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Gays for Jordan?

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L’hebdomadaire féminin ELLE s’émeut de la banalisation des homosexuels qui se mettent à voter comme tout le monde…


D’après une enquête du magazine Elle, le Rassemblement national a la cote chez les homosexuels. Deux phénomènes :

  • Le premier n’est pas un secret de polichinelle parce que ce pas un secret du tout. Le RN est le parti qui compte le plus d’homosexuels affichés (comme Jean-Philippe Tanguy ou Sébastien Chenu, fondateur de GayLib). Sur 82 élus masculins, il y aurait 30 à 35 homos.
  • Jusqu’en 2012, les homosexuels votaient massivement à gauche. Mais dans le sondage IFOP cité par Elle, 30 % des homos s’apprêteraient à voter Bardella.

De l’eau a coulé sous les ponts

Tempête sous les crânes militants. Pour la gauche, le lobby LGBT et les journalistes de Elle, les choses sont assez simples : être homosexuel c’est bien, être progressiste c’est bien. L’homosexuel est progressiste et l’extrême droite homophobe. La preuve, le RN est allié avec Viktor Orban. Les mêmes ne reprochent pas à Mélenchon sa complaisance avec les Mollahs. Et eux ne refusent pas le mariage gay comme Orban, ils pendent les homosexuels.  

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Dans les crimes imputés au FN puis RN, l’homophobie suivait de près le racisme et l’antisémitisme. Accusation nourrie par les saillies de Jean-Marie Le Pen sur les sidaïques ou les folles. Lui-même avait comme majordome et plus proche conseiller deux homos. Mais dans la frange catho-tradi très conservatrice de son électorat, l’homophobie était décomplexée. Aujourd’hui, dire que le RN est homophobe est une plaisanterie.

Qu’est-ce qui explique ce changement, l’arrivée de Marine Le Pen ?

La société a changé. Les homosexuels ont gagné le droit à l’indifférence. Il n’y a plus de discriminations à combattre au grand dam des associations qui en cherchent désespérément à l’extrême droite mais ne les voient pas dans nos territoires perdus ou à Gaza.

La vraie homophobie, celle qui casse la figure aux homosexuels, a plutôt cours dans les banlieues travaillées par l’islam radical, pas chez les bourgeois du XVI qui, s’ils en ont, gardent leurs mauvais sentiments pour eux. Gays for Jordan est plus crédible que Queers for Gaza – désolée.

En réalité, les homosexuels ne votent pas plus pour le RN, ils votent comme les autres Français et se fichent totalement des consignes de militants. « Grâce à la banalisation de l’homosexualité, l’orientation sexuelle ne pèse plus autant sur le vote» regrette l’auteur de l’enquête de Elle, Hicham Zemrani. Les homos ne votent pas en tant qu’homos. Cela devrait réjouir le lobby LGBT. Les homosexuels ne sont plus une minorité montrée du doigt, ni une communauté politique. Ce sont des citoyens comme vous-et-moi. Ils votent avec leur tête pas avec leurs fesses.


Cette chronique a été diffusée sur Sud radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale

La France humiliée mais Boualem libre

Toute la classe politique aurait dû célébrer la libération de Boualem Sansal. Mais perdue dans ses compromissions ou ses renoncements, elle confond prudence et lâcheté. Après les geôles d’Alger, l’écrivain rebelle découvre, en France, le bridage médiatique.


La libération de Boualem Sansal aurait dû être un moment de soulagement, puis de fierté nationale. Elle aurait pu rappeler que la France reste, au-delà de ses contra dictions, un pays qui protège les écrivains menacés, les esprits libres, les consciences dissidentes. Au lieu de cela, elle met cruellement en lumière nos renoncements, notre timidité diplomatique et, plus grave encore, l’abdication d’une partie de la classe politique face à un régime autoritaire. Le contraste est brutal : quand la France hésite, recule ou se tait, c’est l’Allemagne qui obtient la libération de Boualem Sansal.

La France a peur d’Alger

Depuis des années, Sansal incarne tout ce que les dictatures redoutent : la parole libre, l’ironie acérée, la critique lucide de l’islamisme et du militarisme algérien. Il n’a jamais renoncé à dénoncer le conformisme, la corruption et la dérive autoritaire du pouvoir d’Alger. Voir un tel écrivain arrêté, humilié, menacé pour ses idées aurait dû déclencher un réflexe immédiat dans le pays des Lumières. Ce réflexe n’est jamais venu.

Pire encore : alors que la société civile s’inquiétait, que des voix académiques et littéraires tentaient de s’élever, les autorités françaises se sont réfugiées dans un mutisme embarrassé. Pas un mot fort, pas une condamnation nette, pas la moindre pression publique, les efforts isolés – quoique courageux – de Bruno Retailleau mis à part. La raison est connue : la France a peur d’Alger. Peur de froisser un partenaire imprévisible. Peur de remettre en question une coopération sécuritaire fragile. Peur, surtout, d’affronter une mémoire franco-algérienne instrumentalisée, que nos gouvernants tentent d’apaiser au moyen de repentances symboliques plutôt que par la défense de principes.

Cette prudence, que certains osent appeler « réalisme diplomatique », n’est rien d’autre qu’une forme de lâcheté. Une lâcheté d’autant plus choquante qu’elle contraste avec la détermination de l’Allemagne. Berlin, sans passé colonial en Algérie, sans dette mémorielle utilisée comme chantage, a agi avec fermeté et célérité pour sortir de sa geôle un écrivain persécuté. Ce simple écart de posture révèle une vérité dérangeante : la France n’est plus, dans cette région du monde, un acteur respecté, mais un pays paralysé par sa culpabilité et incapable d’affirmer ses lignes rouges.

Le naufrage des Insoumis

Plus grave encore est l’attitude d’une partie de la gauche radicale française, au premier rang de laquelle La France insoumise. Au lieu de défendre la liberté d’expression d’un intellectuel persécuté, plusieurs députés LFI ont choisi de le calomnier, l’accusant de « racisme » et d’« islamophobie » – anathèmes automatiques dès qu’un penseur critique l’islamisme ou ses relais politiques. Ils ont voté contre les résolutions appelant à sa libération, préférant s’en prendre à l’écrivain plutôt qu’au régime qui l’emprisonne. L’histoire retiendra leurs noms.

Boualem Sansal n’est certes pas consensuel. Sa critique de l’islamisme est frontale, sans fard. Il ose même critiquer l’islam, ce qui est son droit le plus absolu au pays de Charlie. Son regard sur les dérives identitaires heurte ceux qui confondent défense des minorités et sacralisation d’une religion. Mais c’est cela, précisément, la litté rature : la liberté d’inquiéter, de bousculer, de choquer. Or ce sont des élus de la République qui ont rejoint, consciemment ou non, le camp de ceux qui veulent faire taire les voix dissidentes.

Maintenant qu’il est « libéré », une question se pose : l’est-il vraiment ? Peut-on dire aujourd’hui que Boualem Sansal a recouvré sa liberté pleine et entière lorsqu’il affirme lui-même qu’il devra « modérer » sa parole pour ne pas mettre en danger les siens ? Lui est-il demandé – et par qui ? – de ne pas livrer le fond de sa pensée et le récit de son emprisonnement ? Le gouvernement français, soucieux de préserver ses relations avec Alger, impose-t-il implicitement à Sansal une prudence qui tranche avec son esprit rebelle et effronté ?

À cela s’ajoute un plan média verrouillé, conçu par Gallimard : une première prise de parole sur France Inter, puis une autre sur France Télévisions – ce même service public qui a laissé traiter l’écrivain de raciste et d’islamophobe, et qui n’a jamais rectifié ni assumé les injures de certains de ses chroniqueurs. Qu’un auteur libéré d’une dictature commence son retour par un parcours médiatique ainsi organisé interroge : protège-t-on Sansal, ou encadre-t-on ce qu’il est autorisé à dire ? Il y a quelque chose de terrible dans cette image d’un dissident surveillé par ses libérateurs.

Boualem est certes revenu en France, et c’est heureux. Mais quand retrouvera-t-il pleinement la place qui est la sienne – celle d’un esprit libre ? Tant que subsisteront les pressions politiques, les menaces implicites, les silences prudents et les stratégies d’image pour ne pas froisser Alger, sa libération restera incomplète. Et elle continuera de symboliser, au-delà de son cas personnel, notre renoncement collectif à défendre sans trembler ceux qui parlent librement.

Mont-de-Marsan: peine maximale pour la mère empoisonneuse

La personnalité inquiétante de l’accusée semble avoir été déterminante dans la décision du jury.


Le jury de la Cour d’assises des Landes, à Mont-de-Marsan, devant laquelle comparaissait Maylis Daubon, 53 ans, accusée d’avoir empoisonné ses deux filles dont l’aînée Enéa est décédée dans sa dix-huitième année, a été hermétiquement sourd aux plaidoiries. Estimant que l’hypothèse du suicide de cette dernière était plausible, ses deux défenseurs, Me Carine Monzat et Me Gérard Danglade, avaient réclamé son acquittement pur et simple.

Un procès qui a passionné la ville

Or, tout au contraire, la Cour l’a condamnée mercredi au terme de huit jours d’audience qui ont fait chaque fois salle comble (une durée exceptionnellement longue pour un procès d’assises), à la peine maximale de 30 ans de réclusion requise par le Ministère public. Le jury en a même rajouté en portant la peine de sûreté de 15 ans demandée par ce dernier à 20 ans. Et n’a pas été, davantage, sensible au témoignage de la cadette, Lau, la présumée survivante, âgée de 23 ans aujourd’hui, étudiante en biologie, venue à la barre proclamer avec force l’innocence de sa mère.

Elle avait redit ce qu’elle n’avait cessé de répéter durant l’instruction : qu’elle était convaincue que sa mère ne les avait pas empoisonnées, elle et sa sœur. A l’inverse, elle a chargé son père, Yannick Reverdy, 49 ans, un ancien international de handball, l’accusant de violence envers son épouse. « Je l’ai vu casser la gueule à ma mère, il était très violent physiquement et mentalement », a-t-elle affirmé sans que la Cour cherche à en savoir davantage.

Pas de place au doute

La conclusion de ce procès ne peut que laisser dubitatif. Au fil des audiences, à aucun moment n’a été avancé le moindre élément susceptible d’accréditer que Maylis Daubon avait administré à Enéa, le matin du 13 novembre 2019, entre 50 et 75 cachets de propranolol, un bétabloquant cardiaque qui allaient provoquer sa mort six jours plus tard après avoir été admise aux urgences de l’hôpital de Dax. Alors se pose une question : sur quoi les jurés ont fondé leur intime conviction ? Elle restera sans réponse car les délibérations relèvent du secret.

A l’énoncé du verdict, la présidente, Emmanuelle Adoul, s’est bornée à déclarer qu’ « au regard de la gravité des faits, de la mort d’Enéa, de leur durée, des modes opératoires (…), la Cour a estimé la culpabilité ». Puis elle ajouté que « la vie de Lau (NDLR la cadette) a été sauvée du fait de l’interpellation » de la mère. L’avocat général, Marc Borragué, de son côté, a affirmé que la victime était « affaiblie par une surmédicalisation, avec une soumission chimique qui a entraîné une abolition de son libre arbitre. »

Donc à propos du propranolol, « on lui donne ou elle prend, je ne peux l’affirmer, dit-il, mais l’absorption a été faite dans des conditions d’emprise. » Selon lui, Maylis Daubon a agi sous l’effet du syndrome de Münchhausen. A savoir, a-t-il expliqué : « J’ai emprise sur quelqu’un qui va m’échapper, je ne peux le supporter, je le tue. »

D’un point de vue strictement médical, ce syndrome, selon le spécialiste Eric Binet, « est un trouble factice qui conduit un parent à simuler, exagérer, provoquer chez son enfant une pathologie pour en obtenir une reconnaissance à travers l’assistance médicale qu’il lui apporte ».

Dans les faits, ce 13 novembre, l’accusée n’était pas à son domicile lorsque Enéa a eu en fin de matinée sa crise de convulsions qui allait lui coûter la vie. Elle avait un rendez-vous avec un prof de Lau qui était restée, elle, à la maison. De style gothique, déscolarisée depuis un an, Enéa souffrait de troubles psychiatriques sévères, avec des tendances, selon son entourage, suicidaires. Elle était sous traitement.  L’infirmier était passé à 8h30 lui prodiguer ses soins bi-quotidiens. Il n’avait rien noté d’anormal. Plus tard arrive le petit-ami de Lau. C’est lui qui découvrira Enéa, dans sa chambre, en pleine crise de convulsions. Alertée, la mère arrive dix minutes plus tard, et alerte à son tour les pompiers.

Une personnalité inquiétante

Ce sont eux qui ont la suspicion d’un possible empoisonnement. Ils alertent la police qui ouvre une enquête qui a abouti à l’inculpation de Maylis Daubon. L’analyse toxicologique avait décelé dans le corps de la morte dix fois la dose thérapeutique du bétabloquant en question. Sur les conditions de cette ingestion, « on ne sait rien », insistera la défense. « Avaler autant de cachets, affirmera Me Carine Mongat, c’est impossible. » L’énigme demeure entière. Seul un Sherlock Holmes aurait éventuellement pu la résoudre. L’unique certitude, c’est que, d’après une experte, le poison détecté a été ingurgité au moins deux heures avant.

Deux faits ont contribué à accréditer la culpabilité de Maylis Daubon auprès de la cour, sa personnalité et le stock « impressionnant » de propranolol découvert chez elle lors d’une perquisition. Qualifiée de menteuse invétérée et de mythomane, comment dès lors la croire à sa sincérité lorsqu’elle clame avec véhémence son innocence. Avant que le jury ne se retire pour délibérer, en vain elle a prononcé ces derniers mots : « C’est avec l’énergie du désespoir que je vous dis mon innocence. Je n’ai pas empoisonné Enéa et Lau. » Quant au stock de propranolol, c’est elle qui se l’est procuré à l’aide d’ordonnances truquées et en courant les pharmacies, ce qui indubitablement a très probablement induit le sentiment auprès des jurés de la planification d’un empoisonnement sur la durée.

Ses avocats ont laissé entendre qu’elle allait interjeter appel. Elle a dix jours pour le faire à partir de l’énoncé de sa peine.

