Un roman magistral, édifiant ; voilà ce que propose Valère Staraselski avec Les Passagers de la cathédrale, une sorte de Neveu de Rameau à cinq personnages qui dialoguent sur le catholicisme et le communisme, la vie et la mort. L’extrême gauche radicale et intolérante va râler. C’est fait pour.
Avec Les passagers de la cathédrale, son dernier livre, Valère Staraselski nous propose une sorte de Neveu de Rameau. Mais ici, ils ne sont pas deux à dialoguer, mais cinq, quatre hommes et une femme : François Koseltzov, un double de l’auteur, Louis Massardier, un ancien universitaire, communiste à l’ancienne, Darius, ami iranien de François (il a passé dix-huit mois dans les geôles de Khomeiny), Thierry Roy alias Chéri-Bibi gardien au musée Carnavalet, et Katiuscia Ferrier, une jeune femme très sensuelle et délicieuse. Ils échangent aux abords de la cathédrale de Meaux, ou au bord du canal de l’Ourcq. Ils évoquent la vie, la mort, la foi, la politique ; ils sont tous chamboulés par l’incendie de Notre-Dame de Paris. Dans leurs propos, il est souvent question du catholicisme et du communisme, de l’engagement. Explications de l’auteur.
« Un peuple sans mémoire est un peuple sans défense… »

Causeur. Pourquoi ce roman ? Et comment est-il né ?
Valère Staraselski : La littérature sert, me semble-t-il, à montrer ce qu’on ne voit pas très bien. Après l’incendie de Notre-Dame de Paris en 2019, en proie à une indicible stupeur mêlée de tristesse et de révolte, moi le communiste athée, j’ai écrit un article Les Passagers de la cathédrale paru dans L’Humanité et La Croix où je disais que « l’intense émotion qui frappe les catholiques s’étend non seulement aux autres croyants mais bien plus largement à celles et ceux en qui les valeurs humanistes sont ancrées. » L’article est devenu un roman-contrepied de contre-vérités sur notre histoire assénées par des politiques à court terme (pléonasme aujourd’hui) et des intellectuels médiatiques triomphants qui commettent l’erreur de penser que l’on peut ignorer notre héritage. Exemple, sur la négation des racines chrétiennes de l’Europe se dresse fort heureusement un Pierre-Henri Tavoillot : « Oui, la civilisation européenne est bien l’héritière du christianisme. Bien sûr cette civilisation européenne a aussi connu le racisme, le sexisme, le colonialisme comme toutes les autres. En revanche, c’est la seule dans toute l’histoire de l’humanité, qui les a dépassés. Or, on s’acharne aujourd’hui à la haïr pour ce qu’elle a été la seule à dénoncer. » Dans la clairière de Châteaubriant où l’on honore toujours les 27 otages fusillés par les troupes d’occupation allemandes en octobre 1941, j’ai appris, très jeune, qu’un peuple sans mémoire est un peuple sans défense…
Est-ce exagéré de dire que vous faites un parallèle entre le catholicisme et le communisme ?
Dans le roman, je rapporte ce que m’a dit Bernard Marris un soir : « Le communisme n’est qu’un christianisme athée. » Il l’a d’ailleurs écrit. Il y a eu les distanciations et condamnations récurrentes de l’Eglise contre l’émergence, puis contre les expériences communistes. Expériences qui se sont trop souvent révélées, pour le moins, comme des religions sans miséricorde. Mais le communisme ne peut se ramener à une pédagogie établie sur des massacres comme le catholicisme ne peut se réduire à Torquemada ou à l’élimination des Incas. En outre, je constate qu’il y a aujourd’hui de plus en plus de jeunes, parmi de nombreux autres catéchumènes, militants communistes qui affichent leur foi. L’un d’eux, qui se destine à entrer dans les ordres monacaux, a rédigé la préface de mon Voyage à Assise (N.D.L.R. : Bérénice éditions nouvelles ; 45 p. ; 10 € ; mars 2025). A ce propos, écoutons, Paul Vaillant-Couturier dans Au service de l’esprit en 1936 : « Le capitalisme entend faire du ventre, le principal organe de l’humanité, et transformer l’esprit en marchandise. Sous son règne, toutes les valeurs immatérielles sont devenues des marchandises. Le capitalisme avilit la morale. Il s’attaque aux valeurs les plus sacrées comme un acide. Il dissout la moralité ! Les communistes (…) se sentent très près des bâtisseurs de cathédrales. » En 1970, le dirigeant communiste Jean Kanapa déclarait quant à lui : « Nous ne parviendrons à construire le socialisme en France que lorsque nous saurons intégrer réellement les données positives de la culture chrétienne à celles du marxisme. » Ça vient de loin et de nos jours, ça reprend assez fort.
« Calvin a facilité l’essor du capitalisme »
Vos personnages sont attachants ; plus vrais que nature. Comment définiriez-vous Louis Massardier, « l’homme de la tempête et de la cathédrale » ?
Si les personnages ont de l’épaisseur, c’est que l’écrivain s’oublie pour observer… Massardier ? Une centrale nucléaire de vie, une tour Montparnasse de culture, un maelstrom d’intelligence doté d’un cœur qui bat très fort. Un honnête homme ce Massardier qui lit Marx et Louis Aragon mais aussi Barrès et Alain de Benoist.
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Vous dites de lui que c’est un communiste mais « à long terme ». Qu’entendez-vous par là ?
