Accueil Site Page 887

Houellebecq, à côté de la vie

0

Anéantir, dit-il. Il est peu de romans, je crois, qui portent des titres à l’infinitif, ce degré zéro du verbe, ce mode de l’impersonnel qui convient si bien à l’univers neutre de Michel Houellebecq. 


“Anéantir” évoque le premier fil du livre, les attentats nihilistes (une épigraphe évoque Netchayev et son catéchisme révolutionnaire), le cyber-terrorisme, puis les attentats avec des victimes réelles. Michel Houellebecq ouvre une voie romanesque à la Umberto Eco, avec cryptogrammes, espionnage, sociétés secrètes et complots. Le lecteur s’attend à un roman à code et à clés, à déchiffrer par une savante herméneutique. Occultisme, ésotérisme, voilà qui est captivant, il y a même des illustrations originales, un peu naïves, qui évoquent satanisme, hérésie et gnose noire. 

Les lecteurs frustrés

Pourquoi, dès lors, dévier, pourquoi Michel Houellebecq abandonne-t-il ce fil rouge exaltant, pourquoi le roman digresse-t-il du terrorisme international à l’intime familial ? Le lecteur, admettons-le, ne peut qu’être frustré par cette digression de cinq cents pages, et par le dévoiement du roman d’anticipation, d’espionnage et d’horreur (avec des clins d’œil à Lovecraft) qui s’ouvre sur la décapitation virtuelle d’un ministre, vers le roman familial. 

A lire aussi: Il raconte quoi, le nouveau Houellebecq?

On peut cependant proposer une interprétation. Le monde de Michel Houellebecq, le nôtre, ne peut plus être déchiffré, il est en deçà ou au-delà de toute herméneutique, de tout décodage. Désenchanté – la langue originale de Max Weber dit “dé-magiqué”–, notre monde ne recèle plus de secret, plus de sacré. Exotérique, profane, et transparent, notre monde n’a plus de sens caché. Nous avons perdu le sens de l’allégorie. Finalement, même les sociétés secrètes sont absurdes, elles n’ont rien à dire ni du Siècle ni du Royaume à venir. Le personnage de Paul Raison est à ce titre parfaitement houellebecquien : personnage conceptuel, incarnation de l’homme moyen, ni médiocre, ni nul, mais moyen, haut fonctionnaire vivant dans l’ombre des Princes, en deuil de l’Eros et de la passion. L’homme d’aujourd’hui, la raison faite homme. 

Un roman mort-né ?

Paul est un homme qui sera passé à côté de la vie, c’est-à-dire de l’amour et de l’exaltation des sens. Un homme anesthésié et anesthétique. Marié à Prudence, son mariage s’est progressivement délité. Le couple vit comme deux colocataires. Au fond, ils ne vivent ni l’un avec l’autre, ni l’un pour l’autre, mais l’un à côté l’un de l’autre. Mais alors ne pourrait-on pas suggérer que cette vie de côté, ou plutôt ce passage à côté de la vie, s’applique au roman lui-même ? Un roman qui passe pour ainsi dire à côté de lui-même : non pas un échec, mais un non-succès. Une potentialité, une virtualité de roman, de même que Paul n’aura eu d’existence que potentielle, potentialité de vie qu’illustre la position fœtale, position préférée de Paul dans le sommeil et dans le coït. Sur le côté, oui, comme si Paul incarnait cette aspiration à revenir au ventre maternel, ce désir, très cioranien, de ne pas être né. Bataille ou Freud diraient : revenir à l’indifférencié. 

Serions-nous alors en présence d’un roman mort-né ? 

A lire aussi: La vie sexuelle et spirituelle cachée de Marcel Proust

Pourtant, tout ne se termine pas là, sur cette virtualité, sur cet embryon littéraire de 730 pages. Michel Houellebecq, en mettant en scène ce personnage qui passe à côté de sa propre vie, offre une fin lyrique et consolatrice. Finalement, il nous montre une naissance. Alors que sa chair pourrit, alors que dévoré par son cancer il pue comme Lazare, Paul connaît la rédemption de sa vie manquée, de sa vie de côté. Car à mesure qu’il se meurt l’amour charnel, voire mystique, renaît. La “profondeur des sexes”, pour parler comme Fabrice Hadjadj, le mystère catholique, à la fois hyper-physique et métaphysique de la chair, est donné dans les dernières pages du livre. Consolation par fellation ? Sans doute, mais le style cru de Michel Houellebecq n’est jamais cruel. Au contraire, le sexe se fait ici soin, et le don d’elle-même de la peu prude Prudence rachète la non-vie de Paul. 

© Thomas COEX / AFP

A lire aussi: Hier le futur

Après une version profane et plate de la mort d’Ivan Illitch (Pourquoi mourir ? Il n’y aura plus rien après, je ne sentirai plus), Michel Houellebecq écrit donc la rédemption par l’union charnelle. C’est ainsi que la pulsion de vie triomphe de la charogne, que ça bande jusqu’à la mort, et que la tumescence du sexe défie le tumulus où le corps pourrira. Au-delà du sexe, Paul jouit enfin de la chair du monde, de la beauté des paysages, d’une lumière dorée sur les collines du Beaujolais, d’une conversation muette avec son père agonisant. La langue de la raison n’a pas le dernier mot, d’ailleurs, la langue organique de Paul est elle-même atteinte par la tumeur et le lecteur s’attend à ce qu’elle finisse par tomber. Plus besoin alors de la parole, le livre peut se clore sur l’entretien silencieux des hommes et sur le chant du monde. 

Anéantir

Price: 15,50 €

60 used & new available from 2,00 €

Les vieux, tu les joues à la hausse?

Le récent scandale des EHPAD prouve les limites d’une société de marché où tout est marchandise.


Le récent scandale qui a touché les EHPAD a forcément quelque chose de bouleversant. Sur le plan humain, bien sûr, où l’idée de voir des personnes âgées et dépendantes, servir de variable d’ajustement pour augmenter les dividendes des actionnaires ne peut que provoquer la colère, mais aussi sur la vision de notre monde par quelques économistes coupés des réalités.

Or gris: l’affaire dans l’affaire

Tous les ingrédients du caractère intrinsèquement pervers et inhumain d’une société de marché sont réunis dans cette histoire, jusqu’à cet ancien dirigeant d’Orpéa qui a vendu ses actions,  590 000 euros tout de même, juste avant que l’affaire n’explose. J’ai entendu beaucoup d’indignations médiatiques de la part des commentateurs. S’indigner, c’est bien. Demander des inspections, c’est bien. Donner des moyens pour ces inspections, ce serait encore mieux. Mais surtout, surtout, s’interroger si les maisons de retraites peuvent être un moyen légitime de faire de l’argent, ce serait parfait. 
Et là, bien peu de propositions.

A lire aussi, Céline Pina: Qui veut gagner des millions?

Depuis longtemps, trop longtemps, les responsables politiques en France n’ont juré que par la privatisation, y compris d’ailleurs à l’époque de Jospin et son célèbre « L’état ne peut pas tout » ou Hollande qui déclarait au début de sa présidence, au Guardian, «  La gauche a gouverné pendant 15 ans, pendant lesquels elle a libéralisé l’économie et ouvert les marchés à la finance et à la privatisation. Il n’y a pas de crainte à avoir. »  Non, pas de crainte, vraiment, se sont sans doute dit le fils ou la fille venant voir leur mère dont la toilette n’a pas été faite depuis des jours et devant un plateau repas composé de nourriture  au rabais.

Religion néolibérale

L’Allemagne, les pays scandinaves, dont on ne peut pas dire qu’ils soient particulièrement bolchéviques, n’ont jamais ne serait-ce qu’imaginé que les structures s’occupant du grand âge soient autre chose qu’un service public. C’est que dans ce domaine comme dans d’autres, la France dont la psyché est colonisée par des penseurs libéraux, s’est mise à croire que le privé est forcément plus efficace, ce qui est faux. On peut s’en rendre compte chaque jour, par exemple avec les entreprises privées qui se sont emparées du marché de l’eau dans de trop nombreuses municipalités, pour ne pas parler des transports en commun. 

Pourtant, au nom de l’Union Européenne vue comme zone de libre échange, ils ne sont pas nombreux les candidats à la présidentielle à ne pas avoir cette religion du privé, surtout les plus sécuritaires, à droite et à l’extrême-droite, qui veulent des places de prison, toujours plus de place de prison, en se disant que finalement, pourquoi ne pas confier ça aussi au privé ? Les États-Unis, ce modèle en la matière, le pratique avec bonheur. Et pourtant, paradoxe, ils n’ont à la bouche que le régalien, c’est-à-dire l’État. Mais dans leur vision du monde, le régalien, cela concerne uniquement la police, et pas la police de proximité, mais celle qu’on force à faire la guerre aux pauvres. 

Il serait temps, pour retrouver les jours heureux, comme dirait Fabien Roussel, de récupérer le régalien, de réinvestir le sens de ce mot pour dire qu’il ne se résume pas à assurer la tranquillité publique, mais aussi à protéger les plus faibles, à tous les âges de la vie et ne pas les laisser dans les mains d’affairistes sans scrupules.

Les derniers jours des fauves

Price: 20,90 €

41 used & new available from 2,33 €

Du plomb dans l’aile

Les avions de la Lufthansa volent sans passagers. La raison? Les règles européennes…


La compagnie aérienne Lufthansa a annoncé que, cet hiver, elle sera contrainte de faire voler plus de 18 000 avions à vide et sans passagers. La raison ? Les règles européennes qui obligent les compagnies à effectuer 50 % de leurs vols afin de conserver leurs créneaux aéroportuaires. L’objectif de l’UE est d’empêcher les compagnies de réserver des créneaux – surtout les plus prisés en début et en fin de journée – non pas pour les utiliser elles-mêmes, mais pour empêcher leurs concurrents de le faire. Avant la pandémie, la règle imposait d’utiliser 80 % des créneaux, mais ce chiffre a été baissé à 50 % pour pallier les difficultés de la reprise post-pandémique. C’est ainsi que Lufthansa se trouve obligée d’assurer la desserte de ses destinations, quand bien même personne ne les fréquenterait.

Le PDG de la compagnie, Carten Spohr, est bien conscient de l’absurdité, qualifiant ces derniers de « vols inutiles » dans une interview à la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Michael O’Leary, le PDG de la compagnie irlandaise low cost Ryanair a riposté, railleur, prétendant que la solution était simple : Lufthansa devrait vendre les sièges de ces vols à bas prix et récompenser les consommateurs européens qui ont financé les 12 milliards d’euros d’aides d’État que la compagnie et ses filiales ont reçus.

En plus de ce non-sens économique, il y a une contradiction flagrante avec la politique écologique de l’Union européenne, dont le projet « Fit for 55 » vise une réduction des émissions de CO2 de 55 % d’ici à 2030. En résumé, les règles européennes plombent le secteur aérien, coûtent cher aux contribuables et sabotent le programme environnemental de l’Europe.

Le 10 avril, les Français invités à ne pas voter avec leurs pieds

Le journaliste politique Jean-Michel Apathie estime sur LCI que Zemmour et ses soutiens, « c’est vraiment Français de chez les Français qui puent un peu les pieds ». De son côté, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin pense que l’élection présidentielle ne sert apparemment à rien, en affirmant sur France info que « pas un Français ne pense qu’Emmanuel Macron n’a pas été un bon président de la République »…


Mépriser le mépris est un devoir démocratique. On est prêt à tout entendre tant, aujourd’hui, la mesure et la décence sont sans cesse dépassées mais tout de même !

Des Français qui puent un peu des pieds…

Quand Jean-Michel Aphatie qualifie Eric Zemmour, les gens autour de lui et ceux qui lui trouvent des qualités comme « c’est vraiment Français de chez les Français qui puent un peu les pieds, on reste entre nous » (voir ci-dessous), on est effaré. Ainsi voilà un homme, une personnalité médiatique qui donne des leçons de morale et de République, qui fait volontiers référence aux années 30 et à leurs dérives honteuses et qui n’hésite pas à traiter ainsi des citoyens dont le seul tort est de ne pas penser, de ne pas haïr comme lui !

Le plus grave est que ce genre de propos est écouté comme s’il relevait encore d’un débat politique et médiatique acceptable alors qu’à mon sens il devrait immédiatement disqualifier qui le profère. J’espère que cette indulgence, cette indifférence ne tiennent pas seulement au fait que la cible est Eric Zemmour même si j’imagine le tollé si les soutiens de Jean-Luc Mélenchon ou de Fabien Roussel étaient qualifiés de la sorte. Eric Zemmour est un ami dont le talent est indéniable mais pour des raisons que je n’ai pas à expliciter en détail ici, je ne voterai pas pour lui et je maintiens qu’il ne sera pas au second tour. Mais je n’ai pas besoin d’une adhésion politique à ce qu’il soutient, développe et propose pour juger scandaleuse l’attaque de Jean-Michel Aphatie à l’égard des Français qui à tort ou à raison sont favorables à sa cause. Voltaire au très petit pied, je considère que j’ai une obligation de citoyen: m’indigner face à un tel mépris. Aussi modeste qu’elle apparaisse dans la multitude des outrances auxquelles tristement on finit par s’habituer, c’est une salissure de plus, encore une pierre jetée dans le jardin d’un monde qui n’a plus d’honneur ni d’allure. Qui ne sait plus dénoncer et contredire sans dévoyer, sans se dévoyer.