Teen Vogue la galère…

Aux États-Unis, la déclinaison de Vogue pour les jeunes fait les frais du mouvement de libération anti-woke. Didier Desrimais raconte.


Petite sœur de Vogue, la revue américaine Teen Vogue a été lancée en 2003. Destinée, comme son nom l’indique, aux jeunes, elle a d’abord traité de sujets propres à la marque : la mode et les célébrités. En 2016, dogme DEI (diversité, équité, inclusion) oblige, Condé Nast, la maison d’édition à qui appartient Teen Vogue, propulse l’Afro-Américaine Elaine Welteroth au poste de rédactrice en chef. La ligne éditoriale est dès lors de plus en plus politique, démocrate et woke.

Entre deux papiers anti-Trump, les juvéniles lecteurs de Teen Vogue apprennent de nouveaux « concepts » – masculinité toxique, privilège blanc, racisme systémique, fluidité de genre, apocalypse climatique, etc. – et découvrent qu’un homme peut être enceint et une femme avoir un pénis, qu’être « non binaire, c’est être libre », que tous les Blancs sont racistes et que Greta Thunberg est une « icône inspirante ».

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Au nom de la « santé sexuelle » et parce que « le sexe anal est trop souvent stigmatisé », Teen Vogue propose aux adolescents des articles sur la sodomie, agrémentés de chatoyants croquis anatomiques, dans lesquels il est spécifié que le coït anal n’est pas réservé aux homosexuels et que les « non-propriétaires de prostate » (les femmes) peuvent également y prétendre. Récemment encore, et bien que le wokisme batte de l’aile aux États-Unis, les divagations sur le « système patriarco-hétéronormatif » et les élucubrations sur la « crise climatique, symptôme du système colonial et blanc » se multipliaient dans le magazine pour ados à cheveux verts et à idées courtes. Mais… business is business : de nombreuses entreprises abandonnent les politiques « d’inclusion et de diversité » imposées par les groupes de pression « progressistes », mais de plus en plus contre-productives et financièrement préjudiciables. La maison d’édition Condé Nast a décidé de participer à ce mouvement libérateur en licenciant les trois quarts des journalistes de Teen Vogue et en fusionnant ce dernier avec Vogue.com où, avertit diplomatiquement mais fermement l’équipe de direction, il devra se plier à sa ligne éditoriale dépolitisée. Vive le Mouvement de libération anti-woke !

Label affaire

En soutenant une initiative visant à distinguer les médias qui respecteraient les règles du journalisme des autres, le président Macron s’attire les foudres de la presse conservatrice. Labelliser les informations ou les opinions est toujours une mauvaise idée.


Fidèle à lui-même, le président Macron vient donc de nous concocter une toute nouvelle usine à gaz. Toxique le gaz, en l’occurrence en raison du fort remugle de censure qui accompagne la géniale trouvaille.

La formidable idée qu’il vient de nous sortir de son chapeau de clown consisterait ni plus ni moins à attribuer un label de qualité aux organes d’information, à leurs équipes éditoriales et à leurs productions. Un peu comme pour le calendos des verts pâturages et le plat-de-côtes made in Limousin.

Médiatiquement correct

Subtil, le fin penseur tient cependant à rassurer les foules : ce n’est pas l’État qui estampillerait mais « les professionnels de la profession » eux-mêmes. Donc une sorte de comité de la bien-pensance, du médiatiquement correct. Recrutés sur la base de quels critères, ces beaux esprits, et œuvrant en fonction de quelle grille de lectures ? Voilà ce qu’on ne sait pas encore.

Ce que nous savons pertinemment en revanche, c’est l’aveu de faiblesse, l’aveu de détresse qui se cache derrière ce genre de diablerie, dernier refuge, dernière marotte des pouvoirs en perdition. Ces pouvoirs en faillite n’ont en effet plus guère qu’un seul ennemi à redouter : la vérité. La vérité de ce qu’ils sont, de ce qu’ils font, de leurs échecs, de leurs médiocrités, de leurs compromissions. Alors, on flingue. On flingue la vérité et ceux qui osent prétendre la porter.

Un mot sorti de la bouche du président sonne comme un aveu en la matière. Aveu terrifiant. Il qualifie les médias et les confrères qui le défrisent de « dissidents ». Le mot même qu’employaient les dirigeants communistes de l’URSS et leur valetaille du PCF pour désigner les Soljenitsyne, les Kasparov, les Amalrik, les Lioudmila Alexeïeva et tant d’autres…Oui, quel aveu ! Quel pitoyable aveu !

La patrouille bien-pensante à la rescousse

Volant au secours de cette nouvelle avancée présidentielle, d’aucuns se réfèrent à un label déjà existant, la certification ICJ, en française Initiative pour la confiance dans le journalisme, dont l’ONG Reporters Sans Frontières (RSF) serait à l’origine. L’idée remonterait à 2018. Ce sont des cabinets d’audit tels que Veritas ou Deloitte qui feraient office d’arbitre, et non l’État, tient-on à préciser. En France, 17 médias sont à ce jour certifiés, cela va, nous révèle Patrick Cohen dans une récente chronique de France Inter, de TF1 au Réveil du Vivarais. On s’en doute, sa propre antenne est du lot.

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La démarche en soi ne manque certes pas d’intérêt, sauf que la question de fond reste entière : selon quels critères précis l’accréditation est accordée ou non, et par qui sont désignés ceux qui les édictent, jugent de leur application, qui est garant de l’indépendance des arbitres ? Questions qui évidemment se posent avec une certaine acuité puisqu’on nous apprend que, à ce jour des médias de cent vingt-sept pays de par le monde ambitionneraient d’obtenir ce label, cent vingt-sept pays dont on ignore bien évidemment si la conception et la législation d’État en matière de liberté de la presse, liberté d’expression, liberté tout court, sont équivalentes aux nôtres. Une ironie facile serait de laisser entendre que le fait que les ondes de M. Cohen brillent particulièrement dans ce classement ne serait pas forcément de nature à rassurer sur la fiabilité « déontologique » de l’entreprise. Passons. 

J’évoquais l’écœurant remugle de censure que le président se plaît à agiter avec ce projet qui ne serait donc pas le sien, mais celui de cette fameuse ONG, RSF, dont, cela soit dit en passant, souligner l’engagement idéologique ne saurait lui faire injure.

Cependant, que le président soit remercié pour une chose au moins, car, car tenant ces propos, il nous permet de nous replonger dans ce que la tradition intellectuelle française a pensé et dit par le passé de cette saloperie politique et mentale qu’est la censure.

Voici deux citations, juste pour la route.

Celle-ci, de mon référent de prédilection, Beaumarchais, dans Le Mariage de Figaro : « Pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l’Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l’inspection de deux ou trois censeurs. »

Et cette autre, de Gustave Flaubert, tirée de sa correspondance avec Louise Colet : « La censure quelle qu’elle soit me paraît une monstruosité, une chose pire que l’homicide. L’attentat contre la pensée est un crime de lèse-âme. La mort de Socrate pèse encore sur le genre humain. »

Une confidence pour finir. J’aurais beaucoup aimé livrer sur ce sujet une réflexion de Mme Aya Nakamura, si bien en Cour ces temps-ci (Un long sujet lui était notamment consacré au 20 h de France 2 ce dernier dimanche), mais n’en ayant trouvé aucune, j’ai dû renoncer. J’en suis fort chagrin. Je tiens à préciser les choses afin qu’on n’aille pas m’accuser d’avoir éventuellement, si peu que ce soit, censuré cette grande dame.


Elisabeth Lévy, ce matin au micro de Sud radio : « C’est inutile et dangereux ! »

BBC: service de déni public

L’institution audiovisuelle britannique traverse une crise qui écorne sa réputation. Diffusion de fake news concernant Trump, BBC Arabic relayant la propagande du Hamas, programmes jeunesse promouvant l’idéologie transgenre. Sans surprise, pour la BBC, le problème n’est pas sa partialité éditoriale mais ceux qui osent la dénoncer


« Sorry, not sorry » est une expression anglaise pour désigner des excuses qui sonnent faux. Elle est parfaitement adaptée à celles que la BBC a présentées à Donald Trump, après la révélation, le 3 novembre, par le Daily Telegraph, du contenu d’une note interne du radiodiffuseur de service public. Cette note tirait la sonnette d’alarme concernant certaines des pratiques éditoriales de la Bib, notamment le montage fait par son émission-phare dans le domaine des reportages politiques, « Panorama », du discours prononcé par Trump devant ses partisans le 6 janvier 2021. Juxtaposant des parties très différentes de ce discours, le documentaire intitulé « Donald Trump : une deuxième chance » et diffusé à la veille de l’élection de 2024, donnait l’impression que le président avait fait un appel direct à la violence avant l’assaut du Capitole. Informé de cette manipulation grâce au quotidien britannique, Trump a prétendu y voir une tentative pour influencer le processus démocratique. Il a réclamé des excuses à la BBC et indiqué que, face à cette « diffamation », ses avocats exigeraient des dommages et intérêts s’élevant à un milliard de dollars, chiffre qui est monté depuis à cinq milliards ! Aux États-Unis, Trump a déjà obtenu des sommes considérables par des règlements extrajudiciaires avec les chaînes ABC et CBS, ainsi qu’avec Meta (propriétaire de Facebook et Instagram).

Dans sa réponse, la BBC a dit « regretter » la manière dont « la séquence a été montée ». Le verbe est ambigu (on s’excuse de son acte ou on se désole de l’avoir commis ?), et la voix passive permet de ne pas identifier les responsables. Selon la BBC, l’émission n’était pas diffamatoire, puisqu’elle n’avait pas été diffusée aux États-Unis et n’est plus disponible en ligne. Enfin, ce documentaire n’aurait pas eu d’effet, car Trump a gagné l’élection. Une autre déclaration parle d’une « fausse impression » qui aurait été donnée « accidentellement ». Mais ces manifestations de contrition passent à côté du vrai problème de la BBC : la partialité idéologique de nombre de ses salariés.

En flagrant déni

Prise ainsi en flagrant délit de fake news, la hiérarchie de la BBC est l’auteur de ses propres maux. Depuis longtemps, elle préfère minimiser les avertissements qui lui sont adressés par ses propres systèmes de contrôle. Celui qui est à l’origine de la fameuse note fuitée au Daily Telegraph, Michael Prescott, ancien chef de la rédaction politique au Sunday Times, était un consultant indépendant embauché par la BBC pour renforcer sa commission chargée de surveiller la qualité de l’information. Il a rédigé sa note avant de démissionner en juin, désespéré par l’inaction du conseil d’administration qu’il accuse d’être toujours sur la défensive quand un problème éditorial est soulevé. L’affirmation selon laquelle le montage du discours de Trump était « accidentel » est manifestement fausse : si ce montage date de 2024, un autre très similaire et aussi mensonger avait été fait en 2022 par l’émission d’actualités la plus prestigieuse de la BBC, « Newsnight ». Ainsi, la direction travestit en bévues des choix résultant de ce qu’on peut appeler – en empruntant le jargon wokiste qu’affectionne la BBC – des « biais systémiques ».

Ce refus d’admettre que son personnel puisse être coupable de déformer l’information sous l’influence de ses préjugés politiques est le talon d’Achille de la BBC. Créée en 1922, elle a construit pendant des décennies une réputation d’impartialité relative et de fiabilité. Désormais, ce capital patiemment acquis a été presque entièrement gaspillé. Sa réaction à ce qu’on pourrait surnommer le « Trumpgate » révèle son talent pour le déni. Ses journalistes ont laissé entendre que l’esclandre autour du faux montage serait le résultat d’un complot ourdi par la droite. Une opération de subversion viserait à saper la légitimité d’une BBC vouée au combat contre ces fakes news par lesquelles les réactionnaires populistes manipulent les électeurs. Cette interprétation a été relayée par beaucoup de politiques de gauche, bien que le Premier ministre, sir Keir Starmer, ait préféré rappeler la BBC à l’ordre. Lui, qui s’est démené pour garder des relations cordiales avec Trump, est gêné par l’attaque mensongère d’un média de service public contre un allié surpuissant. Les tenants de la lecture complotiste font valoir que l’un des membres du conseil d’administration est sir Robbie Gibb, un proche du Parti conservateur. S’il a joué un rôle dans la révélation de l’affaire, c’est peut-être parce qu’il pense, non sans raison, que la BBC traverse une crise existentielle. Seulement, pour la BBC, le problème n’est pas sa partialité éditoriale, mais ceux qui osent en parler. Ça ne vous rappelle rien ?

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Cette tendance au déni fait partie intégrante de la culture de l’institution. Elle explique son incapacité à agir dans des affaires comme celle de Jimmy Savile, animateur célèbre qui a abusé d’un millier enfants au cours de sa carrière ; celle de Huw Edwards, présentateur-vedette impliqué dans un commerce de pédopornographie ; ou celle de Martin Bashir qui, en 1995, a manipulé une princesse Diana psychologiquement fragile pour qu’elle lui accorde une interview-choc. Si toutes ces défaillances passées concernaient l’arrière-boutique, celles d’aujourd’hui sont visibles dans le traitement de l’information. Le cas le plus extrême est celui de BBC Arabic qui, avec une audience de 40 millions, diffuse des actualités en arabe – et dans une version très différente de celle qui a cours dans les autres services. Après le 7-Octobre, BBC Arabic a été accusée de promouvoir une propagande pro-Hamas et de faire intervenir des journalistes comme Samer Elzaenen qui aurait déclaré que les juifs « doivent être mis à mort par balles et brûlés comme Hitler l’a fait ». La direction a fini par annoncer une réorganisation complète de ce service. En février cette année, nouveau scandale quand le public a appris que le narrateur d’un documentaire « Gaza : survivre dans une zone de guerre », un garçon de 13 ans qui se présentait comme un assistant médical improvisé, n’était autre que le fils du sous-ministre de l’Agriculture du Hamas. En juin, la retransmission en différé d’un concert au Festival de Glastonbury s’est transformée en un appel à la mort des soldats israéliens. La diffusion en flux n’a pas été interrompue. Pour compléter le tableau islamo-gauchiste, la BBC a été accusée de promouvoir l’idéologie transgenre dans ses émissions pour enfants et de ne pas parler d’actualités qui pourraient montrer les non-binaires sous une lumière défavorable. Ses émissions satiriques seraient très marquées à gauche, tandis que dans ses fictions les méchants et les gentils seraient faciles à distinguer, les premiers étant des Blancs et les autres des personnes de couleur.

