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Il y a une vie après l’Assemblée…

Pendant que le Conseil constitutionnel censure une grande partie de la loi sur la justice pénale des mineurs, rappelant qu’il vaut mieux « éduquer » que « sanctionner », l’Assemblée nationale s’écharpe sur la possibilité de marier ou non les clandestins sous OQTF… Bienvenue en absurdie !


La gifle

Vous avez évidemment vu cette vidéo de la « gifle » donnée par la première dame à son époux de président. D’abord paniqué par l’emballement des réseaux sociaux, l’Élysée a commencé par évoquer « un possible trucage » de la vidéo. Encore un coup de l’intelligence artificielle ! La vidéo provenait pourtant de l’agence Associated Press. Il a donc fallu revoir la copie. On a alors eu droit à un « moment de complicité » entre Brigitte et Emmanuel Macron. Plutôt cocasse… Si je reviens sur cet épisode, ce n’est pas pour ricaner. Ni pour monter l’histoire en épingle. Une dispute dans un couple, ça peut arriver à tout le monde. Non, le problème, c’est le mensonge de l’Élysée. Qui pourra croire, après de semblables revirements, les accusations régulières de l’Élysée contre les « complotistes » et autres actions de déstabilisation menées, notamment, par la Russie ? Le président joue un jeu dangereux. Voltaire disait déjà que « la politique est l’art de mentir à propos ». On dirait bien qu’Emmanuel Macron a définitivement perdu le sens du timing

OQTF

Puisqu’on parle « timing », Laurent Wauquiez et ses députés LR semblent avoir un petit problème… Quelle mouche les a donc piqués pour être si peu nombreux à l’Assemblée nationale le jour de l’examen de la proposition de loi permettant à un maire de ne pas marier un étranger en situation irrégulière ? Bonjour la solidarité ! Un sacré manque de jugeote et une belle boulette… Rien d’étonnant en revanche dans l’attitude grotesque des députés LFI (et plus généralement le côté gauche de l’hémicycle) qui ont fait de l’obstruction toute la journée pour empêcher que le texte soit voté… Deux beaux exemples de politique politicienne au ras des pâquerettes. Qui a parlé d’intérêt général ?

Racailles

Deux morts et 563 interpellations après des violences et des pillages en marge des « célébrations » de la victoire du PSG en Ligue des champions. Les individus interpellés avaient, selon le préfet de police de Paris, un point commun : « la volonté d’en découdre, de casser, de détruire, et ce, peu importe le résultat du match », puisque la plupart d’entre eux ne le regardaient même pas. Les condamnations paraissent peu sévères compte tenu de l’ampleur des faits et des dégâts causés lors de cette soirée du 31 mai. Mais très vite, on entend qu’il faudrait faire un distinguo entre les « vrais » supporters et les autres. Bref, entre les gens bien et les racailles. Le foot m’intéresse peu, mais j’aimerais savoir : les supporters du PSG qui descendent sur la pelouse du stade de Munich pour arracher des morceaux de la pelouse, on les classe dans quelle catégorie ?

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Conclave

Non, je ne vous parlerai pas du pape Léon, mais bien des retraites et du Rassemblement national. Pourfendeur de la réforme, on avait assisté entre les deux tours des élections législatives « post-dissolution » à des revirements sur le sujet de la part de Jordan Bardella. « Nous verrons. […] On va devoir réparer les bêtises économiques qui ont été faites… », avait-il alors déclaré. Des déclarations bien plus mesurées qu’une année auparavant, quand il trouvait que « la retraite, ce n’est pas de la comptabilité, comme le considère le gouvernement, c’est un choix de société. » Depuis, l’inéligibilité de Marine Le Pen étant passée par là, on sent le parti encore plus frileux… « Le moment de vérité pour la censure, ça va être le budget » a déjà prévenu Jordan Bardella. En clair, pas le conclave des retraites, quelle que soit son issue. Bah oui, ils auraient l’air de quoi au RN, s’ils votaient la censure et que s’ensuivait une nouvelle dissolution ? Marine Le Pen ayant passé le flambeau de la présidence du parti à son jeune ex-protégé, puis perdu son mandat de conseillère départementale du Pas-de-Calais, il ne lui reste plus que celui de député pour exister… Et si la peine infligée à la patronne du RN pour détournement de fonds publics est confirmée, cela veut dire cinq années sans élection… Loin des yeux, loin des cœurs ?

Alzheimer ?

Après le meurtre au couteau d’une surveillante par un élève de 14 ans au collège de Nogent (Haute-Marne), Emmanuel Macron a réagi, sur France 2, en proposant une nouvelle fois l’interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans. J’ai dû mal entendre… Au printemps 2023, un député de la majorité présidentielle (Horizons), Laurent Marcangeli, a en effet proposé la création d’une majorité numérique à 15 ans. Sa proposition de loi a alors été adoptée à l’unanimité, et promulguée par Emmanuel Macron en juillet 2023 ! Problème, les décrets d’application n’ont jamais été pris, parce que la mesure a été jugée contraire au droit européen. Emmanuel Macron ou la mécanique enrayée…

Nouveau trophée à Béziers !

On savait déjà – n’en déplaise aux Marseillais – que Béziers est la plus ancienne ville de France. Et depuis le 27 juin, le plus beau marché de France du concours organisé par TF1 ! Mais c’est un autre record que nous battons, semble-t-il chaque année, avec notre centre pénitentiaire. En France, la consommation moyenne d’eau pour une personne est de 150 litres d’eau potable par jour. Dans notre prison du Gasquinoy, la consommation est de… 289 litres par jour et par détenu ! Presque le double ! Sans que le propriétaire de l’établissement, le groupe Eiffage, en ait encore trouvé la cause… Bonne nouvelle en revanche, le niveau scolaire de nos détenus augmente. Comme quoi, rien ne sert de désespérer.

Boualem

À l’instar de plusieurs dizaines de villes en France, Béziers a participé à l’opération nationale #JeLisSansal. Il s’agissait de rendre hommage à l’auteur franco-algérien toujours emprisonné en lisant à voix haute, durant un jour entier, une de ses œuvres. Nous avons choisi 2084, la fin du monde, grand prix du roman de l’Académie française en 2015. Une journée très émouvante, durant laquelle de nombreux volontaires se sont succédé pour lire quelques lignes – en l’absence notoire de la classe politique locale, de « très à droite » à « très à gauche ». Une journée qui a permis de rappeler que l’écrivain franco-algérien, condamné à cinq ans de prison, risque aujourd’hui de voir sa peine doubler et croupit toujours dans les geôles du régime algérien. Tout simplement « coupable » d’avoir émis une opinion qui n’a pas plu à la dictature FLN qui règne sur l’Algérie. Boualem, nous ne t’oublions pas 

Gaston sauvé des eaux

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Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


La journée avait pourtant bien commencé. La veille, Béa et Tio Guy, mes voisins bien aimés, avaient taillé le forsythia de mon jardin qui s’appuyait un peu trop sur notre clôture mitoyenne. En ce samedi matin-là, vif comme une épinoche, je me rendis à la déchèterie Nord d’Amiens pour y déposer les déchets verts. Alors que je brandissais ma carte d’usager sous le nez d’un employé fort aimable, fier de prouver que je ne l’avais point égarée, celui-ci me fit savoir qu’elle était devenue obsolète, et m’indiqua, non loin de la porte d’entrée, un QR code qu’il m’invita à shooter. « Ainsi, vous pourrez faire valider votre inscription », dit-il.

Rétif aux technologies et à l’informatique en particulier, je photographiais avec bien du mal l’espèce de machin à damier. « Arrivé chez vous, avec ça, vous accéderez au site et en cinq minutes vous pourrez vous inscrire », poursuivit-il en prenant ma belle petite carte en plastique, bien réelle, elle. J’en éprouvais une pointe d’émotion, moi, le boomer hostile au monde virtuel. Je me rassérénais en songeant que j’étais parvenu à capter le fameux QR code et qu’il ne me faudrait que cinq minutes pour devenir membre du très fermé club de la Déchèterie.

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Pauvre de moi ! Je ne savais pas ce qui m’attendait. Montre en main, il me fallut deux heures et demie pour parvenir à mes fins. Pas moyens d’en sortir. Une horreur ! Afin de prouver que je n’étais pas un robot, on exigea que je reconnusse sur des dizaines et des dizaines de photos-vignettes, là des vélos, là des passages protégés, là des trottinettes. Je cochais ; je cochais sans fin. Lorsque j’en avais enfin terminé, mon identité et autres informations préalablement données, disparaissaient du fumier de formulaire. Et on m’intimait l’ordre de les décliner. Deux heures et demie, oui ; c’était à devenir cinglé. Je me mis à hurler, à gémir comme un vieux daim blessé par un chasseur en veston nubuck fredonnant « Blue Suede Shoes », façon Perkins et Presley. Le site était-il en maintenance ? Rien ne l’indiquait. Etais-je victime de ma techno phobie ? Je ne le saurais jamais. Alertée par mes cris, ma Sauvageonne, plus sexy que jamais, vint à mon secours. Elle aussi peina et finit par admettre qu’il n’était pas très gentil d’avoir conçu un outil pareil. Cependant, elle parvint après bien des efforts à procéder à la satanée inscription. Pendant ce temps, je m’étais assis sur le canapé, abattu, abasourdi par le stress. Afin de me requinquer, elle me proposa de faire une promenade à pied pour redescendre.

Nous nous dirigeâmes vers le quartier Saint-Leu, dégustâmes une glace ; arrivés sur le chemin de halage, nous nous posâmes sur un banc qui contemplait la Somme de son regard de bois. Alors que je rêvassais et repensais, non sans douleur, à l’horrible site, mon attention fut attirée par un pigeon mal en point qui était en train de se noyer dans l’onde samarienne. Il s’agrippait à des îlots d’algues vertes, frappait ses ailes déplumées sur les vaguelettes. On eût dit un social-démocrate qui tentait de survivre dans une république mélenchonnisée. D’emblée, je me mis à prénommer l’oiseau Gaston. (Peut-être avais-je pensé à Gaston Defferre ?) Subrepticement, je me levai, ramassai une branche et courut pour tenter de le secourir. Ma Sauvageonne crut peut-être que j’allais me jeter à l’eau, miné par mon bad trip sur le site de la déchetterie. « Où vas-tu, vieux Yak ? » hurla-t-elle. « Je vais sauver Gaston ! », lui répondis-je. J’essayais d’abord avec la branche que je venais de saisir. Elle ne convenait pas. J’en trouvais une autre, en forme de fourche. Gaston – qui avait vu en moi son sauveur potentiel – s’agrippa à une branchette ; ainsi, je pus le remonter sur la berge. Il tremblotait, piquait du bec vers sa gorge bleutée. Je sentais son petit cœur de Sagan battre la chamade. Je finis par lui trouver une manière de cachette au creux d’une haie verdoyante, posai à ses côtés le pot vide de mon sorbet citron que je pris soin de remplir d’eau Cristaline. En revenant sur le banc au côté de ma Sauvageonne, je constatai, amusé, que ma chronique Les Dessous chics avait accueilli en deux semaines, deux pigeons en son sein. Lors du concert de l’Orchestre universitaire de Picardie n’avais-je pas observé un pigeon à une patte ? « Tu es vraiment un drôle de zèbre, vieux Yak ! », sourit ma Sauvageonne. Elle n’avait pas tort…

L’un sort de prison, les autres n’iront pas…

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Le terroriste Georges Ibrahim Abdallah va être libéré et sera expulsé vers le Liban dans quelques jours. Pourtant, ses convictions politiques seraient restées intactes. Pendant ce temps, confronté à la surpopulation carcérale, le procureur de Bobigny suspend les mises en détention jusqu’à la rentrée pour désengorger les cellules.


Le hasard judiciaire permet un rapprochement, pas si incongru que cela, entre la libération de Georges Ibrahim Abdallah après 41 années d’incarcération pour des crimes terroristes et la décision du procureur de Bobigny de limiter les détentions à cause de la surpopulation pénitentiaire.

Sur ce dernier point, je comprends mal que dans l’arbitrage à opérer entre la sauvegarde sociale et la protection des personnes d’un côté, et de l’autre le souci carcéral, on ne considère pas comme naturellement prioritaire les premières. Quel que soit le triste état de certains établissements et leur densité d’occupation, ces éléments ne devraient pas l’emporter sur le devoir de la Justice de placer au-dessus de tout la sécurité des citoyens, « la majorité des honnêtes gens ». D’autant plus que pour une fois nous n’avons pas un garde des Sceaux qui laisse ce problème de la surpopulation et la honte des trop nombreux matelas à l’abandon !

La libération de Georges Ibrahim Abdallah est tout sauf à saluer. Mais à déplorer. Sauf si on est Éric Coquerel et qu’on appartient à la mouvance qui n’a rien appris, et jamais rien renié. Pour laquelle Georges Abdallah demeure un héros.

Même au bout de 41 ans, le sang n’a pas forcément séché et l’horreur terroriste des agissements demeure.

Il convient d’autant plus de les garder en mémoire que les prémices de ce dossier ont été largement gangrenées, au niveau des réquisitions, par un Parquet dépassé et trop sensible à la raison d’État. Heureusement, Me Georges Kiejman, pour l’ambassade des États-Unis, a convaincu la cour d’assises spéciale d’édicter la réclusion criminelle à perpétuité.

Georges Abdallah, criminel atypique contestant, malgré les preuves matérielles et balistiques, avoir perpétré ces forfaits, tout en admettant sa responsabilité politique – c’est bien commode ! -, a pris acte du caractère inespéré de cette libération puisqu’il a remercié la mobilisation qui l’a permise, et donc l’idéologie qui l’inspirait.

