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« Mon parti représente un judéo-christianisme conservateur et identitaire! »

Le premier a dédié sa vie à Dieu, le second à la France. Monseigneur Matthieu Rougé et Éric Zemmour n’étaient pas faits pour se rencontrer. Mais l’évêque de Nanterre, en pointe dans le combat contre les réformes bioéthiques, enseigne aussi la théologie politique au Collège des Bernardins. Et dans son dernier essai, le président de Reconquête ! appelle ses compatriotes à un « sursaut judéo-chrétien ». Dès lors, ces deux-là avaient beaucoup de choses à se dire.


Suite de la première partie.

Causeur. Monseigneur Rougé, bon nombre de jeunes adhèrent au « nationalisme judéo-chrétien » d’Éric Zemmour. Que leur répondez-vous ?

Monseigneur Matthieu Rougé © Photo : Hannah Assouline

Mgr Matthieu Rougé. Je passe beaucoup de temps avec les jeunes catholiques de mon diocèse. Beaucoup sont vraiment engagés, pas seulement sur le terrain de l’identité mais aussi sur celui de l’évangélisation, de la dignité humaine, de l’écologie intégrale ou du service particulièrement généreux des plus pauvres. Je pense notamment à leur implication dans le débat sur la fin de vie ou à leur proximité fraternelle avec des personnes handicapées. Ils sont souvent demandeurs de liturgie forte et nourrissante, mais aussi investis concrètement, au nom de l’amour qui jaillit de l’Évangile. On trouve parmi eux des jeunes attachés à des formes d’expression traditionnelle de la foi, ce que j’accueille et accompagne volontiers. D’autres ont des attentes différentes. La jeunesse catholique est plus variée que certains le croient. Ma mission d’évêque est de veiller sur chacun et de travailler à la communion de tous.

Et à ceux qui vous trouvent trop politiquement correct, que leur dites-vous ?

Mgr Matthieu Rougé. J’assume le refus de l’outrance, qui n’est qu’une caricature de la force véritable. J’ai par ailleurs la faiblesse de penser que ceux qui me lisent ou m’écoutent dans les médias généralistes reconnaissent que je m’y exprime avec vigueur. Quand les critiques s’équilibrent, entre ceux qui vous jugent trop affirmatif ou pas assez, c’est sans doute parce que vous avez trouvé le ton juste.

Eric Zemmour. Vous n’êtes peut-être pas conformiste, mais vous me faites penser aux élites macroniennes qui, dès qu’on les entretient d’un problème, nous expliquent que c’est plus compliqué que cela. Vous embrouillez tout avec vos « en même temps » qui permettent de ne répondre à rien. Alors certes, sur la fin de vie, je ne suis pas en désaccord avec vous. Évidemment une pseudo-modernité a déifié la technique et foulé au pied la dignité humaine. Et je ne doute pas que vous soyez engagé, sans détour ni faux-semblant, contre cette dérive. Sauf que votre pensée devient soudain plus complexe quand je vous parle d’identité chrétienne, d’identité nationale, occidentale, européenne, mise en danger par le mantra de l’ouverture absolue de l’Église qui, depuis cinquante ans, est en train de tuer nos pays et le catholicisme en Europe.

Mgr M. R. Je ne crois pas que le refus du simplisme ou le sérieux de la pensée soit l’apanage de ce que vous appelez les « élites macroniennes ». Le christianisme est la religion de la richesse et de la profondeur du paradoxe humain et divin : l’homme libre et enraciné, cœur et corps, individu fait pour la relation, est sauvé par Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, mort et ressuscité, entré dans l’Histoire et à jamais vivant. Il enjoint à ses disciples d’annoncer sa bonne nouvelle sans violence, mais avec la vigueur de l’amour.

JMJ 2023 à Lisbonne : rassemblement de jeunes catholiques français

Revenons aux affaires terrestres. Monseigneur Rougé, si Éric Zemmour veut mobiliser nos racines « judéo-chrétiennes », c’est pour forger une alliance défensive face à l’islam. Or l’Église et vous-même répugnez à vous définir par rapport à cette religion, comme si l’idée d’une différence radicale vous heurtait. Pensez-vous qu’il y a une unité du monothéisme, comme le suggèrent ceux qui parlent de « trois religions du livre » ?

Mgr M. R. L’expression « religions du livre » n’est pas adéquate. Juifs et chrétiens, dans leur profonde parenté, sont religions de la Parole. Avec nos frères et sœurs juifs, nous avons en commun, pour le bien du monde, la richesse insurpassable du dépôt biblique. Cela rejoint ce que je disais sur la dignité humaine. C’est ce qui m’a conduit, par exemple, à signer une tribune sur la fin de vie avec mon ami le rabbin Mickael Azoulay en écho à l’invitation du Deutéronome : « Choisis la vie ! » Pour nous, l’histoire de la liberté humaine ne commence pas avec la Chute, mais la précède. Elle fait partie de la beauté et de la bonté en un sens inaltérables de la personne humaine. Certes la liberté donnée par Dieu à l’homme lui a permis de se rebeller contre Lui, de faire son malheur en s’imaginant trouver le véritable bonheur. Mais ce n’est pas le dernier mot de la liberté puisque Dieu vient à la recherche de l’homme blessé. Le judéo-christianisme, c’est cette parenté profonde, spirituelle, culturelle, éthique, entre la Première et la Nouvelle Alliance. La vitalité de ce judéo-christianisme est décisive pour la vitalité du monde. Ce serait réducteur et contre-productif de le réduire à une alliance politique de circonstance.

E. Z. Nous sommes au cœur de notre désaccord ! J’ai d’ailleurs le même désaccord avec les institutions juives prétendument représentatives. Les institutions font semblant de croire qu’il n’y a aucun danger et déroulent un discours antiraciste. Et des deux côtés, juif et catholique, la base comprend le danger mortel que représente une civilisation en train de nous remplacer par le nombre, par le prosélytisme et par la violence physique. Ce décalage est vraiment cruel, terrible pour tout le monde, pour l’institution catholique, les institutions juives et le « petit peuple » qui subit la violence que les institutions favorisent. C’est pour cela que j’ai écrit mon livre. Monseigneur, je pense vraiment qu’au-delà de votre langue de bois « macronienne », que vous maniez avec beaucoup de talent il faut bien dire, vous devez prendre conscience de cette réalité cruelle. Beaucoup de jeunes catholiques militent dans mon parti. Tous les mois, j’en invite plusieurs à dîner et à discuter autour d’un livre. J’entends leur souffrance à laquelle vous ne répondez pas. C’est tragique.

Mgr M. R. Je passe l’essentiel de mon temps avec des fidèles, ou moins fidèles, aux générations, aux histoires, aux sensibilités, aux approches extrêmement variées. Je m’efforce de me mettre à leur écoute. À titre personnel, je n’ai jamais vécu dans la France unanimement chrétienne dont certains serinent la nostalgie. Dans les lycées publics de ma jeunesse, j’étais assez seul comme chrétien et souvent montré du doigt. J’y ai pris goût à témoigner de ma foi face à des contradicteurs, par exemple à l’époque des professeurs communistes affichés. Il n’y a pas d’un côté l’institution et de l’autre ce que vous appelez le « petit peuple », et que j’appelle le « grand peuple de Dieu », le « saint peuple de Dieu ». Je vis constamment avec lui et je partage ses joies et ses peines, ses inquiétudes et ses angoisses. Je n’oublie jamais l’avertissement de Georges Bernanos, que j’aime comme vous, dans La France contre les robots : « On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration contre toute forme de vie intérieure. » Ma priorité n’est donc pas identitaire, mais spirituelle.

E. Z. Quand j’évoque le « petit peuple », je m’y inclus et je le dis avec une grande affection.

Monseigneur Rougé, dans son discours de Ratisbonne, Benoît XVI a osé établir une différence entre le christianisme et l’islam, dans leur rapport à la Raison. En revanche, si vous élevez le débat, vous répugnez décidément à prononcer le mot « islam ».

Mgr M. R. Je suis l’évêque d’un diocèse dans lequel la communauté musulmane est nombreuse, et parfois traversée par des courants violents. L’inquiétude que cela peut susciter, je l’entends. Le christianisme n’est pas une « religion du Livre », je l’ai déjà dit et je n’ai pas attendu le cher Benoît XVI, si j’ose dire, pour savoir qu’islam et christianisme ont des grandes différences. Vis-à-vis des non-croyants et des croyants d’autres religions, les chrétiens ont à articuler deux attitudes : le dialogue et le témoignage de la foi. Ne pas s’arrêter au dialogue au détriment de la mission, ni prétendre être missionnaire en oubliant le dialogue qui crée le contact. Si les chrétiens veulent vraiment que le christianisme ne s’efface pas, alors qu’ils vivent plus intensément leur foi chrétienne, par leur vie de prière, de service, de témoignage, de choix éthiques quotidiens et décisifs. Rien dans la France d’aujourd’hui ne les en empêche.

E. Z. Vous insistez sur le mot « dialogue ». Je distinguerai deux types de dialogues. D’une part le dialogue individuel qui, vous avez raison, est toujours fécond. D’autre part le dialogue des religions, qui est un échec absolu entre le christianisme et l’islam, tout simplement parce que l’islam ne reconnaît pas le christianisme. Pour les musulmans, votre religion est un dévoiement de l’islam. Pour eux, nous sommes tous musulmans depuis notre naissance. Et si nous ne l’acceptons pas, c’est que nous avons trahi. Et puis vous ne dites rien des pauvres apostats de l’islam qui tentent de se convertir au christianisme et sont menacés, parfois tabassés, car dans le Coran ils sont condamnés à mort. D’après tous les témoignages que j’ai, ils ne sont guère protégés par l’Église.

Mgr M. R. Je connais les souffrances de certains musulmans devenus chrétiens. Dans mon diocèse, nous baptisons chaque année plusieurs centaines de catéchumènes, dont les provenances religieuses sont variées. Nous travaillons à mieux accompagner ceux que le choix de devenir chrétien isole ou menace.

E. Z. Il y a des attitudes individuelles qui vont bien sûr à l’encontre de ce que je dis, mais la politique générale de l’Église n’est pas très courageuse.

Ecclesia et Synagoga (l’Église et la Synagogue), Notre-Dame de Paris. Wikimedia

En plus de la menace existentielle que l’islam fait peser, selon Éric Zemmour, sur la civilisation européenne et française, il y a aussi la perte de repères au sein même du culte catholique. Lors de Vatican II, l’Église n’a-t-elle pas initié son propre désenchantement ?

Mgr M. R. L’œuvre du concile Vatican II est d’une grande ampleur. Le travail fait, par exemple, pour permettre au plus grand nombre de s’approprier vraiment en adultes modernes et pleinement croyants les trésors de la Bible est extrêmement important. La réconciliation engagée par Vatican II entre juifs et chrétiens constitue un événement historique majeur. Nous avons effectivement connu une période iconoclaste dans la liturgie catholique durant les années 1970. À bien des égards, nous en sommes revenus. Songez que cet été, un million de jeunes du monde entier se sont réunis en adoration nocturne devant le Saint Sacrement, dans un silence unanime, avec le pape Léon XIV guidant leur prière. Si ce n’est pas une affirmation paisible et profonde du cœur de la foi chrétienne, je ne sais pas ce que c’est !

E. Z. Sur ce point nous serons d’accord. On assiste à un renouveau chrétien, encore timide. Vous le désignez comme une réaffirmation spirituelle, moi j’y vois plutôt la réponse au choc d’un islam affirmé par des jeunes musulmans qui sont souvent vindicatifs dans leur identité religieuse. Devant cela, une certaine jeunesse chrétienne, qui n’a pas toujours reçu une éducation religieuse aussi poussée que par le passé, se pose des questions nouvelles, et on leur donne des réponses. Je trouve cela très bien. J’espère juste qu’il ne s’agit pas d’un feu de paille.

Mgr M. R. Ce réveil ne sera pas un feu de paille à condition que, quelles que soient les motivations d’un chemin vers l’Église, il conduise à un véritable enracinement.

Il faut aussi compter à présent avec le réveil du catholicisme américain.

Mgr M. R. Ce phénomène intéressant n’est d’ailleurs pas d’abord identitaire. La figure emblématique de Charlie Kirk, qui était évangélique, n’est qu’un aspect de ce qui fourmille outre-Atlantique. Mes amis évêques ou intellectuels américains, qui ne veulent se résoudre ni au wokisme, ni au rêve post-humaniste de la tech, ni à la violence politique, font preuve d’un dynamisme très stimulant pour nous. Leur situation spirituelle et culturelle nous aide à comprendre que les défis contemporains ne se limitent pas à la question de l’islamisme, mais touchent aussi la révolution technologique et les gigantesques questions anthropologiques qu’elle suscite avec de plus en plus de rapidité.

E. Z. Comme chaque mouvement révolutionnaire, le réveil chrétien s’est préparé intellectuellement en France, puis a éclos en Amérique avant de revenir chez nous. Déjà aux xviiie siècle, les Lumières anglaises et françaises ont préparé l’indépendance américaine de 1776, laquelle a préparé la Révolution de 1789. Cette fois-ci, les prémices du sursaut catholique américain se trouvent dans la Manif pour tous française. Ça me rend heureux. D’autant que mon parti, Reconquête !, représente une des incarnations de ce mouvement-là : un judéo-christianisme conservateur et identitaire. Sous le pape François, il était regardé de travers au Vatican. Mais je ne sais pas ce qu’en pense son successeur Léon XIV. Je crois en tout cas qu’il aurait plu à Jean-Paul II et à Benoît XVI, tous deux conscients que les catholiques sont devenus une minorité en France. Et que les églises y sont pillées.

Mgr M. R. Vous voulez dire que quelques églises subissent parfois des dégradations. Ne faites pas votre journaliste de plateau, qui reste à la surface des choses… Ce qui est vraiment important se joue dans la profondeur des cœurs.

E. Z.  Oui je sais, c’est plus compliqué que cela (rire).

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Bardella-Farage: le nouveau «power couple»

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En visite au Royaume Uni, le chef du Rassemblement national a tout bien fait pour plaire aux Britanniques inquiets de la crise migratoire.


L’union des droites, à défaut de se faire dans l’hexagone pour l’instant, traverse la Manche. Hier, l’homme politique le plus populaire de France, selon les sondages, est allé à Londres à la rencontre de l’homme politique le plus populaire du Royaume Uni. Entre Jordan Bardella et Nigel Farage, le courant devait passer.

Presque tout les rapproche en principe, de la détermination à maîtriser l’immigration et les frontières à une préoccupation commune de la faiblesse géopolitique du Vieux continent. Ami de Donald Trump, M. Farage assume certainement le diagnostic du nouveau document sur la Stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis concernant le risque d’un « effacement civilisationnel » en Europe. De son côté, M. Bardella a confié à la BBC, au cours d’une interview de 47 minutes accordée lors de son passage dans la capitale britannique, qu’il était plutôt d’accord avec ce constat, sans souhaiter que la France se laisse vassaliser par quelque grande puissance que ce soit. 

Un amour contrarié mais une fin heureuse

Autrefois, en tant qu’eurodéputé, Farage se montrait très réticent à l’égard de toute coopération avec la formation politique créée par Jean-Marie Le Pen. Mais à partir de 2017, il s’est laissé convaincre par l’opération de dédiabolisation conduite par Marine Le Pen, allant jusqu’à déclarer cette année-là qu’il pensait qu’elle ferait une très bonne présidente de la République française. À ce moment-là, le RN affichait un euroscepticisme qui a dû plaire à l’homme du Brexit, mais même quand, par la suite, Marine Le Pen a minoré cette tendance, une affinité profonde a persisté au sujet de l’immigration. En tant que remplaçant potentiel – en vue de 2027 – de la présidente du groupe RN à l’Assemblée, Jordan Bardella a été accueilli hier par le chef de Reform UK comme un véritable frère d’armes.

