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Iquioussen: les leçons d’une expulsion ratée

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L’échec relatif de la manifestation de soutien à Hassan Iquioussen, ce samedi place de la République, ne doit pas faire oublier l’échec cuisant de sa tentative d’expulsion par le ministre de l’Intérieur, illustration parfaite de l’inefficacité totale de la politique macronienne en matière de lutte contre l’islamisme. Hélas, le désormais célèbre imam n’est que l’arbre qui cache la forêt.


Les faits reprochés à Hassan Iquioussen sont bien documentés : antisémitisme, misogynie, promotion de la polygamie, incitation à la haine des chrétiens, des Occidentaux et des apostats, complotisme, victimisation, légitimation de la violence…. le tout dans le cadre d’une stratégie d’entrisme bien établie.

Complaisance, ou silence, à l’extrême gauche et chez les musulmans

Après des années de complaisance (car les faits, pour beaucoup, sont anciens et connus de longue date) Gérald Darmanin se décide à tenter d’expulser l’imam islamiste. Tambours et trompettes, rodomontades et autosatisfaction sur les réseaux sociaux. Las ! Rien ne se passe comme prévu, le Tribunal administratif s’oppose à la décision du ministère de l’Intérieur, avant que celle-ci ne soit finalement validée par le Conseil d’État mais, ô surprise, Hassan Iquioussen a disparu et, cerise sur le gâteau, le Maroc a suspendu le laisser-passer consulaire de l’imam, rendant de facto impossible son expulsion vers le pays dont il détient pourtant la nationalité.

À lire ensuite, Céline Pina: Gérald Darmanin VS Hassan Iquioussen: on fait la guerre avec l’armée qu’on a

Pendant ce temps, l’extrême-gauche apporte son soutien à Iquioussen, LFI en tête, et la communauté musulmane « républicaine » qu’on dit pourtant « majoritaire » se distingue comme toujours par un silence si assourdissant qu’on en viendrait à douter de son existence, à l’exception notable mais décidément bien solitaire du courageux Hassen Chalghoumi ou de voix admirables mais marginales comme celle de Mohamed Louizi. Nombreux en revanche sont ceux qui hurlent à « l’islamophobie d’état », les plus actifs se retrouvant samedi dernier place de la République – on peut se réjouir que la mobilisation autour de ce rassemblement ait été plutôt faible, mais sans naïveté : la tendance de fond au sein de la communauté musulmane en France est plus à prendre la défense d’Iquioussen (même passivement) qu’à le condamner.

Que retenir de cette séquence ?

Bien sûr, la pantalonnade gouvernementale, dont on se demande si elle est due à la vantardise maladroite de Darmanin ou si elle est volontaire, une tentative de donner un os à ronger à ceux qui exigent que l’État s’attaque à l’islamisme et « en même temps » de rassurer les adeptes de la charia en leur montrant qu’au fond, ils ne risquent pas grand-chose. Tant d’efforts (affichés) pour une seule cible et un tel résultat, l’expulsion massive des islamistes en général et des fichés S en particulier n’est décidément pas à l’ordre du jour. Ajoutons-y la capacité des pays d’origine (ici, le Maroc) de bloquer la procédure, le taux ridiculement faible d’exécution des OQTF, et on constate à quel point la République a renoncé à la maîtrise de ses frontières, et donc livré la souveraineté du peuple français aux caprices de flux migratoires incontrôlés (et même, en réalité, encouragés…).

Bien sûr, aussi, les tergiversations et les ambiguïtés de l’État : l’incohérence des arbitrages de la justice administrative est révélatrice de la fragilité de la législation en place, dont la responsabilité ne saurait être attribuée à la seule macronie, mais retombe sur le législateur en général, depuis des décennies, et donc sur toute la classe politique du « cercle de la raison » et du « front républicain ».

A lire aussi: Le vote musulman, ça existe!

Bien sûr, également, la véritable signification de l’accusation « d’islamophobie », qui ne sert qu’à tenter de faire taire quiconque veut imposer aux musulmans de respecter les lois qui s’appliquent à tous les citoyens. Et en effet, pour beaucoup, cette absence de passe-droits veut dire interdire à l’islam d’être pleinement l’islam, sa vision métaphysique comme sa traduction dans les mœurs étant radicalement incompatibles avec les fondements les plus essentiels de la civilisation européenne et des valeurs qui, espérons-le, sont encore les nôtres (à commencer par le refus de l’arbitraire, fut-ce celui d’un soi-disant dieu, et ainsi est née la quête des réalités objectives, c’est-à-dire aussi bien la soif de justice et de beauté que la science et la philosophie).

Les barbecues détournent l’attention

Bien sûr, toujours, le soutien apporté par l’extrême-gauche à l’islamisme, qu’il se manifeste activement (on pense par exemple au communiqué de David Guiraud) ou par le choix de systématiquement regarder ailleurs, les « féministes » préférant s’attaquer aux barbecues qu’aux discours authentiquement sexistes de Hassan Iquioussen. Certains y voient le comportement d’idiots utiles, c’est bien trop indulgent : au stade où nous en sommes, il s’agit de complicité.

Bien sûr, enfin, l’attitude de la « communauté musulmane », au sein de laquelle on entend distinctement un « bruit de fond » de soutien à l’islamisme et au communautarisme, et en revanche un silence pesant lorsqu’il faudrait les condamner, ou défendre leurs victimes (de Salman Rushdie à Mila en passant par Robert Redeker, Samuel Paty et Asia Bibi). Les exceptions existent évidemment, mais toutes leurs indéniables qualités ne doivent pas faire oublier qu’il s’agit, justement, d’exceptions.

Le problème des OQTF qui n’aboutissent jamais

La conclusion, hélas, est sans appel : il est désormais impossible de combattre l’islamisme en traitant un par un les seuls cas individuels les plus emblématiques, quelques milliers de revenants du jihad et de prêcheurs fichés S. Le phénomène est trop massif, et trop bien implanté : démographiquement, culturellement, politiquement. Hassan Iquioussen n’est qu’un parmi beaucoup d’autres, et les prédicateurs comme lui ne seraient rien sans un public acquis à leur idéologie. La seule solution crédible est donc de mettre en place, résolument, un environnement hostile aux islamistes, c’est-à-dire à quiconque veut imposer l’islam comme source normative – projet de société islamique qui, rappelons-le, implique entre autres la fin de la liberté de conscience (apostasie), la fin de la liberté d’expression (blasphème), et la fin de l’égalité de droits entre femmes et hommes. Pourquoi ne voterait-on pas des lois « d’environnement hostile », qui inciteraient les expulsables à quitter d’eux-mêmes le territoire, plutôt que de se lancer dans des expulsions qui n’aboutissent jamais ? Il faudrait rendre la vie impossible à un étranger frappé d’une OQTF (on pense au logement, ou au compte bancaire par exemple).