Il y a dans cette personnalité quelque chose qui fait songer à Cesare Battisti, adulé en France par les intellectuels de gauche. Mais lui a eu le courage de détruire les illusions qu’on avait formées à son sujet. Sur le tard, il a admis sa totale culpabilité.

Georges Ibrahim Abdallah n’a rien regretté des horreurs terroristes commises et il sera donc libéré comme il est entré : en plein contentement de lui-même et de ses crimes. Susceptible, donc, d’en attiser d’autres.

Il aurait dû purger sa peine jusqu’au bout en prison.

Ayant relié Bobigny à Georges Abdallah, je ne peux que constater, sur ces deux plans, une double indulgence de type différent mais incontestable.

L’une a bénéficié à Georges Abdallah, l’autre bénéficiera aux délinquants qui n’iront pas en prison.

J’espère que la société ne trinquera pas.

Claude Simon, l’enfant du désastre

Les cartes postales de l’été de Pascal Louvrier (3)


Ayant achevé un livre sur André Malraux, je sais que seul l’art peut tenir en respect la mort, et même la surmonter parfois. Avant de quitter Paris, et après avoir écrit un article sur Claude Simon pour Causeur de juillet-août, j’ai cherché sa tombe au cimetière de Montmartre. Il faisait très chaud et les chats ne m’ont pas aidé. Les arbres n’étaient pas des acacias, l’arbre préféré de Simon depuis l’enfance passée dans la maison familiale située à Salses-le-Château, en plein cœur du pays catalan, l’été. Avec la patience d’un horloger suisse, j’ai fini par la trouver. Le temps a oblitéré nom, prénom et dates qui encadrent une vie, ainsi que celui de sa compagne, Réa. À peine peut-on deviner son patronyme. La sépulture est grise, piquée de mousse, jamais entretenue. Elle ressemble à celle de Georges Bataille, dans le cimetière de Vézelay. Elle est aussi hideuse. Claude Simon, amarré par paresse au Nouveau Roman, a pourtant écrit de superbes livres. Son œuvre, grâce à Philippe Sollers, est éditée dans la Bibliothèque de la Pléiade, elle fut couronnée par le prix Nobel, en 1985. L’essentiel a vaincu la mort, le reste n’est que poussière. À condition qu’il y ait encore quelques intercesseurs pour la faire découvrir à des lecteurs curieux et exigeants. Car le style de Simon est l’un des plus puissants de la littérature du XXème siècle.

Dans un roman de Claude Simon, on retrouve souvent les mêmes morceaux d’un puzzle à reconstituer, écrits différemment, avec quelques variantes, quelques détails complémentaires, le tout servi par une écriture ample, des phrases ductiles, dynamisées par les participes présents et les métaphores audacieuses. Ça ressemble à un acacia. J’ai donc décidé de relire ce roman portant le nom de cet arbre révéré par Simon, né en 1913 et mort il y a tout juste vingt ans, un 6 juillet. Voici les dernières lignes de L’Acacia (1989), écrites par un homme de plus de soixante-dix ans : « La fenêtre de la chambre était ouverte sur la nuit tiède. L’une des branches du grand acacia qui poussait dans le jardin touchait presque le mur, et il pouvait voir les plus proches rameaux éclairés par la lampe, avec leurs feuilles semblables à des plumes palpitant faiblement sur le fond des ténèbres (…) ». Ça continue ainsi sur plusieurs lignes, jusqu’au mot final : « Immobilité ». Le roman est alors achevé. On ne touche plus à rien. La postérité le retient. L’arbre symbolise l’œuvre qui se déploie grâce au tronc strié, gorgé de sève surabondante.

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L’ouverture du roman décrit trois femmes en deuil qui crapahutent dans la boue. Elles sont accompagnées d’un jeune garçon. C’est l’histoire de Claude Simon contraint de suivre sa mère, et ses tantes, à la recherche de la tombe de son mari mort à la Grande Guerre. Elle s’entête, et cet entêtement dévaste l’enfance de son fils. C’est le point de départ, la naissance de l’écrivain et sa scène fondatrice, sans cesse revisitée, comme dans un cauchemar, sans nom, sans visage, juste des silhouettes maigres erratiques. Puis en 1940, ayant survécu à la débâcle, un jeune homme tente de retrouver ses repères dans une société bouleversée par la défaite militaire. Claude Simon, sans jamais se nommer, raconte sa propre expérience de soldat à cheval lancé contre l’aviation. Un assaut anachronique, presque sacrificiel. Entre ces deux tableaux – Simon est un peintre contrarié – la reconstitution familiale et l’exhumation des origines de ses ancêtres. Un lien infrangible : la guerre.

La guerre, oui. Celle d’Espagne où l’on croise le jeune Simon, trafiquant d’armes dans les rues de Barcelone, résistant aux franquistes, répétition générale de la déflagration de 1939, soulignant le naufrage moral des démocraties. La captivité ensuite du soldat, puis son évasion, qui connaît la faim, la saleté, la peur, ce retour à l’élémentaire, voire l’animalité, avec l’expérience de la mort pleine de fureur et de bruit – influence de Faulkner sur Simon. Pas de noms propres, j’insiste, mais des périphrases. Claude Simon ne raconte pas, il décrit l’homme au milieu du chaos, solitaire et abandonné. C’est ensuite le ressourcement vital avec la visite au bordel du coin et la chaleur des corps prostitués. Eros coûte que coûte pour résister aux desseins de Thanatos – Simon va plus loin, dans Les Géorgiques (1981), en imaginant la jouissance de sa mère au moment de sa conception.

Grâce à l’écriture, devant l’acacia, le travail de reconstitution s’opère. Le résultat est entre nos mains, il est vertigineux, unique, impossible à résumer, au fond.

Claude Simon n’a jamais retrouvé la tombe de son père qu’il n’aura pas vraiment connu – Simon est né en 1913, son père est mort l’année suivante. Je suis devant celle de l’écrivain, les nuages sont menaçants dans le ciel délavé. Cette bribe de phrase, à partir de laquelle tout commence, me revient soudain : « (…) depuis qu’encore enfant il avait été traîné dans un paysage d’apocalypse à la recherche d’un introuvable squelette (…) ».

Claude Simon, L’Acacia, Les Éditions de Minuit. 400 pages

Résister à l’ambiance – Une Franco-Israélienne au festival d’Avignon 

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On ne peut communier en excommuniant.


Les billets étaient pris. Le voyage prévu depuis longtemps. Et voilà que le 2 juillet, le festival d’Avignon, par la voix de son directeur, publie sur son compte officiel :« le festival se passe tandis qu’un massacre de masse se produit à Gaza ». 

La Franco-Israélienne que je suis se demande alors : « mais que vais-je faire dans cette galère ? »

Sur place, je m’attends au pire. Je guette le moment où l’on me prendra à partie, où des paroles m’atteindront, où mon cordon jaune aux couleurs de la libération des otages sera trop encombrant, mais rien. Ou presque. Ici, on s’affaire à une sorte de marathon culturel et divertissant à grande échelle, on passe d’un théâtre à un autre, on épluche les critiques et on traque LA pièce à ne pas rater. 

Je m’assois à une terrasse de café pour reprendre mon souffle. Un Allemand me tend un tract pour « Le Marchand de Venise », de Shakespeare, il veut causer avec moi, je lui dis que j’habite en Israël. Baissant la voix, il me lâche cette phrase : « Être antisémite est devenu illégal et condamnable. Alors la forme a changé, on s’en prend à Israël au lieu de s’en prendre ouvertement aux Juifs, mais le fond est resté le même ». 

Je remonte les rues brûlantes, quelques affiches sur Gaza et la Palestine perdues dans le flot infini des spectacles que l’on placarde. Un drapeau palestinien, un keffieh, il semble que la mayonnaise de la polémique n’a pas vraiment pris. Mais le mal est fait. Et le cœur n’y est plus. C’est la raison pour laquelle les mots de Saint-Exupéry, par la voix du talentueux Franck Desmedt, me parlent avec clarté : « le véritable courage, c’est de résister à l’ambiance. »

Résister à l’ambiance, pour moi, c’est passer outre, feindre la normalité, tout en ne cédant rien aux poncifs paresseux. « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » disait Camus, tristement mis à l’honneur dans une pièce ratée du festival au théâtre Essaion. 

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Ce sanctuaire de la création théâtrale, censé incarner le souffle le plus vivant de l’art, s’est transformé en une parodie pathétique de lui-même.

« On ne voit bien qu’avec le cœur » nous dit encore Saint-Exupéry. Au milieu des spectacles qui se réclament haut et fort de « l’humanisme », des « droits de l’homme » et d’autres combats éminemment vertueux, mon cœur ressent que l’âme du festival a été capturée.

Le théâtre défiguré a perdu sa vocation universelle : extraire le spectateur de son propre système de croyances, l’inviter, par la justesse des textes, à s’identifier à des émotions qu’il n’a pas directement vécues, et ainsi communier avec ses frères humains d’autres époques et contrées, pour donner un sens plus grand à sa propre existence. 

À Avignon, je redécouvre cette évidence : on ne peut communier en excommuniant.

Toute prétention à l’universel en devient une trahison quand, au nom de la « Morale » ou du « Droit », on se met à exclure une partie de l’humanité, désignée par la bien-pensance commune comme incarnation du Mal absolu. C’est cette même fausse vertu qui prend l’art en otage de sa bêtise et de son narcissisme lorsqu’on voit certains artistes annuler leur venue aux Francofolies de Spa sous prétexte de la présence du chanteur franco-israélien Amir…

De ce festival détourné de son essence, je repars vers mon peuple, si injustement stigmatisé, boycotté, vilipendé, vers cet « autre universel » qui m’a appris à unir le respect de soi à celui de l’Autre, la fierté nationale à la reconnaissance de toutes les identités.

C’est dans cette nouvelle patrie que je continuerai désormais à faire vibrer l’âme du théâtre français… en attendant que mon pays natal trouve enfin le courage de « résister à l’ambiance » …

Et maintenant ?

Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. « J’aime qu’on me contredise ! » pourrait être sa devise.


Avant l’intervention israélienne en Iran du 13 juin, Benyamin Netanyahou était en grande difficulté. D’abord sur le plan intérieur, avec ses alliés gouvernementaux d’extrême droite qui, refusant la participation des ultra-orthodoxes au service militaire, le menaçaient d’une dissolution de la Knesset. Habile tacticien, le Premier ministre israélien semblait pourtant de plus en plus acculé en ayant qu’un seul horizon pour se maintenir : poursuivre la destruction de Gaza. Un carnage sans issue après le pogrom du 7 octobre 2023 perpétré par les terroristes islamistes du Hamas. La riposte légitime s’est transformée en une vengeance disproportionnée, depuis plus de vingt mois, contre le peuple palestinien enfermé dans une enclave de douleur et de mort, de colères et de ressentiments. Sans parler des exactions du gouvernement israélien en Cisjordanie. De plus en plus d’Israéliens, dans ce pays démocratique, ne voulaient plus de cela, d’un horizon obstrué et d’un isolement international.

Avant l’intervention israélienne puis américaine sur l’Iran, deux processus diplomatiques étaient engagés. D’abord des échanges directs, à Oman, entre Américains et Iraniens sur la question du nucléaire. Puis, la conférence programmée à New York, du 17 au 20 juin, à l’initiative de la France et de l’Arabie saoudite, pour la reconnaissance de l’État palestinien. Et aussi – cela a été trop peu rappelé – pour une reconnaissance d’Israël par des pays arabes. Bref, il était question de diplomatie et de politique. D’avenir commun, de sécurité collective pour éviter une escalade dans une région poudrière où toute déflagration peut avoir des conséquences vertigineusement dangereuses.

A relire, du même auteur: Ce que je reproche le plus à Nétanyahou

Puis, après l’intervention israélienne et américaine en Iran, tout cela a été déchiré. Éparpillé aux quatre vents d’un Proche-Orient en état de choc. À l’heure où ces lignes sont écrites, les commentaires portent sur les performances de la bombe GBU-57. C’est impressionnant quand même notre capacité à être tour à tour infectiologues (au temps du Covid), sélectionneurs (pour les JO ou le PSG) et maintenant spécialistes des bombardiers B-2 et de l’uranium enrichi. Il est aussi question de ce que pourrait être la riposte iranienne, de la dimension stratégique du détroit d’Ormuz, de la possible flambée du prix du pétrole. Et de l’impuissance française et européenne. Seul le chancelier allemand a eu un propos audible en indiquant que Benyamin Netanyahou avait fait le « sale boulot » pour nous tous.

Le Premier ministre israélien a obtenu à la fois le précieux soutien américain et un nouveau théâtre d’opérations. On sait qu’il peut faire la guerre. On sait qu’il peut imposer la loi du plus fort. Surtout s’il est soutenu par plus fort que lui encore. On sait qu’il est un politique capable, dans des situations particulièrement difficiles pour lui, de se tirer d’affaire pour mieux se relancer et s’imposer.

Mais pour quelle issue ? Pour quel projet politique ? Celui des partis religieux d’extrême droite qui, il y a peu d’années encore, n’auraient jamais pu intégrer un gouvernement israélien ?

Je n’ai jamais confondu l’État d’Israël avec son gouvernement. Alors que l’antisionisme est devenu un antisémitisme, on doit pouvoir continuer à critiquer, si nécessaire, la politique du gouvernement israélien.

D’accord ?

Frédéric Beigbeder: «Liberté, égalité, légèreté!»

Chroniqueur littéraire au Figaro Magazine, président-fondateur du prix de Flore, animateur des « Conversations chez Lapérouse » sur Radio Classique, écrivain à succès chez Grasset : avec une telle carte de visite, Frédéric Beigbeder connaît mieux que personne l’esprit français ; et n’oublie pas au passage d’en avoir.


Causeur. Qu’est-ce que l’esprit français ? Et surtout, existe-il ?