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Leur couple fait nécessairement contraste avec celui, cordial mais sans grand enthousiasme, d’Emmanuel Macron et sir Keir Starmer. Le président français et le Premier ministre britannique prétendent tous les deux comprendre les inquiétudes de leur population à propos de la question migratoire, mais les solutions adoptées par eux se révèlent parfaitement inadéquates. Starmer qui, une fois élu à la tête de son pays, a annulé le projet que les Conservateurs avait développé pour envoyer les migrants illégaux au Rwanda, serait tellement désespéré aujourd’hui que son gouvernement aurait commencé des pourparlers avec la Macédoine du Nord pour y créer un hub. En France, le chef de l’État est incapable de peser sur la relation franco-algérienne de manière à pouvoir réduire le nombre d’immigrés qui viennent en France ou rapatrier ceux qui se trouvent sous OQTF.

Divergence des priorités, convergence des intérêts 

Dans le Pas-de-Calais, les opérations des trafiquants de migrants nuisent grandement à la qualité de vie des habitants, mais les médias français s’intéressent relativement peu à cette question. En revanche, côté anglais c’est le drame. Les médias, les politiques et les électeurs britanniques sont justement obsédés par le spectacle quotidien de la porosité de leurs frontières. Jusqu’ici, les autorités des deux pays se sont renvoyé la balle pour la responsabilité de cette situation. Les Britanniques reprochent aux Français de ne pas faire assez d’efforts pour patrouiller leur cote. Les Français reprochent à la perfide Albion de ne pas faire assez d’efforts pour réduire les facteurs « pull » en combattant, par exemple, le marché noir de l’emploi. De temps en temps, la presse anglaise s’excite quand elle entend parler de propositions, côté français, pour adopter de nouvelles tactiques contre les bateaux-taxis de migrants, comme intercepter les pneumatiques dans l’eau ou les immobiliser avec des filets. Mais en vain.

Cette année, Macron a donné un os à ronger à Starmer, un petit os. Il s’agit de l’accord dit « one in, one out », par lequel un certain nombre de migrants ayant traversé la Manche sont renvoyés en France, tandis que le même nombre de migrants en France ayant un solide prétexte pour trouver refuge au Royaume Uni sont envoyés sur le sol anglais. Les fruits de ce programme pilote, lancé en août, sont bien maigres. Fin novembre, 153 migrants avaient été renvoyés en France, et 141 sont arrivés côté anglais. Pas de quoi décourager les trafiquants et leurs clients dont le nombre ayant réussi la traversée cette année a augmenté de 16% par rapport à 2024.

Si MM. Bardella et Farage sont élus en 2027 et 2029, ils feraient sûrement mieux. Ayant déjeuné avec son homologue anglais, Bardella a confié au quotidien le Daily Telegraph que, une fois au pouvoir, il ferait tout le nécessaire pour mettre fin au trafic migratoire transmanche. Il modifierait le règlement afin de permettre aux Britanniques de refouler les bateaux de migrants en les escortant jusqu’aux eaux territoriales françaises. Afin de convaincre les Britanniques de son sérieux, il affirme avoir l’intention d’appliquer la même politique dans la Méditerranée, c’est-à-dire qu’il amènera l’UE à adopter la même pratique en refoulant les bateaux de migrants qui tentent de quitter les eaux territoriales de la Libye ou de la Tunisie.

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A ceux qui, de manière prévisible, critiqueraient cette politique sur le plan humanitaire, il a déjà une réponse : de telles mesures n’auraient pas besoin d’être en place très longtemps si, comme il le souhaite, les frontières de la France et de l’UE sont véritablement maîtrisées. Son programme pour l’hexagone – renvoi de migrants clandestins, expulsion des criminels étrangers, accès prioritaire pour les citoyens français aux logements sociaux et aux aides sociales – fera de la France « le pays le moins attractif en Europe pour l’immigration de masse ».

La jalousie est le miroir de la laideur

La rencontre Bardella-Farage intervient au moment où presque une trentaine de pays européens membres du Conseil de l’Europe et signataires de la Convention européenne des droits de l’homme tentent de convaincre la Cour européenne d’appliquer les principes de la Convention de manière à ne pas empêcher les différents États d’expulser des étrangers coupables de crimes sérieux. Si leurs efforts s’avèrent couronnés de succès en pratique, ce ne sera qu’un petit pas vers la maîtrise de l’immigration de masse et la prévention d’un possible « effacement civilisationnel ».

Afin de renforcer l’idée d’un nouvel axe Paris-Londres, Jordan Bardella a posté sur son compte Instagram une photo de lui devant la statue londonienne du Général de Gaulle. On ne peut pas éviter de penser à un autre duo – De Gaulle-Churchill – qui a sauvé l’Europe et à côté duquel le duo Macron-Starmer fait pâle figure.

En France, les macronistes n’entendent pas les choses de cette oreille. Nathalie Loiseau, eurodéputée centriste et ministre en charge des Affaires européennes de 2017 à 2019 – et donc à l’époque du Brexit – a commenté la photo de M. Bardella sur X. Elle se permet de douter du patriotisme du chef du RN, puisqu’il s’affiche en compagnie de Nigel Farage qui « ne cesse de dénigrer la France ». On comprend: de dénigrer la France d’Emmanuel Macron.

https://twitter.com/NathalieLoiseau/status/1998444919900324075

En tête de son compte sur X, Mme Loiseau, en toute modestie, affiche une photo du grand Winston… En réalité, ne serait-elle pas tout simplement un peu jalouse ? Et si les perspectives d’avenir n’appartenaient pas aux deux canards boiteux actuellement au pouvoir de chaque côté de la Manche, mais plutôt au couple Bardella-Farage ?

Un film qui fait penser à Maupassant

Dans une vaste demeure bourgeoise de province, un curieux pacte va se nouer…


On parierait que La Condition, le nouveau film du talentueux Jérôme Bonnell, est tiré d’une de ces nouvelles ancillaires de Maupassant dont on raffole. En réalité, le livre qu’il transpose sur grand écran, Amours de Léonor de Récondo, date de 2015 et son action se situe en 1908, date postérieure à la mort du grand écrivain. Et pourtant, la filiation avec l’auteur de Boule de suif ne se dément pas.

Jugez plutôt : « C’est l’histoire de Céleste (Galatéa Bellugi), jeune bonne employée chez Victoire (Louise Chevillotte) et André (Swann Arlaud). C’est l’histoire de Victoire, de l’épouse modèle qu’elle ne sait pas être. Deux femmes que tout sépare mais qui vivent sous le même toit, défiant les conventions et les non-dits. » À travers ses sept films précédents, Bonnel nous avait habitués à des récits contemporains, à l’instar du très réussi J’attends quelqu’un qui décrivait avec une infinie délicatesse la longue relation entre une prostituée (Florence Loiret-Caille) et son client régulier (Jean-Pierre Darroussin). Il signe son premier film en costumes et sa première adaptation littéraire sans rien perdre de son brio et de sa singularité.

C’est avec une délectation non feinte et une précision malicieuse que Bonnell prend pour cible une certaine bourgeoisie française qui se voit alors comme une nouvelle aristocratie imposant son conformisme et son hypocrisie. Dans la pure tradition de la meilleure littérature hexagonale du XIXᵉ siècle, on retrouve un personnage central récurrent aussi bien chez Balzac, Flaubert ou Zola : le lieu, sinon du crime, du moins de l’étouffement familial et amoureux puisque tout ou presque s’y déroule à huis clos. Dans le cas présent, il s’agit d’une grande demeure bourgeoise et provinciale à la géographie intérieure parfaitement calquée sur l’ordre établi : chacun à sa place, comme chez le Renoir de La Règle du jeu. Mais la « condition » trouve une tout autre traduction au fil de l’histoire. Maîtres et valets vivent dans ce décor codifié où chaque chambre ou presque semble contenir un secret, où un pas de côté est une déviance. À l’image de cet austère bureau de notaire dans lequel le maître de maison, époux repoussé, doit dormir sur un lit de camp aussi triste que sommaire. À l’image également d’une autre chambre, celle occupée par la mère d’André et que joue à la perfection la toujours surprenante Emmanuelle Devos. On l’avait connue sourde dans Sur mes lèvres chez Jacques Audiard, elle est ici mutique et alitée en permanence, livrant de bout en bout une incroyable performance d’actrice. D’autant plus qu’il s’agit de camper une « méchante », comme la voit son entourage, y compris son propre fils. Or, derrière sa brutalité se dissimulent une franchise et une sincérité qui détonnent dans ce monde feutré où tout se dit à demi-mot dans un hypothétique mentir-vrai érigé en règle d’or indépassable.

Une fois posés le décor et les personnages, le film peut dérouler son récit, celui d’un « arrangement » où se mêlent viol domestique, grossesse et « adoption » dans un étonnant ballet de dupes. L’alliance qui se noue alors entre la maîtresse et sa servante prend des allures de pied de nez aux usages et autres convenances. Jérôme Bonnell excelle à rendre compte d’un pacte implicite où les mots sont rares, où tout se joue entre respectabilité sociale et désir d’émancipation.

Durée : 1h43


Robinson Crusoé, un anti-héros sauvé par une production intrépide

Coproduction du Théâtre des Champs-Elysées, des opéras de Rennes, Nantes et Angers, soutenue par le Centre de Musique romantique française de Venise, cette plaisante résurrection d’un opéra comique d’Offenbach évoque un naufrage qui ne fera pas celui de ses auteurs.


Voilà un Robinson Crusoé qui ne risquera probablement plus d’être oublié, ni de croupir sur son île durant quarante nouvelles années. Quarante ans en effet se sont écoulés depuis que le Robinson Crusoé d’Offenbach a été pour la dernière fois porté à la scène en France. C’était en 1986, dans une réalisation menée par le spirituel Robert Dhéry. Et puis plus rien, quand tant de magnifiques productions d’ouvrages de Jacques Offenbach ont perpétué son génie comique. Et parmi elles, mieux peut-être, au-dessus d’elles, les exceptionnelles réalisations dues aux talents conjugués de Laurent Pelly et d’Agathe Mélinand, accompagnés de Marc Minkowski, et devenues des archétypes de ce qu’il faut savoir faire pour rendre justice au géant de l’opéra-bouffe.

Politiquement correct

Si Robinson s’est maintenu au répertoire en Allemagne, en Italie, en Grande-Bretagne ou en Russie, on soupçonne qu’en France le politiquement correct ait compromis la survie de cet opéra comique mettant en scène des Européens perdus parmi les sauvages. Car il y a bien évidemment des sauvages dans Robinson Crusoé. Et même d’effroyables anthropophages !

 « On se retrouve donc, avance la dramaturge Agathe Mélinand, face à un problème racial et raciste qui ne peut raisonnablement se résoudre en mettant en scène un chœur dont les visages sont maquillés en noir, ou en acceptant les allusions à la suprématie des blancs ». Des allusions à l’évidence devenues fort délicates, sinon dangereuses, dans une société où les susceptibilités de beaucoup au sujet des confrontations entre cultures, origines ethniques et degrés de civilisation anéantissent effectivement toute velléité d’humour un peu grinçant ou carrément féroce.

On peut aussi penser que cette tentative d’opéra comique chez un Offenbach qui tenait à se dépêtrer de sa réputation glorieuse d’auteur d’opéras bouffes et aspirait à écrire de grands opéras labellisés comme tels, n’a pas été l’une de ses plus belles réussites et qu’on hésite à s’en saisir à nouveau. L’adaptation du roman de Defoe, malgré le livret très habile et très amusant d’Hector Crémieux et d’Eugène Cormon, ne débouche pas sur un scénario bien palpitant. Et la partition d’Offenbach, aussi soignée et ambitieuse soit-elle, n’a pas le panache de ceux de La Belle Hélène ou de La Grande duchesse de Gerolstein. Et il approche moins encore des splendeurs des Contes d’Hofmann.

Un îlot de misère

Il a fallu la volonté et la griffe de Laurent Pelly, l’esprit d’Agathe Mélinand et la fougue de Marc Minkovsky pour conférer autant d’éclat à cette résurrection. Et il faut beaucoup d’humour et de mordant pour donner vie à un scénario tout de même un peu mince. S’y ajoutent la remarquable participation du Choeur Accentus, l’intervention emballante des Musiciens du Louvre dirigés par Marc Minkowski et de toute une pléiade de solistes aussi remarquables chanteurs que bons acteurs.

De la demeure très convenue de membres de la gentry anglaise dans laquelle le jeune écervelé est né des amours de sir William et de lady Crusoé, jusqu’aux aux misérables tentes de sans-abris où, faute d’île déserte, c’est dans un îlot de misère qu’il a échoué, le naufrage de Robinson est surtout un naufrage social.

© Vincent Pontet

La brute de Washington

Tout comme Offenbach et ses librettistes prirent en 1867 de très audacieuses libertés avec le roman de Daniel Defoe paru en 1719, et à l’instar de Daniel Defoe lui-même avec les authentiques mésaventures du marin Alexander Selkirk (1676-1721), Laurent Pelly et Agathe Mélinand ont joyeusement chamboulé l’univers du Robinson Crusoé jadis créé Salle Favart.

Et les tableaux les plus réussis, ceux qui permettent aussi la plus grande fantaisie, représentent les amis de Robinson partis à leur tour à l’aventure pour retrouver leur cher disparu et tombant aux mains des ignobles cannibales. Ces derniers sont tous représentés sous les traits abominables de Donald Trump. Et cette formidable insolence déclenche au sein de public des rires et des applaudissements qui disent tout des sentiments que l’on porte en France à la brute de Washington.

Si le spectacle est si réussi, il le doit évidemment beaucoup à la qualité des solistes composant une distribution remarquable et campant excellemment leurs personnages. De très belles voix, surtout parmi les rôles féminins (Julie Fuchs, très bien en Edwige, Emma Fekete, délicieuse Suzanne, Adèle Charvet, excellent(e) Vendredi) ; des chanteurs-acteurs attachants (Julie Pasturaud, Laurent Naouri, Rodolphe Briand) et deux protagonistes vif-argent, Sahy Ratia (Robinson) et Marc Mauillon (son ami Toby). Tous concourent  à ce que Robinson Crusoé  reçoive un accueil véritablement triomphal du public. Mais si le Robinson Crusoé d’Offenbach doit rependre une place qu’il avait perdue depuis si longtemps au répertoire des théâtres, il faudra impérativement qu’il soit à l’avenir aussi spirituellement servi que par le trio qui a présidé à sa joyeuse renaissance.


Robinson Crusoé, de Jacques Offenbach.

Théâtre des Champs-Elysées Jusqu’au 14 décembre 2025.