A lire aussi, du même auteur: Bénis soient les apostats!

Un tel environnement hostile est parfaitement possible. Il existe, et c’est heureux, envers quiconque se revendiquerait du nazisme. Il a été fermement (mais cette fois abusivement) mis en place contre les non-vaccinés de la Covid-19 (souvenez-vous du « j’ai très envie de les emmerder » d’Emmanuel Macron). Il est grand temps d’affirmer notre rejet viscéral et non négociable de l’islamisme et du projet de société islamique, et d’acter notre volonté de rendre la France invivable, systématiquement et systémiquement « emmerdante », pour ceux qui adhèrent à ce projet de société. On accusera la France « d’islamophobie », et alors ? C’est déjà le cas, et comme l’a fort bien dit Élisabeth Badinter, il ne faut pas en avoir peur. François Sureau le rappelait il y a peu : « il y a des haines justes, et la République s’est construite sur la haine des tyrans ». N’ayons pas honte de craindre les totalitarismes, douloureusement conscients du mal qu’ils sont capables de causer et résolument vigilants face à leurs ruses, et n’ayons pas honte de les haïr. La seule chose honteuse, c’est de renoncer à les combattre.

«L’Afrique du Sud fonctionnait mieux lorsque les Blancs étaient aux commandes»

Pour les dix ans du massacre de Marikana survenu le 16 août 2012, le président de l’Association of Mineworkers and Construction Union (AMCU), Joseph Mathunjwa, a fustigé la politique du gouvernement sud-africain. Devant un millier de personnes, il n’a pas hésité à déclarer que «l’Afrique du Sud, en tant que nation, était plus fonctionnelle pendant l’apartheid qu’elle ne l’est actuellement».


Marikana est située dans la province du Cap-Nord. C’est une tâche indélébile qui continue à poursuivre le gouvernement du président Cyril Ramaphosa. Le 10 août 2012, 3000 mineurs sur les 28000 travaillant dans une mine de platine de cette ville ont déclenché une grève. Menacés de licenciement par la société Lonmin qui les emploie, faute de trouver un accord, les tensions ont fini par dégénérer six jours plus tard. Armés de lances, de machettes, de bâtons, rejoints par un groupe de femmes toutes aussi équipées, les mineurs ont refusé de se disperser, menaçant de déborder la police envoyée sur place. Pris de panique, les policiers ont tiré sans sommation, laissant derrière eux 34 morts. La presse s’empare de l’affaire, tire à boulets rouge sur le gouvernement de l’African National Congress (ANC) et évoque un massacre digne de ceux du régime de ségrégation raciale.

Avant 94, le pays fonctionnait

Dix ans après ces événements, l’Association of Mineworkers and Construction Union (AMCU) ne décolère toujours pas après Cyril Ramaphosa. D’autant que la commission mandatée pour établir le rapport d’enquête (lequel n’a désigné aucun coupable) a révélé un courrier envoyé par ce dernier à la direction de la compagnie minière où le président traitait les grévistes « d’odieux criminels ».

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Face à un millier de personnes, le leader de l’AMCU n’a pas mâché ses mots contre la situation économique et sociale qui prévaut en Afrique du Sud. « Vous pouvez aimer ou détester les Blancs qui étaient au pouvoir avant 1994, mais ils nous ont donné et laissé un pays qui fonctionnait. Le Parti Nationaliste était cruel, mais il nous a laissé un État qui marchait, puis l’ANC a pris le relais accompagné de sa corruption » a déclaré Joseph Mathunjwa. « Depuis que l’ANC est au pouvoir, notre situation n’a fait que se dégrader. Lorsqu’ils ont pris le contrôle du pays (…) ils sont arrivés avec juste des idées politiques en sachant qu’ils ne pouvaient offrir rien d’autre au pays et à son peuple » a-t-il poursuivi. Dans la foulée, il a fait remarquer que depuis l’instauration de la démocratie, aucun des présidents qui s’étaient succédé, « n’avait rien fait pour améliorer la vie des Noirs ». Joseph Mathunjwa n’a pas hésité à appeler à la dissolution du Parlement et au vote pour un parti qui « rendrait aux Noirs ce qui leur appartient et au pays ce dont il a besoin ».

Extrême gauche et extrême droite en hausse

Miné par la corruption jusqu’au plus haut sommet de l’État et les divisions internes, l’ANC ne séduit plus les Sud-Africains. En 25 ans de pouvoir, le parti de Nelson Mandela n’a pas réussi à réduire les inégalités sociales et raciales. Le pays est au contraire marqué par la montée de la violence et de la xénophobie, il affiche une croissance décevante et un chômage en augmentation, et est au bord de la guerre civile.

Lors des dernières élections législatives de mai 2019 et municipales de 2021, les partis d’extrême gauche (Economic Freedom Fighters du populiste Julius Malema) et d’extrême droite (Freedom Front de Pieter Groenewald) ont nettement progressé en terme de scores électoraux, devenant respectivement le deuxième et le quatrième mouvement d’opposition du pays.

Rentrée scolaire: les sept engagements que M. Ndiaye devrait prendre tout de suite

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En 2019, le classement de notre pays aux tests PISA fut bien peu glorieux en compréhension des écrits (23e rang). Plus inquiétant encore, les analyses socio-économiques révélaient que le milieu social agissait grandement sur le niveau des élèves.


Dans l’OCDE, « le niveau à l’écrit des 10% d’élèves des familles les plus riches équivaut à une avance de trois années scolaires environ par rapport aux 10% d’élèves les plus pauvres ». En France, cet écart atteint quatre années.

Les résultats montrent ainsi que la France favorise la réussite d’une élite, celle des enfants qui réussissent le mieux tandis qu’elle est de moins en moins capable de faire réussir les enfants les moins privilégiés. L’étude met en relief une différence de 107 points entre les élèves issus d’un milieu favorisé et ceux issus d’un milieu défavorisé, nettement supérieure à celle observée en moyenne dans les pays de l’OCDE (88 points). Environ 20% des élèves favorisés, mais seulement 2% des élèves défavorisés, sont parmi les élèves très performants en compréhension de l’écrit en France (au niveau 5 ou 6) pour des proportions respectives de 17% et 3% en moyenne dans les pays de l’OCDE.

