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Chasseurs de têtes nazies

Un pacte avec le diable – Quand la France recrutait des scientifiques nazis (Albin Michel, 2025)


Chasseurs de têtes nazies

Michel Tedoldi publie en poche son enquête « Un pacte avec le diable – Quand la France recrutait des scientifiques nazis » (Albin Michel)


Note secrète

1945 : l’armée de de Lattre occupe le sud-ouest de l’Allemagne et tend à maintenir si ce n’est à étendre son « pré-carré ». Joliot-Curie et une myriade d’organismes scientifiques et administratifs français vadrouillent dans l’aire d’occupation française, prenant progressivement conscience du potentiel en chercheurs, savants et matériels de tous ordres que recèle la zone. De Lattre ne sait que faire (si ce n’est, dixit Michel Tedoldi, organiser d’inutiles fiestas sur les bords du lac de Constance). Et de Gaulle, dans son style à la fois très écrit et ferme, de lui dicter ses instructions dans une note secrète qu’il y a lieu de transcrire in extenso tant elle condense bien tout ce qui est alors en jeu pour la France :

« Toute reconstruction en Allemagne serait destinée tôt ou tard à échapper aux organes de contrôle français ou alliés. Les bénéfices à retirer des travaux dans ces centres de recherche avec mainmise théorique de notre part seront faibles vis-à-vis des dangers certains que présente pour l’avenir leur remise en route. Aussi convient-il de rechercher la destruction sur le sol allemand de toutes possibilités de ce genre. Parallèlement, il faut s’efforcer de les reconstituer en France, avec le matériel ramené d’Allemagne, et attirer certaines personnalités scientifiques particulièrement qualifiées [c’est nous qui soulignons]. Il y a lieu de remarquer à ce propos que les Alliés ont déjà amorcé une politique d’absorption des meilleurs éléments. Dans ce but, il y aura lieu de transférer en France les scientifiques ou techniciens allemands de grande valeur pour les interroger à loisir sur leurs travaux et, éventuellement, les engager à rester à notre disposition. »

Rivalités

Pour résumer la suite des évènements, nous énoncerons la chose ainsi : c’est cette « éventualité » qui va devenir « généralité ».

De cette course-poursuite aux savants allemands « maudits », mais dont la ‘‘malédiction’’ va fondre au profit de la conscience de la ‘‘bénédiction’’ que constituerait leur collaboration à la recherche et en quelque sorte à l’œuvre scientifique française durant les Trente Glorieuses en matière militaire et civile, principalement aéronautique et spatiale, il va résulter ceci :

  • une rivalité accrue entre Français, Britanniques et Américains, chacun lorgnant le voisin, chacun cherchant le moyen d’attirer dans sa zone sa proie (savante et allemande), chacun, jaloux et sans foi, en tout cas sans respect du droit international, n’hésitant pas à aller la kidnapper chez le voisin et néanmoins « Allié » ;
  • un réel accaparement par la France (sans parler de tous les autres, partis sous d’autres cieux et au service d’autres puissances, y compris soviétiques) de savants, chercheurs ou chercheurs-industriels allemands – dont beaucoup ont activement et lourdement contribué comme on dit à l’effort de guerre du Troisième Reich et dont l’auteur, aux propos très moraux (sans, ici, aucune note ironique), déplore que la France ait passé par pertes et profits l’absence de repentir – qui ont nom : Von Zborowski, Schardin, Kraehe, Oestrich, le ‘‘motoriste du Führer’’, Sänger, Schall, Ferdinand Porsche, sans oublier bien sûr Bringer (qui, comme on dit encore, « a sa rue » à St Marcel, petit village près de l’ancienne usine de Vernon, dans l’Eure) et son mentor Werner von Braun.

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Repentir

On ajoutera que la figure de Marcel Dassault en prend aussi pour son grade et, plus généralement, selon l’auteur, toute l’histoire « officielle » de la grande famille des avionneurs français de l’après-guerre, à un point tel qu’il ne serait pas exagéré de soutenir que la fusée « européenne » lanceuse de satellites Ariane est la petite sœur des redoutés V2 allemands.

Il conviendrait que la France établisse une doctrine (d’application fatalement secrète) de possible exploitation et mise à disposition, autoritaire ou volontaire, de tous maîtres d’œuvre et savants étrangers se repentant de forfaits commis dans leur pays d’origine. Et ce repentir se manifesterait concrètement, gratuitement, gracieusement, secrètement par une mise au service de la France d’un talent utilisé jusque-là au profit d’un mal ennemi étranger.

Enfin avons-nous relevé que ce livre se conclue par une remarque de nature éditoriale. Dans ses Remerciements – rubrique courante en fin d’ouvrage -, Michel Tedoldi souligne que son livre ‘‘n’aurait jamais vu le jour sans la ténacité et le soutien de mon éditrice, Véronique de Bure’’. Ce qui, a contrario, tend tout simplement à souligner l’importance de ses révélations, sans même parler des réputations fallacieuses qu’il risque de bousculer. 

Michel Tedoldi, Un pacte avec le diable – Quand la France recrutait des scientifiques nazis – Albin Michel, 256 p.




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