La langue de l’antisémitisme

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Dans son récent ouvrage, La haine en toutes lettres (Éditions FYP, octobre 2025), Yana Grinshpun établit un répertoire des agents de l’antisémitisme contemporain à travers leurs discours. Car nous dit-elle, de nos jours, « la croyance dans la performativité du langage permet aussi de s’affranchir du principe de réalité. Il faut comprendre cette nouveauté idéologique dans une aire culturelle qui octroie un pouvoir exorbitant au discours en tant que creuset principal des réalités qui nous entourent. Dans cette perspective, l’histoire, la filiation, la mémoire, les origines, l’appartenance nationale n’existent pas, seuls existent des constructions narratives, des récits. »

Cambriolage idéologico-lexical

En linguiste aguerrie, Yana Grinshpun dissèque les récits et les mythes anti-Juifs pour y débusquer les mots-clés modernes qui sont autant de signaux codés de la vindicte judéophobe, et les connotations perverses qui résonnent en écho des antijudaïsmes ancestraux chrétiens ou musulmans. La perversion de la langue par l’antisémitisme est ainsi mise à nu, du négationnisme au palestinisme en passant par le révisionnisme historique, du discours savant au discours militant en passant par « le discours du droit », de la désinformation à la propagande en passant par « la langue anti-juive des intellectuels juifs et israéliens » eux-mêmes.

Les procédés de substitution et d’inversion victimaire sont essentiels dans le narratif anti-Juifs d’aujourd’hui. D’une part, « tout le récit palestinien est construit sur le cambriolage idéologico-lexical. Les termes de l’histoire juive, de la situation juive, des persécutions juives sont repris sur le compte d’une narration antijuive. Les Juifs sont ainsi expulsés de leur propre récit. » D’autre part, l’assimilation des Juifs aux nazis est désormais devenue courante, des manifestations contre « l’islamophobie » aux tags qui envahissent les murs des villes.

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Mais à l’origine, les promoteurs de cette inversion monstrueuse sont « les propagandistes soviétiques [qui] s’inspirent des nazis en recourant à l’inversion simple. Le « judéo-bolchévisme » des nazis est transformé en « nazi-sionisme ». » La connaissance intime de Yana Grinshpun de la réalité soviétique constitue en effet une des grandes qualités de cet ouvrage : les passages illustrés sur la propagande outrageusement antisémite diffusée en URSS dans les années 1960-70 sont extrêmement intéressant pour un public français peu au fait de cette caractéristique du totalitarisme soviétique. Sa maîtrise de la langue russe permet d’ailleurs également à Yana Grinshpun de démêler l’écheveau des fils entrecroisés entre l’expansionnisme russe poutinien et l’entrisme islamiste à travers la convergence anti-juive.

Compilation d’absurdités

Par des allers et retours entre passé et présent antisémites, Yana Grinshpun fait ainsi des rappels historiques indispensables pour déconstruire des affirmations mensongères d’aujourd’hui où, nous dit-elle, « à l’ère du relativisme culturel, l’une des croyances diffusées par l’idéologie dominante permet de postuler que tous les « récits » ou, comme on aime dire aujourd’hui, tous les « narratifs » se valent. » En historienne des idées -fausses-, elle revient notamment sur la situation des Arabes de la grande Syrie sous l’empire ottoman puis les plans de partage successifs de la région élaborés par les Britanniques, certains avec leurs partenaires arabes dès 1915, et avec les Français par ailleurs, dont les « territoires disputés » de Judée-Samarie en particulier sont d’une certaine façon les héritiers.

L’ouvrage très dense, compile également les théories tordues des incontournables figures tutélaires de la gauche intellectuelle, Eward Saïd, Noam Chomsky et Judith Butler en tête. Ne sont pas oubliés non plus les antisionistes juifs, « véritables coqueluches des antijuifs » comme Shlomo Sand, ou Ilan Pappé peut-être moins connu en France, à qui on doit la banalisation du terme « génocide progressif ». « Apparemment, torturé par la jalousie à l’égard de la créativité lexicale de son illustre compatriote, Yeshayaou Leibovitz, inventeur de l’expression « judéo-nazi », pour critiquer l’administration militaire des territoires disputés, Pappé a employé toute son énergie à diffuser le négationnisme le plus élémentaire dans le monde académique, associatif et militant. »

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Sous l’égide de Victor Klemperer décryptant « la langue du IIIème Reich », Yana Grinshpun analyse donc, selon sa formule, « la formation d’un ordre linguistique et politique qui a pénétré jusqu’aux usages de ceux contre qui il a été créé ». Et citant Vladimir Jankélévitch, elle met en évidence le travail de la langue, ce processus essentiel dans l’imprégnation idéologique car « en parlant, nous réveillons les stéréotypes tombés en léthargie et nous réactivons leur venin ; les radotages accumulés redeviennent virulents. Le rhéteur déclenche à nouveau une mécanique faite d’associations, de constellations verbales et d’idées reçues. Le langage, obéissant aux affinités et résonances qui se créent entre les mots, ne cesse de véhiculer des partis pris venus du fond des âges. »

Si Yana Grinshpun fait la part belle, pourrait-on dire, aux anti-Juifs de gauche, ne consacrant du côté droit, qu’un développement conséquent au fameux discours de Charles De gaulle en 1967, elle semble pourtant renvoyer dos-à-dos les antisémites de droite et de gauche ce qui est un peu troublant. Discutable également peut-être, son usage du concept « d’Eurabia » et certaines assertions à l’emporte-pièce qui affaiblissent parfois ses démonstrations linguistiques par ailleurs brillantes. Car le pessimisme que nous inspire l’époque irradie inévitablement cet excellent ouvrage. Pour Yana Grinshpun, « la haine des Juifs ne disparaîtra jamais ; elle change seulement de masques discursifs. La « bouillie sémantique » qui s’impose dans la langue commune n’est pas seulement ignorance, suivisme ou romantisme militant. Elle incarne « l’acmé de la destruction civilisationnelle », le signe du retour de la barbarie, où homo hominis Judeus est. »

288 pages

Rire des antisémites, même après le 7-Octobre

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Dans son précédent album, Antoine Chereau avait réussi à nous faire rire de la France sous l’emprise du Covid. Ce nouvel opus, coécrit avec son épouse Isabelle, nous déride face à l’antisémitisme.


Il manque un mot dans le titre de l’album … comme un Juif en France. Jadis, ce mot c’était « heureux ». L’expression rendait hommage à la décision d’accorder la citoyenneté française aux membres d’un peuple plus souvent exclu qu’élu et disait tout le bonheur que signifiait alors l’intégration à une société politique pour qui tous ceux qui la composent sont égaux. Mais ça, c’était avant. C’était même il y a longtemps. Et aujourd’hui ?

Terrible constat

Dans les trois points de suspension qui ouvrent le titre, il y a un terrible constat, celui de la dégradation de la condition des juifs de France et encore beaucoup d’espoir : il est peut-être possible d’éviter que l’expression commence par « chassé » ou « traqué ». Tout ce paradoxe est résumé dans le dessin de couverture, où l’on voit un personnage pris dans le halo d’un projecteur destiné à traquer les fuyards. Mais avec ses yeux tout rond, sa bouille sympathique, c’est l’effet comique qui l’emporte : on n’est clairement pas dans un thriller et si les auteurs sont conscients de la gravité du moment, ils n’ont pas oublié que le rire était « la politesse du désespoir ». Ils nous offrent même la grâce de la légèreté dans une époque pourtant bien plombée.

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Il y a, en effet, dans cette oscillation permanente entre le tragique et le rire qui traverse l’album d’Isabelle et Antoine Chereau, une forme de lucidité dépourvue d’amertume qui fait de chaque planche à la fois un moment de gravité et un temps de respiration. Et si les situations sont grinçantes, c’est quand même la tendresse qui l’emporte. Car ce qui domine à la lecture, c’est le sentiment du bouillonnement de la vie. Face à la haine antisémite, les personnages mis en scène ne sont pas dans l’appel à la vengeance, ils ne réclament pas le prix du sang, ils ne déshumanisent personne et ne perdent pas leur propre humanité, ils sont représentatifs du meilleur de ce que l’on nomme l’humour juif : un humour qui naît dans un contexte de violence et de persécution et qui est un pied-de-nez au malheur par simple amour de la vie, envers et contre tout. C’est un humour de la survie, pas du ressentiment. Un humour né dans le malheur mais préservé de l’aigreur, où l’autodérision n’est pas un abaissement mais une manière d’affirmer une forme de liberté face au tragique et à l’absurde. Comme dans cette planche où deux amis discutent et où l’un, catholique, dit son admiration du judaïsme et où l’autre, juif, tempère tellement son enthousiasme que le premier déclare : « C’est une chance que tu ne sois pas l’attaché de presse du judaïsme. » Ou encore cet autre où un juif pratiquant discute avec un coreligionnaire tout à fait détaché de la foi. Loin de s’offusquer du refus de pratique de ce dernier, le croyant se borne à lui faire remarquer que quoi qu’il fasse (et surtout quoi qu’il ne fasse pas), il sera toujours suffisamment juif pour un antisémite.

Mieux vaut rire que pleurer

« Être Juif est un destin », disait la romancière Vicki Baum. Aujourd’hui cela redevient une question. Une question existentielle. Rire est une façon de ne pas tout perdre quand on ne contrôle presque rien et que l’on ne maîtrise plus que la façon de raconter ce qui nous arrive. Et le rire d’Isabelle et d’Antoine Chereau, s’il est sans illusion, n’est pas sans exigence. Il a l’élégance de nous rappeler, par l’absurde et la dérision que l’antisémitisme n’est pas que la plaie du peuple juif, c’est un chancre pour l’humanité. Un chancre qui détruit ceux qui le subissent, ceux qui le pratiquent et ceux qui laissent faire et dont on ne se débarrasse qu’en acceptant de le combattre. C’est dire si nous sommes tous concernés. Chaque époque est mise un jour devant sa vérité. Nos prédécesseurs ont su vaincre le nazisme et ont reconnu dans le déchaînement de la haine antisémite la marque de la barbarie et de la monstruosité. Et nous ? En sommes-nous encore capables ? Pour l’instant nos sociétés prouvent le contraire, pour leur plus grand malheur car les antisémites sont capables d’aller tellement loin qu’il a fallu forger, pour prendre leur mesure après la Shoah, le concept de crime contre l’humanité. Mais il ne joue plus son rôle de frontière entre l’homme et la bête : Le 7-Octobre a montré que « plus jamais ça » n’était plus une promesse pour les générations futures, nous en avons fait notre plus grand échec. Alors si l’humour peut aider certains à ouvrir les yeux, d’autres à redresser la tête et la plupart à reprendre les armes rhétoriques et politiques, cela ne présage certes pas de l’issue du combat, mais du moins sera-t-il joyeux !

… comme un Juif en France, Isabelle et Antoine Chereau, Pixel Fever Edition, 2025. 184 pages 

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Donald Trump et la fin d’un Occident

En publiant en fin de semaine dernière la nouvelle stratégie de sécurité nationale des États-Unis, le président Trump accable le continent européen pour sa faiblesse et entérine l’abandon de l’idée d’Occident.


Depuis son arrivé au pouvoir en 2017 et plus encore depuis le début de son second mandat, Donald Trump rompt systématiquement avec une vision du monde vieille d’un peu plus d’un siècle : l’Occident.  Donald Trump ne mobilise pas des références historiques au hasard, et la réapparition de William McKinley dans ses discours ne fait exception. En saluant le président qui annexa Hawaï, conquit les Philippines et fit entrer les États-Unis dans l’ère impériale tout en érigeant des droits de douane massifs, Trump signale la cohérence profonde de son projet d’une Amérique protectionniste, sûre d’elle-même, assumant sa puissance sans complexe, tournée vers l’océan Pacifique et prête à remodeler son environnement stratégique. En invoquant McKinley, il ne convoque pas seulement un modèle économique, mais le moment fondateur où Washington a commencé à projeter sa force bien au-delà de ses frontières. C’est à cette généalogie-là que Trump rattache son “America First” et « MAGA » à l’âge d’or de la Gilded Era de la fin du XIXe siècle. Ce « néo-mckinleyisme » est en rupture avec l’évolution de la politique étrangère américaine à commencer par le mandat de McKinley lui-même (1897-1901).

Matrice civilisationnelle

Ce que William McKinley incarne avant tout est une contradiction fondatrice de la politique américaine. Jeune député, il défend des tarifs très élevés pour protéger l’industrie nationale et consolider un marché intérieur autosuffisant. Mais une fois à la Maison Blanche, sa vision se transforme. Le protectionnisme n’est plus un rempart, il devient l’instrument d’une expansion extérieure, et l’Amérique cesse progressivement d’être une nation qui se protège du monde pour devenir une nation qui entend façonner le monde. Ses successeurs donneront à cette orientation stratégique une armature idéologique puissante.

Lorsqu’on observe la manière dont les États-Unis entrent dans la Première Guerre mondiale en 1917, un fait saute aux yeux : l’immense effort déployé pour convaincre une société largement isolationniste que son destin était lié à celui de l’Europe. Une idée-force traverse les discours politiques, les programmes universitaires et même la propagande officielle : les Américains viennent de la même matrice civilisationnelle que les Européens. Ce récit devient une véritable infrastructure mentale, destinée à justifier l’engagement d’un pays jeune dans des querelles vieilles de plusieurs siècles et dont ses fondateurs et ses habitants traversèrent l’océan pour échapper.

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Dès les années 1910, les élites américaines sentent qu’elles doivent légitimer autrement que par des intérêts stratégiques l’entrée en guerre contre l’Allemagne impériale. La référence à une « civilisation commune » apparaît alors presque comme un besoin existentiel. On décrit l’Amérique comme la fille de plusieurs filiations européennes. Athènes et Rome pour la politique, le christianisme médiéval pour la morale, la Renaissance pour l’humanisme, les Lumières pour la raison et le droit. En un mot, l’Europe n’est plus un continent étranger mais un « vieux parent » en danger, qu’il serait ingrat d’abandonner.

Les universités américaines jouent un rôle décisif dans cette opération intellectuelle. Entre 1914 et 1925, les Western Civilization Courses se multiplient à Columbia, Harvard, Chicago et Stanford. Ce n’est pas un hasard. Alors que le pays s’apprête à intervenir, puis lorsqu’il tente de comprendre les ruines de la guerre, ces institutions construisent un grand récit reliant directement la démocratie américaine à un héritage européen menacé. Soudain, la bataille de la Somme ou la chute des empires centraux ne sont plus des événements lointains mais des attaques contre la même tradition politique qui a produit la Constitution américaine.

La logique est limpide : si la civilisation occidentale est un continuum, alors l’Amérique doit la défendre. L’université devient ainsi un acteur stratégique. Et dans ce moment charnière, rappelons-le, les Etats-Unis sont dirigés par Woodrow Wilson, professeur d’Histoire et Président de l’université de Princeton). Avant même que le concept de « soft power » ne soit théorisé au XXe siècle, les États-Unis l’expérimentent déjà : en créant l’idée d’un Occident unifié, ils légitiment leur engagement militaire comme la suite naturelle de leur identité culturelle. On n’en est pas encore à la rhétorique de la guerre froide, mais la structure mentale binaire s’esquisse avec d’un côté nous (États-Unis et Europe libérale) et de l’autre eux (l’impérialisme allemand, perçu comme anti-démocratique et quasi barbare).

Communauté de destin

Cette matrice intellectuelle prépare, au fond, la future Alliance atlantique. Car ce qui se joue dans les auditoriums de Harvard ou dans les manuels initiés à Columbia en 1919, c’est une lente habituation, l’idée que les deux rives de l’Atlantique forment une communauté de destin. Le fil est continu entre les premiers Western Civ Studies aux discours de Franklin Roosevelt sur la « défense de la civilisation démocratique » en 1940, puis à la naissance de l’OTAN en 1949, qui institutionnalise explicitement une « communauté de valeurs ». Et ce n’est pas par hasard qu’à cette époque les cours de Western Civ ont été nommé avec humour « from Plato to Nato » (de Platon à l’OTAN).