En termes de développement économique et de justice sociale, en termes de solidarité citoyenne et de partage culturel, que peut-on attendre d’un pays dont la part la plus défavorisée de la population lit mal, raisonne mal et écrit encore plus mal ? Nous sommes en train de perdre la « mère des batailles », celle dont l’issue heureuse conditionne l’égalité des chances, la liberté des esprits et la fraternité des citoyens. Tous les efforts d’investissements, tous les rappels à l’ordre des responsables risquent de rester lettres mortes. Il faut donc oublier les slogans, les mots d’ordre et les anathèmes et privilégier l’efficacité méthodologique, l’accompagnement lucide et attentif de chaque élève et le savoir-faire pédagogique des enseignants. Si le nouveau ministre refuse que 20% des enfants voient leur destin scolaire et social scellé dès six ans, il faut, sans attendre qu’il prenne sept engagements qui rompront avec les habituels arrangements de surface qui suivent chaque rentrée scolaire et engageront enfin une véritable métamorphose de l’école française.

1. Priorité à l’école maternelle !

Au lieu de se perdre dans des discours sur « l’épanouissement des tout petits », il faut de toute urgence construire une école maternelle qui permette à tous les élèves (car ce sont bien des « élèves ») de maîtriser le langage oral. Car aucun élève ne pourra apprendre à lire au cours préparatoire s’il ne maîtrise pas le langage oral. Ce défi exige une démarche pédagogique explicite et une progression rigoureuse qui assure une discrimination précise des sons, une organisation équilibrée des phrases et une compréhension convenable des textes lus par l’enseignant. L’école maternelle ne saurait être une « garderie bienveillante » ; elle est une école à part entière et non pas une école entièrement à part !

2. Un choix lucide des méthodes !

Pour tous les enseignements fondamentaux, la « liberté pédagogique de complaisance » doit céder le pas à un contrôle pédagogique qui privilégie les méthodes dûment évaluées et reconnues pour la rigueur de leur progression et de leurs choix cognitifs. Il convient d’en finir avec le photocopiage désordonné de fiches récoltées sans cohérence sur internet. Le bricolage méthodologique n’a pas sa place dans les classes ; il condamne à un échec précoce les enfants les plus fragiles qui sont en manque cruel de repères.

3. Une formation des maîtres qui privilégie les connaissances utiles et la qualité professionnelle !

La responsabilité de la formation des maîtres a été livrée, depuis plus de quarante ans, au pouvoir des universités qui l’ont fort mal servie. Le résultat : des professeurs des écoles qui ne dominent pas les contenus (littérature, grammaire, mathématiques, histoire…) de ce qu’ils sont censés enseigner et qui ignorent tout de la façon de faire la classe. Dans les centres de formation, à la dénomination fluctuante, les formateurs de terrain expérimentés, ayant l’expérience des classes, sont réduits à l’accomplissement des basses besognes ; leurs voix n’ont aucun poids dans les orientations essentielles d’une formation tout entière soumise au pouvoir des universitaires. Il faut donc repenser complètement la formation des maîtres en imposant des filières pluridisciplinaires directement utiles à l’enseignement et en veillant à la maîtrise des pratiques pédagogiques nécessaires à la tenue d’une classe.

A lire aussi, Claude Thiriat: Baisse du niveau: MM. Macron et Ndiaye dans le déni

4. Une différenciation pédagogique garantissant l’équité scolaire !

Si l’on ne veut pas que l’école continue d’être une machine de reproduction sociale, creusant les inégalités, il faut lui donner les moyens d’instaurer une différenciation pédagogique généralisée qui permettra à chaque élève d’être accompagné au plus juste de ses propres difficultés. La juste réponse à l’échec programmé de certains élèves ne saurait être un passage complaisant d’un niveau à l’autre, non plus qu’un redoublement aveugle et sans efficacité. La première réponse ne fait que différer un échec qui s’avèrera de plus en plus douloureux ; la seconde conduit aux voies honteuses de relégation et au décrochage. À chacun des différents paliers que les élèves les plus fragiles ont tant de mal à passer depuis la maternelle jusqu’au collège, il faut instaurer un système liant une évaluation lucide à une remédiation pertinente.

5. Comprendre efficacement les textes dans toutes les disciplines !

Il faut inscrire la capacité de comprendre justement et de se faire comprendre précisément au centre exact de tous les apprentissages disciplinaires. Les élèves doivent arriver au collège en capacité de lire avec précision et efficacité un texte littéraire comme un énoncé de mathématiques ou un texte de science . Telle est, en effet, l’exigence d’une lecture citoyenne : ne jamais se laisser berner par le premier graphique, le premier tableau ou le premier camembert venus, tout en partageant avec bonheur un patrimoine littéraire de qualité. Cela devrait imposer aux écoles une pédagogie intégrale de la lecture équilibrant code et sens et visant à la compréhension des textes dans toutes les disciplines de la maternelle jusqu’au collège.

6. Réhabiliter les filières professionnelles !

Aujourd’hui, les collégiens les plus fragiles, privés des outils intellectuels et linguistiques essentiels et ayant perdu le goût d’apprendre, se voient « généreusement » proposer une orientation professionnelle par défaut. Pour eux, le travail de la main est devenu la honteuse compensation des insuffisances supposées de la tête. Si l’on veut que des décennies de négligences et de lâchetés ne transforment pas définitivement les voies professionnelles en voies de relégation, il faut que dès le collège (et dans tous les collèges), on accorde autant d’importance aux activités techniques et technologiques qu’aux disciplines dites générales. En d’autres termes, il faut créer un collège certes unique mais pluriel dans lequel tous les élèves seront jugés avec autant de rigueur et d’exigence pour leur capacité à comprendre un texte ou un problème que pour leur talent à construire un circuit électrique, à façonner un objet ou à construire un site internet.