A lire aussi: France Inter donne asile aux humoristes belges

Gérald Darmanin à peine plus subtil

Je partage rarement les convictions de Jean-Michel Aphatie mais faudrait-il que je consente à être étiqueté, à cause de cette sympathie très intermittente, comme « un Français de chez les Français qui puent par exemple de la gueule » ? Dans le registre de la vulgarité, aucune raison de se limiter !

Gérald Darmanin, c’est bien sûr plus fin, plus subtil, apparemment moins choquant. Et pourtant ! Le mépris est plus sophistiqué mais il est indéniable. Au fond il ne vise à rien de moins qu’à faire l’impasse sur la démocratie. Quand ce ministre affirme le plus sérieusement du monde que « pas un Français ne pense qu’Emmanuel Macron n’a pas été un bon président de la République », cette manière anticipée de confisquer la liberté et l’imprévisibilité du vote de tous les citoyens est assez hallucinante. Arrogance ou flagornerie ? Par certains côtés cela me rappelle Nicolas Sarkozy laissant entendre qu’Edouard Balladur pouvait être élu au premier tour contre Jacques Chirac ! On a vu la suite…

À lire aussi: Eric Zemmour à Lille: la monnaie de sa pièce

À bien analyser cet incroyable propos de Gérald Darmanin et en créditant ce dernier de sincérité, il signifie que l’élection du mois d’avril sera inutile, superfétatoire puisque, paraît-il pour tous, Emmanuel Macron serait « un bon président ». On pourrait, plutôt que perdre son temps dans cette bagatelle de deux votes classiques, procéder par applaudissement et plébisciter ce président dont le quinquennat démontre, pour Gérald Darmanin, qu’il a été tant aimé, tant apprécié ! Cette absurdité – je crains qu’elle n’ait été pourtant pesée et réfléchie – révèle une étrange conception de la démocratie.

Macron refuserait de débattre avant le premier tour

Hier, comme le cercle de la raison était la propriété exclusive du président, ses affidés n’étaient pas loin d’en tirer la conclusion que tout était réglé avant l’heure et que les Français n’auraient qu’à valider cette évidence. Aujourd’hui, puisque Gérald Darmanin connaît mieux le sentiment des citoyens que les citoyens eux-mêmes, le vote démocratique serait une perte de temps regrettable. N’y a-t-il pas d’ailleurs dans le refus implicite du président de participer à un débat avant le premier tour l’idée qu’il n’aura rien à défendre et à justifier puisque son mandat aura été exemplaire ?

À lire aussi: Mineurs isolés: «Cette condamnation est une monstruosité juridique»

Je ne sais comment la société recevra cette pétition de principe de Gérald Darmanin. En tout cas, le risque existe pour Emmanuel Macron et tous ceux qui préparent et organisent sa campagne – le roi décidera de la date et de l’heure de son annonce officielle – qu’on ait envie de leur donner tort tout simplement parce que le président est si sûr d’être réélu. Rien que pour exister, le peuple pourrait être tenté de se rebiffer. Oui, il faut mépriser le mépris.

Libres propos d'un inclassable

Price: 12,50 €

11 used & new available from 4,96 €

Gustav Mahler est mort!

0

Dans son nouveau livre, l’écrivain autrichien Robert Seethaler évoque le dernier voyage en paquebot de Gustav Mahler. Une rencontre est organisée ce soir, à Paris.


Les mélomanes et germanophiles sont attendus en cette soirée de lundi au Goethe-Institut, à Paris, pour une rencontre avec… Gustav Mahler. Plus exactement avec son fantôme, sous les auspices de Robert Seethaler, auteur autrichien d’un certain renom (Le tabac Triesnek, Une vie entière, Le Champ) dont le dernier ouvrage en traduction française paraît, tout comme les précédents, aux éditions Sabine Wespieser.

Les derniers jours de Gustav Mahler

Ce 7 février, pour présenter Le dernier mouvement à ses lecteurs parisiens, l’écrivain de 56 ans natif de Vienne mais berlinois d’adoption est accompagné par sa traductrice Elisabeth Landes et par le chroniqueur littéraire Pierre Deshusses.

Gustav Mahler (1860-1911), au physique, n’était pas la robustesse même. C’est durant sa dernière visite aux États-Unis, où il dirigeait l’orchestre philarmonique de New-York, qu’il a contracté cette infection fatale, pour succomber, de retour à Vienne, à quelque temps de là, d’une endocardite. Il était âgé de 50 ans à peine. Alma, sa femme, dominatrice et passablement lubrique, le trompait déjà avec l’architecte Walter Gropius. Elle lui survivra jusqu’en 1964, amante du peintre Oskar Kokoschka, puis épouse du romancier Franz Werfel. La plume de Seethaler ne nous la peint pas sous un jour radieux : « L’hiver, Alma prenait un bain tous les jours. Les émoluments de l’Opéra partaient en eau chaude ». Incidemment, il la traite de « garce »…

A lire aussi, du même auteur: Qui a peur de la musique française?

Pour retracer les derniers jours du compositeur, Le Dernier mouvement ne dresse pas, comme on aurait pu s’y attendre, le tableau de bord de son état clinique. Sans emphase, le récit sinue, autour du monologue intérieur du moribond, dans les méandres et les strates d’un passé que l’ultime traversée à bord de l’Amerika, ce paquebot sur le pont duquel il médite et travaille encore, fait ressurgir par bribes : « le chef Gustav Mahler à la réputation mondiale était-il encore la même personne que le jeune directeur récemment nommé à l’Opéra de Vienne qui s’asseyait, jadis, dans ce fauteuil à bascule, sous ce lustre de cristal ? Ou que le petit juif de six ans, un chapeau plat à la main et une expression de tristesse infinie dans le regard, qu’on voyait sur la photo sauvée à l’instant, in extremis, du transfert au garde-meuble d’Alma ? ». Evocation sensible, donc, où l’on pleure l’enfant perdue, Maria, morte en bas âge ; où l’on croise Rodin dans un hôtel Biron alors très dégradé, ou encore Freud, visité pour de courtes heures en Hollande ; où l’on voit le maître diriger « à présent pratiquement sans bouger, à l’exception de sa main droite, qui traçait dans l’air des lignes ténues, et de ses yeux, dont on disait qu’ils étaient comme  charbons ardents pendant les concerts et semblaient lancer des éclairs aux applaudissements, quand les lumières de la rampe s’y réfléchissaient ».  Sous le regard respectueux du garçon de cabine, qui lui donne indéfectiblement du « Monsieur le directeur ». La vie de Gustav Mahler ? « Une course incessante contre la montre ».


Le dernier mouvement

Price: 15,00 €

30 used & new available from 2,17 €

Rencontre avec Robert Seethaler lundi 7 février à 19h. En présence d’Elisabeth Landes et de Pierre Deshusses, modérateur. Goethe-institut Paris. 17, avenue d’Iéna 75116 Paris. Inscription recommandée.

France Inter donne asile aux humoristes belges

0

Avec Laurence Bibot, la maman d’Angèle qui sévit depuis la rentrée chez Charline Vanhoenacker et Alex Vizorek, ils commencent vraiment à nous casser les pieds.


Laurence Bibot est Belge et humoriste. On peut l’entendre sur France Inter, dans l’émission « Par Jupiter » animée par deux humoristes belges, Charline Vanhoenacker et Alex Vizorek. Guillermo Guiz, un autre humoriste belge, a lui trouvé refuge dans l’émission de Nagui sur cette même radio qui semble être devenue une sorte d’asile pour humoristes belges. Ils ont beau être Belges, ces humoristes ont beaucoup de points communs avec les humoristes français de la radio publique : ils sont de gauche, ils sont progressistes, ils ont le cœur sur la main, ils sont payés avec nos impôts, et ils ne sont pas très drôles. Reconnaissons toutefois que Laurence Bibot parvient à être beaucoup plus drôle que Guillaume Meurice ; mais ça, ce n’est pas très difficile : tous les humoristes de France Inter sont beaucoup plus drôles que Guillaume Meurice, tous les humoristes de toutes les radios francophones sont beaucoup plus drôles que Guillaume Meurice, même ma tata Simone ou Jean Lassalle sont beaucoup plus drôles que Guillaume Meurice.

Que des Belges: et la diversité, alors?

Si on veut en croire Laurence Bibot, la scène humoristique française des années 90 était plus vide qu’un meeting d’Anne Hidalgo: « Quand j’étais plus jeune, il y avait en France cinq personnes qui faisaient de l’humour, tous des hommes blancs. Maintenant ça se diversifie et c’est super intéressant » [1]. C’est comme ça dorénavant : les « hommes blancs » d’hier, comme ceux d’aujourd’hui ou de demain, ont interêt à se faire tout petits, quoi qu’ils aient fait, quel qu’ait été le domaine dans lequel ils ont pu exceller, la conquête spatiale, la philosophie, la médecine, la peinture à l’huile, la musique atonale ou l’humour. C’est comme ça dorénavant (bis) : pour que quelque chose devienne « super intéressant » il faut que ce quelque chose « se diversifie » – si ce quelque chose est en plus « inclusif », on atteint alors les sommets de la félicité progressiste.

A lire aussi: France Inter: ras-le-bol de payer pour se faire insulter!

Le contribuable français paie, bon gré mal gré, une redevance audiovisuelle. Celle-ci sert entre autre à rémunérer une humoriste belge pour un court et calamiteux billet hebdomadaire, quatre minutes durant lesquelles elle ricane avec ses compatriotes en comparant par exemple la pâlichonne vie politique de son plat pays natal à… L’homme du Picardie [2], feuilleton français qui, dit-elle, était très français, très ringard et très plat. La preuve : « Il y avait du Christian Barbier »(sic), et « les personnages s’appelaient Thérèse, Yvette et Joseph, ça donne une idée du ton ». Eh oui, chère Laurence Bibot, nous étions en 1968 et les prénoms des Français ressemblaient encore à ceux-là – Thérèse Durtol était jouée par Yvette Étiévant, Joseph Durtol par Christian Barbier, Yvette Durtol par Léone Veron ; on savait ainsi immédiatement sur les eaux de quel pays naviguait le Picardie.

Dans sa dernière chronique (2 février), Laurence Bibot corrobore la thèse du « grand remplacement » : « Pour avoir pris le RER, je confirme que, dans tous les sens du terme, la femme française est colorée, et le chiffre de trois sur quatre ne me semble pas exagéré. » Mais, là où Richard Millet décrit le même RER en en déplorant le « principe évacuateur du peuple français » [3], Laurence Bibot, en bonne bourgeoise bohême progressiste ayant la possibilité d’échapper à la promiscuité multi-ethnique et multiculturaliste, ne cache pas sa satisfaction de voir Paris atteint du même mal que sa région-capitale de la Belgique bientôt entièrement molenbeekisée. Toutefois, la France a encore du retard, sur ce sujet comme sur tant d’autres : le gouvernement belge vient de désigner un ministre de la fonction publique… transgenre. « C’est une première en Europe – chez nous ça ne fait pas débat », claironne-t-elle devant ses compatriotes radiophoniques enjoués, fiers de leur pays qui en remontre à la France pour ce qui est des « avancées sociétales ».

Voici venu le temps des artistes belges arrogants

Les deux enfants de Laurence Bibot sont également « artistes » et sévissent aussi en France. Roméo Elvis Van Laeken (alias Roméo Elvis) est rappeur. Il aurait pu s’appeler Christian Joseph Roméo André Van Laeken mais ses parents ont préféré le prénommer Roméo Johnny Elvis Kiki, persuadés que c’était moins ridicule. Il parle et chante comme n’importe quel autre rappeur, ce qui nous le rend immédiatement antipathique. Angèle Van Laeken, dite Angèle, est chanteuse et féministe. Elle écrit des chansons contre le sexisme (Balance ton quoi), soutient le collectif NousToutes co-fondé par Caroline De Haas, assume d’être une icône LGBT après avoir révélé sa bisexualité et d’avoir brisé le « tabou de la pilosité féminine » en exhibant sur les réseaux sociaux ses aisselles poilues. On ne sait pas encore ce que cette artiste contestataire belge, fille d’une humoriste non-conformiste belge, a décidé de faire pour dénoncer ce que certaines féministes appellent « l’injonction à l’épilation du maillot ». On craint le pire.