Woodrow Wilson, quant à lui, comprend très vite la puissance de ce récit. Pour convaincre une opinion publique encore marquée par la tradition isolationniste de Washington et Monroe, il recycle sans scrupule le vocabulaire issu des universités. Défense du self-government, lutte pour la liberté, droit des peuples, autant de notions qui, dans l’imaginaire américain, sont autant de legs européens. Le Committee on Public Information, créé en 1917, diffuse ce langage à grande échelle avec des affiches, films, articles, conférences. L’Amérique se bat pour sauver l’Europe… mais aussi pour sauvegarder ce qui fonde sa propre identité.

Le glissement final est subtil mais décisif. Le récit universitaire installe progressivement l’idée que l’Europe a produit la civilisation occidentale, mais qu’elle n’est plus en mesure de la protéger seule. C’est désormais l’Amérique qui en devient la garante. Ce renversement silencieux prépare le Wilsonisme, l’internationalisme libéral du New Deal, puis, après 1945, le leadership américain sur ce que l’on appellera simplement « l’Occident ».

Dans ses actes, ses déclarations et surtout dans le livre blanc sur la sécurité nationale publié la semaine dernière, Trump acte l’abandon de l’idée d’Occident et du rôle de leadership que les États-Unis occupaient en son sein depuis la guerre froide. Washington fonctionne désormais moins comme une puissance garante d’un ordre collectif que comme une version géopolitique de la société de mercenaires Blackwater. Le mot d’ordre est devenu le burden sharing, le « partage du fardeau », ce qui signifie en réalité que les protégés, autrement dit les anciens alliés, doivent désormais payer comptant les services de sécurité fournis par les États-Unis. Dans cette logique transactionnelle, Washington écoute les propositions des deux côtés, de Moscou comme de l’Europe, avant de décider où s’engager, et n’exclut même pas l’idée de tirer profit simultanément des deux camps. L’Occident, un mot qui veut dire « coucher du soleil » n’a jamais mérité aussi bien son nom.

Une toute petite minorité…

Le philosophe Rémi Brague estime que la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État a été possible car «la République et les catholiques avaient en commun l’amour de leur pays». Ses interrogations sur nos compatriotes musulmans qui aujourd’hui n’aiment pas la France sont légitimes, quoi qu’en pensent les islamo-gauchistes.


Tous les Français musulmans aiment-ils la France ? La question est posée par le philosophe Rémi Brague. Il s’interroge en ces termes : « Dans la France d’aujourd’hui, tous les musulmans qui y habitent et qui en ont la nationalité partagent-ils l’amour du pays où ils résident ? ». C’est en conclusion d’un long entretien[1] au Figaro, accordé hier à l’occasion du 120e anniversaire de la loi de 1905 sur la laïcité, que l’intellectuel avance cette délicate réflexion.

Questions dérangeantes

Elle résulte, dans son esprit, d’une remarque qu’il développe préalablement sur l’opposition, au début du XXe siècle, entre l’État républicain et les catholiques. Brague explique : « Les deux partenaires, même s’ils étaient adversaires, avaient en commun un grand amour pour leur pays. Ils étaient fiers de la France, de son histoire, de sa langue, de sa culture. Cela s’est vu au moment de la guerre de 1914-1918, où les deux côtés ont rivalisé de patriotisme et ont montré qu’ils étaient tous les deux prêts à mourir pour la patrie ». Bref, la laïcité française, qui fut brutale avec le catholicisme, a néanmoins été rendue possible et acceptable parce qu’elle s’adressait à une société homogène, majoritairement issue du christianisme, lui-même initiateur de la séparation du spirituel et du temporel (Jésus : « Mon Royaume n’est pas de ce monde », etc.) Cette réalité sociologique, aujourd’hui bouleversée par une massive immigration arabo-musulmane amorcée dès les années 1970, a fracturé la société.

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Cette réalité n’est pas une découverte. En revanche, la question de la cohabitation pacifique avec les musulmans est de celle que les discours politiques et médiatiques évacuent, tétanisés à l’idée d’être accusés de racisme ou d’islamophobie. Il serait pourtant urgent de s’interroger sur un possible divorce.

Bien des Français musulmans aiment leur pays. À commencer, on peut le penser, par ceux qui s’engagent dans l’armée. Mais le dernier sondage de l’Ifop (relire mon article La nation, au défi d’une jeunesse francophobe) a montré la réislamisation de la jeunesse musulmane qui, à 57%, placerait la charia au-dessus des lois de la République. Il est d’ailleurs à remarquer que LFI a choisi, le 5 décembre, de saisir la justice en reprochant au sondeur d’inciter « à la discrimination, à la haine et à la violence ». Cependant ce choix de criminaliser le réel n’est destiné qu’à occulter les risques que fait courir à la nation l’objectif de Jean-Luc Mélenchon d’un changement de peuple et de civilisation.

Urgence

Lundi, sur Europe 1, l’avocat Thibault de Montbrial, spécialiste des questions de sécurité, n’a pas exclu un 7-Octobre en France, c’est-à-dire une offensive guerrière massive comparable à l’attaque d’Israël par le Hamas, menée par des organisations terroristes issues de la contre-culture musulmane. Tandis qu’Emmanuel Macron désigne la Russie comme une menace existentielle, il ne voit rien des ennemis intérieurs que sont les islamistes et les narco-mafias du Maghreb.

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Le 5 décembre, Donald Trump s’est inquiété d’une Europe en déclin confrontée à des « invasions » migratoires et à un « effacement civilisationnel ». En France, la classe politique se passionne sur la mascarade du budget. Il est urgent de se réveiller (bis repetita).


[1] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/remi-brague-la-loi-de-1905-a-ete-possible-car-la-republique-et-les-catholiques-avaient-en-commun-l-amour-de-leur-pays-20251208

Anne Coffinier, figure de la liberté scolaire, sous le feu de l’extrême gauche

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Depuis plusieurs mois, Anne Coffinier, voix incontournable de l’école libre en France, subit une série d’attaques médiatiques venues de la gauche et de l’extrême gauche.


La virulence des critiques étonne d’autant plus qu’au sein de Créer son école, elle défend une liberté ouverte à tous : celle de créer des écoles catholiques, protestantes, juives ou strictement laïques ; des écoles pour enfants intellectuellement précoces comme pour élèves cabossés par le système public. Son action répond avant tout à des besoins concrets, ceux d’enfants que l’Éducation nationale ne parvient plus à accueillir dignement.

Ennemie parfaite

Pourquoi, alors, un tel acharnement ? La gauche assimile le combat pour la liberté scolaire à une cause de droite, parfois même d’extrême droite. Serait-ce parce qu’Anne Coffinier intervient souvent dans des médias classés à droite ? Parce que sa fondation Kairos et son association bénéficient du soutien de grands patrons ? L’explication tient sans doute moins à ces caricatures qu’à sa capacité rare à faire dialoguer des univers qui s’ignorent. Le 25 novembre, elle réunissait ainsi au Palais des Sports, devant plus de 4 000 personnes, le grand rabbin Haïm Korsia, le nouveau secrétaire général de l’enseignement catholique et la députée macroniste Violette Spillebout pour défendre, ensemble, les libertés de l’école privée. Pour la gauche, l’école libre est l’ennemi parfait, qui lui offre un ciment opportun qui lui permet de s’unir, dans la tradition du serment de Vincennes du 19 juin 1960 dont les conjurés se promirent d’éradiquer les financements publics de toute alternative à l’école publique.

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La gauche a compris de longue date que l’on transforme une société en prenant en main l’éducation de ses enfants. N’est-ce pas d’ailleurs dans les rangs de l’Éducation nationale qu’elle recrute l’essentiel de ses militants, de ses cadres syndicaux et de ses experts ? La droite, plus individualiste, est rétive à s’occuper réellement de questions scolaires au niveau national. Elle se soucie prioritairement de l’avenir scolaire de ses propres enfants, souvent scolarisés dans le privé, mais se mobilise peu pour l’éducation en tant que bien commun. Elle défend l’école libre lorsqu’elle est attaquée, mais ne porte que très rarement d’ambition forte pour la développer. Beaucoup de responsables refusent encore d’assumer un programme visant à rendre l’école privée accessible à tous, par crainte d’attiser la guerre scolaire, de faire le lit du communautarisme islamiste ou de mécontenter leur électorat. On se demande par exemple quand les Républicains oseront réclamer enfin la fin du totem des  80/20% en termes d’allocation des moyens financiers pour l’éducation ?

Réveiller l’école

C’est précisément ce verrou qu’Anne Coffinier invite à faire sauter. « Le libre choix de l’école est un droit démocratique à conquérir, un nouveau droit social qui pourrait rassembler largement, et que la droite aurait tout intérêt à porter, même si cela a vocation à être une cause transpartisane », affirme-t-elle. Elle rappelle, non sans humour, que Condorcet lui-même plaidait pour l’existence d’un secteur privé dynamique afin d’éviter la sclérose de l’école publique. En réservant la gratuité au seul public, l’État impose en réalité un monopole éducatif aux classes populaires et les prive d’une alternative garantie pourtant par la Constitution. C’est là que se niche un véritable séparatisme social, bien plus que dans le choix, réel ou supposé, des classes aisées de protéger leurs enfants de mauvaises fréquentations.

Alors que certains députés LFI veulent supprimer les déductions fiscales liées aux dons, réduire les subventions ou aligner les pratiques éducatives du privé sur celles du public, l’enjeu n’est plus de rallumer une guerre scolaire dépassée. Il s’agit plutôt d’innover en matière d’égalité sociale : offrir enfin à toutes les familles, et pas seulement aux plus favorisées, la possibilité de choisir l’école publique ou privée qui convient à leurs enfants.

Une telle réforme serait un moyen audacieux de réveiller la méritocratie scolaire, de relancer l’ascenseur social et de replacer l’école au cœur d’un projet véritablement national.

Qatargate: un scandale peut en cacher un autre

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La retentissante affaire ayant secoué la Commission européenne se dégonfle.


La France traverse un moment d’introspection médiatique. La commission d’enquête parlementaire sur les médias, créée pour examiner les mécanismes d’influence, les pressions économiques, les structures de propriété et les dérives possibles de certaines rédactions, questionne frontalement la manière dont l’information se fabrique.

L’affaire du Qatargate, que la presse européenne avait accueillie en fanfare en décembre 2022, sert aujourd’hui d’exemple emblématique. Libération[1], qui continue de suivre le dossier, et le quotidien italien Il Dubbio[2] montrent cette semaine combien la réalité judiciaire s’est progressivement éloignée du récit initial, largement construit sur une série d’arrestations spectaculaires et un narratif de corruption systémique au cœur de l’Europe.

Rappelons brièvement les faits. Les enquêteurs belges affirment en 2022 avoir démantelé un réseau financé par le Qatar (et possiblement le Maroc) pour influencer des élus européens. Sacs de billets, parlementaires mis en cause, mise en détention d’Eva Kaili, vice-présidente du Parlement européen : le scandale semblait énorme. Mais à mesure que les mois passent, l’enquête piétine, les preuves manquent, et une série de décisions de justice commencent à fissurer le récit initial.

Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

Comme l’a révélé Il Dubbio et confirmé par la suite Libération, Eva Kaili et Francesco Giorgi passent désormais à la contre-attaque. Trois ans après les arrestations, ils ont déposé plainte à Milan contre Pier Antonio Panzeri, l’ancien eurodéputé devenu le principal repenti de l’affaire. Ils l’accusent de calomnie : selon eux, rien dans les éléments recueillis par les services de renseignement belges, qui avaient en pratique dirigé l’enquête avant de la transmettre au Parquet, ne permettait de les mettre en cause. Ils n’auraient été incarcérés que sur la base de ses déclarations.

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Les avocats de Panzeri eux-mêmes, Laurent Kennes et Marc Uyttendaele, ont décrit de manière détaillée comment les noms de Kaili et Giorgi ont émergé : un enchaînement d’interrogatoires où Panzeri, privé d’avocat, finit par reconnaître un travail informel non déclaré pour le Qatar (17 000 euros par mois, 612 000 euros sur trois ans), mais nie toute corruption. Ce n’est qu’après avoir appris que sa femme et sa fille avaient été arrêtées, information volontairement retardée par les enquêteurs, qu’il s’effondre. Le lendemain, un accord lui est offert : la liberté pour sa famille et six mois de détention en échange d’aveux. Sinon, quinze ans. Et pour valider l’accord, deux noms.

Panzeri finit par citer les eurodéputés Marc Tarabella et Marie Arena, bien qu’il affirme devant le juge Michel Claise, qui se récusera plus tard, que Mme Arena n’a « rien à voir » avec cette affaire. Il devient collaborateur de justice et ses déclarations, que l’enquêteur Ceferino Alvarez Rodriguez qualifiera plus tard, dans un enregistrement révélé par Libération, de peu crédibles puisque « le parquet ne croyait à aucune de ses paroles », servent alors de base à l’inculpation de Mme Kaili et M. Giorgi.

Les Italiens tirent les choses au clair

La justice italienne, elle, semble de plus en plus sceptique. En avril 2024, la juge Angela Minerva a classé sans suite un dossier annexe visant Susanna Camusso, ancienne secrétaire générale de la CGIL[3], accusée par M. Panzeri d’avoir bénéficié d’un soutien qatari. Aucune preuve, aucun élément concret et les documents belges transmis à l’Italie ont été jugés « absolument génériques ». L’Italie pourrait ainsi relancer ce qui restera l’une des enquêtes les plus médiatisées, et la moins solide, de l’histoire européenne.

Le Qatargate, tel qu’il apparaît aujourd’hui dans Il Dubbio et Libération, raconte une autre histoire que celle de 2022 : non pas celle d’un réseau sophistiqué de corruption, mais celle d’un emballement politico-judiciaire où la pression médiatique, l’urgence policière et la fragilité des dépositions ont peut-être créé un scandale… sans substance.

Et c’est ici que le lien avec la situation française saute aux yeux. Les médias publics sont aujourd’hui accusés par plusieurs députés de droite d’être partisans, de défendre un agenda politique implicite ou de se précipiter sur certains récits alors que d’autres, pourtant tout aussi importants, sont négligés. Dans un paysage européen où la confiance dans les institutions et la crédibilité médiatique sont déjà sous tension, l’affaire Qatargate réactive des questions aussi simples que redoutables : comment une enquête peut-elle se transformer en scandale continental sans disposer d’un socle factuel solide ? Comment des institutions judiciaires peuvent-elles s’appuyer sur des témoignages aussi fragiles ? Et comment les rédactions peuvent-elles amplifier des récits dont elles ne mesurent pas toujours la volatilité ?

Chez nous comme ailleurs, les partis pris des rédactions, autrement dit les consensus sur les « bons » et les « méchants », les causes à défendre et celles dont il ne faudrait surtout pas « faire le jeu », semblent structurer en profondeur le traitement de l’information.


[1] https://www.liberation.fr/international/europe/qatargate-au-parlement-europeen-nos-revelations-sur-des-fuites-a-gogo-et-une-enquete-tres-partiale-20251209_LIJHQNOMEBGF5HR5ACWIHKQJDM

[2] https://www.ildubbio.news/giustizia/qatargate-cronistoria-indagine-corruzione-huqtjvr8

[3] Confédération générale italienne du travail

« Mon parti représente un judéo-christianisme conservateur et identitaire! »

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Eric Zemmour © Hannah Assouline.