Modèle économique et modèle de vertu

Tous ces éléments ont fini par exaspérer une grande partie du public. Selon un argument qui fait son chemin, les citoyens seraient privés de la possibilité de manifester leur désaccord par le fait que la BBC est financée par la redevance. Cette dernière coûte 200 euros, plus que l’abonnement à Netflix et à Disney +. C’est ainsi qu’est né le mouvement Defund BBC – arrêtez de payer ! Dans le passé, il était difficile d’échapper aux inspecteurs qui venaient frapper à la porte des particuliers n’ayant pas payé leur redevance. Aujourd’hui, le nombre de ceux qui refusent de leur ouvrir est si grand que les inspections ne peuvent pas y faire face. C’est ainsi qu’au cours des douze derniers mois, la BBC a perdu presque 1,2 milliard d’euros sous forme de redevances impayées. Son modèle économique est en crise et sa prétention à incarner la vertu est plus un obstacle qu’un atout.

Sous la pression du « Trumpgate », le directeur général et la directrice de l’information ont démissionné, mais cela ne sauvera pas l’institution. Cette dernière est un béhémoth où les dirigeants ont peu d’influence sur la culture qui domine dans ses innombrables services. L’employé typique de la BBC est un jeune bourgeois diplômé qui a gobé toute l’idéologie wokiste et se croit appelé à apporter la bonne nouvelle au reste de la société. Sauf qu’une grande partie de la société n’est pas disposée à l’écouter. Autrefois, le public se divisait politiquement entre la droite et la gauche. La BBC faisait de son mieux pour naviguer entre les deux. Aujourd’hui, le clivage est beaucoup plus générationnel et territorial – Londres contre les régions. Le personnel de la BBC n’est plus en phase avec un grand nombre de Britanniques. Des voix s’élèvent pour mettre fin à la redevance et livrer la BBC à la concurrence du marché libre, mais un dilemme se présente qui s’applique aux services publics dans la plupart des pays occidentaux : comment résister aux fake news qui circulent librement sur les réseaux sociaux, ainsi qu’à la vision du monde promue – souvent en anglais – par des médias d’État de régimes autoritaires comme la Chine ou la Russie ? La secrétaire à la Culture a déclaré à la Chambre des communes que « la BBC est une institution nationale qui nous appartient à nous tous ». À l’heure actuelle, on dirait plutôt qu’elle fait honte à la nation.

Grandeur et décadence de nos musées

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Plus redoutables que les voleurs du Louvre, ce sont l’appauvrissement intellectuel, la politisation de l’art et le relativisme esthétique qui menacent nos musées.


Diamants, rubis, émeraudes, saphirs… En sept minutes à peine, un fric-frac au Louvre suffit pour remplir de larmes les réservoirs d’une fierté culturelle au bord de la sécheresse. Les bijoux de Marie-Louise et d’Eugénie, chants de cygne d’une noblesse éteinte, fourrés dans des sacs et embarqués sur des scooters pétaradants… L’émoi suscité par ce cambriolage pourrait presque nous faire pardonner certains qui pensaient Eugénie reine alors qu’elle fut impératrice, ainsi que d’autres s’exhibant sur les réseaux sociaux, mêlant aux sanglots des menaces jetées aux voleurs. Après tout, ce qu’on arracha à la France, c’est un de ses fruits sacrés.

Mais quel fruit sacré, exactement ? À vrai dire, ce qui furent, jusqu’au 19 octobre, immortelles ambroisies, se firent ensuite Pommes de la discorde. Car outre le chagrin de ces dernières semaines, entièrement louable, la perte des bijoux a révélé un drame plus profond : une indifférence croissante envers les musées eux-mêmes, mourant à petit feu d’année en année.  

Honte de soi et cartels pour bêtas

Depuis trop longtemps, les musées se rendent indignes des œuvres qu’ils affirment préserver. Des plus célèbres palais du monde jusqu’aux galeries de province, l’art, ainsi que tout ce qu’il renferme en son sein – beauté, héritage, transcendance, exigence – sont la cible de mille flèches, dont les plus graves : médiocrité, honte de soi, relativisme, bas-fonds politiques, et laideur morale ; bien entendu, sous des airs d’innovation et d’ouverture.

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D’abord, la médiocrité, jumelle de la tiédeur. À titre d’exemple, moins insignifiant qu’il n’en a l’air, le Louvre et le Carnavalet décidèrent, en 2021, d’abandonner les chiffres romains dans l’écriture des siècles et des titres de rois, au nom d’une prétendue meilleure compréhension du public. L’on pouvait donc lire sur leurs cartels, notamment, « Louis 14 » … Avant que l’on ne crie au faux scandale pour privilégiés délicats, considérez l’aspect symbolique. Voyez-vous, une civilisation ne se résume pas qu’à ses institutions, ses monuments, ses fulgurances. Sa poésie se trouve aussi dans ses plus infimes particularités, banales pour certains, mais qui, pour d’autres, scintillent comme des pierres d’une mosaïque, celles qui, loin du point focal, participent néanmoins à son harmonie et son détail. Ce « je ne sais quoi » dont parlait Jankélévitch : inutile, peut-être, dans l’ordre pratique, mais crucial pour ces veines invisibles où coule l’essence des choses.

Par ailleurs, si les musées s’inquiétaient que les visiteurs étrangers ou locaux ne comprennent rien aux chiffres romains, eh bien, un simple paragraphe explicatif affiché à l’entrée ferait l’affaire. N’est-il pas insultant, quelque part, de considérer un système numérique comme trop compliqué pour le visiteur moyen ? Si des musées de renommée mondiale, comme le Louvre, n’exigent plus le moindre effort de réflexion avant même de présenter leurs œuvres – elles, de plus en plus victimes d’un « retour à la caverne » platonicien, du fait qu’elles soient vues à travers un écran de téléphone et non des yeux – qu’est-ce qui inciterait le visiteur à se surpasser, à se faire violence pour s’élever ? À force de craindre de perdre l’attention du visiteur, les musées ont cessé d’exiger son respect.

Laideur sournoise

En parlant de respect, il serait aujourd’hui bien difficile de visiter le moindre musée sans être confronté au phénomène de « repentance muséale », sorte de mea culpa existentiel dès qu’il est question d’un fragment d’histoire occidentale. Mais qu’on ne confonde pas tout : il ne s’agit pas ici de combattre la nuance, et l’adoption d’une approche holistique de figures historiques aussi complexes qu’ils furent hommes. Ce qui pourrit la transmission historique de l’art, c’est plutôt l’absence de nuance et l’aveuglement idéologique.

En 2021 aussi, le Musée national du Pays de Galles a choisi de retirer le portrait de Sir Thomas Picton – un héros national en Grande-Bretagne, et le soldat le plus haut gradé à avoir été tué pendant la bataille de Waterloo – pour le confiner aux poussières de grenier, citant son implication dans l’esclavagisme. Encore une fois, il n’est pas question de défendre ses actes, mais bien de se demander : pourquoi ne pas illustrer son importance historique sans pour autant occulter sa part d’ombre ? Expliquer, plutôt que cacher ?

Plus tard, le portrait fut réexposé, mais, sous pression de groupes divers, dans une espèce de boîte en bois industriel, avec une vitrine conçue spécialement pour obscurcir le portrait, évoquant davantage raclure de tiroir que héros national. Le tout, accompagné d’un long texte qui ne visait pas à nuancer, mais à abattre le personnage. Ainsi, au lieu de discuter de véritables questions éthiques, de façon mature, l’on choisit l’autoflagellation et la caricature. Celui qui jadis inspirait l’admiration de son peuple fut victime d’un grotesque rituel, aussi humiliant pour lui que pour le visiteur : « Osez le regarder, le bougre ! Pas évident, n’est-ce pas ? » ricanait-on entre les lignes… D’autres exemples de ce genre pullulent. Mais, comme dirait l’autre, « il n’y a qu’à traverser la rue ».

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Et le comble de ce festin de plaies, c’est la laideur – mais pas n’importe laquelle. Celle-ci, voyez-vous, est plus habile, plus sournoise. Il faut croire qu’elle s’est perdue dans un bal vénitien et s’est masquée derrière des fioritures pour se faire aimer des invités, afin de tromper le beau, maintenant vieux et las, de danser avec lui jusqu’à ne plus lâcher son bras, jusqu’à ce que tous crurent en une union, pour ne pas dire un parasitisme, au point où jamais le beau ne parle sans que la laideur ne le coupe, parle plus fort, déforme ses propos, lui mène une guerre d’usure pour bien faire comprendre qu’il appartient à un monde disparu, tandis qu’elle continue d’enchanter les invités, de rire, rire aux éclats, le masque aidant à cacher ses dents pourries…

Oui, un masque scintillant, provocateur, qu’il est devenu chic d’aimer. C’est pourquoi l’on voit toujours apparaître au musée, autour d’installations aussi hideuses que préméditées, « Recontextualiser », « Repenser », « Réinterroger », « Relativiser » … un fatras de mots en « re », dont le plus juste serait « Régresser ».

Aucune œuvre n’est à l’abri, qu’elle soit au musée ou dans la rue. À défaut de les profaner elles-mêmes, il est maintenant coutume de les travestir d’installations censées choquer, désacraliser, et enlaidir. L’on pense bien sûr aux exemples les plus célèbres, comme les Balloon Dogs de Jeff Koons plantés au château de Versailles en 2008, ou à « l’arbre » euphémistique de Paul McCarthy qui souilla la place Vendôme en 2014 dans le cadre de la Foire internationale d’art contemporain – dont l’acronyme n’est sûrement qu’un heureux hasard. Mais cet arbre, comme ces ballons, cachent une forêt à éradiquer par le feu : la multiplication de ces attentats contre la beauté dans les musées petits et grands, de Paris à Montréal, de Los Angeles à Berlin. Des peintures symbolistes occultées par des sculptures vides de sens. Des monuments grandioses recouverts de piaillements ingrats. C’est trahir les artistes qui nous ont laissé des œuvres dignes des siècles, trahir une élégance devenue cacophonie, et symptôme d’une culture qui s’intéresse davantage à réécrire le passé qu’à dessiner l’avenir.

Voici l’état où se trouve l’art à présent, tandis que la foule se tient muette derrière le peloton d’exécution. Mais devant ce saint Sébastien à la chair percée de mille flèches, il est de notre devoir collectif d’agir comme sainte Irène, de le prendre dans nos bras, de soigner ses blessures, de le regarder, l’écouter vraiment, et de le défendre coûte que coûte contre ses faux protecteurs, afin qu’il retrouve sa splendeur réelle, digne de ceux qui nous l’ont transmise.

Kaouther Ben Hania: un dispositif émotionnel ambigu

La Voix de Hind Rajab, actuellement en salles, soulève quand on le visionne une problématique d’ordre moral telle qu’il en résulte un très mauvais film. À éviter.


La Voix de Hind Rajab est, pour certains, un témoignage bouleversant ; pour d’autres, une preuve irréfutable d’un prétendu génocide perpétré par l’armée israélienne ; pour d’autres encore — dont je fais partie — un film qui soulève des questions d’ordre… cinématographique. La Voix de Hind Rajab est en effet une fiction inspirée de faits réels. La cinéaste Kaouther Ben Hania a choisi de réaliser un documentaire-fiction construit sous la forme d’un huis clos étouffant au sein d’un centre d’appel du Croissant-Rouge. Les comédiens qui interprètent les secouristes jouent, en pseudo temps réel, leurs réactions à l’écoute de l’appel authentique de la petite Palestinienne Hind Rajab, coincée dans une voiture et entourée des corps sans vie de membres de sa famille — un crime de guerre ?

Un dispositif discutable

Le film, servi par une mise en scène très cadrée ne montre fort heureusement aucun plan de violence explicite liée à la guerre en cours menée par Israël contre les terroristes du Hamas. Kaouther Ben Hania fonde sa mise en scène sur l’utilisation de la parole véridique de Hind Rajab mélangée aux réponses de ses comédiens. Elle filme la parole, les silences, les bruits de guerre, ainsi que l’impuissance des secours, la tension qui s’installe entre eux et instaure un suspense surdramatisé malaisant et malhonnête sur l’issue de la situation. Tous les spectateurs allant voir ce film connaissent l’histoire vraie et tragique de Hind Rajab. Cette manière de filmer le réel entre retenue apparente et dramatisation jouée pose question. L’horreur n’est pas montrée mais est donnée à entendre — et surtout à ressentir par une médiation théâtralisée.

Kaouther Ben Hania transforme le réel en matière première d’un thriller psychologique dont la force émotionnelle devient paradoxalement une faiblesse. Le matériau utilisé, le réel : l’enregistrement de la voix d’une enfant confrontée à l’horreur de la guerre possède une intensité qui impose compassion et stupeur. Sa charge affective est insoutenable. Dès lors, comme pour la représentation de la Shoah au cinéma la question fondamentale arrive : un film peut-il, et doit-il utiliser cette voix, la mettre au centre d’un documentaire qui devient par sa mise en scène habile une fiction ? Comment l’utiliser sans la dénaturer ?

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Absence de distance critique et primat de l’émotion

Le dispositif retenu repose sur la diffusion de la parole d’une enfant en plein désarroi. Pas de contextualisation, pas de distance ni de travail critique réflexif sur la manière de montrer. Le film démontre et la cinéaste choisit de mettre cette voix brute comme pivot central émotionnel autour duquel elle ordonne le jeu de ses comédiens, les plans sur les visages des opérateurs et secouristes, les lumières crues du centre d’appel, la musique et le montage… Le spectateur doit ressentir viscéralement ce drame. Tout l’enjeu du film est de transformer la douleur authentique en levier dramaturgique, destiné à provoquer une émotion maximale. L’utilisation de cette voix comme moteur narratif semble alors devenir une véritable exploitation émotionnelle, un instrument affectif qui en confisque la dignité.

Une question éthique majeure

Peu importe la légitimité du sujet ; ce qui interroge, ici, c’est la manière dont il est mis en scène. La sidération l’emporte sur la réflexion, l’intensité affective écrase la complexité de la situation. La cinéaste est trop consciente du pouvoir qu’exerce son matériau.

