Est-ce de la générosité ou de l’inconscience? Le profil et la biographie du Saint-Père peuvent expliquer cette ouverture: rédemption et remords sont les marqueurs sociologiques du Pape actuel. Cela lui fait un point commun avec les idéologues du wokisme.
Le Pape François, de passage à Lesbos qui abrite encore plus de 2 200 migrants dans le camp de Mavrovouni, a appelé l’Europe à ne pas transformer la Mare Nostrum en « Mare Mortuum », un cimetière maritime pour migrants. Il y a dit la messe avec une cinquantaine de migrants catholiques en provenance d’Afrique.
A Athènes, il a appelé l’Europe à ne pas se replier sur ses égoïsmes nationalistes, en présence de la présidente hellénique Katerina Sakellaropoulou, le vice-président de la Commission européenne Margaritis Schinas et le ministre grec des Migrations Notis Mitarachi. Ceux-ci lui avaient pourtant expliqué à quel point la Grèce se débat avec un nombre proportionnellement insurmontable de migrants arrivant sur ses nombreuses côtes.
Un adepte du concept mélenchoniste de créolisation?
Quelques jours avant, de passage à Chypre, il tenait à peu près le même discours : « Chypre, en tant que carrefour de civilisations, a une vocation innée à la rencontre, favorisée par le caractère accueillant du peuple chypriote. La beauté de cette terre provient des cultures qui, au cours des siècles, se sont rencontrées et mélangées ici. Aujourd’hui aussi, la lumière de Chypre est richement bigarrée. De nombreux peuples et nations ont apporté des nuances et des teintes différentes à ce peuple. »
Jésuite proche des Franciscains, François est au plus près de la parole de Jésus et ce type de propos généreux est prévisible. En tant que dirigeant du micro-Etat du Vatican, il n’a pas à en assumer la responsabilité : la Cité du Vatican est gardée par d’épaisses murailles et par sa centaine de gardes suisses ! Et au risque d’être poujadiste, on ne voit guère la Curie romaine partager ses vastes pièces et chambres pour loger des migrants. Le Pape François use dès lors de son pouvoir spirituel pour agir sur le temporel sur lequel il n’a pas prise.
Ne cherche-t-il pas d’ailleurs sa propre rédemption ? Dans « Les Deux Papes », long métrage estampillé Netflix (2020), on apprend qu’au moment où se déroule l’action du film l’encore cardinal Jorge Mario Bergoglio a eu une attitude des plus ambiguë avec la junte argentine après le coup d’État militaire de Jorge Rafael Videla, le 24 mars 1976. La junte assassinera des milliers d’opposants (qu’on jetait à la mer par avion). Bergoglio est-il mal à l’aise avec cette période ? On touche là à l’essentiel : la culpabilité du pape François. Serait-il dans le remords, la repentance et la rédemption pour un mal supposé qu’il aurait fait et qui nécessiterait réparation ?
Jean-Baptiste Noé, historien et écrivain, dans un essai publié chez Salvator qualifie le pape François de populiste de gauche en ce sens qu’à la suite de nombreux théologiens et prêtres d’Amérique latine, « il a développé une ‘théologie du peuple’ dans laquelle le peuple n’est pas vu comme une catégorie sociale (comme dans la théologie de la libération), mais comme une catégorie mystique. La théologie du peuple reprend certains éléments de la théologie de la libération, mais elle n’est pas matérialiste »[5].
Le peuple est ici incarné par « l’indigène privé de ses terres ». Les communautés populaires d’Amazonie possèdent selon le Pape une organisation supposée meilleure que les autres formes d’organisations politiques. Ainsi, François n’aime pas l’Europe mais moins encore l’Europe centrale qui a retrouvé pourtant le chemin de la religion. Profondément sud-Américain, le Saint-Père est ouvert, par miséricorde et charité chrétienne aux migrants. Il ne comprend pas les peurs identitaires des Européens (l’islam est quantité négligeable en Amérique du Sud), contrairement à Jean-Paul II et Benoît XVI pour qui les racines chrétiennes de l’Europe étaient fondamentales.
L’accueil des migrants, une réparation faite aux pauvres
Pour l’actuel Pape, « le vrai peuple, le peuple bon, ce sont les indigènes », explique Noé. « Ils ont une sagesse innée qu’il faut respecter et promouvoir. Mais dans l’esprit de Bergoglio, partagé du reste par beaucoup de chrétiens, le monde est fini, et les ressources sont limitées. Par conséquent, si l’Europe s’est développée, cela n’a pu se faire qu’au détriment des autres continents. L’Europe est riche parce qu’elle a pris aux autres. Vieille idée marxiste et malthusienne qui est incapable de penser le développement comme une création de richesse. Par conséquent, l’accueil des migrants est une réparation faite aux pauvres. Il faut accueillir les migrants pour réparer les crimes de la colonisation. L’Europe doit expier puisqu’elle est responsable de la pauvreté et des dérèglements climatiques. »
En octobre 2019, lors du synode de l’Amazonie, on constate « le retour sous une autre forme de la théologie de la libération avec l’entrée en force du syncrétisme dans cette religion vieille de deux millénaires » confirme le pasteur Samuel Furfari. « Jamais comme aujourd’hui on n’a fait l’éloge du paganisme. Il suffit de parcourir la table de matière de ce document pour s’en rendre compte. Il y est question de ‘conversion écologique’, de ‘conversion intégrale’, de ‘conversion ecclésiale en Amazonie’, alors que l’Église a pour mission de prêcher la conversion à Christ. Le document de travail du synode (‘Instrumentumlaboris ‘) contient sept fois le terme ‘Mère’, et dans un langage tout à fait étranger à la Bible, indique que le Saint Esprit a enseigné à ces peuples la ‘foi en Dieu Père-Mère Créateur’ ».
Le stop and go de l’évangélisation
Pour François, l’Eglise doit se limiter à échanger avec les Indiens en respectant leur croyance ancestrale. Il n’est plus question ni d’évangélisation ni de baptême des Indiens. « Il semble donc que, selon le Vatican, les traditions et religions autochtones ont préséance sur la Bible et sur la tradition catholique romaine », semble regretter Furfari. « D’ailleurs, les missionnaires catholiques en Amazonie ne prêchent plus la conversion à Christ, mais ‘accompagnent’ les indigènes. Le missionnaire Corrado Dalmonego, qui vit avec des Indiens depuis 11 ans et les connaît donc bien, estime que ces autochtones peuvent ‘avec l’expérience de leur propre religiosité, aider l’Église elle-même à se purifier des schémas, des structures mentales qui sont peut-être devenues obsolètes et inadéquates. »
On réalise ici à quel point le pape François a tous les attributs du wokisme contemporain. Il constitue un allié de poids dans la révolution culturelle que nous vivons actuellement.
Nous célébrons demain dans nos écoles la loi du 9 décembre 1905. Cette Journée de la laïcité à l’école donne lieu chaque année « à des projets instructifs, ambitieux, originaux, qui font vivre la laïcité au sein des établissements », précise le site de l’Éducation nationale. Comme c’est alléchant… En réalité, la propagande wokiste n’est pas loin !
À cette occasion, des « ressources pédagogiques » sont mises à la disposition des enseignants via le site Éduscol. À partir de ce site, le Réseau Canopé (éditeur officiel des ressources pédagogiques de l’Éducation nationale) conseille aux enseignants d’« aborder les valeurs républicaines et la notion de vivre ensemble par le biais de la musique en classe » [1]. Il est proposé, pour « sensibiliser à la laïcité », de se rendre sur le site “Les Enfants de la Zique”, un « support pédagogique de tout premier choix ! »
Rien n’échappe à l’idéologie woke qui s’incruste partout, le plus grave est que cette dernière prospère là où elle devrait être la plus combattue
Avant de visiter le site en question, il convient de regarder ce qu’entend par laïcité le Réseau Canopé qui est, rappelons-le, un réseau officiel du ministère de l’Éducation nationale. La laïcité, sur Canopé, c’est large, très large, très très large. Il est surtout question de sensibilité, de vécu, de prise de conscience, de droits des femmes, des étrangers, du peuple, etc. En vérité on est loin, très loin, très très loin de la définition de la laïcité pourtant affichée sur le site du gouvernement : garantie de la liberté de conscience, neutralité de l’État et séparation de l’État et des organisations religieuses, égalité de tous devant la loi, droit d’avoir ou de ne pas avoir de religion, égalité des citoyens quelles que soient leurs convictions ou leurs croyances, affirmation que personne ne peut être contraint au respect de dogmes et de prescriptions religieuses, pour l’essentiel.
Ah les jolies causes à défendre que voilà
Les six sujets déclinés sur Canopé pour « sensibiliser » les élèves à la laïcité ne concernent à aucun moment la… laïcité. Ils embrassent en revanche nombre de causes wokistes et identitaires. Les voici, in extenso : 1) la question identitaire, 2) l’homophobie et les droits LGBT, 3) l’égalité entre les filles et les garçons et les violences sexuelles, 4) les violences de guerre et le travail de mémoire, 5) la conscience écologique, 6) la paix et le vivre ensemble.
Le réseau Canopé propose alors aux enseignants de se rendre sur le site “Les Enfants de la Zique” et de faire entendre à leurs élèves des chansons en rapport avec les sujets ci-dessus. Impatient, je m’y rue.
La chanteuse Jeanne Cherhal psalmodie une sorte de prière intitulée “Quand c’est non, c’est non”. Il ne s’agit visiblement pas d’une chanson sur l’interdiction d’apostasie dans l’islam ; le site indique en effet que la chanteuse « construit un espace de réflexion sur la question du consentement en confrontant le point de vue d’un homme de mauvaise foi, et les voix polyphoniques des femmes qui s’opposent à ses propos brutaux, hérités de la culture du viol ». Ne manquent que les mots « patriarcat » et « masculinité toxique » pour parfaire ce tract néoféministe.
Pour illustrer la « conscience écologique », Canopé renvoie à une babiole intitulée “Madame Nature” qui est, nous apprend-on, « unechanson engagée » dans laquelle « la nature transparaît à travers les termes : “planète”, “saisons”, “arbres”, “rivières”, “animaux”, etc. » [L’Encyclopédie des Chansons Engagées est formelle : il est excessivement rare que la nature transparaisse à travers des termes comme “boulon”, “vilebrequin”, “caoutchouc” ou “roue de secours”]
La suite est un massacre
Pour ce qui concerne la « question identitaire », les professeurs pourront faire écouter à leurs élèves la chanson intitulée “Ma gueule”, écrite et chantée par… Camélia Jordana. Petit rappel : Camélia Jordana a déclaré sur un plateau télé en mai 2020, à propos des “victimes des violences policières” : « Je parle des hommes et des femmes qui vont travailler tous les matins en banlieue et qui se font massacrer pour nulle autre raison que leur couleur de peau. » Ou, lors de la sortie de son album en janvier 2021 : « L’ensemble de ces chansons disent que si j’étais un homme, je demanderais pardon […] Car les hommes blancs sont […] responsables de tous les maux de la terre. » Le réseau Canopé explique que « “Ma gueule” ou “Inch Allah” sont deux titres (de Camélia Jordana) qui nous permettent de penser la France dans laquelle nous vivons, puisqu’ils tendent un miroir à la société, l’invitant à se regarder en face », et qu’elles dessinent « une société aux multiples facettes grâce à un métissage musical et au plurilinguisme. » [Exercice pédagogique : dans ces deux dernières citations, dites quels mots ou expressions auraient pu être avantageusement remplacés par “pays de merde”, “honte de soi”, “battre sa coulpe” dans la première ; et “multiculturalisme joyeux”, “créolisation harmonieuse” et “espéranto inclusif” dans la seconde.]
Si cette dévotion intéressée de certains à la “laïcité républicaine” peut légitimement énerver, il est encore plus irritant de constater que des agents officiels de l’Éducation nationale ne l’utilisent plus que pour promouvoir des phénomènes relevant du militantisme identitaire, multiculturaliste, écologiste ou néoféministe. Ceux qui semblent vouloir lutter contre ces phénomènes ne peuvent rien contre les idéologues qui manigancent dans leurs propres services. C’est le cas malheureux de Jean-Michel Blanquer. Preuve en est cette dernière démonstration d’entrisme militant et doctrinal dans l’Éducation nationale : sur ce même réseau Canopé, pour faire connaître les préfixes d’origine grecque ou latine, il est proposé à l’élève de collège de rechercher « l’étymologie et la signification des préfixes “hétéro”, “homo”, “trans”, “cis”, “inter” et “bi” » (cf. l’édifiant article des cofondateurs de l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires dans Le Figaro du 29 novembre)
Entretien | Jean-Michel Blanquer : « La France et sa jeunesse doivent échapper à l’idéologie woke » https://t.co/C3Qrw9n8Bm
De la laïcité à l’étymologie, de la littérature aux sciences sociales, de l’orthographe aux “sciences de la vie”, rien n’échappe à l’idéologie woke qui s’incruste partout. Le plus grave est que cette dernière prospère là où elle devrait être la plus combattue, dans le lieu qui devrait n’être que celui de la transmission des savoirs et qui, de plus en plus, devient l’antre de la propagande déconstructiviste la plus virulente.
Plutôt vivre à genoux que mourir debout ? Nous ne sommes plus disposés à risquer notre vie pour venger une offense et nous ne considérons plus que notre honneur a été profané parce qu’un idiot nous a insulté dans la rue. L’honneur du gentilhomme est enfoui dans les ruines de l’Ancien Régime et le point d’honneur date pour nous d’un autre temps. Mais pour autant, l’honneur est-il mort ?
Le philosophe allemand Arthur Schopenhauer nous donne cette définition : « L’honneur est, objectivement, l’opinion qu’ont les autres de notre valeur, et, subjectivement, la crainte que nous inspire cette opinion ».
Dans un système aristocratique, l’honneur est la valeur accordée à une personne en fonction de son rang dans la société, rang symbolisé par l’emblème décorant son écusson. C’est un signe de distinction et de supériorité. Il impose des règles, un code d’honneur. Ces règles ne tiennent pas au mérite personnel. L’individu est estimé d’abord pour son rang social, sa lignée, ensuite seulement pour ses actions, par lesquelles il doit conserver cet acquis.
Pour défendre son honneur on mettait sa vie en jeu. Un général romain n’hésitait pas à se jeter seul sur ses ennemis et à mourir avec eux en les vouant aux dieux des enfers. Un samouraï humilié se donnait la mort dans un sacrifice rituel, le seppuku. La valeur symbolique de l’honneur l’emportait sur l’intérêt vital. Étrange idée, observe Schopenhauer, que celle qui nous fait préférer la mort à l’infamie… Et lorsque Rodrigue provoque en duel le père de Chimène pour laver une offense, c’est une passion amoureuse qu’il est prêt à sacrifier.
L’individu qui vit coupé du passé, des traditions, (…), se retrouve malgré lui dans la position du travailleur et du colonisé dont la philosophe Simone Weil disait qu’ils souffraient d’une privation d’honneur soit parce qu’ils avaient perdu le souvenir de ce qui les grandissait, soit parce que la société qui les opprimait ne laissait rien filtrer de leur mémoire
L’honneur ne serait-il que puérile vanité ? Non, car il est un mobile très efficace. Il est à l’origine de maints exploits guerriers ; il est, si l’on en croit Montesquieu, le principe des gouvernements monarchiques. Un noble, remarquait aussi Montesquieu, peut désobéir à son roi si les ordres à exécuter heurtent son code d’honneur. Le capitaine Crillon, au service d’Henri III, refusa d’assassiner le duc de Guise, mais proposa de l’affronter. Voilà comment un préjugé de caste corrige les dérives du pouvoir. C’est donc à raison que les philosophes conservateurs, depuis Edmund Burke, refusent de céder au dénigrement systématique des préjugés.
Qu’en est-il en démocratie ? Les valeurs de caste peuvent difficilement avoir cours dans une société qui exige le même respect pour tous. De fait, l’individu moderne rejette les lois de l’honneur lorsque son désir et son intérêt le portent dans une autre direction. À mesure que les hiérarchies sociales s’estompent et que les liens de la famille se desserrent, les sentiments évoluent. Un mari trahi par son épouse éprouve moins un sentiment de déshonneur qu’une vexation intérieure. L’homme moderne n’est pas déshonoré par la faute d’autrui, comme cela reste le cas dans certaines communautés où l’honneur familial est encore en vigueur. En revanche, on peut se déshonorer soi-même.
L’honneur existe encore
L’honneur s’est individualisé. Il tient désormais à des qualités intrinsèquement liées à l’action de la personne, à sa compétence, au fait qu’elle mérite sa réputation. L’honneur n’est plus une valeur de caste, mais il s’inscrit dans une logique d’exposition au regard des autres, d’évaluation collective, de reconnaissance et de prestige social.
Cependant, s’agit-il encore de l’honneur ? Certains sociologues, comme Peter Berger, préfèrent considérer que l’honneur a été remplacé par « la dignité », qui est un tout autre concept puisque l’honneur repose sur une essentialisation des différences, tandis que la dignité est une négation de toute différenciation. La philosophe Alice Le Goff pense, au contraire, que l’homme (ou la femme) qui lutte pour sa dignité défend en même temps son honneur. La qualité « distinctive » qui est à la base de l’honneur n’est plus liée à une essentialisation sociale, mais découle de notre appartenance au genre humain ; en somme, notre humanité nous « oblige ».
Si l’on suit ce raisonnement, l’honneur ne disparaît pas, mais il se déplace. Il devient une valeur éthique. L’homme (ou la femme) moderne s’honore d’agir pour défendre des valeurs universelles, « l’universel » occupant ici une position de transcendance éthique. Dans ces conditions, on peut encore compter sur l’honneur national, l’honneur d’une nation étant, en effet, lié à la défense des valeurs qu’elle prétend incarner symboliquement. Il est d’ailleurs naturel, comme le remarquait Tocqueville, que la démocratie débouche sur l’honneur national : quand il n’y a plus de titres différenciés au sein de la société, c’est la nation dans son ensemble qui doit se distinguer des autres.
Les codes d’honneur « à l’ancienne » ont disparu. Mais le principe n’a pas été atteint dans son fondement : nous pouvons encore, individuellement ou collectivement, régler nos conduites sur des valeurs qui nous distinguent en quelque façon. Le problème est que nous vivons aujourd’hui dans un monde qui se décline en termes de mobilité, changement, déracinement, adaptabilité, recyclage. L’individu qui vit coupé du passé, des traditions, du souvenir de sa grandeur d’antan, se retrouve malgré lui dans la position du travailleur et du colonisé dont la philosophe Simone Weil disait qu’ils souffraient d’une privation d’honneur soit parce qu’ils avaient perdu le souvenir de ce qui les grandissait, soit parce que la société qui les opprimait ne laissait rien filtrer de leur mémoire.
Les politiciens sont à l’image de cette « société liquide » (Zygmunt Bauman), lorsque, par pragmatisme, ils oublient leur famille politique et renient leurs engagements, comme si l’adaptabilité était désormais la qualité suprême sur laquelle ils demandaient à être jugés.
Il n’y a pas d’honneur sans une identité symbolique que l’individu cherche à incarner pour garder « la tête haute ». Cette identité symbolique, qui était dans les sociétés d’ordres une identité institutionnelle (inscrite dans une devise ou sur un blason), prend d’autres formes à l’ère de l’individu. Aujourd’hui, l’image de soi constitue un référent à valeur normative qui représente à la fois ce que l’individu désire être pour lui-même, ce qu’il désire que les autres voient en lui et ce que les autres doivent voir en lui pour l’estimer « à sa juste valeur ».