Le premier a dédié sa vie à Dieu, le second à la France. Monseigneur Matthieu Rougé et Éric Zemmour n’étaient pas faits pour se rencontrer. Mais l’évêque de Nanterre, en pointe dans le combat contre les réformes bioéthiques, enseigne aussi la théologie politique au Collège des Bernardins. Et dans son dernier essai, le président de Reconquête ! appelle ses compatriotes à un « sursaut judéo-chrétien ». Dès lors, ces deux-là avaient beaucoup de choses à se dire.


Suite de la première partie.

Causeur. Monseigneur Rougé, bon nombre de jeunes adhèrent au « nationalisme judéo-chrétien » d’Éric Zemmour. Que leur répondez-vous ?

Monseigneur Matthieu Rougé © Photo : Hannah Assouline

Mgr Matthieu Rougé. Je passe beaucoup de temps avec les jeunes catholiques de mon diocèse. Beaucoup sont vraiment engagés, pas seulement sur le terrain de l’identité mais aussi sur celui de l’évangélisation, de la dignité humaine, de l’écologie intégrale ou du service particulièrement généreux des plus pauvres. Je pense notamment à leur implication dans le débat sur la fin de vie ou à leur proximité fraternelle avec des personnes handicapées. Ils sont souvent demandeurs de liturgie forte et nourrissante, mais aussi investis concrètement, au nom de l’amour qui jaillit de l’Évangile. On trouve parmi eux des jeunes attachés à des formes d’expression traditionnelle de la foi, ce que j’accueille et accompagne volontiers. D’autres ont des attentes différentes. La jeunesse catholique est plus variée que certains le croient. Ma mission d’évêque est de veiller sur chacun et de travailler à la communion de tous.

Et à ceux qui vous trouvent trop politiquement correct, que leur dites-vous ?

Mgr Matthieu Rougé. J’assume le refus de l’outrance, qui n’est qu’une caricature de la force véritable. J’ai par ailleurs la faiblesse de penser que ceux qui me lisent ou m’écoutent dans les médias généralistes reconnaissent que je m’y exprime avec vigueur. Quand les critiques s’équilibrent, entre ceux qui vous jugent trop affirmatif ou pas assez, c’est sans doute parce que vous avez trouvé le ton juste.

Eric Zemmour. Vous n’êtes peut-être pas conformiste, mais vous me faites penser aux élites macroniennes qui, dès qu’on les entretient d’un problème, nous expliquent que c’est plus compliqué que cela. Vous embrouillez tout avec vos « en même temps » qui permettent de ne répondre à rien. Alors certes, sur la fin de vie, je ne suis pas en désaccord avec vous. Évidemment une pseudo-modernité a déifié la technique et foulé au pied la dignité humaine. Et je ne doute pas que vous soyez engagé, sans détour ni faux-semblant, contre cette dérive. Sauf que votre pensée devient soudain plus complexe quand je vous parle d’identité chrétienne, d’identité nationale, occidentale, européenne, mise en danger par le mantra de l’ouverture absolue de l’Église qui, depuis cinquante ans, est en train de tuer nos pays et le catholicisme en Europe.

Mgr M. R. Je ne crois pas que le refus du simplisme ou le sérieux de la pensée soit l’apanage de ce que vous appelez les « élites macroniennes ». Le christianisme est la religion de la richesse et de la profondeur du paradoxe humain et divin : l’homme libre et enraciné, cœur et corps, individu fait pour la relation, est sauvé par Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, mort et ressuscité, entré dans l’Histoire et à jamais vivant. Il enjoint à ses disciples d’annoncer sa bonne nouvelle sans violence, mais avec la vigueur de l’amour.

JMJ 2023 à Lisbonne : rassemblement de jeunes catholiques français

Revenons aux affaires terrestres. Monseigneur Rougé, si Éric Zemmour veut mobiliser nos racines « judéo-chrétiennes », c’est pour forger une alliance défensive face à l’islam. Or l’Église et vous-même répugnez à vous définir par rapport à cette religion, comme si l’idée d’une différence radicale vous heurtait. Pensez-vous qu’il y a une unité du monothéisme, comme le suggèrent ceux qui parlent de « trois religions du livre » ?

Mgr M. R. L’expression « religions du livre » n’est pas adéquate. Juifs et chrétiens, dans leur profonde parenté, sont religions de la Parole. Avec nos frères et sœurs juifs, nous avons en commun, pour le bien du monde, la richesse insurpassable du dépôt biblique. Cela rejoint ce que je disais sur la dignité humaine. C’est ce qui m’a conduit, par exemple, à signer une tribune sur la fin de vie avec mon ami le rabbin Mickael Azoulay en écho à l’invitation du Deutéronome : « Choisis la vie ! » Pour nous, l’histoire de la liberté humaine ne commence pas avec la Chute, mais la précède. Elle fait partie de la beauté et de la bonté en un sens inaltérables de la personne humaine. Certes la liberté donnée par Dieu à l’homme lui a permis de se rebeller contre Lui, de faire son malheur en s’imaginant trouver le véritable bonheur. Mais ce n’est pas le dernier mot de la liberté puisque Dieu vient à la recherche de l’homme blessé. Le judéo-christianisme, c’est cette parenté profonde, spirituelle, culturelle, éthique, entre la Première et la Nouvelle Alliance. La vitalité de ce judéo-christianisme est décisive pour la vitalité du monde. Ce serait réducteur et contre-productif de le réduire à une alliance politique de circonstance.

E. Z. Nous sommes au cœur de notre désaccord ! J’ai d’ailleurs le même désaccord avec les institutions juives prétendument représentatives. Les institutions font semblant de croire qu’il n’y a aucun danger et déroulent un discours antiraciste. Et des deux côtés, juif et catholique, la base comprend le danger mortel que représente une civilisation en train de nous remplacer par le nombre, par le prosélytisme et par la violence physique. Ce décalage est vraiment cruel, terrible pour tout le monde, pour l’institution catholique, les institutions juives et le « petit peuple » qui subit la violence que les institutions favorisent. C’est pour cela que j’ai écrit mon livre. Monseigneur, je pense vraiment qu’au-delà de votre langue de bois « macronienne », que vous maniez avec beaucoup de talent il faut bien dire, vous devez prendre conscience de cette réalité cruelle. Beaucoup de jeunes catholiques militent dans mon parti. Tous les mois, j’en invite plusieurs à dîner et à discuter autour d’un livre. J’entends leur souffrance à laquelle vous ne répondez pas. C’est tragique.

Mgr M. R. Je passe l’essentiel de mon temps avec des fidèles, ou moins fidèles, aux générations, aux histoires, aux sensibilités, aux approches extrêmement variées. Je m’efforce de me mettre à leur écoute. À titre personnel, je n’ai jamais vécu dans la France unanimement chrétienne dont certains serinent la nostalgie. Dans les lycées publics de ma jeunesse, j’étais assez seul comme chrétien et souvent montré du doigt. J’y ai pris goût à témoigner de ma foi face à des contradicteurs, par exemple à l’époque des professeurs communistes affichés. Il n’y a pas d’un côté l’institution et de l’autre ce que vous appelez le « petit peuple », et que j’appelle le « grand peuple de Dieu », le « saint peuple de Dieu ». Je vis constamment avec lui et je partage ses joies et ses peines, ses inquiétudes et ses angoisses. Je n’oublie jamais l’avertissement de Georges Bernanos, que j’aime comme vous, dans La France contre les robots : « On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration contre toute forme de vie intérieure. » Ma priorité n’est donc pas identitaire, mais spirituelle.

E. Z. Quand j’évoque le « petit peuple », je m’y inclus et je le dis avec une grande affection.

Monseigneur Rougé, dans son discours de Ratisbonne, Benoît XVI a osé établir une différence entre le christianisme et l’islam, dans leur rapport à la Raison. En revanche, si vous élevez le débat, vous répugnez décidément à prononcer le mot « islam ».

Mgr M. R. Je suis l’évêque d’un diocèse dans lequel la communauté musulmane est nombreuse, et parfois traversée par des courants violents. L’inquiétude que cela peut susciter, je l’entends. Le christianisme n’est pas une « religion du Livre », je l’ai déjà dit et je n’ai pas attendu le cher Benoît XVI, si j’ose dire, pour savoir qu’islam et christianisme ont des grandes différences. Vis-à-vis des non-croyants et des croyants d’autres religions, les chrétiens ont à articuler deux attitudes : le dialogue et le témoignage de la foi. Ne pas s’arrêter au dialogue au détriment de la mission, ni prétendre être missionnaire en oubliant le dialogue qui crée le contact. Si les chrétiens veulent vraiment que le christianisme ne s’efface pas, alors qu’ils vivent plus intensément leur foi chrétienne, par leur vie de prière, de service, de témoignage, de choix éthiques quotidiens et décisifs. Rien dans la France d’aujourd’hui ne les en empêche.

E. Z. Vous insistez sur le mot « dialogue ». Je distinguerai deux types de dialogues. D’une part le dialogue individuel qui, vous avez raison, est toujours fécond. D’autre part le dialogue des religions, qui est un échec absolu entre le christianisme et l’islam, tout simplement parce que l’islam ne reconnaît pas le christianisme. Pour les musulmans, votre religion est un dévoiement de l’islam. Pour eux, nous sommes tous musulmans depuis notre naissance. Et si nous ne l’acceptons pas, c’est que nous avons trahi. Et puis vous ne dites rien des pauvres apostats de l’islam qui tentent de se convertir au christianisme et sont menacés, parfois tabassés, car dans le Coran ils sont condamnés à mort. D’après tous les témoignages que j’ai, ils ne sont guère protégés par l’Église.

Mgr M. R. Je connais les souffrances de certains musulmans devenus chrétiens. Dans mon diocèse, nous baptisons chaque année plusieurs centaines de catéchumènes, dont les provenances religieuses sont variées. Nous travaillons à mieux accompagner ceux que le choix de devenir chrétien isole ou menace.

E. Z. Il y a des attitudes individuelles qui vont bien sûr à l’encontre de ce que je dis, mais la politique générale de l’Église n’est pas très courageuse.

Ecclesia et Synagoga (l’Église et la Synagogue), Notre-Dame de Paris. Wikimedia

En plus de la menace existentielle que l’islam fait peser, selon Éric Zemmour, sur la civilisation européenne et française, il y a aussi la perte de repères au sein même du culte catholique. Lors de Vatican II, l’Église n’a-t-elle pas initié son propre désenchantement ?

Mgr M. R. L’œuvre du concile Vatican II est d’une grande ampleur. Le travail fait, par exemple, pour permettre au plus grand nombre de s’approprier vraiment en adultes modernes et pleinement croyants les trésors de la Bible est extrêmement important. La réconciliation engagée par Vatican II entre juifs et chrétiens constitue un événement historique majeur. Nous avons effectivement connu une période iconoclaste dans la liturgie catholique durant les années 1970. À bien des égards, nous en sommes revenus. Songez que cet été, un million de jeunes du monde entier se sont réunis en adoration nocturne devant le Saint Sacrement, dans un silence unanime, avec le pape Léon XIV guidant leur prière. Si ce n’est pas une affirmation paisible et profonde du cœur de la foi chrétienne, je ne sais pas ce que c’est !

E. Z. Sur ce point nous serons d’accord. On assiste à un renouveau chrétien, encore timide. Vous le désignez comme une réaffirmation spirituelle, moi j’y vois plutôt la réponse au choc d’un islam affirmé par des jeunes musulmans qui sont souvent vindicatifs dans leur identité religieuse. Devant cela, une certaine jeunesse chrétienne, qui n’a pas toujours reçu une éducation religieuse aussi poussée que par le passé, se pose des questions nouvelles, et on leur donne des réponses. Je trouve cela très bien. J’espère juste qu’il ne s’agit pas d’un feu de paille.

Mgr M. R. Ce réveil ne sera pas un feu de paille à condition que, quelles que soient les motivations d’un chemin vers l’Église, il conduise à un véritable enracinement.

Il faut aussi compter à présent avec le réveil du catholicisme américain.

Mgr M. R. Ce phénomène intéressant n’est d’ailleurs pas d’abord identitaire. La figure emblématique de Charlie Kirk, qui était évangélique, n’est qu’un aspect de ce qui fourmille outre-Atlantique. Mes amis évêques ou intellectuels américains, qui ne veulent se résoudre ni au wokisme, ni au rêve post-humaniste de la tech, ni à la violence politique, font preuve d’un dynamisme très stimulant pour nous. Leur situation spirituelle et culturelle nous aide à comprendre que les défis contemporains ne se limitent pas à la question de l’islamisme, mais touchent aussi la révolution technologique et les gigantesques questions anthropologiques qu’elle suscite avec de plus en plus de rapidité.

E. Z. Comme chaque mouvement révolutionnaire, le réveil chrétien s’est préparé intellectuellement en France, puis a éclos en Amérique avant de revenir chez nous. Déjà aux xviiie siècle, les Lumières anglaises et françaises ont préparé l’indépendance américaine de 1776, laquelle a préparé la Révolution de 1789. Cette fois-ci, les prémices du sursaut catholique américain se trouvent dans la Manif pour tous française. Ça me rend heureux. D’autant que mon parti, Reconquête !, représente une des incarnations de ce mouvement-là : un judéo-christianisme conservateur et identitaire. Sous le pape François, il était regardé de travers au Vatican. Mais je ne sais pas ce qu’en pense son successeur Léon XIV. Je crois en tout cas qu’il aurait plu à Jean-Paul II et à Benoît XVI, tous deux conscients que les catholiques sont devenus une minorité en France. Et que les églises y sont pillées.

Mgr M. R. Vous voulez dire que quelques églises subissent parfois des dégradations. Ne faites pas votre journaliste de plateau, qui reste à la surface des choses… Ce qui est vraiment important se joue dans la profondeur des cœurs.

E. Z.  Oui je sais, c’est plus compliqué que cela (rire).

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Bardella-Farage: le nouveau «power couple»

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Nigel Farage et Jordan Bardella à Londres, 9 décembre 2025. RS.

En visite au Royaume Uni, le chef du Rassemblement national a tout bien fait pour plaire aux Britanniques inquiets de la crise migratoire.


L’union des droites, à défaut de se faire dans l’hexagone pour l’instant, traverse la Manche. Hier, l’homme politique le plus populaire de France, selon les sondages, est allé à Londres à la rencontre de l’homme politique le plus populaire du Royaume Uni. Entre Jordan Bardella et Nigel Farage, le courant devait passer.

Presque tout les rapproche en principe, de la détermination à maîtriser l’immigration et les frontières à une préoccupation commune de la faiblesse géopolitique du Vieux continent. Ami de Donald Trump, M. Farage assume certainement le diagnostic du nouveau document sur la Stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis concernant le risque d’un « effacement civilisationnel » en Europe. De son côté, M. Bardella a confié à la BBC, au cours d’une interview de 47 minutes accordée lors de son passage dans la capitale britannique, qu’il était plutôt d’accord avec ce constat, sans souhaiter que la France se laisse vassaliser par quelque grande puissance que ce soit. 

Un amour contrarié mais une fin heureuse

Autrefois, en tant qu’eurodéputé, Farage se montrait très réticent à l’égard de toute coopération avec la formation politique créée par Jean-Marie Le Pen. Mais à partir de 2017, il s’est laissé convaincre par l’opération de dédiabolisation conduite par Marine Le Pen, allant jusqu’à déclarer cette année-là qu’il pensait qu’elle ferait une très bonne présidente de la République française. À ce moment-là, le RN affichait un euroscepticisme qui a dû plaire à l’homme du Brexit, mais même quand, par la suite, Marine Le Pen a minoré cette tendance, une affinité profonde a persisté au sujet de l’immigration. En tant que remplaçant potentiel – en vue de 2027 – de la présidente du groupe RN à l’Assemblée, Jordan Bardella a été accueilli hier par le chef de Reform UK comme un véritable frère d’armes.