Frédéric Beigbeder. Oui, il existe ! Précisément depuis François Rabelais, le premier homme de lettres à avoir critiqué le pouvoir, à s’être moqué de tout ce qui est sérieux. C’était l’écrivain libre par excellence, un pur anarchiste avec son mot d’ordre « Fay ce que vouldras ». Nous sommes tous les enfants de ce médecin complètement dévoyé, martyrisé en son temps par la censure, alors qu’il est l’inventeur – en même temps que Cervantès en Espagne – du roman moderne, donc de l’esprit moderne.

Modernes, nous le sommes tous, mais peut-on parler d’un esprit spécifiquement français ?

Peut-être bien. Parce qu’en France, on aime davantage l’outrance et la provocation que dans les autres pays. Prenez Oscar Wilde, qui est un sommet de l’esprit. Sa vie est faite de scandales, en particulier celui de son homosexualité – qui lui a valu d’aller en prison –, mais il a toujours veillé à ce que son expression, elle, ne dépasse pas les bornes. Alors que dans notre pays, on ne peut pas résister au plaisir d’exagérer, de caricaturer, de choquer, quitte à le payer très cher, parfois du prix de sa propre vie. Ce n’est sans doute pas un hasard si Charlie Hebdo est publié à Paris.

Malheureusement, l’esprit français, c’est aussi Robespierre et un certain esprit de délation…

Oui, mais quand on me parle d’esprit, je ne pense pas à nos défauts, notre lâcheté, notre pourriture ! Dans le mot « esprit », j’entends un certain style, celui de Voltaire, de Guitry, la repartie, l’ironie, l’art de faire rire, de bousculer. Avoir de l’esprit ne consiste pas à préparer ses blagues à l’avance, mais à savoir les inventer dans l’instant et les placer pile au bon moment. Par exemple Talleyrand qui s’exclame, alors qu’une comtesse qui vient de faire un pet dans un salon bouge son fauteuil pour tromper l’assemblée : « Madame, vous cherchez la rime ? » Il paraît que cette saillie a fait le tour du pays. J’adore l’idée qu’un bon mot soit repris, colporté. Ce n’est peut-être pas glorieux, mais l’esprit français prospère dans le ragot. Truman Capote affirmait d’ailleurs que toute la littérature repose sur des potins. Il avait raison. Depuis Villon, on ne fait que reprendre des histoires qu’on se raconte dans les dîners. La ballade des dames du temps jadis, c’est rien que des vieux cancans.

Avec son trait assassin, Talleyrand a sali la réputation d’une dame. L’homme d’esprit français aime aussi, et même surtout, honorer le beau sexe ! Alain Finkielkraut cite souvent cette phrase de Germaine de Staël : « La France est la patrie des femmes. »

C’est vrai. Et ça remonte au Moyen Âge courtois, donc avant Rabelais. La galanterie, c’est très français. D’ailleurs, je l’ai remarqué de façon empirique. Quand j’organise un dîner, s’il n’y a pas une, deux ou trois femmes, les mecs sont nuls. Pour que le Français ait de l’esprit, il faut qu’il cherche à plaire à une dame. On retrouve cela chez les libertins du xviiie siècle. Sans cette inspiration-là, on n’est plus que des instagrameurs à faire des vannes, ou des comiques de stand-up.

L’esprit français, c’est en quelque sorte l’inverse de l’esprit de l’escalier…

Je dirais que l’esprit français, c’est un tiers d’irrévérence, un tiers de potin, un tiers de drague.

Trouvez-vous aujourd’hui des héritiers dignes de cet esprit ?

Édouard Baer par exemple. Si vous le lancez sur un sujet, il peut improviser dix minutes de monologue complètement poétique, inattendu, désopilant. Amélie Nothomb aussi a beaucoup d’esprit. Un jour, je lui dis : « Ça serait drôle qu’on écrive chacun un livre l’un sur l’autre. » Elle me répond : « Bonne idée, faisons-le ! » Je la taquine alors : « Le seul problème, c’est que mon livre va être meilleur que le tien, évidemment. » Et elle me lâche aussitôt : « Oui, parce que le sujet est plus intéressant ! »

Ce n’est pas le genre d’échange que vous pourriez avoir avec Annie Ernaux ou Christine Angot…

Je ne sais pas… Mais je vois où vous voulez m’entraîner. Vous voulez peut-être dire que l’esprit, c’est de droite ? C’est une bonne question, à vrai dire. J’ai publié il y a cinq ans un livre sur ce sujet, sur l’humour de gauche omniprésent depuis vingt ans, notamment à l’antenne de France Inter, et qui est si prévisible, si répétitif, si éculé. Maintenant, on s’aperçoit que la vraie liberté est peut-être de l’autre côté, du côté des pessimistes, de ceux qui ne donnent pas de leçons. Le vrai esprit, c’est de simplement réagir à ce qu’on voit. De ne rien démontrer au fond.

Reste que l’esprit de système, c’est aussi très français. Il y a une blague : deux philosophes se baladent, un Français et un Anglais. Le Français dit à l’Anglais : « Votre régime est merveilleux en pratique, mais en théorie ? »

L’intellectualisme ! Oui, ce n’est pas faux. D’ailleurs, dans le monde entier, on se fout de notre gueule à cause de ça. On est les rois de la prise de tête. Dès qu’on bouffe une madeleine, on pense à notre enfance, on se souvient de notre mère qui venait nous dire bonsoir dans notre lit. Et on fait deux mille pages de démonstration là-dessus.

La dernière démonstration ambitieuse française remonte à l’an dernier, avec la cérémonie d’ouverture des JO à Paris. Qu’avez-vous pensé de ce spectacle retransmis en mondiovision ?

J’ai surtout trouvé que les acteurs étaient très mal habillés et ça m’a fait de la peine pour la haute couture française. On est quand même le pays du style, de la mode ! Les drag-queens semblaient sapées aux Puces ou chez Guerrisold. Cela dit, certains passages étaient très réussis. Juliette Armanet chantant Imagine avec un piano en flammes sous la pluie, quelle belle image ! Mais globalement, je n’étais pas très fier de cette cérémonie.

La tête coupée de Marie-Antoinette…

Le visuel se voulait comique. Cela avait un côté attraction de foire à Piccadilly Circus, genre madame Tussaud. De l’humour anglo-saxon, pas du tout français.

Vous avez le sens de l’image, vous avez réalisé plusieurs films, et avant d’être écrivain, vous étiez publicitaire. N’est-ce pas un milieu où l’esprit est très formaté ?

Avec le temps et le recul, je m’aperçois au contraire que ce métier m’a beaucoup appris. Il oblige à la concision, à la précision. Chaque phrase doit être une formule. On ne peut pas écrire des platitudes quand on met au point une campagne de pub.

En 2002, vous avez conçu la campagne présidentielle de Robert Hue. Par conviction ou par besoin d’argent ?

Je venais d’écrire un livre sur la pub, 99 francs, dans lequel je décrivais la façon dont les marques manipulent les masses. Ça rejoignait les préoccupations anticapitalistes du Parti communiste, donc ils m’ont téléphoné et m’ont proposé de participer à des réunions sur le sujet. J’ai trouvé très marrant de me rendre place du Colonel-Fabien, dans cet immeuble incroyable qui ressemble à une soucoupe volante. Je sentais bien que les apparatchiks se demandaient : « Qu’est-ce que c’est que ce garçon ? Qu’est-ce qu’il fout là ? » Mais, ayant l’esprit ouvert, ils m’ont demandé d’imaginer les affiches de leur candidat. Cela m’a semblé tellement surréaliste que j’ai accepté. J’ai travaillé pour eux à titre gracieux bien entendu. Ça a donné un slogan assez sérieux à la fin : « Aidons la gauche à rester de gauche ».

Hommage national à Hélène Carrère d’Encausse dans la cour d’honneur des Invalides, Paris, 3 octobre 2023 ISA HARSIN / SIPA

Ça a marché, ils sont restés très à gauche. Bravo !

Je reconnais que ce slogan manque de légèreté. Or la légèreté est une vertu française cardinale. La devise de la République devrait être : « Liberté, égalité, légèreté ». La fraternité, très bien, mais on n’y arrivera jamais, donc… Cessons déjà d’être lourds, y compris avec les femmes ! Retrouvons le goût de la légèreté, qui fait que rien n’est grave, qu’on plaisante. C’est le badinage qu’il faut ressusciter.

Difficile dans un pays où même le Festival de Cannes interdit les robes trop dénudées ! N’est-on pas en train de perdre cet esprit de liberté si français ?

On peut payer de sa vie un mot ou un dessin, donc ça rend un peu paranoïaque. L’esprit français est attaqué de toutes parts, par les susceptibles, les puritains, certaines féministes, ça manque d’humour tout ça ! L’intelligence ne peut fuser que dans une atmosphère détendue, où tout est permis. Seulement, nous ne sommes plus dans une époque où tout est permis. Pas mal d’hommes d’esprit sont morts juste à temps, comme Jean d’Ormesson en 2017 ou Pierre Bénichou en 2020. Ils ont bien senti que ça allait devenir compliqué. La preuve, depuis quelques années, à chaque fois que je sors un livre, cela déclenche une polémique.

Et pourtant, il n’y a pas de scènes franchement choquantes dans vos bouquins.

Pas beaucoup, non. À l’écrit, je suis très pudique. Je veux que ce que je raconte soit intense et si possible provoque des réactions, mais je ne veux pas mettre le lecteur mal à l’aise, lui donner le sentiment d’être un voyeur. C’est ma limite. Même si dans une de mes Nouvelles sous ecstasy, il y a du cul assez hard. Je me suis lâché. Une seule fois.

Revenons à ceux qui s’estiment offensés par vos écrits. Il s’agit des féministes, bien sûr, qui ne supportent pas que vous proclamiez votre hétérosexualité… On peut les comprendre : on est inclusif, mais faut pas déconner !

Hélas, je ne peux pas faire autrement. Même si je vois bien que je me crée de plus en plus de problèmes en écrivant ce qui me plaît. Au dernier salon du livre de Nancy, j’avais deux gardes du corps. La municipalité avait demandé à des policiers de me protéger. Et quand j’ai pris la parole en public, des militantes se sont levées pour me demander de me taire.

C’est le festival des peine-à-jouir.

Les militantes tatouées, au crâne rasé, ont peut-être des orgasmes fulgurants entre elles ! Mais je ne comprends pas en quoi mon hétérosexualité les dérange. Je leur ai tendu mon micro en disant : « Exprimez-vous », elles m’ont dit : « On te parle pas, on veut juste que tu te taises. » L’esprit ne peut s’épanouir que quand chacun accepte que l’autre prenne la parole, et éventuellement, ne soit pas d’accord. La démocratie quoi !

Un nouvel outil fait régresser, peut-être pas la démocratie, mais l’esprit de contradiction, d’originalité et de tolérance : c’est l’intelligence artificielle. Ça vous inquiète ou ça vous passe au-dessus de la tête ?

Cela m’inquiète énormément. Comme tous les gens qui vivent de leur plume, j’ai bien sûr très peur d’être remplacé par des logiciels. Pour le moment cependant, je constate que s’il y a une chose que les ordinateurs n’ont pas encore réussi à développer, c’est l’esprit. Chat GPT n’est pas marrant du tout. Il faut dire qu’il n’est pas autorisé à parler de sexe, de drogue, etc. Tous les sujets embarrassants sont gommés.

L’IA ne détruit peut-être pas les écrivains, mais détruit déjà assurément les lecteurs.

Pour le voir de manière positive, il faut se dire qu’on va finir dans des catacombes, en se récitant des poèmes de Baudelaire comme à la fin de Fahrenheit 451.

Ça commence déjà un peu. Peut-être que lorsque vous avez postulé à l’Académie française, c’était justement pour être admis dans une de ces caves ?

Le Quai Conti est typiquement le genre d’institutions dont on pensait, depuis plusieurs siècles, qu’il ne servait à rien, alors qu’en fait il va bientôt avoir un vrai rôle à jouer pour défendre l’humanité. Les Immortels ne le savent pas, mais tout d’un coup, c’est ce genre d’endroits qui va protéger ce qui reste de l’esprit, tout simplement. Car l’esprit, au fond, c’est ça : des vieux cons qui se réunissent pour s’envoyer des maximes de Joseph Joubert ou de Vauvenargues à la figure, des auteurs que plus personne ne connaît. Les académiciens sont des résistants dans un monde de robots. Je suis très sérieux. Je pense que d’ici dix, quinze ou vingt ans, la littérature et l’esprit seront la seule manière de rester humain.

On fera une association de protection et de conservation du second degré !

Voilà ! Tout le monde aura son cerveau branché sur une puce électronique Neuralink et portera des lunettes tridimensionnelles ne laissant voir qu’une réalité virtuelle. Mais des zoos existeront, où l’on pourra observer dans des cages des personnes débranchées en train de lire des livres.

Et en train de baiser, parce ça aussi ça devient virtuel…

Mais il sera super ce zoo ! J’ai hâte d’y être enfermé. Au lieu de s’appeler Disney World, ça s’appellera Human World – le monde humain. Et les robots viendront le visiter pour s’émerveiller de cette espèce bizarre et sauvage qui s’appelle l’homme.

Tant qu’il y aura des films

Cet été, deux immenses cinéastes français disparus vont illuminer les salles obscures. On ne peut pas en dire autant des nouveaux films…


Monsieur Claude

Claude Chabrol, première vague, à partir du 9 juillet.