Mais qu’il s’agisse du souvenir d’une grandeur passée (des luttes syndicales d’autrefois qui sont l’honneur des mineurs du Nord par exemple) ou d’une image de soi liée à des principes jamais reniés, il est nécessaire que cette idée directrice trouve un ancrage dans un espace symbolique qui surplombe les contingences de la vie et l’adaptation à un environnement en perpétuelle mutation. Ce qui pose problème sur ce plan, c’est moins la démocratie en elle-même que la disparition progressive des espaces symboliques d’identification, liquéfiés dans le grand bain libéral-mondialiste.
Les « méchantes » ONG existent aussi, rappelle Yves Mamou exemples à l’appui, et c’est pourquoi la proposition de loi pour la préservation de l’espace humanitaire pose tant problème aux députés.
Une étrange proposition de loi est sur le bureau de l’Assemblée nationale. Elle porte sur « la préservation de l’espace humanitaire ». Cet « espace de l’humain » qu’il s’agit de préserver n’est pas celui de la nature, des oiseaux ou des océans. Il est celui des grandes ONG humanitaires, les Human Rights Watch, Amnesty, World Vision, Habitat for Humanity, Oxfam, la Ligue des droits de l’homme et bien d’autres encore. Et de quoi les ONG humanitaires ont-elles besoin d’être préservées ? De la lutte anti-terroriste.
Le 22 septembre 2020, le président de la République française, Emmanuel Macron, a lui-même rappelé aux Nations Unies avec force la nécessité de protéger « la neutralité de l’action humanitaire » tout en « endiguant sa criminalisation ». En d’autres termes, les ONG qui opèrent en zone de guerre ne doivent pas être paralysées, ni handicapées par la lutte contre le financement du terrorisme. Financer des actions humanitaires en zone de guerre n’a rien d’une sinécure, les ONG sont souvent obligées de multiplier les intermédiaires et les taux de change pour acheminer de l’argent, ce qui allume tous les signaux dans les banques.
L’autre alternative est de faire voyager du cash, ce qui n’est évidemment pas sans risque non plus.
Une demande légitime, mais un vrai casse-tête
Il est donc légitime que les ONG humanitaires réclament la bienveillance des États et des institutions financières. Sauf que le monde ne se divise pas parfaitement entre gentilles ONG et méchants terroristes. Les « méchantes » ONG existent aussi.
Marlène Schiappa, ministre déléguée à la Citoyenneté et Clément Beaune, ministre des Affaires européennes ont ainsi interpelé à la fin du mois de novembre, Helena Dalli, commissaire européen à l’Égalité, qui avait accordé de son temps – et de notre argent – à la Femyso, connue pour ses liens avec les Frères Musulmans. Les deux ministres français ont indiqué à la commissaire européenne qu’ils peinaient « à comprendre les raisons qui conduisent la Commission à accorder un soutien financier à cette organisation depuis 2014 ». Le magazine Franc-Tireurrévélait récemment que des associations proches des Frères Musulmans ont bénéficié de plus de 22 millions d’euros de subventions de la part de l’Union européenne pour combattre soi-disant l’« islamophobie », mais qu’en réalité elles assurent surtout la promotion du hijab et attaquent la France.
Les étranges réactions du tissu humanitaire français à une récente décision du gouvernement israélien ajoutent à l’ambiguïté de la situation. En effet, le 22 octobre 2021, le Ministère israélien de la Défense a annoncé que six ONG palestiniennes [1] seraient classées sur la liste des organisations terroristes en raison de leurs liens avec le Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP), une organisation terroriste désignée comme telle par l’Union européenne, les États-Unis et Israël.
En bonne logique, les ONG humanitaires, les vraies, celles qui ont pignon sur médias, auraient dû féliciter le gouvernement israélien de lutter contre ces ONG pirates qui collectent « frauduleusement » des fonds pour financer des activités douteuses. Mais, il n’en a rien été. Sitôt l’interdiction prononcée par le gouvernement israélien, 26 ONG françaises et internationales [2] se sont immédiatement déclarées solidaires des six ONG palestiniennes désormais classées « terroristes » en Israël.
Une récente étude de NGO-Monitor, une association israélienne qui mène une veille sur le comportement politique des ONG, démontrait qu’au cours des dix dernières années, « au moins 200 millions d’euros de fonds publics européens et internationaux ont financé des projets impliquant des ONG en lien avec le FPLP » [3], dont celles qui ont donc été désignées comme des organisations terroristes en octobre.
Pour ne citer qu’un exemple : de 2019 à 2021, un projet agricole monté par l’ l’Union des Comités du travail agricole (UAWC, ONG parmi celles inscrites le 22/10/21 sur la liste des organisations terroristes par le gouvernement israélien) aurait bénéficié d’une aide de 650 000 euros dont les quatre cinquièmes proviennent d’institutions françaises (232 000 euros pour l’Agence française du développement, 203 440 euros pour l’Agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse, 100 000 euros pour la Région Sud). Sur cette période couverte par le projet, les directeurs financiers et administratifs de l’UAWC, Samer Arbeed et Abdul Razeq Farraj ont été arrêtés et mis en examen en Israël comme membres du FPLP impliqués dans un attentat à la bombe ayant coûté la vie à une jeune israélienne de 17 ans, Rina Shnerb, en août 2019.
Relations douteuses et relativement inextricables
L’étude de NGO Monitor fourmille d’autres exemples, qui montrent que les relations de travail et les échanges financiers entre ONG occidentales et ONG proches d’organisations douteuses sont denses et relativement inextricables.
Aussi, les remarques qu’il est possible de formuler à ce stade sont les suivantes :
– Voter un projet de loi qui exonère les ONG occidentales de tout contrôle n’a pas de sens, compte tenu des liens multiples et des sympathies politiques (d’extrême gauche) que ces mêmes ONG entretiennent parfois avec des mouvements islamistes, notamment palestiniens ;
– Resserrer le filet financier sur les organisations terroristes elles-mêmes mais exonérer de tout contrôle leurs faux-nez humanitaires n’a guère de sens non plus ;
L’heure est également aux questions essentielles :
– Des ministres français comme Marlène Schiappa et Clément Beaune sont en droit de s’étonner des connexions douteuses de certains commissaires européens avec les Frères Musulmans. Mais, est-il normal que le gouvernement français, à travers l’AFD (Agence Française de Développement), finance des ONG opaques et pour certaines proches d’organisations terroristes ?
– Ne serait-il pas temps qu’un coup de projecteur officiel soit donné à ces politiques de financements, qui font circuler sans aucune transparence des dizaines de millions d’euros d’argent du contribuable ?
Et si des lobbys politiques se sont constitués au sein de l’appareil d’État et que ces lobbys mènent des politiques occultes auxquelles les élus eux-mêmes ne participent pas, alors il serait temps aussi qu’un inventaire soit effectué et qu’un coup de plumeau soit donné ! Le contribuable – et la morale – ont tout à y gagner.
[1] Addameer Prisoner Support and Human Rights Association, Al–Haq Law in the Service of Man (Al–Haq), Bisan Center for Research and Development, Defense for Children International–Palestine (DCI–P), Union of Agricultural Work Committees (UAWC) et Union of Palestinian Women’s Committees (UPWC).
Dans un récent sondage Elabe « Opinion 2022 », Valérie Pécresse est donnée gagnante contre Macron au second tour, avec 52% des voix. Le président-(presque) candidat n’est donc plus le seul à occuper l’espace entre la gauche et la droite radicale…
Initialement j’avais eu l’intention de réunir dans un même billet Valérie Pécresse et Eric Zemmour. Ce n’est pas parce qu’ils ne s’aiment pas et militent pour des causes différentes que le citoyen que je suis n’aurait pas le droit d’applaudir la fulgurante progression de la première et de considérer que le second, même si on ne vote pas pour lui, a réussi sa mue à Villepinte, sur le plan de la forme, en métamorphosant son talent médiatique en un verbe politique. Ce qu’il n’avait pas su faire jusqu’alors.
Son agression par V. Abdelmajid, encarté LR depuis un mois, plusieurs fois condamné, ne lui a pas fait perdre sa maîtrise pour le discours à venir et les violences finales entre les perturbateurs de SOS Racisme, le service d’ordre de Zemmour et l’escouade venue prêter main-forte à ce dernier ont démontré, encore une fois, que la bienveillance médiatique s’attache plus volontiers, quand il s’agit de la droite, aux trublions venant entraver le débat démocratique qu’à ceux qui en sont victimes.
Un front uni contre le délitement de la France
Mais Valérie Pécresse, depuis sa victoire éclatante au congrès LR, ne peut laisser indifférents les citoyens qui, quelle qu’ait été leur option originelle, découvrent avec bonheur que cette candidate ne sera de loin pas la plus mauvaise lors de la future élection présidentielle. Certes je peux être agacé par le besoin de Valérie Pécresse de faire trop souvent référence à Jacques Chirac – ni un modèle d’éthique ni l’adepte d’une France en mouvement, plutôt le créateur de la précaution immobile – mais il n’empêche que son succès, avec le beau score d’Eric Ciotti, rendrait inutiles de ma part des récriminations, des procès d’intention et des attaques qui détourneraient de la seule finalité essentielle: nous avons dorénavant une femme de talent susceptible de battre le président de la République. Il ne sert à rien de ressasser, dans le camp de la droite républicaine, qu’elle serait macrono-compatible alors qu’on n’en est plus là et que tout démontre qu’elle va incarner « la droite de fermeté et de conviction » dont Dominique Reynié souhaite l’émergence dans Le Figaro.
Valérie Pécresse trop vite, trop tôt, c’est une évidence, mais elle n’oubliera pas que les mois de janvier et de février seront décisifs…
Ce champ régalien est d’autant plus fondamental qu’entre Eric Ciotti et elle, à l’exception de nuances guère significatives, il ne souffre pas de la moindre ambiguïté ni de la moindre faiblesse. Tous deux constituent un front uni contre le délitement de la France depuis 2017, sur tous les registres qui préoccupent et angoissent nos concitoyens. Valérie Pécresse abandonnera cette idée trop mal comprise, malgré l’exemple danois, de rendre les sanctions plus sévères dans certaines cités, mais elle ne déviera pas de son cap à cause des reproches comiques d’un Éric Dupond-Moretti se posant en juge de la droite d’aujourd’hui par rapport à celle d’hier. Éric Ciotti est trop loyal, trop fiable, quoique déterminé (ni Muselier ni Estrosi !) pour constituer l’affirmation de son identité propre telle une entrave à l’unité de son camp. Alors que ce camp – et on n’a jamais eu envie de se moquer de l’équipe de France, qui avait belle allure, vantée par tous les candidats LR – va représenter pour l’avenir proche une formidable opportunité contre la personnalité et la pratique présidentielles depuis 2017.
Au narcissisme solitaire, à la curieuse et constante alternance de oui ou de non, de pour ou de contre, à l’obsession de la repentance avec l’occultation masochiste de la gloire française, à l’arrogance profonde mal dissimulée par une familiarité et une démagogie superficielles, LR opposera, ce qui me paraît fondamental sur le plan démocratique, un collectif de haut niveau qui entourera la présidente et évitera à celle-ci de se croire le centre du monde.
Macron n’est plus seul…
Demain, il ne devrait plus être possible de mener la France, par exemple, à la baguette sanitaire, conseils de défense multipliés, sans l’ombre d’une consultation républicaine. Demain on ne choisira plus les Premiers ministres au petit bonheur la chance (je songe à Jacques Chirac optant pour Jean-Pierre Raffarin selon la relation qu’en fait Catherine Nay) ni les ministres pour surprendre (Dupond-Moretti adoubé par le couple Macron). Il n’y aura plus de désinvolture régalienne. Trois sondages propulsent Valérie Pécresse en forte avancée et notamment le dernier qui la verrait battre Emmanuel Macron au second tour. LR a été si longtemps relégué et moqué – et Christian Jacob, devenu le sauveur aujourd’hui, y avait mis du sien ! – que je ne voudrais pas que cette embellie éclatante et précipitée fasse perdre la tête à l’équipe de campagne de Valérie Pécresse et aux Républicains soutiens de longue ou de fraîche date. Mais la présence de Patrick Stefanini auprès de la candidate et le propre bon sens de celle-ci qui ne va pas disparaître comme François Fillon, la victoire acquise, sont rassurants.
Valérie Pécresse trop vite, trop tôt, c’est une évidence, mais elle n’oubliera pas que les mois de janvier et de février seront décisifs. Quel baume déjà de savoir que la droite authentique est de retour et qu’Emmanuel Macron a beau continuer, président-candidat ou candidat-président, à profiter avec cynisme de son double statut, il ne sera plus tout seul dans l’espace politique !
Le philosophe a été parmi les premiers à pointer les dangers du voile pour la société française. Après l’affaire des jeunes filles voilées de Creil en 1989, il dénonçait avec d’autres, dans Le Nouvel Observateur le « Munich de l’école républicaine ». Il a fallu quinze ans pour aboutir à la loi proscrivant les signes religieux ostentatoires à l’école. Lâcheté politique et complicité idéologique ont ouvert un boulevard à l’islamisme.
Elisabeth Lévy. Dans Le Nouvel Observateur (ça ne s’appelait pas L’Obs) du 2 Novembre 1989, vous avez publié avec Élisabeth Badinter, Régis Debray, Élisabeth de Fontenay et Catherine Kintzler un appel intitulé « Profs, ne capitulons pas ! » Vous rappelez-vous comment est née cette initiative ?
Alain Finkielkraut. N’ayant jamais tenu de journal, je ne suis sûr de rien. Mais je crois me souvenir que l’initiative de cet appel revient à Élisabeth Badinter. Les féministes de l’époque étaient très hostiles au voile : ce qu’elles lui reprochaient d’abord, c’était non sa pudibonderie, mais son obscénité. Les femmes en terre d’islam étaient astreintes à couvrir leurs cheveux pour ne pas éveiller la concupiscence des hommes. Il leur fallait, comme l’écrit Fethi Benslama, occulter les signes maléfiques de séduction dont leurs corps étaient porteurs. Bref, ce que le voile ou le foulard islamique, comme on disait à l’époque, avait de révoltant, c’était de réduire les femmes et les jeunes filles à l’état d’objet sexuel. Autant que le défi à la laïcité, cette réduction était jugée insupportable.
Alors que Lionel Jospin, encouragé par David Kessler, décidait de laisser les chefs d’établissement se débrouiller avec le voile, vous parliez du « Munich de l’école républicaine ». Pourtant, il était difficile de savoir, à l’époque, que l’islamisme serait le fascisme du xxie siècle. En aviez-vous l’intuition ?
Nous n’étions pas extralucides. Nous regardions autour de nous l’ayatollah Khomeiny régner sur l’Iran depuis dix ans déjà et sa révolution contraignait toutes les femmes iraniennes à porter le tchador. Quelques mois avant notre appel, une fatwa avait été lancée contre Salman Rushdie coupable de « blasphème ». Devant ce grand retour du fondamentalisme islamique, les responsables politiques rivalisaient de couardise. Jacques Chirac, par exemple, mettait sur le même plan l’auteur des Versets sataniques et ceux qui voulaient sa mort. Il était temps de réagir ! Et de rappeler au ministre qui affirmait, la main sur le cœur, « il est exclu d’exclure », qu’« une exclusion n’est discriminatoire que lorsqu’elle vise celui ou celle qui a respecté les règles en vigueur dans un établissement. Lorsqu’elle touche l’élève qui a enfreint ces règles, elle est disciplinaire. La confusion actuelle entre discipline et discrimination ruine la discipline. Et s’il n’y a plus de discipline possible, comment enseigner les disciplines ? »
Quelles ont été, à l’époque, où les réseaux sociaux n’existaient pas, les réactions ? Était-il déjà question d’islamophobie ? Le voile a-t-il tracé une ligne de fracture au sein de la gauche ?
C’est très simple. Nous avions tout le monde contre nous. L’archevêque de Paris s’était mis en colère : « Ne faisons pas la guerre aux adolescentes beurs. Halte au feu ! » Le grand rabbin de France a vu, dans cette demande d’interdiction, une atteinte au libre exercice du culte. La porte-parole des protestants de France a exprimé son inquiétude en ces termes : « Notre France assoupie s’éveille pour repartir en guerre contre une religion. Vieille histoire qui devrait rappeler quelque chose aux parpaillots. » Et les clergés ont été rejoints par les « assos ». Le MRAP a fielleusement fait remarquer que d’autres communautés manifestaient leur appartenance religieuse « sans faire l’objet de sanctions », tandis que SOS Racisme, fidèle à son slogan, proclamait : « Aucune sanction ne peut être infligée à des élèves en vertu de leur foi. » Bref, malgré le soutien de Jean Daniel, nous étions très isolés à gauche. Tous les gens « sympas » dénonçaient nos velléités répressives et pensaient avec Edwy Plenel que « le laïcisme intolérant était l’expression d’un déni social : d’un rejet des dominés et des opprimés tels qu’ils sont ». Le mot islamo-gauchisme n’avait pas encore été inventé, mais la chose existait bel et bien.
On ne va plus chercher dans les œuvres ce qu’il en est de nous-mêmes et du monde, on les convoque devant le tribunal des identités
Il a fallu quinze ans pour que soit votée la loi proscrivant les signes religieux ostentatoires à l’école. Mais entre-temps les voiles avaient fleuri dans tous les quartiers où résidaient beaucoup de musulmans. Notre situation serait-elle très différente si Lionel Jospin vous avait écoutés ?
Saisi par Lionel Jospin, le Conseil d’État a estimé que la neutralité dans le service public ne s’imposait pas aux élèves. L’exclusion des jeunes filles a donc été annulée. Autorisation du voile, interdiction du prosélytisme. Avec ce principe bancal, les cas litigieux se sont multipliés. En 2003, Jacques Chirac a donc chargé Bernard Stasi de présider une commission de réflexion sur le principe de laïcité en France. La majorité de ses membres étaient, au départ, favorables à la négociation au cas par cas. Ce qui les a fait changer d’avis, c’est le désarroi manifesté par beaucoup de proviseurs devant la montée du communautarisme en France. Pour enrayer cette fragmentation, il aurait fallu d’entrée de jeu fixer des règles très claires. Affirmer que la France est un pays de mixité, et que l’enceinte scolaire est un espace séparé qui obéit à ses propres normes. « L’École est un lieu admirable. J’aime que les bruits extérieurs n’y entrent point. J’aime ces murs nus », écrivait Alain dans ses Propos sur l’Éducation. Je ne connais pas de plus belle définition de la laïcité. Elle est oubliée et la France se morcelle.
Malgré la loi, l’école est devenue une ligne de front de la guerre que mènent les islamistes contre nous. Diriez-vous que les profs ont capitulé (dans un sondage, plus de la moitié d’entre eux estimait qu’il ne fallait pas montrer les caricatures de Mahomet aux élèves) ?
L’École de la République s’est peu à peu effondrée à coups de notes bienveillantes et de réformes pédagogiques. La gentillesse a eu raison de l’excellence et de l’exigence. Beaucoup de jeunes enseignants sont les produits de cette École éradicatrice du savoir. Ils disposent en outre d’un site d’informations en ligne [1] dédié à la pédagogie antidiscrimination qui les invite à s’auto-diagnostiquer : « Est-ce que je contribue à véhiculer ou est-ce que je combats les stéréotypes concernant les familles populaires sur le fait qu’elles sont “démissionnaires” ou sur le fait qu’elles ne s’occupent pas de la scolarité de leurs enfants ? Est-ce que j’ai conscience que l’évaluation chiffrée produit un stress lié à des menaces de stéréotype et n’est pas favorable aux milieux populaires ? » L’enfer islamo-gauchiste est pavé des meilleures intentions égalitaires.