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Leur couple fait nécessairement contraste avec celui, cordial mais sans grand enthousiasme, d’Emmanuel Macron et sir Keir Starmer. Le président français et le Premier ministre britannique prétendent tous les deux comprendre les inquiétudes de leur population à propos de la question migratoire, mais les solutions adoptées par eux se révèlent parfaitement inadéquates. Starmer qui, une fois élu à la tête de son pays, a annulé le projet que les Conservateurs avait développé pour envoyer les migrants illégaux au Rwanda, serait tellement désespéré aujourd’hui que son gouvernement aurait commencé des pourparlers avec la Macédoine du Nord pour y créer un hub. En France, le chef de l’État est incapable de peser sur la relation franco-algérienne de manière à pouvoir réduire le nombre d’immigrés qui viennent en France ou rapatrier ceux qui se trouvent sous OQTF.

Divergence des priorités, convergence des intérêts 

Dans le Pas-de-Calais, les opérations des trafiquants de migrants nuisent grandement à la qualité de vie des habitants, mais les médias français s’intéressent relativement peu à cette question. En revanche, côté anglais c’est le drame. Les médias, les politiques et les électeurs britanniques sont justement obsédés par le spectacle quotidien de la porosité de leurs frontières. Jusqu’ici, les autorités des deux pays se sont renvoyé la balle pour la responsabilité de cette situation. Les Britanniques reprochent aux Français de ne pas faire assez d’efforts pour patrouiller leur cote. Les Français reprochent à la perfide Albion de ne pas faire assez d’efforts pour réduire les facteurs « pull » en combattant, par exemple, le marché noir de l’emploi. De temps en temps, la presse anglaise s’excite quand elle entend parler de propositions, côté français, pour adopter de nouvelles tactiques contre les bateaux-taxis de migrants, comme intercepter les pneumatiques dans l’eau ou les immobiliser avec des filets. Mais en vain.

Cette année, Macron a donné un os à ronger à Starmer, un petit os. Il s’agit de l’accord dit « one in, one out », par lequel un certain nombre de migrants ayant traversé la Manche sont renvoyés en France, tandis que le même nombre de migrants en France ayant un solide prétexte pour trouver refuge au Royaume Uni sont envoyés sur le sol anglais. Les fruits de ce programme pilote, lancé en août, sont bien maigres. Fin novembre, 153 migrants avaient été renvoyés en France, et 141 sont arrivés côté anglais. Pas de quoi décourager les trafiquants et leurs clients dont le nombre ayant réussi la traversée cette année a augmenté de 16% par rapport à 2024.

Si MM. Bardella et Farage sont élus en 2027 et 2029, ils feraient sûrement mieux. Ayant déjeuné avec son homologue anglais, Bardella a confié au quotidien le Daily Telegraph que, une fois au pouvoir, il ferait tout le nécessaire pour mettre fin au trafic migratoire transmanche. Il modifierait le règlement afin de permettre aux Britanniques de refouler les bateaux de migrants en les escortant jusqu’aux eaux territoriales françaises. Afin de convaincre les Britanniques de son sérieux, il affirme avoir l’intention d’appliquer la même politique dans la Méditerranée, c’est-à-dire qu’il amènera l’UE à adopter la même pratique en refoulant les bateaux de migrants qui tentent de quitter les eaux territoriales de la Libye ou de la Tunisie.

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A ceux qui, de manière prévisible, critiqueraient cette politique sur le plan humanitaire, il a déjà une réponse : de telles mesures n’auraient pas besoin d’être en place très longtemps si, comme il le souhaite, les frontières de la France et de l’UE sont véritablement maîtrisées. Son programme pour l’hexagone – renvoi de migrants clandestins, expulsion des criminels étrangers, accès prioritaire pour les citoyens français aux logements sociaux et aux aides sociales – fera de la France « le pays le moins attractif en Europe pour l’immigration de masse ».

La jalousie est le miroir de la laideur

La rencontre Bardella-Farage intervient au moment où presque une trentaine de pays européens membres du Conseil de l’Europe et signataires de la Convention européenne des droits de l’homme tentent de convaincre la Cour européenne d’appliquer les principes de la Convention de manière à ne pas empêcher les différents États d’expulser des étrangers coupables de crimes sérieux. Si leurs efforts s’avèrent couronnés de succès en pratique, ce ne sera qu’un petit pas vers la maîtrise de l’immigration de masse et la prévention d’un possible « effacement civilisationnel ».

Afin de renforcer l’idée d’un nouvel axe Paris-Londres, Jordan Bardella a posté sur son compte Instagram une photo de lui devant la statue londonienne du Général de Gaulle. On ne peut pas éviter de penser à un autre duo – De Gaulle-Churchill – qui a sauvé l’Europe et à côté duquel le duo Macron-Starmer fait pâle figure.

En France, les macronistes n’entendent pas les choses de cette oreille. Nathalie Loiseau, eurodéputée centriste et ministre en charge des Affaires européennes de 2017 à 2019 – et donc à l’époque du Brexit – a commenté la photo de M. Bardella sur X. Elle se permet de douter du patriotisme du chef du RN, puisqu’il s’affiche en compagnie de Nigel Farage qui « ne cesse de dénigrer la France ». On comprend: de dénigrer la France d’Emmanuel Macron.

https://twitter.com/NathalieLoiseau/status/1998444919900324075

En tête de son compte sur X, Mme Loiseau, en toute modestie, affiche une photo du grand Winston… En réalité, ne serait-elle pas tout simplement un peu jalouse ? Et si les perspectives d’avenir n’appartenaient pas aux deux canards boiteux actuellement au pouvoir de chaque côté de la Manche, mais plutôt au couple Bardella-Farage ?

Un film qui fait penser à Maupassant

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© Diaphana Films

Dans une vaste demeure bourgeoise de province, un curieux pacte va se nouer…


On parierait que La Condition, le nouveau film du talentueux Jérôme Bonnell, est tiré d’une de ces nouvelles ancillaires de Maupassant dont on raffole. En réalité, le livre qu’il transpose sur grand écran, Amours de Léonor de Récondo, date de 2015 et son action se situe en 1908, date postérieure à la mort du grand écrivain. Et pourtant, la filiation avec l’auteur de Boule de suif ne se dément pas.

Jugez plutôt : « C’est l’histoire de Céleste (Galatéa Bellugi), jeune bonne employée chez Victoire (Louise Chevillotte) et André (Swann Arlaud). C’est l’histoire de Victoire, de l’épouse modèle qu’elle ne sait pas être. Deux femmes que tout sépare mais qui vivent sous le même toit, défiant les conventions et les non-dits. » À travers ses sept films précédents, Bonnel nous avait habitués à des récits contemporains, à l’instar du très réussi J’attends quelqu’un qui décrivait avec une infinie délicatesse la longue relation entre une prostituée (Florence Loiret-Caille) et son client régulier (Jean-Pierre Darroussin). Il signe son premier film en costumes et sa première adaptation littéraire sans rien perdre de son brio et de sa singularité.

C’est avec une délectation non feinte et une précision malicieuse que Bonnell prend pour cible une certaine bourgeoisie française qui se voit alors comme une nouvelle aristocratie imposant son conformisme et son hypocrisie. Dans la pure tradition de la meilleure littérature hexagonale du XIXᵉ siècle, on retrouve un personnage central récurrent aussi bien chez Balzac, Flaubert ou Zola : le lieu, sinon du crime, du moins de l’étouffement familial et amoureux puisque tout ou presque s’y déroule à huis clos. Dans le cas présent, il s’agit d’une grande demeure bourgeoise et provinciale à la géographie intérieure parfaitement calquée sur l’ordre établi : chacun à sa place, comme chez le Renoir de La Règle du jeu. Mais la « condition » trouve une tout autre traduction au fil de l’histoire. Maîtres et valets vivent dans ce décor codifié où chaque chambre ou presque semble contenir un secret, où un pas de côté est une déviance. À l’image de cet austère bureau de notaire dans lequel le maître de maison, époux repoussé, doit dormir sur un lit de camp aussi triste que sommaire. À l’image également d’une autre chambre, celle occupée par la mère d’André et que joue à la perfection la toujours surprenante Emmanuelle Devos. On l’avait connue sourde dans Sur mes lèvres chez Jacques Audiard, elle est ici mutique et alitée en permanence, livrant de bout en bout une incroyable performance d’actrice. D’autant plus qu’il s’agit de camper une « méchante », comme la voit son entourage, y compris son propre fils. Or, derrière sa brutalité se dissimulent une franchise et une sincérité qui détonnent dans ce monde feutré où tout se dit à demi-mot dans un hypothétique mentir-vrai érigé en règle d’or indépassable.

Une fois posés le décor et les personnages, le film peut dérouler son récit, celui d’un « arrangement » où se mêlent viol domestique, grossesse et « adoption » dans un étonnant ballet de dupes. L’alliance qui se noue alors entre la maîtresse et sa servante prend des allures de pied de nez aux usages et autres convenances. Jérôme Bonnell excelle à rendre compte d’un pacte implicite où les mots sont rares, où tout se joue entre respectabilité sociale et désir d’émancipation.

Durée : 1h43


Robinson Crusoé, un anti-héros sauvé par une production intrépide

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© Vincent Pontet

Coproduction du Théâtre des Champs-Elysées, des opéras de Rennes, Nantes et Angers, soutenue par le Centre de Musique romantique française de Venise, cette plaisante résurrection d’un opéra comique d’Offenbach évoque un naufrage qui ne fera pas celui de ses auteurs.


Voilà un Robinson Crusoé qui ne risquera probablement plus d’être oublié, ni de croupir sur son île durant quarante nouvelles années. Quarante ans en effet se sont écoulés depuis que le Robinson Crusoé d’Offenbach a été pour la dernière fois porté à la scène en France. C’était en 1986, dans une réalisation menée par le spirituel Robert Dhéry. Et puis plus rien, quand tant de magnifiques productions d’ouvrages de Jacques Offenbach ont perpétué son génie comique. Et parmi elles, mieux peut-être, au-dessus d’elles, les exceptionnelles réalisations dues aux talents conjugués de Laurent Pelly et d’Agathe Mélinand, accompagnés de Marc Minkowski, et devenues des archétypes de ce qu’il faut savoir faire pour rendre justice au géant de l’opéra-bouffe.

Politiquement correct

Si Robinson s’est maintenu au répertoire en Allemagne, en Italie, en Grande-Bretagne ou en Russie, on soupçonne qu’en France le politiquement correct ait compromis la survie de cet opéra comique mettant en scène des Européens perdus parmi les sauvages. Car il y a bien évidemment des sauvages dans Robinson Crusoé. Et même d’effroyables anthropophages !

 « On se retrouve donc, avance la dramaturge Agathe Mélinand, face à un problème racial et raciste qui ne peut raisonnablement se résoudre en mettant en scène un chœur dont les visages sont maquillés en noir, ou en acceptant les allusions à la suprématie des blancs ». Des allusions à l’évidence devenues fort délicates, sinon dangereuses, dans une société où les susceptibilités de beaucoup au sujet des confrontations entre cultures, origines ethniques et degrés de civilisation anéantissent effectivement toute velléité d’humour un peu grinçant ou carrément féroce.

On peut aussi penser que cette tentative d’opéra comique chez un Offenbach qui tenait à se dépêtrer de sa réputation glorieuse d’auteur d’opéras bouffes et aspirait à écrire de grands opéras labellisés comme tels, n’a pas été l’une de ses plus belles réussites et qu’on hésite à s’en saisir à nouveau. L’adaptation du roman de Defoe, malgré le livret très habile et très amusant d’Hector Crémieux et d’Eugène Cormon, ne débouche pas sur un scénario bien palpitant. Et la partition d’Offenbach, aussi soignée et ambitieuse soit-elle, n’a pas le panache de ceux de La Belle Hélène ou de La Grande duchesse de Gerolstein. Et il approche moins encore des splendeurs des Contes d’Hofmann.

Un îlot de misère

Il a fallu la volonté et la griffe de Laurent Pelly, l’esprit d’Agathe Mélinand et la fougue de Marc Minkovsky pour conférer autant d’éclat à cette résurrection. Et il faut beaucoup d’humour et de mordant pour donner vie à un scénario tout de même un peu mince. S’y ajoutent la remarquable participation du Choeur Accentus, l’intervention emballante des Musiciens du Louvre dirigés par Marc Minkowski et de toute une pléiade de solistes aussi remarquables chanteurs que bons acteurs.

De la demeure très convenue de membres de la gentry anglaise dans laquelle le jeune écervelé est né des amours de sir William et de lady Crusoé, jusqu’aux aux misérables tentes de sans-abris où, faute d’île déserte, c’est dans un îlot de misère qu’il a échoué, le naufrage de Robinson est surtout un naufrage social.

© Vincent Pontet

La brute de Washington

Tout comme Offenbach et ses librettistes prirent en 1867 de très audacieuses libertés avec le roman de Daniel Defoe paru en 1719, et à l’instar de Daniel Defoe lui-même avec les authentiques mésaventures du marin Alexander Selkirk (1676-1721), Laurent Pelly et Agathe Mélinand ont joyeusement chamboulé l’univers du Robinson Crusoé jadis créé Salle Favart.

Et les tableaux les plus réussis, ceux qui permettent aussi la plus grande fantaisie, représentent les amis de Robinson partis à leur tour à l’aventure pour retrouver leur cher disparu et tombant aux mains des ignobles cannibales. Ces derniers sont tous représentés sous les traits abominables de Donald Trump. Et cette formidable insolence déclenche au sein de public des rires et des applaudissements qui disent tout des sentiments que l’on porte en France à la brute de Washington.

Si le spectacle est si réussi, il le doit évidemment beaucoup à la qualité des solistes composant une distribution remarquable et campant excellemment leurs personnages. De très belles voix, surtout parmi les rôles féminins (Julie Fuchs, très bien en Edwige, Emma Fekete, délicieuse Suzanne, Adèle Charvet, excellent(e) Vendredi) ; des chanteurs-acteurs attachants (Julie Pasturaud, Laurent Naouri, Rodolphe Briand) et deux protagonistes vif-argent, Sahy Ratia (Robinson) et Marc Mauillon (son ami Toby). Tous concourent  à ce que Robinson Crusoé  reçoive un accueil véritablement triomphal du public. Mais si le Robinson Crusoé d’Offenbach doit rependre une place qu’il avait perdue depuis si longtemps au répertoire des théâtres, il faudra impérativement qu’il soit à l’avenir aussi spirituellement servi que par le trio qui a présidé à sa joyeuse renaissance.


Robinson Crusoé, de Jacques Offenbach.

Théâtre des Champs-Elysées Jusqu’au 14 décembre 2025.

La langue de l’antisémitisme

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La linguiste Yana Grinshpun. DR.