A lire aussi: Paris vaut bien un mess

Annie Cordy, Raymond Devos ou Jacques Brel (pour ne nommer que quelques-uns des plus fameux artistes belges qui connurent un grand succès en France) n’avaient pas l’arrogance de ces humoristes et chanteuses belges qui nous font aujourd’hui la morale et délivrent des brevets de bonne conduite. Ils pratiquaient leur art imprégnés de cette instinctive considération sur eux-mêmes décrite par Simon Leys : « S’il est une chose dont le Belge est pénétré, c’est de son insignifiance. Cela, en revanche, lui donne une incomparable libertéun salubre irrespect, d’une tranquille impertinence, frisant l’inconscience » [4] – raison pour laquelle ils conquirent le cœur de nombreux Français qui n’eurent jamais honte de cette culture populaire et de ces Belges talentueux qui les amusèrent, les émurent, les firent rire ou pleurer, sans jamais chercher à les embrigader. Il fut un temps où « un Belge arrogant [était] une contradiction dans les termes » [4]. Ce temps-là est révolu. Au contraire de leurs illustres prédécesseurs, Laurence Bibot et ses arrogants collègues humoristes ont des ambitions prosélytes : ce sont des artistes engagés. Leurs blagues sont des messages. Leur impertinence est citoyenne et inclusive. Ils baignent dans cette époque moralisatrice comme des poissons dans l’eau du bassin wokiste, en ne nageant jamais à contre-courant. Ils sont devenus, comme leurs homologues français, des « mutins de Panurge » (Muray) se transformant à l’occasion en matons, irrespectueux surtout avec ceux qui renâclent à croire que « les avancées sociétales » et le multiculturalisme sont des progrès indispensables et indiscutables. Ils se moquent de nous, salement, sans vergogne ; et nous payons pour ça. Il faut les entendre ricaner ! Car, dans les studios de France Inter, on ne rit plus. Le rire des humoristes d’antan a été remplacé par le ricanement, ce minuscule orgasme buccal des cuistres, des mouchards et des prétentieux…


[1] Entretien donné au site Bruzz le 02 décembre 2021.

[2] L’homme du Picardie, feuilleton français diffusé en 1968 mêlant fiction et aspect documentaire. Il fut parmi les plus regardés des feuilletons de l’ORTF.

[3] Paris bas-ventre : le RER comme principe évacuateur du peuple français, Richard Millet, Éditions La Nouvelle librairie.

[4] Le studio de l’inutilité, Simon Leys, Flammarion.

P.S : Tout n’est pas fichu. Il existe encore des artistes capables de moquer cette époque et de nous faire franchement rire. Je conseille, en vrac, le DVD de la comédie d’Eric Judor intitulée Problemos, les DVD des spectacles de l’humoriste Slovéno-Suisse (l’a failli être Belge, mais non) Gaspard Proust, le dernier DVD de Blanche Gardin tiré de sa série télévisée La meilleure version de moi-même,ou lesdrôlissimes vidéos YouTube de l’humoriste suisse Claude-Inga Barbey. Enfin, dans un autre genre, je conseille le film Les émotifs anonymes (de Jean-Pierre Améris, avec Isabelle Carré), dans lequel le plus génialement foldingue des acteurs belges actuels, Benoît Poelvoorde, joue un de ses plus beaux rôles.

La prise d’Amboise par Abdelkader

Une sculpture rendant hommage à l’émir Abdelkader – et déjà vandalisée – trône désormais devant le château d’Amboise pour promouvoir la « tolérance » et la « réconciliation mémorielle » avec l’Algérie.


Les temps ont décidément bien changé. Nous vivons une époque étonnante où le statut et les statues de Churchill[1] et de Gaulle[2], jugés (entre autres) racistes, vacillent. Où la mairie de Rouen se demande si Napoléon et son cheval doivent rester à leur place, celle de la mairie[3]. Où l’ex-Premier ministre et maire de Nantes Jean-Marc Ayrault – qui a pourtant supporté de voir les rues et les avenues de sa ville honorer des négriers impliqués dans le commerce triangulaire réclame depuis des années que les lieux rendant hommage à Colbert soient épurés, Code noir oblige. Où une sculpture de l’émir Abdelkader (d’une valeur de 35 000 euros) financée par les pouvoirs publics vient d’être érigée en face du château d’Amboise, suivant ainsi les recommandations du rapport de Benjamin Stora sur la colonisation et la guerre d’Algérie…

À lire aussi, Loris Chavanette: La question algérienne: un procès à charge qui ne dit pas son nom

Une statue loin de faire l’unanimité

C’est au château d’Amboise que l’émir est retenu prisonnier pendant quatre ans, suite à sa reddition en 1847[4]. L’édicule à la gloire de celui qui incarne la résistance algérienne face à la colonisation ne semble toutefois pas faire l’unanimité puisqu’il a (déjà) été dégradé avec une meuleuse quelques heures avant son inauguration, ce samedi 5 février, provoquant les cris d’orfraie de Benjamin Stora ou de la ministre de la Culture Roselyne Bachelot[5]. Car « le meilleur ennemi de la France » comme on l’appelait naguère, est aujourd’hui l’emblème de la « réconciliation mémorielle » entre nos deux pays. Peu importe au passage qu’une seule des deux rives de la Méditerranée semble vraiment la souhaiter, cette « réconciliation mémorielle ». 

Figure mythifiée par la doxa, l’ancien chef de guerre est désormais un symbole de tolérance, un esprit chevaleresque promoteur d’un Islam des Lumières, un apôtre du dialogue entre les religions. Pour un peu, il taperait presque à la porte du Panthéon. Celui qui unifie les tribus contre l’oppresseur ne libère-t-il pas un jour des prisonniers français parce qu’il n’a plus rien pour les nourrir ? Lors de son exil à Damas, alors que des milliers de chrétiens sont massacrés (en 1860), ne fait-il pas la tournée des chefs druzes pour mettre un terme aux atrocités ? Sans doute moins par humanitarisme d’ailleurs, que parce qu’il redoute l’intervention des puissances européennes en terre ottomane. Napoléon III ne lui décerne-t-il pas la grand-croix de la Légion d’honneur ? Dans La Nouvelle République[6] du 30 janvier, l’écrivaine amboisienne Martine Le Coz fait du « père de la nation algérienne », qui lui a inspiré un roman (Le Jardin d’Orient), « une personne d’une grande largesse d’esprit et de cœur », un « homme exemplaire, d’une telle grandeur d’âme ». Et de conclure : « S’il y a une personne lumineuse à Amboise, c’est lui. » C’est mettre un peu vite sous le tapis persan certains aspects de la vie d’Abdelkader…

À lire ensuite, Jean-Paul Brighelli: Rapport Stora : la repentance à sens unique?

La fable de l’islam éclairé d’Abdelkader

Notre « homme exemplaire » extermine en 1838 la tribu des Kouloughlis, coupable de s’être ralliée aux Français. « Il l’a fait égorger tout entière sous nos yeux », témoignera par la suite Alexis de Tocqueville dans De la colonie en Algérie. Huit ans plus tard, le chef de guerre écrase les troupes coloniales lors de la bataille de Sidi-Brahim, mais quelques survivants résistent encore. En état de siège, sans vivres, ni eau, les Français sont contraints de boire leur propre urine ou celle de leurs chevaux et coupent leurs balles en morceaux pour tenir le plus longtemps possible. Abdelkader fait alors décapiter sous leurs yeux le capitaine Dutertre, qui refuse d’inciter ses hommes à rendre les armes. Quant au prétendu islam éclairé de notre « personne lumineuse », disons qu’il lui manque peut-être quelques bougies. Dans le territoire qu’il contrôle, au nord de l’Algérie [7], l’émir nomme des magistrats qui rendent une justice expéditive et souvent très rude basée sur les principes islamiques.

Marié à deux femmes, dont sa cousine Lalla, il proscrit à ses hommes les jeux de hasard, le vin, le tabac et toute forme de luxe, les incitant plutôt à acheter des armes et des chevaux pour le djihad[8]. « Il ne faut pas toucher aux idoles : la dorure en reste aux mains ». C’est du Flaubert.


De la colonie en Algérie

Price: 1,90 €

11 used & new available from

Le jardins d'orient

Price: 6,49 €

18 used & new available from

[1] En juin 2020, un jeune activiste d’Extinction Rebellion écrit « raciste » avec de la peinture jaune sur le socle de la statue de Winston Churchill à Westminster (Londres). En février 2021, les élèves et les enseignants d’un collège du Sussex en Angleterre débaptisent un des bâtiments de l’établissement qui porte le nom de l’homme qui a tenu tête à Hitler car « Churchill était un homme qui a promu le racisme et l’inégalité, et a injustement emprisonné et torturé de nombreuses personnes ».

[2] En octobre 2018 à Nice, le socle du général est vandalisé avec une inscription : « les Français sont des veaux ». En juin 2020, sa statue est recouverte de peinture jaune à Pavillon-Sous-Bois (93) et d’une peinture vive aux tons orangés à Hautmont (59) avec le mot « esclavagiste » tagué sur le piédestal. En août 2020, différentes inscriptions en créole sont peintes en noire et rouge sur le buste à son effigie installé au Robert en Martinique : « Nous ne sommes pas français », « Retirez-la » et « 1944 : massacre de Thiaroye », une référence aux tirailleurs sénégalais tués par l’armée française en 1944, dans un camp près de Dakar. Dans un tweet, la Ligue de défense noire africaine écrit, à l’occasion du 80e anniversaire de l’appel du 18 juin 1940 : « Si Charles De Gaulle était un grand criminel, il fut aussi un fugitif de la seconde guerre dite mondiale (…) Face à la débâcle française durant la guerre, De Gaulle prend la décision de fuir plutôt que défendre son territoire. »

[3] En septembre 2020, le maire socialiste de Rouen propose de remplacer la statue équestre de l’Empereur par une « figure féminine ». Consultée en décembre 2021, la population vote à 68 % pour que Napoléon et son cheval retrouvent leur socle initial.

[4] La promesse du général de Lamoricière de laisser Abdelkader s’exiler à Alexandrie ne sera pas honorée par la France, qui a entre-temps changé de régime.

[5] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/02/05/la-sculpture-d-abdelkader-heros-national-en-algerie-vandalisee-avant-son-inauguration-a-amboise_6112465_3212.html

[6] https://www.lanouvellerepublique.fr/amboise/amboise-gros-plan-sur-l-emir-abdelkader-une-personne-lumineuse

[7] Entre 1832 et 1847, Abdelkader a la mainmise sur une partie du nord de l’Algérie autour de Mascara, entre Oran et Alger.

[8] « Abd el-Kader, chef de guerre », Jacques Frémeaux dans la Revue historique des armées 2008.

Eric Zemmour à Lille: la monnaie de sa pièce

Il est parfois reproché à Eric Zemmour un certain lyrisme, voire un décalage avec les préoccupations quotidiennes des Français. Dans le nord, le candidat était attendu sur le sujet très prosaïque du pouvoir d’achat. Mais, malgré tout, même en évoquant le pouvoir d’achat ou le travail, Eric Zemmour a livré à Lille un discours plus idéologique qu’il n’y parait. Analyse.


Pour compter politiquement, il faut aussi savoir compter – littéralement. Aussi, Éric Zemmour est venu au palais des Congrès de Lille samedi 5 février pour parler « monnaie ». La pièce était à ce titre impeccable : son et lumières hypnotiques, bain de foule à l’entrée, petit tour de scène pour saluer son public, prononciation ternaire et magnifique péroraison. La France se découvre un orateur dont le talent s’affermit de discours en discours. Mais devant une forme aussi soignée, le thème du jour choisi par le candidat pouvait sembler un peu trivial. 

« Le travail doit payer » assène Eric Zemmour, qui annonce le retour des heures supplémentaires défiscalisées – idée phare du « travailler plus pour gagner plus » de Nicolas Sarkozy qu’il cite nommément. Musclant sa rhétorique, il dénonce ensuite la bureaucratie « qui nous écrase » et reprend la promesse d’un grand soir fiscal : « nous sommes le peuple le plus taxé au monde. Nous travaillons la moitié de l’année pour l’Etat ». 

Pour la fiche de paie, il rappelle sa promesse d’un treizième mois obtenu par une baisse des cotisations sociales sur les salaires, et y ajoute une prime entièrement défiscalisée à la discrétion des employeurs. Effort d’empathie envers les femmes oblige, il exprime sa sollicitude à celles « sans le sou qui ne peuvent pas voir leur mère en EPHAD, car l’essence coûte trop cher ».

Les thèmes fondamentaux relégués aux seconds couteaux?

La salle applaudit poliment, mais ce n’est que lorsqu’elle entendra dénoncer les fraudes sociales ou le coût de l’immigration qu’elle se réveillera vraiment. Les sympathisants de Zemmour ne vibrent assurément que sur d’autres thèmes que les thèmes économiques, et notamment lorsque les mots d’autorité ou de remplacement sont convoqués.

A lire aussi: Marine ou la dédiabolisation tranquille

Pour ces fondamentaux, les lieutenants et chauffeurs de salle s’en étaient en fait déjà chargés – l’occasion aussi pour chacun d’eux de marquer sa spécificité. Jean-Frédéric Poisson a fait huer les restrictions sanitaires. Gilbert Collard a donné dans l’hyper-lourd quand il a félicité la salle pour n’être pas venue en « état d’aubryété » – allusion au maire de Lille qui avait appelé à manifester contre la venue du candidat dans sa ville. Philippe de Villiers, de son côté, a fait chanter la salle en entonnant d’entrée « au nord c’étaient les corons… » de Pierre Bachelet. Guillaume Peltier, enfin, a fait applaudir Philippe Auguste et a raconté la bataille de Bouvines, page régionale et flamande du fameux roman national qu’Éric Zemmour aimerait de nouveau voir enseigner dans les écoles. 