« Il faut, écriviez-vous, que les élèves aient le plaisir d’oublier leur communauté d’origine et de penser à autre chose que ce qu’ils sont. » Mais aujourd’hui, c’est le ministre de l’Éducation qui demande qu’on écoute les élèves transgenres. Au-delà même de l’identité religieuse et culturelle, ne sommes-nous pas dans un monde où les identités minoritaires ont tous les droits ? Est-il possible de s’y opposer ?
Nous sommes surtout dans un monde qui se croit éveillé à toutes les discriminations et à toutes les injustices. L’ouverture dont les woke se prévalent les ferme définitivement à la transmission. Leurs studies ne sont pas des recherches mais des réquisitoires contre une culture pleine de stéréotypes et de préjugés. On ne va plus chercher dans les œuvres ce qu’il en est de nous-mêmes et du monde, on les convoque devant le tribunal des identités. C’est un renversement fatal.
Affaire des « foulards de Creil », octobre 1989. SIPA.
Aujourd’hui, dans les quartiers islamisés le voile est majoritaire. Ses défenseurs (ou ceux qui s’opposent à toute restriction) assurent que c’est un signe purement religieux qui relève de la liberté de conscience (ou un simple morceau de tissu). Pour beaucoup de Français, il est un symbole politique. Pour vous, de quoi le voile est-il le nom, que nous dit-il ? Et comment distinguer le voile religieux du voile politique ?
Qu’il soit politique, religieux ou les deux ensemble, le voile est l’emblème de la sécession. La femme qui le porte affirme son appartenance à l’islam. Jamais elle ne se mariera avec un non-musulman. La France n’est rien d’autre pour elle qu’une addition de droits.
Que dites-vous aux femmes juives orthodoxes ?
Il n’y en a pas à l’école. Les juifs de manière générale sont, il est vrai, un peuple endogame parce que religieux ou non, ils ne veulent pas que le peuple juif s’éteigne. Il n’en reste pas moins que les juifs ont très majoritairement joué la carte de l’assimilation, que le mariage mixte existe, et qu’ils n’ont nullement l’intention de revenir en arrière.
Que répondre aux femmes (et à la presse anglo-saxonne) qui brandissent nos libertés pour défendre le port du voile ?
Les adversaires de la laïcité à la française n’invoquent plus la loi de Dieu, mais la liberté de conscience. Ils se veulent aussi laïques, même plus laïques que ceux qu’ils combattent. À leurs yeux, notre interdiction des signes religieux à l’École n’est pas sacrilège, elle est liberticide. Dont acte. Notre modèle n’est pas universel. Eh bien, assumons-en la particularité et puisque multiculturalisme il y a, défendons sans vaciller la culture française.
Au-delà de l’école, êtes-vous favorable à son interdiction ?
Non ! Le voile est une insulte faite aux femmes, mais l’interdire dans l’espace public transformerait cet instrument de servitude en étendard de la rébellion.
Malgré tout, la France résiste, y compris la France officielle puisque le gouvernement a protesté contre la campagne du Conseil de l’Europe et obtenu son retrait. Faut-il en conclure que, si vous avez perdu une bataille il y a trente ans, nous n’avons pas encore perdu la guerre ?
Comme l’écrit le sociologue allemand Ulrich Beck, l’Union européenne telle que nous la connaissons a vu le jour pour sortir l’Europe de l’ornière de son histoire guerrière. Elle a été portée sur les fonts baptismaux comme antithèse à l’Europe nationaliste. Elle a voulu rompre avec son passé sanglant en se vidant de tout contenu substantiel. C’est une Europe des valeurs et des normes qui a fait, contre le particulier le choix de l’universel, au lieu de chercher à articuler l’un sur l’autre. Selon la très juste expression de Pierre Manent, « cette Europe démocratique n’est et ne veut être que la pure universalité humaine. Elle ne saurait donc être quelque chose de distinct, elle doit être un rien, une absence ouverte à toute absence de l’autre. » Être soi-même un rien pour que l’autre, n’importe quel autre, puisse être tout ce qu’il est. C’est ce nihilisme qui a inspiré la campagne d’affiches du Conseil de l’Europe : « La diversité c’est la beauté, la liberté est dans le hijab ». Le gouvernement français et le gouvernement allemand ont réagi. Est-ce le signe d’un réveil ou d’un sursaut ? L’Europe post-hitlérienne s’acceptera-t-elle enfin comme civilisation ? Le devoir de mémoire cessera-t-il de se confondre avec l’oubli de tout ce qui n’est pas un crime ? Je l’espère, mais le chemin est encore long.
[1] Conçu par l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation de l’académie de Créteil et l’université Paris-Est Créteil. Il est financé par l’argent public via l’Agence nationale de la recherche
En passe de s’implanter durablement sur le marché mondial du film, le cinéma sud-coréen s’apprête à devenir un véritable concurrent d’Hollywood. Soutenu par les pouvoirs publics, le septième art du Pays du matin calme rêve d’un avenir flamboyant. Entre soft power et potentiel économique de choix, le cinéma sera, sans aucun doute, un moyen de la puissance coréenne. C’est déjà le cinquième producteur mondial. Causeur part à l’assaut d’Hallyuwood, la vague coréenne…
L’année 2022 sera-t-elle une nouvelle fois synonyme de consécration pour le surdoué Bong Joon-ho, enfant chéri du cinéma sud-coréen ? Le réalisateur du multi-primé Parasite a en effet annoncé lors de la dernière édition du Festival International du Film de Tokyo qu’il bossait simultanément sur un long-métrage anglophone, dont le tournage devrait débuter début 2022 à Los Angeles, ainsi que sur son premier film d’animation inspiré de la lecture d’un livre d’images consacré aux créatures marines : « Ces créatures vivent 24 heures sur 24 sans que la lumière du soleil ne les atteigne. Bien qu’elles vivent sur la même planète que nous, nous n’entrons normalement pas en contact avec elles. Mais dans mon film, à la suite d’un certain incident, elles font la connaissance des humains, et c’est là que l’histoire démarre. » Alléchant… Sans compter la prochaine adaptation de Parasite en série pour la chaîne américaine HBO, reconnaissance suprême pour l’enfant de Daegu au pays des Moguls du 7ème art.
Petit retour en arrière, ante-Covid. Comme pour célébrer dignement le centenaire de la naissance du cinéma sud-coréen (The Righteous Revenge, un kino-drama au titre fort explicite passe pour être le premier film du pays réalisé en 1919), 2019 restera à jamais dans les annales du cinéma mondial comme l’année Parasite : Palme d’or au Festival de Cannes, quatre Oscars hollywoodiens dont meilleur film, meilleur réalisateur, César du Meilleur Film étranger…
Le succès viral interplanétaire et inattendu du film-gigogne de Bong Joon-ho semble alors consacrer une certaine « exception culturelle » sud-coréenne incarnée sans complexe par une « Nouvelle vague » talentueuse et désinvolte, bras armé d’un véritable « soft power » national qui tiendrait la dragée haute aux blockbusters américains à prétention hégémonique ainsi qu’aux productions envahissantes de l’encombrant voisin chinois. Après Hollywood et Bollywood pour l’Inde, on parle désormais d’ « Hallyuwood » (Hallyu signifiant vague coréenne) pour désigner le phénomène culturel (musique pop, séries TV) et cinématographique sud-coréen.
Quels sont les ressorts de ce petit miracle artistique et créatif mêlant à plaisir les différents genres cinématographiques et que nous révèle-t-il sur l’état réel de la société sud-coréenne et par ricochet ses connexions avec les mondes occidentaux ?
Ils se nomment Bong Joon-ho (Memories of Murder ; The Host ; Mother ; Snowpiercer ; Okja ; Parasite), Lee Chang-dong (Poetry ; Burning), Na Hong-jin (The Chaser ; The Murderer ;The Strangers), Park Chan-wook (Old boy ; Lady Vengeance ; Stoker ; Mademoiselle), Kim Jee-woon (Deux sœurs ; Le Bon, la Brute et le Cinglé ; J’ai rencontré le Diable ; Le Dernier Rempart) , Yeon Sang-ho (Dernier train pour Busan ; Peninsula) ou encore Kim Seong-hun (Hard Day,Tunnel) et sont devenus ces dernières années les coqueluches des différents festivals internationaux, récompensés pour leur audace graphique et scénaristique ainsi que leur faculté à inventer de nouveaux langages cinématographiques en digérant les grands classiques du cinéma mondial et en mixant intelligemment les genres : thriller, policier, film noir, drame social, comédie, fantastique, épouvante, érotisme… au point de se voir confier les rênes de plus importantes productions internationales (Snowpiercer ; Le Dernier Rempart) ou voir leur film d’origine connaître des remakes américains plus ou moins ratés au contenu forcément édulcoré (Old Boy de Spike Lee, Deux sœurs/ Les intrus de Charles et Thomas Guard…en attendant l’inévitable remake de Parasite, en série cette fois sur HBO).
« Memories of Murder », 2003
Le cinéma comme « soft power »
C’est peu dire que le pays du Matin calme (littéralement « Matin frais »), expression impropre que l’on prête aux missionnaires européens du XIXe siècle en référence à la longue période de prospérité de la dynastie Joseon (1392-1910), a connu un XXe siècle tragique et mouvementé : occupation japonaise de 1903 à 1945 et son cortège d’exactions et de violences, effets collatéraux de la Deuxième Guerre Mondiale immédiatement suivie par la fratricide guerre de Corée (1950-1953) et une traumatisante partition du pays, dictature militaire et répressive des années 60 et 70, modernisation du pays (futur « Dragon ») à marche forcée avec ses cohortes de laissés-pour-compte du miracle économique, crise financière asiatique de 1997, corruption et scandales politiques des années 2000… autant de marqueurs forts dans l’inconscient culturel et artistique d’une nation parfois vacillante, contrainte de se livrer à un lourd travail introspectif depuis plusieurs années.
Parce que la culture a très tôt été perçue comme un efficace instrument de « soft power » par les différents régimes successifs de Séoul, que ce soit durant la longue période autoritaire et nationaliste ou depuis le rétablissement de la démocratie à la fin des années 80, la production cinématographique domestique a bénéficié de puissantes lois protectionnistes destinées notamment à la protéger contre l’ogre américain.
Ajoutons à cela que depuis la décennie 90, les artistes jouissent d’une certaine liberté d’expression créatrice, fort appréciable dans un pays asiatique aux rapports complexes avec le respect des libertés individuelles, tel que l’on peut l’entendre en Occident.
On se plait souvent à rappeler la fameuse phrase de l’ancien Président Kim Dae-jung (1998-2003) : « Offrez un soutien financier aux artistes, mais surtout n’intervenez jamais dans leur travail. Dès que le gouvernement interfère, les industries créatives se brisent. »
Et de soutien, il en est largement question dans un pays à la fibre nationale (nationaliste ?) prononcée. L’industrie cinématographique est ainsi fortement aidée depuis les années 90 par les chaebols, ces grands conglomérats sud-coréens (Daewoo, Hyundai, Samsung, CJ Group, Orion, Lotte) ainsi que par les fonds d’investissement et les sociétés de capital-risque, ce qui contribue aujourd’hui à faire du pays le cinquième producteur mondial de films.
Sans oublier le rôle proactif joué par le KOFIC (Korean Film Council), lancé en 1999 par le gouvernement et largement inspiré du système français (où l’on parle également beaucoup de la fameuse « exception culturelle ») afin de soutenir et promouvoir son cinéma sur le marché national et à l’étranger : bourses, subventions, soutien des activités de R&D, appui aux productions indépendantes et aux salles d’art et d’essai.
«Pas de culture, pas de pays », tel était le slogan marketing promu en 1995 par le géant de l’agroalimentaire CJ Group, lié à Samsung. L’ensemble du système d’acteurs locaux a bien intégré et retenu la leçon…
Une « Nouvelle vague » douée et inventive
Dans le sillage des illustres précurseurs qui ont ouvert la voie (et porté la voix) (Kim Ki-Young, Im Kwon-taek), la Corée du Sud peut se targuer d’avoir enfanté ces deux dernières décennies de nombreux talents dont les films, perspicaces, frais, originaux, authentiques et -plutôt- radicaux sont généralement mondialement salués par la critique et le public.
Ces cinéastes francs-tireurs, éclectiques et brillants, portent un regard à la fois poétique et sans concession sur l’état de leur société et au-delà du monde, tout en ayant assimilé les grands classiques du 7ème art.
Leur terrain de jeu de prédilection consiste à dynamiter les genres et accoucher de nouveaux langages cinématographiques tantôt syncrétiques, tantôt disruptifs, toujours surprenants, a fortiori pour le spectateur ouest-européen qui n’est pas forcément habitué à ce maelström d’images et d’arcs narratifs.
Ce mélange des styles et des ambiances rendant merveilleusement compte du brouillage et de la porosité des frontières entre les notions de Bien et Mal, réalité/illusion, lumières/ ténèbres, civilisation/barbarie, « mainstream »/marges n’est pas sans rappeler le moment-charnière d’ébullition représenté par le Nouvel Hollywood outre-Atlantique du début des années 70.
Deux exemples évocateurs parmi tant d’autres avant de s’attarder plus longuement sur le magnum opus de Bong Joon-ho.
The Strangers est le chef d’œuvre inclassable et d’une durée hallucinante pour un film de genre (2h36 !) réalisé par Na Hong-jin (2016), déjà remarqué pour ses déconcertants et très nerveux TheChaser et The Murderer. Son film, qui présente une certaine filiation avec le Memories of Murder de Bong-Joon-ho, propose des changements de ton délicieux mais déroutants, baladant sournoisement le spectateur hagard, entre thriller psychologique, conte macabre, film « ruraliste », drame familial, film de possession et de zombies et bien entendu féroce satire sociale.
Il réussit à digérer sans jamais plagier ni moquer quantité de films-étalons du genre (La Nuit des Morts-vivants de George Romero, L’Enfer des zombies de Lucio Fulci, L’Exorciste et Killer Joe de William Friedkin, Jeeper Creepers de Victor Salva, Cabin Fever de Eli Roth, Ring de Hideo Nakata et bien d’autres), tout en créant une œuvre personnelle, singulière et unique.
Mais qui sont alors ces « étrangers » contenus dans le titre du film ? Un mystérieux ermite japonais cristallisant la haine de tout un village, un chaman au look seventies dont les transes semblent engendrer la fabrication d’un remède pire que le mal qu’il est censé combattre ? Un jeune diacre catholique hésitant et faible ? Une jeune femme spectrale drapée de blanc immaculé mystérieuse et insaisissable ? Féroce critique de l’effritement des institutions et des valeurs de la société sud-coréenne (abaissement du statut du père, du flic, propagation des superstitions villageoises et animistes, succès mercantile de breuvages censés être miraculeux…), le film se veut une extraordinaire invitation à un voyage pluvieux, poisseux, boueux, purulent et méphistophélique qui finit par mettre le spectateur K.O. dont l’unique salut consistera à des visionnages répétés afin d’en saisir toutes les complexités et nuances.
Na Hong-jin réussit le tour de force dans son dernier acte de faire basculer son film dans une dimension métaphysique en abordant frontalement et sans complexe les grands thèmes nord-américains chers à Friedkin et Carpenter sur la propagation inexorable du Mal et sa radicalité intrinsèque absolue, ex-nihilo, en dehors de toute tentative d’explication scientifique et rationnelle. À revoir d’urgence aujourd’hui.
Autre film magistral, en apparence plus apaisé et éthéré qui aurait sans doute mérité la Palme d’Or à Cannes en 2018 (à la place d’Une affaire de famille du Japonais Kore-eda au traitement plus classique et convenu…) l’incendiaire Burning de Lee Chang-dong.
Burning de Lee Chang-dong (2018)
Un temps ministre de la Culture et farouche militant anti-dictature durant ses jeunes années d’étudiant, Lee Chang-dong, déjà réalisateur du magnifique Poetry, livre un thriller psychologique troublant et hermétique, posant patiemment les pièces d’un énigmatique puzzle sur un trio amoureux de jeunes adultes, aux personnalités très différentes, condamnés à une fin (forcément ?) tragique. Haemi (Jeon Jong-seo) est cette fille un brin aguicheuse, anciennement complexée par son physique et désormais esthétiquement refaite, passionnée par le mime et les jeux d’illusion (étrange affection pour son maudit chat qui n’apparaîtra finalement jamais…) ; Jongsu (You Ah-in), le grand garçon timide et sensible, fils d’un agriculteur sénile et violent envers les autorités, livreur à mi-temps et aspirant écrivain ; enfin Ben (épatant Steven Yeun), le séduisant et magnétique Gatsby local dont l’arrogance et les signes extérieurs de richesse suscitent fascination et malaise…
Quelque part entre Claude Chabrol, François Truffaut, Louis Malle, Alfred Hitchcock, David Lynch et bien-sûr William Faulkner puisque le film est indirectement inspiré de sa nouvelle Barn Burning (L’incendiaire, 1939), Lee Chang-dong évoque les mystères du désir, les affres de la sortie de l’innocence juvénile pour l’entrée dans le ténébreux monde adulte tout en se livrant à une critique sociale et politique des plus acerbes : règne des apparences et des illusions, jeunesse déboussolée et velléitaire, frénésie d’une société d’hyperconsommation engendrant frustrations et exclusions, notamment dans une Corée des marges, périphérique et rurale, violence dans les rapports de classes, extrême sévérité des juridictions locales, paranoïa vis-à-vis de l’invisible voisin nord-coréen, alertes sur un environnement naturel massacré… Autant de thèmes corrosifs politiquement forts que l’on va retrouver dans l’opus désormais culte du multi-récompensé « King » Bong Joon-ho.
Jong-seo JUN dans « Burning », film de LEE Chang-dong (2018). Diaphana.
Fractures et panne de l’ascenseur social
« Il y a dans ce pays une fracture sociale » annonçait prophétiquement feu le candidat Chirac au cours de la mémorable campagne présidentielle de 1995. Le même constat est dressé avec froideur et fatalité mais aussi ironie et touches burlesques par le réalisateur de Parasite qui rappelons-le, a réalisé un cursus en sociologie à l’Université Yonsei de Séoul avant de se lancer dans le cinéma. Qui plus est, il est également le petit-fils du célèbre écrivain Park Tae-won, promoteur dans ses œuvres d’idéaux progressistes et communistes avant de passer carrément au Nord et de devenir professeur à Pyongyang après la partition du pays de 1950. Un héritage familial qui compte dans une carrière d’artiste et d’intellectuel.
Dans son film, deux familles archétypales, les richissimes mais engoncés Park et les sous-prolétaires mais rusés Kim apparaissent ainsi comme deux camps, deux blocs irréconciliables, vivant -c’est le cas de le dire- dans deux mondes très différents, condamnés à se « parasiter » mutuellement jusqu’à l’annihilation… S’il n’y avait cette mince lueur d’espoir final qui fait définitivement basculer le long-métrage dans une dimension de conte poétique et fantastique.
L’ensemble du métrage qui se veut puissamment métaphorique (ce mot est opportunément prononcé à plusieurs reprises par les protagonistes) est avant tout basé sur une série de contrastes (en termes de couleurs, odeurs [probablement jamais un film n’aura été aussi olfactif !], espaces, architectures, postures, vocables…). De nettes oppositions caractérisées qui ont l’apparence d’une fausse simplicité confinant à la caricature sociale.