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Sur le plan éthique, la question est cruciale : peut-on mobiliser la voix d’une enfant terrorisée sans la surdéterminer, sans la transformer en instrument moral au service d’une cause ? La cinéaste ne semble pas se poser ces questions. Elle s’appuie sur cette douleur brute, faisant usage d’un témoignage fragile qui aurait exigé une mise en forme d’une rigueur extrême, afin d’éviter toutes scènes spectaculaires ou excessivement dramatisées.

Un rappel théorique : Rivette et la question de l’abjection

À cet égard, la réflexion de Jacques Rivette dans son excellent texte De l’abjection(1) demeure éclairante. Critiquant le fameux “travelling de Kapò”, Rivette écrivait : « Voyez cependant, dans Kapo, le plan où Riva se suicide, en se jetant sur les barbelés électrifiés ; l’homme qui décide à ce moment de faire un travelling-avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée, en prenant soin d’inscrire exactement la main levée dans un angle de son cadrage final, cet homme n’a droit qu’au plus profond mépris. ». Si la situation diffère — Kaouther Ben Hania évite toute esthétisation visuelle — l’enjeu moral est similaire : comment filmer, comment représenter, comment mettre en scène une détresse réelle sans la transformer, fût-ce involontairement, en spectacle ? Rivette rappelait que la mise en scène impose toujours un regard, et que ce regard peut devenir indécent dès lors qu’il manipule la douleur au lieu de la penser. Le film de Ben Hania ne commet pas une « faute de cadre », comme dans Kapò, mais il opère une mise en émotion qui, elle aussi, soulève une question de légitimité.

Le film de Kaouther Ben Hania me semble donc une œuvre contestable non pour son sujet — tragique, dur et réel — mais par la manière dont elle en dispose. En misant presque exclusivement sur le choc affectif, la cinéaste transforme cette voix enfantine en instrument narratif, substituant l’émotion, le pathos à la compréhension.

Le cinéma peut et doit pouvoir montrer la douleur. Mais pour cela, il doit impérativement résister à la tentation du spectaculaire.


1h29

(1)  De l’abjection de Jacques Rivette, consacré au film Kapo de Gillo Pontecorvo – Cahiers du cinéma, numéro 120 – juin 1961

Réseaux sociaux et crépuscule de la presse officielle

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Labelliser les médias ? Le combat du fameux « cercle de la raison » contre les nouvelles libertés numériques est perdu d’avance, observe Ivan Rioufol. Les médias traditionnels et connivents avec les pouvoirs sont dépassés par les informations que fournissent les réseaux sociaux en prise avec le réel. Ceux-ci, en dépit de défauts qui restent à corriger (anonymat, appels illégaux, fake news) forcent les journalistes à ouvrir les yeux sur des faits naguère occultés.


La révolution numérique est une aubaine pour la démocratie en rade. Cette technologie, utilisée par 94% des ménages, rend vaines les tentatives désespérées d’Emmanuel Macronpour contrôler l’opinion populaire. Une mer qui monte ne s’arrête pas avec des interdits. L’obsession du chef de l’État visant à mettre sous surveillance les réseaux sociaux lui fait commettre des embardées liberticides. Elles dévoilent sa pente manichéenne et sectaire : un anachronisme alors que partout la parole se libère.

Dès son premier mandat, j’avais alerté sur ses initiatives qui, au prétexte de traquer des « fake news » et des « propos haineux », impliquaient le pouvoir politique dans la police de la pensée. Ses derniers projets pour installer une labellisation de l’information par des professionnels et pour prévoir des actions en référé contre des « désinformations », relèvent de cette incapacité du chef de l’Etat, en guerre contre le « populisme », à admettre les critiques non homologuées par l’incestueux système politico-médiatique. Lundi soir, l’Elysée a été jusqu’à publier une vidéo dénonçant des commentaires tenus sur CNews par Pascal Praud et Philippe de Villiers. Mais cette maladresse puérile d’un président esseulé ne fait qu’étaler les failles intimes du Narcisse blessé. « La vraie dictature est là, en Russie », a-t-il lancé ce même jour en recevant Volodimir Zelenski. Or, la macrocrature se rapproche des régimes totalitaires qu’elle sermonne en multipliant les obstacles et les intimidations à la libre expression, sur l’internet et l’audiovisuel, et en mobilisant la presse de cour, singulièrement les médias financés par l’Etat, pour décréter la vérité (pravda, en russe).

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En réalité la macronie laisse voir, dans son appétit pour les censures et les rappels à l’ordre de ses chiens de garde, les ultimes soubresauts d’un pouvoir ébranlé par le nouveau monde qui vient. Les oligarchies politiques et médiatiques sont vouées à disparaître sous la force irrépressible de la démocratie numérique. Elle fait de chaque individu l’acteur potentiel d’une démocratie décentralisée, localisée, horizontale, participative, informée, éduquée. Les médias traditionnels sont dès à présent dépassés par les informations que fournissent les réseaux sociaux en prise avec le réel. Ceux-ci, en dépit de défauts qui restent à corriger (anonymat, appels illégaux) forcent la profession à ouvrir les yeux sur des faits naguère occultés. Le quatrième pouvoir n’est plus dévolu à la presse connivente qui ne joue plus son rôle de contre-pouvoir. Ce dernier est représenté par l’indomptable internet, qui irrite tant Macron. Les succès des pétitions numériques, dernièrement contre l’immigration ou la loi Duplomb, forcent les politiques à penser ce nouveau monde en rupture avec les anciennes pratiques confisquées par les castes et leurs experts cooptés. 

« Tout devient soumis à consultation », admet Robin Rivaton, dans une note de décembre pour la Fondapol[1]. Dans cette conception novatrice de la politique, Macron symbolise le modèle déphasé. Ses combats contre les libertés sont honteux. Surtout, ils sont perdus d’avance.


[1] Contre la bureaucratie, la compétence du peuple, Fondation pour l’Innovation Politique

Quand le Ballet de l’Opéra apprivoise la modernité

Qu’elles soient signées par Merce Cunningham, par Trisha Brown ou, dans un tout autre registre, par Pina Bausch, leurs œuvres, quand elles sont au programme du Ballet de l’Opéra de Paris, révèlent l’extraordinaire évolution de la compagnie.


Il y a quelques lustres à peine, il était quasiment impensable que les danseurs de l’Opéra de Paris puissent se plier à des esthétiques nouvelles, à autre chose que la danse classique. Ce n’était pas seulement un problème de technique et d’adaptation des corps à des formes de danse en absolue contradiction avec les canons du ballet romantique ou de la danse académique ou néo-académique. Mais plus encore sans doute un état d’esprit qui empêchait les ballerines et leurs partenaires masculins, à quelques rares exceptions près, d’adhérer à une philosophie, à des conceptions parfaitement étrangères à leur univers. Un univers d’excellence certes, mais borné et incapable alors de s’ouvrir à d’autres façons d’envisager le monde de l’art.  

Il faut avoir observé le mépris affiché par les danseurs devant les premiers ouvrages et les méthodes de travail de Carolyn Carlson, alors étoile-chorégraphe du temps de Rolf Liebermann ; avoir entendu de petites idiotes en tutu blanc ricaner à l’idée qu’on puisse interpréter Dominique Bagouet sur la scène de l’Opéra ; avoir vu des danseurs pousser des cris d’orfraie devant des pièces maîtresses de Pina Bausch ou avoir découvert Sylvie Guillem, dansant à Londres de sirupeux navets enrubannés, étaler son dédain face aux chefs-d’œuvre de Cunningham, pour mesurer le chemin désormais parcouru jusqu’à aujourd’hui. 

Des pionniers

On se souvient avec d’autant plus d’émerveillement de danseurs-étoiles comme Wilfride Piollet et Jean Guizerix qui furent alors de hardis pionniers lors de la création d’Un Jour ou deux de Cunningham commandé au Ballet de l’Opéra pour le Festival d’Automne de 1973. Ou encore de Laurent Hilaire, magnifique lors de la reprise du même ouvrage en 1985. Mais encore de figures comme Jean-Christophe Paré et ses camarades du Groupe de recherche chorégraphique de l’Opéra de Paris (GRCOP) conduit par Jacques Garnier et voué à la création contemporaine. Il y en eut d’autres, à l’instar de la danseuse Miteki Kudo qui naguère se glissa avec un stupéfiant naturel dans l’esthétique « post modern » de Trisha Brown ou d’Olivia Granville quittant l’Opéra pour explorer des contrées inaccessibles au sein du ballet.

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Alors qu’il y a vingt ans à peine les anciennes générations de danseurs de l’Opéra demeuraient encore raides et empruntées dans le répertoire contemporain, on voit leurs successeurs d’aujourd’hui magnifiques (surtout les femmes) dans Kontakthof ou Blaubart de Pina Bausch. On les découvre désormais prêts à s’adapter, avec plus ou moins de bonheur, mais avec générosité le plus souvent, à toutes sortes d’écritures.

D’une saisissante beauté

C’est précisément le cas avec deux œuvres de la chorégraphe américaine Trisha Brown (1936-2017) qui est à nouveau à l’honneur à l’Opéra de Paris. Deux pièces remontées par d’anciens de ses interprètes, Carolyn Lucas, Todd Stone, Elena Demyanenko et Leah Morrison, dont le trio O Zlozony/O Composite (Ô compliqué, ô complexe), créé en 2004 pour les danseurs de l’Opéra sur un poème en polonais de Czeslaw Milosz et sur une partition (de facture inégale) de Laurie Anderson. Dans ce trio très élaboré qui se profile sur un ciel étoilé (décors de Vija Celmins et lumières de Jennifer Tipton) et dont les premières images sont d’une beauté saisissante, une étoile comme Dorothée Gilbert qui sait être, dans le registre romantique, une Giselle bouleversante, est également ici parfaite, encadrée de deux jeunes hommes à la tenue irréprochable, Marc Moreau et Guillaume Diop.

Conçu pour elle-même par Trisha Brown en 1994 avec la complicité de Robert Rauschenberg, If You Couldn’t See Me (Si tu ne pouvais pas me voir) est un parfait exemple de l’art de la chorégraphe, de cette incomparable alternance entre tension et relâchement, de cette souplesse féline qui la caractérisait. L’interprète, ainsi que le suggère le titre, n’est vue que de dos. Une gageure qui requiert d’ailleurs une puissance d’interprétation décuplée pour les quatre différentes danseuses qui vont assumer cette tâche au fil des représentations. Celle affrontant le rôle le soir de la première, Hannah O’Neill, est remarquable. Mais il lui manque encore quelque chose de cette distance, de cet abandon, de cette souplesse qui étaient la marque unique de Trisha Brown. Toutes choses qu’elle acquerra avec le temps, mais qui est si difficile de saisir quand on a été nourrie de technique académique. C’est justement ce que Miteki Kudo, citée plus haut, avait si miraculeusement capté.

Un aimable néant

Spectaculaire dans son dépouillement, le décor conçu avec un certain esprit Art Déco par le Néo-Zélandais John Otto l’a été pour la pièce de l’Anglais David Dawson, Anima Animus. Lui répondent énergiquement de remarquables costumes très architecturés, dessinés par la Japonaise Yumiko Takeshima. Un concerto pour violon du compositeur italien Ezio Bosso, mort dramatiquement en 2020, à l’âge de 48 ans, nimbe l’ensemble.

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Bondissant, tourbillonnant, virevoltant, tout en jambes tendues et en bras élevés vers le ciel, les dix danseurs du Ballet de l’Opéra sont brillants. Et c’est bien tout. D’un académisme militant, la chorégraphie est surtout d’un vide abyssal. Un inventaire de prouesses de classe de danse qui se reproduisent à satiété, pas du tout laides, mais parfaitement creuses et inutiles. C’est toutefois cette pièce qui a été le plus acclamée. On aurait espéré que c’était uniquement pour saluer la vaillance des danseurs. Eh bien non ! L’auteur de cet aimable néant a été lui aussi ovationné.

Anima Animus n’a pas l’excuse d’être une création. La pièce a vu le jour avec le Ballet de San Francisco en 2018, puis a été reprise en 2023 à la Scala de Milan qui est, dans le domaine de la danse, le repaire de l’académisme le plus ranci et le plus réactionnaire. Comment donc avoir eu l’idée de programmer ce pensum à Paris ? Cela prête à penser.

Et une impitoyable punition    

Caroline Osmont. A l’arriere plan Ida Viikinkoski et Clemence Gross, « Drift Wood » – Imre et Marne van Opstal © Benoite Fanton / OnP

Mais on n’a pas tout vu ! Exécutée par douze courageux interprètes dans une semi-obscurité qui n’arrange rien, Drift Wood (Bois flotté en bon français) porte bien évidemment, selon les critères établis, un titre en anglais. Comment avaler qu’un ouvrage créé par le Ballet de l’Opéra de Paris à l’Académie nationale (ci-devant impériale et royale) de Musique et de Danse, financé par elle et conçu dans la capitale, non par des auteurs anglo-saxons, mais par deux Néerlandais du Limbourg, porte obligatoirement et sans justification aucune un titre en anglais ? Comme si un titre français sur une scène française était une chose définitivement ringarde et déshonorante ! Mais le monde de la danse est souvent si bête, si vain et si moutonnier qu’intituler un ouvrage en anglais pour se donner un genre et une contenance est devenu depuis longtemps un automatisme irrépressible chez nombre de chorégraphes auto-proclamés.

40 minutes à endurer un truc indescriptible et crapoteux créé par Marne et Imre van Opstal. Un frère et une sœur presque jumeaux qui se sont donc mis à deux pour concevoir cette pièce informe et sans vrai caractère, d’un abominable ennui… Ils sont dotés de deux sœurs également artistes chorégraphiques. Et l’on frémit à la seule idée que ces quatre-là auraient pu tout aussi bien accumuler leurs énergies pour faire encore plus assommant.


Contrastes. Ballet de l’Opéra de Paris. Palais Garnier. Jusqu’au 31 décembre.

Gays for Jordan?