A lire également, Jean-Paul Brighelli: Education: pour une régionalisation générale des concours, des mutations et des salaires

7. Fonder une alliance entre école et famille !

La qualité de l’accompagnement familial, associée à un enseignement ciblé, conditionne la réussite de l’apprentissage linguistique et assure le développement intellectuel du jeune enfant. Ne nous étonnons pas qu’à l’âge de six ans, il ne possède que 300 mots pour dire le monde (et non pas les 2500 attendus) s’il a passé une grande partie de sa petite enfance abandonné devant une émission de télévision, fût-elle éducative, ou seul face à un jeu vidéo… Chacun, dans son propre foyer, doit ainsi cultiver le langage et aiguiser la pensée de ses enfants en complémentarité avec l’école. Mères, pères, grands-parents, doivent les former à la précision linguistique et à la résistance intellectuelle. Tout renoncement familial affaiblit le pouvoir linguistique de l’enfant et brouille la rigueur de sa pensée. L’école ne peut pas tout faire. L’école ne doit pas tout faire. Elle a déjà beaucoup de mal à mener à bien l’instruction des élèves. Chaque famille a une responsabilité essentielle dans « l’élévation » de ses enfants ; car il s’agit bien d’« élévation » et non pas d’ « élevage ». L’élan individuel et collectif auquel vous devez appeler aujourd’hui, Monsieur le ministre, portera l’espoir d’une école qui donne envie aux élèves ET aux maîtres.

Si vous n’engagez pas avec courage et volonté cette nécessaire métamorphose, nos élèves seront condamnés demain à errer sans mémoire dans un désert culturel ; à la merci du premier tentateur, du premier donneur d’ordre ; et nos académies en viendront un jour à aller rechercher leurs professeurs sur « le Bon Coin ». Cette école désenchantée désespèrera ses instituteurs et incitera ses élèves au décrochage.

Le contraire d’une pensée fausse n’est pas (forcément) une pensée juste: le cas Soros

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Si George Soros et le système pernicieux qu’il a créé pour financer les causes les plus progressistes constituent des cibles légitimes pour des critiques, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain en condamnant les penseurs dont Soros se réclame et dont il trahit la pensée. Analyse.


« Les idées gouvernent le monde et les bonnes idées donnent de bons fruits ». Quelques vingt siècles avant Gramsci, c’était écrit dans les Évangiles ! Un qui a compris cela, c’est bien George Soros, que Charles Gave, qui le connait bien, qualifie à la fois de génie du trading – d’où sa fortune – et de profondément pervers, toxique et méchant.

M. Soros est complexé de ne pas être un intellectuel et entend le devenir grâce à son argent. Il est devenu un bailleur de fonds international essentiel du Parti du Bien et finance quantité d’ONG et d’universités pour répandre son idéologie, dite de la « société ouverte », qui s’opposerait à la « société fermée » portée par tous ceux qui s’opposent à la mondialisation financière et à un nouvel ordre mondial porté par les États-Unis.

Dans le camp « souverainiste », on se contente trop souvent de dénoncer sans aller au fond des choses. La reconquête de la souveraineté passe par la reconquête des idées. Dénoncer un système de pensée malsain sans pouvoir le remplacer par un autre, c’est brasser du vent  

Dénoncer cette entreprise et l’idéologie de M. Soros est nécessaire et cela a été entrepris par Thibault Kerlirzin dans son livre Soros l’impérial [1]. Ouvrage professionnel, sérieux, documenté, conduit par un raisonnement clair. Soros est également dénoncé dans le livre de Pierre-Antoine Plaquevent, Soros et la société ouverte [2] qui a un écho non négligeable sur les réseaux sociaux. Pourtant, sa cible n’est pas tant Soros que des scientifiques de premier plan comme Karl Popper et Gregory Bateson. Plaquevent excipe du fait que Soros se prétend disciple de Popper pour discréditer Popper. Or, Karl Popper est le plus grand épistémologue du XXe siècle, dont l’œuvre est une ressource indispensable pour construire une pensée pour sortir de la confusion actuelle promue par la nouvelle idéologie de nivellement du monde.

Quel est l’enseignement de Popper ?

  • Le rejet de l’historicisme : L’avenir est ouvert et aucun déterminisme historique ne peut nous dire ce que sera l’avenir. Nous sommes entièrement libres, et ce qui adviendra demain sera le fruit de nos décisions et non-décisions implicites ou explicites.
  • Le rejet du relativisme : Il est parfaitement possible de parvenir à des décisions communes et de bâtir le Bien commun dès lors que l’on a le souci d’apprendre l’un de l’autre, ce qui veut dire ne pas noyer les différences dans un magma mais d’en faire une ressource pour progresser vers la vérité.
  • En philosophie politique, la question n’est pas de savoir QUI doit gouverner la société, mais COMMENT elle doit être gouvernée et POUR QUOI. La question du QUI est une question platonicienne et vise à assurer le règne des philosophes et des « sages » sur la société, qui s’oppose au COMMENT qui est la question socratique du progrès par questionnement et résolution de problèmes. Le débat sur le QUI mène aux oppositions gauche-droite qui occultent le débat sur la nature de la société juste.
  • Le critère d’une société juste n’est pas de savoir qui la gouverne, mais de pouvoir en permanence délibérer sur le « Quoi? » et d’être assuré de pouvoir renverser le gouvernement. En Suisse, on se fiche pas mal de qui gouverne du moment qu’au travers des votations et de la démocratie directe, le peuple a le dernier mot.

Voilà qui n’est pas compatible avec l’idéologie de l’Occident dominée par le relativisme (« si tout est relatif » disait Leo Strauss, « alors le cannibalisme n’est qu’une affaire de gout ») et l’historicisme (l’existence de lois de l’histoire comprises par une autoproclamée élite). En fait, l’apport de Popper est l’exact contraire des élucubrations de M. Soros.

Pierre-Antoine Plaquevent n’a rien compris ou voulu rien comprendre à cela. Il voit dans Popper le père de l’ingénierie sociale définie comme « une approche interventionniste et mécaniste des phénomènes sociaux. Il s’agit de transformer la société comme s’il s’agissait d’un bâtiment… pour provoquer des changements qui sinon ne se produiraient pas d’eux-mêmes ». C’est faux : Popper a critiqué le positivisme logique du Cercle de Vienne durant l’entre-deux-guerres qui prétendait fonder les décisions sur la pure logique mathématique, ce que promouvra l’économie néoclassique de la rationalité des marchés. À l’ingénierie sociale conçue comme une manipulation des individus à partir de la compréhension de leur comportement, il a opposé une démarche par petits pas de résolution de problème : Face à un problème A on teste des solutions par essais et erreurs, et la résolution du problème est un problème B, plus complexe, et on aura au passage accru notre connaissance [3]. Popper a été confronté dans la Vienne d’avant-guerre au choc de deux conceptions du monde prétendant à la vérité scientifique incarnée dans une idéologie déterminant l’avenir du monde. C’est le refus de ce déterminisme, fondement du totalitarisme, qui est à la base de l’œuvre de Popper.