De l’idéologie… 

Derrière la liste de mesures économiques et la série de chiffres du discours de Zemmour, on a vu cependant poindre l’idéologue. 

Introduisant son propos en appelant à « la réconciliation des classes », l’orateur a évoqué « l’alliance du capital au travail ». La formule n’est pas nouvelle. Contrairement à une idée reçue, la droite s’est précocement inquiétée de la question sociale – redoutant que des antagonismes sociaux trop forts n’entravent la concorde nationale et ne détournent l’élan vital du peuple d’un souci politique vers le ressentiment et la lutte des classes. Autrement dit, quand les marxistes proclamaient « pas de guerre entre les peuples, pas de paix entre les classes », la droite était tentée d’inverser la perspective. Pour y parvenir, moult remèdes ont déjà été imaginés : le corporatisme dans l’entre-deux guerre pour accrocher la loyauté du maitre à l’ouvrier ; ou le protectionnisme, de tout temps, qui présente la nation en protectrice des intérêts du travailleur. Significativement, Eric Zemmour ressort l’idée de participation : loi de partage du capital et du travail que le Général de Gaulle avait conçue comme une grande avancée sociale et aussi comme une réponse politique aux grèves ouvrières de 1968. L’idée effrayait alors la droite conservatrice et Arnaud Teyssier a pu montrer dans De Gaulle, 1969 qu’elle avait joué un grand rôle dans la chute du Général.

Le discours prononcé à Lille était fort habilement écrit, notamment lorsqu’il réussissait à articuler enjeux symboliques et économiques : « ils ne nous déclasseront pas, ils ne nous soumettront pas, ils ne nous remplaceront pas ». 

Le candidat a ainsi rappelé que le travail recouvrait aussi des enjeux symboliques : ceux « de l’honneur et de la dignité ».

« Ici dans le Nord, on est les héritiers de ces générations d’ouvriers durs à la tâche qui ne ménageaient pas leur peine. Ici, encore plus qu’ailleurs, l’assistanat est une insulte », a-t-il affirmé.

… et des contradictions 

Parmi les éditorialistes de droite, Éric Zemmour a longtemps marqué sa singularité en offrant une dénonciation quasi-marxiste du capitalisme, expliquant que la mondialisation offrait au capital de se passer de tout compromis avec le travail – la possibilité lui étant offerte de le délocaliser ou de l’importer par une main d’œuvre immigrée à moindre coût. Soucieux de draguer « la bourgeoisie patriote », l’inflexion idéologique du candidat est assez claire et sa dénonciation du capitalisme peut paraitre de plus en plus molle. 

A lire aussi: Zemmour bienvenu chez les chtis

Sur le commerce aussi, le discours d’Eric Zemmour risque de souffrir de certaines contradictions. Quand le candidat adressait ses vœux aux petits commerçants, on sentait tout en sincérité un souci de remettre la boulangère et le cafetier au milieu du village. Il avait également avancé quelques propositions pour durcir les conditions d’installation de la grande distribution, soutenir l’emploi en cœur de ville ou en cœur de bourg. Mais comment imaginer que son soutien au petit commerce puisse favoriser le pouvoir d’achat des Français quand leurs marges peuvent monter à 40% pour certains produits contre 6 ou 7% pour la grande distribution ? 

La réindustrialisation de la France et la relocalisation sont des thèmes forts des deux candidats nationalistes, Éric Zemmour comme Marine Le Pen. Mais une TVA sociale aux frontières nationales ou européennes – pilier de tout programme protectionniste – ne renchérirait-elle pas l’achat de produits importés à bas coût, lesquels sont devenus l’essentiel de la consommation populaire ? Par ailleurs, l’objectif claironné par Éric Zemmour dès son entrée en campagne de rééquilibrer la balance commerciale de la France est-il vraiment compatible avec un soutien significatif au pouvoir d’achat des Français qui, mécaniquement, gonflerait encore nos importations et dégraderait encore notre déficit extérieur ?

La droite a-t-elle, enfin, vraiment quelque chose à dire sur le pouvoir d’achat ? Ce sujet, et toutes les revendications qui l’accompagnent, ont toujours été regardés avec une certaine méfiance chez les intellectuels les plus conservateurs qui peuvent l’associer au consumérisme, à l’esprit de jouissance et à une forme de décadence par appétit des choses matérielles… 

Ce passage obligé du candidat par la case porte-monnaie convaincra-t-il les électeurs ? Éric Zemmour aura au moins rempli le contrat en jouant momentanément au père Noël de la présidentielle… Mais comme déjà dit plus haut, dans la salle, ses partisans applaudissaient beaucoup plus facilement le retour à ses thèmes traditionnels que ce catalogue de mesures sociales.

Un voyage de rêve aux antipodes

0

Bruno Fuligni publie un Petit lexique en usage dans les Terres australes et antarctiques françaises… (Maisonneuve & Larose/Hémisphères Ed.).


Sauf à défier la réalité la plus patente, on ne saurait affirmer que la France entretient, avec ses terres australes et antarctiques, des relations étroites. Qui saurait, chez nous, situer avec précision, sur une mappemonde, tous les îles et îlots qui forment les TAAF (terres australes et antarctiques françaises) ? A l’inverse, qui a jamais vu débarquer, à Chambord ou à Chenonceau, des cars de touristes venant de Terre Adélie ?

À lire aussi, du même auteur: Céline et la confusion des valeurs

Une indéniable poésie

D’aucuns s’en féliciteront : les contacts seraient-ils plus chaleureux, on n’ose imaginer sans frémir les conséquences qui en résulteraient, en nos temps de réchauffement climatique. D’autres, en revanche, ne manqueront pas d’arguer que ces territoires recèlent des trésors aussi inestimables que méconnus. Non de ces ressources maritimes, minières ou souterraines qui alimentent les conflits entre les peuples, mais dans un domaine beaucoup plus subtil, celui de la langue. À preuve, l’Argot des manchots, de Bruno Fuligni, universitaire et écrivain. Un petit lexique qui tombe à point nommé pour célébrer la découverte des îles Crozet et Kerguelen, en 1772, il y a deux siècles et demi. 

Bruno Fuligni photographié en 2018 © Jacques BENAROCH/SIPA Numéro de reportage : 00839227_000040

Partant du constat que les TAAF sont des lieux de transit dans lesquels se succèdent des équipes de scientifiques, techniciens ou militaires, parlant des langues différentes, l’auteur a reconstitué à leur usage un lexique leur permettant de communiquer. Une sorte d’espéranto, ou d’argot, le taafien. Tout en conservant la grammaire du français, ce langage fait un grand usage de sigles, acronymes et abréviations compréhensibles par les seuls spécialistes – et, bien sûr, par les manchots, seuls habitants permanents de ces contrées.

Le résultat est irrésistible. À la fois drôle, voire cocasse, cette novlangue dégage une indéniable poésie. Le lecteur s’y trouve plongé dans un univers singulier où l’algo, apocope d’algologue, voisine avec l’Armorigène, venu de la base d’Armor. Où le bourbon, un éléphant de mer qui n’a rien de commun avec la dynastie royale, croise le goél, descendant du goéland amputé de sa queue. Où le maca, oiseau issu du gorfou macaroni, se perche parfois sur un mât lomo, un pylone en tubes d’acier du plus bel effet. Au total, un antidote idéal à la morosité ambiante et le moyen de se dépayser à peu de frais.

Burt Reynolds: les routiers sont toujours sympas!

“Cours après moi, shérif !”, road-movie redneck d’anthologie, fête ses 45 ans dans une version Blu-ray enrichie


Ce film est un pousse-au-crime ! Il condense tout ce que les progressistes abhorrent. Il est une offense à toutes les croyances modernes, une barrière contre la modération ambiante et une poilade routière comme il serait interdit d’en réaliser une aujourd’hui, sous peine d’excommunication médiatique. « Cours après moi, shérif » (Smokey and the Bandit en version originale) n’a pas vocation à éduquer les jeunes générations dans la repentance et la flagellation permanente. 

Il ne professe rien, sinon le plaisir de courir après le temps et de frimer au volant. Un programme politique dont la pertinence me semble d’actualité et largement sous-estimer par des gouvernants amorphes. La liberté de ton de ce film improbable, son humour agricole, ses blagues au ras du bitume et ses multiples tôles froissées font office de résistance à l’esprit de sérieux qui s’offusque du moindre dérapage (plus ou moins contrôlé). 

Burt Reynolds, la madeleine de Proust des Etats du Sud

En 1977, on osait se moquer des différences, pousser la caricature jusqu’à l’implosion et surtout ne pas priver le public d’une course-poursuite de 95 mn. Littéralement dingue et clownesque, huis clos à l’intérieur d’une Pontiac Trans Am noire et romance à l’huile de ricin pour hippy dessalé, ce long-métrage à petit budget (1 million de dollars) a créé la surprise au box-office. Il a rapporté cent fois la mise à ses producteurs et concurrencé sérieusement le premier Star Wars. 

Ce qui ne devait être qu’une série B réhaussée par la présence de Burt Reynolds est devenu, au fil des années, un marqueur identitaire et une madeleine de Proust pour les états du Sud. Le film a fait l’objet de suites bringuebalantes et ouvert la voie à une célèbre série télé qui fit les beaux jours de la mémorable Cinq. Les censeurs peuvent passer leur chemin et remballer leur manuel du « gentil citoyen » écoresponsable et allergique à l’or noir. Ils ne comprendraient rien à la ruralité poétique des grands espaces, aux miracles sonores de la radio cibi, aux chevauchées mécaniques et à cette forme de rébellion salvatrice contre tous les autoritarismes obtus. La première scène est de nature à donner la nausée aux asthmatiques. On y voit un splendide Truck de marque Kenworth tirant une longue remorque à l’effigie de la Conquête de l’Ouest, fumant et ronflant de désir comme une diligence traversant un western. Le scénario ne dénonce pas une sombre machination et l’avenir du monde, rassurez-vous, n’est pas en jeu. Le routier Bo Darville, surnommé le Bandit, interprété par un Burt Reynolds au meilleur de son charme pétillant, stetson sur la tête et moustache country, doit transporter 400 caisses de bières entre le Texas et la Géorgie. Ce pari illégal lui est proposé par le millionnaire Enos Burdette. Dans cette mission civilisatrice, il est aidé par son ami Snowman qui ne se sépare jamais de son basset hound. Et, pour parvenir à leurs fins, c’est-à-dire parcourir 3 000 km en 28 heures, ils devront réussir à semer l’impitoyable et délirant shérif Buford T. Justice lancé à leurs trousses. 

Point de métaphysique là-dedans, ni d’introspection pesante. Malgré tout, une distance avec le réel qui fait du bien, une absence de moraline qui aère les bronches et un regard sur l’Amérique profonde sans jugement hâtif. « Je classerais ce film dans la catégorie du film pour samedi après-midi pluvieux » avertissait Burt Reynolds (1936-2018). Le film fut réalisé par son ami Hal Needham, cascadeur de légende et roi du carambolage explosif. Le duo que formèrent ces deux-là a fortement inspiré Tarantino dans « Once Upon a Time… in Hollywood », notamment la relation complice qu’entretiennent Leonardo di Caprio et Brad Pitt. Ce cinéma décorseté et libérateur, qui refuse l’idéologie de la soumission, nous manque tellement. 

Esthétique du frimeur

Burt Reynolds, irrésistible en cow-boy de la route, sorte de Jesse James seventies illustrait à merveille cette coolitude rieuse. Les paroles de la chanson qui accompagne le film en témoignent : « Il a l’asphalte dans le sang, le pied de plomb, les nerfs d’acier, … ». Toute cette odyssée sauvage ne serait rien sans la présence lumineuse de Sally Field, compagne de Reynolds à la ville et à l’écran à ce moment-là, elle donne à cette mascarade une émotion fragile et un charme difficilement soutenable. Elle peut vous tirer des larmes à l’arrière d’une berline. Retrouvez ce film dans une édition Blu-Ray particulièrement réussie avec une excellente présentation du journaliste Jean-François Dickeli en bonus. Et, adoptez la philosophie du Bandit, qui se résume à : « Je vais d’un endroit à l’autre et je fais ce que je fais de mieux… Frimer ! ».

Blu-ray « Cours après moi, shérif » – BQHL éditions

Cours après moi, shérif !

Price: 17,99 €

7 used & new available from 17,99 €

Tu fais pas le poids, shérif! [Blu-ray]

Price: 14,00 €

11 used & new available from 12,50 €

Houellebecq, à côté de la vie

0
Michel Houellebecq en Espagne, septembre 2019 © REX/SIPA

Anéantir, dit-il. Il est peu de romans, je crois, qui portent des titres à l’infinitif, ce degré zéro du verbe, ce mode de l’impersonnel qui convient si bien à l’univers neutre de Michel Houellebecq. 


