assez solide et profonde pour être en dialogue, en débat, voire en conflit. Cultiver une telle identité est heureux, mais devenir identitaire pour se rassurer en prétendant se sauver soi-même ne me semble ni juste ni convaincant.

E. Z. Ce n’est pas pour « se rassurer », comme vous dites, mais simplement pour ne pas mourir.

Mgr M. R. J’ai dit aussi « se sauver soi-même ».

E. Z. Et je répète, plus prosaïquement, « ne pas mourir » !

Mgr MG. Oui, mais moi je pense que nous sommes sauvés par le Christ, pas par nos efforts immédiats.

Cité du Vatican, 1er octobre 2014 : le pape François reçoit des survivants et des proches des victimes du naufrage de Lampedusa d’octobre 2013. AP Photo/SIPA

Aujourd’hui, les martyrs chrétiens ne sont plus à Rome, mais en Orient.

E. Z. Absolument. Ils sont persécutés par les régimes musulmans et communistes. Et je ne vois pas l’Église tellement les défendre.

Mgr M. R. Les martyrs sont nombreux, en Orient, mais aussi en Afrique. Nous nous efforçons de cultiver une profonde solidarité avec ces frères et sœurs persécutés. Le travail de l’Aide à l’Église en détresse et de l’Œuvre d’Orient, ainsi que le soutien que ces œuvres reçoivent d’un très grand nombre de fidèles en sont un signe éloquent.

E. Z. Je pense pourtant qu’en Europe, l’Église n’entend pas assez les avertissements de certains hauts dignitaires du christianisme oriental, qui nous alertent sur ce qui leur est arrivé et qui est en train d’arriver chez nous.

Mgr M. R. Je ne crois pas manquer de lucidité sur la situation de l’Église en France aujourd’hui : elle a de grandes fragilités, mais aussi des atouts spirituels et missionnaires.

E. Z. C’est de la langue de bois !

Mgr M. R. Non, c’est un constat historique. L’Église n’a cessé d’osciller entre crises et renouveaux, entre morts et résurrections. Regardez la France de l’époque de la Fronde : le futur saint Vincent de Paul est nommé curé en pleine épidémie ; refusant de se confiner (voilà qui nous rappelle des souvenirs récents…), il découvre une vieille femme morte de faim ; il va donc trouver le menuisier et lui dit : « Je suis ton curé, fais un cercueil. » Que lui répond le menuisier ? « Il n’y a plus de curé, il n’y a plus de Bon Dieu. » Nous sommes alors au seuil d’un des plus grands renouveaux de l’histoire chrétienne dans notre pays. N’en restons pas à des jugements historiques univoques : l’histoire réelle est plus riche et plus complexe !

E. Z. Si vous voulez. Mais, cela ne doit pas nous détourner de certaines évidences. Telles que celle qu’a formulée le général de Gaulle : l’État est laïque, la France est chrétienne. C’est tout, c’est simple. Il n’y a pas lieu d’épiloguer. Notre peuple est de culture chrétienne, même ses citoyens qui ne sont pas chrétiens.

Ce que personne ne nie ici.

E. Z. Peut-être, mais aujourd’hui nombre de nos contemporains sont tellement déchristianisés qu’ils ont perdu de vue cette identité profonde. Sans parler des millions de musulmans de notre pays, qui imposent leur religion, leur culture et leur civilisation. Ils ne reconnaissent pas l’imprégnation chrétienne de la France et veulent imposer leur identité musulmane.

Mgr M. R. La présence de musulmans nombreux en France aujourd’hui modifie évidemment notre situation culturelle et religieuse de façon très significative. Mais il ne faut pas oublier la présence d’un judaïsme plus affirmé et la vitalité du protestantisme évangélique, sans compter le matérialisme et l’individualisme massifs d’un très grand nombre de nos contemporains. Cela ne rend que plus urgent le témoignage de fond de chrétiens cherchant à articuler le sens de Dieu et le goût de la liberté.

La suite de l’entretien ici

Jusqu’où ira le «salesconnesgate»?

0
© Eric TSCHAEN-POOL/SIPA

Les militantes néoféministes ne décolèrent pas contre Brigitte Macron, qui a osé qualifier de « sales connes » les perturbatrices du spectacle de l’humoriste Ary Abittan. Les éditocrates bien-pensants forceront-ils la Première dame à s’excuser?


DR.

Les propos tenus par Brigitte Macron auprès d’Ary Abittan en coulisses aux Folies Bergère continuent de faire des vagues. Le salesconnesgate a pris une telle ampleur que l’Élysée a dû organiser hier un semi-rétropédalage et faire savoir que Brigitte Macron visait seulement les méthodes des manifestantes outragées. Toutes les pleureuses du néo-féminisme y vont de leur couplet indigné à commencer par l’inévitable Godrèche. Les Insoumis éructent. François Hollande gronde. Elle a dit conne! Quelle vulgarité! Un crachat sur les victimes! Qu’elle se lave la bouche avec du savon! Quand Souchon traite les électeurs RN de cons, ces beaux esprits ne mouftent pas. D’accord, Souchon n’est pas Première dame.