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Jordan Bardella à Paris le 6 octobre 2025 © ISA HARSIN/SIPA

L’hebdomadaire féminin ELLE s’émeut de la banalisation des homosexuels qui se mettent à voter comme tout le monde…


D’après une enquête du magazine Elle, le Rassemblement national a la cote chez les homosexuels. Deux phénomènes :

  • Le premier n’est pas un secret de polichinelle parce que ce pas un secret du tout. Le RN est le parti qui compte le plus d’homosexuels affichés (comme Jean-Philippe Tanguy ou Sébastien Chenu, fondateur de GayLib). Sur 82 élus masculins, il y aurait 30 à 35 homos.
  • Jusqu’en 2012, les homosexuels votaient massivement à gauche. Mais dans le sondage IFOP cité par Elle, 30 % des homos s’apprêteraient à voter Bardella.

De l’eau a coulé sous les ponts

Tempête sous les crânes militants. Pour la gauche, le lobby LGBT et les journalistes de Elle, les choses sont assez simples : être homosexuel c’est bien, être progressiste c’est bien. L’homosexuel est progressiste et l’extrême droite homophobe. La preuve, le RN est allié avec Viktor Orban. Les mêmes ne reprochent pas à Mélenchon sa complaisance avec les Mollahs. Et eux ne refusent pas le mariage gay comme Orban, ils pendent les homosexuels.  

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Dans les crimes imputés au FN puis RN, l’homophobie suivait de près le racisme et l’antisémitisme. Accusation nourrie par les saillies de Jean-Marie Le Pen sur les sidaïques ou les folles. Lui-même avait comme majordome et plus proche conseiller deux homos. Mais dans la frange catho-tradi très conservatrice de son électorat, l’homophobie était décomplexée. Aujourd’hui, dire que le RN est homophobe est une plaisanterie.

Qu’est-ce qui explique ce changement, l’arrivée de Marine Le Pen ?

La société a changé. Les homosexuels ont gagné le droit à l’indifférence. Il n’y a plus de discriminations à combattre au grand dam des associations qui en cherchent désespérément à l’extrême droite mais ne les voient pas dans nos territoires perdus ou à Gaza.

La vraie homophobie, celle qui casse la figure aux homosexuels, a plutôt cours dans les banlieues travaillées par l’islam radical, pas chez les bourgeois du XVI qui, s’ils en ont, gardent leurs mauvais sentiments pour eux. Gays for Jordan est plus crédible que Queers for Gaza – désolée.

En réalité, les homosexuels ne votent pas plus pour le RN, ils votent comme les autres Français et se fichent totalement des consignes de militants. « Grâce à la banalisation de l’homosexualité, l’orientation sexuelle ne pèse plus autant sur le vote» regrette l’auteur de l’enquête de Elle, Hicham Zemrani. Les homos ne votent pas en tant qu’homos. Cela devrait réjouir le lobby LGBT. Les homosexuels ne sont plus une minorité montrée du doigt, ni une communauté politique. Ce sont des citoyens comme vous-et-moi. Ils votent avec leur tête pas avec leurs fesses.


Cette chronique a été diffusée sur Sud radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale

La France humiliée mais Boualem libre

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Boualem Sansal interviewé au JT de 20 heures sur France 2, 23 novembre 2025. DR.

Toute la classe politique aurait dû célébrer la libération de Boualem Sansal. Mais perdue dans ses compromissions ou ses renoncements, elle confond prudence et lâcheté. Après les geôles d’Alger, l’écrivain rebelle découvre, en France, le bridage médiatique.


La libération de Boualem Sansal aurait dû être un moment de soulagement, puis de fierté nationale. Elle aurait pu rappeler que la France reste, au-delà de ses contra dictions, un pays qui protège les écrivains menacés, les esprits libres, les consciences dissidentes. Au lieu de cela, elle met cruellement en lumière nos renoncements, notre timidité diplomatique et, plus grave encore, l’abdication d’une partie de la classe politique face à un régime autoritaire. Le contraste est brutal : quand la France hésite, recule ou se tait, c’est l’Allemagne qui obtient la libération de Boualem Sansal.

La France a peur d’Alger

Depuis des années, Sansal incarne tout ce que les dictatures redoutent : la parole libre, l’ironie acérée, la critique lucide de l’islamisme et du militarisme algérien. Il n’a jamais renoncé à dénoncer le conformisme, la corruption et la dérive autoritaire du pouvoir d’Alger. Voir un tel écrivain arrêté, humilié, menacé pour ses idées aurait dû déclencher un réflexe immédiat dans le pays des Lumières. Ce réflexe n’est jamais venu.

Pire encore : alors que la société civile s’inquiétait, que des voix académiques et littéraires tentaient de s’élever, les autorités françaises se sont réfugiées dans un mutisme embarrassé. Pas un mot fort, pas une condamnation nette, pas la moindre pression publique, les efforts isolés – quoique courageux – de Bruno Retailleau mis à part. La raison est connue : la France a peur d’Alger. Peur de froisser un partenaire imprévisible. Peur de remettre en question une coopération sécuritaire fragile. Peur, surtout, d’affronter une mémoire franco-algérienne instrumentalisée, que nos gouvernants tentent d’apaiser au moyen de repentances symboliques plutôt que par la défense de principes.

Cette prudence, que certains osent appeler « réalisme diplomatique », n’est rien d’autre qu’une forme de lâcheté. Une lâcheté d’autant plus choquante qu’elle contraste avec la détermination de l’Allemagne. Berlin, sans passé colonial en Algérie, sans dette mémorielle utilisée comme chantage, a agi avec fermeté et célérité pour sortir de sa geôle un écrivain persécuté. Ce simple écart de posture révèle une vérité dérangeante : la France n’est plus, dans cette région du monde, un acteur respecté, mais un pays paralysé par sa culpabilité et incapable d’affirmer ses lignes rouges.

Le naufrage des Insoumis

Plus grave encore est l’attitude d’une partie de la gauche radicale française, au premier rang de laquelle La France insoumise. Au lieu de défendre la liberté d’expression d’un intellectuel persécuté, plusieurs députés LFI ont choisi de le calomnier, l’accusant de « racisme » et d’« islamophobie » – anathèmes automatiques dès qu’un penseur critique l’islamisme ou ses relais politiques. Ils ont voté contre les résolutions appelant à sa libération, préférant s’en prendre à l’écrivain plutôt qu’au régime qui l’emprisonne. L’histoire retiendra leurs noms.

Boualem Sansal n’est certes pas consensuel. Sa critique de l’islamisme est frontale, sans fard. Il ose même critiquer l’islam, ce qui est son droit le plus absolu au pays de Charlie. Son regard sur les dérives identitaires heurte ceux qui confondent défense des minorités et sacralisation d’une religion. Mais c’est cela, précisément, la litté rature : la liberté d’inquiéter, de bousculer, de choquer. Or ce sont des élus de la République qui ont rejoint, consciemment ou non, le camp de ceux qui veulent faire taire les voix dissidentes.

Maintenant qu’il est « libéré », une question se pose : l’est-il vraiment ? Peut-on dire aujourd’hui que Boualem Sansal a recouvré sa liberté pleine et entière lorsqu’il affirme lui-même qu’il devra « modérer » sa parole pour ne pas mettre en danger les siens ? Lui est-il demandé – et par qui ? – de ne pas livrer le fond de sa pensée et le récit de son emprisonnement ? Le gouvernement français, soucieux de préserver ses relations avec Alger, impose-t-il implicitement à Sansal une prudence qui tranche avec son esprit rebelle et effronté ?

À cela s’ajoute un plan média verrouillé, conçu par Gallimard : une première prise de parole sur France Inter, puis une autre sur France Télévisions – ce même service public qui a laissé traiter l’écrivain de raciste et d’islamophobe, et qui n’a jamais rectifié ni assumé les injures de certains de ses chroniqueurs. Qu’un auteur libéré d’une dictature commence son retour par un parcours médiatique ainsi organisé interroge : protège-t-on Sansal, ou encadre-t-on ce qu’il est autorisé à dire ? Il y a quelque chose de terrible dans cette image d’un dissident surveillé par ses libérateurs.

Boualem est certes revenu en France, et c’est heureux. Mais quand retrouvera-t-il pleinement la place qui est la sienne – celle d’un esprit libre ? Tant que subsisteront les pressions politiques, les menaces implicites, les silences prudents et les stratégies d’image pour ne pas froisser Alger, sa libération restera incomplète. Et elle continuera de symboliser, au-delà de son cas personnel, notre renoncement collectif à défendre sans trembler ceux qui parlent librement.

Mont-de-Marsan: peine maximale pour la mère empoisonneuse

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La personnalité inquiétante de l’accusée semble avoir été déterminante dans la décision du jury.


Le jury de la Cour d’assises des Landes, à Mont-de-Marsan, devant laquelle comparaissait Maylis Daubon, 53 ans, accusée d’avoir empoisonné ses deux filles dont l’aînée Enéa est décédée dans sa dix-huitième année, a été hermétiquement sourd aux plaidoiries. Estimant que l’hypothèse du suicide de cette dernière était plausible, ses deux défenseurs, Me Carine Monzat et Me Gérard Danglade, avaient réclamé son acquittement pur et simple.

Un procès qui a passionné la ville

Or, tout au contraire, la Cour l’a condamnée mercredi au terme de huit jours d’audience qui ont fait chaque fois salle comble (une durée exceptionnellement longue pour un procès d’assises), à la peine maximale de 30 ans de réclusion requise par le Ministère public. Le jury en a même rajouté en portant la peine de sûreté de 15 ans demandée par ce dernier à 20 ans. Et n’a pas été, davantage, sensible au témoignage de la cadette, Lau, la présumée survivante, âgée de 23 ans aujourd’hui, étudiante en biologie, venue à la barre proclamer avec force l’innocence de sa mère.

Elle avait redit ce qu’elle n’avait cessé de répéter durant l’instruction : qu’elle était convaincue que sa mère ne les avait pas empoisonnées, elle et sa sœur. A l’inverse, elle a chargé son père, Yannick Reverdy, 49 ans, un ancien international de handball, l’accusant de violence envers son épouse. « Je l’ai vu casser la gueule à ma mère, il était très violent physiquement et mentalement », a-t-elle affirmé sans que la Cour cherche à en savoir davantage.

Pas de place au doute

La conclusion de ce procès ne peut que laisser dubitatif. Au fil des audiences, à aucun moment n’a été avancé le moindre élément susceptible d’accréditer que Maylis Daubon avait administré à Enéa, le matin du 13 novembre 2019, entre 50 et 75 cachets de propranolol, un bétabloquant cardiaque qui allaient provoquer sa mort six jours plus tard après avoir été admise aux urgences de l’hôpital de Dax. Alors se pose une question : sur quoi les jurés ont fondé leur intime conviction ? Elle restera sans réponse car les délibérations relèvent du secret.

A l’énoncé du verdict, la présidente, Emmanuelle Adoul, s’est bornée à déclarer qu’ « au regard de la gravité des faits, de la mort d’Enéa, de leur durée, des modes opératoires (…), la Cour a estimé la culpabilité ». Puis elle ajouté que « la vie de Lau (NDLR la cadette) a été sauvée du fait de l’interpellation » de la mère. L’avocat général, Marc Borragué, de son côté, a affirmé que la victime était « affaiblie par une surmédicalisation, avec une soumission chimique qui a entraîné une abolition de son libre arbitre. »

Donc à propos du propranolol, « on lui donne ou elle prend, je ne peux l’affirmer, dit-il, mais l’absorption a été faite dans des conditions d’emprise. » Selon lui, Maylis Daubon a agi sous l’effet du syndrome de Münchhausen. A savoir, a-t-il expliqué : « J’ai emprise sur quelqu’un qui va m’échapper, je ne peux le supporter, je le tue. »

D’un point de vue strictement médical, ce syndrome, selon le spécialiste Eric Binet, « est un trouble factice qui conduit un parent à simuler, exagérer, provoquer chez son enfant une pathologie pour en obtenir une reconnaissance à travers l’assistance médicale qu’il lui apporte ».

Dans les faits, ce 13 novembre, l’accusée n’était pas à son domicile lorsque Enéa a eu en fin de matinée sa crise de convulsions qui allait lui coûter la vie. Elle avait un rendez-vous avec un prof de Lau qui était restée, elle, à la maison. De style gothique, déscolarisée depuis un an, Enéa souffrait de troubles psychiatriques sévères, avec des tendances, selon son entourage, suicidaires. Elle était sous traitement.  L’infirmier était passé à 8h30 lui prodiguer ses soins bi-quotidiens. Il n’avait rien noté d’anormal. Plus tard arrive le petit-ami de Lau. C’est lui qui découvrira Enéa, dans sa chambre, en pleine crise de convulsions. Alertée, la mère arrive dix minutes plus tard, et alerte à son tour les pompiers.

Une personnalité inquiétante

Ce sont eux qui ont la suspicion d’un possible empoisonnement. Ils alertent la police qui ouvre une enquête qui a abouti à l’inculpation de Maylis Daubon. L’analyse toxicologique avait décelé dans le corps de la morte dix fois la dose thérapeutique du bétabloquant en question. Sur les conditions de cette ingestion, « on ne sait rien », insistera la défense. « Avaler autant de cachets, affirmera Me Carine Mongat, c’est impossible. » L’énigme demeure entière. Seul un Sherlock Holmes aurait éventuellement pu la résoudre. L’unique certitude, c’est que, d’après une experte, le poison détecté a été ingurgité au moins deux heures avant.

Deux faits ont contribué à accréditer la culpabilité de Maylis Daubon auprès de la cour, sa personnalité et le stock « impressionnant » de propranolol découvert chez elle lors d’une perquisition. Qualifiée de menteuse invétérée et de mythomane, comment dès lors la croire à sa sincérité lorsqu’elle clame avec véhémence son innocence. Avant que le jury ne se retire pour délibérer, en vain elle a prononcé ces derniers mots : « C’est avec l’énergie du désespoir que je vous dis mon innocence. Je n’ai pas empoisonné Enéa et Lau. » Quant au stock de propranolol, c’est elle qui se l’est procuré à l’aide d’ordonnances truquées et en courant les pharmacies, ce qui indubitablement a très probablement induit le sentiment auprès des jurés de la planification d’un empoisonnement sur la durée.

Ses avocats ont laissé entendre qu’elle allait interjeter appel. Elle a dix jours pour le faire à partir de l’énoncé de sa peine.

Teen Vogue la galère…

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Aux États-Unis, la déclinaison de Vogue pour les jeunes fait les frais du mouvement de libération anti-woke. Didier Desrimais raconte.