Les humains ont créé le catholicisme où l’Alliance (invention juive), ce contrat avec une instance supérieure appelée Dieu, est réalisée par le Christ qui lance : « Je ne suis pas venu abolir mais accomplir. » Mais le fait nouveau est que l’Alliance selon le Christ a pour moteur l’amour. Si ce n’est pas révolutionnaire, ça ! Massardier, vieux militant communiste français, pense qu’il n’y a pas de raison que nous ne parvenions, à terme, à dépasser la ploutocratie pour une « société réglée » dont parle Antonio Gramsci. D’ailleurs, a-t-on vraiment le choix si nous ne voulons pas que l’autodestruction en cours l’emporte ?
François Koseltov ? Ne serait-ce pas un peu votre double ?
Un peu, oui, il y a longtemps…
Vous égratignez un peu le protestantisme en rappelant – à juste titre – que Calvin serait à l’origine du prêt avec intérêt ; pouvez-vous revenir sur cette affirmation ?
Pour l’Eglise, il fallait prêter sans rien attendre en retour car dans la Bible le prêt avec intérêt est inique aux yeux de Dieu. Dans sa Lettre sur l’usure (1545), Calvin a légitimé l’usure du versement d’un intérêt dans le cas d’un prêt productif servant à financer la création d’un surcroît de richesse. Le Vatican le rendra licite en 1917 et l’Eglise catholique ne lèvera sa condamnation du prêt à intérêt qu’en 1930. S’il ne l’a pas provoqué, Calvin a facilité l’essor d’un capitalisme certes créateur mais aussi prédateur faute de contre-pouvoir…
Quel est votre préféré : Dieu ou Marx ? Et pourquoi ?
Pardon, mais je n’esquive pas la question : Pierre Paolo Pasolini. Parce qu’il a amorcé dans sa vie comme dans son œuvre ce que le philosophe Slavoj Zizek défend : « Oui, le marxisme est dans le droit fil du christianisme ; oui, le christianisme et le marxisme doivent combattre main dans la main, derrière la barricade, les nouvelles spiritualités. L’héritage chrétien authentique est bien trop précieux pour être abandonné aux freaks intégristes. » Comment ne pas songer au Compromis historique entre le Parti communiste italien et la Démocratie chrétienne avorté par l’assassinat d’Aldo Moro par les Brigades rouges alliées objectives des intérêts américains ? Si on ne rabat pas tout sur le sociétal et sur une vision anachronique de l’Histoire comme le fait pour l’essentiel la Doxa gauchiste qui occupe des avant-postes médiatiques et a confisqué bien des pouvoirs depuis des décennies, il faut bien reconnaître que l’Eglise catholique, apostolique et romaine contemporaine s’est placée depuis quelque temps déjà dans le camp progressiste. Heureusement qu’elle est là !
L’intolérance ambiante
Quelle est la part de réalité dans notre roman ? Vous résidez à Meaux ; Chéri-Bibi ressemble fortement à l’un de vos amis, gardien de musée… Et les autres (Massardier, Darius, etc.) vous ont-ils été inspirés par des êtres existants ou sont-ils le fruit d’une pure fiction ?
Toute la réalité, rien que la réalité, je le jure, revue et présentée via l’imaginaire. Mais la réalité tout entière dans « le roman où mentir permet d’atteindre la vérité » nous rappelle Aragon.

Que pensez-vous de la gauche actuelle ? Et de Mélenchon ?
Quand j’étais jeune, on taxait la droite de la plus bête du monde. Ça s’est inversé. Et salement ! À gauche, le peuple a été évacué, la direction des partis de gauche (à l’exception du Parti communiste profond) sont confisqués par les représentants des couches moyennes supérieures qui, pour se donner le beau rôle, sont prêts à tous les dénis et les compromissions possibles, n’hésitant pas à jouer la logique des extrêmes. Cette « petite gauche », triomphante aujourd’hui, est limitée et fière de l’être et le paie cash dans les urnes. Mélenchon n’est, selon le mot de Nietzche, que « le comédien de son idéal ». Seulement son idéal n’est commandé que par la vanité. Ce personnage, qui fascine les foules du ressentiment, est donc non seulement vain et destructeur pour son propre camp mais néfaste et dangereux pour la France.
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Ne pensez-vous pas que la société actuelle souffre d’une terrible intolérance ? Les gens d’opinions différentes ne se parlent plus… Contrairement à autrefois juste après mai 68. Pourquoi ?
L’intolérance bien réelle, vous avez raison, est la marque d’un repli qui s’explique, selon moi, par une atomisation de la société où seule la lutte de tous contre tous supplante le besoin de vie commune.
Quels sont vos écrivains préférés ?
En ce moment, Hans Fallada, Panaït Istrati… L’incipit des Chardons du Baragan du Roumain Istrati : « Au ciel et sur la terre, la vie reprenait sa marche, élevait ses chants sincères, appelait au bonheur – pendant que l’homme semait la mort et descendait plus bas que l’animal. »
Un prochain livre ?
Oui, mais les obstacles seront nombreux, alors chut. Si, une chose encore : dans ce monde impossible, un roman est un signe de possible vie.
Les Passagers de la Cathédrale, Valère Staraselski ; le cherche midi ; 246 p.
Voyage à Assise, Valère Staraselski ; Bérénice éditions nouvelles ; 45 p.
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