Brigitte Macron était en confiance. Elle était avec des amis. Elle a parlé comme on parle dans la vie et dit au passage ce que nous sommes beaucoup à penser (quoique « connes », c’est un peu mou). La caméra était celle de Bestimages, agence de Mimi Marchand, une proche du couple Macron qui était là pour faire du people sans histoires… D’après Le Parisien, on n’a pas voulu nuire à l’épouse du président de la République, il n’y a pas eu de coup tordu, juste une suite de négligences. Il semble que la vidéo a été vendue à l’hebdomadaire Public sans que quiconque n’ait écouté le son.

A lire aussi, Dominique Labarrière: Bravo Brigitte!

S’il y a une victime dans cette affaire, c’est Ary Abittan. Mais curieusement, tous ces gens intraitables sur les bonnes manières ne trouvent rien à redire au fait que des militantes fassent irruption dans un spectacle et traitent de violeur un homme doublement blanchi par la Justice. Une intrusion par la force c’est tout de même plus grave qu’une insulte. Et violeur plus grave que connes. Mais non, le scandale, ce sont deux mots de Madame Macron. « Le moindre solécisme en parlant vous irrite mais vous en faites vous d’étranges en conduite » (Les femmes savantes).

Ces militantes ont bien le droit de critiquer une décision de justice comme je le fais moi-même souvent, me répliquerez-vous. Seulement ici, ce n’est pas de la critique, c’est de l’intimidation. Je trouve l’incarcération de Nicolas Sarkozy injuste. Mais je ne suis pas allée manifester devant la Santé pour l’empêcher. Puisque la Justice ne condamne pas sans preuves, les militantes néoféministes prétendent la remplacer par une justice expéditive qui condamne à la mort sociale tout homme accusé – car les femmes ne mentent jamais et ne se vengent jamais, c’est bien connu. Elles essaient d’effrayer les producteurs, les directeurs de théâtres et autres employeurs potentiels des hommes mis en cause. Et comme le courage n’est pas la première vertu du monde du spectacle, des centaines d’hommes blanchis ou ayant purgé leur peine se retrouvent non seulement chômeurs mais bannis. Elles expliquent qu’un non-lieu ne blanchit pas. On ne peut pas vous condamner mais vous n’êtes jamais innocenté. Génial! C’est la logique de la Terreur: tout homme est un coupable en puissance. L’une des associations énervées et qui annonce porter plainte contre Mme Macron s’appelle d’ailleurs les Tricoteuses hystériques. N’est-il pas un peu curieux de revendiquer une filiation avec les femmes qui pendant la Révolution assistaient avec gourmandise aux exécutions ?

Les tricoteuses d’aujourd’hui s’impatientent, elles trouvent que la guillotine sociale ne turbine pas assez. Comme disait Anatole France, les dieux ont soif. Et moi j’ai peur.


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale, au micro de Patrick Roger

Israël boycotté à l’Eurovision: on connait la chanson

0
Des manifestants appelent au boycott de l'Eurovision devant le siège de la télévision publique à Dublin, Irlande, 1er novembre 2025 © Annabelle Hamil/ZUMA/SIPA

Si Israël pourra bien participer au concours à Vienne en mai prochain, l’Espagne, l’Irlande, les Pays-Bas et la Slovénie ont annoncé qu’ils n’iront pas en Autriche.


L’Europe est une vieille dame épuisée qui croit qu’en levant le petit doigt elle va sauver le monde. Elle a trop vécu, trop bu, trop sermonné, alors elle cherche une cause légère, un geste propre. Cette année, ce sera le concours de l’Eurovision puisque des artistes israéliens s’y produiront. L’Espagne, l’Irlande, les Pays-Bas et la Slovénie ont donc sorti le boycott comme un exorciste son crucifix. On a chassé les fantômes et on s’est cru héroïque. Dans cette affaire, la France, pour une fois, mais avec d’autres, a évité de se ridiculiser.

Le « plus jamais ça » est devenu, pour certains, un abonnement illimité à la bonne conscience. Ça évite de regarder le réel, ça donne même un petit frisson de vertu. Ce vieux continent aux « penchants criminels », comme dit Milner, n’aime pas son propre reflet. Alors il repeint la glace et s’offre une innocence de pacotille.
L’Espagne, d’ailleurs, devrait se souvenir que la « limpieza de sangre » n’est pas née dans les labos du IIIe Reich mais chez ses propres Inquisiteurs, et qu’elle s’est taillée un empire en évangélisant tout un continent à coup de canons, de lances, de haches et de feu… Venir, avec un tel passé, donner des leçons de comportement n’est pas très sérieux.