Une stratégie malvenue

La stratégie employée par Plaquevent consiste à s’en prendre à un philosophe mort depuis longtemps (1994 pour Popper) en le rendant responsable d’événements blâmables actuels, sous prétexte qu’il est cité par des gens peu recommandables. Ainsi, le gauchisme mondain américain a lancé une offensive contre l’enseignement du philosophe Leo Strauss (mort en 1964) transformé en inspirateur de la guerre en Irak (!), sous prétexte que certains politiciens « néocons » prétendent avoir suivi son enseignement. En fait, Leo Strauss, plaidait pour un retour à la philosophie politique classique définie comme globale, à la fois théorie et savoir-faire politique, échappant à l’étroitesse d’esprit du juriste, à la sécheresse du technicien, aux lubies du visionnaire, à la bassesse de l’opportunisme. Voilà qui est fort peu compatible avec l’idéologie actuelle du progrès à tout prix.

C’est la même technique qu’applique M. Plaquevent, en faisant de Soros un disciple de Popper au seul motif qu’il se réclame avoir été son étudiant. Il y ajoute un autre artifice : Popper a malheureusement commis un ouvrage très mauvais – « un scandale » et de la « camelote idéologique » selon les termes du philosophe Eric Voegelin – La société ouverte et ses ennemis. [4] Écrit dans son exil en Nouvelle Zélande pendant la Seconde Guerre mondiale, Popper n’avait pas ses sources avec lui et a vécu quatre années de ténèbres académiques. Il en a été réduit à faire, selon l’expression de Nietzsche, de la « philosophie à coup de marteau ». Il s’est rattrapé plus tard quand il a eu un poste en Angleterre, en écrivant un livre d’excellente tenue traitant du même sujet – la dénonciation de l’historicisme et du relativisme – Misère de l’historicisme [5].

En plus de donner crédit à Georges Soros d’avoir eu Karl Popper pour mentor et père spirituel, le livre de M. Plaquevent ignore l’apport scientifique de Popper qui fonde la théorie de la connaissance basée sur la pratique sociale en nous dégageant de la fascination pour les idéologies. On n’y trouve aucune référence bibliographique vers les sources principales, mais principalement des liens internet et des sources secondaires polémiques et non scientifiques.

Il s’en prend également à un autre scientifique majeur du XXe siècle, Gregory Bateson – qu’il appelle Georges Bateson, ce qui laisse supposer que, là aussi, il n’a lu que des écrits secondaires et polémiques et pas Bateson lui-même – dont l’apport est important pour une pensée libre. Gregory Bateson, époux de l’anthropologue Margareth Mead, a été un des promoteurs de la systémique qu’il a mobilisée pour formuler la théorie de la communication, il y a intégré les approches anthropologistes de son épouse et la psychiatrie qu’il a contribué à sortir de l’approche monodisciplinaire de la médecine pour une approche globale du patient. Un scientifique complet mobilisable dans de nombreux domaines. Plaquevent réduit la systémique de Bateson à la cybernétique de Norbert Wiener qui rêvait de voir la société gouvernée par des ordinateurs grâce à une « machine à gouverner » [6]. Bateson a contribué à comprendre le fonctionnement des groupes et des sociétés humaines. Comprendre ne veut pas dire s’en servir pour manipuler les gens, ce contre quoi Bateson a mis en garde.

C’en est trop pour Plaquevent : Bateson (mort en 1980) a été conseiller du gouverneur de Californie en 1978 qui avait gardé des liens avec le « révérend » Jim Jones, fondateur d’une secte apocalyptique au Guyana. Il n’en faut pas moins pour qualifier Bateson et son épouse de « criminels ». Mais son principal crime est d’être cité par Soros, qui, malin, ne se revendique que des meilleurs, les esprits ouverts auxquels on peut faire dire ce qu’on veut en distordant leurs écrits.

En somme, déconstruire un système de pensée pervers ne construit pas un système de pensée juste. C’est ainsi que, dans le camp « souverainiste », on se contente trop souvent de dénoncer sans aller au fond des choses : la reconquête de la souveraineté passe par la reconquête des idées, et dénoncer un système de pensée malsain sans pouvoir le remplacer par un autre, c’est brasser du vent.  

Les intellectuels du courant républicain souverainiste portent peu d’intérêt à l’éducation populaire dont a besoin la jeune génération. Il y a pourtant fort à faire ! L’ignorance est la pire des prisons dans laquelle nous maintient le système actuel en nous cantonnant dans la caverne de l’opinion qui fournit la trame des shows télévisés. Le philosophe Denis Collin, qui a été très longtemps militant marxiste, remarque justement que le succès du wokisme est qu’il s’adresse à une génération d’étudiants déculturés. La domination du marxisme à l’université, s’il a développé des comportements sectaires, n’avait pas abouti à l’état de régression culturelle et mentale actuel.

Il s’agit donc aujourd’hui d’armer intellectuellement la jeune génération et de ne pas la laisser aux manigances de la lumpen intelligentsia. La reconquête de la souveraineté passe par la reconquête des idées.

Cela est d’autant plus tragique que nous sommes les héritiers d’une tradition philosophique et politique de près de vingt siècles de philosophies et de débats politiques, de Cicéron à Machiavel et aux républiques italiennes, à Jean Bodin en France, Harrington en Angleterre, Thomas Paine dans la jeune Amérique, avec des options bien différentes mais un concept central : la prévalence du Bien commun.

La reconquête des idées passe par renouer avec cet héritage. Ce dont nous avons besoin, c’est de futurs adultes formés au raisonnement. Et s’il fallait citer des scientifiques essentiels à cette tâche, on citerait bien sur Popper, Leo Strauss et Bateson dans les cinq premiers.


[1] Ed. Perspectives Libres, 2019.

[2] 2e édition, Ed. Culture et racines, 2020.

[3] « Toute vie est résolution de problème », ce livre rédigé deux ans avant sa mort résume toute la philosophie de Popper.

[4] 2 tomes, Seuil, « Points », 2018.

[5] Presses-Pocket, 1991.

