Deux copains, Jean-Gabriel de Bueil et Matthieu Dumas, ont repris il y a quelques années des vignes de Chénas, dans le Beaujolais. Après un sérieux travail dans ce vignoble injustement méconnu, ils viennent de commercialiser les premières bouteilles de leur nectar: le Rouge Caillou
« Si demain la Faucheuse vient me prendre la main, pourvu qu’elle me conduise au bistrot des copains. » Renaud, Mon bistrot préféré.
Qu’est-ce qu’un « vin de copains » ? C’est un joli vin sans prétention, simple, agréable, honnête, sincère et pas trop cher, que l’on boit entre copains donc, avec quelques tranches de pâté de lapin aux noisettes et de saucisson. Un vin fait pour être bu, avec assez de caractère toutefois pour susciter la curiosité sur son terroir d’origine. C’est aussi un vin produit par des copains qui rêvent depuis longtemps de prendre racine quelque part et de créer un petit nectar qui serait leur « bébé ».
Deux rêveurs à la conquête de la vigne

et Matthieu Dumas,
copropriétaires du domaine
Les 2 Chênes à Chénas, dans le Beaujolais. © Hannah Assouline
C’est ce que viennent de réaliser deux vieux amis épris d’art et de culture, Jean-Gabriel de Bueil et Matthieu Dumas, deux Parigots qui n’avaient jamais tenu un sécateur de leur vie.
Né en 2016, leur vin Rouge Caillou vient tout juste d’être commercialisé. Il provient de la plus petite appellation du Beaujolais, celle de Chénas, le village le plus élevé et montagnard de la région (450 mètres d’altitude), situé à côté du plus prestigieux village de Moulin-à-Vent dont il partage les mêmes somptueux terroirs granitiques de couleur rose fouettés par le vent.
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Alors que Bernard Arnault, François Pinault et Martin Bouygues investissent depuis longtemps dans des vignobles de légende dont chaque bouteille est vendue au prix de l’or, quel plaisir de voir ces deux rêveurs miser sur le plus oublié des crus du Beaujolais !
« Nous ne voulions pas racheter un domaine déjà existant, mais en créer un nouveau », nous expliquent-ils. Quand ils découvrent ces parcelles de vignes centenaires abandonnées au milieu des noyers et des fleurs des champs, c’est le coup de foudre. La lumière, le magnétisme du sol volcanique, la paix de ce village dont le nom médiéval évoque la présence d’une forêt de chênes avant l’apparition de la vigne, tout cela les convainc de sauter le pas.
Le fantôme de Louis XIII et l’appel du sol
En fouillant dans les archives municipales, ils découvrent également que le vin de Chénas était acheminé par voie fluviale à la table de Louis XIII « le Juste » qui en buvait de grandes lampées… Étrange parenté entre ce vin oublié fleurant bon la pivoine séchée et ce grand roi, méconnu lui aussi, dont le règne (1610-1643) hissa la France au rang de première puissance d’Europe.
Issu d’une famille aristocratique où les enfants devaient apprendre à monter à cheval et à tirer au fusil avant même d’apprendre à lire, Jean-Gabriel de Bueil ne pouvait qu’être sensible à cette affinité mystérieuse. Quant à Matthieu Dumas, élevé par un père spécialiste de Jules Verne, le rêve de créer ici un grand vin de partage vendu « au prix juste » prenait soudain à ses yeux une connotation progressiste et sociale digne de l’auteur des voyages extraordinaires.
Le contexte économique leur paraissait aussi plus que favorable. Il y a vingt ans, on ne donnait pas cher de la peau du beaujolais. Aujourd’hui, tous les investisseurs s’y intéressent car le gamay noir à jus blanc offre le meilleur rapport qualité-prix.
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Banni du sol de Bourgogne en 1395 par Philippe II le Hardi, ce cépage sensible et longtemps méprisé prospère magnifiquement sur les sols volcaniques du Beaujolais, donnant naissance à des vins aux tannins légers, faibles en alcool, digestes et éclatants, pour peu qu’on prenne la peine de le travailler avec amour, sans produits chimiques. En vieillissant, les meilleurs crus gagnent en complexité et en finesse, à telle enseigne qu’un fleurie, un morgon ou un moulin-à-vent vendu 25 euros la bouteille n’a plus rien à envier à un côte-de-nuits vendu le triple ou le quadruple.
Lors de son premier mandat, Donald Trump, déjà, avait imposé une taxe de 25 % sur les vins français, et, paradoxalement, on n’avait jamais autant vendu de beaujolais aux ֤États-Unis, les vins les plus chers ayant alors été abandonnés par les consommateurs américains au profit des gamays !
De Paris à Chénas, l’art de déléguer

Tout cela est bien joli, mais comment produire un grand vin du Beaujolais quand on exerce un métier à temps plein à Paris ? La réponse est simple : il faut déléguer.
Jean-Gabriel, en effet, est l’heureux propriétaire du restaurant Chez Georges, rue du Mail, un endroit merveilleusement français (classé parmi les dix meilleurs restaurants de Paris par The Times) où allaient déjeuner autrefois Cocteau, Cartier-Bresson, Malraux et Louise de Vilmorin. Matthieu, lui, vient de reprendre et de restaurer avec goût le Florida, un hôtel du boulevard Malesherbes où venaient picoler Scott Fitzgerald et Joseph Roth.
Loin d’être de purs « investisseurs » vivant de leurs rentes, ces deux copains font vivre leurs maisons en leur insufflant une âme – raison pour laquelle ils sont complets tous les jours.
Pour réaliser leur rêve, ils ont donc confié les clefs du domaine à un vrai vigneron du pays sachant labourer, tailler et vinifier : André Sarton du Jonchay – avec qui ils parlent (et s’engueulent parfois) tous les jours. « André est un jeune homme passionné qui cultive nos vignes comme s’il s’agissait d’un jardin à la française », sourit Jean-Gabriel. Les deux copains lui font absolument confiance. L’objectif est clair, il s’agit de sculpter un chénas d’exception, vinifié à la bourguignonne, lentement, sans macération carbonique, et qui va se bonifier avec le temps…
Pour se délecter de ce « vin de copains », on peut se rendre Chez Georges, où l’ancien directeur du musée Picasso, Jean Clair, vient déjeuner chaque semaine : « Je ne bois plus que du Rouge Caillou, c’est un plaisir sain du quotidien, et le fait que Louis XIII l’aimait aussi m’enchante… »
Au Nepita, le restaurant du Florida, la cuisine de la cheffe Amandine Chaignot épouse à merveille les notes de griottes de ce petit nectar, à l’image de son tartare de thon rouge de Méditerranée aux petits pois.
On trouve aussi du Rouge Caillou à emporter, à 17 euros la bouteille, au Comptoir de la Gastronomie : 34, rue Montmartre, 75001 Paris.
Chez Georges, 1, rue du Mail 75002 Paris, tél : 01 42 60 07 11.
Hôtel Florida, 12, boulevard Malesherbes, 75008 Paris, www.hotelfloridaparis.com