A relire: Eurovision, la douce revanche d’Israël

Derrière toute cette mise en scène, il y a l’ombre d’Edward Saïd. Pas le vrai – trop complexe – mais sa version low-cost qui découpe le monde en deux couleurs ; les colonisés, d’un côté, les colonisateurs, de l’autre. Une grille simple, pratique, qui permet à l’Occident de se sentir innocent sans faire beaucoup d’efforts. La nuance est fatigante, l’alibi tellement plus reposant.

On ressort donc le mot « colonialisme » par réflexe, pour éviter de regarder les responsabilités d’aujourd’hui. Cette éthique de surface finit toujours de la même manière. Ceux qui tirent se retrouvent exonérés, ceux qui se protègent deviennent suspects. Le boycott d’une émission de divertissement n’est pas une politique, c’est un petit rituel de purification emballé dans du courage de poche. Ça fait du bien à celui qui le pose, le boycotteur. Ça ne change rien à la réalité sur le terrain, et cette posture hypocrite ne fait pas avancer la paix d’un millimètre. Eh oui, s’il suffisait de changer de chaîne pour arrêter une guerre séculaire, ça se saurait.
On assiste peut-être ici à la victoire posthume de l’auteur de L’orientalisme dans sa version sloganisée. Une victoire triste, celle d’une pensée amputée, répétée sans la comprendre, devenue simple décor pour ceux qui préfèrent la pureté imaginaire à la lucidité.

La vraie morale, pourtant, n’est pas un miroir où l’on se regarde devenir vertueux. C’est une promesse, une charge qui demande d’avoir les yeux ouverts, même quand ça fait mal. Cette morale-là ne consiste pas à agir pour se donner bonne conscience, mais pour faire l’Histoire. On se trompe rarement en observant de quel côté l’Europe – du moins, une certaine Europe – se range.

L'Orientalisme: L'Orient créé par l'Occident

Price: 13,95 €

10 used & new available from 13,40 €

Les penchants criminels de l'Europe démocratique

Price: 13,70 €

28 used & new available from 5,38 €

La novlangue est devenue la nôtre…

0
L'écrivain britannique George Orwell (1903-1950). DR.

Dans une page très éclairante du Journal du Dimanche du 7 décembre 2025, François Bousquet et Pascal Meynadier ont décrypté les mots de 1984, le chef-d’œuvre de George Orwell.

L’antiphrase, « l’art souverain de dire l’inverse de ce qui est ». Le ministère de la Vérité, grâce auquel la vérité devient « une appellation contrôlée ». « On ne falsifie pas, on rectifie… on ne surveille pas, on labellise. »

La doublepensée, qui offre l’avantage de « croire deux choses incompatibles ». L’ennemi, car « le totalitarisme, pour fonctionner, doit disposer d’un visage à brûler »… Une sorte de « front républicain » et de « cordon sanitaire » avant l’heure, la franchise en plus ?

Les deux minutes de la haine, « un défouloir supervisé où la haine devient service public et sévices publics ». L’Assemblée nationale ?

Big Brother, « le culte de la personnalité fonctionne encore mieux quand la personnalité n’existe pas… »

Le télécran : « l’objet domestique de la tyrannie ».

La Police de la Pensée, elle traque le « crimepensée », « seule infraction qu’on peut commettre en dormant ou sans s’en rendre compte ».

La salle 101, « la destruction méthodique de chacun grâce à la connaissance de la peur ultime de chacun… ».

A lire aussi: Notre-Dame de Paris à l’Opéra: après l’incendie de 2019, une autre calamité

Chacun de ces mots, chacun de ces pièges, de ces étouffements, chacune de ces tyrannies masquées et de ces tortures mériterait une analyse approfondie, tant ils résonnent tous, fortement, avec notre monde et notre actualité.

Mais j’ai gardé précieusement le mot capital qui me paraît anticiper tragiquement l’état de notre société, le niveau de notre réflexion collective, la pauvreté de notre langage et la faiblesse de notre pensée. Ce mot, c’est « la novlangue ». « Son objectif est simple : réduire le vocabulaire pour réduire la pensée. » Abaisser l’exigence de la pensée et de la vie de l’esprit pour n’avoir plus besoin de la moindre richesse de la langue. Façonner l’idée et le mot de telle manière que l’une et l’autre n’aient plus d’autre ressource que de devenir outrance, insulte, caricature et, pire, mensonge.

La novlangue est présente : elle n’est plus une menace, mais une réalité. Écoutons Sébastien Delogu crachant sur la police et vantant Assa Traoré, « sa petite sœur ». Écoutons les mille vulgarités odieuses ou grossières qui se justifient parce qu’elles sont proférées par des gens sans expression ni fond.

Regardons, à rebours, comment un Jean-Luc Mélenchon a été si délicatement traité devant la commission, parce qu’il l’impressionnait par une culture et un verbe pourtant totalement déconnectés du moindre souci de vérité, mais jamais mis à mal.