Dans son récent ouvrage, La haine en toutes lettres (Éditions FYP, octobre 2025), Yana Grinshpun établit un répertoire des agents de l’antisémitisme contemporain à travers leurs discours. Car nous dit-elle, de nos jours, « la croyance dans la performativité du langage permet aussi de s’affranchir du principe de réalité. Il faut comprendre cette nouveauté idéologique dans une aire culturelle qui octroie un pouvoir exorbitant au discours en tant que creuset principal des réalités qui nous entourent. Dans cette perspective, l’histoire, la filiation, la mémoire, les origines, l’appartenance nationale n’existent pas, seuls existent des constructions narratives, des récits. »

Cambriolage idéologico-lexical

En linguiste aguerrie, Yana Grinshpun dissèque les récits et les mythes anti-Juifs pour y débusquer les mots-clés modernes qui sont autant de signaux codés de la vindicte judéophobe, et les connotations perverses qui résonnent en écho des antijudaïsmes ancestraux chrétiens ou musulmans. La perversion de la langue par l’antisémitisme est ainsi mise à nu, du négationnisme au palestinisme en passant par le révisionnisme historique, du discours savant au discours militant en passant par « le discours du droit », de la désinformation à la propagande en passant par « la langue anti-juive des intellectuels juifs et israéliens » eux-mêmes.

Les procédés de substitution et d’inversion victimaire sont essentiels dans le narratif anti-Juifs d’aujourd’hui. D’une part, « tout le récit palestinien est construit sur le cambriolage idéologico-lexical. Les termes de l’histoire juive, de la situation juive, des persécutions juives sont repris sur le compte d’une narration antijuive. Les Juifs sont ainsi expulsés de leur propre récit. » D’autre part, l’assimilation des Juifs aux nazis est désormais devenue courante, des manifestations contre « l’islamophobie » aux tags qui envahissent les murs des villes.

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Mais à l’origine, les promoteurs de cette inversion monstrueuse sont « les propagandistes soviétiques [qui] s’inspirent des nazis en recourant à l’inversion simple. Le « judéo-bolchévisme » des nazis est transformé en « nazi-sionisme ». » La connaissance intime de Yana Grinshpun de la réalité soviétique constitue en effet une des grandes qualités de cet ouvrage : les passages illustrés sur la propagande outrageusement antisémite diffusée en URSS dans les années 1960-70 sont extrêmement intéressant pour un public français peu au fait de cette caractéristique du totalitarisme soviétique. Sa maîtrise de la langue russe permet d’ailleurs également à Yana Grinshpun de démêler l’écheveau des fils entrecroisés entre l’expansionnisme russe poutinien et l’entrisme islamiste à travers la convergence anti-juive.

Compilation d’absurdités

Par des allers et retours entre passé et présent antisémites, Yana Grinshpun fait ainsi des rappels historiques indispensables pour déconstruire des affirmations mensongères d’aujourd’hui où, nous dit-elle, « à l’ère du relativisme culturel, l’une des croyances diffusées par l’idéologie dominante permet de postuler que tous les « récits » ou, comme on aime dire aujourd’hui, tous les « narratifs » se valent. » En historienne des idées -fausses-, elle revient notamment sur la situation des Arabes de la grande Syrie sous l’empire ottoman puis les plans de partage successifs de la région élaborés par les Britanniques, certains avec leurs partenaires arabes dès 1915, et avec les Français par ailleurs, dont les « territoires disputés » de Judée-Samarie en particulier sont d’une certaine façon les héritiers.

L’ouvrage très dense, compile également les théories tordues des incontournables figures tutélaires de la gauche intellectuelle, Eward Saïd, Noam Chomsky et Judith Butler en tête. Ne sont pas oubliés non plus les antisionistes juifs, « véritables coqueluches des antijuifs » comme Shlomo Sand, ou Ilan Pappé peut-être moins connu en France, à qui on doit la banalisation du terme « génocide progressif ». « Apparemment, torturé par la jalousie à l’égard de la créativité lexicale de son illustre compatriote, Yeshayaou Leibovitz, inventeur de l’expression « judéo-nazi », pour critiquer l’administration militaire des territoires disputés, Pappé a employé toute son énergie à diffuser le négationnisme le plus élémentaire dans le monde académique, associatif et militant. »

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Sous l’égide de Victor Klemperer décryptant « la langue du IIIème Reich », Yana Grinshpun analyse donc, selon sa formule, « la formation d’un ordre linguistique et politique qui a pénétré jusqu’aux usages de ceux contre qui il a été créé ». Et citant Vladimir Jankélévitch, elle met en évidence le travail de la langue, ce processus essentiel dans l’imprégnation idéologique car « en parlant, nous réveillons les stéréotypes tombés en léthargie et nous réactivons leur venin ; les radotages accumulés redeviennent virulents. Le rhéteur déclenche à nouveau une mécanique faite d’associations, de constellations verbales et d’idées reçues. Le langage, obéissant aux affinités et résonances qui se créent entre les mots, ne cesse de véhiculer des partis pris venus du fond des âges. »

Si Yana Grinshpun fait la part belle, pourrait-on dire, aux anti-Juifs de gauche, ne consacrant du côté droit, qu’un développement conséquent au fameux discours de Charles De gaulle en 1967, elle semble pourtant renvoyer dos-à-dos les antisémites de droite et de gauche ce qui est un peu troublant. Discutable également peut-être, son usage du concept « d’Eurabia » et certaines assertions à l’emporte-pièce qui affaiblissent parfois ses démonstrations linguistiques par ailleurs brillantes. Car le pessimisme que nous inspire l’époque irradie inévitablement cet excellent ouvrage. Pour Yana Grinshpun, « la haine des Juifs ne disparaîtra jamais ; elle change seulement de masques discursifs. La « bouillie sémantique » qui s’impose dans la langue commune n’est pas seulement ignorance, suivisme ou romantisme militant. Elle incarne « l’acmé de la destruction civilisationnelle », le signe du retour de la barbarie, où homo hominis Judeus est. »

288 pages

Rire des antisémites, même après le 7-Octobre

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© Antoine Chéreau

Dans son précédent album, Antoine Chereau avait réussi à nous faire rire de la France sous l’emprise du Covid. Ce nouvel opus, coécrit avec son épouse Isabelle, nous déride face à l’antisémitisme.


Il manque un mot dans le titre de l’album … comme un Juif en France. Jadis, ce mot c’était « heureux ». L’expression rendait hommage à la décision d’accorder la citoyenneté française aux membres d’un peuple plus souvent exclu qu’élu et disait tout le bonheur que signifiait alors l’intégration à une société politique pour qui tous ceux qui la composent sont égaux. Mais ça, c’était avant. C’était même il y a longtemps. Et aujourd’hui ?

Terrible constat

Dans les trois points de suspension qui ouvrent le titre, il y a un terrible constat, celui de la dégradation de la condition des juifs de France et encore beaucoup d’espoir : il est peut-être possible d’éviter que l’expression commence par « chassé » ou « traqué ». Tout ce paradoxe est résumé dans le dessin de couverture, où l’on voit un personnage pris dans le halo d’un projecteur destiné à traquer les fuyards. Mais avec ses yeux tout rond, sa bouille sympathique, c’est l’effet comique qui l’emporte : on n’est clairement pas dans un thriller et si les auteurs sont conscients de la gravité du moment, ils n’ont pas oublié que le rire était « la politesse du désespoir ». Ils nous offrent même la grâce de la légèreté dans une époque pourtant bien plombée.

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Il y a, en effet, dans cette oscillation permanente entre le tragique et le rire qui traverse l’album d’Isabelle et Antoine Chereau, une forme de lucidité dépourvue d’amertume qui fait de chaque planche à la fois un moment de gravité et un temps de respiration. Et si les situations sont grinçantes, c’est quand même la tendresse qui l’emporte. Car ce qui domine à la lecture, c’est le sentiment du bouillonnement de la vie. Face à la haine antisémite, les personnages mis en scène ne sont pas dans l’appel à la vengeance, ils ne réclament pas le prix du sang, ils ne déshumanisent personne et ne perdent pas leur propre humanité, ils sont représentatifs du meilleur de ce que l’on nomme l’humour juif : un humour qui naît dans un contexte de violence et de persécution et qui est un pied-de-nez au malheur par simple amour de la vie, envers et contre tout. C’est un humour de la survie, pas du ressentiment. Un humour né dans le malheur mais préservé de l’aigreur, où l’autodérision n’est pas un abaissement mais une manière d’affirmer une forme de liberté face au tragique et à l’absurde. Comme dans cette planche où deux amis discutent et où l’un, catholique, dit son admiration du judaïsme et où l’autre, juif, tempère tellement son enthousiasme que le premier déclare : « C’est une chance que tu ne sois pas l’attaché de presse du judaïsme. » Ou encore cet autre où un juif pratiquant discute avec un coreligionnaire tout à fait détaché de la foi. Loin de s’offusquer du refus de pratique de ce dernier, le croyant se borne à lui faire remarquer que quoi qu’il fasse (et surtout quoi qu’il ne fasse pas), il sera toujours suffisamment juif pour un antisémite.

Mieux vaut rire que pleurer

« Être Juif est un destin », disait la romancière Vicki Baum. Aujourd’hui cela redevient une question. Une question existentielle. Rire est une façon de ne pas tout perdre quand on ne contrôle presque rien et que l’on ne maîtrise plus que la façon de raconter ce qui nous arrive. Et le rire d’Isabelle et d’Antoine Chereau, s’il est sans illusion, n’est pas sans exigence. Il a l’élégance de nous rappeler, par l’absurde et la dérision que l’antisémitisme n’est pas que la plaie du peuple juif, c’est un chancre pour l’humanité. Un chancre qui détruit ceux qui le subissent, ceux qui le pratiquent et ceux qui laissent faire et dont on ne se débarrasse qu’en acceptant de le combattre. C’est dire si nous sommes tous concernés. Chaque époque est mise un jour devant sa vérité. Nos prédécesseurs ont su vaincre le nazisme et ont reconnu dans le déchaînement de la haine antisémite la marque de la barbarie et de la monstruosité. Et nous ? En sommes-nous encore capables ? Pour l’instant nos sociétés prouvent le contraire, pour leur plus grand malheur car les antisémites sont capables d’aller tellement loin qu’il a fallu forger, pour prendre leur mesure après la Shoah, le concept de crime contre l’humanité. Mais il ne joue plus son rôle de frontière entre l’homme et la bête : Le 7-Octobre a montré que « plus jamais ça » n’était plus une promesse pour les générations futures, nous en avons fait notre plus grand échec. Alors si l’humour peut aider certains à ouvrir les yeux, d’autres à redresser la tête et la plupart à reprendre les armes rhétoriques et politiques, cela ne présage certes pas de l’issue du combat, mais du moins sera-t-il joyeux !

… comme un Juif en France, Isabelle et Antoine Chereau, Pixel Fever Edition, 2025. 184 pages 

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Donald Trump et la fin d’un Occident

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Washington, 2 décembre 2025 © Sipa USA/SIPA

En publiant en fin de semaine dernière la nouvelle stratégie de sécurité nationale des États-Unis, le président Trump accable le continent européen pour sa faiblesse et entérine l’abandon de l’idée d’Occident.


Depuis son arrivé au pouvoir en 2017 et plus encore depuis le début de son second mandat, Donald Trump rompt systématiquement avec une vision du monde vieille d’un peu plus d’un siècle : l’Occident.  Donald Trump ne mobilise pas des références historiques au hasard, et la réapparition de William McKinley dans ses discours ne fait exception. En saluant le président qui annexa Hawaï, conquit les Philippines et fit entrer les États-Unis dans l’ère impériale tout en érigeant des droits de douane massifs, Trump signale la cohérence profonde de son projet d’une Amérique protectionniste, sûre d’elle-même, assumant sa puissance sans complexe, tournée vers l’océan Pacifique et prête à remodeler son environnement stratégique. En invoquant McKinley, il ne convoque pas seulement un modèle économique, mais le moment fondateur où Washington a commencé à projeter sa force bien au-delà de ses frontières. C’est à cette généalogie-là que Trump rattache son “America First” et « MAGA » à l’âge d’or de la Gilded Era de la fin du XIXe siècle. Ce « néo-mckinleyisme » est en rupture avec l’évolution de la politique étrangère américaine à commencer par le mandat de McKinley lui-même (1897-1901).

Matrice civilisationnelle

Ce que William McKinley incarne avant tout est une contradiction fondatrice de la politique américaine. Jeune député, il défend des tarifs très élevés pour protéger l’industrie nationale et consolider un marché intérieur autosuffisant. Mais une fois à la Maison Blanche, sa vision se transforme. Le protectionnisme n’est plus un rempart, il devient l’instrument d’une expansion extérieure, et l’Amérique cesse progressivement d’être une nation qui se protège du monde pour devenir une nation qui entend façonner le monde. Ses successeurs donneront à cette orientation stratégique une armature idéologique puissante.

Lorsqu’on observe la manière dont les États-Unis entrent dans la Première Guerre mondiale en 1917, un fait saute aux yeux : l’immense effort déployé pour convaincre une société largement isolationniste que son destin était lié à celui de l’Europe. Une idée-force traverse les discours politiques, les programmes universitaires et même la propagande officielle : les Américains viennent de la même matrice civilisationnelle que les Européens. Ce récit devient une véritable infrastructure mentale, destinée à justifier l’engagement d’un pays jeune dans des querelles vieilles de plusieurs siècles et dont ses fondateurs et ses habitants traversèrent l’océan pour échapper.

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Dès les années 1910, les élites américaines sentent qu’elles doivent légitimer autrement que par des intérêts stratégiques l’entrée en guerre contre l’Allemagne impériale. La référence à une « civilisation commune » apparaît alors presque comme un besoin existentiel. On décrit l’Amérique comme la fille de plusieurs filiations européennes. Athènes et Rome pour la politique, le christianisme médiéval pour la morale, la Renaissance pour l’humanisme, les Lumières pour la raison et le droit. En un mot, l’Europe n’est plus un continent étranger mais un « vieux parent » en danger, qu’il serait ingrat d’abandonner.

Les universités américaines jouent un rôle décisif dans cette opération intellectuelle. Entre 1914 et 1925, les Western Civilization Courses se multiplient à Columbia, Harvard, Chicago et Stanford. Ce n’est pas un hasard. Alors que le pays s’apprête à intervenir, puis lorsqu’il tente de comprendre les ruines de la guerre, ces institutions construisent un grand récit reliant directement la démocratie américaine à un héritage européen menacé. Soudain, la bataille de la Somme ou la chute des empires centraux ne sont plus des événements lointains mais des attaques contre la même tradition politique qui a produit la Constitution américaine.

La logique est limpide : si la civilisation occidentale est un continuum, alors l’Amérique doit la défendre. L’université devient ainsi un acteur stratégique. Et dans ce moment charnière, rappelons-le, les Etats-Unis sont dirigés par Woodrow Wilson, professeur d’Histoire et Président de l’université de Princeton). Avant même que le concept de « soft power » ne soit théorisé au XXe siècle, les États-Unis l’expérimentent déjà : en créant l’idée d’un Occident unifié, ils légitiment leur engagement militaire comme la suite naturelle de leur identité culturelle. On n’en est pas encore à la rhétorique de la guerre froide, mais la structure mentale binaire s’esquisse avec d’un côté nous (États-Unis et Europe libérale) et de l’autre eux (l’impérialisme allemand, perçu comme anti-démocratique et quasi barbare).

Communauté de destin

Cette matrice intellectuelle prépare, au fond, la future Alliance atlantique. Car ce qui se joue dans les auditoriums de Harvard ou dans les manuels initiés à Columbia en 1919, c’est une lente habituation, l’idée que les deux rives de l’Atlantique forment une communauté de destin. Le fil est continu entre les premiers Western Civ Studies aux discours de Franklin Roosevelt sur la « défense de la civilisation démocratique » en 1940, puis à la naissance de l’OTAN en 1949, qui institutionnalise explicitement une « communauté de valeurs ». Et ce n’est pas par hasard qu’à cette époque les cours de Western Civ ont été nommé avec humour « from Plato to Nato » (de Platon à l’OTAN).

