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Comment gâcher son dimanche?

Nos journalistes ont préféré le meeting de Villepinte à celui de Jean-Luc Mélenchon


Comment gâcher son dimanche?
5 décembre 2021 © ISA HARSIN/SIPA WITT / ACCORSINI/SIPA

Pendant que Zemmour réunissait ses soutiens et un public monstre à Villepinte, Causeur s’est aussi glissé à la réunion de Mélenchon à la Défense…


Comment gâcher son week-end ? Il y a quelques semaines, une amie, enthousiaste, me propose d’aller voir le meeting de Jean-Luc Mélenchon. Je suis tiraillé : je sais que celui de Zemmour  tombera au même moment, et correspond beaucoup plus à mes propres inclinations ; mais l’idée de m’infilter en territoire hostile (et de m’adonner au difficile exercice de penser contre moi-même) m’excitait un peu aussi.

Après quelques heures de car entourés de boomers déçus par le PS, de retraités de la fonction publique et de futurs retraités de la fonction publique, et malgré une organisation chaotique, nous parvînmes enfin à atteindre l’Arche de la Défense. A la tribune, on découvre un aréopage de 200 personnalités, allant de Bruno Gaccio (qui a tout raflé a l’applaudimètre, signe que les amis de Dieudonné sont bien reçus ici) à Aurélie Trouvé, ancienne co-présidente d’Attac. 

Tous ensemble tous ensemble, ouais !

Voilà le nouveau gadget de la mélenchonie : le Parlement de l’Union Populaire, soviet constitué en priorité de gens d’accord entre eux. Bouillant partisan du passage à la VIème République et pourfendeur de la monarchie présidentielle (comme Mitterrand avant 1981), l’ancien sénateur PS est bien décidé à nous montrer à quel point il la joue collectif. Il faut au moins ça pour nous rassurer après la lecture de La chute de la maison Mélenchon de Thomas Guénolé (2019) qui nous racontait le fonctionnement bicéphale et autocratique du parti autour du couple Mélenchon-Sophia Chikirou !

Jean-Luc Mélenchon à l’Espace Grande Arche à La Defense, 5 décembre 2021 © ISA HARSIN/SIPA Numéro de reportage : 01051615_000027

Sur la route qui nous a conduits jusqu’à Paris, l’autre meeting était sur toutes les lèvres. Les partisans mélenchonistes finirent par se l’avouer, dans la grisaille d’un dimanche matin sur une aire d’autoroute entre Le Mans et Chartres : avec 3 000 militants à la Défense contre 15 000 annoncés chez Zemmour, l’impression visuelle allait être défavorable au 20 heures du soir. Zemmour allait même être sur les lèvres du leader insoumis, qu’il allait faire huer, rituel classique dans les meetings. Étonnement, Marine Le Pen a plutôt été ménagée. Peut-être parce que la porosité entre les deux électorats n’est pas si négligeable. 

Un Mélenchon fatigué et pas loin de verser dans le complotisme

On commençait à se demander si Zemmour n’allait pas être le méchant Goldstein de l’après-midi. Finalement, l’intervention du lider maximo n’allait durer qu’une petite heure. La voix est un peu fatiguée dans les premières secondes mais le tribun retrouve rapidement son brio, comme le comédien connaissant un peu trop son rôle pour rater sa prestation. Drôle quand il s’agit de dézinguer ses adversaires, lyrique sur les questions d’écologie, Mélenchon sait manier le grand écart et draguer les antivaccins et les anti-passe tout en prônant une vaccination mondiale gratuite. Il n’est pas très loin du complotisme quand il parle de l’argent fait par les capitalistes grâce aux catastrophes qu’ils ont eux-mêmes entraînées. Il rappelle que si Sanofi n’avait pas renoncé en 2004 à « analyser la famille des coronavirus »,  exercice à l’époque peu rentable, nous n’en serions peut-être pas là aujourd’hui. On cherchera quand même la déclaration du sénateur PS Mélenchon de l’époque sur le sujet.

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En économie, Mélenchon distribuera à tout-va pour l’école et l’hôpital ; à la limite, des gens ont été élus pour leur sérieux comptable et n’ont pas empêché, eux non plus, la dette de s’envoler. Néanmoins, en parcourant le programme prêté généreusement par un camarade dans le car, j’ai été interpellé par une proposition : déblocage d’un milliard d’euros contre le sexisme et les violences sexistes. Je me suis quand même demandé s’il n’y avait pas au sein de cette gauche une mystique du milliard, somme qu’il suffit de débloquer pour régler une bonne fois pour toute un problème vieux comme l’homme. 