“Anéantir” évoque le premier fil du livre, les attentats nihilistes (une épigraphe évoque Netchayev et son catéchisme révolutionnaire), le cyber-terrorisme, puis les attentats avec des victimes réelles. Michel Houellebecq ouvre une voie romanesque à la Umberto Eco, avec cryptogrammes, espionnage, sociétés secrètes et complots. Le lecteur s’attend à un roman à code et à clés, à déchiffrer par une savante herméneutique. Occultisme, ésotérisme, voilà qui est captivant, il y a même des illustrations originales, un peu naïves, qui évoquent satanisme, hérésie et gnose noire. 

Les lecteurs frustrés

Pourquoi, dès lors, dévier, pourquoi Michel Houellebecq abandonne-t-il ce fil rouge exaltant, pourquoi le roman digresse-t-il du terrorisme international à l’intime familial ? Le lecteur, admettons-le, ne peut qu’être frustré par cette digression de cinq cents pages, et par le dévoiement du roman d’anticipation, d’espionnage et d’horreur (avec des clins d’œil à Lovecraft) qui s’ouvre sur la décapitation virtuelle d’un ministre, vers le roman familial. 

A lire aussi: Il raconte quoi, le nouveau Houellebecq?

On peut cependant proposer une interprétation. Le monde de Michel Houellebecq, le nôtre, ne peut plus être déchiffré, il est en deçà ou au-delà de toute herméneutique, de tout décodage. Désenchanté – la langue originale de Max Weber dit “dé-magiqué”–, notre monde ne recèle plus de secret, plus de sacré. Exotérique, profane, et transparent, notre monde n’a plus de sens caché. Nous avons perdu le sens de l’allégorie. Finalement, même les sociétés secrètes sont absurdes, elles n’ont rien à dire ni du Siècle ni du Royaume à venir. Le personnage de Paul Raison est à ce titre parfaitement houellebecquien : personnage conceptuel, incarnation de l’homme moyen, ni médiocre, ni nul, mais moyen, haut fonctionnaire vivant dans l’ombre des Princes, en deuil de l’Eros et de la passion. L’homme d’aujourd’hui, la raison faite homme. 

Un roman mort-né ?

Paul est un homme qui sera passé à côté de la vie, c’est-à-dire de l’amour et de l’exaltation des sens. Un homme anesthésié et anesthétique. Marié à Prudence, son mariage s’est progressivement délité. Le couple vit comme deux colocataires. Au fond, ils ne vivent ni l’un avec l’autre, ni l’un pour l’autre, mais l’un à côté l’un de l’autre. Mais alors ne pourrait-on pas suggérer que cette vie de côté, ou plutôt ce passage à côté de la vie, s’applique au roman lui-même ? Un roman qui passe pour ainsi dire à côté de lui-même : non pas un échec, mais un non-succès. Une potentialité, une virtualité de roman, de même que Paul n’aura eu d’existence que potentielle, potentialité de vie qu’illustre la position fœtale, position préférée de Paul dans le sommeil et dans le coït. Sur le côté, oui, comme si Paul incarnait cette aspiration à revenir au ventre maternel, ce désir, très cioranien, de ne pas être né. Bataille ou Freud diraient : revenir à l’indifférencié. 

Serions-nous alors en présence d’un roman mort-né ? 

A lire aussi: La vie sexuelle et spirituelle cachée de Marcel Proust

Pourtant, tout ne se termine pas là, sur cette virtualité, sur cet embryon littéraire de 730 pages. Michel Houellebecq, en mettant en scène ce personnage qui passe à côté de sa propre vie, offre une fin lyrique et consolatrice. Finalement, il nous montre une naissance. Alors que sa chair pourrit, alors que dévoré par son cancer il pue comme Lazare, Paul connaît la rédemption de sa vie manquée, de sa vie de côté. Car à mesure qu’il se meurt l’amour charnel, voire mystique, renaît. La “profondeur des sexes”, pour parler comme Fabrice Hadjadj, le mystère catholique, à la fois hyper-physique et métaphysique de la chair, est donné dans les dernières pages du livre. Consolation par fellation ? Sans doute, mais le style cru de Michel Houellebecq n’est jamais cruel. Au contraire, le sexe se fait ici soin, et le don d’elle-même de la peu prude Prudence rachète la non-vie de Paul. 

© Thomas COEX / AFP

A lire aussi: Hier le futur

Après une version profane et plate de la mort d’Ivan Illitch (Pourquoi mourir ? Il n’y aura plus rien après, je ne sentirai plus), Michel Houellebecq écrit donc la rédemption par l’union charnelle. C’est ainsi que la pulsion de vie triomphe de la charogne, que ça bande jusqu’à la mort, et que la tumescence du sexe défie le tumulus où le corps pourrira. Au-delà du sexe, Paul jouit enfin de la chair du monde, de la beauté des paysages, d’une lumière dorée sur les collines du Beaujolais, d’une conversation muette avec son père agonisant. La langue de la raison n’a pas le dernier mot, d’ailleurs, la langue organique de Paul est elle-même atteinte par la tumeur et le lecteur s’attend à ce qu’elle finisse par tomber. Plus besoin alors de la parole, le livre peut se clore sur l’entretien silencieux des hommes et sur le chant du monde. 

Anéantir

Price: 15,50 €

60 used & new available from 2,00 €

Les vieux, tu les joues à la hausse?

0
© GILE Michel/SIPA

Le récent scandale des EHPAD prouve les limites d’une société de marché où tout est marchandise.


Le récent scandale qui a touché les EHPAD a forcément quelque chose de bouleversant. Sur le plan humain, bien sûr, où l’idée de voir des personnes âgées et dépendantes, servir de variable d’ajustement pour augmenter les dividendes des actionnaires ne peut que provoquer la colère, mais aussi sur la vision de notre monde par quelques économistes coupés des réalités.

Or gris: l’affaire dans l’affaire

Tous les ingrédients du caractère intrinsèquement pervers et inhumain d’une société de marché sont réunis dans cette histoire, jusqu’à cet ancien dirigeant d’Orpéa qui a vendu ses actions,  590 000 euros tout de même, juste avant que l’affaire n’explose. J’ai entendu beaucoup d’indignations médiatiques de la part des commentateurs. S’indigner, c’est bien. Demander des inspections, c’est bien. Donner des moyens pour ces inspections, ce serait encore mieux. Mais surtout, surtout, s’interroger si les maisons de retraites peuvent être un moyen légitime de faire de l’argent, ce serait parfait. 
Et là, bien peu de propositions.

A lire aussi, Céline Pina: Qui veut gagner des millions?

Depuis longtemps, trop longtemps, les responsables politiques en France n’ont juré que par la privatisation, y compris d’ailleurs à l’époque de Jospin et son célèbre « L’état ne peut pas tout » ou Hollande qui déclarait au début de sa présidence, au Guardian, «  La gauche a gouverné pendant 15 ans, pendant lesquels elle a libéralisé l’économie et ouvert les marchés à la finance et à la privatisation. Il n’y a pas de crainte à avoir. »  Non, pas de crainte, vraiment, se sont sans doute dit le fils ou la fille venant voir leur mère dont la toilette n’a pas été faite depuis des jours et devant un plateau repas composé de nourriture  au rabais.

Religion néolibérale

L’Allemagne, les pays scandinaves, dont on ne peut pas dire qu’ils soient particulièrement bolchéviques, n’ont jamais ne serait-ce qu’imaginé que les structures s’occupant du grand âge soient autre chose qu’un service public. C’est que dans ce domaine comme dans d’autres, la France dont la psyché est colonisée par des penseurs libéraux, s’est mise à croire que le privé est forcément plus efficace, ce qui est faux. On peut s’en rendre compte chaque jour, par exemple avec les entreprises privées qui se sont emparées du marché de l’eau dans de trop nombreuses municipalités, pour ne pas parler des transports en commun. 

Pourtant, au nom de l’Union Européenne vue comme zone de libre échange, ils ne sont pas nombreux les candidats à la présidentielle à ne pas avoir cette religion du privé, surtout les plus sécuritaires, à droite et à l’extrême-droite, qui veulent des places de prison, toujours plus de place de prison, en se disant que finalement, pourquoi ne pas confier ça aussi au privé ? Les États-Unis, ce modèle en la matière, le pratique avec bonheur. Et pourtant, paradoxe, ils n’ont à la bouche que le régalien, c’est-à-dire l’État. Mais dans leur vision du monde, le régalien, cela concerne uniquement la police, et pas la police de proximité, mais celle qu’on force à faire la guerre aux pauvres. 

Il serait temps, pour retrouver les jours heureux, comme dirait Fabien Roussel, de récupérer le régalien, de réinvestir le sens de ce mot pour dire qu’il ne se résume pas à assurer la tranquillité publique, mais aussi à protéger les plus faibles, à tous les âges de la vie et ne pas les laisser dans les mains d’affairistes sans scrupules.

Les derniers jours des fauves

Price: 20,90 €

41 used & new available from 2,33 €

Du plomb dans l’aile

0
©D.R.

Les avions de la Lufthansa volent sans passagers. La raison? Les règles européennes…


La compagnie aérienne Lufthansa a annoncé que, cet hiver, elle sera contrainte de faire voler plus de 18 000 avions à vide et sans passagers. La raison ? Les règles européennes qui obligent les compagnies à effectuer 50 % de leurs vols afin de conserver leurs créneaux aéroportuaires. L’objectif de l’UE est d’empêcher les compagnies de réserver des créneaux – surtout les plus prisés en début et en fin de journée – non pas pour les utiliser elles-mêmes, mais pour empêcher leurs concurrents de le faire. Avant la pandémie, la règle imposait d’utiliser 80 % des créneaux, mais ce chiffre a été baissé à 50 % pour pallier les difficultés de la reprise post-pandémique. C’est ainsi que Lufthansa se trouve obligée d’assurer la desserte de ses destinations, quand bien même personne ne les fréquenterait.

Le PDG de la compagnie, Carten Spohr, est bien conscient de l’absurdité, qualifiant ces derniers de « vols inutiles » dans une interview à la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Michael O’Leary, le PDG de la compagnie irlandaise low cost Ryanair a riposté, railleur, prétendant que la solution était simple : Lufthansa devrait vendre les sièges de ces vols à bas prix et récompenser les consommateurs européens qui ont financé les 12 milliards d’euros d’aides d’État que la compagnie et ses filiales ont reçus.

En plus de ce non-sens économique, il y a une contradiction flagrante avec la politique écologique de l’Union européenne, dont le projet « Fit for 55 » vise une réduction des émissions de CO2 de 55 % d’ici à 2030. En résumé, les règles européennes plombent le secteur aérien, coûtent cher aux contribuables et sabotent le programme environnemental de l’Europe.

Le 10 avril, les Français invités à ne pas voter avec leurs pieds

1
Le journaliste Jean-Michel Apathie © UGO AMEZ/SIPA

Le journaliste politique Jean-Michel Apathie estime sur LCI que Zemmour et ses soutiens, « c’est vraiment Français de chez les Français qui puent un peu les pieds ». De son côté, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin pense que l’élection présidentielle ne sert apparemment à rien, en affirmant sur France info que « pas un Français ne pense qu’Emmanuel Macron n’a pas été un bon président de la République »…


Mépriser le mépris est un devoir démocratique. On est prêt à tout entendre tant, aujourd’hui, la mesure et la décence sont sans cesse dépassées mais tout de même !

Des Français qui puent un peu des pieds…

Quand Jean-Michel Aphatie qualifie Eric Zemmour, les gens autour de lui et ceux qui lui trouvent des qualités comme « c’est vraiment Français de chez les Français qui puent un peu les pieds, on reste entre nous » (voir ci-dessous), on est effaré. Ainsi voilà un homme, une personnalité médiatique qui donne des leçons de morale et de République, qui fait volontiers référence aux années 30 et à leurs dérives honteuses et qui n’hésite pas à traiter ainsi des citoyens dont le seul tort est de ne pas penser, de ne pas haïr comme lui !

Le plus grave est que ce genre de propos est écouté comme s’il relevait encore d’un débat politique et médiatique acceptable alors qu’à mon sens il devrait immédiatement disqualifier qui le profère. J’espère que cette indulgence, cette indifférence ne tiennent pas seulement au fait que la cible est Eric Zemmour même si j’imagine le tollé si les soutiens de Jean-Luc Mélenchon ou de Fabien Roussel étaient qualifiés de la sorte. Eric Zemmour est un ami dont le talent est indéniable mais pour des raisons que je n’ai pas à expliciter en détail ici, je ne voterai pas pour lui et je maintiens qu’il ne sera pas au second tour. Mais je n’ai pas besoin d’une adhésion politique à ce qu’il soutient, développe et propose pour juger scandaleuse l’attaque de Jean-Michel Aphatie à l’égard des Français qui à tort ou à raison sont favorables à sa cause. Voltaire au très petit pied, je considère que j’ai une obligation de citoyen: m’indigner face à un tel mépris. Aussi modeste qu’elle apparaisse dans la multitude des outrances auxquelles tristement on finit par s’habituer, c’est une salissure de plus, encore une pierre jetée dans le jardin d’un monde qui n’a plus d’honneur ni d’allure. Qui ne sait plus dénoncer et contredire sans dévoyer, sans se dévoyer.