Cinquante-sept films, 23 téléfilms, 50 millions de spectateurs, mais aucun César ni aucun prix à Cannes. On peut ainsi quantifier la filmographie de Claude Chabrol, l’ogre joyeux, malicieux et acide du cinéma français durant trois quarts de siècle. Une œuvre en dents de scie, si l’on en croit la doxa, mais quel cinéaste peut prétendre au contraire (Charles Laughton ayant eu la sagesse de ne réaliser qu’un seul film, La Nuit du chasseur, et c’est un monument) ? Alors oui, évacuons d’entrée de jeu les ratages plus ou moins absolus que sont, par exemple, Marie-Chantal contre le docteur Kha, La Route de Corinthe, Docteur Popaul, Les Magiciens ou bien encore Folies bourgeoises. Oublions-les d’autant plus qu’ils ne font pas partie de cette première salve de ressorties estivales, sous l’égide du distributeur Tamasa, de 12 films, 12 pépites, à voir et à revoir au cinéma sans jamais se lasser. Les citer intégralement est déjà un plaisir et une promesse : Le Beau Serge, Les Cousins, Les Godelureaux, Landru, Les Biches, Les Bonnes Femmes, Le Boucher, La Femme infidèle, Juste avant la nuit, Les Noces rouges, Que la bête meure et La Rupture. Que du bon, vous dit-on, voire du très bon et même de l’exceptionnel. D’abord parce que tous ces films sont portés par des acteurs absolument formidables qu’il faudrait aussi tous nommer, y compris ces seconds rôles, comme Dominique Zardi et Claude Piéplu, dont Chabrol se délectait et nous avec. De Jean-Claude Brialy à Bernadette Lafont, de Jean Yanne à Stéphane Audran, de Michel Piccoli à Michel Bouquet en passant par Charles Denner, Michel Duchaussoy et Caroline Cellier, c’est un sidérant festival de masques, de gueules et de beautés. Mais à la base de tout, il y a des scénarios parfois coécrits en compagnie de « pointures », tel le mystérieux et très talentueux Paul Gégauff, toujours sur des cahiers Clairefontaine de 80 ou 100 pages, car, disait Chabrol : « Ça me permet de donner le gabarit à chaque scène. À la fin, je sais que je dois tenir en quatre-vingts pages, cent pages maximum. Dès que j’ai une seule rature, j’arrache la page et je recommence. C’est un très bon système pour avoir les idées claires ! » Chacune des histoires que raconte Chabrol compose une sorte de « comédie humaine », ambition déclarée de cet admirateur sans bornes de Balzac, Maupassant, Flaubert et Simenon, pour décrire avec brio la France bourgeoise, montante, déclinante puis implosée des années 1960 jusqu’au début du siècle suivant. Tout en y mêlant une implication intime et personnelle qu’il a ainsi qualifiée : « Mes films ne sont pas autobiographiques dans l’anecdote, mais par les sentiments que j’y mets. »

Si l’on ne devait retenir qu’un seul des 12 films proposés, ce serait le trop méconnu Juste avant la nuit, écrit par Claude Chabrol d’après The Thin Line (L’Étau) de l’écrivain libanais de langue anglaise Edward Atiyah et sorti sur les écrans en 1970, après La Rupture et avant La Décade prodigieuse. On y retrouve Bouquet, Audran, Duchaussoy, François Périer et Jean Carmet. Chabrol estime peu le roman initial, il s’agit surtout pour lui de donner à l’un de ses films précédents (et quel film !), La Femme infidèle, une image inversée tel un négatif photo. Soit l’histoire d’un homme qui trompe sa femme, assassine sa maîtresse et veut confesser son meurtre à son épouse. Le résultat est un film vénéneux à souhait, avec en son centre le personnage du mari joué par Michel Bouquet qui déclara un jour : « C’est le plus beau film que j’ai fait dans ma vie. » Il ne se trompait pas.


Oncle Marcel

Rétrospective Marcel Pagnol (partie 2), à partir du 30 juillet.

Photo : Carlotta

Le cinéma de Pagnol est définitivement sorti du carcan provençal et pittoresque dans lequel certains l’ont trop longtemps enfermé. Une nouvelle rétrospective avec six films distribués par Carlotta permet d’apprécier les différentes facettes de ce merveilleux conteur d’histoires tour à tour joyeuses, tragiques et fortes : depuis Naïs, Merlusse, Cigalon, Manon des sources et Ugolin jusqu’aux Lettres de mon moulin adaptées évidemment d’Alphonse Daudet. Sur grand écran, la magie Pagnol opère à chaque fois : la magie du verbe, la magie des acteurs (Fernandel en tête), la magie d’une mise en scène limpide et fluide. Par-delà des décennies, les films de Pagnol ne cessent de nous parler, développant des « caractères » et des fables pour adultes qui visent toujours juste. Aux côtés de Guitry, Renoir, Grémillon et quelques autres, le cinéaste fait partie intégrante d’un panthéon cinématographique de première importance.


Cousine bête

Alpha, de Julia Ducournau
Sortie le 20 août

Diaphana

Depuis une Palme d’or obtenue en 2021 avec l’ineffable Titane, Julia Ducournau se pose en égérie de la nouvelle vague des cinéastes français, ou des réalisatrices faudrait-il plutôt écrire tant la dimension du genre est ici présente. Mais avec Alpha, son nouveau film reparti totalement et heureusement bredouille de Cannes cette année, la machine connaît manifestement quelques ratés. Il faut dire qu’on serait bien en peine de comprendre quoi que ce soit d’un scénario alambiqué qui prétend être une réflexion sur la maladie, la mort et les épidémies. Rien que ça. Le tout servi ou plutôt desservi par des images ultra-travaillées qui se veulent comme autant de moments chics et chocs. À la vacuité du propos correspond ainsi une emphase stylistique sans limites. Si c’est cela le renouveau du cinéma français, il serait temps de s’inquiéter.

Travail de deuil

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Aux obsèques de son père, Qiao perd ses moyens. Le frère cadet du défunt a mis autoritairement dans les mains du frêle garçon de 18 ans un panégyrique rédigé d’avance, qui reste en travers de la gorge du garçon : devant l’assistance venue sur son trente-et-un assister malgré la pluie battante à la cérémonie de crémation, dans un décorum cossu envahi de couronnes de fleurs blanches, il n’arrive tout simplement pas à lire son texte :  Qiao prend ses jambes à son cou, s’enfuit, s’échappe hors de la ville.  Recherché par sa famille, il sera évidemment rattrapé au bout de quelques jours, et ramené au bercail par sa belle-mère. Voilà pour le prologue.

Nous sommes à Hangzhou, métropole dont l’arrière-plan des gratte-ciels, du réseau viaire et fluvial, et la modernité minérale témoignent, s’il le fallait, à tout le moins pour l’œil du spectateur occidental, de la fantastique mutation de l’Empire du Milieu, tout particulièrement dans l’apparence futuriste de ses métropoles en essor accéléré.

Progrès de l’IA

Production franco-chinoise, deuxième long métrage (après Suburban Birds en 2018, pas sorti en salles) du cinéaste Qiu Sheng, lui-même natif de Hangzhou où se situe l’action, My Father’s Son, dans une première partie, distille les indices par quoi la relation filiale entre le défunt entrepreneur et son fils se révèle en porte-à-faux radical avec l’éloge funèbre dicté à l’adolescent : comme un démenti insistant à la réalité que le film nous dévoile de proche en proche, les fallacieuses sentences du discours viendront d’ailleurs, en sous-titre, ironiquement ponctuer les séquences du film, d’un bout à l’autre. C’est sans prévenir que le scénario bifurque ainsi vers l’enfance douloureuse de Qiao, dans une série de flashbacks révélant peu à peu quel homme contradictoirement aimant et protecteur, mais également instable, intrusif, violent fut ce géniteur, mari jaloux, agressif et destructeur, attentif à faire de son fils à tout prix un champion de boxe à son exemple, ce avant que frappé d’addiction au jeu, à l’alcool et aux stéroïdes, ce pater imperiosus ambigu ne soit atteint d’un cancer sans rémission.

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Dans une ultime, énigmatique et soudaine bifurcation, My Father’s Son se téléporte contre toute attente dans le futur proche où dans un environnement aseptisé de tours, l’Intelligence artificielle a fait des pas de géants : maintenant adulte, chaussé de lunettes de vue, habitant un logis high-tech immaculé où poussent des bonzaïs géants, en couple désormais avec une jeune femme enceinte de ses œuvres, Qiao, devenu ingénieur au sein du laboratoire ANOTHER MIND, a modélisé un ring numérique capable de simuler un match de boxe où il affronte le fantôme de son papa généré par l’IA. « J’ai de mauvais gènes », dira-t-il devant le praticien qui évalue le risque que son enfant naisse trisomique, tandis que ce Frankenstein du 3ème type semble échapper à son contrôle…  

Précautions

À l’élément aquatique est associé, revenant comme un leitmotiv symbolique tout au long de ce parcours introspectif où le cinéaste a probablement mis beaucoup de lui-même, une vertu purificatrice, voire rédemptrice : ayant récupéré l’urne contenant les cendres de son père, on verra Quiao, par exemple, étreindre une Diane de rencontre au milieu du flot…

Est-ce un film chinois pour l’exportation ? « Mon père monta sa société en réponse aux appels du Parti et de son époque » : cette citation de l’éloge funèbre évoque en creux, dans un savoureux euphémisme, l’histoire récente de la Chine, dont le père de Qiao, « né en 1972 », est la projection allégorique. Ce que dans son épure, sa retenue, son esthétique très maîtrisées se garde pourtant de souligner My Father’s Son, c’est la dimension immensément tragique de la Révolution culturelle, l’horreur inexpiable qu’a été de part en part la dictature du Grand timonier. On soupçonne qu’une auto-censure bien pesée, et sous contrôle, permette à présent, sous l’alibi du film d’auteur, de présenter en filigrane le portrait narcissiquement flatteur d’une Chine n’ayant rien à envier à l’Occident en matière de style de vie, de design, de développement urbain – une Chine entrepreneuriale, sophistiquée, de bon goût, technologiquement à la pointe. Bref, le travail de deuil autorise de faire son deuil d’un passé globalement plus traumatique qu’un lancinant uppercut paternel, passé dont la mémoire et ses séquelles paraissent surgir ici enrobées de beaucoup de précautions sémantiques.


My Father’s Son. Film de Qiu Sheng. Chine, France, couleur, 2024. Durée : 1h41

En salles le 23 juillet 2025


Amir, victime d’un festival de haine anti-israélienne en Belgique

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Chez nos voisins, le chanteur est ciblé pour ses origines. Un nouvel épisode navrant de cette fameuse « Internationale » du soupçon.


Il est Israélien et juif. Il a participé à un concert dans une colonie à Hébron… en 2014. Il a fait son service militaire dans les renseignements de l’armée israélienne. Il s’est exprimé en chanson pour dénoncer l’horreur du 7-Octobre. Pour ces raisons, Amir subit aujourd’hui les assauts d’une meute d’artistes qui entendent le faire déprogrammer des Francofolies de Spa se tenant dès ce vendredi dans la cité thermale belge. La chanteuse Yoa a poussé plus loin sa résistance de pacotille en annulant sa participation, au prétexte de ses “convictions sociales, politiques et humanistes”, suivie par d’autres artistes tout aussi peu connus. 

Déferlement de haine

D’ordinaire, le festival, qui dresse ses différentes scènes au mitan du mois de juillet, souvent quand la Belgique est en période de fête nationale, se déroule dans une ambiance bon enfant, entre baraques à frites, plus ou moins bons tours de chant et animations diverses. Les artistes au programme sont appréciés d’un grand public qui se déplace en masse et en famille. Cette édition déroge donc à la règle et la musique qui, d’ordinaire, adoucit les mœurs, exacerbe cette fois-ci les tensions.

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Pour ses contempteurs, peu importe qu’Amir porte un message de paix et soit peu connu pour être un soutien du gouvernement actuellement en place en Israël. Ils le réduisent à sa nationalité et peut-être à sa religion. Son label, Parlophone, a dénoncé le « déferlement de haine antisémite » dont le chanteur est la cible depuis plusieurs semaines. Nous ne sommes pas là pour sonder les cœurs, les âmes et les passions tristes, ni pour taxer d’antisémitisme le premier artiste engagé venu, mais tout le monde conviendra que nous ne sommes guère éloignés de l’infâme. Ajoutons à cela que les pétitionnaires entendent sans doute également profiter de la notoriété d’Amir pour sortir de leur propre anonymat : cela ne leur coûte rien, à peine quelques gouttes de moraline, vite épongées dans le drapeau palestinien.  

Pas un cas isolé

Il est un phénomène plus général que nous devons regretter : les festivals sont les nouveaux hauts lieux du palestinisme ambiant. Le cas spadois n’est pas isolé : il y a quelques semaines, le festival de Glastonbury, dans le sud-ouest de l’Angleterre, a davantage été marqué par les cris de haine contre Israël que par la prestation magistrale du désormais octogénaire Rod Stewart. À cette occasion, le duo de rappeurs Bob Vylan – à ne pas confondre avec le nobélisé Bob Dylan – avait scandé: « Death to the IDF », soit un appel à tuer les forces armées israéliennes. Dans la foule, les drapeaux palestiniens formaient une marée et ceux qui les brandissaient un embryon d’armée. Le concert était diffusé par l’autrefois vénérable BBC qui dut fournir des explications.

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Face aux boycotteurs, qui n’ont pas eu gain de cause pour le moment, laissons le mot de conclusion à Amir et Nazim qui, dans la chanson qu’ils partagent, s’écrient : « Si j’étais né à ta place, dans le camp d’en face, je t’aimerais moi aussi. Si on avait l’audace de ne plus se faire face, on s’aimerait nous aussi ». Un peu naïf, peut-être, mais certainement plus humaniste que les objurgations des artistes qui se revendiquent du camp du Bien et qui veulent retirer à un chanteur (franco-)israélien la plus douce des libertés, celle de chanter.

Il y a une vie après l’Assemblée…

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Pendant que le Conseil constitutionnel censure une grande partie de la loi sur la justice pénale des mineurs, rappelant qu’il vaut mieux « éduquer » que « sanctionner », l’Assemblée nationale s’écharpe sur la possibilité de marier ou non les clandestins sous OQTF… Bienvenue en absurdie !