[6] Ce projet de N. Wiener fit l’objet d’un article admiratif dans Le Monde, 28 décembre 1948 « Une nouvelle science, la cybernétique : vers la machine à gouverner »

Éloge du nouveau pluralisme politique français!

Qu’on se rassure : je n’ai pas l’intention de soutenir que tout va bien dans notre monde politique et médiatique. Quelques accrocs précisément, de diverse nature, sont à signaler…


Le ministre de l’Éducation nationale se dit « satisfait » de la rentrée. Il y en a au moins un qui est content.

Nous n’avons pas les mêmes valeurs…

La Première ministre ne veut pas débattre avec LFI parce qu’elle serait le « chaos » et avec le RN parce qu’elle n’aurait pas « les mêmes valeurs ». On attend toujours de savoir lesquelles au regard de la présence des 89 députés RN à l’Assemblée nationale, de leur comportement et de la teneur des débats. Jean-Luc Mélenchon réplique à Elisabeth Borne que le chaos c’est elle ! C’est sans doute excessif mais je comprends que ces opposants soient lassés d’être exclus parce qu’ils poussent à fond le processus démocratique.

Eric Ciotti qui va concourir le 3 décembre à la présidence des LR éprouve le besoin de nous informer que pour lui Laurent Wauquiez sera le candidat naturel de la droite en 2027. C’est aller bien vite en besogne et créditer par principe cette personnalité, malgré sa double abstention tactique ; je préfère celles qui ne calculent pas quand il s’agit d’aller au feu et qu’il y a urgence et péril.

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Le journal Le Monde décide de dépublier une tribune sur l’Algérie à la demande de l’Élysée. Je n’aurais jamais cru cela possible de la part de ce quotidien, paraît-il de référence.

Yann Barthès, image d’archive. Capture d’écran TMC.

Yann Barthès est prêt à accueillir des politiques sur « Quotidien » sauf Marine Le Pen et Éric Zemmour qui ne sont pas « les bienvenus parce que nos équipes de télévision ne sont pas les bienvenues chez eux ». C’est à la fois vaniteux et absurde : où et qui sont les millions de citoyens derrière Barthès ? Aucun rapport entre la légitimité démocratique de ceux qu’il récuse et le bon plaisir médiatique dont il s’affirme le seul maître. Cet ostracisme d’un côté et cette hypertrophie de l’autre est un signe supplémentaire, quoique anecdotique, du délitement français.

Optimisme paradoxal

Je pourrais encore enrichir cette liste mais je tiens à faire part d’un optimisme civique que d’aucuns vont juger paradoxal.

Depuis que les élections législatives ont heureusement limité la domination du groupe macroniste à l’Assemblée nationale et que ce mandat en cours sera forcément le dernier du président de la République, un air de liberté, de pluralisme, me semble s’être introduit dans l’espace politique. J’ai l’impression que les nuances, les antagonismes, les contradictions, n’ont plus honte d’exister et que l’exigence de solidarité est devenue moins un étouffoir qu’auparavant.

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LR, qu’on annonce sans cesse en survie, ce que le réel dément à chaque fois, va confronter le 3 décembre trois visions de la droite, avec Bruno Retailleau, Éric Ciotti et probablement Aurélien Pradié. En schématisant, une définition culturelle (voir l’argumentation dans « Bilger les soumet à la question »), une définition régalienne et une définition sociale. En tout cas, des joutes qui auront du sens.

Le RN, dans une sorte de combat entre les Anciens et les Modernes, va devoir arbitrer en novembre entre Louis Aliot et Jordan Bardella. Pour qui s’intéresse à la politique, moins que jamais on ne doit se désintéresser de qui sortira victorieux de cet affrontement, limité par le fait que les deux concurrents s’inscrivent dans la ligne de Marine Le Pen.

Stéphane Séjourné a pour mission de constituer « Renaissance » en un vrai parti. Il va tenter d’intégrer dans une structure unique des composantes tenant à leur identité et répugnant, comme pour « Horizons », à suivre aveuglément les consignes parlementaires. J’apprécie que Laurent Marcangeli, qui dirige son groupe parlementaire, ne se sente pas prisonnier de l’absurde « arc républicain » prétendant exclure les opposants non « convenables ». Je ne doute pas que la tendance à venir sera plus vers la libération, bon gré mal gré, que vers la caporalisation. Celle-ci n’a jamais vivifié quoi que ce soit.

cazeneuve attentat nice bertin
Bernard Cazeneuve. Image d’archive. Sipa.

Philippe ne participera pas jeudi au lancement du CNR de Macron…

Je ne veux pas faire l’impasse sur la future élection présidentielle. Il est clair que plusieurs, dans le camp, aujourd’hui, d’Emmanuel Macron, prétendront à sa succession. Bruno Le Maire, Peut-être Gérald Darmanin et sûrement Edouard Philippe. Ce dernier, dans une démarche à la fois loyale mais autonome, fidèle mais libre, manifestant en même temps ce qu’il a de commun avec le président et ce qu’il a de différent, par petites touches ou vraies divergences (par exemple sur le CNR), sera l’adversaire le plus redoutable pour les autres ambitieux du post-macronisme. Si le parti « Horizons » continue avec cette intelligence critique et ses décalages subtils, on peut présumer qu’en 2027, Edouard Philippe pourrait tenter certains Républicains en dépit de la trahison qui lui a été longtemps reprochée.

A lire aussi: Baisse du niveau: MM. Macron et Ndiaye dans le déni

Dans ce tableau rapidement esquissé, on constate que LFI, malgré quelques personnalités de qualité – Clémentine Autain (la seule à contester), Manuel Bompard et Adrien Quatennens – demeure sous l’emprise de Jean-Luc Mélenchon qui n’aspire, selon l’analyse lucide de Bernard Cazeneuve dans le JDD, qu’à préparer sa nouvelle candidature en 2027. Le parti qui rue le plus dans les brancards parlementaires est aussi celui qui dans son fonctionnement interne est le plus classique.

J’espère qu’on partagera mon sentiment que, si la réélection d’Emmanuel Macron nous laisse désemparés face au flou de son projet et à un futur angoissant, la vie politique et l’intensité civique n’en ont pas été amoindries : cela bouge et fait advenir du pluriel dans un univers qui en manquait.