La novlangue est présente : on nomme mal et le monde se défait. Les derniers résistants parlent une belle langue et ont une pensée juste dans le désert.

1984

Price: 9,50 €

32 used & new available from 4,95 €

Bravo Brigitte!

0
Entre Brigitte Macron et les féministes, la guerre est déclarée © Eliot Blondet-Pool/SIPA

Dans des propos qui n’étaient pas destinés à devenir publics, Brigitte Macron qualifie de « sales connes » des militantes féministes qui ont interrompu un spectacle d’Ary Abittan…


Samedi, des agitées du féminisme dévoyé ont cru malin de troubler le spectacle de l’acteur Ary Abittan, aux Folies Bergères. J’emploie le mot agitées et non pas celui de militantes, car il est des cas, nombreux quand même, où le militantisme mérite respect et considération. Ce n’est évidemment pas le cas ici. De même, pour l’expression « féminisme dévoyé », car ce qui anime ces aboyeuses hystériques n’est pas tant la valorisation et l’épanouissement de la femme que la castration du mâle.

Elles étaient quatre, courageusement cachées sous des masques à l’effigie de l’acteur. Elles braillaient « Abittan violeur ! » Or, il se trouve que notre homme, qui de fait eut à répondre d’une telle accusation devant la justice, a été purement et simplement innocenté, en première instance comme en appel. Mais pour l’Inquisition nouveau genre et ces bergères en folie, gardiennes du troupeau des brebis rousseauistes (Sandrine, pas Jean-Jacques), cela – l’innocence dûment reconnue – ne compte pas plus qu’un pet d’agneau d’un jour, la justice n’étant selon elle que le dernier refuge du patriarcat le plus borné. Donc lavé de toute culpabilité ou non par les tribunaux, le mâle est coupable, forcément coupable, comme aurait dit Duras. À cet égard, un message posté par une autre engagée-enragée dit clairement le niveau de bêtise qu’on atteint ces temps-ci : « Un non-lieu n’efface pas la parole d’une femme. » En d’autres termes, l’accusation fondée ou non d’une femme vaut jugement définitif et doit être considérée comme l’étalon or de la vérité. Splendide.

A lire aussi: Rendez-nous Nicolas Bedos !

Le jour suivant, dimanche, Brigitte Macron, notre Première Dame, a tenu à assister au spectacle de Ary Abittan. Et, avant le lever du rideau, elle a souhaité le rencontrer en coulisses pour lui manifester son soutien. Elle n’y est pas allée par quatre chemins et n’a pas mâché ses mots. L’acteur lui confiant son appréhension de devoir essuyer une nouvelle agression, elle eut cette formule définitive, cette claque expédiée à la figure des excitées : « S’il y a des sales connes on va les foutre dehors. » Alors, là, bravo Madame ! Bravo Brigitte ! Que cela fait du bien d’entendre appeler chat un chat et des connes des connes ! Beaucoup de bien, vraiment. Cela libère !

Là-dessus la pseudo actrice Judith Godrèche, qui n’a plus guère que ce registre-là pour croire exister encore, a considéré opportun d’apporter ses encouragements aux tapageuses masquées : « Moi aussi, je suis une sale conne », a-t-elle revendiqué. Bon, on s’en doutait bien un peu. Merci à elle tout de même de nous apporter cette confirmation très officielle.

LES TÊTES MOLLES - HONTE ET RUINE DE LA FRANCE

Price: 14,77 €

5 used & new available from 10,78 €

Zack, nouveau gourou écolo

0
DR.

Au Royaume-Uni, l’ancien charlatan Zack Polanski est devenu en peu de temps la personnalité politique de gauche préférée hors Parti travailliste. Faisons connaissance avec l’alter ego britannique de Sandrine Rousseau


En France, on a Sandrine Rousseau, l’impayable députée écolo, pour qui « le monde crève de trop de rationalité » et qui était à deux doigts d’être investie par son parti aux dernières présidentielles. En Amérique, ils ont Zohran Mamdani, le nouveau maire démocrate de New York (également soutenu par le mouvement environnementaliste Sunrise), qui déclarait il y a encore deux ans que « lorsque la botte de la police de New York vous serre le cou, c’est sous l’influence de l’armée israélienne ».