La gifle

Vous avez évidemment vu cette vidéo de la « gifle » donnée par la première dame à son époux de président. D’abord paniqué par l’emballement des réseaux sociaux, l’Élysée a commencé par évoquer « un possible trucage » de la vidéo. Encore un coup de l’intelligence artificielle ! La vidéo provenait pourtant de l’agence Associated Press. Il a donc fallu revoir la copie. On a alors eu droit à un « moment de complicité » entre Brigitte et Emmanuel Macron. Plutôt cocasse… Si je reviens sur cet épisode, ce n’est pas pour ricaner. Ni pour monter l’histoire en épingle. Une dispute dans un couple, ça peut arriver à tout le monde. Non, le problème, c’est le mensonge de l’Élysée. Qui pourra croire, après de semblables revirements, les accusations régulières de l’Élysée contre les « complotistes » et autres actions de déstabilisation menées, notamment, par la Russie ? Le président joue un jeu dangereux. Voltaire disait déjà que « la politique est l’art de mentir à propos ». On dirait bien qu’Emmanuel Macron a définitivement perdu le sens du timing

OQTF

Puisqu’on parle « timing », Laurent Wauquiez et ses députés LR semblent avoir un petit problème… Quelle mouche les a donc piqués pour être si peu nombreux à l’Assemblée nationale le jour de l’examen de la proposition de loi permettant à un maire de ne pas marier un étranger en situation irrégulière ? Bonjour la solidarité ! Un sacré manque de jugeote et une belle boulette… Rien d’étonnant en revanche dans l’attitude grotesque des députés LFI (et plus généralement le côté gauche de l’hémicycle) qui ont fait de l’obstruction toute la journée pour empêcher que le texte soit voté… Deux beaux exemples de politique politicienne au ras des pâquerettes. Qui a parlé d’intérêt général ?

Racailles

Deux morts et 563 interpellations après des violences et des pillages en marge des « célébrations » de la victoire du PSG en Ligue des champions. Les individus interpellés avaient, selon le préfet de police de Paris, un point commun : « la volonté d’en découdre, de casser, de détruire, et ce, peu importe le résultat du match », puisque la plupart d’entre eux ne le regardaient même pas. Les condamnations paraissent peu sévères compte tenu de l’ampleur des faits et des dégâts causés lors de cette soirée du 31 mai. Mais très vite, on entend qu’il faudrait faire un distinguo entre les « vrais » supporters et les autres. Bref, entre les gens bien et les racailles. Le foot m’intéresse peu, mais j’aimerais savoir : les supporters du PSG qui descendent sur la pelouse du stade de Munich pour arracher des morceaux de la pelouse, on les classe dans quelle catégorie ?

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Conclave

Non, je ne vous parlerai pas du pape Léon, mais bien des retraites et du Rassemblement national. Pourfendeur de la réforme, on avait assisté entre les deux tours des élections législatives « post-dissolution » à des revirements sur le sujet de la part de Jordan Bardella. « Nous verrons. […] On va devoir réparer les bêtises économiques qui ont été faites… », avait-il alors déclaré. Des déclarations bien plus mesurées qu’une année auparavant, quand il trouvait que « la retraite, ce n’est pas de la comptabilité, comme le considère le gouvernement, c’est un choix de société. » Depuis, l’inéligibilité de Marine Le Pen étant passée par là, on sent le parti encore plus frileux… « Le moment de vérité pour la censure, ça va être le budget » a déjà prévenu Jordan Bardella. En clair, pas le conclave des retraites, quelle que soit son issue. Bah oui, ils auraient l’air de quoi au RN, s’ils votaient la censure et que s’ensuivait une nouvelle dissolution ? Marine Le Pen ayant passé le flambeau de la présidence du parti à son jeune ex-protégé, puis perdu son mandat de conseillère départementale du Pas-de-Calais, il ne lui reste plus que celui de député pour exister… Et si la peine infligée à la patronne du RN pour détournement de fonds publics est confirmée, cela veut dire cinq années sans élection… Loin des yeux, loin des cœurs ?

Alzheimer ?

Après le meurtre au couteau d’une surveillante par un élève de 14 ans au collège de Nogent (Haute-Marne), Emmanuel Macron a réagi, sur France 2, en proposant une nouvelle fois l’interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans. J’ai dû mal entendre… Au printemps 2023, un député de la majorité présidentielle (Horizons), Laurent Marcangeli, a en effet proposé la création d’une majorité numérique à 15 ans. Sa proposition de loi a alors été adoptée à l’unanimité, et promulguée par Emmanuel Macron en juillet 2023 ! Problème, les décrets d’application n’ont jamais été pris, parce que la mesure a été jugée contraire au droit européen. Emmanuel Macron ou la mécanique enrayée…

Nouveau trophée à Béziers !

On savait déjà – n’en déplaise aux Marseillais – que Béziers est la plus ancienne ville de France. Et depuis le 27 juin, le plus beau marché de France du concours organisé par TF1 ! Mais c’est un autre record que nous battons, semble-t-il chaque année, avec notre centre pénitentiaire. En France, la consommation moyenne d’eau pour une personne est de 150 litres d’eau potable par jour. Dans notre prison du Gasquinoy, la consommation est de… 289 litres par jour et par détenu ! Presque le double ! Sans que le propriétaire de l’établissement, le groupe Eiffage, en ait encore trouvé la cause… Bonne nouvelle en revanche, le niveau scolaire de nos détenus augmente. Comme quoi, rien ne sert de désespérer.

Boualem

À l’instar de plusieurs dizaines de villes en France, Béziers a participé à l’opération nationale #JeLisSansal. Il s’agissait de rendre hommage à l’auteur franco-algérien toujours emprisonné en lisant à voix haute, durant un jour entier, une de ses œuvres. Nous avons choisi 2084, la fin du monde, grand prix du roman de l’Académie française en 2015. Une journée très émouvante, durant laquelle de nombreux volontaires se sont succédé pour lire quelques lignes – en l’absence notoire de la classe politique locale, de « très à droite » à « très à gauche ». Une journée qui a permis de rappeler que l’écrivain franco-algérien, condamné à cinq ans de prison, risque aujourd’hui de voir sa peine doubler et croupit toujours dans les geôles du régime algérien. Tout simplement « coupable » d’avoir émis une opinion qui n’a pas plu à la dictature FLN qui règne sur l’Algérie. Boualem, nous ne t’oublions pas 

Gaston sauvé des eaux

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Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


La journée avait pourtant bien commencé. La veille, Béa et Tio Guy, mes voisins bien aimés, avaient taillé le forsythia de mon jardin qui s’appuyait un peu trop sur notre clôture mitoyenne. En ce samedi matin-là, vif comme une épinoche, je me rendis à la déchèterie Nord d’Amiens pour y déposer les déchets verts. Alors que je brandissais ma carte d’usager sous le nez d’un employé fort aimable, fier de prouver que je ne l’avais point égarée, celui-ci me fit savoir qu’elle était devenue obsolète, et m’indiqua, non loin de la porte d’entrée, un QR code qu’il m’invita à shooter. « Ainsi, vous pourrez faire valider votre inscription », dit-il.

Rétif aux technologies et à l’informatique en particulier, je photographiais avec bien du mal l’espèce de machin à damier. « Arrivé chez vous, avec ça, vous accéderez au site et en cinq minutes vous pourrez vous inscrire », poursuivit-il en prenant ma belle petite carte en plastique, bien réelle, elle. J’en éprouvais une pointe d’émotion, moi, le boomer hostile au monde virtuel. Je me rassérénais en songeant que j’étais parvenu à capter le fameux QR code et qu’il ne me faudrait que cinq minutes pour devenir membre du très fermé club de la Déchèterie.

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Pauvre de moi ! Je ne savais pas ce qui m’attendait. Montre en main, il me fallut deux heures et demie pour parvenir à mes fins. Pas moyens d’en sortir. Une horreur ! Afin de prouver que je n’étais pas un robot, on exigea que je reconnusse sur des dizaines et des dizaines de photos-vignettes, là des vélos, là des passages protégés, là des trottinettes. Je cochais ; je cochais sans fin. Lorsque j’en avais enfin terminé, mon identité et autres informations préalablement données, disparaissaient du fumier de formulaire. Et on m’intimait l’ordre de les décliner. Deux heures et demie, oui ; c’était à devenir cinglé. Je me mis à hurler, à gémir comme un vieux daim blessé par un chasseur en veston nubuck fredonnant « Blue Suede Shoes », façon Perkins et Presley. Le site était-il en maintenance ? Rien ne l’indiquait. Etais-je victime de ma techno phobie ? Je ne le saurais jamais. Alertée par mes cris, ma Sauvageonne, plus sexy que jamais, vint à mon secours. Elle aussi peina et finit par admettre qu’il n’était pas très gentil d’avoir conçu un outil pareil. Cependant, elle parvint après bien des efforts à procéder à la satanée inscription. Pendant ce temps, je m’étais assis sur le canapé, abattu, abasourdi par le stress. Afin de me requinquer, elle me proposa de faire une promenade à pied pour redescendre.

Nous nous dirigeâmes vers le quartier Saint-Leu, dégustâmes une glace ; arrivés sur le chemin de halage, nous nous posâmes sur un banc qui contemplait la Somme de son regard de bois. Alors que je rêvassais et repensais, non sans douleur, à l’horrible site, mon attention fut attirée par un pigeon mal en point qui était en train de se noyer dans l’onde samarienne. Il s’agrippait à des îlots d’algues vertes, frappait ses ailes déplumées sur les vaguelettes. On eût dit un social-démocrate qui tentait de survivre dans une république mélenchonnisée. D’emblée, je me mis à prénommer l’oiseau Gaston. (Peut-être avais-je pensé à Gaston Defferre ?) Subrepticement, je me levai, ramassai une branche et courut pour tenter de le secourir. Ma Sauvageonne crut peut-être que j’allais me jeter à l’eau, miné par mon bad trip sur le site de la déchetterie. « Où vas-tu, vieux Yak ? » hurla-t-elle. « Je vais sauver Gaston ! », lui répondis-je. J’essayais d’abord avec la branche que je venais de saisir. Elle ne convenait pas. J’en trouvais une autre, en forme de fourche. Gaston – qui avait vu en moi son sauveur potentiel – s’agrippa à une branchette ; ainsi, je pus le remonter sur la berge. Il tremblotait, piquait du bec vers sa gorge bleutée. Je sentais son petit cœur de Sagan battre la chamade. Je finis par lui trouver une manière de cachette au creux d’une haie verdoyante, posai à ses côtés le pot vide de mon sorbet citron que je pris soin de remplir d’eau Cristaline. En revenant sur le banc au côté de ma Sauvageonne, je constatai, amusé, que ma chronique Les Dessous chics avait accueilli en deux semaines, deux pigeons en son sein. Lors du concert de l’Orchestre universitaire de Picardie n’avais-je pas observé un pigeon à une patte ? « Tu es vraiment un drôle de zèbre, vieux Yak ! », sourit ma Sauvageonne. Elle n’avait pas tort…

L’un sort de prison, les autres n’iront pas…

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Philippe Bilger © Pierre Olivier

Le terroriste Georges Ibrahim Abdallah va être libéré et sera expulsé vers le Liban dans quelques jours. Pourtant, ses convictions politiques seraient restées intactes. Pendant ce temps, confronté à la surpopulation carcérale, le procureur de Bobigny suspend les mises en détention jusqu’à la rentrée pour désengorger les cellules.


Le hasard judiciaire permet un rapprochement, pas si incongru que cela, entre la libération de Georges Ibrahim Abdallah après 41 années d’incarcération pour des crimes terroristes et la décision du procureur de Bobigny de limiter les détentions à cause de la surpopulation pénitentiaire.

Sur ce dernier point, je comprends mal que dans l’arbitrage à opérer entre la sauvegarde sociale et la protection des personnes d’un côté, et de l’autre le souci carcéral, on ne considère pas comme naturellement prioritaire les premières. Quel que soit le triste état de certains établissements et leur densité d’occupation, ces éléments ne devraient pas l’emporter sur le devoir de la Justice de placer au-dessus de tout la sécurité des citoyens, « la majorité des honnêtes gens ». D’autant plus que pour une fois nous n’avons pas un garde des Sceaux qui laisse ce problème de la surpopulation et la honte des trop nombreux matelas à l’abandon !

La libération de Georges Ibrahim Abdallah est tout sauf à saluer. Mais à déplorer. Sauf si on est Éric Coquerel et qu’on appartient à la mouvance qui n’a rien appris, et jamais rien renié. Pour laquelle Georges Abdallah demeure un héros.

Même au bout de 41 ans, le sang n’a pas forcément séché et l’horreur terroriste des agissements demeure.

Il convient d’autant plus de les garder en mémoire que les prémices de ce dossier ont été largement gangrenées, au niveau des réquisitions, par un Parquet dépassé et trop sensible à la raison d’État. Heureusement, Me Georges Kiejman, pour l’ambassade des États-Unis, a convaincu la cour d’assises spéciale d’édicter la réclusion criminelle à perpétuité.

Georges Abdallah, criminel atypique contestant, malgré les preuves matérielles et balistiques, avoir perpétré ces forfaits, tout en admettant sa responsabilité politique – c’est bien commode ! -, a pris acte du caractère inespéré de cette libération puisqu’il a remercié la mobilisation qui l’a permise, et donc l’idéologie qui l’inspirait.

Il y a dans cette personnalité quelque chose qui fait songer à Cesare Battisti, adulé en France par les intellectuels de gauche. Mais lui a eu le courage de détruire les illusions qu’on avait formées à son sujet. Sur le tard, il a admis sa totale culpabilité.