A lire aussi: France Inter donne asile aux humoristes belges

Gérald Darmanin à peine plus subtil

Je partage rarement les convictions de Jean-Michel Aphatie mais faudrait-il que je consente à être étiqueté, à cause de cette sympathie très intermittente, comme « un Français de chez les Français qui puent par exemple de la gueule » ? Dans le registre de la vulgarité, aucune raison de se limiter !

Gérald Darmanin, c’est bien sûr plus fin, plus subtil, apparemment moins choquant. Et pourtant ! Le mépris est plus sophistiqué mais il est indéniable. Au fond il ne vise à rien de moins qu’à faire l’impasse sur la démocratie. Quand ce ministre affirme le plus sérieusement du monde que « pas un Français ne pense qu’Emmanuel Macron n’a pas été un bon président de la République », cette manière anticipée de confisquer la liberté et l’imprévisibilité du vote de tous les citoyens est assez hallucinante. Arrogance ou flagornerie ? Par certains côtés cela me rappelle Nicolas Sarkozy laissant entendre qu’Edouard Balladur pouvait être élu au premier tour contre Jacques Chirac ! On a vu la suite…

À lire aussi: Eric Zemmour à Lille: la monnaie de sa pièce

À bien analyser cet incroyable propos de Gérald Darmanin et en créditant ce dernier de sincérité, il signifie que l’élection du mois d’avril sera inutile, superfétatoire puisque, paraît-il pour tous, Emmanuel Macron serait « un bon président ». On pourrait, plutôt que perdre son temps dans cette bagatelle de deux votes classiques, procéder par applaudissement et plébisciter ce président dont le quinquennat démontre, pour Gérald Darmanin, qu’il a été tant aimé, tant apprécié ! Cette absurdité – je crains qu’elle n’ait été pourtant pesée et réfléchie – révèle une étrange conception de la démocratie.

Macron refuserait de débattre avant le premier tour

Hier, comme le cercle de la raison était la propriété exclusive du président, ses affidés n’étaient pas loin d’en tirer la conclusion que tout était réglé avant l’heure et que les Français n’auraient qu’à valider cette évidence. Aujourd’hui, puisque Gérald Darmanin connaît mieux le sentiment des citoyens que les citoyens eux-mêmes, le vote démocratique serait une perte de temps regrettable. N’y a-t-il pas d’ailleurs dans le refus implicite du président de participer à un débat avant le premier tour l’idée qu’il n’aura rien à défendre et à justifier puisque son mandat aura été exemplaire ?

À lire aussi: Mineurs isolés: «Cette condamnation est une monstruosité juridique»

Je ne sais comment la société recevra cette pétition de principe de Gérald Darmanin. En tout cas, le risque existe pour Emmanuel Macron et tous ceux qui préparent et organisent sa campagne – le roi décidera de la date et de l’heure de son annonce officielle – qu’on ait envie de leur donner tort tout simplement parce que le président est si sûr d’être réélu. Rien que pour exister, le peuple pourrait être tenté de se rebiffer. Oui, il faut mépriser le mépris.

Libres propos d'un inclassable

Price: 12,50 €

11 used & new available from 4,96 €

Gustav Mahler est mort!

0
L'écrivain autrichien Robert Seethaler publie "Le Dernier Mouvement" © Urban Zintel SABINE WESPIESER ÉDITEUR

Dans son nouveau livre, l’écrivain autrichien Robert Seethaler évoque le dernier voyage en paquebot de Gustav Mahler. Une rencontre est organisée ce soir, à Paris.


Les mélomanes et germanophiles sont attendus en cette soirée de lundi au Goethe-Institut, à Paris, pour une rencontre avec… Gustav Mahler. Plus exactement avec son fantôme, sous les auspices de Robert Seethaler, auteur autrichien d’un certain renom (Le tabac Triesnek, Une vie entière, Le Champ) dont le dernier ouvrage en traduction française paraît, tout comme les précédents, aux éditions Sabine Wespieser.

Les derniers jours de Gustav Mahler

Ce 7 février, pour présenter Le dernier mouvement à ses lecteurs parisiens, l’écrivain de 56 ans natif de Vienne mais berlinois d’adoption est accompagné par sa traductrice Elisabeth Landes et par le chroniqueur littéraire Pierre Deshusses.

Gustav Mahler (1860-1911), au physique, n’était pas la robustesse même. C’est durant sa dernière visite aux États-Unis, où il dirigeait l’orchestre philarmonique de New-York, qu’il a contracté cette infection fatale, pour succomber, de retour à Vienne, à quelque temps de là, d’une endocardite. Il était âgé de 50 ans à peine. Alma, sa femme, dominatrice et passablement lubrique, le trompait déjà avec l’architecte Walter Gropius. Elle lui survivra jusqu’en 1964, amante du peintre Oskar Kokoschka, puis épouse du romancier Franz Werfel. La plume de Seethaler ne nous la peint pas sous un jour radieux : « L’hiver, Alma prenait un bain tous les jours. Les émoluments de l’Opéra partaient en eau chaude ». Incidemment, il la traite de « garce »…

A lire aussi, du même auteur: Qui a peur de la musique française?

Pour retracer les derniers jours du compositeur, Le Dernier mouvement ne dresse pas, comme on aurait pu s’y attendre, le tableau de bord de son état clinique. Sans emphase, le récit sinue, autour du monologue intérieur du moribond, dans les méandres et les strates d’un passé que l’ultime traversée à bord de l’Amerika, ce paquebot sur le pont duquel il médite et travaille encore, fait ressurgir par bribes : « le chef Gustav Mahler à la réputation mondiale était-il encore la même personne que le jeune directeur récemment nommé à l’Opéra de Vienne qui s’asseyait, jadis, dans ce fauteuil à bascule, sous ce lustre de cristal ? Ou que le petit juif de six ans, un chapeau plat à la main et une expression de tristesse infinie dans le regard, qu’on voyait sur la photo sauvée à l’instant, in extremis, du transfert au garde-meuble d’Alma ? ». Evocation sensible, donc, où l’on pleure l’enfant perdue, Maria, morte en bas âge ; où l’on croise Rodin dans un hôtel Biron alors très dégradé, ou encore Freud, visité pour de courtes heures en Hollande ; où l’on voit le maître diriger « à présent pratiquement sans bouger, à l’exception de sa main droite, qui traçait dans l’air des lignes ténues, et de ses yeux, dont on disait qu’ils étaient comme  charbons ardents pendant les concerts et semblaient lancer des éclairs aux applaudissements, quand les lumières de la rampe s’y réfléchissaient ».  Sous le regard respectueux du garçon de cabine, qui lui donne indéfectiblement du « Monsieur le directeur ». La vie de Gustav Mahler ? « Une course incessante contre la montre ».


Le dernier mouvement

Price: 15,00 €

30 used & new available from 2,17 €

Rencontre avec Robert Seethaler lundi 7 février à 19h. En présence d’Elisabeth Landes et de Pierre Deshusses, modérateur. Goethe-institut Paris. 17, avenue d’Iéna 75116 Paris. Inscription recommandée.

France Inter donne asile aux humoristes belges

0
À Bruxelles, Laurence Bibot en pleine réflexion pour son prochain billet d'humour pour la radio publique française... © ISOPIX/SIPA

Avec Laurence Bibot, la maman d’Angèle qui sévit depuis la rentrée chez Charline Vanhoenacker et Alex Vizorek, ils commencent vraiment à nous casser les pieds.


Laurence Bibot est Belge et humoriste. On peut l’entendre sur France Inter, dans l’émission « Par Jupiter » animée par deux humoristes belges, Charline Vanhoenacker et Alex Vizorek. Guillermo Guiz, un autre humoriste belge, a lui trouvé refuge dans l’émission de Nagui sur cette même radio qui semble être devenue une sorte d’asile pour humoristes belges. Ils ont beau être Belges, ces humoristes ont beaucoup de points communs avec les humoristes français de la radio publique : ils sont de gauche, ils sont progressistes, ils ont le cœur sur la main, ils sont payés avec nos impôts, et ils ne sont pas très drôles. Reconnaissons toutefois que Laurence Bibot parvient à être beaucoup plus drôle que Guillaume Meurice ; mais ça, ce n’est pas très difficile : tous les humoristes de France Inter sont beaucoup plus drôles que Guillaume Meurice, tous les humoristes de toutes les radios francophones sont beaucoup plus drôles que Guillaume Meurice, même ma tata Simone ou Jean Lassalle sont beaucoup plus drôles que Guillaume Meurice.

Que des Belges: et la diversité, alors?

Si on veut en croire Laurence Bibot, la scène humoristique française des années 90 était plus vide qu’un meeting d’Anne Hidalgo: « Quand j’étais plus jeune, il y avait en France cinq personnes qui faisaient de l’humour, tous des hommes blancs. Maintenant ça se diversifie et c’est super intéressant » [1]. C’est comme ça dorénavant : les « hommes blancs » d’hier, comme ceux d’aujourd’hui ou de demain, ont interêt à se faire tout petits, quoi qu’ils aient fait, quel qu’ait été le domaine dans lequel ils ont pu exceller, la conquête spatiale, la philosophie, la médecine, la peinture à l’huile, la musique atonale ou l’humour. C’est comme ça dorénavant (bis) : pour que quelque chose devienne « super intéressant » il faut que ce quelque chose « se diversifie » – si ce quelque chose est en plus « inclusif », on atteint alors les sommets de la félicité progressiste.

A lire aussi: France Inter: ras-le-bol de payer pour se faire insulter!

Le contribuable français paie, bon gré mal gré, une redevance audiovisuelle. Celle-ci sert entre autre à rémunérer une humoriste belge pour un court et calamiteux billet hebdomadaire, quatre minutes durant lesquelles elle ricane avec ses compatriotes en comparant par exemple la pâlichonne vie politique de son plat pays natal à… L’homme du Picardie [2], feuilleton français qui, dit-elle, était très français, très ringard et très plat. La preuve : « Il y avait du Christian Barbier »(sic), et « les personnages s’appelaient Thérèse, Yvette et Joseph, ça donne une idée du ton ». Eh oui, chère Laurence Bibot, nous étions en 1968 et les prénoms des Français ressemblaient encore à ceux-là – Thérèse Durtol était jouée par Yvette Étiévant, Joseph Durtol par Christian Barbier, Yvette Durtol par Léone Veron ; on savait ainsi immédiatement sur les eaux de quel pays naviguait le Picardie.

Dans sa dernière chronique (2 février), Laurence Bibot corrobore la thèse du « grand remplacement » : « Pour avoir pris le RER, je confirme que, dans tous les sens du terme, la femme française est colorée, et le chiffre de trois sur quatre ne me semble pas exagéré. » Mais, là où Richard Millet décrit le même RER en en déplorant le « principe évacuateur du peuple français » [3], Laurence Bibot, en bonne bourgeoise bohême progressiste ayant la possibilité d’échapper à la promiscuité multi-ethnique et multiculturaliste, ne cache pas sa satisfaction de voir Paris atteint du même mal que sa région-capitale de la Belgique bientôt entièrement molenbeekisée. Toutefois, la France a encore du retard, sur ce sujet comme sur tant d’autres : le gouvernement belge vient de désigner un ministre de la fonction publique… transgenre. « C’est une première en Europe – chez nous ça ne fait pas débat », claironne-t-elle devant ses compatriotes radiophoniques enjoués, fiers de leur pays qui en remontre à la France pour ce qui est des « avancées sociétales ».

Voici venu le temps des artistes belges arrogants

Les deux enfants de Laurence Bibot sont également « artistes » et sévissent aussi en France. Roméo Elvis Van Laeken (alias Roméo Elvis) est rappeur. Il aurait pu s’appeler Christian Joseph Roméo André Van Laeken mais ses parents ont préféré le prénommer Roméo Johnny Elvis Kiki, persuadés que c’était moins ridicule. Il parle et chante comme n’importe quel autre rappeur, ce qui nous le rend immédiatement antipathique. Angèle Van Laeken, dite Angèle, est chanteuse et féministe. Elle écrit des chansons contre le sexisme (Balance ton quoi), soutient le collectif NousToutes co-fondé par Caroline De Haas, assume d’être une icône LGBT après avoir révélé sa bisexualité et d’avoir brisé le « tabou de la pilosité féminine » en exhibant sur les réseaux sociaux ses aisselles poilues. On ne sait pas encore ce que cette artiste contestataire belge, fille d’une humoriste non-conformiste belge, a décidé de faire pour dénoncer ce que certaines féministes appellent « l’injonction à l’épilation du maillot ». On craint le pire.