Les Britanniques, eux, ont Zack Polanski, le nouveau président du Parti vert d’Angleterre et du Pays de Galles, élu à son poste début septembre. C’est en un temps record que cet ancien libéral-démocrate est devenu une star de la politique. Grâce à des déclarations baroques, il ne cesse de faire le buzz sur les réseaux sociaux. Car Polanski ne se contente pas de vouloir classiquement taxer les riches et d’accuser Israël de génocide. Il propose aussi de légaliser toutes les drogues, de sortir de l’OTAN et d’accorder l’indépendance au Pays de Galles (à rebours de l’intitulé même de sa formation1). Résultat, selon le dernier sondage de l’institut YouGov, sa cote de sympathie s’est envolée à 12 %, ce qui fait de lui la personnalité de la gauche non travailliste préférée du pays. Et dire que le quadragénaire a fait mille métiers avant d’arriver à la célébrité : barman, physionomiste de boîte de nuit, acteur, et même hypnothérapeute ! Mais attention, dans le genre escroc. En 2013, Polanski se vantait dans les colonnes du journal à scandale The Sun d’être capable, grâce à ses pouvoirs de suggestion mentale, d’augmenter la taille de la poitrine de ses clientes ! Cette archive gênante n’a pas manqué de refaire surface et l’intéressé a présenté ses excuses. Non pour avoir été un sacré charlatan, mais parce qu’il a glorifié le volume mammaire des femmes, soit le plus abject des sexismes aux yeux de ses nouveaux amis verts.

Pour clore la polémique, Polanski a cité Tony Benn, la figure tutélaire de l’aile gauche du Parti travailliste (le « bennisme ») : « Je me fiche d’où tu viens. Ce qui compte, c’est où tu vas. »


  1. Leader du « Green Party of England and Wales » NDLR ↩︎

La drogue, poésie noire de notre renoncement

0
Cité Bel Horizon, Marseille, novembre 2025 © Frederic MUNSCH/SIPA

Charles Rojzman est très pessimiste quant à l’issue de la guerre de la France contre le « narcotrafic ».


Les faits divers du matin se ressemblent : un adolescent abattu devant son immeuble, une mère frappée par une balle perdue, une rafale tirée sur un simple hall d’entrée devenu frontière de clans. Les autorités parlent d’« opérations », de « mobilisation », de « lutte contre les réseaux ». On évoque même une « guerre contre le narcotrafic ». Mais quelle guerre, quand l’ennemi se multiplie plus vite qu’on ne l’arrête, quand chaque point de deal détruit ressemble à un membre coupé qui repousse aussitôt ? Les politiciens répètent que la solution viendra à long terme, comme on récite une prière dont on ne croit plus un mot.

Nouvelle France

En vérité, la maîtrise leur échappe. Le trafic n’est plus seulement un crime : c’est un pouvoir parallèle, une souveraineté nocturne qui, chaque semaine, mord un peu plus profondément dans le pays. Chaque tir, chaque corps au sol rappelle la même évidence : ce qui circule dans les veines de la France n’est plus du sang, mais une résignation corrosive — l’annonce d’une chute qu’on n’ose pas nommer.

La France est entrée dans une saison d’opium : un temps mourant où les villes, le soir venu, respirent comme un organisme intoxiqué. On croit encore à l’idée d’incivilités, maigre paravent de mots qu’agite une société qui n’ose plus se regarder dans la glace. En vérité, ce ne sont pas des débordements : ce sont les secousses d’un corps qui se défait, les spasmes d’une nation qui ne sait plus quel souffle la traverse.

A lire aussi, Olivier Dartigolles: Trafic de drogue: faut-il punir les consommateurs?

La drogue n’est pas une ombre jetée sur la France : elle est son miroir, une eau noire où se reflète l’effondrement intérieur. Elle relie les barres d’immeubles aux avenues bourgeoises, les caves humides aux appartements feutrés où l’on sniffe en murmurant des phrases progressistes. Les trafics ne font que respecter la géographie morale du pays : partout des fissures, partout des veines ouvertes, partout cette attente d’une délivrance chimique qui tienne lieu de destin.

On ne sait plus ce que c’est qu’habiter un monde. Alors on s’endort dans les vapeurs du cannabis, on s’éveille dans l’éclair blanc de la cocaïne, on traverse la journée avec des pilules qui tiennent lieu de credo. Une génération entière vit sous perfusion d’oubli, et l’on voudrait croire qu’il s’agit d’un phénomène marginal. Non : c’est le nouvel ornement du siècle, l’aura toxique d’une civilisation qui n’a plus que cela à offrir — l’abrutissement comme consolation.

Vacarme sourd

Nos dirigeants eux aussi, avancent dans ce brouillard. On les voit, ces visages polis par les caméras, trembler parfois sous l’effort de la maîtrise. Ils parlent d’ordre, de sécurité, d’avenir ; mais leurs voix, à peine audibles sous les projecteurs, portent la fatigue d’une époque où l’on gouverne à la place du sens disparu. Eux aussi parfois cherchent refuge : dans la poudre, dans les psychotropes légaux, dans les illusions diplomatiques. Le pouvoir n’est plus vertical : il est vacillant, pareil à un funambule ivre qui avance au-dessus du vide.

La France, jadis figure de clarté, se déplace aujourd’hui dans une lumière trouble. Elle ne croit plus en la transcendance, ni en l’histoire, ni en la continuité ; elle s’est réfugiée dans l’instant, comme ces malades qui n’attendent plus rien du lendemain. La drogue n’est pas un produit : c’est une liturgie substitutive, la religion liquide d’un peuple qui a perdu sa mémoire.

