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La prise d’Amboise par Abdelkader

Le résistant algérien était-il vraiment le pionnier du dialogue interreligieux qu'on nous présente?


La prise d’Amboise par Abdelkader
Un imam devant la sculpture rendant hommage à Abdelkader, Amboise, 5 février 2022 © GUILLAUME SOUVANT / AFP

Une sculpture rendant hommage à l’émir Abdelkader – et déjà vandalisée – trône désormais devant le château d’Amboise pour promouvoir la « tolérance » et la « réconciliation mémorielle » avec l’Algérie.


Les temps ont décidément bien changé. Nous vivons une époque étonnante où le statut et les statues de Churchill[1] et de Gaulle[2], jugés (entre autres) racistes, vacillent. Où la mairie de Rouen se demande si Napoléon et son cheval doivent rester à leur place, celle de la mairie[3]. Où l’ex-Premier ministre et maire de Nantes Jean-Marc Ayrault – qui a pourtant supporté de voir les rues et les avenues de sa ville honorer des négriers impliqués dans le commerce triangulaire réclame depuis des années que les lieux rendant hommage à Colbert soient épurés, Code noir oblige. Où une sculpture de l’émir Abdelkader (d’une valeur de 35 000 euros) financée par les pouvoirs publics vient d’être érigée en face du château d’Amboise, suivant ainsi les recommandations du rapport de Benjamin Stora sur la colonisation et la guerre d’Algérie…

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Une statue loin de faire l’unanimité

C’est au château d’Amboise que l’émir est retenu prisonnier pendant quatre ans, suite à sa reddition en 1847[4]. L’édicule à la gloire de celui qui incarne la résistance algérienne face à la colonisation ne semble toutefois pas faire l’unanimité puisqu’il a (déjà) été dégradé avec une meuleuse quelques heures avant son inauguration, ce samedi 5 février, provoquant les cris d’orfraie de Benjamin Stora ou de la ministre de la Culture Roselyne Bachelot[5]. Car « le meilleur ennemi de la France » comme on l’appelait naguère, est aujourd’hui l’emblème de la « réconciliation mémorielle » entre nos deux pays. Peu importe au passage qu’une seule des deux rives de la Méditerranée semble vraiment la souhaiter, cette « réconciliation mémorielle ». 

Figure mythifiée par la doxa, l’ancien chef de guerre est désormais un symbole de tolérance, un esprit chevaleresque promoteur d’un Islam des Lumières, un apôtre du dialogue entre les religions. Pour un peu, il taperait presque à la porte du Panthéon. Celui qui unifie les tribus contre l’oppresseur ne libère-t-il pas un jour des prisonniers français parce qu’il n’a plus rien pour les nourrir ? Lors de son exil à Damas, alors que des milliers de chrétiens sont massacrés (en 1860), ne fait-il pas la tournée des chefs druzes pour mettre un terme aux atrocités ? Sans doute moins par humanitarisme d’ailleurs, que parce qu’il redoute l’intervention des puissances européennes en terre ottomane. Napoléon III ne lui décerne-t-il pas la grand-croix de la Légion d’honneur ? Dans La Nouvelle République[6] du 30 janvier, l’écrivaine amboisienne Martine Le Coz fait du « père de la nation algérienne », qui lui a inspiré un roman (Le Jardin d’Orient), « une personne d’une grande largesse d’esprit et de cœur », un « homme exemplaire, d’une telle grandeur d’âme ». Et de conclure : « S’il y a une personne lumineuse à Amboise, c’est lui. » C’est mettre un peu vite sous le tapis persan certains aspects de la vie d’Abdelkader…

À lire ensuite, Jean-Paul Brighelli: Rapport Stora : la repentance à sens unique?