Georges Ibrahim Abdallah n’a rien regretté des horreurs terroristes commises et il sera donc libéré comme il est entré : en plein contentement de lui-même et de ses crimes. Susceptible, donc, d’en attiser d’autres.

Il aurait dû purger sa peine jusqu’au bout en prison.

Ayant relié Bobigny à Georges Abdallah, je ne peux que constater, sur ces deux plans, une double indulgence de type différent mais incontestable.

L’une a bénéficié à Georges Abdallah, l’autre bénéficiera aux délinquants qui n’iront pas en prison.

J’espère que la société ne trinquera pas.

Claude Simon, l’enfant du désastre

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Claude Simon © Hannah Assouline

Les cartes postales de l’été de Pascal Louvrier (3)


Ayant achevé un livre sur André Malraux, je sais que seul l’art peut tenir en respect la mort, et même la surmonter parfois. Avant de quitter Paris, et après avoir écrit un article sur Claude Simon pour Causeur de juillet-août, j’ai cherché sa tombe au cimetière de Montmartre. Il faisait très chaud et les chats ne m’ont pas aidé. Les arbres n’étaient pas des acacias, l’arbre préféré de Simon depuis l’enfance passée dans la maison familiale située à Salses-le-Château, en plein cœur du pays catalan, l’été. Avec la patience d’un horloger suisse, j’ai fini par la trouver. Le temps a oblitéré nom, prénom et dates qui encadrent une vie, ainsi que celui de sa compagne, Réa. À peine peut-on deviner son patronyme. La sépulture est grise, piquée de mousse, jamais entretenue. Elle ressemble à celle de Georges Bataille, dans le cimetière de Vézelay. Elle est aussi hideuse. Claude Simon, amarré par paresse au Nouveau Roman, a pourtant écrit de superbes livres. Son œuvre, grâce à Philippe Sollers, est éditée dans la Bibliothèque de la Pléiade, elle fut couronnée par le prix Nobel, en 1985. L’essentiel a vaincu la mort, le reste n’est que poussière. À condition qu’il y ait encore quelques intercesseurs pour la faire découvrir à des lecteurs curieux et exigeants. Car le style de Simon est l’un des plus puissants de la littérature du XXème siècle.

Dans un roman de Claude Simon, on retrouve souvent les mêmes morceaux d’un puzzle à reconstituer, écrits différemment, avec quelques variantes, quelques détails complémentaires, le tout servi par une écriture ample, des phrases ductiles, dynamisées par les participes présents et les métaphores audacieuses. Ça ressemble à un acacia. J’ai donc décidé de relire ce roman portant le nom de cet arbre révéré par Simon, né en 1913 et mort il y a tout juste vingt ans, un 6 juillet. Voici les dernières lignes de L’Acacia (1989), écrites par un homme de plus de soixante-dix ans : « La fenêtre de la chambre était ouverte sur la nuit tiède. L’une des branches du grand acacia qui poussait dans le jardin touchait presque le mur, et il pouvait voir les plus proches rameaux éclairés par la lampe, avec leurs feuilles semblables à des plumes palpitant faiblement sur le fond des ténèbres (…) ». Ça continue ainsi sur plusieurs lignes, jusqu’au mot final : « Immobilité ». Le roman est alors achevé. On ne touche plus à rien. La postérité le retient. L’arbre symbolise l’œuvre qui se déploie grâce au tronc strié, gorgé de sève surabondante.

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L’ouverture du roman décrit trois femmes en deuil qui crapahutent dans la boue. Elles sont accompagnées d’un jeune garçon. C’est l’histoire de Claude Simon contraint de suivre sa mère, et ses tantes, à la recherche de la tombe de son mari mort à la Grande Guerre. Elle s’entête, et cet entêtement dévaste l’enfance de son fils. C’est le point de départ, la naissance de l’écrivain et sa scène fondatrice, sans cesse revisitée, comme dans un cauchemar, sans nom, sans visage, juste des silhouettes maigres erratiques. Puis en 1940, ayant survécu à la débâcle, un jeune homme tente de retrouver ses repères dans une société bouleversée par la défaite militaire. Claude Simon, sans jamais se nommer, raconte sa propre expérience de soldat à cheval lancé contre l’aviation. Un assaut anachronique, presque sacrificiel. Entre ces deux tableaux – Simon est un peintre contrarié – la reconstitution familiale et l’exhumation des origines de ses ancêtres. Un lien infrangible : la guerre.

La guerre, oui. Celle d’Espagne où l’on croise le jeune Simon, trafiquant d’armes dans les rues de Barcelone, résistant aux franquistes, répétition générale de la déflagration de 1939, soulignant le naufrage moral des démocraties. La captivité ensuite du soldat, puis son évasion, qui connaît la faim, la saleté, la peur, ce retour à l’élémentaire, voire l’animalité, avec l’expérience de la mort pleine de fureur et de bruit – influence de Faulkner sur Simon. Pas de noms propres, j’insiste, mais des périphrases. Claude Simon ne raconte pas, il décrit l’homme au milieu du chaos, solitaire et abandonné. C’est ensuite le ressourcement vital avec la visite au bordel du coin et la chaleur des corps prostitués. Eros coûte que coûte pour résister aux desseins de Thanatos – Simon va plus loin, dans Les Géorgiques (1981), en imaginant la jouissance de sa mère au moment de sa conception.

Grâce à l’écriture, devant l’acacia, le travail de reconstitution s’opère. Le résultat est entre nos mains, il est vertigineux, unique, impossible à résumer, au fond.

Claude Simon n’a jamais retrouvé la tombe de son père qu’il n’aura pas vraiment connu – Simon est né en 1913, son père est mort l’année suivante. Je suis devant celle de l’écrivain, les nuages sont menaçants dans le ciel délavé. Cette bribe de phrase, à partir de laquelle tout commence, me revient soudain : « (…) depuis qu’encore enfant il avait été traîné dans un paysage d’apocalypse à la recherche d’un introuvable squelette (…) ».

Claude Simon, L’Acacia, Les Éditions de Minuit. 400 pages

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Résister à l’ambiance – Une Franco-Israélienne au festival d’Avignon 

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DR

On ne peut communier en excommuniant.


Les billets étaient pris. Le voyage prévu depuis longtemps. Et voilà que le 2 juillet, le festival d’Avignon, par la voix de son directeur, publie sur son compte officiel :« le festival se passe tandis qu’un massacre de masse se produit à Gaza ». 

La Franco-Israélienne que je suis se demande alors : « mais que vais-je faire dans cette galère ? »

Sur place, je m’attends au pire. Je guette le moment où l’on me prendra à partie, où des paroles m’atteindront, où mon cordon jaune aux couleurs de la libération des otages sera trop encombrant, mais rien. Ou presque. Ici, on s’affaire à une sorte de marathon culturel et divertissant à grande échelle, on passe d’un théâtre à un autre, on épluche les critiques et on traque LA pièce à ne pas rater. 

Je m’assois à une terrasse de café pour reprendre mon souffle. Un Allemand me tend un tract pour « Le Marchand de Venise », de Shakespeare, il veut causer avec moi, je lui dis que j’habite en Israël. Baissant la voix, il me lâche cette phrase : « Être antisémite est devenu illégal et condamnable. Alors la forme a changé, on s’en prend à Israël au lieu de s’en prendre ouvertement aux Juifs, mais le fond est resté le même ». 

Je remonte les rues brûlantes, quelques affiches sur Gaza et la Palestine perdues dans le flot infini des spectacles que l’on placarde. Un drapeau palestinien, un keffieh, il semble que la mayonnaise de la polémique n’a pas vraiment pris. Mais le mal est fait. Et le cœur n’y est plus. C’est la raison pour laquelle les mots de Saint-Exupéry, par la voix du talentueux Franck Desmedt, me parlent avec clarté : « le véritable courage, c’est de résister à l’ambiance. »

Résister à l’ambiance, pour moi, c’est passer outre, feindre la normalité, tout en ne cédant rien aux poncifs paresseux. « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » disait Camus, tristement mis à l’honneur dans une pièce ratée du festival au théâtre Essaion. 

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Ce sanctuaire de la création théâtrale, censé incarner le souffle le plus vivant de l’art, s’est transformé en une parodie pathétique de lui-même.

« On ne voit bien qu’avec le cœur » nous dit encore Saint-Exupéry. Au milieu des spectacles qui se réclament haut et fort de « l’humanisme », des « droits de l’homme » et d’autres combats éminemment vertueux, mon cœur ressent que l’âme du festival a été capturée.

Le théâtre défiguré a perdu sa vocation universelle : extraire le spectateur de son propre système de croyances, l’inviter, par la justesse des textes, à s’identifier à des émotions qu’il n’a pas directement vécues, et ainsi communier avec ses frères humains d’autres époques et contrées, pour donner un sens plus grand à sa propre existence. 

À Avignon, je redécouvre cette évidence : on ne peut communier en excommuniant.

Toute prétention à l’universel en devient une trahison quand, au nom de la « Morale » ou du « Droit », on se met à exclure une partie de l’humanité, désignée par la bien-pensance commune comme incarnation du Mal absolu. C’est cette même fausse vertu qui prend l’art en otage de sa bêtise et de son narcissisme lorsqu’on voit certains artistes annuler leur venue aux Francofolies de Spa sous prétexte de la présence du chanteur franco-israélien Amir…

De ce festival détourné de son essence, je repars vers mon peuple, si injustement stigmatisé, boycotté, vilipendé, vers cet « autre universel » qui m’a appris à unir le respect de soi à celui de l’Autre, la fierté nationale à la reconnaissance de toutes les identités.

C’est dans cette nouvelle patrie que je continuerai désormais à faire vibrer l’âme du théâtre français… en attendant que mon pays natal trouve enfin le courage de « résister à l’ambiance » …

Et maintenant ?

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Le chroniqueur Olivier Dartigolles © Hannah Assouline

Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. « J’aime qu’on me contredise ! » pourrait être sa devise.


Avant l’intervention israélienne en Iran du 13 juin, Benyamin Netanyahou était en grande difficulté. D’abord sur le plan intérieur, avec ses alliés gouvernementaux d’extrême droite qui, refusant la participation des ultra-orthodoxes au service militaire, le menaçaient d’une dissolution de la Knesset. Habile tacticien, le Premier ministre israélien semblait pourtant de plus en plus acculé en ayant qu’un seul horizon pour se maintenir : poursuivre la destruction de Gaza. Un carnage sans issue après le pogrom du 7 octobre 2023 perpétré par les terroristes islamistes du Hamas. La riposte légitime s’est transformée en une vengeance disproportionnée, depuis plus de vingt mois, contre le peuple palestinien enfermé dans une enclave de douleur et de mort, de colères et de ressentiments. Sans parler des exactions du gouvernement israélien en Cisjordanie. De plus en plus d’Israéliens, dans ce pays démocratique, ne voulaient plus de cela, d’un horizon obstrué et d’un isolement international.

Avant l’intervention israélienne puis américaine sur l’Iran, deux processus diplomatiques étaient engagés. D’abord des échanges directs, à Oman, entre Américains et Iraniens sur la question du nucléaire. Puis, la conférence programmée à New York, du 17 au 20 juin, à l’initiative de la France et de l’Arabie saoudite, pour la reconnaissance de l’État palestinien. Et aussi – cela a été trop peu rappelé – pour une reconnaissance d’Israël par des pays arabes. Bref, il était question de diplomatie et de politique. D’avenir commun, de sécurité collective pour éviter une escalade dans une région poudrière où toute déflagration peut avoir des conséquences vertigineusement dangereuses.

A relire, du même auteur: Ce que je reproche le plus à Nétanyahou

Puis, après l’intervention israélienne et américaine en Iran, tout cela a été déchiré. Éparpillé aux quatre vents d’un Proche-Orient en état de choc. À l’heure où ces lignes sont écrites, les commentaires portent sur les performances de la bombe GBU-57. C’est impressionnant quand même notre capacité à être tour à tour infectiologues (au temps du Covid), sélectionneurs (pour les JO ou le PSG) et maintenant spécialistes des bombardiers B-2 et de l’uranium enrichi. Il est aussi question de ce que pourrait être la riposte iranienne, de la dimension stratégique du détroit d’Ormuz, de la possible flambée du prix du pétrole. Et de l’impuissance française et européenne. Seul le chancelier allemand a eu un propos audible en indiquant que Benyamin Netanyahou avait fait le « sale boulot » pour nous tous.

Le Premier ministre israélien a obtenu à la fois le précieux soutien américain et un nouveau théâtre d’opérations. On sait qu’il peut faire la guerre. On sait qu’il peut imposer la loi du plus fort. Surtout s’il est soutenu par plus fort que lui encore. On sait qu’il est un politique capable, dans des situations particulièrement difficiles pour lui, de se tirer d’affaire pour mieux se relancer et s’imposer.

Mais pour quelle issue ? Pour quel projet politique ? Celui des partis religieux d’extrême droite qui, il y a peu d’années encore, n’auraient jamais pu intégrer un gouvernement israélien ?

Je n’ai jamais confondu l’État d’Israël avec son gouvernement. Alors que l’antisionisme est devenu un antisémitisme, on doit pouvoir continuer à critiquer, si nécessaire, la politique du gouvernement israélien.

D’accord ?

Frédéric Beigbeder: «Liberté, égalité, légèreté!»

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Frédéric Beigbeder © Hannah Assouline.

Chroniqueur littéraire au Figaro Magazine, président-fondateur du prix de Flore, animateur des « Conversations chez Lapérouse » sur Radio Classique, écrivain à succès chez Grasset : avec une telle carte de visite, Frédéric Beigbeder connaît mieux que personne l’esprit français ; et n’oublie pas au passage d’en avoir.


Causeur. Qu’est-ce que l’esprit français ? Et surtout, existe-il ?