Tout n’est que masques, impostures, faux-semblants et finalement affaires de perception(s). Impossible pour les spectateurs français que nous sommes de ne pas penser au cinéma d’Henri-Georges Clouzot et surtout de Claude Chabrol, notamment aux films Que la bête meure et La Cérémonie (influences directement revendiquées par Bong Joon-ho). D’aucuns citeront également le film séminal La Servante du pionnier et mentor sud-coréen Kim Ki-Young qui a inspiré toute cette nouvelle vague sud-coréenne, Affreux, sales et méchants d’Ettore Scola, L’Argent de la vieille de Luigi Comencini ou encore The Servant de Joseph Losey.
C’est cette radicalité dans la division des classes et dans l’exacerbation des rapports dominants-dominés qui a pu choquer en Corée certains spectateurs et surtout les autorités publiques à la sortie du film et même après le sacre cannois. Il convient de se souvenir aujourd’hui que le retour du réalisateur prodige dans son pays au printemps 2019 n’a pas forcément déchaîné l’enthousiasme parmi les autorités locales et les représentants du gouvernement qui ont cru trop bien saisir le message social de son brûlot !
Ce qui peut également déconcerter et brouiller toute lisibilité du message, c’est l’absence de solidarité entre les « pauvres/ opprimés » puisqu’on les voit se battre entre eux de manière véhémente, annulant toute lecture marxisante du film. Contrairement aux écrits de l’auteur du Capital et à tous ses épigones, la progression de la dialectique maitres-esclaves ne débouche pas forcément sur l’affranchissement du peuple travailleur et désaliéné, libéré de ses chaînes de servitude. Le réalisateur choisit de renvoyer dos à dos et dans les cordes tout le monde, riches, pauvres, ambitieux, frustrés, arrogants, dupes, madrés… D’où ce sentiment de résignation et de « tristesse » (au-delà de la « colère » c’est le mot employé le plus souvent en interview par Bong Joon-ho) devant une société définitivement bloquée et verrouillée.
La puissance symbolique du film réside justement dans la portée universelle du traitement de ces thématiques, ce qui est un marqueur fort de la majorité des œuvres réalisées par cette nouvelle génération sud-coréenne. Bien qu’inspirées par des histoires ou faits divers locaux, les trames narratives de ces auteurs sont susceptibles de concerner les sociétés occidentales, plus que jamais proches cousines du Pays du Matin calme. Il est insolite et révélateur de constater que la Corée du Sud est parfois située dans la catégorie « sociétés occidentales » en termes de classement mondial pour les indicateurs économiques et industriels.
Autrement dit, un même film aurait très bien pu être réalisé en France si l’on avait un Bong Joon-ho aussi talentueux et audacieux. La Corée du Sud… miroir grossissant des tares du système libéral et capitaliste mondialisé ?
Familles dysfonctionnelles et jeunesse fascinée par le dieu « Dollar »
Tout le cinéma du surdoué Bong charrie ces histoires de familles déstructurées, atypiques, dysfonctionnelles, frappées au cœur par la brutalité et le caractère discriminant et exclusif des mouvements accélérés de la société sud-coréenne, plus que jamais engagée dans la bataille mondiale de la compétitivité et de l’innovation économiques et technologiques.
La fascination pour l’Amérique matérialiste, consumériste, cupide et hyper connectée (« le Dieu Wi-Fi » tant exaucé), la quête de la réussite individuelle coûte que coûte, l’ahurissante spéculation immobilière (ô combien palpable dans Parasite) ainsi que le manque d’empathie entre classes et entre individus sont clairement brocardés dans le film. Ces valeurs viciées entraînant d’importantes dérives paraissent à l’opposé du socle culturel et philosophique ancestral sud-coréen assis sur les diverses « voies de la sagesse » confucéenne, shintoïste, bouddhiste et taoïste.
On ne le perçoit pas forcément en Occident à l’heure de la K-Pop mondialement triomphante, mais 75% des jeunes Coréens, chiffre hallucinant, disent souhaiter quitter la Corée pour aller vivre à l’étranger. Il y a ceux qui sont totalement largués par la modernisation à outrance du pays et le rythme « compétition non-stop » imposé par les « premiers de cordée » et ceux fascinés par une Amérique du Nord mythifiée, Eldorado des temps modernes tout en présentant l’avantage d’offrir un système social global plus souple, moins sévère, respectant davantage les droits des individus, contrairement à l’État omnipotent sud-coréen, trop perçu comme le Big Brother avide d’un contrôle permanent des foules. Rappelons que la Corée du Sud a le taux de suicide le plus élevé parmi les membres de l’OCDE (en moyenne 26 personnes sur 100 000, soit plus de 36 suicides par jour !).
C’est un peu la face sombre de cet Hell Chosun comme disent ces jeunes en guise de mépris pour qualifier cette société honnie, en référence à la dernière dynastie coréenne féodale hyper hiérarchisée et sclérosée, dans laquelle seul le rang importait, au-delà donc des compétences et aspirations des individus. Déjà l’introuvable ascenseur social…
Film foncièrement politique, Parasite, au-delà de toutes les récompenses glanées dans les plus belles compétitions mondiales, a réalisé l’exploit de faire bouger le gouvernement coréen sur le mal-logement et l’insalubrité sociale, dans la mesure où Séoul a décidé d’octroyer une aide financière conséquente à chacun des 1 500 ménages du pays qui vivent dans des logements de ce type (financement de travaux permettant d’améliorer l’éclairage et la ventilation mais aussi isolation des murs durant les périodes d’inondations, particulièrement fréquentes durant l’été). D’après les chiffres officiels, près de 383 000 appartements similaires à celui des Kim, mis tristement en lumière dans le film, seraient occupés par des familles « précaires » ou des étudiants. Bong… futur ministre à l’instar d’un Lee Chang-dong ? Attendons un peu.
Urgence Ecologie !
C’est un doux euphémisme que de prétendre que le cinéma de Bong développe une conscience écologique prononcée. De la description d’un monde absurde « glacé » post-apocalyptique acculant les rares survivants à (sur)vivre dans un train roulant continuellement (Snowpiercer) à la créature mutante issue des déchets radioactifs de l’armée américaine (The Host), au gros cochon sympathique nourri aux hormones par une multinationale américaine (encore !) avide de business en dehors de toute éthique (Okja) et jusqu’au déchainement des éléments climatiques dans Parasite (pluies, inondations, tonnerre, tempêtes), Bong se mue en grand lanceur d’alerte (imprécateur ?) des catastrophes à venir…
Il n’est d’ailleurs pas anodin de constater que le « Ciel » se déchaîne lorsque la famille « parasitaire » pense pouvoir sereinement profiter de la villa des riches, se soûlant dans le salon en regardant, tel un spectacle grandiose, les éclairs à travers l’immense baie vitrée à la transparence resplendissante. C’est justement à ce moment-là, sous une pluie battante, que sonne à la porte l’ancienne gouvernante dans le but de se rendre à la cave de la propriété en invoquant de mystérieuses raisons. Ce qui fait ipso facto basculer le film dans une autre dimension, beaucoup plus ténébreuse et violente, et accélérer la dynamique narrative.
Une fois de plus, les hommes, riches ou pauvres, ne peuvent rien face aux éléments irrationnels naturels dont le rôle sera peut-être de rétablir in fine un nouvel ordre social, fût-il post-apocalyptique.
Apocalypse ou pas, la Corée du Sud, dans sa version « ciné », ferait peur aux présidents américains… « Ils nous tuent dans le commerce, vous savez, puis ils remportent l’Oscar pour un film flippant ! » aurait tonné l’ancien président américain Donald Trump le soir de la fameuse cérémonie hollywoodienne le 9 février 2020. On ne sait encore si Biden est cinéphile… Comme il paraît loin le temps où un Kim Youg-sam, alors à la tête de l’Etat sud-coréen se pâmait devant le succès phénoménal de Jurassic Park (1993) du golden boy Spielberg en faisant remarquer que les recettes du film équivalaient à la vente de 1,5 million de voitures Hyundai. D’où la décision immédiate de transformer le cinéma du pays en véritable arme économique…
Alors près de trente ans plus tard… Bong Joon-ho à la tête de cette épatante « Nouvelle vague », serait-il le futur Spielberg d’un pays, actuellement au 12° rang mondial (PIB), qui n’a peut-être pas fini de surprendre la planète ciné en continuant à enfanter des œuvres authentiques et fortes à l’impression de « jamais vu » ?
La Fédération Internationale de handball essaye d’abattre le machisme – mais pas trop non plus…
Début octobre, la Fédération internationale de handball (IHF) a modifié son règlement sur les tenues portées par les beach-handballeuses. Celles-ci se voyaient jusqu’alors obligées de disputer les matchs en bikini. Mais au cours du dernier championnat d’Europe féminin qui s’est déroulé au mois de juillet, les handballeuses norvégiennes, refusant de se plier à la règle, avaient arboré des shorts lors du match contre l’Espagne pour la médaille de bronze.
Elles ont donc écopé d’une amende de 1 500 euros infligée par la fédération. Qui a déclenché quelques réactions indignées. « Que de changements d’attitude sont nécessaires dans l’univers international macho et conservateur du sport », a même tweeté le ministre norvégien de la Culture et de l’Égalité, Abid Raja. L’IHF, consciente du problème, a donc décidé de réagir. Grâce au nouveau règlement, les joueuses pourront porter des shorts. Mais la fédération, craignant probablement pour l’attractivité du handball de plage féminin – discipline peut-être en manque de prouesses sportives spectaculaires ? – a spécifié que ces shorts ne seraient autorisés qu’à condition qu’ils soient courts et « serrés », tandis que ceux des joueurs masculins ne doivent être que « pas trop amples ». Chacun pourra se figurer la nuance entre un short féminin « serré » et un short masculin « pas trop ample ».
Quoi qu’il en soit, espérons que le conservatisme macho finira par disparaître du sport international. Avec un peu de chance, nous pourrons assister dans quelques années à des matchs de beach-handball féminin en burkinis non binaires. Mais à condition qu’ils soient serrés.
D.R.
Norway's women's beach handball team was fined €1,500 for refusing to wear bikini bottoms at a European championship game.
Men wear shorts but IHF rules say women "must" use bikini bottoms, despite players saying that bikini bottoms are restrictive and uncomfortable to play in. pic.twitter.com/VwP2cxAE1H
Plaidoyer pour le retour de la France a-raciste que nous aimons. Comme l’impossible, le racisme n’est pas français !
Quand les activistes de SOS Racisme se sont levés et dévoilés en hommes et femmes banderole pour afficher « non au racisme » et pour perturber le meeting d’Éric Zemmour, il y avait mieux à faire que les rejeter à coups de pieds. On pouvait aussi les rejoindre !
On pouvait être plus malin que les adversaires, faire semblant de ne pas comprendre les intentions malignes, les prendre au mot, les rejoindre donc, les acclamer, les remercier, les étreindre et scander avec eux l’un des mots d’ordre de la reconquête. Non au racisme. Le zemmourisme n’est pas un racisme, parce que comme l’impossible, le racisme n’est pas français.
Monsieur Sopo, nous adhérerons à SOS Racisme quand on ajoutera un « s » à « racisme » !
On pouvait par exemple improviser un « x » et un « s » et s’intercaler poliment et malicieusement entre les agitateurs, juste après le « au » et après le « racisme » pour rappeler que les racismes sont aussi divers que les Français.
On en aurait profité pour expliquer le slogan amélioré et ajusté en dénonçant les racismes nouveaux qui s’insinuent entre les pavés des « bonnes intentions » qui mènent en enfer. Le racisme de la discrimination positive qui humilie l’individu, qui lui fait savoir qu’il a plus de chances avec sa couleur qu’avec ses compétences. Le racisme de la ségrégation positive que l’UNEF cautionne en organisant des réunions non mixtes. Le racisme d’Audrey Pulvar, proche d’Anne Hidalgo qui dit aux blancs qu’il y a des lieus où ils feraient mieux de se taire. Le racisme toléré de ces Français qui font des listes de docteurs « racisés » parce qu’ils ne veulent plus être soignés par des médecins blancs, ou qui pratiquent la préférence épidermique en n’achetant plus que dans des boutiques tenues par des commerçants noirs. Le racisme ordinaire du type qui appelle un inconnu « frère » ou « cousin » parce qu’ils ont la même couleur de peau ou la même religion. Le racisme répandu de la racaille qui harcèle les filles et qui les traite de sales putes blanches ou françaises quand elles passent leur chemin parce qu’elles n’ont pas envie de se faire draguer par Néanderthal. Le racisme archaïque qui vient du tiers monde et qui se répand en banlieue, totalement décomplexé, et tellement ignoré par les associatifs de l’agitation et de la délation.
Les journalistes ravis de l’incident de Villepinte
On aurait précisé aux journalistes bien-pensants et mal intentionnés qui sont à présent ravis de tenir et de brandir la preuve que « Zemmour attise la haine » et « fracture la société », que c’est le multiculturalisme qui est un racisme. C’est le modèle du Wasp américain ou du gentleman anglais qui laisse au Mexicain ou au Pakistanais immigré toute liberté de vivre selon ses coutumes et dans sa langue natale parce qu’il est fermement convaincu que quoi qu’il fasse, le Mexicain ou le Pakistanais ne deviendra jamais vraiment Américain ou Anglais.
On aurait démontré que les vrais ennemis du racisme ne sont pas ces communistes du 21ème siècle, ces associations subventionnés, ces officines surarmées d’avocats qui comptent les blancs quand ils plaident, qui harcèlent judiciairement ceux qu’ils échouent à battre politiquement, ces héritiers de Sartre qui nous répètent que si nous ne sommes pas intimidés par leur propagande, nous sommes des chiens.
L’assimilation est une main tendue
On aurait ajouté comme le premier intervenant du meeting, élu de Seine-Saint-Denis, Français de branche aux parents nés ailleurs, que l’assimilation est une main tendue, un cadeau unique au monde, une fraternité réelle et sincère et que la France qui enseignait à ses enfants de toutes les couleurs « nos pères les Gaulois » et qui offrait ses ancêtres en partage avec les nouveaux venus était plus exigeante et plus généreuse, mais moins raciste que celle que défendent Dominique Sopo ou Rokhaya Diallo.
On aurait conclu qu’avec Éric Zemmour, la France qui ne veut pas voir la couleur des gens, qui se fiche de leurs différences et qui se construit avec ce qui leur est commun, la France a-raciste est de retour.
On aurait ainsi donné aux électeurs inscrits que la violence effraie d’autres images que celle désastreuse du coup de poing d’un garçon dans la figure d’une fille, scène pénible qui rapproche n’importe quel Français catholique, bien élevé et cultivé, de Joey Starr.
Incident important dans la salle.
Plusieurs personnes sortent des t-shirts « Non au racisme. »
La Pologne résiste. La Pologne conteste. La Pologne insiste. La Pologne est seule au monde!
La Pologne affirme ses vérités, coûte que coûte, sans trop réfléchir aux conséquences. Elle assume parfaitement être un pays anti-immigration, anti-LGBT et antiavortement. Elle s’oppose au principe de primauté du droit européen sur ses lois nationales. Elle ignore les consignes de Bruxelles pour l’exploitation de Bialowieza, l’une des dernières forêts primaires du continent.
La Pologne ne se reconnait plus dans les Démocrates américains et leur wokisme ambiant
Elle veut aussi écrire sa propre histoire de la Seconde Guerre mondiale, en adoptant en 2018 une loi qui punit ceux qui feraient allusion à une responsabilité quelconque de « la nation ou de l’État polonais » dans les crimes commis par l’Allemagne nazie. Le texte a toutefois été amandé quelques mois plus tard, après que le gouvernement ait essuyé les foudres du gouvernement israélien.
Le prix de la liberté
Cette liberté politique, idéologique ou historique que le pays veut conserver à tout prix lui revient cher. Financièrement tout d’abord : 1 million d’euros par jour pour ne pas avoir obtempéré à la Cour de Justice de l’Union Européenne, 100 000 euros d’astreinte par jour en cas de nouvel abattage de bois de Bialowieza, et 353 millions d’euros pour la construction du mur sur sa frontière avec la Biélorussie, suite à la récente crise des migrants. Une construction que le gouvernement polonais entend financer de sa poche, pour ne surtout pas tomber dans un piège de coopération européenne, qui demanderait en échange d’une aide fincancière des efforts en vue de se conformer avec des principes, avec une foi…
Car la Pologne reste un pays catholique, fidèle aux fondamentaux chrétiens. À l’héritage de son fils chéri devenu Pape, Jean-Paul II. Celui qui il y a 17 ans à peine avait écrit dans son ouvrage Mémoire et Identité à, propos des mariages homosexuels : « Il est légitime et nécessaire de se demander s’il ne s’agit peut-être pas d’une composante d’une nouvelle idéologie du Mal » …
Le monde a bien changé depuis, le nouveau Pape François milite ouvertement pour les causes progressistes ou LGBT. La Pologne va-t-elle rompre avec Vatican, comme elle se coupe de toutes les sources qui menacent son identité ? Même les États-Unis, allié vital et garant de la survie nationale face à l’éternel ennemi russe, ne trouvent plus grâce à ses yeux. Après quatre ans d’osmose parfaite avec Donald Trump, Varsovie a été parmi les dernières à féliciter Joe Biden pour son élection. Avant de trainer les pieds pendant de longs mois pour la nomination du nouvel ambassadeur américain en Pologne, pour finalement accepter un certain Mark Brzezinski, qui, possédant la double nationalité, américaine et polonaise, se retrouve de fait non éligible pour être ambassadeur dans son propre pays ! Pourtant, Mark est le fils de Zbigniew Brzezinski, le plus puissant homme politique américain d’origine polonaise des cinquante dernières années, Conseiller à la Sécurité nationale du président démocrate Jimmy Carter et fervent défenseur de la Pologne face au communisme, sans qui l’union des syndicats Solidarnosc n’aurait jamais vu le jour.
Une nation habituée aux traumatismes
Mais la Pologne ne se reconnait plus dans les Démocrates américains et leur wokisme ambiant. Elle n’a pas d’autres héros pour remplacer ceux de toujours, pas d’autres cultures à promouvoir à la place de la sienne. Pourrait-elle tenir longtemps sans cordon ombilical de l’Amérique ? L’histoire a vu souvent cette terre devenir une monnaie d’échange dans les grands enjeux géopolitiques. Parfois ce jeu a tourné en sa faveur. Comme avec Napoléon qui a recréé en 1807 le duché de Varsovie, une illusion d’autonomie dans le Grand Empire français. Et surtout, en 1918, quand le Maréchal Pilsudski a arraché des vastes territoires à la Russie post–tsariste déboussolée et à l’Allemagne à genoux, défaite dans la Grande Guerre. Mais les mouvements stratégiques des grandes puissances voisines lui ont souvent aussi été fatals ou dévastateurs. En 1939 notamment, quand le pays a été partagé, tel du vulgaire gibier de chasse, entre les deux ogres les plus cinglés de l’histoire, Hitler et Staline.
80 ans plus tard, la Pologne a-t-elle pu tourner la page de ce double traumatisme germano-soviétique ? Nous allons finir par le savoir. En attendant le pays se barricade. Contre les menaces territoriales sur son flanc oriental. Pour protéger son intégrité culturelle sur sa frontière occidentale. Dans un nouveau monde qui écrase sur son passage tous les murs-porteurs d’antan, la Pologne se veut une petite arche espérant être sauvée du déluge.