Petite sœur de Vogue, la revue américaine Teen Vogue a été lancée en 2003. Destinée, comme son nom l’indique, aux jeunes, elle a d’abord traité de sujets propres à la marque : la mode et les célébrités. En 2016, dogme DEI (diversité, équité, inclusion) oblige, Condé Nast, la maison d’édition à qui appartient Teen Vogue, propulse l’Afro-Américaine Elaine Welteroth au poste de rédactrice en chef. La ligne éditoriale est dès lors de plus en plus politique, démocrate et woke.

Entre deux papiers anti-Trump, les juvéniles lecteurs de Teen Vogue apprennent de nouveaux « concepts » – masculinité toxique, privilège blanc, racisme systémique, fluidité de genre, apocalypse climatique, etc. – et découvrent qu’un homme peut être enceint et une femme avoir un pénis, qu’être « non binaire, c’est être libre », que tous les Blancs sont racistes et que Greta Thunberg est une « icône inspirante ».

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Au nom de la « santé sexuelle » et parce que « le sexe anal est trop souvent stigmatisé », Teen Vogue propose aux adolescents des articles sur la sodomie, agrémentés de chatoyants croquis anatomiques, dans lesquels il est spécifié que le coït anal n’est pas réservé aux homosexuels et que les « non-propriétaires de prostate » (les femmes) peuvent également y prétendre. Récemment encore, et bien que le wokisme batte de l’aile aux États-Unis, les divagations sur le « système patriarco-hétéronormatif » et les élucubrations sur la « crise climatique, symptôme du système colonial et blanc » se multipliaient dans le magazine pour ados à cheveux verts et à idées courtes. Mais… business is business : de nombreuses entreprises abandonnent les politiques « d’inclusion et de diversité » imposées par les groupes de pression « progressistes », mais de plus en plus contre-productives et financièrement préjudiciables. La maison d’édition Condé Nast a décidé de participer à ce mouvement libérateur en licenciant les trois quarts des journalistes de Teen Vogue et en fusionnant ce dernier avec Vogue.com où, avertit diplomatiquement mais fermement l’équipe de direction, il devra se plier à sa ligne éditoriale dépolitisée. Vive le Mouvement de libération anti-woke !

Label affaire

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En soutenant une initiative visant à distinguer les médias qui respecteraient les règles du journalisme des autres, le président Macron s’attire les foudres de la presse conservatrice. Labelliser les informations ou les opinions est toujours une mauvaise idée.


Fidèle à lui-même, le président Macron vient donc de nous concocter une toute nouvelle usine à gaz. Toxique le gaz, en l’occurrence en raison du fort remugle de censure qui accompagne la géniale trouvaille.

La formidable idée qu’il vient de nous sortir de son chapeau de clown consisterait ni plus ni moins à attribuer un label de qualité aux organes d’information, à leurs équipes éditoriales et à leurs productions. Un peu comme pour le calendos des verts pâturages et le plat-de-côtes made in Limousin.

Médiatiquement correct

Subtil, le fin penseur tient cependant à rassurer les foules : ce n’est pas l’État qui estampillerait mais « les professionnels de la profession » eux-mêmes. Donc une sorte de comité de la bien-pensance, du médiatiquement correct. Recrutés sur la base de quels critères, ces beaux esprits, et œuvrant en fonction de quelle grille de lectures ? Voilà ce qu’on ne sait pas encore.

Ce que nous savons pertinemment en revanche, c’est l’aveu de faiblesse, l’aveu de détresse qui se cache derrière ce genre de diablerie, dernier refuge, dernière marotte des pouvoirs en perdition. Ces pouvoirs en faillite n’ont en effet plus guère qu’un seul ennemi à redouter : la vérité. La vérité de ce qu’ils sont, de ce qu’ils font, de leurs échecs, de leurs médiocrités, de leurs compromissions. Alors, on flingue. On flingue la vérité et ceux qui osent prétendre la porter.

Un mot sorti de la bouche du président sonne comme un aveu en la matière. Aveu terrifiant. Il qualifie les médias et les confrères qui le défrisent de « dissidents ». Le mot même qu’employaient les dirigeants communistes de l’URSS et leur valetaille du PCF pour désigner les Soljenitsyne, les Kasparov, les Amalrik, les Lioudmila Alexeïeva et tant d’autres…Oui, quel aveu ! Quel pitoyable aveu !

La patrouille bien-pensante à la rescousse

Volant au secours de cette nouvelle avancée présidentielle, d’aucuns se réfèrent à un label déjà existant, la certification ICJ, en française Initiative pour la confiance dans le journalisme, dont l’ONG Reporters Sans Frontières (RSF) serait à l’origine. L’idée remonterait à 2018. Ce sont des cabinets d’audit tels que Veritas ou Deloitte qui feraient office d’arbitre, et non l’État, tient-on à préciser. En France, 17 médias sont à ce jour certifiés, cela va, nous révèle Patrick Cohen dans une récente chronique de France Inter, de TF1 au Réveil du Vivarais. On s’en doute, sa propre antenne est du lot.

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La démarche en soi ne manque certes pas d’intérêt, sauf que la question de fond reste entière : selon quels critères précis l’accréditation est accordée ou non, et par qui sont désignés ceux qui les édictent, jugent de leur application, qui est garant de l’indépendance des arbitres ? Questions qui évidemment se posent avec une certaine acuité puisqu’on nous apprend que, à ce jour des médias de cent vingt-sept pays de par le monde ambitionneraient d’obtenir ce label, cent vingt-sept pays dont on ignore bien évidemment si la conception et la législation d’État en matière de liberté de la presse, liberté d’expression, liberté tout court, sont équivalentes aux nôtres. Une ironie facile serait de laisser entendre que le fait que les ondes de M. Cohen brillent particulièrement dans ce classement ne serait pas forcément de nature à rassurer sur la fiabilité « déontologique » de l’entreprise. Passons. 

J’évoquais l’écœurant remugle de censure que le président se plaît à agiter avec ce projet qui ne serait donc pas le sien, mais celui de cette fameuse ONG, RSF, dont, cela soit dit en passant, souligner l’engagement idéologique ne saurait lui faire injure.

Cependant, que le président soit remercié pour une chose au moins, car, car tenant ces propos, il nous permet de nous replonger dans ce que la tradition intellectuelle française a pensé et dit par le passé de cette saloperie politique et mentale qu’est la censure.

Voici deux citations, juste pour la route.

Celle-ci, de mon référent de prédilection, Beaumarchais, dans Le Mariage de Figaro : « Pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l’Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l’inspection de deux ou trois censeurs. »

Et cette autre, de Gustave Flaubert, tirée de sa correspondance avec Louise Colet : « La censure quelle qu’elle soit me paraît une monstruosité, une chose pire que l’homicide. L’attentat contre la pensée est un crime de lèse-âme. La mort de Socrate pèse encore sur le genre humain. »

Une confidence pour finir. J’aurais beaucoup aimé livrer sur ce sujet une réflexion de Mme Aya Nakamura, si bien en Cour ces temps-ci (Un long sujet lui était notamment consacré au 20 h de France 2 ce dernier dimanche), mais n’en ayant trouvé aucune, j’ai dû renoncer. J’en suis fort chagrin. Je tiens à préciser les choses afin qu’on n’aille pas m’accuser d’avoir éventuellement, si peu que ce soit, censuré cette grande dame.


Elisabeth Lévy, ce matin au micro de Sud radio : « C’est inutile et dangereux ! »

BBC: service de déni public

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Londres, 6 mars 2025 : manifestation devant la BBC contre le documentaire « Gaza: How to Survive a Warzone », accusé de liens avec le Hamas © SOPA Images/SIPA

L’institution audiovisuelle britannique traverse une crise qui écorne sa réputation. Diffusion de fake news concernant Trump, BBC Arabic relayant la propagande du Hamas, programmes jeunesse promouvant l’idéologie transgenre. Sans surprise, pour la BBC, le problème n’est pas sa partialité éditoriale mais ceux qui osent la dénoncer


« Sorry, not sorry » est une expression anglaise pour désigner des excuses qui sonnent faux. Elle est parfaitement adaptée à celles que la BBC a présentées à Donald Trump, après la révélation, le 3 novembre, par le Daily Telegraph, du contenu d’une note interne du radiodiffuseur de service public. Cette note tirait la sonnette d’alarme concernant certaines des pratiques éditoriales de la Bib, notamment le montage fait par son émission-phare dans le domaine des reportages politiques, « Panorama », du discours prononcé par Trump devant ses partisans le 6 janvier 2021. Juxtaposant des parties très différentes de ce discours, le documentaire intitulé « Donald Trump : une deuxième chance » et diffusé à la veille de l’élection de 2024, donnait l’impression que le président avait fait un appel direct à la violence avant l’assaut du Capitole. Informé de cette manipulation grâce au quotidien britannique, Trump a prétendu y voir une tentative pour influencer le processus démocratique. Il a réclamé des excuses à la BBC et indiqué que, face à cette « diffamation », ses avocats exigeraient des dommages et intérêts s’élevant à un milliard de dollars, chiffre qui est monté depuis à cinq milliards ! Aux États-Unis, Trump a déjà obtenu des sommes considérables par des règlements extrajudiciaires avec les chaînes ABC et CBS, ainsi qu’avec Meta (propriétaire de Facebook et Instagram).

Dans sa réponse, la BBC a dit « regretter » la manière dont « la séquence a été montée ». Le verbe est ambigu (on s’excuse de son acte ou on se désole de l’avoir commis ?), et la voix passive permet de ne pas identifier les responsables. Selon la BBC, l’émission n’était pas diffamatoire, puisqu’elle n’avait pas été diffusée aux États-Unis et n’est plus disponible en ligne. Enfin, ce documentaire n’aurait pas eu d’effet, car Trump a gagné l’élection. Une autre déclaration parle d’une « fausse impression » qui aurait été donnée « accidentellement ». Mais ces manifestations de contrition passent à côté du vrai problème de la BBC : la partialité idéologique de nombre de ses salariés.

En flagrant déni

Prise ainsi en flagrant délit de fake news, la hiérarchie de la BBC est l’auteur de ses propres maux. Depuis longtemps, elle préfère minimiser les avertissements qui lui sont adressés par ses propres systèmes de contrôle. Celui qui est à l’origine de la fameuse note fuitée au Daily Telegraph, Michael Prescott, ancien chef de la rédaction politique au Sunday Times, était un consultant indépendant embauché par la BBC pour renforcer sa commission chargée de surveiller la qualité de l’information. Il a rédigé sa note avant de démissionner en juin, désespéré par l’inaction du conseil d’administration qu’il accuse d’être toujours sur la défensive quand un problème éditorial est soulevé. L’affirmation selon laquelle le montage du discours de Trump était « accidentel » est manifestement fausse : si ce montage date de 2024, un autre très similaire et aussi mensonger avait été fait en 2022 par l’émission d’actualités la plus prestigieuse de la BBC, « Newsnight ». Ainsi, la direction travestit en bévues des choix résultant de ce qu’on peut appeler – en empruntant le jargon wokiste qu’affectionne la BBC – des « biais systémiques ».

Ce refus d’admettre que son personnel puisse être coupable de déformer l’information sous l’influence de ses préjugés politiques est le talon d’Achille de la BBC. Créée en 1922, elle a construit pendant des décennies une réputation d’impartialité relative et de fiabilité. Désormais, ce capital patiemment acquis a été presque entièrement gaspillé. Sa réaction à ce qu’on pourrait surnommer le « Trumpgate » révèle son talent pour le déni. Ses journalistes ont laissé entendre que l’esclandre autour du faux montage serait le résultat d’un complot ourdi par la droite. Une opération de subversion viserait à saper la légitimité d’une BBC vouée au combat contre ces fakes news par lesquelles les réactionnaires populistes manipulent les électeurs. Cette interprétation a été relayée par beaucoup de politiques de gauche, bien que le Premier ministre, sir Keir Starmer, ait préféré rappeler la BBC à l’ordre. Lui, qui s’est démené pour garder des relations cordiales avec Trump, est gêné par l’attaque mensongère d’un média de service public contre un allié surpuissant. Les tenants de la lecture complotiste font valoir que l’un des membres du conseil d’administration est sir Robbie Gibb, un proche du Parti conservateur. S’il a joué un rôle dans la révélation de l’affaire, c’est peut-être parce qu’il pense, non sans raison, que la BBC traverse une crise existentielle. Seulement, pour la BBC, le problème n’est pas sa partialité éditoriale, mais ceux qui osent en parler. Ça ne vous rappelle rien ?

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Cette tendance au déni fait partie intégrante de la culture de l’institution. Elle explique son incapacité à agir dans des affaires comme celle de Jimmy Savile, animateur célèbre qui a abusé d’un millier enfants au cours de sa carrière ; celle de Huw Edwards, présentateur-vedette impliqué dans un commerce de pédopornographie ; ou celle de Martin Bashir qui, en 1995, a manipulé une princesse Diana psychologiquement fragile pour qu’elle lui accorde une interview-choc. Si toutes ces défaillances passées concernaient l’arrière-boutique, celles d’aujourd’hui sont visibles dans le traitement de l’information. Le cas le plus extrême est celui de BBC Arabic qui, avec une audience de 40 millions, diffuse des actualités en arabe – et dans une version très différente de celle qui a cours dans les autres services. Après le 7-Octobre, BBC Arabic a été accusée de promouvoir une propagande pro-Hamas et de faire intervenir des journalistes comme Samer Elzaenen qui aurait déclaré que les juifs « doivent être mis à mort par balles et brûlés comme Hitler l’a fait ». La direction a fini par annoncer une réorganisation complète de ce service. En février cette année, nouveau scandale quand le public a appris que le narrateur d’un documentaire « Gaza : survivre dans une zone de guerre », un garçon de 13 ans qui se présentait comme un assistant médical improvisé, n’était autre que le fils du sous-ministre de l’Agriculture du Hamas. En juin, la retransmission en différé d’un concert au Festival de Glastonbury s’est transformée en un appel à la mort des soldats israéliens. La diffusion en flux n’a pas été interrompue. Pour compléter le tableau islamo-gauchiste, la BBC a été accusée de promouvoir l’idéologie transgenre dans ses émissions pour enfants et de ne pas parler d’actualités qui pourraient montrer les non-binaires sous une lumière défavorable. Ses émissions satiriques seraient très marquées à gauche, tandis que dans ses fictions les méchants et les gentils seraient faciles à distinguer, les premiers étant des Blancs et les autres des personnes de couleur.