A lire aussi, du même auteur: Une jeunesse musulmane orpheline de pères et assoiffée d’autorité

Et tout ce qui n’est pas chimique devient idéologique. On se convainc de progrès tandis que l’on glisse. On proclame la solidarité en évitant soigneusement la vérité. On vit dans un vacarme moral pour couvrir la rumeur sourde de la défaite. Les villes, la nuit, en portent la trace : odeur d’essence brûlée, pas pressés d’adolescents sans horizon, voitures qui flambent comme des cierges funéraires, sirènes perdues dans la profondeur des cités.

La France ne meurt pas : elle se nie. Elle se dissout dans un mélange de culpabilité, d’anomie, de jouissance triste. Elle se tient debout encore, à peine, telle une figure de roman russe, cherchant dans la douleur une noblesse qu’elle n’a plus le courage de conquérir.

La drogue n’est pas notre ennemie. Elle est la poésie noire de notre renoncement.

Et tandis que les dirigeants se débattent dans l’ombre, que la jeunesse se consume dans l’éclat bref des paradis chimiques, que les intellectuels anesthésient la catastrophe sous des discours usés, la France avance vers son propre crépuscule, lentement, magnifiquement, tragiquement — comme une cathédrale sans fidèles, où l’encens seul subsiste, tournoyant dans l’air vide.

La société malade

Price: 23,90 €

3 used & new available from 23,48 €

Le RN fout le bordel

0
Le député RN Jean-Philippe Tanguy, 3 novembre © NICOLAS MESSYASZ/SIPA

La pénalisation des clients ayant aggravé la situation des prostituées, le député Jean-Philippe Tanguy prépare un projet de loi pour rouvrir les maisons closes. Une excellente idée.


Le Rassemblement national veut rouvrir les maisons closes. Une idée qui affole le braillomètre et enrage les ligues de vertu féministe ne peut pas être mauvaise. Cette proposition de Jean-Philippe Tanguy de créer des bordels sans proxénètes, gérés par des femmes (pourquoi pas des hommes) qui décident librement de se prostituer est excellente d’un point de vue pragmatique et philosophique.

Touche pas à ma pute !

La loi de 2016 interdit de recourir aux services d’une prostituée mais autorise le racolage – comme si des boulangers avaient le droit de vendre du pain, mais qu’il était tout à fait interdit d’en acheter ! Comme l’observe Tanguy, elle n’a pas fait disparaître la prostitution. On trouve en outre sur internet de quoi satisfaire tous les fantasmes. Mais, en la plongeant dans l’illégalité, la loi a rendu les prostituées plus précaires. Cette activité doit donc être encadrée. La maison close apparait comme la solution la plus sûre, la plus digne, et la plus rationnelle économiquement (c’est une mise en commun de moyens, comme des avocats ou des médecins le font).

A lire aussi, Iannis Ezziadi: Les hommes préfèrent les trans

Mais en légiférant, on légitime, répliquera-t-on. Et on contredit l’objectif abolitionniste affiché par la France. Tant mieux. Cet objectif est ridicule, liberticide, paternaliste et lesté de puritanisme bourgeois. C’est une « fausse vertu, un faux humanisme qui déshumanise les prostituées », dit Tanguy qui en a croisé quelques-unes en faisant des maraudes dans sa jeunesse.

Arrêtons de mentir

Numéro 7 de « Causeur », novembre 2013.

Si la prostitution a existé sous tous les cieux et régimes, y compris quand on embastillait les « femmes de mauvaise vie », c’est qu’elle répond à une demande sociale. La prostitution a sauvé le mariage et la famille bourgeois et engendré des personnages inoubliables de putains magnifiques dans la littérature ou le cinéma, Nana chez Zola, Esther chez Balzac, Belle de jour avec Deneuve chez Buñuel… Ce n’est pas la prostitution qu’il faut combattre mais l’exploitation.

Non seulement les lois anti-prostitution ne parviennent pas à la supprimer, mais l’objectif de l’abolition est parfaitement illibéral. Au nom de quoi interdirait-on à des femmes de se prostituer ? Elles sont aliénées, me dit-on, mais quand t’es amoureuse à l’œil aussi. Personne ne peut décider pour l’autre ce qu’est être libre (c’est d’ailleurs pour cela que je ne veux pas restreindre le voile islamique au nom de la liberté des femmes, mais au nom de ma liberté de ne pas voir ce symbole d’inégalité).

A ne pas manquer: Causeur #140: Il était une foi en France

Certaines femmes considèrent que leur corps est un temple qu’on ne peut pénétrer qu’après en avoir fait huit fois le tour et signé un contrat, d’autres trouvent naturel de monnayer des actes sexuels, c’est leur droit à chacune. La prostitution fait peur, parce qu’elle concerne le désir, la sexualité, les tourments de l’âme humaine. Dès lors qu’il n’y a pas de violence, ce n’est ni à la société ni à l’État de décider dans quelles conditions des adultes libres s’adonnent au stupre et à la fornication. (En bon français, mêlez-vous de vos fesses).