Est-ce de la générosité ou de l’inconscience? Le profil et la biographie du Saint-Père peuvent expliquer cette ouverture: rédemption et remords sont les marqueurs sociologiques du Pape actuel. Cela lui fait un point commun avec les idéologues du wokisme.
Le Pape François, de passage à Lesbos qui abrite encore plus de 2 200 migrants dans le camp de Mavrovouni, a appelé l’Europe à ne pas transformer la Mare Nostrum en « Mare Mortuum », un cimetière maritime pour migrants. Il y a dit la messe avec une cinquantaine de migrants catholiques en provenance d’Afrique.
A Athènes, il a appelé l’Europe à ne pas se replier sur ses égoïsmes nationalistes, en présence de la présidente hellénique Katerina Sakellaropoulou, le vice-président de la Commission européenne Margaritis Schinas et le ministre grec des Migrations Notis Mitarachi. Ceux-ci lui avaient pourtant expliqué à quel point la Grèce se débat avec un nombre proportionnellement insurmontable de migrants arrivant sur ses nombreuses côtes.
Un adepte du concept mélenchoniste de créolisation?
Quelques jours avant, de passage à Chypre, il tenait à peu près le même discours : « Chypre, en tant que carrefour de civilisations, a une vocation innée à la rencontre, favorisée par le caractère accueillant du peuple chypriote. La beauté de cette terre provient des cultures qui, au cours des siècles, se sont rencontrées et mélangées ici. Aujourd’hui aussi, la lumière de Chypre est richement bigarrée. De nombreux peuples et nations ont apporté des nuances et des teintes différentes à ce peuple. »
Jésuite proche des Franciscains, François est au plus près de la parole de Jésus et ce type de propos généreux est prévisible. En tant que dirigeant du micro-Etat du Vatican, il n’a pas à en assumer la responsabilité : la Cité du Vatican est gardée par d’épaisses murailles et par sa centaine de gardes suisses ! Et au risque d’être poujadiste, on ne voit guère la Curie romaine partager ses vastes pièces et chambres pour loger des migrants. Le Pape François use dès lors de son pouvoir spirituel pour agir sur le temporel sur lequel il n’a pas prise.
Ne cherche-t-il pas d’ailleurs sa propre rédemption ? Dans « Les Deux Papes », long métrage estampillé Netflix (2020), on apprend qu’au moment où se déroule l’action du film l’encore cardinal Jorge Mario Bergoglio a eu une attitude des plus ambiguë avec la junte argentine après le coup d’État militaire de Jorge Rafael Videla, le 24 mars 1976. La junte assassinera des milliers d’opposants (qu’on jetait à la mer par avion). Bergoglio est-il mal à l’aise avec cette période ? On touche là à l’essentiel : la culpabilité du pape François. Serait-il dans le remords, la repentance et la rédemption pour un mal supposé qu’il aurait fait et qui nécessiterait réparation ?
Jean-Baptiste Noé, historien et écrivain, dans un essai publié chez Salvator qualifie le pape François de populiste de gauche en ce sens qu’à la suite de nombreux théologiens et prêtres d’Amérique latine, « il a développé une ‘théologie du peuple’ dans laquelle le peuple n’est pas vu comme une catégorie sociale (comme dans la théologie de la libération), mais comme une catégorie mystique. La théologie du peuple reprend certains éléments de la théologie de la libération, mais elle n’est pas matérialiste »[5].
Le peuple est ici incarné par « l’indigène privé de ses terres ». Les communautés populaires d’Amazonie possèdent selon le Pape une organisation supposée meilleure que les autres formes d’organisations politiques. Ainsi, François n’aime pas l’Europe mais moins encore l’Europe centrale qui a retrouvé pourtant le chemin de la religion. Profondément sud-Américain, le Saint-Père est ouvert, par miséricorde et charité chrétienne aux migrants. Il ne comprend pas les peurs identitaires des Européens (l’islam est quantité négligeable en Amérique du Sud), contrairement à Jean-Paul II et Benoît XVI pour qui les racines chrétiennes de l’Europe étaient fondamentales.
L’accueil des migrants, une réparation faite aux pauvres
Pour l’actuel Pape, « le vrai peuple, le peuple bon, ce sont les indigènes », explique Noé. « Ils ont une sagesse innée qu’il faut respecter et promouvoir. Mais dans l’esprit de Bergoglio, partagé du reste par beaucoup de chrétiens, le monde est fini, et les ressources sont limitées. Par conséquent, si l’Europe s’est développée, cela n’a pu se faire qu’au détriment des autres continents. L’Europe est riche parce qu’elle a pris aux autres. Vieille idée marxiste et malthusienne qui est incapable de penser le développement comme une création de richesse. Par conséquent, l’accueil des migrants est une réparation faite aux pauvres. Il faut accueillir les migrants pour réparer les crimes de la colonisation. L’Europe doit expier puisqu’elle est responsable de la pauvreté et des dérèglements climatiques. »
En octobre 2019, lors du synode de l’Amazonie, on constate « le retour sous une autre forme de la théologie de la libération avec l’entrée en force du syncrétisme dans cette religion vieille de deux millénaires » confirme le pasteur Samuel Furfari. « Jamais comme aujourd’hui on n’a fait l’éloge du paganisme. Il suffit de parcourir la table de matière de ce document pour s’en rendre compte. Il y est question de ‘conversion écologique’, de ‘conversion intégrale’, de ‘conversion ecclésiale en Amazonie’, alors que l’Église a pour mission de prêcher la conversion à Christ. Le document de travail du synode (‘Instrumentumlaboris ‘) contient sept fois le terme ‘Mère’, et dans un langage tout à fait étranger à la Bible, indique que le Saint Esprit a enseigné à ces peuples la ‘foi en Dieu Père-Mère Créateur’ ».
Le stop and go de l’évangélisation
Pour François, l’Eglise doit se limiter à échanger avec les Indiens en respectant leur croyance ancestrale. Il n’est plus question ni d’évangélisation ni de baptême des Indiens. « Il semble donc que, selon le Vatican, les traditions et religions autochtones ont préséance sur la Bible et sur la tradition catholique romaine », semble regretter Furfari. « D’ailleurs, les missionnaires catholiques en Amazonie ne prêchent plus la conversion à Christ, mais ‘accompagnent’ les indigènes. Le missionnaire Corrado Dalmonego, qui vit avec des Indiens depuis 11 ans et les connaît donc bien, estime que ces autochtones peuvent ‘avec l’expérience de leur propre religiosité, aider l’Église elle-même à se purifier des schémas, des structures mentales qui sont peut-être devenues obsolètes et inadéquates. »
On réalise ici à quel point le pape François a tous les attributs du wokisme contemporain. Il constitue un allié de poids dans la révolution culturelle que nous vivons actuellement.
Nous célébrons demain dans nos écoles la loi du 9 décembre 1905. Cette Journée de la laïcité à l’école donne lieu chaque année « à des projets instructifs, ambitieux, originaux, qui font vivre la laïcité au sein des établissements », précise le site de l’Éducation nationale. Comme c’est alléchant… En réalité, la propagande wokiste n’est pas loin !
À cette occasion, des « ressources pédagogiques » sont mises à la disposition des enseignants via le site Éduscol. À partir de ce site, le Réseau Canopé (éditeur officiel des ressources pédagogiques de l’Éducation nationale) conseille aux enseignants d’« aborder les valeurs républicaines et la notion de vivre ensemble par le biais de la musique en classe » [1]. Il est proposé, pour « sensibiliser à la laïcité », de se rendre sur le site “Les Enfants de la Zique”, un « support pédagogique de tout premier choix ! »
Rien n’échappe à l’idéologie woke qui s’incruste partout, le plus grave est que cette dernière prospère là où elle devrait être la plus combattue
Avant de visiter le site en question, il convient de regarder ce qu’entend par laïcité le Réseau Canopé qui est, rappelons-le, un réseau officiel du ministère de l’Éducation nationale. La laïcité, sur Canopé, c’est large, très large, très très large. Il est surtout question de sensibilité, de vécu, de prise de conscience, de droits des femmes, des étrangers, du peuple, etc. En vérité on est loin, très loin, très très loin de la définition de la laïcité pourtant affichée sur le site du gouvernement : garantie de la liberté de conscience, neutralité de l’État et séparation de l’État et des organisations religieuses, égalité de tous devant la loi, droit d’avoir ou de ne pas avoir de religion, égalité des citoyens quelles que soient leurs convictions ou leurs croyances, affirmation que personne ne peut être contraint au respect de dogmes et de prescriptions religieuses, pour l’essentiel.
Ah les jolies causes à défendre que voilà
Les six sujets déclinés sur Canopé pour « sensibiliser » les élèves à la laïcité ne concernent à aucun moment la… laïcité. Ils embrassent en revanche nombre de causes wokistes et identitaires. Les voici, in extenso : 1) la question identitaire, 2) l’homophobie et les droits LGBT, 3) l’égalité entre les filles et les garçons et les violences sexuelles, 4) les violences de guerre et le travail de mémoire, 5) la conscience écologique, 6) la paix et le vivre ensemble.
Le réseau Canopé propose alors aux enseignants de se rendre sur le site “Les Enfants de la Zique” et de faire entendre à leurs élèves des chansons en rapport avec les sujets ci-dessus. Impatient, je m’y rue.
La chanteuse Jeanne Cherhal psalmodie une sorte de prière intitulée “Quand c’est non, c’est non”. Il ne s’agit visiblement pas d’une chanson sur l’interdiction d’apostasie dans l’islam ; le site indique en effet que la chanteuse « construit un espace de réflexion sur la question du consentement en confrontant le point de vue d’un homme de mauvaise foi, et les voix polyphoniques des femmes qui s’opposent à ses propos brutaux, hérités de la culture du viol ». Ne manquent que les mots « patriarcat » et « masculinité toxique » pour parfaire ce tract néoféministe.
Pour illustrer la « conscience écologique », Canopé renvoie à une babiole intitulée “Madame Nature” qui est, nous apprend-on, « unechanson engagée » dans laquelle « la nature transparaît à travers les termes : “planète”, “saisons”, “arbres”, “rivières”, “animaux”, etc. » [L’Encyclopédie des Chansons Engagées est formelle : il est excessivement rare que la nature transparaisse à travers des termes comme “boulon”, “vilebrequin”, “caoutchouc” ou “roue de secours”]
La suite est un massacre
Pour ce qui concerne la « question identitaire », les professeurs pourront faire écouter à leurs élèves la chanson intitulée “Ma gueule”, écrite et chantée par… Camélia Jordana. Petit rappel : Camélia Jordana a déclaré sur un plateau télé en mai 2020, à propos des “victimes des violences policières” : « Je parle des hommes et des femmes qui vont travailler tous les matins en banlieue et qui se font massacrer pour nulle autre raison que leur couleur de peau. » Ou, lors de la sortie de son album en janvier 2021 : « L’ensemble de ces chansons disent que si j’étais un homme, je demanderais pardon […] Car les hommes blancs sont […] responsables de tous les maux de la terre. » Le réseau Canopé explique que « “Ma gueule” ou “Inch Allah” sont deux titres (de Camélia Jordana) qui nous permettent de penser la France dans laquelle nous vivons, puisqu’ils tendent un miroir à la société, l’invitant à se regarder en face », et qu’elles dessinent « une société aux multiples facettes grâce à un métissage musical et au plurilinguisme. » [Exercice pédagogique : dans ces deux dernières citations, dites quels mots ou expressions auraient pu être avantageusement remplacés par “pays de merde”, “honte de soi”, “battre sa coulpe” dans la première ; et “multiculturalisme joyeux”, “créolisation harmonieuse” et “espéranto inclusif” dans la seconde.]
Si cette dévotion intéressée de certains à la “laïcité républicaine” peut légitimement énerver, il est encore plus irritant de constater que des agents officiels de l’Éducation nationale ne l’utilisent plus que pour promouvoir des phénomènes relevant du militantisme identitaire, multiculturaliste, écologiste ou néoféministe. Ceux qui semblent vouloir lutter contre ces phénomènes ne peuvent rien contre les idéologues qui manigancent dans leurs propres services. C’est le cas malheureux de Jean-Michel Blanquer. Preuve en est cette dernière démonstration d’entrisme militant et doctrinal dans l’Éducation nationale : sur ce même réseau Canopé, pour faire connaître les préfixes d’origine grecque ou latine, il est proposé à l’élève de collège de rechercher « l’étymologie et la signification des préfixes “hétéro”, “homo”, “trans”, “cis”, “inter” et “bi” » (cf. l’édifiant article des cofondateurs de l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires dans Le Figaro du 29 novembre)
Entretien | Jean-Michel Blanquer : « La France et sa jeunesse doivent échapper à l’idéologie woke » https://t.co/C3Qrw9n8Bm
De la laïcité à l’étymologie, de la littérature aux sciences sociales, de l’orthographe aux “sciences de la vie”, rien n’échappe à l’idéologie woke qui s’incruste partout. Le plus grave est que cette dernière prospère là où elle devrait être la plus combattue, dans le lieu qui devrait n’être que celui de la transmission des savoirs et qui, de plus en plus, devient l’antre de la propagande déconstructiviste la plus virulente.
"Barry Lyndon" de Stanley Kubrick (1975), REX FEATURES/SIPA Numéro de reportage : REX43010132_000002
Plutôt vivre à genoux que mourir debout ? Nous ne sommes plus disposés à risquer notre vie pour venger une offense et nous ne considérons plus que notre honneur a été profané parce qu’un idiot nous a insulté dans la rue. L’honneur du gentilhomme est enfoui dans les ruines de l’Ancien Régime et le point d’honneur date pour nous d’un autre temps. Mais pour autant, l’honneur est-il mort ?
Le philosophe allemand Arthur Schopenhauer nous donne cette définition : « L’honneur est, objectivement, l’opinion qu’ont les autres de notre valeur, et, subjectivement, la crainte que nous inspire cette opinion ».
Dans un système aristocratique, l’honneur est la valeur accordée à une personne en fonction de son rang dans la société, rang symbolisé par l’emblème décorant son écusson. C’est un signe de distinction et de supériorité. Il impose des règles, un code d’honneur. Ces règles ne tiennent pas au mérite personnel. L’individu est estimé d’abord pour son rang social, sa lignée, ensuite seulement pour ses actions, par lesquelles il doit conserver cet acquis.
Pour défendre son honneur on mettait sa vie en jeu. Un général romain n’hésitait pas à se jeter seul sur ses ennemis et à mourir avec eux en les vouant aux dieux des enfers. Un samouraï humilié se donnait la mort dans un sacrifice rituel, le seppuku. La valeur symbolique de l’honneur l’emportait sur l’intérêt vital. Étrange idée, observe Schopenhauer, que celle qui nous fait préférer la mort à l’infamie… Et lorsque Rodrigue provoque en duel le père de Chimène pour laver une offense, c’est une passion amoureuse qu’il est prêt à sacrifier.
L’individu qui vit coupé du passé, des traditions, (…), se retrouve malgré lui dans la position du travailleur et du colonisé dont la philosophe Simone Weil disait qu’ils souffraient d’une privation d’honneur soit parce qu’ils avaient perdu le souvenir de ce qui les grandissait, soit parce que la société qui les opprimait ne laissait rien filtrer de leur mémoire
L’honneur ne serait-il que puérile vanité ? Non, car il est un mobile très efficace. Il est à l’origine de maints exploits guerriers ; il est, si l’on en croit Montesquieu, le principe des gouvernements monarchiques. Un noble, remarquait aussi Montesquieu, peut désobéir à son roi si les ordres à exécuter heurtent son code d’honneur. Le capitaine Crillon, au service d’Henri III, refusa d’assassiner le duc de Guise, mais proposa de l’affronter. Voilà comment un préjugé de caste corrige les dérives du pouvoir. C’est donc à raison que les philosophes conservateurs, depuis Edmund Burke, refusent de céder au dénigrement systématique des préjugés.
Qu’en est-il en démocratie ? Les valeurs de caste peuvent difficilement avoir cours dans une société qui exige le même respect pour tous. De fait, l’individu moderne rejette les lois de l’honneur lorsque son désir et son intérêt le portent dans une autre direction. À mesure que les hiérarchies sociales s’estompent et que les liens de la famille se desserrent, les sentiments évoluent. Un mari trahi par son épouse éprouve moins un sentiment de déshonneur qu’une vexation intérieure. L’homme moderne n’est pas déshonoré par la faute d’autrui, comme cela reste le cas dans certaines communautés où l’honneur familial est encore en vigueur. En revanche, on peut se déshonorer soi-même.
L’honneur existe encore
L’honneur s’est individualisé. Il tient désormais à des qualités intrinsèquement liées à l’action de la personne, à sa compétence, au fait qu’elle mérite sa réputation. L’honneur n’est plus une valeur de caste, mais il s’inscrit dans une logique d’exposition au regard des autres, d’évaluation collective, de reconnaissance et de prestige social.
Cependant, s’agit-il encore de l’honneur ? Certains sociologues, comme Peter Berger, préfèrent considérer que l’honneur a été remplacé par « la dignité », qui est un tout autre concept puisque l’honneur repose sur une essentialisation des différences, tandis que la dignité est une négation de toute différenciation. La philosophe Alice Le Goff pense, au contraire, que l’homme (ou la femme) qui lutte pour sa dignité défend en même temps son honneur. La qualité « distinctive » qui est à la base de l’honneur n’est plus liée à une essentialisation sociale, mais découle de notre appartenance au genre humain ; en somme, notre humanité nous « oblige ».
Si l’on suit ce raisonnement, l’honneur ne disparaît pas, mais il se déplace. Il devient une valeur éthique. L’homme (ou la femme) moderne s’honore d’agir pour défendre des valeurs universelles, « l’universel » occupant ici une position de transcendance éthique. Dans ces conditions, on peut encore compter sur l’honneur national, l’honneur d’une nation étant, en effet, lié à la défense des valeurs qu’elle prétend incarner symboliquement. Il est d’ailleurs naturel, comme le remarquait Tocqueville, que la démocratie débouche sur l’honneur national : quand il n’y a plus de titres différenciés au sein de la société, c’est la nation dans son ensemble qui doit se distinguer des autres.
Les codes d’honneur « à l’ancienne » ont disparu. Mais le principe n’a pas été atteint dans son fondement : nous pouvons encore, individuellement ou collectivement, régler nos conduites sur des valeurs qui nous distinguent en quelque façon. Le problème est que nous vivons aujourd’hui dans un monde qui se décline en termes de mobilité, changement, déracinement, adaptabilité, recyclage. L’individu qui vit coupé du passé, des traditions, du souvenir de sa grandeur d’antan, se retrouve malgré lui dans la position du travailleur et du colonisé dont la philosophe Simone Weil disait qu’ils souffraient d’une privation d’honneur soit parce qu’ils avaient perdu le souvenir de ce qui les grandissait, soit parce que la société qui les opprimait ne laissait rien filtrer de leur mémoire.
Les politiciens sont à l’image de cette « société liquide » (Zygmunt Bauman), lorsque, par pragmatisme, ils oublient leur famille politique et renient leurs engagements, comme si l’adaptabilité était désormais la qualité suprême sur laquelle ils demandaient à être jugés.
Il n’y a pas d’honneur sans une identité symbolique que l’individu cherche à incarner pour garder « la tête haute ». Cette identité symbolique, qui était dans les sociétés d’ordres une identité institutionnelle (inscrite dans une devise ou sur un blason), prend d’autres formes à l’ère de l’individu. Aujourd’hui, l’image de soi constitue un référent à valeur normative qui représente à la fois ce que l’individu désire être pour lui-même, ce qu’il désire que les autres voient en lui et ce que les autres doivent voir en lui pour l’estimer « à sa juste valeur ».