Les soupçons d’infiltration islamo-gauchiste de LFI

Sur les questions de laïcité, seule manière quand on est de gauche d’aborder indirectement les questions d’identité, Mélenchon, jadis sur une ligne républicaine classique, a été aujourd’hui plutôt discret. 

On en apprend plus sur les efforts d’infiltration dans son parti en écoutant l’entretien d’Houria Bouteldja, sur une chaîne plutôt confidentielle de la plate-forme Twitch. Très heureuse d’avoir Mélenchon dans son « butin de guerre », elle nous donne une leçon d’entrisme – sans les pudeur de la taqîya –  à faire rougir l’ancien trotskiste. Autrefois « laïcard de dingue », Mélenchon a à ses yeux « fait un choix » – c’est bien ce qu’il nous avait semblé aussi. L’influence de Djordje Kuzmanovic est désormais bien lointaine.

Le meeting avançait, et je n’arrivais pas à être très emballé. Celui donné à Rennes il y a pratiquement cinq ans m’avait laissé meilleure impression. Tout était un peu décevant, même dans les références culturelles ; alors qu’il pouvait encore citer Christine de Pisan et Pic de la Mirandole face à Zemmour fin septembre, il s’est contenté, devant le maire de Stains, d’un éloge du rap et du couscous. Je ne cache pas que je suivais d’un œil le périple de mes petits camarades qui étaient plutôt à l’autre meeting, avec un peu d’envie, l’envie du jeune garçon en sortie scolaire qui sent bien qu’on s’amuse mieux dans l’autre car (voir second texte ci-dessous)

Eric Zemmour à Villepinte, 5 décembre 2021 © WITT / ACCORSINI/SIPA Numéro de reportage : 01051624_000001

A Villepinte, Zemmour n’est pas venu pour faire mue-muse
Le candidat veut « rendre le droit de vote aux électeurs du FN et rendre la droite aux électeurs de LR ».
Pendant ce temps, Eric Zemmour avait donc réuni ses soutiens au Parc des Expositions de Villepinte. En réunissant 13000 personnes dans la salle, le tour de force était réussi. 
Ses adversaires et la « meute » journalistique l’accusent depuis des semaines de ne pas avoir fait sa « mue » de polémiste à candidat crédible à la présidentielle. Mais Eric Zemmour s’en moque, et ne compte nullement mettre de l’eau dans son vin comme le ferait le premier politicard venu – même si on notera qu’il a pris soin de ne pas évoquer Vichy, de ne pas en faire trop sur les prénoms, ou a réaffirmé qu’il tendrait la main aux musulmans qui s’assimilent…
A l’aise sur la tribune, avec des petites lunettes rondes sur le nez pour pouvoir lire son prompteur, le candidat a prononcé un grand discours civilisationnel : « si je gagne, ce sera le début de la reconquête » a-t-il promis au public, pour un pays – le plus beau du monde – « qui a tant souffert ». Faisant scander « ben voyons » à son auditoire en réponse aux accusations en fascisme, racisme ou misogynie qu’il reçoit et récuse, le débutant a conspué journalistes et « politiciens » (Jacques Chirac, Valérie Pécresse ou Emmanuel Macron en particulier en ont pris pour leur grade).
Côté propositions, Eric Zemmour entend s’atteler à la réindustrialisation du pays. Pour y parvenir, il baisse les impôts de production, réserve les marchés publics à l’industrie nationale ou propose la suppression des droits de succession. Au monde ouvrier, il promet une augmentation du SMIC équivalente à un 13e mois. 
« Notre existence en tant que peuple n’est pas négociable » s’agace le candidat qui propose un « serment de Villepinte » au public venu l’applaudir, après avoir promis la suppression du droit du sol ou la sortie du commandement intégré de l’OTAN. S’il est élu enfin, c’est promis, on chassera « dès la rentrée prochaine » de l’école le pédagogisme, l’islamo-gauchisme et l’idéologie LGBT. Quant à l’écriture inclusive, on l’interdira une bonne fois pour toutes. Bref, il fait le combo gagnant pour séduire tous les réactionnaires.
Malgré une bagarre avec des militants infiltrés de SOS Racisme au fond de la salle et l’agression du candidat qui fendait la foule en début de meeting par un badaud, le public est reparti galvanisé et enthousiaste • Martin Pimentel



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