A lire aussi: Paris vaut bien un mess

Annie Cordy, Raymond Devos ou Jacques Brel (pour ne nommer que quelques-uns des plus fameux artistes belges qui connurent un grand succès en France) n’avaient pas l’arrogance de ces humoristes et chanteuses belges qui nous font aujourd’hui la morale et délivrent des brevets de bonne conduite. Ils pratiquaient leur art imprégnés de cette instinctive considération sur eux-mêmes décrite par Simon Leys : « S’il est une chose dont le Belge est pénétré, c’est de son insignifiance. Cela, en revanche, lui donne une incomparable libertéun salubre irrespect, d’une tranquille impertinence, frisant l’inconscience » [4] – raison pour laquelle ils conquirent le cœur de nombreux Français qui n’eurent jamais honte de cette culture populaire et de ces Belges talentueux qui les amusèrent, les émurent, les firent rire ou pleurer, sans jamais chercher à les embrigader. Il fut un temps où « un Belge arrogant [était] une contradiction dans les termes » [4]. Ce temps-là est révolu. Au contraire de leurs illustres prédécesseurs, Laurence Bibot et ses arrogants collègues humoristes ont des ambitions prosélytes : ce sont des artistes engagés. Leurs blagues sont des messages. Leur impertinence est citoyenne et inclusive. Ils baignent dans cette époque moralisatrice comme des poissons dans l’eau du bassin wokiste, en ne nageant jamais à contre-courant. Ils sont devenus, comme leurs homologues français, des « mutins de Panurge » (Muray) se transformant à l’occasion en matons, irrespectueux surtout avec ceux qui renâclent à croire que « les avancées sociétales » et le multiculturalisme sont des progrès indispensables et indiscutables. Ils se moquent de nous, salement, sans vergogne ; et nous payons pour ça. Il faut les entendre ricaner ! Car, dans les studios de France Inter, on ne rit plus. Le rire des humoristes d’antan a été remplacé par le ricanement, ce minuscule orgasme buccal des cuistres, des mouchards et des prétentieux…


[1] Entretien donné au site Bruzz le 02 décembre 2021.

[2] L’homme du Picardie, feuilleton français diffusé en 1968 mêlant fiction et aspect documentaire. Il fut parmi les plus regardés des feuilletons de l’ORTF.

[3] Paris bas-ventre : le RER comme principe évacuateur du peuple français, Richard Millet, Éditions La Nouvelle librairie.

[4] Le studio de l’inutilité, Simon Leys, Flammarion.

P.S : Tout n’est pas fichu. Il existe encore des artistes capables de moquer cette époque et de nous faire franchement rire. Je conseille, en vrac, le DVD de la comédie d’Eric Judor intitulée Problemos, les DVD des spectacles de l’humoriste Slovéno-Suisse (l’a failli être Belge, mais non) Gaspard Proust, le dernier DVD de Blanche Gardin tiré de sa série télévisée La meilleure version de moi-même,ou lesdrôlissimes vidéos YouTube de l’humoriste suisse Claude-Inga Barbey. Enfin, dans un autre genre, je conseille le film Les émotifs anonymes (de Jean-Pierre Améris, avec Isabelle Carré), dans lequel le plus génialement foldingue des acteurs belges actuels, Benoît Poelvoorde, joue un de ses plus beaux rôles.

La prise d’Amboise par Abdelkader

1

Une sculpture rendant hommage à l’émir Abdelkader – et déjà vandalisée – trône désormais devant le château d’Amboise pour promouvoir la « tolérance » et la « réconciliation mémorielle » avec l’Algérie.


Les temps ont décidément bien changé. Nous vivons une époque étonnante où le statut et les statues de Churchill[1] et de Gaulle[2], jugés (entre autres) racistes, vacillent. Où la mairie de Rouen se demande si Napoléon et son cheval doivent rester à leur place, celle de la mairie[3]. Où l’ex-Premier ministre et maire de Nantes Jean-Marc Ayrault – qui a pourtant supporté de voir les rues et les avenues de sa ville honorer des négriers impliqués dans le commerce triangulaire réclame depuis des années que les lieux rendant hommage à Colbert soient épurés, Code noir oblige. Où une sculpture de l’émir Abdelkader (d’une valeur de 35 000 euros) financée par les pouvoirs publics vient d’être érigée en face du château d’Amboise, suivant ainsi les recommandations du rapport de Benjamin Stora sur la colonisation et la guerre d’Algérie…

À lire aussi, Loris Chavanette: La question algérienne: un procès à charge qui ne dit pas son nom

Une statue loin de faire l’unanimité

C’est au château d’Amboise que l’émir est retenu prisonnier pendant quatre ans, suite à sa reddition en 1847[4]. L’édicule à la gloire de celui qui incarne la résistance algérienne face à la colonisation ne semble toutefois pas faire l’unanimité puisqu’il a (déjà) été dégradé avec une meuleuse quelques heures avant son inauguration, ce samedi 5 février, provoquant les cris d’orfraie de Benjamin Stora ou de la ministre de la Culture Roselyne Bachelot[5]. Car « le meilleur ennemi de la France » comme on l’appelait naguère, est aujourd’hui l’emblème de la « réconciliation mémorielle » entre nos deux pays. Peu importe au passage qu’une seule des deux rives de la Méditerranée semble vraiment la souhaiter, cette « réconciliation mémorielle ». 

Figure mythifiée par la doxa, l’ancien chef de guerre est désormais un symbole de tolérance, un esprit chevaleresque promoteur d’un Islam des Lumières, un apôtre du dialogue entre les religions. Pour un peu, il taperait presque à la porte du Panthéon. Celui qui unifie les tribus contre l’oppresseur ne libère-t-il pas un jour des prisonniers français parce qu’il n’a plus rien pour les nourrir ? Lors de son exil à Damas, alors que des milliers de chrétiens sont massacrés (en 1860), ne fait-il pas la tournée des chefs druzes pour mettre un terme aux atrocités ? Sans doute moins par humanitarisme d’ailleurs, que parce qu’il redoute l’intervention des puissances européennes en terre ottomane. Napoléon III ne lui décerne-t-il pas la grand-croix de la Légion d’honneur ? Dans La Nouvelle République[6] du 30 janvier, l’écrivaine amboisienne Martine Le Coz fait du « père de la nation algérienne », qui lui a inspiré un roman (Le Jardin d’Orient), « une personne d’une grande largesse d’esprit et de cœur », un « homme exemplaire, d’une telle grandeur d’âme ». Et de conclure : « S’il y a une personne lumineuse à Amboise, c’est lui. » C’est mettre un peu vite sous le tapis persan certains aspects de la vie d’Abdelkader…

À lire ensuite, Jean-Paul Brighelli: Rapport Stora : la repentance à sens unique?

La fable de l’islam éclairé d’Abdelkader

Notre « homme exemplaire » extermine en 1838 la tribu des Kouloughlis, coupable de s’être ralliée aux Français. « Il l’a fait égorger tout entière sous nos yeux », témoignera par la suite Alexis de Tocqueville dans De la colonie en Algérie. Huit ans plus tard, le chef de guerre écrase les troupes coloniales lors de la bataille de Sidi-Brahim, mais quelques survivants résistent encore. En état de siège, sans vivres, ni eau, les Français sont contraints de boire leur propre urine ou celle de leurs chevaux et coupent leurs balles en morceaux pour tenir le plus longtemps possible. Abdelkader fait alors décapiter sous leurs yeux le capitaine Dutertre, qui refuse d’inciter ses hommes à rendre les armes. Quant au prétendu islam éclairé de notre « personne lumineuse », disons qu’il lui manque peut-être quelques bougies. Dans le territoire qu’il contrôle, au nord de l’Algérie [7], l’émir nomme des magistrats qui rendent une justice expéditive et souvent très rude basée sur les principes islamiques.

Marié à deux femmes, dont sa cousine Lalla, il proscrit à ses hommes les jeux de hasard, le vin, le tabac et toute forme de luxe, les incitant plutôt à acheter des armes et des chevaux pour le djihad[8]. « Il ne faut pas toucher aux idoles : la dorure en reste aux mains ». C’est du Flaubert.


La conquête de l'Algérie. La dernière campagne d'Abd el-Kader

Price: 10,00 €

12 used & new available from 10,00 €

De la colonie en Algérie

Price: 1,90 €

11 used & new available from

Le jardins d'orient

Price: 6,49 €

18 used & new available from

[1] En juin 2020, un jeune activiste d’Extinction Rebellion écrit « raciste » avec de la peinture jaune sur le socle de la statue de Winston Churchill à Westminster (Londres). En février 2021, les élèves et les enseignants d’un collège du Sussex en Angleterre débaptisent un des bâtiments de l’établissement qui porte le nom de l’homme qui a tenu tête à Hitler car « Churchill était un homme qui a promu le racisme et l’inégalité, et a injustement emprisonné et torturé de nombreuses personnes ».

[2] En octobre 2018 à Nice, le socle du général est vandalisé avec une inscription : « les Français sont des veaux ». En juin 2020, sa statue est recouverte de peinture jaune à Pavillon-Sous-Bois (93) et d’une peinture vive aux tons orangés à Hautmont (59) avec le mot « esclavagiste » tagué sur le piédestal. En août 2020, différentes inscriptions en créole sont peintes en noire et rouge sur le buste à son effigie installé au Robert en Martinique : « Nous ne sommes pas français », « Retirez-la » et « 1944 : massacre de Thiaroye », une référence aux tirailleurs sénégalais tués par l’armée française en 1944, dans un camp près de Dakar. Dans un tweet, la Ligue de défense noire africaine écrit, à l’occasion du 80e anniversaire de l’appel du 18 juin 1940 : « Si Charles De Gaulle était un grand criminel, il fut aussi un fugitif de la seconde guerre dite mondiale (…) Face à la débâcle française durant la guerre, De Gaulle prend la décision de fuir plutôt que défendre son territoire. »

[3] En septembre 2020, le maire socialiste de Rouen propose de remplacer la statue équestre de l’Empereur par une « figure féminine ». Consultée en décembre 2021, la population vote à 68 % pour que Napoléon et son cheval retrouvent leur socle initial.

[4] La promesse du général de Lamoricière de laisser Abdelkader s’exiler à Alexandrie ne sera pas honorée par la France, qui a entre-temps changé de régime.

[5] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/02/05/la-sculpture-d-abdelkader-heros-national-en-algerie-vandalisee-avant-son-inauguration-a-amboise_6112465_3212.html

[6] https://www.lanouvellerepublique.fr/amboise/amboise-gros-plan-sur-l-emir-abdelkader-une-personne-lumineuse

[7] Entre 1832 et 1847, Abdelkader a la mainmise sur une partie du nord de l’Algérie autour de Mascara, entre Oran et Alger.

[8] « Abd el-Kader, chef de guerre », Jacques Frémeaux dans la Revue historique des armées 2008.

Eric Zemmour à Lille: la monnaie de sa pièce

0
Eric Zemmour à Lille, 5 février 2022 © FRANCOIS GREUEZ/SIPA

Il est parfois reproché à Eric Zemmour un certain lyrisme, voire un décalage avec les préoccupations quotidiennes des Français. Dans le nord, le candidat était attendu sur le sujet très prosaïque du pouvoir d’achat. Mais, malgré tout, même en évoquant le pouvoir d’achat ou le travail, Eric Zemmour a livré à Lille un discours plus idéologique qu’il n’y parait. Analyse.


Pour compter politiquement, il faut aussi savoir compter – littéralement. Aussi, Éric Zemmour est venu au palais des Congrès de Lille samedi 5 février pour parler « monnaie ». La pièce était à ce titre impeccable : son et lumières hypnotiques, bain de foule à l’entrée, petit tour de scène pour saluer son public, prononciation ternaire et magnifique péroraison. La France se découvre un orateur dont le talent s’affermit de discours en discours. Mais devant une forme aussi soignée, le thème du jour choisi par le candidat pouvait sembler un peu trivial. 

« Le travail doit payer » assène Eric Zemmour, qui annonce le retour des heures supplémentaires défiscalisées – idée phare du « travailler plus pour gagner plus » de Nicolas Sarkozy qu’il cite nommément. Musclant sa rhétorique, il dénonce ensuite la bureaucratie « qui nous écrase » et reprend la promesse d’un grand soir fiscal : « nous sommes le peuple le plus taxé au monde. Nous travaillons la moitié de l’année pour l’Etat ». 

Pour la fiche de paie, il rappelle sa promesse d’un treizième mois obtenu par une baisse des cotisations sociales sur les salaires, et y ajoute une prime entièrement défiscalisée à la discrétion des employeurs. Effort d’empathie envers les femmes oblige, il exprime sa sollicitude à celles « sans le sou qui ne peuvent pas voir leur mère en EPHAD, car l’essence coûte trop cher ».

Les thèmes fondamentaux relégués aux seconds couteaux?

La salle applaudit poliment, mais ce n’est que lorsqu’elle entendra dénoncer les fraudes sociales ou le coût de l’immigration qu’elle se réveillera vraiment. Les sympathisants de Zemmour ne vibrent assurément que sur d’autres thèmes que les thèmes économiques, et notamment lorsque les mots d’autorité ou de remplacement sont convoqués.