Nana

Price: 4,20 €

92 used & new available from 1,47 €

Splendeurs et Misères des courtisanes

Price: 10,50 €

35 used & new available from 2,41 €


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale, avec Patrick Roger

Liste noire: la gauche lyncheuse se poutinise

0
Affichage de rue de l'extrème gauche contre Pierre-Edouard Stérin, Paris, décembre 2025. DR.

Après s’être attaqué à Pascal Praud, Complément d’enquête charge l’entrepreneur Bernard Arnault. Alors qu’il est en tête dans plusieurs sondages d’intention de vote, une plainte est déposée contre Jordan Bardella pour son « média training ».


La gauche lyncheuse a complété sa liste noire. Vincent Bolloré, Pierre-Edouard Stérin, Bernard Arnault, sont parmi les nouveaux proscrits. Ainsi font les Amis de la Terreur.

Les épurateurs détestent ceux qui ont fait fortune, qui leur tiennent tête, pensent mal, écoutent le peuple, lui donnent la parole. Tout cela fait du monde.

A lire aussi, Didier Desrimais: L’immigration, la science et les gardiens du temple médiatique

Parmi les journalistes, Pascal Praud a été promu pestiféré No 1, y compris dans une vidéo accusatrice de l’Élysée du 1er décembre. Ce week-end, le Nouvel Obs a fait sa couverture sur la star de CNews (« Profession propagandiste ») accusée d’« orchestrer la montée de l’extrême droite ». Le 21 novembre, Libération avait ouvert le tir à vue en titrant finement sur la « Praudpagande ». Jeudi, France 2 démolissait pour sa part, dans Cash Investigation, l’entrepreneur Bernard Arnault, patron de LVMH. Le même soir, l’extrême gauche tentait violemment de perturber La Nuit du Bien Commun, aux Folies Bergères : une œuvre caritative lancée initialement par le milliardaire catholique Pierre-Edouard Stérin.

Plus généralement, la « bollosphère », force médiatique construite par Vincent Bolloré, est désormais l’unique obsession du pouvoir et de sa presse labellisée. Celle-ci ne se résout pas à sa marginalisation par le numérique et les médias alternatifs, audiovisuels et écrits. Parmi eux, le magazine Frontières, dont le dernier numéro a révélé que le député LFI Raphaël Arnault, fiché S, a été définitivement condamné (quatre mois de prison avec sursis) pour « violences volontaires en réunion ». Parallèlement, Jordan Bardella, en tête dans les sondages pour la présidentielle, vient d’être visé opportunément par une plainte de l’association AC Corruption auprès du Parquet national financier, pour « favoritisme » et « détournement de fonds publics ». Bref, le progressisme en sursis a remobilisé ses sicaires.

A lire aussi: 🎙️ Podcast: Impuissance du gouvernement, entrisme islamiste à gauche, échecs et succès littéraires…

Les censeurs et les coupeurs de têtes n’ont qu’un ennemi en ligne de mire : le « populisme ». Il peut être aussi bien politique que scientifique, télévisuel, religieux, artistique, littéraire, etc. En fait, le populisme est là où l’opinion autorisée n’a plus prise. Autant dire que ce retour au bon sens est partout. La gauche, mélenchoniste et macronienne, est submergée par ce qu’elle appelle les « réactionnaires ». Mais ces dissidents ne sont autres que les Français excédés et réactifs. Longtemps bernés, ils récusent les certitudes et les mensonges de ceux qui prétendent les guider et les informer.

Les assauts contre la liberté d’expression sont menés par un pouvoir qui ne sait convaincre qu’avec le matraquage de sa police de la pensée. La poutinisation de la gauche a atteint Emmanuel Macron dans ses tentatives de contrôle de la parole sur l’internet (dont X, à travers ses algorithmes) et les chaînes privées. La haine que déversent les « humanistes » contre Praud et ses succès d’audience dévoile leurs intolérances. Pour avoir choisi de quitter son émission (L’heure des pros) il y a près de quatre ans sur un désaccord personnel, je reconnais d’autant plus volontiers, derrière le one-man-show de l’acteur, la justesse et l’efficacité de sa récente radicalisation face à un système en sursis qui lui-même se raidit, mais se noie.

Journal d'un paria: Journal d'un paria suivi de Bloc-notes 2020-21

Price: 11,99 €

1 used & new available from 11,99 €

Venezuela: une crise américaine, un sujet français

0
Caracas, juin 2025 © Ariana Cubillos/AP/SIPA

Alors que le ministre français des Affaires étrangères s’inquiète des opérations américaines contre le narcotrafic au large du Venezuela, il est nécessaire de regarder la situation sans naïveté ni œillères idéologiques. Le Venezuela, miné par les cartels, déstabilise toute la région… jusqu’à la Guyane française.