Mais qu’il s’agisse du souvenir d’une grandeur passée (des luttes syndicales d’autrefois qui sont l’honneur des mineurs du Nord par exemple) ou d’une image de soi liée à des principes jamais reniés, il est nécessaire que cette idée directrice trouve un ancrage dans un espace symbolique qui surplombe les contingences de la vie et l’adaptation à un environnement en perpétuelle mutation. Ce qui pose problème sur ce plan, c’est moins la démocratie en elle-même que la disparition progressive des espaces symboliques d’identification, liquéfiés dans le grand bain libéral-mondialiste.
Les « méchantes » ONG existent aussi, rappelle Yves Mamou exemples à l’appui, et c’est pourquoi la proposition de loi pour la préservation de l’espace humanitaire pose tant problème aux députés.
Une étrange proposition de loi est sur le bureau de l’Assemblée nationale. Elle porte sur « la préservation de l’espace humanitaire ». Cet « espace de l’humain » qu’il s’agit de préserver n’est pas celui de la nature, des oiseaux ou des océans. Il est celui des grandes ONG humanitaires, les Human Rights Watch, Amnesty, World Vision, Habitat for Humanity, Oxfam, la Ligue des droits de l’homme et bien d’autres encore. Et de quoi les ONG humanitaires ont-elles besoin d’être préservées ? De la lutte anti-terroriste.
Le 22 septembre 2020, le président de la République française, Emmanuel Macron, a lui-même rappelé aux Nations Unies avec force la nécessité de protéger « la neutralité de l’action humanitaire » tout en « endiguant sa criminalisation ». En d’autres termes, les ONG qui opèrent en zone de guerre ne doivent pas être paralysées, ni handicapées par la lutte contre le financement du terrorisme. Financer des actions humanitaires en zone de guerre n’a rien d’une sinécure, les ONG sont souvent obligées de multiplier les intermédiaires et les taux de change pour acheminer de l’argent, ce qui allume tous les signaux dans les banques.
L’autre alternative est de faire voyager du cash, ce qui n’est évidemment pas sans risque non plus.
Une demande légitime, mais un vrai casse-tête
Il est donc légitime que les ONG humanitaires réclament la bienveillance des États et des institutions financières. Sauf que le monde ne se divise pas parfaitement entre gentilles ONG et méchants terroristes. Les « méchantes » ONG existent aussi.
Marlène Schiappa, ministre déléguée à la Citoyenneté et Clément Beaune, ministre des Affaires européennes ont ainsi interpelé à la fin du mois de novembre, Helena Dalli, commissaire européen à l’Égalité, qui avait accordé de son temps – et de notre argent – à la Femyso, connue pour ses liens avec les Frères Musulmans. Les deux ministres français ont indiqué à la commissaire européenne qu’ils peinaient « à comprendre les raisons qui conduisent la Commission à accorder un soutien financier à cette organisation depuis 2014 ». Le magazine Franc-Tireurrévélait récemment que des associations proches des Frères Musulmans ont bénéficié de plus de 22 millions d’euros de subventions de la part de l’Union européenne pour combattre soi-disant l’« islamophobie », mais qu’en réalité elles assurent surtout la promotion du hijab et attaquent la France.
Les étranges réactions du tissu humanitaire français à une récente décision du gouvernement israélien ajoutent à l’ambiguïté de la situation. En effet, le 22 octobre 2021, le Ministère israélien de la Défense a annoncé que six ONG palestiniennes [1] seraient classées sur la liste des organisations terroristes en raison de leurs liens avec le Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP), une organisation terroriste désignée comme telle par l’Union européenne, les États-Unis et Israël.
En bonne logique, les ONG humanitaires, les vraies, celles qui ont pignon sur médias, auraient dû féliciter le gouvernement israélien de lutter contre ces ONG pirates qui collectent « frauduleusement » des fonds pour financer des activités douteuses. Mais, il n’en a rien été. Sitôt l’interdiction prononcée par le gouvernement israélien, 26 ONG françaises et internationales [2] se sont immédiatement déclarées solidaires des six ONG palestiniennes désormais classées « terroristes » en Israël.
Une récente étude de NGO-Monitor, une association israélienne qui mène une veille sur le comportement politique des ONG, démontrait qu’au cours des dix dernières années, « au moins 200 millions d’euros de fonds publics européens et internationaux ont financé des projets impliquant des ONG en lien avec le FPLP » [3], dont celles qui ont donc été désignées comme des organisations terroristes en octobre.
Pour ne citer qu’un exemple : de 2019 à 2021, un projet agricole monté par l’ l’Union des Comités du travail agricole (UAWC, ONG parmi celles inscrites le 22/10/21 sur la liste des organisations terroristes par le gouvernement israélien) aurait bénéficié d’une aide de 650 000 euros dont les quatre cinquièmes proviennent d’institutions françaises (232 000 euros pour l’Agence française du développement, 203 440 euros pour l’Agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse, 100 000 euros pour la Région Sud). Sur cette période couverte par le projet, les directeurs financiers et administratifs de l’UAWC, Samer Arbeed et Abdul Razeq Farraj ont été arrêtés et mis en examen en Israël comme membres du FPLP impliqués dans un attentat à la bombe ayant coûté la vie à une jeune israélienne de 17 ans, Rina Shnerb, en août 2019.
Relations douteuses et relativement inextricables
L’étude de NGO Monitor fourmille d’autres exemples, qui montrent que les relations de travail et les échanges financiers entre ONG occidentales et ONG proches d’organisations douteuses sont denses et relativement inextricables.
Aussi, les remarques qu’il est possible de formuler à ce stade sont les suivantes :
– Voter un projet de loi qui exonère les ONG occidentales de tout contrôle n’a pas de sens, compte tenu des liens multiples et des sympathies politiques (d’extrême gauche) que ces mêmes ONG entretiennent parfois avec des mouvements islamistes, notamment palestiniens ;
– Resserrer le filet financier sur les organisations terroristes elles-mêmes mais exonérer de tout contrôle leurs faux-nez humanitaires n’a guère de sens non plus ;
L’heure est également aux questions essentielles :
– Des ministres français comme Marlène Schiappa et Clément Beaune sont en droit de s’étonner des connexions douteuses de certains commissaires européens avec les Frères Musulmans. Mais, est-il normal que le gouvernement français, à travers l’AFD (Agence Française de Développement), finance des ONG opaques et pour certaines proches d’organisations terroristes ?
– Ne serait-il pas temps qu’un coup de projecteur officiel soit donné à ces politiques de financements, qui font circuler sans aucune transparence des dizaines de millions d’euros d’argent du contribuable ?
Et si des lobbys politiques se sont constitués au sein de l’appareil d’État et que ces lobbys mènent des politiques occultes auxquelles les élus eux-mêmes ne participent pas, alors il serait temps aussi qu’un inventaire soit effectué et qu’un coup de plumeau soit donné ! Le contribuable – et la morale – ont tout à y gagner.
[1] Addameer Prisoner Support and Human Rights Association, Al–Haq Law in the Service of Man (Al–Haq), Bisan Center for Research and Development, Defense for Children International–Palestine (DCI–P), Union of Agricultural Work Committees (UAWC) et Union of Palestinian Women’s Committees (UPWC).
Dans un récent sondage Elabe « Opinion 2022 », Valérie Pécresse est donnée gagnante contre Macron au second tour, avec 52% des voix. Le président-(presque) candidat n’est donc plus le seul à occuper l’espace entre la gauche et la droite radicale…
Initialement j’avais eu l’intention de réunir dans un même billet Valérie Pécresse et Eric Zemmour. Ce n’est pas parce qu’ils ne s’aiment pas et militent pour des causes différentes que le citoyen que je suis n’aurait pas le droit d’applaudir la fulgurante progression de la première et de considérer que le second, même si on ne vote pas pour lui, a réussi sa mue à Villepinte, sur le plan de la forme, en métamorphosant son talent médiatique en un verbe politique. Ce qu’il n’avait pas su faire jusqu’alors.
Son agression par V. Abdelmajid, encarté LR depuis un mois, plusieurs fois condamné, ne lui a pas fait perdre sa maîtrise pour le discours à venir et les violences finales entre les perturbateurs de SOS Racisme, le service d’ordre de Zemmour et l’escouade venue prêter main-forte à ce dernier ont démontré, encore une fois, que la bienveillance médiatique s’attache plus volontiers, quand il s’agit de la droite, aux trublions venant entraver le débat démocratique qu’à ceux qui en sont victimes.
Un front uni contre le délitement de la France
Mais Valérie Pécresse, depuis sa victoire éclatante au congrès LR, ne peut laisser indifférents les citoyens qui, quelle qu’ait été leur option originelle, découvrent avec bonheur que cette candidate ne sera de loin pas la plus mauvaise lors de la future élection présidentielle. Certes je peux être agacé par le besoin de Valérie Pécresse de faire trop souvent référence à Jacques Chirac – ni un modèle d’éthique ni l’adepte d’une France en mouvement, plutôt le créateur de la précaution immobile – mais il n’empêche que son succès, avec le beau score d’Eric Ciotti, rendrait inutiles de ma part des récriminations, des procès d’intention et des attaques qui détourneraient de la seule finalité essentielle: nous avons dorénavant une femme de talent susceptible de battre le président de la République. Il ne sert à rien de ressasser, dans le camp de la droite républicaine, qu’elle serait macrono-compatible alors qu’on n’en est plus là et que tout démontre qu’elle va incarner « la droite de fermeté et de conviction » dont Dominique Reynié souhaite l’émergence dans Le Figaro.
Valérie Pécresse trop vite, trop tôt, c’est une évidence, mais elle n’oubliera pas que les mois de janvier et de février seront décisifs…
Ce champ régalien est d’autant plus fondamental qu’entre Eric Ciotti et elle, à l’exception de nuances guère significatives, il ne souffre pas de la moindre ambiguïté ni de la moindre faiblesse. Tous deux constituent un front uni contre le délitement de la France depuis 2017, sur tous les registres qui préoccupent et angoissent nos concitoyens. Valérie Pécresse abandonnera cette idée trop mal comprise, malgré l’exemple danois, de rendre les sanctions plus sévères dans certaines cités, mais elle ne déviera pas de son cap à cause des reproches comiques d’un Éric Dupond-Moretti se posant en juge de la droite d’aujourd’hui par rapport à celle d’hier. Éric Ciotti est trop loyal, trop fiable, quoique déterminé (ni Muselier ni Estrosi !) pour constituer l’affirmation de son identité propre telle une entrave à l’unité de son camp. Alors que ce camp – et on n’a jamais eu envie de se moquer de l’équipe de France, qui avait belle allure, vantée par tous les candidats LR – va représenter pour l’avenir proche une formidable opportunité contre la personnalité et la pratique présidentielles depuis 2017.
Au narcissisme solitaire, à la curieuse et constante alternance de oui ou de non, de pour ou de contre, à l’obsession de la repentance avec l’occultation masochiste de la gloire française, à l’arrogance profonde mal dissimulée par une familiarité et une démagogie superficielles, LR opposera, ce qui me paraît fondamental sur le plan démocratique, un collectif de haut niveau qui entourera la présidente et évitera à celle-ci de se croire le centre du monde.
Macron n’est plus seul…
Demain, il ne devrait plus être possible de mener la France, par exemple, à la baguette sanitaire, conseils de défense multipliés, sans l’ombre d’une consultation républicaine. Demain on ne choisira plus les Premiers ministres au petit bonheur la chance (je songe à Jacques Chirac optant pour Jean-Pierre Raffarin selon la relation qu’en fait Catherine Nay) ni les ministres pour surprendre (Dupond-Moretti adoubé par le couple Macron). Il n’y aura plus de désinvolture régalienne. Trois sondages propulsent Valérie Pécresse en forte avancée et notamment le dernier qui la verrait battre Emmanuel Macron au second tour. LR a été si longtemps relégué et moqué – et Christian Jacob, devenu le sauveur aujourd’hui, y avait mis du sien ! – que je ne voudrais pas que cette embellie éclatante et précipitée fasse perdre la tête à l’équipe de campagne de Valérie Pécresse et aux Républicains soutiens de longue ou de fraîche date. Mais la présence de Patrick Stefanini auprès de la candidate et le propre bon sens de celle-ci qui ne va pas disparaître comme François Fillon, la victoire acquise, sont rassurants.
Valérie Pécresse trop vite, trop tôt, c’est une évidence, mais elle n’oubliera pas que les mois de janvier et de février seront décisifs. Quel baume déjà de savoir que la droite authentique est de retour et qu’Emmanuel Macron a beau continuer, président-candidat ou candidat-président, à profiter avec cynisme de son double statut, il ne sera plus tout seul dans l’espace politique !
Le philosophe a été parmi les premiers à pointer les dangers du voile pour la société française. Après l’affaire des jeunes filles voilées de Creil en 1989, il dénonçait avec d’autres, dans Le Nouvel Observateur le « Munich de l’école républicaine ». Il a fallu quinze ans pour aboutir à la loi proscrivant les signes religieux ostentatoires à l’école. Lâcheté politique et complicité idéologique ont ouvert un boulevard à l’islamisme.
Elisabeth Lévy. Dans Le Nouvel Observateur (ça ne s’appelait pas L’Obs) du 2 Novembre 1989, vous avez publié avec Élisabeth Badinter, Régis Debray, Élisabeth de Fontenay et Catherine Kintzler un appel intitulé « Profs, ne capitulons pas ! » Vous rappelez-vous comment est née cette initiative ?
Alain Finkielkraut. N’ayant jamais tenu de journal, je ne suis sûr de rien. Mais je crois me souvenir que l’initiative de cet appel revient à Élisabeth Badinter. Les féministes de l’époque étaient très hostiles au voile : ce qu’elles lui reprochaient d’abord, c’était non sa pudibonderie, mais son obscénité. Les femmes en terre d’islam étaient astreintes à couvrir leurs cheveux pour ne pas éveiller la concupiscence des hommes. Il leur fallait, comme l’écrit Fethi Benslama, occulter les signes maléfiques de séduction dont leurs corps étaient porteurs. Bref, ce que le voile ou le foulard islamique, comme on disait à l’époque, avait de révoltant, c’était de réduire les femmes et les jeunes filles à l’état d’objet sexuel. Autant que le défi à la laïcité, cette réduction était jugée insupportable.
Alors que Lionel Jospin, encouragé par David Kessler, décidait de laisser les chefs d’établissement se débrouiller avec le voile, vous parliez du « Munich de l’école républicaine ». Pourtant, il était difficile de savoir, à l’époque, que l’islamisme serait le fascisme du xxie siècle. En aviez-vous l’intuition ?
Nous n’étions pas extralucides. Nous regardions autour de nous l’ayatollah Khomeiny régner sur l’Iran depuis dix ans déjà et sa révolution contraignait toutes les femmes iraniennes à porter le tchador. Quelques mois avant notre appel, une fatwa avait été lancée contre Salman Rushdie coupable de « blasphème ». Devant ce grand retour du fondamentalisme islamique, les responsables politiques rivalisaient de couardise. Jacques Chirac, par exemple, mettait sur le même plan l’auteur des Versets sataniques et ceux qui voulaient sa mort. Il était temps de réagir ! Et de rappeler au ministre qui affirmait, la main sur le cœur, « il est exclu d’exclure », qu’« une exclusion n’est discriminatoire que lorsqu’elle vise celui ou celle qui a respecté les règles en vigueur dans un établissement. Lorsqu’elle touche l’élève qui a enfreint ces règles, elle est disciplinaire. La confusion actuelle entre discipline et discrimination ruine la discipline. Et s’il n’y a plus de discipline possible, comment enseigner les disciplines ? »
Quelles ont été, à l’époque, où les réseaux sociaux n’existaient pas, les réactions ? Était-il déjà question d’islamophobie ? Le voile a-t-il tracé une ligne de fracture au sein de la gauche ?
C’est très simple. Nous avions tout le monde contre nous. L’archevêque de Paris s’était mis en colère : « Ne faisons pas la guerre aux adolescentes beurs. Halte au feu ! » Le grand rabbin de France a vu, dans cette demande d’interdiction, une atteinte au libre exercice du culte. La porte-parole des protestants de France a exprimé son inquiétude en ces termes : « Notre France assoupie s’éveille pour repartir en guerre contre une religion. Vieille histoire qui devrait rappeler quelque chose aux parpaillots. » Et les clergés ont été rejoints par les « assos ». Le MRAP a fielleusement fait remarquer que d’autres communautés manifestaient leur appartenance religieuse « sans faire l’objet de sanctions », tandis que SOS Racisme, fidèle à son slogan, proclamait : « Aucune sanction ne peut être infligée à des élèves en vertu de leur foi. » Bref, malgré le soutien de Jean Daniel, nous étions très isolés à gauche. Tous les gens « sympas » dénonçaient nos velléités répressives et pensaient avec Edwy Plenel que « le laïcisme intolérant était l’expression d’un déni social : d’un rejet des dominés et des opprimés tels qu’ils sont ». Le mot islamo-gauchisme n’avait pas encore été inventé, mais la chose existait bel et bien.
On ne va plus chercher dans les œuvres ce qu’il en est de nous-mêmes et du monde, on les convoque devant le tribunal des identités
Il a fallu quinze ans pour que soit votée la loi proscrivant les signes religieux ostentatoires à l’école. Mais entre-temps les voiles avaient fleuri dans tous les quartiers où résidaient beaucoup de musulmans. Notre situation serait-elle très différente si Lionel Jospin vous avait écoutés ?
Saisi par Lionel Jospin, le Conseil d’État a estimé que la neutralité dans le service public ne s’imposait pas aux élèves. L’exclusion des jeunes filles a donc été annulée. Autorisation du voile, interdiction du prosélytisme. Avec ce principe bancal, les cas litigieux se sont multipliés. En 2003, Jacques Chirac a donc chargé Bernard Stasi de présider une commission de réflexion sur le principe de laïcité en France. La majorité de ses membres étaient, au départ, favorables à la négociation au cas par cas. Ce qui les a fait changer d’avis, c’est le désarroi manifesté par beaucoup de proviseurs devant la montée du communautarisme en France. Pour enrayer cette fragmentation, il aurait fallu d’entrée de jeu fixer des règles très claires. Affirmer que la France est un pays de mixité, et que l’enceinte scolaire est un espace séparé qui obéit à ses propres normes. « L’École est un lieu admirable. J’aime que les bruits extérieurs n’y entrent point. J’aime ces murs nus », écrivait Alain dans ses Propos sur l’Éducation. Je ne connais pas de plus belle définition de la laïcité. Elle est oubliée et la France se morcelle.
Malgré la loi, l’école est devenue une ligne de front de la guerre que mènent les islamistes contre nous. Diriez-vous que les profs ont capitulé (dans un sondage, plus de la moitié d’entre eux estimait qu’il ne fallait pas montrer les caricatures de Mahomet aux élèves) ?
L’École de la République s’est peu à peu effondrée à coups de notes bienveillantes et de réformes pédagogiques. La gentillesse a eu raison de l’excellence et de l’exigence. Beaucoup de jeunes enseignants sont les produits de cette École éradicatrice du savoir. Ils disposent en outre d’un site d’informations en ligne [1] dédié à la pédagogie antidiscrimination qui les invite à s’auto-diagnostiquer : « Est-ce que je contribue à véhiculer ou est-ce que je combats les stéréotypes concernant les familles populaires sur le fait qu’elles sont “démissionnaires” ou sur le fait qu’elles ne s’occupent pas de la scolarité de leurs enfants ? Est-ce que j’ai conscience que l’évaluation chiffrée produit un stress lié à des menaces de stéréotype et n’est pas favorable aux milieux populaires ? » L’enfer islamo-gauchiste est pavé des meilleures intentions égalitaires.