Modèle économique et modèle de vertu

Tous ces éléments ont fini par exaspérer une grande partie du public. Selon un argument qui fait son chemin, les citoyens seraient privés de la possibilité de manifester leur désaccord par le fait que la BBC est financée par la redevance. Cette dernière coûte 200 euros, plus que l’abonnement à Netflix et à Disney +. C’est ainsi qu’est né le mouvement Defund BBC – arrêtez de payer ! Dans le passé, il était difficile d’échapper aux inspecteurs qui venaient frapper à la porte des particuliers n’ayant pas payé leur redevance. Aujourd’hui, le nombre de ceux qui refusent de leur ouvrir est si grand que les inspections ne peuvent pas y faire face. C’est ainsi qu’au cours des douze derniers mois, la BBC a perdu presque 1,2 milliard d’euros sous forme de redevances impayées. Son modèle économique est en crise et sa prétention à incarner la vertu est plus un obstacle qu’un atout.

Sous la pression du « Trumpgate », le directeur général et la directrice de l’information ont démissionné, mais cela ne sauvera pas l’institution. Cette dernière est un béhémoth où les dirigeants ont peu d’influence sur la culture qui domine dans ses innombrables services. L’employé typique de la BBC est un jeune bourgeois diplômé qui a gobé toute l’idéologie wokiste et se croit appelé à apporter la bonne nouvelle au reste de la société. Sauf qu’une grande partie de la société n’est pas disposée à l’écouter. Autrefois, le public se divisait politiquement entre la droite et la gauche. La BBC faisait de son mieux pour naviguer entre les deux. Aujourd’hui, le clivage est beaucoup plus générationnel et territorial – Londres contre les régions. Le personnel de la BBC n’est plus en phase avec un grand nombre de Britanniques. Des voix s’élèvent pour mettre fin à la redevance et livrer la BBC à la concurrence du marché libre, mais un dilemme se présente qui s’applique aux services publics dans la plupart des pays occidentaux : comment résister aux fake news qui circulent librement sur les réseaux sociaux, ainsi qu’à la vision du monde promue – souvent en anglais – par des médias d’État de régimes autoritaires comme la Chine ou la Russie ? La secrétaire à la Culture a déclaré à la Chambre des communes que « la BBC est une institution nationale qui nous appartient à nous tous ». À l’heure actuelle, on dirait plutôt qu’elle fait honte à la nation.

Grandeur et décadence de nos musées

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Tableau de Sir Thomas Picton, 2021, Musée de Cardiff

Plus redoutables que les voleurs du Louvre, ce sont l’appauvrissement intellectuel, la politisation de l’art et le relativisme esthétique qui menacent nos musées.


Diamants, rubis, émeraudes, saphirs… En sept minutes à peine, un fric-frac au Louvre suffit pour remplir de larmes les réservoirs d’une fierté culturelle au bord de la sécheresse. Les bijoux de Marie-Louise et d’Eugénie, chants de cygne d’une noblesse éteinte, fourrés dans des sacs et embarqués sur des scooters pétaradants… L’émoi suscité par ce cambriolage pourrait presque nous faire pardonner certains qui pensaient Eugénie reine alors qu’elle fut impératrice, ainsi que d’autres s’exhibant sur les réseaux sociaux, mêlant aux sanglots des menaces jetées aux voleurs. Après tout, ce qu’on arracha à la France, c’est un de ses fruits sacrés.

Mais quel fruit sacré, exactement ? À vrai dire, ce qui furent, jusqu’au 19 octobre, immortelles ambroisies, se firent ensuite Pommes de la discorde. Car outre le chagrin de ces dernières semaines, entièrement louable, la perte des bijoux a révélé un drame plus profond : une indifférence croissante envers les musées eux-mêmes, mourant à petit feu d’année en année.  

Honte de soi et cartels pour bêtas

Depuis trop longtemps, les musées se rendent indignes des œuvres qu’ils affirment préserver. Des plus célèbres palais du monde jusqu’aux galeries de province, l’art, ainsi que tout ce qu’il renferme en son sein – beauté, héritage, transcendance, exigence – sont la cible de mille flèches, dont les plus graves : médiocrité, honte de soi, relativisme, bas-fonds politiques, et laideur morale ; bien entendu, sous des airs d’innovation et d’ouverture.

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D’abord, la médiocrité, jumelle de la tiédeur. À titre d’exemple, moins insignifiant qu’il n’en a l’air, le Louvre et le Carnavalet décidèrent, en 2021, d’abandonner les chiffres romains dans l’écriture des siècles et des titres de rois, au nom d’une prétendue meilleure compréhension du public. L’on pouvait donc lire sur leurs cartels, notamment, « Louis 14 » … Avant que l’on ne crie au faux scandale pour privilégiés délicats, considérez l’aspect symbolique. Voyez-vous, une civilisation ne se résume pas qu’à ses institutions, ses monuments, ses fulgurances. Sa poésie se trouve aussi dans ses plus infimes particularités, banales pour certains, mais qui, pour d’autres, scintillent comme des pierres d’une mosaïque, celles qui, loin du point focal, participent néanmoins à son harmonie et son détail. Ce « je ne sais quoi » dont parlait Jankélévitch : inutile, peut-être, dans l’ordre pratique, mais crucial pour ces veines invisibles où coule l’essence des choses.

Par ailleurs, si les musées s’inquiétaient que les visiteurs étrangers ou locaux ne comprennent rien aux chiffres romains, eh bien, un simple paragraphe explicatif affiché à l’entrée ferait l’affaire. N’est-il pas insultant, quelque part, de considérer un système numérique comme trop compliqué pour le visiteur moyen ? Si des musées de renommée mondiale, comme le Louvre, n’exigent plus le moindre effort de réflexion avant même de présenter leurs œuvres – elles, de plus en plus victimes d’un « retour à la caverne » platonicien, du fait qu’elles soient vues à travers un écran de téléphone et non des yeux – qu’est-ce qui inciterait le visiteur à se surpasser, à se faire violence pour s’élever ? À force de craindre de perdre l’attention du visiteur, les musées ont cessé d’exiger son respect.

Laideur sournoise

En parlant de respect, il serait aujourd’hui bien difficile de visiter le moindre musée sans être confronté au phénomène de « repentance muséale », sorte de mea culpa existentiel dès qu’il est question d’un fragment d’histoire occidentale. Mais qu’on ne confonde pas tout : il ne s’agit pas ici de combattre la nuance, et l’adoption d’une approche holistique de figures historiques aussi complexes qu’ils furent hommes. Ce qui pourrit la transmission historique de l’art, c’est plutôt l’absence de nuance et l’aveuglement idéologique.

En 2021 aussi, le Musée national du Pays de Galles a choisi de retirer le portrait de Sir Thomas Picton – un héros national en Grande-Bretagne, et le soldat le plus haut gradé à avoir été tué pendant la bataille de Waterloo – pour le confiner aux poussières de grenier, citant son implication dans l’esclavagisme. Encore une fois, il n’est pas question de défendre ses actes, mais bien de se demander : pourquoi ne pas illustrer son importance historique sans pour autant occulter sa part d’ombre ? Expliquer, plutôt que cacher ?

Plus tard, le portrait fut réexposé, mais, sous pression de groupes divers, dans une espèce de boîte en bois industriel, avec une vitrine conçue spécialement pour obscurcir le portrait, évoquant davantage raclure de tiroir que héros national. Le tout, accompagné d’un long texte qui ne visait pas à nuancer, mais à abattre le personnage. Ainsi, au lieu de discuter de véritables questions éthiques, de façon mature, l’on choisit l’autoflagellation et la caricature. Celui qui jadis inspirait l’admiration de son peuple fut victime d’un grotesque rituel, aussi humiliant pour lui que pour le visiteur : « Osez le regarder, le bougre ! Pas évident, n’est-ce pas ? » ricanait-on entre les lignes… D’autres exemples de ce genre pullulent. Mais, comme dirait l’autre, « il n’y a qu’à traverser la rue ».

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Et le comble de ce festin de plaies, c’est la laideur – mais pas n’importe laquelle. Celle-ci, voyez-vous, est plus habile, plus sournoise. Il faut croire qu’elle s’est perdue dans un bal vénitien et s’est masquée derrière des fioritures pour se faire aimer des invités, afin de tromper le beau, maintenant vieux et las, de danser avec lui jusqu’à ne plus lâcher son bras, jusqu’à ce que tous crurent en une union, pour ne pas dire un parasitisme, au point où jamais le beau ne parle sans que la laideur ne le coupe, parle plus fort, déforme ses propos, lui mène une guerre d’usure pour bien faire comprendre qu’il appartient à un monde disparu, tandis qu’elle continue d’enchanter les invités, de rire, rire aux éclats, le masque aidant à cacher ses dents pourries…

Oui, un masque scintillant, provocateur, qu’il est devenu chic d’aimer. C’est pourquoi l’on voit toujours apparaître au musée, autour d’installations aussi hideuses que préméditées, « Recontextualiser », « Repenser », « Réinterroger », « Relativiser » … un fatras de mots en « re », dont le plus juste serait « Régresser ».

Aucune œuvre n’est à l’abri, qu’elle soit au musée ou dans la rue. À défaut de les profaner elles-mêmes, il est maintenant coutume de les travestir d’installations censées choquer, désacraliser, et enlaidir. L’on pense bien sûr aux exemples les plus célèbres, comme les Balloon Dogs de Jeff Koons plantés au château de Versailles en 2008, ou à « l’arbre » euphémistique de Paul McCarthy qui souilla la place Vendôme en 2014 dans le cadre de la Foire internationale d’art contemporain – dont l’acronyme n’est sûrement qu’un heureux hasard. Mais cet arbre, comme ces ballons, cachent une forêt à éradiquer par le feu : la multiplication de ces attentats contre la beauté dans les musées petits et grands, de Paris à Montréal, de Los Angeles à Berlin. Des peintures symbolistes occultées par des sculptures vides de sens. Des monuments grandioses recouverts de piaillements ingrats. C’est trahir les artistes qui nous ont laissé des œuvres dignes des siècles, trahir une élégance devenue cacophonie, et symptôme d’une culture qui s’intéresse davantage à réécrire le passé qu’à dessiner l’avenir.

Voici l’état où se trouve l’art à présent, tandis que la foule se tient muette derrière le peloton d’exécution. Mais devant ce saint Sébastien à la chair percée de mille flèches, il est de notre devoir collectif d’agir comme sainte Irène, de le prendre dans nos bras, de soigner ses blessures, de le regarder, l’écouter vraiment, et de le défendre coûte que coûte contre ses faux protecteurs, afin qu’il retrouve sa splendeur réelle, digne de ceux qui nous l’ont transmise.

Kaouther Ben Hania: un dispositif émotionnel ambigu

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© Jour de fête

La Voix de Hind Rajab, actuellement en salles, soulève quand on le visionne une problématique d’ordre moral telle qu’il en résulte un très mauvais film. À éviter.


La Voix de Hind Rajab est, pour certains, un témoignage bouleversant ; pour d’autres, une preuve irréfutable d’un prétendu génocide perpétré par l’armée israélienne ; pour d’autres encore — dont je fais partie — un film qui soulève des questions d’ordre… cinématographique. La Voix de Hind Rajab est en effet une fiction inspirée de faits réels. La cinéaste Kaouther Ben Hania a choisi de réaliser un documentaire-fiction construit sous la forme d’un huis clos étouffant au sein d’un centre d’appel du Croissant-Rouge. Les comédiens qui interprètent les secouristes jouent, en pseudo temps réel, leurs réactions à l’écoute de l’appel authentique de la petite Palestinienne Hind Rajab, coincée dans une voiture et entourée des corps sans vie de membres de sa famille — un crime de guerre ?

Un dispositif discutable

Le film, servi par une mise en scène très cadrée ne montre fort heureusement aucun plan de violence explicite liée à la guerre en cours menée par Israël contre les terroristes du Hamas. Kaouther Ben Hania fonde sa mise en scène sur l’utilisation de la parole véridique de Hind Rajab mélangée aux réponses de ses comédiens. Elle filme la parole, les silences, les bruits de guerre, ainsi que l’impuissance des secours, la tension qui s’installe entre eux et instaure un suspense surdramatisé malaisant et malhonnête sur l’issue de la situation. Tous les spectateurs allant voir ce film connaissent l’histoire vraie et tragique de Hind Rajab. Cette manière de filmer le réel entre retenue apparente et dramatisation jouée pose question. L’horreur n’est pas montrée mais est donnée à entendre — et surtout à ressentir par une médiation théâtralisée.

Kaouther Ben Hania transforme le réel en matière première d’un thriller psychologique dont la force émotionnelle devient paradoxalement une faiblesse. Le matériau utilisé, le réel : l’enregistrement de la voix d’une enfant confrontée à l’horreur de la guerre possède une intensité qui impose compassion et stupeur. Sa charge affective est insoutenable. Dès lors, comme pour la représentation de la Shoah au cinéma la question fondamentale arrive : un film peut-il, et doit-il utiliser cette voix, la mettre au centre d’un documentaire qui devient par sa mise en scène habile une fiction ? Comment l’utiliser sans la dénaturer ?

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Absence de distance critique et primat de l’émotion

Le dispositif retenu repose sur la diffusion de la parole d’une enfant en plein désarroi. Pas de contextualisation, pas de distance ni de travail critique réflexif sur la manière de montrer. Le film démontre et la cinéaste choisit de mettre cette voix brute comme pivot central émotionnel autour duquel elle ordonne le jeu de ses comédiens, les plans sur les visages des opérateurs et secouristes, les lumières crues du centre d’appel, la musique et le montage… Le spectateur doit ressentir viscéralement ce drame. Tout l’enjeu du film est de transformer la douleur authentique en levier dramaturgique, destiné à provoquer une émotion maximale. L’utilisation de cette voix comme moteur narratif semble alors devenir une véritable exploitation émotionnelle, un instrument affectif qui en confisque la dignité.

Une question éthique majeure

Peu importe la légitimité du sujet ; ce qui interroge, ici, c’est la manière dont il est mis en scène. La sidération l’emporte sur la réflexion, l’intensité affective écrase la complexité de la situation. La cinéaste est trop consciente du pouvoir qu’exerce son matériau.

