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Rendez-nous Nicolas Bedos !

Un monde sans connards ?


Rendez-nous Nicolas Bedos !
Nicolas Bedos sur le plateau de « Quelle époque ! », le 3 mai 2025, pour la sortie de son livre La soif de honte © France 2

Dans La Soif de honte, Nicolas Bedos raconte sa déglingue, sa descente aux enfers de MeToo, sa condamnation pour agression sexuelle, sa mise à mort sociale, le salut par l’amour et par l’écriture. Au-delà des faits pénalement répréhensibles, le tribunal médiatico-féministe lui reproche d’avoir été un séducteur volage et égoïste, autant dire un salaud qui ne mérite ni oubli, ni pardon. Sous couvert de justice, il s’agit d’imposer une nouvelle morale


Dans un commissariat, même un homme accusé d’agression sexuelle a le droit de se défendre. Dans un tribunal, ce n’est pas certain, puisque Gérard Depardieu a écopé d’une peine alourdie pour cause de défense jugée inconvenante. Devant le tribunal médiatique, qu’il ait été ou pas condamné par la justice, il n’a qu’un droit : battre sa coulpe en expliquant à quel point il est indigne de pardon, vu la gravité de ses crimes et la noirceur de son âme. Le 3 mai, lorsqu’il s’installe face à Léa Salamé sur le plateau de « Quelle époque ! », Nicolas Bedos sait qu’il n’a pas le droit à l’erreur. C’est sa première apparition cathodique après deux ans et demi de bannissement. Il vient présenter La Soif de honte, le livre où, d’une plume à la fois mordante et poignante, il raconte et affronte sa déglingue, ses déconnages alcoolisés, la cohorte de femmes trahies, sa descente aux enfers de MeToo, sa condamnation pour agression sexuelle à six mois sous bracelet, qui équivaut à la peine de mort sociale, les projets qui s’arrêtent, le silence qui s’installe, les amis qui flanchent – je suis de tout cœur avec toi mais je ne peux rien dire –, la honte, les regrets, la vie qui malgré tout se fraye un chemin dans le malheur, le salut par la double grâce de l’écriture et de l’amour – celui de Pauline Desmonts son inébranlable compagne et aujourd’hui celui de leur fille. Mais ce qui se joue sur ce plateau de télévision, ce n’est pas sa vérité, avec son dégradé de nuances et sa part de négatif, c’est sa réintégration dans la compagnie des hommes. Léa Salamé n’est pas la simple animatrice d’un show télévisé, elle est la gardienne du système, celle qui, selon qu’elle baissera ou lèvera le pouce, prononcera la condamnation définitive ou accordera, non pas le pardon, mais l’éventuelle possibilité de l’obtenir un jour.

En arrivant sur le plateau, conscient de ne pas être un invité comme les autres, un de ceux qui restent babiller avec les autres une fois passé son quart d’heure de promo, Bedos s’autorise à peine un demi-sourire. Dans sa palette de personnages, Léa n’a pas choisi la pétaradante charmeuse, celle qui lance des œillades de velours au dernier chanteur ou acteur à la mode – je suis si heureuse de vous recevoir, le public vous adore. « On n’est pas potes, on ne se connaît pas », croira-t-elle bon de préciser en fin d’émission. La bonne blague. Tous deux nés en 1979, Salamé et Bedos ont officié ensemble aux côtés de Laurent Ruquier sur France 2, puis se sont croisés mille fois dans les arrière-salles de l’audiovisuel public et les raouts du cinéma. Mais l’ambiance n’est pas au badinage mondain. Ce soir, c’est commissaire Salamé, regard de pierre et verbe tranchant. Peut-être l’artiste a-t-il alors une pensée nostalgique pour les policiers qui l’ont interrogé en garde à vue, le 22 juin 2023.

Le hachoir MeToo

Pour les escouades du féminisme punitif, autoriser Bedos à parler est déjà un scandale, aussi pense-t-on sans doute à France TV faire acte de courage. Salamé s’en excuse presque. « On a beaucoup hésité. On a pensé à toutes ces femmes que votre présence ce soir doit blesser. Mais on vous a lu. Ce n’est pas, comme souvent, le livre d’un type qui pleurniche sur son sort, se plaint d’une injustice, de l’époque, de la chasse à l’homme ou se dit victime de la vengeance de femmes. Pour la première fois, un homme accusé et condamné reconnaît que oui, il a fait du mal, oui il a abusé de son pouvoir, oui il a été un séducteur mégalomane. » Notez, ça va souvent ensemble. Faudra songer à tondre les femmes qui aiment ça. Les hommes aussi d’ailleurs.