« Il faut, écriviez-vous, que les élèves aient le plaisir d’oublier leur communauté d’origine et de penser à autre chose que ce qu’ils sont. » Mais aujourd’hui, c’est le ministre de l’Éducation qui demande qu’on écoute les élèves transgenres. Au-delà même de l’identité religieuse et culturelle, ne sommes-nous pas dans un monde où les identités minoritaires ont tous les droits ? Est-il possible de s’y opposer ?
Nous sommes surtout dans un monde qui se croit éveillé à toutes les discriminations et à toutes les injustices. L’ouverture dont les woke se prévalent les ferme définitivement à la transmission. Leurs studies ne sont pas des recherches mais des réquisitoires contre une culture pleine de stéréotypes et de préjugés. On ne va plus chercher dans les œuvres ce qu’il en est de nous-mêmes et du monde, on les convoque devant le tribunal des identités. C’est un renversement fatal.
Affaire des « foulards de Creil », octobre 1989. SIPA.
Aujourd’hui, dans les quartiers islamisés le voile est majoritaire. Ses défenseurs (ou ceux qui s’opposent à toute restriction) assurent que c’est un signe purement religieux qui relève de la liberté de conscience (ou un simple morceau de tissu). Pour beaucoup de Français, il est un symbole politique. Pour vous, de quoi le voile est-il le nom, que nous dit-il ? Et comment distinguer le voile religieux du voile politique ?
Qu’il soit politique, religieux ou les deux ensemble, le voile est l’emblème de la sécession. La femme qui le porte affirme son appartenance à l’islam. Jamais elle ne se mariera avec un non-musulman. La France n’est rien d’autre pour elle qu’une addition de droits.
Que dites-vous aux femmes juives orthodoxes ?
Il n’y en a pas à l’école. Les juifs de manière générale sont, il est vrai, un peuple endogame parce que religieux ou non, ils ne veulent pas que le peuple juif s’éteigne. Il n’en reste pas moins que les juifs ont très majoritairement joué la carte de l’assimilation, que le mariage mixte existe, et qu’ils n’ont nullement l’intention de revenir en arrière.
Que répondre aux femmes (et à la presse anglo-saxonne) qui brandissent nos libertés pour défendre le port du voile ?
Les adversaires de la laïcité à la française n’invoquent plus la loi de Dieu, mais la liberté de conscience. Ils se veulent aussi laïques, même plus laïques que ceux qu’ils combattent. À leurs yeux, notre interdiction des signes religieux à l’École n’est pas sacrilège, elle est liberticide. Dont acte. Notre modèle n’est pas universel. Eh bien, assumons-en la particularité et puisque multiculturalisme il y a, défendons sans vaciller la culture française.
Au-delà de l’école, êtes-vous favorable à son interdiction ?
Non ! Le voile est une insulte faite aux femmes, mais l’interdire dans l’espace public transformerait cet instrument de servitude en étendard de la rébellion.
Malgré tout, la France résiste, y compris la France officielle puisque le gouvernement a protesté contre la campagne du Conseil de l’Europe et obtenu son retrait. Faut-il en conclure que, si vous avez perdu une bataille il y a trente ans, nous n’avons pas encore perdu la guerre ?
Comme l’écrit le sociologue allemand Ulrich Beck, l’Union européenne telle que nous la connaissons a vu le jour pour sortir l’Europe de l’ornière de son histoire guerrière. Elle a été portée sur les fonts baptismaux comme antithèse à l’Europe nationaliste. Elle a voulu rompre avec son passé sanglant en se vidant de tout contenu substantiel. C’est une Europe des valeurs et des normes qui a fait, contre le particulier le choix de l’universel, au lieu de chercher à articuler l’un sur l’autre. Selon la très juste expression de Pierre Manent, « cette Europe démocratique n’est et ne veut être que la pure universalité humaine. Elle ne saurait donc être quelque chose de distinct, elle doit être un rien, une absence ouverte à toute absence de l’autre. » Être soi-même un rien pour que l’autre, n’importe quel autre, puisse être tout ce qu’il est. C’est ce nihilisme qui a inspiré la campagne d’affiches du Conseil de l’Europe : « La diversité c’est la beauté, la liberté est dans le hijab ». Le gouvernement français et le gouvernement allemand ont réagi. Est-ce le signe d’un réveil ou d’un sursaut ? L’Europe post-hitlérienne s’acceptera-t-elle enfin comme civilisation ? Le devoir de mémoire cessera-t-il de se confondre avec l’oubli de tout ce qui n’est pas un crime ? Je l’espère, mais le chemin est encore long.
[1] Conçu par l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation de l’académie de Créteil et l’université Paris-Est Créteil. Il est financé par l’argent public via l’Agence nationale de la recherche
"Burning", film de LEE Chang-dong (2018). Diaphana.
En passe de s’implanter durablement sur le marché mondial du film, le cinéma sud-coréen s’apprête à devenir un véritable concurrent d’Hollywood. Soutenu par les pouvoirs publics, le septième art du Pays du matin calme rêve d’un avenir flamboyant. Entre soft power et potentiel économique de choix, le cinéma sera, sans aucun doute, un moyen de la puissance coréenne. C’est déjà le cinquième producteur mondial. Causeur part à l’assaut d’Hallyuwood, la vague coréenne…
L’année 2022 sera-t-elle une nouvelle fois synonyme de consécration pour le surdoué Bong Joon-ho, enfant chéri du cinéma sud-coréen ? Le réalisateur du multi-primé Parasite a en effet annoncé lors de la dernière édition du Festival International du Film de Tokyo qu’il bossait simultanément sur un long-métrage anglophone, dont le tournage devrait débuter début 2022 à Los Angeles, ainsi que sur son premier film d’animation inspiré de la lecture d’un livre d’images consacré aux créatures marines : « Ces créatures vivent 24 heures sur 24 sans que la lumière du soleil ne les atteigne. Bien qu’elles vivent sur la même planète que nous, nous n’entrons normalement pas en contact avec elles. Mais dans mon film, à la suite d’un certain incident, elles font la connaissance des humains, et c’est là que l’histoire démarre. » Alléchant… Sans compter la prochaine adaptation de Parasite en série pour la chaîne américaine HBO, reconnaissance suprême pour l’enfant de Daegu au pays des Moguls du 7ème art.
Petit retour en arrière, ante-Covid. Comme pour célébrer dignement le centenaire de la naissance du cinéma sud-coréen (The Righteous Revenge, un kino-drama au titre fort explicite passe pour être le premier film du pays réalisé en 1919), 2019 restera à jamais dans les annales du cinéma mondial comme l’année Parasite : Palme d’or au Festival de Cannes, quatre Oscars hollywoodiens dont meilleur film, meilleur réalisateur, César du Meilleur Film étranger…
Le succès viral interplanétaire et inattendu du film-gigogne de Bong Joon-ho semble alors consacrer une certaine « exception culturelle » sud-coréenne incarnée sans complexe par une « Nouvelle vague » talentueuse et désinvolte, bras armé d’un véritable « soft power » national qui tiendrait la dragée haute aux blockbusters américains à prétention hégémonique ainsi qu’aux productions envahissantes de l’encombrant voisin chinois. Après Hollywood et Bollywood pour l’Inde, on parle désormais d’ « Hallyuwood » (Hallyu signifiant vague coréenne) pour désigner le phénomène culturel (musique pop, séries TV) et cinématographique sud-coréen.
Quels sont les ressorts de ce petit miracle artistique et créatif mêlant à plaisir les différents genres cinématographiques et que nous révèle-t-il sur l’état réel de la société sud-coréenne et par ricochet ses connexions avec les mondes occidentaux ?
Ils se nomment Bong Joon-ho (Memories of Murder ; The Host ; Mother ; Snowpiercer ; Okja ; Parasite), Lee Chang-dong (Poetry ; Burning), Na Hong-jin (The Chaser ; The Murderer ;The Strangers), Park Chan-wook (Old boy ; Lady Vengeance ; Stoker ; Mademoiselle), Kim Jee-woon (Deux sœurs ; Le Bon, la Brute et le Cinglé ; J’ai rencontré le Diable ; Le Dernier Rempart) , Yeon Sang-ho (Dernier train pour Busan ; Peninsula) ou encore Kim Seong-hun (Hard Day,Tunnel) et sont devenus ces dernières années les coqueluches des différents festivals internationaux, récompensés pour leur audace graphique et scénaristique ainsi que leur faculté à inventer de nouveaux langages cinématographiques en digérant les grands classiques du cinéma mondial et en mixant intelligemment les genres : thriller, policier, film noir, drame social, comédie, fantastique, épouvante, érotisme… au point de se voir confier les rênes de plus importantes productions internationales (Snowpiercer ; Le Dernier Rempart) ou voir leur film d’origine connaître des remakes américains plus ou moins ratés au contenu forcément édulcoré (Old Boy de Spike Lee, Deux sœurs/ Les intrus de Charles et Thomas Guard…en attendant l’inévitable remake de Parasite, en série cette fois sur HBO).
« Memories of Murder », 2003
Le cinéma comme « soft power »
C’est peu dire que le pays du Matin calme (littéralement « Matin frais »), expression impropre que l’on prête aux missionnaires européens du XIXe siècle en référence à la longue période de prospérité de la dynastie Joseon (1392-1910), a connu un XXe siècle tragique et mouvementé : occupation japonaise de 1903 à 1945 et son cortège d’exactions et de violences, effets collatéraux de la Deuxième Guerre Mondiale immédiatement suivie par la fratricide guerre de Corée (1950-1953) et une traumatisante partition du pays, dictature militaire et répressive des années 60 et 70, modernisation du pays (futur « Dragon ») à marche forcée avec ses cohortes de laissés-pour-compte du miracle économique, crise financière asiatique de 1997, corruption et scandales politiques des années 2000… autant de marqueurs forts dans l’inconscient culturel et artistique d’une nation parfois vacillante, contrainte de se livrer à un lourd travail introspectif depuis plusieurs années.
Parce que la culture a très tôt été perçue comme un efficace instrument de « soft power » par les différents régimes successifs de Séoul, que ce soit durant la longue période autoritaire et nationaliste ou depuis le rétablissement de la démocratie à la fin des années 80, la production cinématographique domestique a bénéficié de puissantes lois protectionnistes destinées notamment à la protéger contre l’ogre américain.
Ajoutons à cela que depuis la décennie 90, les artistes jouissent d’une certaine liberté d’expression créatrice, fort appréciable dans un pays asiatique aux rapports complexes avec le respect des libertés individuelles, tel que l’on peut l’entendre en Occident.
On se plait souvent à rappeler la fameuse phrase de l’ancien Président Kim Dae-jung (1998-2003) : « Offrez un soutien financier aux artistes, mais surtout n’intervenez jamais dans leur travail. Dès que le gouvernement interfère, les industries créatives se brisent. »
Et de soutien, il en est largement question dans un pays à la fibre nationale (nationaliste ?) prononcée. L’industrie cinématographique est ainsi fortement aidée depuis les années 90 par les chaebols, ces grands conglomérats sud-coréens (Daewoo, Hyundai, Samsung, CJ Group, Orion, Lotte) ainsi que par les fonds d’investissement et les sociétés de capital-risque, ce qui contribue aujourd’hui à faire du pays le cinquième producteur mondial de films.
Sans oublier le rôle proactif joué par le KOFIC (Korean Film Council), lancé en 1999 par le gouvernement et largement inspiré du système français (où l’on parle également beaucoup de la fameuse « exception culturelle ») afin de soutenir et promouvoir son cinéma sur le marché national et à l’étranger : bourses, subventions, soutien des activités de R&D, appui aux productions indépendantes et aux salles d’art et d’essai.
«Pas de culture, pas de pays », tel était le slogan marketing promu en 1995 par le géant de l’agroalimentaire CJ Group, lié à Samsung. L’ensemble du système d’acteurs locaux a bien intégré et retenu la leçon…
Une « Nouvelle vague » douée et inventive
Dans le sillage des illustres précurseurs qui ont ouvert la voie (et porté la voix) (Kim Ki-Young, Im Kwon-taek), la Corée du Sud peut se targuer d’avoir enfanté ces deux dernières décennies de nombreux talents dont les films, perspicaces, frais, originaux, authentiques et -plutôt- radicaux sont généralement mondialement salués par la critique et le public.
Ces cinéastes francs-tireurs, éclectiques et brillants, portent un regard à la fois poétique et sans concession sur l’état de leur société et au-delà du monde, tout en ayant assimilé les grands classiques du 7ème art.
Leur terrain de jeu de prédilection consiste à dynamiter les genres et accoucher de nouveaux langages cinématographiques tantôt syncrétiques, tantôt disruptifs, toujours surprenants, a fortiori pour le spectateur ouest-européen qui n’est pas forcément habitué à ce maelström d’images et d’arcs narratifs.
Ce mélange des styles et des ambiances rendant merveilleusement compte du brouillage et de la porosité des frontières entre les notions de Bien et Mal, réalité/illusion, lumières/ ténèbres, civilisation/barbarie, « mainstream »/marges n’est pas sans rappeler le moment-charnière d’ébullition représenté par le Nouvel Hollywood outre-Atlantique du début des années 70.
Deux exemples évocateurs parmi tant d’autres avant de s’attarder plus longuement sur le magnum opus de Bong Joon-ho.
The Strangers est le chef d’œuvre inclassable et d’une durée hallucinante pour un film de genre (2h36 !) réalisé par Na Hong-jin (2016), déjà remarqué pour ses déconcertants et très nerveux TheChaser et The Murderer. Son film, qui présente une certaine filiation avec le Memories of Murder de Bong-Joon-ho, propose des changements de ton délicieux mais déroutants, baladant sournoisement le spectateur hagard, entre thriller psychologique, conte macabre, film « ruraliste », drame familial, film de possession et de zombies et bien entendu féroce satire sociale.
Il réussit à digérer sans jamais plagier ni moquer quantité de films-étalons du genre (La Nuit des Morts-vivants de George Romero, L’Enfer des zombies de Lucio Fulci, L’Exorciste et Killer Joe de William Friedkin, Jeeper Creepers de Victor Salva, Cabin Fever de Eli Roth, Ring de Hideo Nakata et bien d’autres), tout en créant une œuvre personnelle, singulière et unique.
Mais qui sont alors ces « étrangers » contenus dans le titre du film ? Un mystérieux ermite japonais cristallisant la haine de tout un village, un chaman au look seventies dont les transes semblent engendrer la fabrication d’un remède pire que le mal qu’il est censé combattre ? Un jeune diacre catholique hésitant et faible ? Une jeune femme spectrale drapée de blanc immaculé mystérieuse et insaisissable ? Féroce critique de l’effritement des institutions et des valeurs de la société sud-coréenne (abaissement du statut du père, du flic, propagation des superstitions villageoises et animistes, succès mercantile de breuvages censés être miraculeux…), le film se veut une extraordinaire invitation à un voyage pluvieux, poisseux, boueux, purulent et méphistophélique qui finit par mettre le spectateur K.O. dont l’unique salut consistera à des visionnages répétés afin d’en saisir toutes les complexités et nuances.
Na Hong-jin réussit le tour de force dans son dernier acte de faire basculer son film dans une dimension métaphysique en abordant frontalement et sans complexe les grands thèmes nord-américains chers à Friedkin et Carpenter sur la propagation inexorable du Mal et sa radicalité intrinsèque absolue, ex-nihilo, en dehors de toute tentative d’explication scientifique et rationnelle. À revoir d’urgence aujourd’hui.
Autre film magistral, en apparence plus apaisé et éthéré qui aurait sans doute mérité la Palme d’Or à Cannes en 2018 (à la place d’Une affaire de famille du Japonais Kore-eda au traitement plus classique et convenu…) l’incendiaire Burning de Lee Chang-dong.
Burning de Lee Chang-dong (2018)
Un temps ministre de la Culture et farouche militant anti-dictature durant ses jeunes années d’étudiant, Lee Chang-dong, déjà réalisateur du magnifique Poetry, livre un thriller psychologique troublant et hermétique, posant patiemment les pièces d’un énigmatique puzzle sur un trio amoureux de jeunes adultes, aux personnalités très différentes, condamnés à une fin (forcément ?) tragique. Haemi (Jeon Jong-seo) est cette fille un brin aguicheuse, anciennement complexée par son physique et désormais esthétiquement refaite, passionnée par le mime et les jeux d’illusion (étrange affection pour son maudit chat qui n’apparaîtra finalement jamais…) ; Jongsu (You Ah-in), le grand garçon timide et sensible, fils d’un agriculteur sénile et violent envers les autorités, livreur à mi-temps et aspirant écrivain ; enfin Ben (épatant Steven Yeun), le séduisant et magnétique Gatsby local dont l’arrogance et les signes extérieurs de richesse suscitent fascination et malaise…
Quelque part entre Claude Chabrol, François Truffaut, Louis Malle, Alfred Hitchcock, David Lynch et bien-sûr William Faulkner puisque le film est indirectement inspiré de sa nouvelle Barn Burning (L’incendiaire, 1939), Lee Chang-dong évoque les mystères du désir, les affres de la sortie de l’innocence juvénile pour l’entrée dans le ténébreux monde adulte tout en se livrant à une critique sociale et politique des plus acerbes : règne des apparences et des illusions, jeunesse déboussolée et velléitaire, frénésie d’une société d’hyperconsommation engendrant frustrations et exclusions, notamment dans une Corée des marges, périphérique et rurale, violence dans les rapports de classes, extrême sévérité des juridictions locales, paranoïa vis-à-vis de l’invisible voisin nord-coréen, alertes sur un environnement naturel massacré… Autant de thèmes corrosifs politiquement forts que l’on va retrouver dans l’opus désormais culte du multi-récompensé « King » Bong Joon-ho.
Jong-seo JUN dans « Burning », film de LEE Chang-dong (2018). Diaphana.
Fractures et panne de l’ascenseur social
« Il y a dans ce pays une fracture sociale » annonçait prophétiquement feu le candidat Chirac au cours de la mémorable campagne présidentielle de 1995. Le même constat est dressé avec froideur et fatalité mais aussi ironie et touches burlesques par le réalisateur de Parasite qui rappelons-le, a réalisé un cursus en sociologie à l’Université Yonsei de Séoul avant de se lancer dans le cinéma. Qui plus est, il est également le petit-fils du célèbre écrivain Park Tae-won, promoteur dans ses œuvres d’idéaux progressistes et communistes avant de passer carrément au Nord et de devenir professeur à Pyongyang après la partition du pays de 1950. Un héritage familial qui compte dans une carrière d’artiste et d’intellectuel.
Dans son film, deux familles archétypales, les richissimes mais engoncés Park et les sous-prolétaires mais rusés Kim apparaissent ainsi comme deux camps, deux blocs irréconciliables, vivant -c’est le cas de le dire- dans deux mondes très différents, condamnés à se « parasiter » mutuellement jusqu’à l’annihilation… S’il n’y avait cette mince lueur d’espoir final qui fait définitivement basculer le long-métrage dans une dimension de conte poétique et fantastique.
L’ensemble du métrage qui se veut puissamment métaphorique (ce mot est opportunément prononcé à plusieurs reprises par les protagonistes) est avant tout basé sur une série de contrastes (en termes de couleurs, odeurs [probablement jamais un film n’aura été aussi olfactif !], espaces, architectures, postures, vocables…). De nettes oppositions caractérisées qui ont l’apparence d’une fausse simplicité confinant à la caricature sociale.