Frédéric Beigbeder. Oui, il existe ! Précisément depuis François Rabelais, le premier homme de lettres à avoir critiqué le pouvoir, à s’être moqué de tout ce qui est sérieux. C’était l’écrivain libre par excellence, un pur anarchiste avec son mot d’ordre « Fay ce que vouldras ». Nous sommes tous les enfants de ce médecin complètement dévoyé, martyrisé en son temps par la censure, alors qu’il est l’inventeur – en même temps que Cervantès en Espagne – du roman moderne, donc de l’esprit moderne.

Modernes, nous le sommes tous, mais peut-on parler d’un esprit spécifiquement français ?

Peut-être bien. Parce qu’en France, on aime davantage l’outrance et la provocation que dans les autres pays. Prenez Oscar Wilde, qui est un sommet de l’esprit. Sa vie est faite de scandales, en particulier celui de son homosexualité – qui lui a valu d’aller en prison –, mais il a toujours veillé à ce que son expression, elle, ne dépasse pas les bornes. Alors que dans notre pays, on ne peut pas résister au plaisir d’exagérer, de caricaturer, de choquer, quitte à le payer très cher, parfois du prix de sa propre vie. Ce n’est sans doute pas un hasard si Charlie Hebdo est publié à Paris.

Malheureusement, l’esprit français, c’est aussi Robespierre et un certain esprit de délation…

Oui, mais quand on me parle d’esprit, je ne pense pas à nos défauts, notre lâcheté, notre pourriture ! Dans le mot « esprit », j’entends un certain style, celui de Voltaire, de Guitry, la repartie, l’ironie, l’art de faire rire, de bousculer. Avoir de l’esprit ne consiste pas à préparer ses blagues à l’avance, mais à savoir les inventer dans l’instant et les placer pile au bon moment. Par exemple Talleyrand qui s’exclame, alors qu’une comtesse qui vient de faire un pet dans un salon bouge son fauteuil pour tromper l’assemblée : « Madame, vous cherchez la rime ? » Il paraît que cette saillie a fait le tour du pays. J’adore l’idée qu’un bon mot soit repris, colporté. Ce n’est peut-être pas glorieux, mais l’esprit français prospère dans le ragot. Truman Capote affirmait d’ailleurs que toute la littérature repose sur des potins. Il avait raison. Depuis Villon, on ne fait que reprendre des histoires qu’on se raconte dans les dîners. La ballade des dames du temps jadis, c’est rien que des vieux cancans.

Avec son trait assassin, Talleyrand a sali la réputation d’une dame. L’homme d’esprit français aime aussi, et même surtout, honorer le beau sexe ! Alain Finkielkraut cite souvent cette phrase de Germaine de Staël : « La France est la patrie des femmes. »

C’est vrai. Et ça remonte au Moyen Âge courtois, donc avant Rabelais. La galanterie, c’est très français. D’ailleurs, je l’ai remarqué de façon empirique. Quand j’organise un dîner, s’il n’y a pas une, deux ou trois femmes, les mecs sont nuls. Pour que le Français ait de l’esprit, il faut qu’il cherche à plaire à une dame. On retrouve cela chez les libertins du xviiie siècle. Sans cette inspiration-là, on n’est plus que des instagrameurs à faire des vannes, ou des comiques de stand-up.

L’esprit français, c’est en quelque sorte l’inverse de l’esprit de l’escalier…

Je dirais que l’esprit français, c’est un tiers d’irrévérence, un tiers de potin, un tiers de drague.

Trouvez-vous aujourd’hui des héritiers dignes de cet esprit ?

Édouard Baer par exemple. Si vous le lancez sur un sujet, il peut improviser dix minutes de monologue complètement poétique, inattendu, désopilant. Amélie Nothomb aussi a beaucoup d’esprit. Un jour, je lui dis : « Ça serait drôle qu’on écrive chacun un livre l’un sur l’autre. » Elle me répond : « Bonne idée, faisons-le ! » Je la taquine alors : « Le seul problème, c’est que mon livre va être meilleur que le tien, évidemment. » Et elle me lâche aussitôt : « Oui, parce que le sujet est plus intéressant ! »

Ce n’est pas le genre d’échange que vous pourriez avoir avec Annie Ernaux ou Christine Angot…

Je ne sais pas… Mais je vois où vous voulez m’entraîner. Vous voulez peut-être dire que l’esprit, c’est de droite ? C’est une bonne question, à vrai dire. J’ai publié il y a cinq ans un livre sur ce sujet, sur l’humour de gauche omniprésent depuis vingt ans, notamment à l’antenne de France Inter, et qui est si prévisible, si répétitif, si éculé. Maintenant, on s’aperçoit que la vraie liberté est peut-être de l’autre côté, du côté des pessimistes, de ceux qui ne donnent pas de leçons. Le vrai esprit, c’est de simplement réagir à ce qu’on voit. De ne rien démontrer au fond.

Reste que l’esprit de système, c’est aussi très français. Il y a une blague : deux philosophes se baladent, un Français et un Anglais. Le Français dit à l’Anglais : « Votre régime est merveilleux en pratique, mais en théorie ? »

L’intellectualisme ! Oui, ce n’est pas faux. D’ailleurs, dans le monde entier, on se fout de notre gueule à cause de ça. On est les rois de la prise de tête. Dès qu’on bouffe une madeleine, on pense à notre enfance, on se souvient de notre mère qui venait nous dire bonsoir dans notre lit. Et on fait deux mille pages de démonstration là-dessus.

La dernière démonstration ambitieuse française remonte à l’an dernier, avec la cérémonie d’ouverture des JO à Paris. Qu’avez-vous pensé de ce spectacle retransmis en mondiovision ?

J’ai surtout trouvé que les acteurs étaient très mal habillés et ça m’a fait de la peine pour la haute couture française. On est quand même le pays du style, de la mode ! Les drag-queens semblaient sapées aux Puces ou chez Guerrisold. Cela dit, certains passages étaient très réussis. Juliette Armanet chantant Imagine avec un piano en flammes sous la pluie, quelle belle image ! Mais globalement, je n’étais pas très fier de cette cérémonie.

La tête coupée de Marie-Antoinette…

Le visuel se voulait comique. Cela avait un côté attraction de foire à Piccadilly Circus, genre madame Tussaud. De l’humour anglo-saxon, pas du tout français.

Vous avez le sens de l’image, vous avez réalisé plusieurs films, et avant d’être écrivain, vous étiez publicitaire. N’est-ce pas un milieu où l’esprit est très formaté ?

Avec le temps et le recul, je m’aperçois au contraire que ce métier m’a beaucoup appris. Il oblige à la concision, à la précision. Chaque phrase doit être une formule. On ne peut pas écrire des platitudes quand on met au point une campagne de pub.

En 2002, vous avez conçu la campagne présidentielle de Robert Hue. Par conviction ou par besoin d’argent ?

Je venais d’écrire un livre sur la pub, 99 francs, dans lequel je décrivais la façon dont les marques manipulent les masses. Ça rejoignait les préoccupations anticapitalistes du Parti communiste, donc ils m’ont téléphoné et m’ont proposé de participer à des réunions sur le sujet. J’ai trouvé très marrant de me rendre place du Colonel-Fabien, dans cet immeuble incroyable qui ressemble à une soucoupe volante. Je sentais bien que les apparatchiks se demandaient : « Qu’est-ce que c’est que ce garçon ? Qu’est-ce qu’il fout là ? » Mais, ayant l’esprit ouvert, ils m’ont demandé d’imaginer les affiches de leur candidat. Cela m’a semblé tellement surréaliste que j’ai accepté. J’ai travaillé pour eux à titre gracieux bien entendu. Ça a donné un slogan assez sérieux à la fin : « Aidons la gauche à rester de gauche ».

Hommage national à Hélène Carrère d’Encausse dans la cour d’honneur des Invalides, Paris, 3 octobre 2023 ISA HARSIN / SIPA

Ça a marché, ils sont restés très à gauche. Bravo !

Je reconnais que ce slogan manque de légèreté. Or la légèreté est une vertu française cardinale. La devise de la République devrait être : « Liberté, égalité, légèreté ». La fraternité, très bien, mais on n’y arrivera jamais, donc… Cessons déjà d’être lourds, y compris avec les femmes ! Retrouvons le goût de la légèreté, qui fait que rien n’est grave, qu’on plaisante. C’est le badinage qu’il faut ressusciter.

Difficile dans un pays où même le Festival de Cannes interdit les robes trop dénudées ! N’est-on pas en train de perdre cet esprit de liberté si français ?

On peut payer de sa vie un mot ou un dessin, donc ça rend un peu paranoïaque. L’esprit français est attaqué de toutes parts, par les susceptibles, les puritains, certaines féministes, ça manque d’humour tout ça ! L’intelligence ne peut fuser que dans une atmosphère détendue, où tout est permis. Seulement, nous ne sommes plus dans une époque où tout est permis. Pas mal d’hommes d’esprit sont morts juste à temps, comme Jean d’Ormesson en 2017 ou Pierre Bénichou en 2020. Ils ont bien senti que ça allait devenir compliqué. La preuve, depuis quelques années, à chaque fois que je sors un livre, cela déclenche une polémique.

Et pourtant, il n’y a pas de scènes franchement choquantes dans vos bouquins.

Pas beaucoup, non. À l’écrit, je suis très pudique. Je veux que ce que je raconte soit intense et si possible provoque des réactions, mais je ne veux pas mettre le lecteur mal à l’aise, lui donner le sentiment d’être un voyeur. C’est ma limite. Même si dans une de mes Nouvelles sous ecstasy, il y a du cul assez hard. Je me suis lâché. Une seule fois.

Revenons à ceux qui s’estiment offensés par vos écrits. Il s’agit des féministes, bien sûr, qui ne supportent pas que vous proclamiez votre hétérosexualité… On peut les comprendre : on est inclusif, mais faut pas déconner !

Hélas, je ne peux pas faire autrement. Même si je vois bien que je me crée de plus en plus de problèmes en écrivant ce qui me plaît. Au dernier salon du livre de Nancy, j’avais deux gardes du corps. La municipalité avait demandé à des policiers de me protéger. Et quand j’ai pris la parole en public, des militantes se sont levées pour me demander de me taire.

C’est le festival des peine-à-jouir.

Les militantes tatouées, au crâne rasé, ont peut-être des orgasmes fulgurants entre elles ! Mais je ne comprends pas en quoi mon hétérosexualité les dérange. Je leur ai tendu mon micro en disant : « Exprimez-vous », elles m’ont dit : « On te parle pas, on veut juste que tu te taises. » L’esprit ne peut s’épanouir que quand chacun accepte que l’autre prenne la parole, et éventuellement, ne soit pas d’accord. La démocratie quoi !

Un nouvel outil fait régresser, peut-être pas la démocratie, mais l’esprit de contradiction, d’originalité et de tolérance : c’est l’intelligence artificielle. Ça vous inquiète ou ça vous passe au-dessus de la tête ?

Cela m’inquiète énormément. Comme tous les gens qui vivent de leur plume, j’ai bien sûr très peur d’être remplacé par des logiciels. Pour le moment cependant, je constate que s’il y a une chose que les ordinateurs n’ont pas encore réussi à développer, c’est l’esprit. Chat GPT n’est pas marrant du tout. Il faut dire qu’il n’est pas autorisé à parler de sexe, de drogue, etc. Tous les sujets embarrassants sont gommés.

L’IA ne détruit peut-être pas les écrivains, mais détruit déjà assurément les lecteurs.

Pour le voir de manière positive, il faut se dire qu’on va finir dans des catacombes, en se récitant des poèmes de Baudelaire comme à la fin de Fahrenheit 451.

Ça commence déjà un peu. Peut-être que lorsque vous avez postulé à l’Académie française, c’était justement pour être admis dans une de ces caves ?

Le Quai Conti est typiquement le genre d’institutions dont on pensait, depuis plusieurs siècles, qu’il ne servait à rien, alors qu’en fait il va bientôt avoir un vrai rôle à jouer pour défendre l’humanité. Les Immortels ne le savent pas, mais tout d’un coup, c’est ce genre d’endroits qui va protéger ce qui reste de l’esprit, tout simplement. Car l’esprit, au fond, c’est ça : des vieux cons qui se réunissent pour s’envoyer des maximes de Joseph Joubert ou de Vauvenargues à la figure, des auteurs que plus personne ne connaît. Les académiciens sont des résistants dans un monde de robots. Je suis très sérieux. Je pense que d’ici dix, quinze ou vingt ans, la littérature et l’esprit seront la seule manière de rester humain.

On fera une association de protection et de conservation du second degré !

Voilà ! Tout le monde aura son cerveau branché sur une puce électronique Neuralink et portera des lunettes tridimensionnelles ne laissant voir qu’une réalité virtuelle. Mais des zoos existeront, où l’on pourra observer dans des cages des personnes débranchées en train de lire des livres.

Et en train de baiser, parce ça aussi ça devient virtuel…

Mais il sera super ce zoo ! J’ai hâte d’y être enfermé. Au lieu de s’appeler Disney World, ça s’appellera Human World – le monde humain. Et les robots viendront le visiter pour s’émerveiller de cette espèce bizarre et sauvage qui s’appelle l’homme.

Tant qu’il y aura des films

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© Tamasa

Cet été, deux immenses cinéastes français disparus vont illuminer les salles obscures. On ne peut pas en dire autant des nouveaux films…


Monsieur Claude

Claude Chabrol, première vague, à partir du 9 juillet.