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Guerre du feu et psychanalyse des entrecôtes

C’est la rentrée. Fini le farniente estival, l’insouciance, l’abondance… 


Dans la guerre du feu, psychanalyse des entrecôtes, psychose lunaire du barbecue qui fait la Une depuis la dernière hase (à la royale) levée par la reine dégenrée du buzz, fêlée clochette de l’androcène (de ménage) – Sandrine Rousseau -, il importe de remonter à la scène originaire du crime. Le premier Homo erectus, salaud-carnivore-viriliste-extractiviste-invisibilateur-toxique-non-déconstruit n’est pas Eric Zemmour, Eric Ciotti, Gérard Depardieu, Bocuse, Landru, Brillat-Savarin, Vatel, Portos, Gargantua, Grandgousier, Obélix, Cronos… C’est Rahan !

Circonstances aggravantes, le fils adoptif de Crâo, macho blond exhibant sur ses pectoraux avantageux un collier de griffes d’ours pyrénéen, combat les tigres à dents de sabre en voie de disparition avec un couteau phallique en ivoire de Mammouth. Pour satisfaire son petit confort et de viles pulsions, le matamore inconscient multiplie les feux de camp, grillades d’antilopes, dans la savane, au milieu de forêts majestueuses, en frottant des silex.   

La Nupes se déchire. Gamin, en slip, Fabien Roussel dévorait les aventures de Rahan dans Pif Gadget, la buée des lessiveuses, à la Fête de l’Huma. Clémentine Autain ne transige pas sur la morpho-symbolique des chipolatas. Quid des merguez, kebab, méchouis ? Terrain glissant. Jean-Luc Mélenchon a la nostalgie du mouton de l’Aïd, des braseros du cap Spartel, Yannick Jadot hésite… 

A lire aussi du même auteur: Fin de partie

Pour arbitrer la querelle du barbecue, des universaux et des bouffons (Rousseau-Rameau) – et en même temps – lutter contre les comportements déviants, y voir plus clair sur les déterminismes sociaux, atavismes culturels ancestraux qui nous oppressent depuis la nuit des temps des âges farouches, Emmanuel Macron a demandé un rapport au Panoramix œcuménique de la complexité, Merlin l’enchanteur de l’éthique auto-éco-organisationnelle, Edgar Morin (assisté de Benjamin Stora, Jacques Attali et McKinsey). 

Certaines pistes et propositions ont déjà fuité : 

– Manger les entrecôtes crues ;  
– Une filière High Tech ‘FBNG’ (French Barbecues New Generation), hydrauliques, éoliens, solaires, à hydrogène, nucléaires ; 
– Fermeture immédiate de tous les McDonald’s, Burger King, kebabs ; 
– Interdiction du festival Hellfest, temple du death metal, punk hardcore, repère de machos privilégiés, trash, sexistes et pollueurs ;
– Dès la sixième, dans les cantines scolaires, un passe andouillettes de soja, galettes de grillons halal, beignets de crickets casher, fallafels à la farine de mites ;
– Lancement d’un nouveau CNR citoyen, participatif, roots et transverse, dans la grotte de Lascaux: le Conseil National de Rahan.gineering;    

Raaahaa !!!!      

Un viol, un meurtre, une exécution, un suicide: «Va, Tosca!»

On donnait samedi pour la rentrée de l’Opéra la première d’une série de représentations de Tosca, l’opéra composé en 1900 par l’Italien Giacomo Puccini. Le président Macron et son épouse étaient présents dans la salle.


Ce samedi, pour l’ouverture de la saison lyrique sous les auspices de Puccini, que de beau linge, que de beau linge ! À la fin du premier entracte, juste avant le lever de rideau du deuxième acte de Tosca, apparaissent incognito, tapis dans la loge au noir tablier du premier balcon, sur la gauche dans l’immense salle de l’Opéra-Bastille, Emmanuel et Brigitte Macron, en chair et en os. Le couple présidentiel est flanqué de Rima Abdul-Malak, la neuve ministre de la Culture qui succède à Roselyne Bachelot. Mais où est donc passée Roselyne ? Dans le rang réservé aux « huiles » officielles, l’immortel Jack Lang (et Monique) coudoient l’actuel ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye – et Madame. Bref, la première de ce must absolu de l’art lyrique était presque un raout d’État. 

Tosca (C) Vincent Pontet / Opéra de Paris

Giacomo Puccini adapte Victorien Sardou

Créé en à Rome en 1900 et représenté trois ans plus tard à l’Opéra-Comique parisien, le fameux opéra de Puccini est, comme l’on sait, l’adaptation de La Tosca (1887), pièce de théâtre en cinq actes et en six tableaux de Victorien Sardou, alors l’un des plus célèbres auteurs à succès du XIXème siècle. Elle est créée au Théâtre de la Porte Saint-Martin, spécialisée dans les spectacles tape-à-l’œil. Dans le rôle-titre, rien moins que l’irremplaçable Sarah Bernhardt. La critique, tétanisée par les tirades éruptives de la diva, juge que ce plat entaché de vulgarité serait mieux fait pour l’exportation chez les Yankees. Mais le public assure le succès de la tragédie, et La Tosca part en tournée à Milan après plus d’une centaine de représentations à Paris. Puccini, qui a assisté à une représentation, s’enquiert des droits. Un autre compositeur, Alberto Franchetti, se met également sur les rangs. Le livret signé Luigi Illica, a été approuvé par l’éditeur, Ricordi. Le temps passe. Puccini a eu vent que Verdi serait aussi tenté par une adaptation. Franchetti s’étant désisté, le compositeur de Manon Lescaut puis de La Bohême se lance dans l’écriture de l’œuvre… qui prendra pour titre Tosca. Voilà pour la petite histoire. 