Tout n’est que masques, impostures, faux-semblants et finalement affaires de perception(s). Impossible pour les spectateurs français que nous sommes de ne pas penser au cinéma d’Henri-Georges Clouzot et surtout de Claude Chabrol, notamment aux films Que la bête meure et La Cérémonie (influences directement revendiquées par Bong Joon-ho). D’aucuns citeront également le film séminal La Servante du pionnier et mentor sud-coréen Kim Ki-Young qui a inspiré toute cette nouvelle vague sud-coréenne, Affreux, sales et méchants d’Ettore Scola, L’Argent de la vieille de Luigi Comencini ou encore The Servant de Joseph Losey.
C’est cette radicalité dans la division des classes et dans l’exacerbation des rapports dominants-dominés qui a pu choquer en Corée certains spectateurs et surtout les autorités publiques à la sortie du film et même après le sacre cannois. Il convient de se souvenir aujourd’hui que le retour du réalisateur prodige dans son pays au printemps 2019 n’a pas forcément déchaîné l’enthousiasme parmi les autorités locales et les représentants du gouvernement qui ont cru trop bien saisir le message social de son brûlot !
Ce qui peut également déconcerter et brouiller toute lisibilité du message, c’est l’absence de solidarité entre les « pauvres/ opprimés » puisqu’on les voit se battre entre eux de manière véhémente, annulant toute lecture marxisante du film. Contrairement aux écrits de l’auteur du Capital et à tous ses épigones, la progression de la dialectique maitres-esclaves ne débouche pas forcément sur l’affranchissement du peuple travailleur et désaliéné, libéré de ses chaînes de servitude. Le réalisateur choisit de renvoyer dos à dos et dans les cordes tout le monde, riches, pauvres, ambitieux, frustrés, arrogants, dupes, madrés… D’où ce sentiment de résignation et de « tristesse » (au-delà de la « colère » c’est le mot employé le plus souvent en interview par Bong Joon-ho) devant une société définitivement bloquée et verrouillée.
La puissance symbolique du film réside justement dans la portée universelle du traitement de ces thématiques, ce qui est un marqueur fort de la majorité des œuvres réalisées par cette nouvelle génération sud-coréenne. Bien qu’inspirées par des histoires ou faits divers locaux, les trames narratives de ces auteurs sont susceptibles de concerner les sociétés occidentales, plus que jamais proches cousines du Pays du Matin calme. Il est insolite et révélateur de constater que la Corée du Sud est parfois située dans la catégorie « sociétés occidentales » en termes de classement mondial pour les indicateurs économiques et industriels.
Autrement dit, un même film aurait très bien pu être réalisé en France si l’on avait un Bong Joon-ho aussi talentueux et audacieux. La Corée du Sud… miroir grossissant des tares du système libéral et capitaliste mondialisé ?
Familles dysfonctionnelles et jeunesse fascinée par le dieu « Dollar »
Tout le cinéma du surdoué Bong charrie ces histoires de familles déstructurées, atypiques, dysfonctionnelles, frappées au cœur par la brutalité et le caractère discriminant et exclusif des mouvements accélérés de la société sud-coréenne, plus que jamais engagée dans la bataille mondiale de la compétitivité et de l’innovation économiques et technologiques.
La fascination pour l’Amérique matérialiste, consumériste, cupide et hyper connectée (« le Dieu Wi-Fi » tant exaucé), la quête de la réussite individuelle coûte que coûte, l’ahurissante spéculation immobilière (ô combien palpable dans Parasite) ainsi que le manque d’empathie entre classes et entre individus sont clairement brocardés dans le film. Ces valeurs viciées entraînant d’importantes dérives paraissent à l’opposé du socle culturel et philosophique ancestral sud-coréen assis sur les diverses « voies de la sagesse » confucéenne, shintoïste, bouddhiste et taoïste.
On ne le perçoit pas forcément en Occident à l’heure de la K-Pop mondialement triomphante, mais 75% des jeunes Coréens, chiffre hallucinant, disent souhaiter quitter la Corée pour aller vivre à l’étranger. Il y a ceux qui sont totalement largués par la modernisation à outrance du pays et le rythme « compétition non-stop » imposé par les « premiers de cordée » et ceux fascinés par une Amérique du Nord mythifiée, Eldorado des temps modernes tout en présentant l’avantage d’offrir un système social global plus souple, moins sévère, respectant davantage les droits des individus, contrairement à l’État omnipotent sud-coréen, trop perçu comme le Big Brother avide d’un contrôle permanent des foules. Rappelons que la Corée du Sud a le taux de suicide le plus élevé parmi les membres de l’OCDE (en moyenne 26 personnes sur 100 000, soit plus de 36 suicides par jour !).
C’est un peu la face sombre de cet Hell Chosun comme disent ces jeunes en guise de mépris pour qualifier cette société honnie, en référence à la dernière dynastie coréenne féodale hyper hiérarchisée et sclérosée, dans laquelle seul le rang importait, au-delà donc des compétences et aspirations des individus. Déjà l’introuvable ascenseur social…
Film foncièrement politique, Parasite, au-delà de toutes les récompenses glanées dans les plus belles compétitions mondiales, a réalisé l’exploit de faire bouger le gouvernement coréen sur le mal-logement et l’insalubrité sociale, dans la mesure où Séoul a décidé d’octroyer une aide financière conséquente à chacun des 1 500 ménages du pays qui vivent dans des logements de ce type (financement de travaux permettant d’améliorer l’éclairage et la ventilation mais aussi isolation des murs durant les périodes d’inondations, particulièrement fréquentes durant l’été). D’après les chiffres officiels, près de 383 000 appartements similaires à celui des Kim, mis tristement en lumière dans le film, seraient occupés par des familles « précaires » ou des étudiants. Bong… futur ministre à l’instar d’un Lee Chang-dong ? Attendons un peu.
Urgence Ecologie !
C’est un doux euphémisme que de prétendre que le cinéma de Bong développe une conscience écologique prononcée. De la description d’un monde absurde « glacé » post-apocalyptique acculant les rares survivants à (sur)vivre dans un train roulant continuellement (Snowpiercer) à la créature mutante issue des déchets radioactifs de l’armée américaine (The Host), au gros cochon sympathique nourri aux hormones par une multinationale américaine (encore !) avide de business en dehors de toute éthique (Okja) et jusqu’au déchainement des éléments climatiques dans Parasite (pluies, inondations, tonnerre, tempêtes), Bong se mue en grand lanceur d’alerte (imprécateur ?) des catastrophes à venir…
Il n’est d’ailleurs pas anodin de constater que le « Ciel » se déchaîne lorsque la famille « parasitaire » pense pouvoir sereinement profiter de la villa des riches, se soûlant dans le salon en regardant, tel un spectacle grandiose, les éclairs à travers l’immense baie vitrée à la transparence resplendissante. C’est justement à ce moment-là, sous une pluie battante, que sonne à la porte l’ancienne gouvernante dans le but de se rendre à la cave de la propriété en invoquant de mystérieuses raisons. Ce qui fait ipso facto basculer le film dans une autre dimension, beaucoup plus ténébreuse et violente, et accélérer la dynamique narrative.
Une fois de plus, les hommes, riches ou pauvres, ne peuvent rien face aux éléments irrationnels naturels dont le rôle sera peut-être de rétablir in fine un nouvel ordre social, fût-il post-apocalyptique.
Apocalypse ou pas, la Corée du Sud, dans sa version « ciné », ferait peur aux présidents américains… « Ils nous tuent dans le commerce, vous savez, puis ils remportent l’Oscar pour un film flippant ! » aurait tonné l’ancien président américain Donald Trump le soir de la fameuse cérémonie hollywoodienne le 9 février 2020. On ne sait encore si Biden est cinéphile… Comme il paraît loin le temps où un Kim Youg-sam, alors à la tête de l’Etat sud-coréen se pâmait devant le succès phénoménal de Jurassic Park (1993) du golden boy Spielberg en faisant remarquer que les recettes du film équivalaient à la vente de 1,5 million de voitures Hyundai. D’où la décision immédiate de transformer le cinéma du pays en véritable arme économique…
Alors près de trente ans plus tard… Bong Joon-ho à la tête de cette épatante « Nouvelle vague », serait-il le futur Spielberg d’un pays, actuellement au 12° rang mondial (PIB), qui n’a peut-être pas fini de surprendre la planète ciné en continuant à enfanter des œuvres authentiques et fortes à l’impression de « jamais vu » ?
La Fédération Internationale de handball essaye d’abattre le machisme – mais pas trop non plus…
Début octobre, la Fédération internationale de handball (IHF) a modifié son règlement sur les tenues portées par les beach-handballeuses. Celles-ci se voyaient jusqu’alors obligées de disputer les matchs en bikini. Mais au cours du dernier championnat d’Europe féminin qui s’est déroulé au mois de juillet, les handballeuses norvégiennes, refusant de se plier à la règle, avaient arboré des shorts lors du match contre l’Espagne pour la médaille de bronze.
Elles ont donc écopé d’une amende de 1 500 euros infligée par la fédération. Qui a déclenché quelques réactions indignées. « Que de changements d’attitude sont nécessaires dans l’univers international macho et conservateur du sport », a même tweeté le ministre norvégien de la Culture et de l’Égalité, Abid Raja. L’IHF, consciente du problème, a donc décidé de réagir. Grâce au nouveau règlement, les joueuses pourront porter des shorts. Mais la fédération, craignant probablement pour l’attractivité du handball de plage féminin – discipline peut-être en manque de prouesses sportives spectaculaires ? – a spécifié que ces shorts ne seraient autorisés qu’à condition qu’ils soient courts et « serrés », tandis que ceux des joueurs masculins ne doivent être que « pas trop amples ». Chacun pourra se figurer la nuance entre un short féminin « serré » et un short masculin « pas trop ample ».
Quoi qu’il en soit, espérons que le conservatisme macho finira par disparaître du sport international. Avec un peu de chance, nous pourrons assister dans quelques années à des matchs de beach-handball féminin en burkinis non binaires. Mais à condition qu’ils soient serrés.
D.R.
Norway's women's beach handball team was fined €1,500 for refusing to wear bikini bottoms at a European championship game.
Men wear shorts but IHF rules say women "must" use bikini bottoms, despite players saying that bikini bottoms are restrictive and uncomfortable to play in. pic.twitter.com/VwP2cxAE1H
Plaidoyer pour le retour de la France a-raciste que nous aimons. Comme l’impossible, le racisme n’est pas français !
Quand les activistes de SOS Racisme se sont levés et dévoilés en hommes et femmes banderole pour afficher « non au racisme » et pour perturber le meeting d’Éric Zemmour, il y avait mieux à faire que les rejeter à coups de pieds. On pouvait aussi les rejoindre !
On pouvait être plus malin que les adversaires, faire semblant de ne pas comprendre les intentions malignes, les prendre au mot, les rejoindre donc, les acclamer, les remercier, les étreindre et scander avec eux l’un des mots d’ordre de la reconquête. Non au racisme. Le zemmourisme n’est pas un racisme, parce que comme l’impossible, le racisme n’est pas français.
Monsieur Sopo, nous adhérerons à SOS Racisme quand on ajoutera un « s » à « racisme » !
On pouvait par exemple improviser un « x » et un « s » et s’intercaler poliment et malicieusement entre les agitateurs, juste après le « au » et après le « racisme » pour rappeler que les racismes sont aussi divers que les Français.
On en aurait profité pour expliquer le slogan amélioré et ajusté en dénonçant les racismes nouveaux qui s’insinuent entre les pavés des « bonnes intentions » qui mènent en enfer. Le racisme de la discrimination positive qui humilie l’individu, qui lui fait savoir qu’il a plus de chances avec sa couleur qu’avec ses compétences. Le racisme de la ségrégation positive que l’UNEF cautionne en organisant des réunions non mixtes. Le racisme d’Audrey Pulvar, proche d’Anne Hidalgo qui dit aux blancs qu’il y a des lieus où ils feraient mieux de se taire. Le racisme toléré de ces Français qui font des listes de docteurs « racisés » parce qu’ils ne veulent plus être soignés par des médecins blancs, ou qui pratiquent la préférence épidermique en n’achetant plus que dans des boutiques tenues par des commerçants noirs. Le racisme ordinaire du type qui appelle un inconnu « frère » ou « cousin » parce qu’ils ont la même couleur de peau ou la même religion. Le racisme répandu de la racaille qui harcèle les filles et qui les traite de sales putes blanches ou françaises quand elles passent leur chemin parce qu’elles n’ont pas envie de se faire draguer par Néanderthal. Le racisme archaïque qui vient du tiers monde et qui se répand en banlieue, totalement décomplexé, et tellement ignoré par les associatifs de l’agitation et de la délation.
Les journalistes ravis de l’incident de Villepinte
On aurait précisé aux journalistes bien-pensants et mal intentionnés qui sont à présent ravis de tenir et de brandir la preuve que « Zemmour attise la haine » et « fracture la société », que c’est le multiculturalisme qui est un racisme. C’est le modèle du Wasp américain ou du gentleman anglais qui laisse au Mexicain ou au Pakistanais immigré toute liberté de vivre selon ses coutumes et dans sa langue natale parce qu’il est fermement convaincu que quoi qu’il fasse, le Mexicain ou le Pakistanais ne deviendra jamais vraiment Américain ou Anglais.
On aurait démontré que les vrais ennemis du racisme ne sont pas ces communistes du 21ème siècle, ces associations subventionnés, ces officines surarmées d’avocats qui comptent les blancs quand ils plaident, qui harcèlent judiciairement ceux qu’ils échouent à battre politiquement, ces héritiers de Sartre qui nous répètent que si nous ne sommes pas intimidés par leur propagande, nous sommes des chiens.
L’assimilation est une main tendue
On aurait ajouté comme le premier intervenant du meeting, élu de Seine-Saint-Denis, Français de branche aux parents nés ailleurs, que l’assimilation est une main tendue, un cadeau unique au monde, une fraternité réelle et sincère et que la France qui enseignait à ses enfants de toutes les couleurs « nos pères les Gaulois » et qui offrait ses ancêtres en partage avec les nouveaux venus était plus exigeante et plus généreuse, mais moins raciste que celle que défendent Dominique Sopo ou Rokhaya Diallo.
On aurait conclu qu’avec Éric Zemmour, la France qui ne veut pas voir la couleur des gens, qui se fiche de leurs différences et qui se construit avec ce qui leur est commun, la France a-raciste est de retour.
On aurait ainsi donné aux électeurs inscrits que la violence effraie d’autres images que celle désastreuse du coup de poing d’un garçon dans la figure d’une fille, scène pénible qui rapproche n’importe quel Français catholique, bien élevé et cultivé, de Joey Starr.
Incident important dans la salle.
Plusieurs personnes sortent des t-shirts « Non au racisme. »
La Pologne résiste. La Pologne conteste. La Pologne insiste. La Pologne est seule au monde!
La Pologne affirme ses vérités, coûte que coûte, sans trop réfléchir aux conséquences. Elle assume parfaitement être un pays anti-immigration, anti-LGBT et antiavortement. Elle s’oppose au principe de primauté du droit européen sur ses lois nationales. Elle ignore les consignes de Bruxelles pour l’exploitation de Bialowieza, l’une des dernières forêts primaires du continent.
La Pologne ne se reconnait plus dans les Démocrates américains et leur wokisme ambiant
Elle veut aussi écrire sa propre histoire de la Seconde Guerre mondiale, en adoptant en 2018 une loi qui punit ceux qui feraient allusion à une responsabilité quelconque de « la nation ou de l’État polonais » dans les crimes commis par l’Allemagne nazie. Le texte a toutefois été amandé quelques mois plus tard, après que le gouvernement ait essuyé les foudres du gouvernement israélien.
Le prix de la liberté
Cette liberté politique, idéologique ou historique que le pays veut conserver à tout prix lui revient cher. Financièrement tout d’abord : 1 million d’euros par jour pour ne pas avoir obtempéré à la Cour de Justice de l’Union Européenne, 100 000 euros d’astreinte par jour en cas de nouvel abattage de bois de Bialowieza, et 353 millions d’euros pour la construction du mur sur sa frontière avec la Biélorussie, suite à la récente crise des migrants. Une construction que le gouvernement polonais entend financer de sa poche, pour ne surtout pas tomber dans un piège de coopération européenne, qui demanderait en échange d’une aide fincancière des efforts en vue de se conformer avec des principes, avec une foi…
Car la Pologne reste un pays catholique, fidèle aux fondamentaux chrétiens. À l’héritage de son fils chéri devenu Pape, Jean-Paul II. Celui qui il y a 17 ans à peine avait écrit dans son ouvrage Mémoire et Identité à, propos des mariages homosexuels : « Il est légitime et nécessaire de se demander s’il ne s’agit peut-être pas d’une composante d’une nouvelle idéologie du Mal » …
Le monde a bien changé depuis, le nouveau Pape François milite ouvertement pour les causes progressistes ou LGBT. La Pologne va-t-elle rompre avec Vatican, comme elle se coupe de toutes les sources qui menacent son identité ? Même les États-Unis, allié vital et garant de la survie nationale face à l’éternel ennemi russe, ne trouvent plus grâce à ses yeux. Après quatre ans d’osmose parfaite avec Donald Trump, Varsovie a été parmi les dernières à féliciter Joe Biden pour son élection. Avant de trainer les pieds pendant de longs mois pour la nomination du nouvel ambassadeur américain en Pologne, pour finalement accepter un certain Mark Brzezinski, qui, possédant la double nationalité, américaine et polonaise, se retrouve de fait non éligible pour être ambassadeur dans son propre pays ! Pourtant, Mark est le fils de Zbigniew Brzezinski, le plus puissant homme politique américain d’origine polonaise des cinquante dernières années, Conseiller à la Sécurité nationale du président démocrate Jimmy Carter et fervent défenseur de la Pologne face au communisme, sans qui l’union des syndicats Solidarnosc n’aurait jamais vu le jour.
Une nation habituée aux traumatismes
Mais la Pologne ne se reconnait plus dans les Démocrates américains et leur wokisme ambiant. Elle n’a pas d’autres héros pour remplacer ceux de toujours, pas d’autres cultures à promouvoir à la place de la sienne. Pourrait-elle tenir longtemps sans cordon ombilical de l’Amérique ? L’histoire a vu souvent cette terre devenir une monnaie d’échange dans les grands enjeux géopolitiques. Parfois ce jeu a tourné en sa faveur. Comme avec Napoléon qui a recréé en 1807 le duché de Varsovie, une illusion d’autonomie dans le Grand Empire français. Et surtout, en 1918, quand le Maréchal Pilsudski a arraché des vastes territoires à la Russie post–tsariste déboussolée et à l’Allemagne à genoux, défaite dans la Grande Guerre. Mais les mouvements stratégiques des grandes puissances voisines lui ont souvent aussi été fatals ou dévastateurs. En 1939 notamment, quand le pays a été partagé, tel du vulgaire gibier de chasse, entre les deux ogres les plus cinglés de l’histoire, Hitler et Staline.
80 ans plus tard, la Pologne a-t-elle pu tourner la page de ce double traumatisme germano-soviétique ? Nous allons finir par le savoir. En attendant le pays se barricade. Contre les menaces territoriales sur son flanc oriental. Pour protéger son intégrité culturelle sur sa frontière occidentale. Dans un nouveau monde qui écrase sur son passage tous les murs-porteurs d’antan, la Pologne se veut une petite arche espérant être sauvée du déluge.