Cinquante-sept films, 23 téléfilms, 50 millions de spectateurs, mais aucun César ni aucun prix à Cannes. On peut ainsi quantifier la filmographie de Claude Chabrol, l’ogre joyeux, malicieux et acide du cinéma français durant trois quarts de siècle. Une œuvre en dents de scie, si l’on en croit la doxa, mais quel cinéaste peut prétendre au contraire (Charles Laughton ayant eu la sagesse de ne réaliser qu’un seul film, La Nuit du chasseur, et c’est un monument) ? Alors oui, évacuons d’entrée de jeu les ratages plus ou moins absolus que sont, par exemple, Marie-Chantal contre le docteur Kha, La Route de Corinthe, Docteur Popaul, Les Magiciens ou bien encore Folies bourgeoises. Oublions-les d’autant plus qu’ils ne font pas partie de cette première salve de ressorties estivales, sous l’égide du distributeur Tamasa, de 12 films, 12 pépites, à voir et à revoir au cinéma sans jamais se lasser. Les citer intégralement est déjà un plaisir et une promesse : Le Beau Serge, Les Cousins, Les Godelureaux, Landru, Les Biches, Les Bonnes Femmes, Le Boucher, La Femme infidèle, Juste avant la nuit, Les Noces rouges, Que la bête meure et La Rupture. Que du bon, vous dit-on, voire du très bon et même de l’exceptionnel. D’abord parce que tous ces films sont portés par des acteurs absolument formidables qu’il faudrait aussi tous nommer, y compris ces seconds rôles, comme Dominique Zardi et Claude Piéplu, dont Chabrol se délectait et nous avec. De Jean-Claude Brialy à Bernadette Lafont, de Jean Yanne à Stéphane Audran, de Michel Piccoli à Michel Bouquet en passant par Charles Denner, Michel Duchaussoy et Caroline Cellier, c’est un sidérant festival de masques, de gueules et de beautés. Mais à la base de tout, il y a des scénarios parfois coécrits en compagnie de « pointures », tel le mystérieux et très talentueux Paul Gégauff, toujours sur des cahiers Clairefontaine de 80 ou 100 pages, car, disait Chabrol : « Ça me permet de donner le gabarit à chaque scène. À la fin, je sais que je dois tenir en quatre-vingts pages, cent pages maximum. Dès que j’ai une seule rature, j’arrache la page et je recommence. C’est un très bon système pour avoir les idées claires ! » Chacune des histoires que raconte Chabrol compose une sorte de « comédie humaine », ambition déclarée de cet admirateur sans bornes de Balzac, Maupassant, Flaubert et Simenon, pour décrire avec brio la France bourgeoise, montante, déclinante puis implosée des années 1960 jusqu’au début du siècle suivant. Tout en y mêlant une implication intime et personnelle qu’il a ainsi qualifiée : « Mes films ne sont pas autobiographiques dans l’anecdote, mais par les sentiments que j’y mets. »

Si l’on ne devait retenir qu’un seul des 12 films proposés, ce serait le trop méconnu Juste avant la nuit, écrit par Claude Chabrol d’après The Thin Line (L’Étau) de l’écrivain libanais de langue anglaise Edward Atiyah et sorti sur les écrans en 1970, après La Rupture et avant La Décade prodigieuse. On y retrouve Bouquet, Audran, Duchaussoy, François Périer et Jean Carmet. Chabrol estime peu le roman initial, il s’agit surtout pour lui de donner à l’un de ses films précédents (et quel film !), La Femme infidèle, une image inversée tel un négatif photo. Soit l’histoire d’un homme qui trompe sa femme, assassine sa maîtresse et veut confesser son meurtre à son épouse. Le résultat est un film vénéneux à souhait, avec en son centre le personnage du mari joué par Michel Bouquet qui déclara un jour : « C’est le plus beau film que j’ai fait dans ma vie. » Il ne se trompait pas.


Oncle Marcel

Rétrospective Marcel Pagnol (partie 2), à partir du 30 juillet.

Photo : Carlotta

Le cinéma de Pagnol est définitivement sorti du carcan provençal et pittoresque dans lequel certains l’ont trop longtemps enfermé. Une nouvelle rétrospective avec six films distribués par Carlotta permet d’apprécier les différentes facettes de ce merveilleux conteur d’histoires tour à tour joyeuses, tragiques et fortes : depuis Naïs, Merlusse, Cigalon, Manon des sources et Ugolin jusqu’aux Lettres de mon moulin adaptées évidemment d’Alphonse Daudet. Sur grand écran, la magie Pagnol opère à chaque fois : la magie du verbe, la magie des acteurs (Fernandel en tête), la magie d’une mise en scène limpide et fluide. Par-delà des décennies, les films de Pagnol ne cessent de nous parler, développant des « caractères » et des fables pour adultes qui visent toujours juste. Aux côtés de Guitry, Renoir, Grémillon et quelques autres, le cinéaste fait partie intégrante d’un panthéon cinématographique de première importance.


Cousine bête

Alpha, de Julia Ducournau
Sortie le 20 août

Diaphana

Depuis une Palme d’or obtenue en 2021 avec l’ineffable Titane, Julia Ducournau se pose en égérie de la nouvelle vague des cinéastes français, ou des réalisatrices faudrait-il plutôt écrire tant la dimension du genre est ici présente. Mais avec Alpha, son nouveau film reparti totalement et heureusement bredouille de Cannes cette année, la machine connaît manifestement quelques ratés. Il faut dire qu’on serait bien en peine de comprendre quoi que ce soit d’un scénario alambiqué qui prétend être une réflexion sur la maladie, la mort et les épidémies. Rien que ça. Le tout servi ou plutôt desservi par des images ultra-travaillées qui se veulent comme autant de moments chics et chocs. À la vacuité du propos correspond ainsi une emphase stylistique sans limites. Si c’est cela le renouveau du cinéma français, il serait temps de s’inquiéter.

Travail de deuil

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"My Father’s Son" Film de Qiu Sheng © New Story

Aux obsèques de son père, Qiao perd ses moyens. Le frère cadet du défunt a mis autoritairement dans les mains du frêle garçon de 18 ans un panégyrique rédigé d’avance, qui reste en travers de la gorge du garçon : devant l’assistance venue sur son trente-et-un assister malgré la pluie battante à la cérémonie de crémation, dans un décorum cossu envahi de couronnes de fleurs blanches, il n’arrive tout simplement pas à lire son texte :  Qiao prend ses jambes à son cou, s’enfuit, s’échappe hors de la ville.  Recherché par sa famille, il sera évidemment rattrapé au bout de quelques jours, et ramené au bercail par sa belle-mère. Voilà pour le prologue.

Nous sommes à Hangzhou, métropole dont l’arrière-plan des gratte-ciels, du réseau viaire et fluvial, et la modernité minérale témoignent, s’il le fallait, à tout le moins pour l’œil du spectateur occidental, de la fantastique mutation de l’Empire du Milieu, tout particulièrement dans l’apparence futuriste de ses métropoles en essor accéléré.

Progrès de l’IA

Production franco-chinoise, deuxième long métrage (après Suburban Birds en 2018, pas sorti en salles) du cinéaste Qiu Sheng, lui-même natif de Hangzhou où se situe l’action, My Father’s Son, dans une première partie, distille les indices par quoi la relation filiale entre le défunt entrepreneur et son fils se révèle en porte-à-faux radical avec l’éloge funèbre dicté à l’adolescent : comme un démenti insistant à la réalité que le film nous dévoile de proche en proche, les fallacieuses sentences du discours viendront d’ailleurs, en sous-titre, ironiquement ponctuer les séquences du film, d’un bout à l’autre. C’est sans prévenir que le scénario bifurque ainsi vers l’enfance douloureuse de Qiao, dans une série de flashbacks révélant peu à peu quel homme contradictoirement aimant et protecteur, mais également instable, intrusif, violent fut ce géniteur, mari jaloux, agressif et destructeur, attentif à faire de son fils à tout prix un champion de boxe à son exemple, ce avant que frappé d’addiction au jeu, à l’alcool et aux stéroïdes, ce pater imperiosus ambigu ne soit atteint d’un cancer sans rémission.

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Dans une ultime, énigmatique et soudaine bifurcation, My Father’s Son se téléporte contre toute attente dans le futur proche où dans un environnement aseptisé de tours, l’Intelligence artificielle a fait des pas de géants : maintenant adulte, chaussé de lunettes de vue, habitant un logis high-tech immaculé où poussent des bonzaïs géants, en couple désormais avec une jeune femme enceinte de ses œuvres, Qiao, devenu ingénieur au sein du laboratoire ANOTHER MIND, a modélisé un ring numérique capable de simuler un match de boxe où il affronte le fantôme de son papa généré par l’IA. « J’ai de mauvais gènes », dira-t-il devant le praticien qui évalue le risque que son enfant naisse trisomique, tandis que ce Frankenstein du 3ème type semble échapper à son contrôle…  

Précautions

À l’élément aquatique est associé, revenant comme un leitmotiv symbolique tout au long de ce parcours introspectif où le cinéaste a probablement mis beaucoup de lui-même, une vertu purificatrice, voire rédemptrice : ayant récupéré l’urne contenant les cendres de son père, on verra Quiao, par exemple, étreindre une Diane de rencontre au milieu du flot…

Est-ce un film chinois pour l’exportation ? « Mon père monta sa société en réponse aux appels du Parti et de son époque » : cette citation de l’éloge funèbre évoque en creux, dans un savoureux euphémisme, l’histoire récente de la Chine, dont le père de Qiao, « né en 1972 », est la projection allégorique. Ce que dans son épure, sa retenue, son esthétique très maîtrisées se garde pourtant de souligner My Father’s Son, c’est la dimension immensément tragique de la Révolution culturelle, l’horreur inexpiable qu’a été de part en part la dictature du Grand timonier. On soupçonne qu’une auto-censure bien pesée, et sous contrôle, permette à présent, sous l’alibi du film d’auteur, de présenter en filigrane le portrait narcissiquement flatteur d’une Chine n’ayant rien à envier à l’Occident en matière de style de vie, de design, de développement urbain – une Chine entrepreneuriale, sophistiquée, de bon goût, technologiquement à la pointe. Bref, le travail de deuil autorise de faire son deuil d’un passé globalement plus traumatique qu’un lancinant uppercut paternel, passé dont la mémoire et ses séquelles paraissent surgir ici enrobées de beaucoup de précautions sémantiques.


My Father’s Son. Film de Qiu Sheng. Chine, France, couleur, 2024. Durée : 1h41

En salles le 23 juillet 2025


Amir, victime d’un festival de haine anti-israélienne en Belgique

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Image d'archives © Martin Meissner/AP/SIPA

Chez nos voisins, le chanteur est ciblé pour ses origines. Un nouvel épisode navrant de cette fameuse « Internationale » du soupçon.


Il est Israélien et juif. Il a participé à un concert dans une colonie à Hébron… en 2014. Il a fait son service militaire dans les renseignements de l’armée israélienne. Il s’est exprimé en chanson pour dénoncer l’horreur du 7-Octobre. Pour ces raisons, Amir subit aujourd’hui les assauts d’une meute d’artistes qui entendent le faire déprogrammer des Francofolies de Spa se tenant dès ce vendredi dans la cité thermale belge. La chanteuse Yoa a poussé plus loin sa résistance de pacotille en annulant sa participation, au prétexte de ses “convictions sociales, politiques et humanistes”, suivie par d’autres artistes tout aussi peu connus. 

Déferlement de haine

D’ordinaire, le festival, qui dresse ses différentes scènes au mitan du mois de juillet, souvent quand la Belgique est en période de fête nationale, se déroule dans une ambiance bon enfant, entre baraques à frites, plus ou moins bons tours de chant et animations diverses. Les artistes au programme sont appréciés d’un grand public qui se déplace en masse et en famille. Cette édition déroge donc à la règle et la musique qui, d’ordinaire, adoucit les mœurs, exacerbe cette fois-ci les tensions.

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Pour ses contempteurs, peu importe qu’Amir porte un message de paix et soit peu connu pour être un soutien du gouvernement actuellement en place en Israël. Ils le réduisent à sa nationalité et peut-être à sa religion. Son label, Parlophone, a dénoncé le « déferlement de haine antisémite » dont le chanteur est la cible depuis plusieurs semaines. Nous ne sommes pas là pour sonder les cœurs, les âmes et les passions tristes, ni pour taxer d’antisémitisme le premier artiste engagé venu, mais tout le monde conviendra que nous ne sommes guère éloignés de l’infâme. Ajoutons à cela que les pétitionnaires entendent sans doute également profiter de la notoriété d’Amir pour sortir de leur propre anonymat : cela ne leur coûte rien, à peine quelques gouttes de moraline, vite épongées dans le drapeau palestinien.  

Pas un cas isolé

Il est un phénomène plus général que nous devons regretter : les festivals sont les nouveaux hauts lieux du palestinisme ambiant. Le cas spadois n’est pas isolé : il y a quelques semaines, le festival de Glastonbury, dans le sud-ouest de l’Angleterre, a davantage été marqué par les cris de haine contre Israël que par la prestation magistrale du désormais octogénaire Rod Stewart. À cette occasion, le duo de rappeurs Bob Vylan – à ne pas confondre avec le nobélisé Bob Dylan – avait scandé: « Death to the IDF », soit un appel à tuer les forces armées israéliennes. Dans la foule, les drapeaux palestiniens formaient une marée et ceux qui les brandissaient un embryon d’armée. Le concert était diffusé par l’autrefois vénérable BBC qui dut fournir des explications.

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Face aux boycotteurs, qui n’ont pas eu gain de cause pour le moment, laissons le mot de conclusion à Amir et Nazim qui, dans la chanson qu’ils partagent, s’écrient : « Si j’étais né à ta place, dans le camp d’en face, je t’aimerais moi aussi. Si on avait l’audace de ne plus se faire face, on s’aimerait nous aussi ». Un peu naïf, peut-être, mais certainement plus humaniste que les objurgations des artistes qui se revendiquent du camp du Bien et qui veulent retirer à un chanteur (franco-)israélien la plus douce des libertés, celle de chanter.