La fable de l’islam éclairé d’Abdelkader

Notre « homme exemplaire » extermine en 1838 la tribu des Kouloughlis, coupable de s’être ralliée aux Français. « Il l’a fait égorger tout entière sous nos yeux », témoignera par la suite Alexis de Tocqueville dans De la colonie en Algérie. Huit ans plus tard, le chef de guerre écrase les troupes coloniales lors de la bataille de Sidi-Brahim, mais quelques survivants résistent encore. En état de siège, sans vivres, ni eau, les Français sont contraints de boire leur propre urine ou celle de leurs chevaux et coupent leurs balles en morceaux pour tenir le plus longtemps possible. Abdelkader fait alors décapiter sous leurs yeux le capitaine Dutertre, qui refuse d’inciter ses hommes à rendre les armes. Quant au prétendu islam éclairé de notre « personne lumineuse », disons qu’il lui manque peut-être quelques bougies. Dans le territoire qu’il contrôle, au nord de l’Algérie [7], l’émir nomme des magistrats qui rendent une justice expéditive et souvent très rude basée sur les principes islamiques.

Marié à deux femmes, dont sa cousine Lalla, il proscrit à ses hommes les jeux de hasard, le vin, le tabac et toute forme de luxe, les incitant plutôt à acheter des armes et des chevaux pour le djihad[8]. « Il ne faut pas toucher aux idoles : la dorure en reste aux mains ». C’est du Flaubert.


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[1] En juin 2020, un jeune activiste d’Extinction Rebellion écrit « raciste » avec de la peinture jaune sur le socle de la statue de Winston Churchill à Westminster (Londres). En février 2021, les élèves et les enseignants d’un collège du Sussex en Angleterre débaptisent un des bâtiments de l’établissement qui porte le nom de l’homme qui a tenu tête à Hitler car « Churchill était un homme qui a promu le racisme et l’inégalité, et a injustement emprisonné et torturé de nombreuses personnes ».

[2] En octobre 2018 à Nice, le socle du général est vandalisé avec une inscription : « les Français sont des veaux ». En juin 2020, sa statue est recouverte de peinture jaune à Pavillon-Sous-Bois (93) et d’une peinture vive aux tons orangés à Hautmont (59) avec le mot « esclavagiste » tagué sur le piédestal. En août 2020, différentes inscriptions en créole sont peintes en noire et rouge sur le buste à son effigie installé au Robert en Martinique : « Nous ne sommes pas français », « Retirez-la » et « 1944 : massacre de Thiaroye », une référence aux tirailleurs sénégalais tués par l’armée française en 1944, dans un camp près de Dakar. Dans un tweet, la Ligue de défense noire africaine écrit, à l’occasion du 80e anniversaire de l’appel du 18 juin 1940 : « Si Charles De Gaulle était un grand criminel, il fut aussi un fugitif de la seconde guerre dite mondiale (…) Face à la débâcle française durant la guerre, De Gaulle prend la décision de fuir plutôt que défendre son territoire. »

[3] En septembre 2020, le maire socialiste de Rouen propose de remplacer la statue équestre de l’Empereur par une « figure féminine ». Consultée en décembre 2021, la population vote à 68 % pour que Napoléon et son cheval retrouvent leur socle initial.

[4] La promesse du général de Lamoricière de laisser Abdelkader s’exiler à Alexandrie ne sera pas honorée par la France, qui a entre-temps changé de régime.

[5] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/02/05/la-sculpture-d-abdelkader-heros-national-en-algerie-vandalisee-avant-son-inauguration-a-amboise_6112465_3212.html

[6] https://www.lanouvellerepublique.fr/amboise/amboise-gros-plan-sur-l-emir-abdelkader-une-personne-lumineuse

[7] Entre 1832 et 1847, Abdelkader a la mainmise sur une partie du nord de l’Algérie autour de Mascara, entre Oran et Alger.

[8] « Abd el-Kader, chef de guerre », Jacques Frémeaux dans la Revue historique des armées 2008.




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Journaliste. Il a notamment participé au lancement du quotidien 20 Minutes en France début 2002 et a récemment écrit pour Causeur

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