Le ton est donné. Il n’est pas là pour se défendre ou s’expliquer, encore moins pour demander sa réhabilitation et le droit de retravailler, mais pour se livrer à une autocritique en règle – qui est par ailleurs le fil conducteur du livre. Dans le genre, la trentaine de minutes durant laquelle il est sur le gril est l’un des spectacles les plus pénibles que notre funeste époque puisse offrir. L’homme passé au hachoir de MeToo ne doit jamais se trouver la moindre circonstance atténuante, ne jamais dire ni même penser que la sanction – perdre toute vie sociale, tout travail, toute perspective – est disproportionnée. Il devrait même remercier pour la chance de devenir meilleur qui lui est ainsi offerte. Le pire, c’est que lui-même semble convaincu de la gravité de son crime. Elle le lui rappelle par diverses variations sur « le mal que vous avez fait », mal forcément irréparable, il renchérit, se maudissant d’avoir fait tant souffrir. À entendre la procureure comme l’accusé, on imagine que Bedos a violé, frappé, tué peut-être. Si un attouchement à travers un jean (sur le sexe) et un baiser volé (dans le cou) constituent des atteintes irréparables, nous sommes tous traumatisés – c’est en train d’arriver en Occident. Au risque de mécontenter les victimes, la plupart des êtres humains subissent des désagréments de ce genre ou de cette intensité. À encourager le trauma, à dorloter la souffrance, à sacraliser la plainte, on fabrique des générations en porcelaine chinoise, incapables d’affronter, de comprendre et bien entendu d’aimer les tours et détours du désir et leurs cohortes de trahisons, mensonges, dominations et vilenies. Autant dire qu’il va falloir les protéger de la condition humaine. Bedos a certainement mal aimé comme il dit. Il faudra songer à faire une loi sur le « bien-aimer ».

On souffre avec lui, en se demandant s’il a raison de s’infliger ce calvaire. Dans les procès de Moscou, l’autocritique ne permettait pas d’éviter la mort ou le goulag. Bedos ose courageusement un plaidoyer pour la deuxième chance. « Quel sens cela a-t-il de se soigner, de reconnaître ses fautes, si un type qui se remet en cause est traité avec la même sévérité que celui qui nie ? » Salamé brandit une déclaration de la comédienne Emmanuelle Devos : « Ceux qui ont abusé vont dégager, c’est comme ça et je trouve ça plutôt sain. Bien sûr qu’il y a des têtes qui vont tomber et qui n’auraient peut-être pas dû tomber, mais c’est ça les révolutions… » Tant pis pour vos vies saccagées, les gars, mais pas de chance, vous êtes les œufs qu’il faut bien casser pour cuire l’omelette de l’Histoire en marche. Et Salamé de conclure : « Il faut que les choses changent, alors non, on ne va pas vous dire que tout est oublié et que demain vous pourrez faire un film. Ça ne marche pas comme ça. » On aimerait savoir comment ça marche. Être invité par Salamé est un passage obligé, mais ne donne pas un brevet de fréquentabilité. Les rebellocrates (comme disait Muray) portent aux nues Ladj Ly, qui a écopé de deux ans ferme en 2012 dans une affaire de séquestration, mais ils peuvent décréter qu’un cinéaste de 46 ans, condamné pour des délits bien moins graves, n’aura plus jamais le droit à la lumière – ils lui concèdent généreusement le droit d’être boulanger ou caissier. Des libraires, nouveaux maîtres de la censure, refusent de vendre son livre. Aucun, évidemment, n’ose organiser une signature, ce serait pourtant défendre à peu de frais la liberté dont ils se gargarisent. Le 23 mai, des abrutis fascistoïdes vandalisent la vitrine des Éditions de l’Observatoire et peinturlurent une croix violette sur le visage de Bedos, mise à mort symbolique d’une violence inouïe. Ces dieux de pacotille ont soif. Ils ne connaissent pas la pitié.

Quand le tribunal populaire se fait lynchage

Le livre offre un florilège des messages trouvés en sortant de garde à vue, alors que tous les médias annoncent sa disgrâce en une avec gourmandise. C’est que rien n’est plus jouissif (et vendeur) que la chute d’un « puissant » – drôle de puissant que ce saltimbanque bourré de talents et de démons. Les tricoteuses ne se sentent plus de joie. « Espèce de sale violeur, heureusement que ton père est mort, ta mère mériterait de le rejoindre en enfer pour avoir accouché d’un tel porc », « Il paraît que ta meuf est enceinte, si c’est une fille, j’espère qu’elle se fera abuser… », ou encore « Tu t’en sortiras parce que t’es protégé par les juifs. Les agresseurs se couvrent entre eux ». Le plus sidérant c’est que les auteurs de ces immondices, ivres de bonne conscience, croient vraiment défendre la justice.