C’est l’un des navires les plus modernes au monde. L’USS Gerald R. Ford, 340 m de long, 100 000 tonnes, 4 000 marins, une escadre aérienne complète d’environ 70 appareils, tout cela pour un prix avoisinant les 13 milliards de dollars. Il a quitté la Méditerranée il y a quelques jours. Depuis la semaine dernière, il mouille dans les Caraïbes, à quelques centaines de kilomètres du Venezuela, puissance pétrolière devenue narco-État corrompu. Dans sa ligne de mire : le régime de Nicolás Maduro, bête noire de Donald Trump. Devant cette montée des tensions, la réaction de la France, puissance diplomatique, membre permanent du Conseil de sécurité… et puissance régionale, était attendue.

On oublie trop souvent que la Guyane, ce sont 84 000 km² de territoire français en Amérique du Sud, l’équivalent du Portugal ou de l’Autriche. Le 12 novembre, au G7 diplomatique au Canada, Jean-Noël Barrot a condamné fermement la stratégie américaine, estimant que ces opérations «s’affranchissaient du droit international».

On connaît l’anti-trumpisme du Quai d’Orsay, mais la réaction à tout de même de quoi surprendre. Car en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe, la France est en première ligne face au narco-État vénézuélien. Les routes maritimes et aériennes en provenance de Caracas structurent un trafic devenu un défi sécuritaire majeur. En 2024, les saisies de cocaïne ont bondi de plus de 30 % en Guyane, et de 180% en Martinique et en Guadeloupe. Et si les « narcos » vénézuéliens n’en sont pas les seuls responsables, leurs réseaux alimentent une violence hors-normes dans ces territoires, où le taux d’homicide est sept fois supérieur à celui de la métropole.

À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles

On peut débattre de la légalité des frappes américaines visant les embarcations chargées de drogue au large du Venezuela. Mais les faits sont connus : la criminalité a explosé parallèlement à l’effondrement économique du pays. Les cartels ont trouvé dans le chaos vénézuélien un terrain idéal où prospérer, corrompant police, armée et responsables politiques.

Les accusations de connivence entre autorités vénézuéliennes et narcotrafiquants ne sont pas infondées. Les États-Unis, dont la population forme le principal marché de la drogue, ont des raisons d’être mécontents, ne serait-ce que de l’inefficacité des mesures déployées par Caracas pour lutter contre les narcotrafiquants.

A lire aussi: Panama, Groenland, Canada: quand Donald Trump ravive la Doctrine Monroe

Dans ce contexte, il n’est pas illégitime qu’un État cherche des moyens pour se protéger de cette menace criminelle transnationale. Les frappes américaines relèvent de cette logique défensive. Selon Reuters, l’armée américaine a déjà détruit quatorze embarcations, tuant leurs occupants. Ces éliminations sommaires, sans jugement, posent la question de leur fondement juridique. Des experts du United Nations Human Rights Council les ont ainsi qualifiées d’«exécutions extrajudiciaires». S’il faut tenir compte de cette opinion, il faut aussi faire remarquer que ces frappes restent limitées

et précisément ciblées. Elles relèvent de mesures exceptionnelles, non d’une attaque contre la souveraineté vénézuélienne.

Un élément trop peu commenté tend à le confirmer : non seulement les forces armées et la police du Venezuela n’ont jamais été ciblées par les Américains, mais elles ne cherchent pas à protéger les embarcations visées. C’est pourquoi les pays latino-américains se sont contentés de protestations de façade. Tous savent que le Venezuela est devenu un narco-État dont les trafics empoisonnent le continent.

L’administration Trump use d’un ton abrupt, mais sa stratégie reste coercitive et calibrée. Rien qui ne ressemble à une invasion en préparation. Nous sommes loin des interventions à Grenade, Panama ou au Nicaragua qu’a pu opérer dans le passé « Oncle Sam ».

Regarder la situation avec lucidité

La France doit tenir compte de cette réalité. Le Venezuela n’est pas seulement un théâtre de confrontation entre Washington et Caracas : il s’agit d’un État effondré dont les réseaux criminels frappent notre propre territoire. Avant de condamner les États-Unis, il faut peser les responsabilités de chacun, les risques régionaux, et le coût humain de l’impuissance vénézuélienne.

L’Amérique latine n’a ni besoin d’un affrontement idéologique supplémentaire ni même de postures diplomatiques «de principe». Elle a besoin d’un réalisme froid : reconnaître les causes profondes de la crise et, surtout, oser affronter un narcotrafic qui dépasse très largement les frontières du continent. On sait depuis Thomas Hobbes que la principale justification à l’existence des États est la sécurité qu’ils apportent aux individus. Qu’ils soient américains ou européens, les États ne peuvent donc pas perdre ce combat.