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Sur le plan éthique, la question est cruciale : peut-on mobiliser la voix d’une enfant terrorisée sans la surdéterminer, sans la transformer en instrument moral au service d’une cause ? La cinéaste ne semble pas se poser ces questions. Elle s’appuie sur cette douleur brute, faisant usage d’un témoignage fragile qui aurait exigé une mise en forme d’une rigueur extrême, afin d’éviter toutes scènes spectaculaires ou excessivement dramatisées.

Un rappel théorique : Rivette et la question de l’abjection

À cet égard, la réflexion de Jacques Rivette dans son excellent texte De l’abjection(1) demeure éclairante. Critiquant le fameux “travelling de Kapò”, Rivette écrivait : « Voyez cependant, dans Kapo, le plan où Riva se suicide, en se jetant sur les barbelés électrifiés ; l’homme qui décide à ce moment de faire un travelling-avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée, en prenant soin d’inscrire exactement la main levée dans un angle de son cadrage final, cet homme n’a droit qu’au plus profond mépris. ». Si la situation diffère — Kaouther Ben Hania évite toute esthétisation visuelle — l’enjeu moral est similaire : comment filmer, comment représenter, comment mettre en scène une détresse réelle sans la transformer, fût-ce involontairement, en spectacle ? Rivette rappelait que la mise en scène impose toujours un regard, et que ce regard peut devenir indécent dès lors qu’il manipule la douleur au lieu de la penser. Le film de Ben Hania ne commet pas une « faute de cadre », comme dans Kapò, mais il opère une mise en émotion qui, elle aussi, soulève une question de légitimité.

Le film de Kaouther Ben Hania me semble donc une œuvre contestable non pour son sujet — tragique, dur et réel — mais par la manière dont elle en dispose. En misant presque exclusivement sur le choc affectif, la cinéaste transforme cette voix enfantine en instrument narratif, substituant l’émotion, le pathos à la compréhension.

Le cinéma peut et doit pouvoir montrer la douleur. Mais pour cela, il doit impérativement résister à la tentation du spectaculaire.


1h29

(1)  De l’abjection de Jacques Rivette, consacré au film Kapo de Gillo Pontecorvo – Cahiers du cinéma, numéro 120 – juin 1961

Réseaux sociaux et crépuscule de la presse officielle

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Le journaliste et polémiste Ivan Rioufol © Hannah Assouline

Labelliser les médias ? Le combat du fameux « cercle de la raison » contre les nouvelles libertés numériques est perdu d’avance, observe Ivan Rioufol. Les médias traditionnels et connivents avec les pouvoirs sont dépassés par les informations que fournissent les réseaux sociaux en prise avec le réel. Ceux-ci, en dépit de défauts qui restent à corriger (anonymat, appels illégaux, fake news) forcent les journalistes à ouvrir les yeux sur des faits naguère occultés.


La révolution numérique est une aubaine pour la démocratie en rade. Cette technologie, utilisée par 94% des ménages, rend vaines les tentatives désespérées d’Emmanuel Macronpour contrôler l’opinion populaire. Une mer qui monte ne s’arrête pas avec des interdits. L’obsession du chef de l’État visant à mettre sous surveillance les réseaux sociaux lui fait commettre des embardées liberticides. Elles dévoilent sa pente manichéenne et sectaire : un anachronisme alors que partout la parole se libère.

Dès son premier mandat, j’avais alerté sur ses initiatives qui, au prétexte de traquer des « fake news » et des « propos haineux », impliquaient le pouvoir politique dans la police de la pensée. Ses derniers projets pour installer une labellisation de l’information par des professionnels et pour prévoir des actions en référé contre des « désinformations », relèvent de cette incapacité du chef de l’Etat, en guerre contre le « populisme », à admettre les critiques non homologuées par l’incestueux système politico-médiatique. Lundi soir, l’Elysée a été jusqu’à publier une vidéo dénonçant des commentaires tenus sur CNews par Pascal Praud et Philippe de Villiers. Mais cette maladresse puérile d’un président esseulé ne fait qu’étaler les failles intimes du Narcisse blessé. « La vraie dictature est là, en Russie », a-t-il lancé ce même jour en recevant Volodimir Zelenski. Or, la macrocrature se rapproche des régimes totalitaires qu’elle sermonne en multipliant les obstacles et les intimidations à la libre expression, sur l’internet et l’audiovisuel, et en mobilisant la presse de cour, singulièrement les médias financés par l’Etat, pour décréter la vérité (pravda, en russe).

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En réalité la macronie laisse voir, dans son appétit pour les censures et les rappels à l’ordre de ses chiens de garde, les ultimes soubresauts d’un pouvoir ébranlé par le nouveau monde qui vient. Les oligarchies politiques et médiatiques sont vouées à disparaître sous la force irrépressible de la démocratie numérique. Elle fait de chaque individu l’acteur potentiel d’une démocratie décentralisée, localisée, horizontale, participative, informée, éduquée. Les médias traditionnels sont dès à présent dépassés par les informations que fournissent les réseaux sociaux en prise avec le réel. Ceux-ci, en dépit de défauts qui restent à corriger (anonymat, appels illégaux) forcent la profession à ouvrir les yeux sur des faits naguère occultés. Le quatrième pouvoir n’est plus dévolu à la presse connivente qui ne joue plus son rôle de contre-pouvoir. Ce dernier est représenté par l’indomptable internet, qui irrite tant Macron. Les succès des pétitions numériques, dernièrement contre l’immigration ou la loi Duplomb, forcent les politiques à penser ce nouveau monde en rupture avec les anciennes pratiques confisquées par les castes et leurs experts cooptés. 

« Tout devient soumis à consultation », admet Robin Rivaton, dans une note de décembre pour la Fondapol[1]. Dans cette conception novatrice de la politique, Macron symbolise le modèle déphasé. Ses combats contre les libertés sont honteux. Surtout, ils sont perdus d’avance.


[1] Contre la bureaucratie, la compétence du peuple, Fondation pour l’Innovation Politique

Quand le Ballet de l’Opéra apprivoise la modernité

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Marc Moreau, Dorothee Gilbert et Guillaume Diop, "O złożony, O composite" © Benoite Fanton / OnP

Qu’elles soient signées par Merce Cunningham, par Trisha Brown ou, dans un tout autre registre, par Pina Bausch, leurs œuvres, quand elles sont au programme du Ballet de l’Opéra de Paris, révèlent l’extraordinaire évolution de la compagnie.


Il y a quelques lustres à peine, il était quasiment impensable que les danseurs de l’Opéra de Paris puissent se plier à des esthétiques nouvelles, à autre chose que la danse classique. Ce n’était pas seulement un problème de technique et d’adaptation des corps à des formes de danse en absolue contradiction avec les canons du ballet romantique ou de la danse académique ou néo-académique. Mais plus encore sans doute un état d’esprit qui empêchait les ballerines et leurs partenaires masculins, à quelques rares exceptions près, d’adhérer à une philosophie, à des conceptions parfaitement étrangères à leur univers. Un univers d’excellence certes, mais borné et incapable alors de s’ouvrir à d’autres façons d’envisager le monde de l’art.  

Il faut avoir observé le mépris affiché par les danseurs devant les premiers ouvrages et les méthodes de travail de Carolyn Carlson, alors étoile-chorégraphe du temps de Rolf Liebermann ; avoir entendu de petites idiotes en tutu blanc ricaner à l’idée qu’on puisse interpréter Dominique Bagouet sur la scène de l’Opéra ; avoir vu des danseurs pousser des cris d’orfraie devant des pièces maîtresses de Pina Bausch ou avoir découvert Sylvie Guillem, dansant à Londres de sirupeux navets enrubannés, étaler son dédain face aux chefs-d’œuvre de Cunningham, pour mesurer le chemin désormais parcouru jusqu’à aujourd’hui. 

Des pionniers

On se souvient avec d’autant plus d’émerveillement de danseurs-étoiles comme Wilfride Piollet et Jean Guizerix qui furent alors de hardis pionniers lors de la création d’Un Jour ou deux de Cunningham commandé au Ballet de l’Opéra pour le Festival d’Automne de 1973. Ou encore de Laurent Hilaire, magnifique lors de la reprise du même ouvrage en 1985. Mais encore de figures comme Jean-Christophe Paré et ses camarades du Groupe de recherche chorégraphique de l’Opéra de Paris (GRCOP) conduit par Jacques Garnier et voué à la création contemporaine. Il y en eut d’autres, à l’instar de la danseuse Miteki Kudo qui naguère se glissa avec un stupéfiant naturel dans l’esthétique « post modern » de Trisha Brown ou d’Olivia Granville quittant l’Opéra pour explorer des contrées inaccessibles au sein du ballet.

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Alors qu’il y a vingt ans à peine les anciennes générations de danseurs de l’Opéra demeuraient encore raides et empruntées dans le répertoire contemporain, on voit leurs successeurs d’aujourd’hui magnifiques (surtout les femmes) dans Kontakthof ou Blaubart de Pina Bausch. On les découvre désormais prêts à s’adapter, avec plus ou moins de bonheur, mais avec générosité le plus souvent, à toutes sortes d’écritures.

D’une saisissante beauté

C’est précisément le cas avec deux œuvres de la chorégraphe américaine Trisha Brown (1936-2017) qui est à nouveau à l’honneur à l’Opéra de Paris. Deux pièces remontées par d’anciens de ses interprètes, Carolyn Lucas, Todd Stone, Elena Demyanenko et Leah Morrison, dont le trio O Zlozony/O Composite (Ô compliqué, ô complexe), créé en 2004 pour les danseurs de l’Opéra sur un poème en polonais de Czeslaw Milosz et sur une partition (de facture inégale) de Laurie Anderson. Dans ce trio très élaboré qui se profile sur un ciel étoilé (décors de Vija Celmins et lumières de Jennifer Tipton) et dont les premières images sont d’une beauté saisissante, une étoile comme Dorothée Gilbert qui sait être, dans le registre romantique, une Giselle bouleversante, est également ici parfaite, encadrée de deux jeunes hommes à la tenue irréprochable, Marc Moreau et Guillaume Diop.

Conçu pour elle-même par Trisha Brown en 1994 avec la complicité de Robert Rauschenberg, If You Couldn’t See Me (Si tu ne pouvais pas me voir) est un parfait exemple de l’art de la chorégraphe, de cette incomparable alternance entre tension et relâchement, de cette souplesse féline qui la caractérisait. L’interprète, ainsi que le suggère le titre, n’est vue que de dos. Une gageure qui requiert d’ailleurs une puissance d’interprétation décuplée pour les quatre différentes danseuses qui vont assumer cette tâche au fil des représentations. Celle affrontant le rôle le soir de la première, Hannah O’Neill, est remarquable. Mais il lui manque encore quelque chose de cette distance, de cet abandon, de cette souplesse qui étaient la marque unique de Trisha Brown. Toutes choses qu’elle acquerra avec le temps, mais qui est si difficile de saisir quand on a été nourrie de technique académique. C’est justement ce que Miteki Kudo, citée plus haut, avait si miraculeusement capté.

Un aimable néant

Spectaculaire dans son dépouillement, le décor conçu avec un certain esprit Art Déco par le Néo-Zélandais John Otto l’a été pour la pièce de l’Anglais David Dawson, Anima Animus. Lui répondent énergiquement de remarquables costumes très architecturés, dessinés par la Japonaise Yumiko Takeshima. Un concerto pour violon du compositeur italien Ezio Bosso, mort dramatiquement en 2020, à l’âge de 48 ans, nimbe l’ensemble.

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Bondissant, tourbillonnant, virevoltant, tout en jambes tendues et en bras élevés vers le ciel, les dix danseurs du Ballet de l’Opéra sont brillants. Et c’est bien tout. D’un académisme militant, la chorégraphie est surtout d’un vide abyssal. Un inventaire de prouesses de classe de danse qui se reproduisent à satiété, pas du tout laides, mais parfaitement creuses et inutiles. C’est toutefois cette pièce qui a été le plus acclamée. On aurait espéré que c’était uniquement pour saluer la vaillance des danseurs. Eh bien non ! L’auteur de cet aimable néant a été lui aussi ovationné.

Anima Animus n’a pas l’excuse d’être une création. La pièce a vu le jour avec le Ballet de San Francisco en 2018, puis a été reprise en 2023 à la Scala de Milan qui est, dans le domaine de la danse, le repaire de l’académisme le plus ranci et le plus réactionnaire. Comment donc avoir eu l’idée de programmer ce pensum à Paris ? Cela prête à penser.

Et une impitoyable punition    

Caroline Osmont. A l’arriere plan Ida Viikinkoski et Clemence Gross, « Drift Wood » – Imre et Marne van Opstal © Benoite Fanton / OnP

Mais on n’a pas tout vu ! Exécutée par douze courageux interprètes dans une semi-obscurité qui n’arrange rien, Drift Wood (Bois flotté en bon français) porte bien évidemment, selon les critères établis, un titre en anglais. Comment avaler qu’un ouvrage créé par le Ballet de l’Opéra de Paris à l’Académie nationale (ci-devant impériale et royale) de Musique et de Danse, financé par elle et conçu dans la capitale, non par des auteurs anglo-saxons, mais par deux Néerlandais du Limbourg, porte obligatoirement et sans justification aucune un titre en anglais ? Comme si un titre français sur une scène française était une chose définitivement ringarde et déshonorante ! Mais le monde de la danse est souvent si bête, si vain et si moutonnier qu’intituler un ouvrage en anglais pour se donner un genre et une contenance est devenu depuis longtemps un automatisme irrépressible chez nombre de chorégraphes auto-proclamés.

40 minutes à endurer un truc indescriptible et crapoteux créé par Marne et Imre van Opstal. Un frère et une sœur presque jumeaux qui se sont donc mis à deux pour concevoir cette pièce informe et sans vrai caractère, d’un abominable ennui… Ils sont dotés de deux sœurs également artistes chorégraphiques. Et l’on frémit à la seule idée que ces quatre-là auraient pu tout aussi bien accumuler leurs énergies pour faire encore plus assommant.


Contrastes. Ballet de l’Opéra de Paris. Palais Garnier. Jusqu’au 31 décembre.