À lire aussi, Charles-Henri d’Elloy : Nicolas Bedos, le beau bouc émissaire

Dans ces conditions, on aurait aimé qu’il tienne tête à ses accusatrices, adresse un grand bras d’honneur à ce système injuste qui ne veut plus de lui, qu’il pointe la soif de pouvoir planquée derrière le souci des femmes. Bref, qu’il se risque à démonter la machine totalitaire qui l’a transformé en paria. Sauf que tout cela est inaudible, donc indicible sur un plateau de télévision. La libération de la parole, ça ne vaut pas pour tout le monde. Et puis, il est facile de donner des leçons d’héroïsme, mais que feraient les résistants par procuration si des morceaux d’interview tronqués pour le caricaturer en prédateur tournaient en boucle, surgissant indéfiniment des moteurs de recherche ? Cependant, dans le livre que les vertueux se font une gloire de ne pas lire (c’est peut-être mieux), il ne s’épargne pas, mais il règle aussi ses comptes, avec l’époque qui ne connaît ni oubli ni pardon, et avec son milieu où la lâcheté est la règle. En privé, l’écrasante majorité des décideurs vitupèrent la folie MeToo, en public, ils se prosternent devant Judith Godrèche, imposent des stages de bonnes manières à tous leurs personnels et recrutent des « coordinateurs d’intimité » pour leurs tournages. Ils adorent Nicolas et son travail, mais tu comprends, on ne veut pas d’ennuis. On comprend trop bien.

Action du collectif féministe Nous Toutes devant les Éditions de l’Observatoire, éditeur du livre de Nicolas Bedos, Paris, 23 mai 2025 © Arnaud VILETTE/OLA NEWS/SIPA

Le droit au changement : quête sincère ou faute impardonnable ?

Du reste, on ne doute pas de la sincérité de sa quête de rédemption. Bedos s’en veut vraiment d’avoir énervé, blessé ou désespéré tant de gens, tous sexes confondus. Il a été un mauvais ami, un mauvais amoureux, un mauvais fils et veut devenir un homme meilleur, c’est son droit et surtout son affaire. Après tout, il a sans doute assez exploré les ténèbres de la condition humaine, autrement dit assez déconné pour toute une vie. L’ennui, c’est que cette morale individuelle éminemment respectable est en train de s’imposer comme norme sociale. Car ce que les punaises de la sacristie féministe lui reprochent, ce ne sont pas seulement les faits pénalement condamnés, c’est bel et bien sa façon d’être un homme. « J’ai été égoïste, irresponsable et inconséquent », reconnaît-il face à Salamé. D’accord, mais en quoi ces comportements regardent-ils le public ? Chacun doit-il être le juge de son frère – et de son ex ? Dans l’entretien qu’il a accordé à Peggy Sastre, l’une des plus subtiles critiques de MeToo (et l’un des plus jolis cerveaux de la presse), et qu’elle a choisi de titrer « C’est l’histoire d’un connard… », il déclare notamment : « J’interroge une façon de vivre, une manière d’aimer. J’ai trop longtemps fait preuve d’égoïsme et de lâcheté. Je me suis autorisé des amours simultanées, des infidélités que je ne prenais même plus la peine de dissimuler[1]. » C’est certainement très mal, mais la société n’a nullement à s’en mêler. Ce n’est évidemment pas l’avis d’Émilie Frèche qui considère que rien de ce qui est masculin ne doit échapper à la surveillance féministe. Invitée à porter la contradiction dans Le Point, elle publie un texte réussissant le tour de force d’être à la fois bêta et terrifiant de cruauté satisfaite[2] : « Ce connard qui se croit tout permis a humilié, fragilisé, abîmé plusieurs femmes. Et il ne sera pas puni pour ces forfaits, car être un connard n’est pas pénalement répréhensible. Mais qu’il ne demande pas, simplement parce qu’il se dépeint avec une sincérité qui dit combien il n’a plus rien à perdre, que nous lui pardonnions. Notre monde après #MeToo ne veut plus d’hommes comme ça. » Parle pour toi. Et comme la dame se pique d’avoir des lettres, elle cite La Modification de Butor où un homme prend le train pour rejoindre sa maîtresse à Rome, puis change d’avis et repart à Paris direction Madame. Enrôler Butor pour défendre la fidélité conjugale, fallait oser. Notre experte en amours convenables rêve d’un monde peuplé de bons maris-bons pères-bons citoyens partageant scrupuleusement des tâches ménagères. Un monde sans adversité, sans aspérité, sans altérité, autant dire à périr d’ennui. L’humanité a besoin de dérèglements, d’excès, de désirs impérieux, de tromperies, de drames, de passions – de sa dose de mal. J’aime que les hommes se comportent bien. Pourtant, je détesterais vivre dans un monde sans connards. Je sais, c’est pas logique. Au fait, ai-je précisé que Nicolas Bedos est un ami, qu’il le restera et que j’attends impatiemment son prochain film ?


[1] « C’est l’histoire d’un connard… », propos recueillis par Peggy Sastre, Le Point, 29 avril 2025.

[2] « Notre monde ne veut plus d’hommes comme ça », Émilie Frèche, Le Point, 29 avril 2025.

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Juin 2025 – #135

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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