A lire aussi: Marine ou la dédiabolisation tranquille

Pour ces fondamentaux, les lieutenants et chauffeurs de salle s’en étaient en fait déjà chargés – l’occasion aussi pour chacun d’eux de marquer sa spécificité. Jean-Frédéric Poisson a fait huer les restrictions sanitaires. Gilbert Collard a donné dans l’hyper-lourd quand il a félicité la salle pour n’être pas venue en « état d’aubryété » – allusion au maire de Lille qui avait appelé à manifester contre la venue du candidat dans sa ville. Philippe de Villiers, de son côté, a fait chanter la salle en entonnant d’entrée « au nord c’étaient les corons… » de Pierre Bachelet. Guillaume Peltier, enfin, a fait applaudir Philippe Auguste et a raconté la bataille de Bouvines, page régionale et flamande du fameux roman national qu’Éric Zemmour aimerait de nouveau voir enseigner dans les écoles. 

De l’idéologie… 

Derrière la liste de mesures économiques et la série de chiffres du discours de Zemmour, on a vu cependant poindre l’idéologue. 

Introduisant son propos en appelant à « la réconciliation des classes », l’orateur a évoqué « l’alliance du capital au travail ». La formule n’est pas nouvelle. Contrairement à une idée reçue, la droite s’est précocement inquiétée de la question sociale – redoutant que des antagonismes sociaux trop forts n’entravent la concorde nationale et ne détournent l’élan vital du peuple d’un souci politique vers le ressentiment et la lutte des classes. Autrement dit, quand les marxistes proclamaient « pas de guerre entre les peuples, pas de paix entre les classes », la droite était tentée d’inverser la perspective. Pour y parvenir, moult remèdes ont déjà été imaginés : le corporatisme dans l’entre-deux guerre pour accrocher la loyauté du maitre à l’ouvrier ; ou le protectionnisme, de tout temps, qui présente la nation en protectrice des intérêts du travailleur. Significativement, Eric Zemmour ressort l’idée de participation : loi de partage du capital et du travail que le Général de Gaulle avait conçue comme une grande avancée sociale et aussi comme une réponse politique aux grèves ouvrières de 1968. L’idée effrayait alors la droite conservatrice et Arnaud Teyssier a pu montrer dans De Gaulle, 1969 qu’elle avait joué un grand rôle dans la chute du Général.

Le discours prononcé à Lille était fort habilement écrit, notamment lorsqu’il réussissait à articuler enjeux symboliques et économiques : « ils ne nous déclasseront pas, ils ne nous soumettront pas, ils ne nous remplaceront pas ». 

Le candidat a ainsi rappelé que le travail recouvrait aussi des enjeux symboliques : ceux « de l’honneur et de la dignité ».

« Ici dans le Nord, on est les héritiers de ces générations d’ouvriers durs à la tâche qui ne ménageaient pas leur peine. Ici, encore plus qu’ailleurs, l’assistanat est une insulte », a-t-il affirmé.

… et des contradictions 

Parmi les éditorialistes de droite, Éric Zemmour a longtemps marqué sa singularité en offrant une dénonciation quasi-marxiste du capitalisme, expliquant que la mondialisation offrait au capital de se passer de tout compromis avec le travail – la possibilité lui étant offerte de le délocaliser ou de l’importer par une main d’œuvre immigrée à moindre coût. Soucieux de draguer « la bourgeoisie patriote », l’inflexion idéologique du candidat est assez claire et sa dénonciation du capitalisme peut paraitre de plus en plus molle. 

A lire aussi: Zemmour bienvenu chez les chtis

Sur le commerce aussi, le discours d’Eric Zemmour risque de souffrir de certaines contradictions. Quand le candidat adressait ses vœux aux petits commerçants, on sentait tout en sincérité un souci de remettre la boulangère et le cafetier au milieu du village. Il avait également avancé quelques propositions pour durcir les conditions d’installation de la grande distribution, soutenir l’emploi en cœur de ville ou en cœur de bourg. Mais comment imaginer que son soutien au petit commerce puisse favoriser le pouvoir d’achat des Français quand leurs marges peuvent monter à 40% pour certains produits contre 6 ou 7% pour la grande distribution ? 

La réindustrialisation de la France et la relocalisation sont des thèmes forts des deux candidats nationalistes, Éric Zemmour comme Marine Le Pen. Mais une TVA sociale aux frontières nationales ou européennes – pilier de tout programme protectionniste – ne renchérirait-elle pas l’achat de produits importés à bas coût, lesquels sont devenus l’essentiel de la consommation populaire ? Par ailleurs, l’objectif claironné par Éric Zemmour dès son entrée en campagne de rééquilibrer la balance commerciale de la France est-il vraiment compatible avec un soutien significatif au pouvoir d’achat des Français qui, mécaniquement, gonflerait encore nos importations et dégraderait encore notre déficit extérieur ?

La droite a-t-elle, enfin, vraiment quelque chose à dire sur le pouvoir d’achat ? Ce sujet, et toutes les revendications qui l’accompagnent, ont toujours été regardés avec une certaine méfiance chez les intellectuels les plus conservateurs qui peuvent l’associer au consumérisme, à l’esprit de jouissance et à une forme de décadence par appétit des choses matérielles… 

Ce passage obligé du candidat par la case porte-monnaie convaincra-t-il les électeurs ? Éric Zemmour aura au moins rempli le contrat en jouant momentanément au père Noël de la présidentielle… Mais comme déjà dit plus haut, dans la salle, ses partisans applaudissaient beaucoup plus facilement le retour à ses thèmes traditionnels que ce catalogue de mesures sociales.

Un voyage de rêve aux antipodes

0
Détail de la couverture

Bruno Fuligni publie un Petit lexique en usage dans les Terres australes et antarctiques françaises… (Maisonneuve & Larose/Hémisphères Ed.).


Sauf à défier la réalité la plus patente, on ne saurait affirmer que la France entretient, avec ses terres australes et antarctiques, des relations étroites. Qui saurait, chez nous, situer avec précision, sur une mappemonde, tous les îles et îlots qui forment les TAAF (terres australes et antarctiques françaises) ? A l’inverse, qui a jamais vu débarquer, à Chambord ou à Chenonceau, des cars de touristes venant de Terre Adélie ?

À lire aussi, du même auteur: Céline et la confusion des valeurs

Une indéniable poésie

D’aucuns s’en féliciteront : les contacts seraient-ils plus chaleureux, on n’ose imaginer sans frémir les conséquences qui en résulteraient, en nos temps de réchauffement climatique. D’autres, en revanche, ne manqueront pas d’arguer que ces territoires recèlent des trésors aussi inestimables que méconnus. Non de ces ressources maritimes, minières ou souterraines qui alimentent les conflits entre les peuples, mais dans un domaine beaucoup plus subtil, celui de la langue. À preuve, l’Argot des manchots, de Bruno Fuligni, universitaire et écrivain. Un petit lexique qui tombe à point nommé pour célébrer la découverte des îles Crozet et Kerguelen, en 1772, il y a deux siècles et demi. 

Bruno Fuligni photographié en 2018 © Jacques BENAROCH/SIPA Numéro de reportage : 00839227_000040

Partant du constat que les TAAF sont des lieux de transit dans lesquels se succèdent des équipes de scientifiques, techniciens ou militaires, parlant des langues différentes, l’auteur a reconstitué à leur usage un lexique leur permettant de communiquer. Une sorte d’espéranto, ou d’argot, le taafien. Tout en conservant la grammaire du français, ce langage fait un grand usage de sigles, acronymes et abréviations compréhensibles par les seuls spécialistes – et, bien sûr, par les manchots, seuls habitants permanents de ces contrées.

Le résultat est irrésistible. À la fois drôle, voire cocasse, cette novlangue dégage une indéniable poésie. Le lecteur s’y trouve plongé dans un univers singulier où l’algo, apocope d’algologue, voisine avec l’Armorigène, venu de la base d’Armor. Où le bourbon, un éléphant de mer qui n’a rien de commun avec la dynastie royale, croise le goél, descendant du goéland amputé de sa queue. Où le maca, oiseau issu du gorfou macaroni, se perche parfois sur un mât lomo, un pylone en tubes d’acier du plus bel effet. Au total, un antidote idéal à la morosité ambiante et le moyen de se dépayser à peu de frais.

Burt Reynolds: les routiers sont toujours sympas!

0
"Cours apres moi sherif" de Hal Needham, 1977 © SIPA

“Cours après moi, shérif !”, road-movie redneck d’anthologie, fête ses 45 ans dans une version Blu-ray enrichie


Ce film est un pousse-au-crime ! Il condense tout ce que les progressistes abhorrent. Il est une offense à toutes les croyances modernes, une barrière contre la modération ambiante et une poilade routière comme il serait interdit d’en réaliser une aujourd’hui, sous peine d’excommunication médiatique. « Cours après moi, shérif » (Smokey and the Bandit en version originale) n’a pas vocation à éduquer les jeunes générations dans la repentance et la flagellation permanente. 

Il ne professe rien, sinon le plaisir de courir après le temps et de frimer au volant. Un programme politique dont la pertinence me semble d’actualité et largement sous-estimer par des gouvernants amorphes. La liberté de ton de ce film improbable, son humour agricole, ses blagues au ras du bitume et ses multiples tôles froissées font office de résistance à l’esprit de sérieux qui s’offusque du moindre dérapage (plus ou moins contrôlé). 

Burt Reynolds, la madeleine de Proust des Etats du Sud

En 1977, on osait se moquer des différences, pousser la caricature jusqu’à l’implosion et surtout ne pas priver le public d’une course-poursuite de 95 mn. Littéralement dingue et clownesque, huis clos à l’intérieur d’une Pontiac Trans Am noire et romance à l’huile de ricin pour hippy dessalé, ce long-métrage à petit budget (1 million de dollars) a créé la surprise au box-office. Il a rapporté cent fois la mise à ses producteurs et concurrencé sérieusement le premier Star Wars. 

Ce qui ne devait être qu’une série B réhaussée par la présence de Burt Reynolds est devenu, au fil des années, un marqueur identitaire et une madeleine de Proust pour les états du Sud. Le film a fait l’objet de suites bringuebalantes et ouvert la voie à une célèbre série télé qui fit les beaux jours de la mémorable Cinq. Les censeurs peuvent passer leur chemin et remballer leur manuel du « gentil citoyen » écoresponsable et allergique à l’or noir. Ils ne comprendraient rien à la ruralité poétique des grands espaces, aux miracles sonores de la radio cibi, aux chevauchées mécaniques et à cette forme de rébellion salvatrice contre tous les autoritarismes obtus. La première scène est de nature à donner la nausée aux asthmatiques. On y voit un splendide Truck de marque Kenworth tirant une longue remorque à l’effigie de la Conquête de l’Ouest, fumant et ronflant de désir comme une diligence traversant un western. Le scénario ne dénonce pas une sombre machination et l’avenir du monde, rassurez-vous, n’est pas en jeu. Le routier Bo Darville, surnommé le Bandit, interprété par un Burt Reynolds au meilleur de son charme pétillant, stetson sur la tête et moustache country, doit transporter 400 caisses de bières entre le Texas et la Géorgie. Ce pari illégal lui est proposé par le millionnaire Enos Burdette. Dans cette mission civilisatrice, il est aidé par son ami Snowman qui ne se sépare jamais de son basset hound. Et, pour parvenir à leurs fins, c’est-à-dire parcourir 3 000 km en 28 heures, ils devront réussir à semer l’impitoyable et délirant shérif Buford T. Justice lancé à leurs trousses. 

Point de métaphysique là-dedans, ni d’introspection pesante. Malgré tout, une distance avec le réel qui fait du bien, une absence de moraline qui aère les bronches et un regard sur l’Amérique profonde sans jugement hâtif. « Je classerais ce film dans la catégorie du film pour samedi après-midi pluvieux » avertissait Burt Reynolds (1936-2018). Le film fut réalisé par son ami Hal Needham, cascadeur de légende et roi du carambolage explosif. Le duo que formèrent ces deux-là a fortement inspiré Tarantino dans « Once Upon a Time… in Hollywood », notamment la relation complice qu’entretiennent Leonardo di Caprio et Brad Pitt. Ce cinéma décorseté et libérateur, qui refuse l’idéologie de la soumission, nous manque tellement. 

Esthétique du frimeur

Burt Reynolds, irrésistible en cow-boy de la route, sorte de Jesse James seventies illustrait à merveille cette coolitude rieuse. Les paroles de la chanson qui accompagne le film en témoignent : « Il a l’asphalte dans le sang, le pied de plomb, les nerfs d’acier, … ». Toute cette odyssée sauvage ne serait rien sans la présence lumineuse de Sally Field, compagne de Reynolds à la ville et à l’écran à ce moment-là, elle donne à cette mascarade une émotion fragile et un charme difficilement soutenable. Elle peut vous tirer des larmes à l’arrière d’une berline. Retrouvez ce film dans une édition Blu-Ray particulièrement réussie avec une excellente présentation du journaliste Jean-François Dickeli en bonus. Et, adoptez la philosophie du Bandit, qui se résume à : « Je vais d’un endroit à l’autre et je fais ce que je fais de mieux… Frimer ! ».

Blu-ray « Cours après moi, shérif » – BQHL éditions

Cours après moi, shérif !

Price: 17,99 €

7 used & new available from 17,99 €

Tu fais pas le poids, shérif! [Blu-ray]

Price: 14,00 €

11 used & new available from 12,50 €