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Sortez de l’autoroute!

Aimons-les vivants : Guy Darol et Marc Alyn


Sortez de l’autoroute!
L'écrivain et poète Marc Alyn, à gauche, l'écrivain Guy Darol, à droite © Sipa / DR.

Monsieur Nostalgie poursuit sa série de l’été à la rencontre d’auteurs vivants qui comptent littérairement et dont l’empreinte médiatique est inversement proportionnelle à leur talent. Aujourd’hui, il nous parle de Guy Darol et de Marc Alyn…


En littérature comme en transport automobile, la voie la plus éclairante n’est pas toujours celle recommandée par les autorités. Bison Futé peut-il se tromper ? La critique peut-elle se fourvoyer dans la perpétuation de fausses valeurs ? L’été, les autoroutes charrient le flot des voyageurs, le gros des touristes passera à quelques mètres des départementales bordées de platanes et d’auberges girondes, la rapidité n’a que faire des flonflons à la française ; l’asphalte annihile tous les particularismes régionaux, l’entonnoir est lancé, il aspire toutes les beautés, le conducteur doit tracer vite et ne pas se détourner de son objectif initial, c’est-à-dire atteindre les plages en moins de temps qu’il n’en faut pour dissoudre une assemblée turbulente. En septembre, d’ici quelques semaines, le système éditorial, plus moutonnier que stratège, moins complotiste que fainéant, choisira sa poignée d’élus. La tenaille médiatique se resserrera sur deux ou trois noms qui feront consensus par leur innocuité et qui iront gaillardement jusqu’aux prix d’automne. Ces gagnants-là signeront et vendront jusqu’à la Noël. Des queues se formeront devant les échoppes de province et la télévision publique écorchera leur nom de famille. Face caméra, ils minauderont, en France, mieux vaut avoir l’air penaud ; d’une voix componctueuse, ils remercieront leurs professeurs d’antan et leurs lecteurs sans qui ils ne seraient rien alors qu’ils estiment cette victoire largement méritée, même, à vrai dire, tardive. Les autres regarderont la caravane passer avec des lumières dans les yeux. Ces centaines d’autres poursuivants, lampistes surnuméraires, figurants sacrificiels, traînards du peloton auront au moins eu le plaisir de participer à cette course truquée. Ils pourront dire à leurs petits-enfants comme ces marathoniens du dimanche : « En 2025, j’ai fait une rentrée littéraire, quelle mascarade ! Mais quel spectacle ! Ça secoue ! Un jour, peut-être, j’y retournerais ». L’écrivain est un joueur de casino qui s’accomplit dans la défaite, car c’est la perte qui donne le frisson, jamais le gain. Tous les addictologues vous le diront. Le succès taquin, dans son immense mansuétude, se porte parfois sur de bons livres. Certaines années, on n’est pas à l’abri d’un lauréat sincère qui nous changera des roués et des affidés. Depuis que les arts sont compétition, ils l’ont toujours été à travers l’Histoire, il faut bien des perdants. Julio Iglesias l’a même chanté :

Je sais
En amour il faut toujours un perdant
J’ai eu la chance de gagner souvent
Et j’ignorais que l’on pouvait souffrir autant

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Gloire à tous les perdants ! Ce sont nos frères de plume. Depuis mon adolescence boulimique, mes étés à manipuler les tourniquets de poche dans les librairies de campagne, j’avais la berlue à force de retourner les « Folio » colorés ; innocemment, j’ai été attiré par ceux que Philippe Claudel appelle « les grands petits maîtres ». Il utilise cette expression dans une préface de Pierre Charras. Par flemme, par horreur de l’école, par réaction, par snobisme aussi, j’ai repoussé tous les champions nobelisés, toutes les lectures obligatoires et les grands prêcheurs sur lesquels doivent s’agenouiller les mécréants de mon espèce. Désolé, je ne m’en félicite pas, dans mon métier ce serait même plutôt un handicap car cette méfiance paysanne pour les encartés oblige à sortir des sentiers balisés. Et puis, écrire sur des auteurs méconnus, c’est se priver de relations influentes dans nos métiers où l’échange commercial est légion. Je suis imperméable à la profondeur des penseurs patentés. Vieux réflexe berrichon, je me méfie des bestiaux trop beaux, trop parés à la foire de Sancoins. Suspicieux par nature, je ne crois pas aux êtres supérieurs et me fie uniquement à mon goût pour la ligne claire. Alors, j’ai dû me frayer un chemin tortueux dans les bibliothèques qui regorgent d’artifices, j’ai beaucoup tâtonné et, sur le tard, suis tombé sur des écrivains qui ne me quittent plus désormais. Ils n’étaient pourtant pas en pole position dans les rayons, ils n’étaient pas invités régulièrement dans le poste, c’est le miracle de la littérature de nous amener à eux. Je pense à Guy Darol, ce haut-breton des terres fourragères qui « a le goût des méandres », et peut s’intéresser dans un même élan à Joseph Delteil et à Frank Zappa. Ce grand pédagogue nous instruit sur les musiciens des années 1970 et les écrivains buissonniers. Il a le don d’ubiquité, vous pouvez le rencontrer à New-York dans un club de jazz ou sur les bords de la Marne, dans une banlieue d’atmosphère. Guy Darol a écrit un essai remarquable sur André Hardellet « ou le don de double vie » aux Presses de la Renaissance, il y a presque 35 ans maintenant. Son approche sensitive, d’un naturalisme désarmant, dans son jus le plus vif et le plus intelligent, sans l’artillerie intellectuelle habituelle, m’a fait mieux saisir la richesse intérieure d’Hardellet, à cheval entre le fantastique et le charnel. Parfois ce sont les rencontres qui nous guident vers des auteurs, je dois mon estime et mon intérêt au poète d’élite, Marc Alyn, à Pierre-Guillaume de Roux qui avait publié notamment sa correspondance amoureuse. Autrefois piéton de Venise ou dans l’intimité de Lawrence Durrell, l’écrivain discret, aujourd’hui âgé de 88 ans, qui fut lu par Trintignant ou Reggiani, prodige du vers, auréolé du Prix Max Jacob est un Mallarmé fécond où le mot ne cesse de fureter. Il devrait être célébré à sa juste valeur dans notre pays. Chaque été, comme je relis mon Fallet des quais de Seine, je replonge dans Paris point du jour (Bartillat) où Alyn se fait conteur, enchanteur, enlumineur de la ville.

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Journaliste et écrivain. Dernières publications : "Tendre est la province", (Équateurs), "Les Bouquinistes" (Héliopoles), et "Monsieur Nostalgie" (Héliopoles).

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