Woodrow Wilson, quant à lui, comprend très vite la puissance de ce récit. Pour convaincre une opinion publique encore marquée par la tradition isolationniste de Washington et Monroe, il recycle sans scrupule le vocabulaire issu des universités. Défense du self-government, lutte pour la liberté, droit des peuples, autant de notions qui, dans l’imaginaire américain, sont autant de legs européens. Le Committee on Public Information, créé en 1917, diffuse ce langage à grande échelle avec des affiches, films, articles, conférences. L’Amérique se bat pour sauver l’Europe… mais aussi pour sauvegarder ce qui fonde sa propre identité.

Le glissement final est subtil mais décisif. Le récit universitaire installe progressivement l’idée que l’Europe a produit la civilisation occidentale, mais qu’elle n’est plus en mesure de la protéger seule. C’est désormais l’Amérique qui en devient la garante. Ce renversement silencieux prépare le Wilsonisme, l’internationalisme libéral du New Deal, puis, après 1945, le leadership américain sur ce que l’on appellera simplement « l’Occident ».

Dans ses actes, ses déclarations et surtout dans le livre blanc sur la sécurité nationale publié la semaine dernière, Trump acte l’abandon de l’idée d’Occident et du rôle de leadership que les États-Unis occupaient en son sein depuis la guerre froide. Washington fonctionne désormais moins comme une puissance garante d’un ordre collectif que comme une version géopolitique de la société de mercenaires Blackwater. Le mot d’ordre est devenu le burden sharing, le « partage du fardeau », ce qui signifie en réalité que les protégés, autrement dit les anciens alliés, doivent désormais payer comptant les services de sécurité fournis par les États-Unis. Dans cette logique transactionnelle, Washington écoute les propositions des deux côtés, de Moscou comme de l’Europe, avant de décider où s’engager, et n’exclut même pas l’idée de tirer profit simultanément des deux camps. L’Occident, un mot qui veut dire « coucher du soleil » n’a jamais mérité aussi bien son nom.

Une toute petite minorité…

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Paris, novembre 2005 © Fred De Noyelle/Godong/SIPA

Le philosophe Rémi Brague estime que la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État a été possible car «la République et les catholiques avaient en commun l’amour de leur pays». Ses interrogations sur nos compatriotes musulmans qui aujourd’hui n’aiment pas la France sont légitimes, quoi qu’en pensent les islamo-gauchistes.


Tous les Français musulmans aiment-ils la France ? La question est posée par le philosophe Rémi Brague. Il s’interroge en ces termes : « Dans la France d’aujourd’hui, tous les musulmans qui y habitent et qui en ont la nationalité partagent-ils l’amour du pays où ils résident ? ». C’est en conclusion d’un long entretien[1] au Figaro, accordé hier à l’occasion du 120e anniversaire de la loi de 1905 sur la laïcité, que l’intellectuel avance cette délicate réflexion.

Questions dérangeantes

Elle résulte, dans son esprit, d’une remarque qu’il développe préalablement sur l’opposition, au début du XXe siècle, entre l’État républicain et les catholiques. Brague explique : « Les deux partenaires, même s’ils étaient adversaires, avaient en commun un grand amour pour leur pays. Ils étaient fiers de la France, de son histoire, de sa langue, de sa culture. Cela s’est vu au moment de la guerre de 1914-1918, où les deux côtés ont rivalisé de patriotisme et ont montré qu’ils étaient tous les deux prêts à mourir pour la patrie ». Bref, la laïcité française, qui fut brutale avec le catholicisme, a néanmoins été rendue possible et acceptable parce qu’elle s’adressait à une société homogène, majoritairement issue du christianisme, lui-même initiateur de la séparation du spirituel et du temporel (Jésus : « Mon Royaume n’est pas de ce monde », etc.) Cette réalité sociologique, aujourd’hui bouleversée par une massive immigration arabo-musulmane amorcée dès les années 1970, a fracturé la société.

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Cette réalité n’est pas une découverte. En revanche, la question de la cohabitation pacifique avec les musulmans est de celle que les discours politiques et médiatiques évacuent, tétanisés à l’idée d’être accusés de racisme ou d’islamophobie. Il serait pourtant urgent de s’interroger sur un possible divorce.

Bien des Français musulmans aiment leur pays. À commencer, on peut le penser, par ceux qui s’engagent dans l’armée. Mais le dernier sondage de l’Ifop (relire mon article La nation, au défi d’une jeunesse francophobe) a montré la réislamisation de la jeunesse musulmane qui, à 57%, placerait la charia au-dessus des lois de la République. Il est d’ailleurs à remarquer que LFI a choisi, le 5 décembre, de saisir la justice en reprochant au sondeur d’inciter « à la discrimination, à la haine et à la violence ». Cependant ce choix de criminaliser le réel n’est destiné qu’à occulter les risques que fait courir à la nation l’objectif de Jean-Luc Mélenchon d’un changement de peuple et de civilisation.

Urgence

Lundi, sur Europe 1, l’avocat Thibault de Montbrial, spécialiste des questions de sécurité, n’a pas exclu un 7-Octobre en France, c’est-à-dire une offensive guerrière massive comparable à l’attaque d’Israël par le Hamas, menée par des organisations terroristes issues de la contre-culture musulmane. Tandis qu’Emmanuel Macron désigne la Russie comme une menace existentielle, il ne voit rien des ennemis intérieurs que sont les islamistes et les narco-mafias du Maghreb.

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Le 5 décembre, Donald Trump s’est inquiété d’une Europe en déclin confrontée à des « invasions » migratoires et à un « effacement civilisationnel ». En France, la classe politique se passionne sur la mascarade du budget. Il est urgent de se réveiller (bis repetita).


[1] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/remi-brague-la-loi-de-1905-a-ete-possible-car-la-republique-et-les-catholiques-avaient-en-commun-l-amour-de-leur-pays-20251208

Anne Coffinier, figure de la liberté scolaire, sous le feu de l’extrême gauche

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Anne Coffinier. DR.

Depuis plusieurs mois, Anne Coffinier, voix incontournable de l’école libre en France, subit une série d’attaques médiatiques venues de la gauche et de l’extrême gauche.


La virulence des critiques étonne d’autant plus qu’au sein de Créer son école, elle défend une liberté ouverte à tous : celle de créer des écoles catholiques, protestantes, juives ou strictement laïques ; des écoles pour enfants intellectuellement précoces comme pour élèves cabossés par le système public. Son action répond avant tout à des besoins concrets, ceux d’enfants que l’Éducation nationale ne parvient plus à accueillir dignement.

Ennemie parfaite

Pourquoi, alors, un tel acharnement ? La gauche assimile le combat pour la liberté scolaire à une cause de droite, parfois même d’extrême droite. Serait-ce parce qu’Anne Coffinier intervient souvent dans des médias classés à droite ? Parce que sa fondation Kairos et son association bénéficient du soutien de grands patrons ? L’explication tient sans doute moins à ces caricatures qu’à sa capacité rare à faire dialoguer des univers qui s’ignorent. Le 25 novembre, elle réunissait ainsi au Palais des Sports, devant plus de 4 000 personnes, le grand rabbin Haïm Korsia, le nouveau secrétaire général de l’enseignement catholique et la députée macroniste Violette Spillebout pour défendre, ensemble, les libertés de l’école privée. Pour la gauche, l’école libre est l’ennemi parfait, qui lui offre un ciment opportun qui lui permet de s’unir, dans la tradition du serment de Vincennes du 19 juin 1960 dont les conjurés se promirent d’éradiquer les financements publics de toute alternative à l’école publique.

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La gauche a compris de longue date que l’on transforme une société en prenant en main l’éducation de ses enfants. N’est-ce pas d’ailleurs dans les rangs de l’Éducation nationale qu’elle recrute l’essentiel de ses militants, de ses cadres syndicaux et de ses experts ? La droite, plus individualiste, est rétive à s’occuper réellement de questions scolaires au niveau national. Elle se soucie prioritairement de l’avenir scolaire de ses propres enfants, souvent scolarisés dans le privé, mais se mobilise peu pour l’éducation en tant que bien commun. Elle défend l’école libre lorsqu’elle est attaquée, mais ne porte que très rarement d’ambition forte pour la développer. Beaucoup de responsables refusent encore d’assumer un programme visant à rendre l’école privée accessible à tous, par crainte d’attiser la guerre scolaire, de faire le lit du communautarisme islamiste ou de mécontenter leur électorat. On se demande par exemple quand les Républicains oseront réclamer enfin la fin du totem des  80/20% en termes d’allocation des moyens financiers pour l’éducation ?

Réveiller l’école

C’est précisément ce verrou qu’Anne Coffinier invite à faire sauter. « Le libre choix de l’école est un droit démocratique à conquérir, un nouveau droit social qui pourrait rassembler largement, et que la droite aurait tout intérêt à porter, même si cela a vocation à être une cause transpartisane », affirme-t-elle. Elle rappelle, non sans humour, que Condorcet lui-même plaidait pour l’existence d’un secteur privé dynamique afin d’éviter la sclérose de l’école publique. En réservant la gratuité au seul public, l’État impose en réalité un monopole éducatif aux classes populaires et les prive d’une alternative garantie pourtant par la Constitution. C’est là que se niche un véritable séparatisme social, bien plus que dans le choix, réel ou supposé, des classes aisées de protéger leurs enfants de mauvaises fréquentations.

Alors que certains députés LFI veulent supprimer les déductions fiscales liées aux dons, réduire les subventions ou aligner les pratiques éducatives du privé sur celles du public, l’enjeu n’est plus de rallumer une guerre scolaire dépassée. Il s’agit plutôt d’innover en matière d’égalité sociale : offrir enfin à toutes les familles, et pas seulement aux plus favorisées, la possibilité de choisir l’école publique ou privée qui convient à leurs enfants.

Une telle réforme serait un moyen audacieux de réveiller la méritocratie scolaire, de relancer l’ascenseur social et de replacer l’école au cœur d’un projet véritablement national.

Qatargate: un scandale peut en cacher un autre

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Eva Kaili au Parlement européen de Strasbourg, 13 septembre 2023 © Jean-Francois Badias/AP/SIPA

La retentissante affaire ayant secoué la Commission européenne se dégonfle.


La France traverse un moment d’introspection médiatique. La commission d’enquête parlementaire sur les médias, créée pour examiner les mécanismes d’influence, les pressions économiques, les structures de propriété et les dérives possibles de certaines rédactions, questionne frontalement la manière dont l’information se fabrique.

L’affaire du Qatargate, que la presse européenne avait accueillie en fanfare en décembre 2022, sert aujourd’hui d’exemple emblématique. Libération[1], qui continue de suivre le dossier, et le quotidien italien Il Dubbio[2] montrent cette semaine combien la réalité judiciaire s’est progressivement éloignée du récit initial, largement construit sur une série d’arrestations spectaculaires et un narratif de corruption systémique au cœur de l’Europe.

Rappelons brièvement les faits. Les enquêteurs belges affirment en 2022 avoir démantelé un réseau financé par le Qatar (et possiblement le Maroc) pour influencer des élus européens. Sacs de billets, parlementaires mis en cause, mise en détention d’Eva Kaili, vice-présidente du Parlement européen : le scandale semblait énorme. Mais à mesure que les mois passent, l’enquête piétine, les preuves manquent, et une série de décisions de justice commencent à fissurer le récit initial.

Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

Comme l’a révélé Il Dubbio et confirmé par la suite Libération, Eva Kaili et Francesco Giorgi passent désormais à la contre-attaque. Trois ans après les arrestations, ils ont déposé plainte à Milan contre Pier Antonio Panzeri, l’ancien eurodéputé devenu le principal repenti de l’affaire. Ils l’accusent de calomnie : selon eux, rien dans les éléments recueillis par les services de renseignement belges, qui avaient en pratique dirigé l’enquête avant de la transmettre au Parquet, ne permettait de les mettre en cause. Ils n’auraient été incarcérés que sur la base de ses déclarations.

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Les avocats de Panzeri eux-mêmes, Laurent Kennes et Marc Uyttendaele, ont décrit de manière détaillée comment les noms de Kaili et Giorgi ont émergé : un enchaînement d’interrogatoires où Panzeri, privé d’avocat, finit par reconnaître un travail informel non déclaré pour le Qatar (17 000 euros par mois, 612 000 euros sur trois ans), mais nie toute corruption. Ce n’est qu’après avoir appris que sa femme et sa fille avaient été arrêtées, information volontairement retardée par les enquêteurs, qu’il s’effondre. Le lendemain, un accord lui est offert : la liberté pour sa famille et six mois de détention en échange d’aveux. Sinon, quinze ans. Et pour valider l’accord, deux noms.

Panzeri finit par citer les eurodéputés Marc Tarabella et Marie Arena, bien qu’il affirme devant le juge Michel Claise, qui se récusera plus tard, que Mme Arena n’a « rien à voir » avec cette affaire. Il devient collaborateur de justice et ses déclarations, que l’enquêteur Ceferino Alvarez Rodriguez qualifiera plus tard, dans un enregistrement révélé par Libération, de peu crédibles puisque « le parquet ne croyait à aucune de ses paroles », servent alors de base à l’inculpation de Mme Kaili et M. Giorgi.

Les Italiens tirent les choses au clair

La justice italienne, elle, semble de plus en plus sceptique. En avril 2024, la juge Angela Minerva a classé sans suite un dossier annexe visant Susanna Camusso, ancienne secrétaire générale de la CGIL[3], accusée par M. Panzeri d’avoir bénéficié d’un soutien qatari. Aucune preuve, aucun élément concret et les documents belges transmis à l’Italie ont été jugés « absolument génériques ». L’Italie pourrait ainsi relancer ce qui restera l’une des enquêtes les plus médiatisées, et la moins solide, de l’histoire européenne.

Le Qatargate, tel qu’il apparaît aujourd’hui dans Il Dubbio et Libération, raconte une autre histoire que celle de 2022 : non pas celle d’un réseau sophistiqué de corruption, mais celle d’un emballement politico-judiciaire où la pression médiatique, l’urgence policière et la fragilité des dépositions ont peut-être créé un scandale… sans substance.

Et c’est ici que le lien avec la situation française saute aux yeux. Les médias publics sont aujourd’hui accusés par plusieurs députés de droite d’être partisans, de défendre un agenda politique implicite ou de se précipiter sur certains récits alors que d’autres, pourtant tout aussi importants, sont négligés. Dans un paysage européen où la confiance dans les institutions et la crédibilité médiatique sont déjà sous tension, l’affaire Qatargate réactive des questions aussi simples que redoutables : comment une enquête peut-elle se transformer en scandale continental sans disposer d’un socle factuel solide ? Comment des institutions judiciaires peuvent-elles s’appuyer sur des témoignages aussi fragiles ? Et comment les rédactions peuvent-elles amplifier des récits dont elles ne mesurent pas toujours la volatilité ?

Chez nous comme ailleurs, les partis pris des rédactions, autrement dit les consensus sur les « bons » et les « méchants », les causes à défendre et celles dont il ne faudrait surtout pas « faire le jeu », semblent structurer en profondeur le traitement de l’information.


[1] https://www.liberation.fr/international/europe/qatargate-au-parlement-europeen-nos-revelations-sur-des-fuites-a-gogo-et-une-enquete-tres-partiale-20251209_LIJHQNOMEBGF5HR5ACWIHKQJDM

[2] https://www.ildubbio.news/giustizia/qatargate-cronistoria-indagine-corruzione-huqtjvr8

[3] Confédération générale italienne du travail