Créée en 2014, la présente mise en scène, signée Pierre Audi (cinéaste franco-libanais, longtemps directeur artistique de l’opéra d’Amsterdam, et désormais directeur du prestigieux festival d’Aix-en-Provence depuis 2018), d’un sage historicisme traversé d’encombrants symboles (telle la colossale croix anthracite en béton armé coiffant le plateau comme un étrange ovni suspendu dans le ciel) n’offre pas une relecture provocante ou avant-gardiste de ce chef-d’œuvre. Car, d’une intrigue qui cumule : un viol, (celui que Scarpia, le tyran bigot, érotomane et sadique intente sur la diva sacrificielle) ; un meurtre sanglant, au couteau (perpétré par Tosca sur son agresseur) ; une séance de torture (pauvre Mario !)) ; une fourbe exécution capitale (celle de Mario Caravadossi, fusillé par un peloton) ; et enfin, cerise sur la gâteau, un suicide (celui de la pieuse Tosca, qui part rejoindre Scarpia en enfer) ! – la monstrueuse violence apparaît gentiment « euphémisée » sous les atours d’une régie raffinée, mais qui a un peu vieilli. Celle-ci a déjà connu maintes reprises : en 2016, en 2019 puis dans l’arrière- saison pandémique, en juin 2021. Reconnaissons que Tosca n’a par ailleurs jamais cessé d’inspirer nombre de scénographies autrement mémorables – celle, inoubliable, de Robert Carsen, qui transposait à l’époque de l’Italie fasciste une action supposée se dérouler à Rome, avec la victoire de Bonaparte à Marengo en arrière-plan ; ou encore celle du cinéaste-culte de La Mort de Maria Malibran Werner Schroeter (1945-2010), pour l’Opéra-Bastille déjà. 

Tempo vigoureux

Pour autant, on ne boudera pas son plaisir. Succédant à Carlo Montanaro à la baguette l’an passé, le chef d’origine vénézuélienne Gustavo Dudamel dirigera Tosca jusqu’au 18 septembre, relayé ensuite par Paolo Bortolameolli. Ce 3 septembre, le maestro Dudamel faisait véritablement rutiler l’Orchestre de l’Opéra de Paris, sur un tempo vigoureux où sonnaient avec une suavité sans pareille les arrière-plans de cette partition géniale. Dans le rôle-titre, plus en puissance de projection vocale qu’en retenue, la soprano Saioa Hernandez, 39 ans, qui débute à l’Opéra de Paris en ce mois de septembre, et sera remplacée par Elena Stikhina pour les représentations des deux mois suivants. La voix de l’infernal Scarpia, quant à elle, est tenue tour à tour par Bryn Terfel, Gerald Finley et Roman Burdenko, tandis qu’en alternance, l’héroïque et infortuné Mario prend les traits du fantastique ténor maltais Joseph Calleja – dont les aigus vertigineux irradiaient cette première – et de l’américain Brian Jagde. « Va, Tosca ! Dans ton cœur, Scarpia fait son nid »…. Et Tosca dans le nôtre.  


Tosca (1900) Mélodrame en trois actes de Giacomo Puccini, sur un livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, d’après la pièce La Tosca, de Victorien Sardou. Direction musicale : Gustavo Dudamel (3/18 septembre) puis Paolo Bortolameolli. Avec Saioa Hernandez/ Elena Stikhina (Tosca), Joseph Calleja/ Brian Jagde (Mario Cavaradossi), Bryn Terfel/ Gerald Finley/ Roman Burdenko ( Scarpia). 

Opéra-Bastille, les 6, 9, 12, 15, 24 septembre ; 20, 26, 29 octobre, 3, 8, 11, 17, 22, 26 novembre à 19h30. Et 18 septembre, 23 octobre à 14h30. 

Crise énergétique: l’hiver vient

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L’Europe et la France vont devoir affronter une grave crise énergétique cet hiver, d’une ampleur jamais égalée auparavant. 


Les confinements décidés au démarrage de la pandémie de coronavirus avaient déjà fait la démonstration des limites de notre production d’électricité, les réseaux étant souvent saturés. Pourtant, nous n’avons pas voulu tirer les leçons qui s’imposaient, à savoir de relancer la filière nucléaire. Comme l’a indiqué Jean-Bernard Lévy aux dernières rencontres du MEDEF, l’état de nos centrales est plus que préoccupant : « On manque de bras parce que l’on n’a pas assez d’équipes formées… Un soudeur, un tuyauteur, il faut deux-trois ans pour le former. Et pourquoi on n’a pas assez d’équipes formées ? Parce que l’on nous a dit que le parc nucléaire va décliner, « préparez-vous à fermer des centrales ». On a déjà fermé les deux premières. Ce sont d’ailleurs les textes en vigueur au moment où l’on se parle. On nous a dit : « Préparez-vous à fermer les douze suivantes ». Nous, avec la filière, nous n’avons pas embauché de gens pour construire douze centrales, nous en avons embauchés pour en fermer douze. »

Ce sont ceux qui nous ont mis dans la panade qui sont aux manettes !

S’il n’est jamais utile de pleurer sur le lait renversé, les responsabilités doivent être déterminées. Les exécutifs qui se sont succédé depuis 2012 sont coupables d’avoir laissé décliner un outil stratégique majeur de notre souveraineté. Ils ont cédé face aux groupes de pression écologistes tels qu’OXFAM ou Greenpeace. Ils ont cédé face à l’Allemagne, qui s’est toute seule placée dans une position de dépendance au gaz naturel à bas coût provenant de Russie. Qui a pu croire un seul instant qu’une société aussi énergivore que la nôtre, où 95% de la population recharge de nuit son téléphone portable et divers appareils, allait avoir besoin de moins d’énergie ?

Dans les années 1970, le premier choc pétrolier et l’émergence d’une filière nucléaire américaine compétitive ont fait prendre conscience à la France qu’elle devait adopter un nouveau modèle plus ambitieux pour son approvisionnement énergétique. Le 6 mars 1974, suivant le slogan « la France n’a pas de pétrole mais elle a des idées », Pierre Messmer annonçait à la télévision le lancement d’un grand plan nucléaire. De fait, la France n’a pas été gâtée par mère nature, n’ayant pas autant de charbon que ses voisins britanniques ou allemands, ayant moins de gaz que les Hollandais, et des gisements de pétroles extrêmement limités.

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Visionnaire, Messmer a fait don à la France d’un atout majeur qui, s’il avait été correctement entretenu et valorisé, nous permettrait aujourd’hui d’affronter avec une plus grande sérénité la crise à venir. Energie sûre et écologique, le nucléaire doit être relancé. La France peut aussi aider d’autres pays européens à se doter de centrales, les construire et en tirer profit. La Pologne ne demande que ça. Le Royaume-Uni post Brexit, qui par son imprévoyance devra affronter une crise plus terrible encore que la nôtre, y viendra peut-être aussi. Seule l’Allemagne, autistique et fière, fera barrage. Ne nous en préoccupons pas.

Nord Stream est fermé, et ce n’est évidemment pas une panne…

Des premiers signes encourageants commencent d’ailleurs à poindre, Agnès Pannier-Runacher ayant déclaré qu’EDF s’était engagée à redémarrer tous les réacteurs qui le peuvent dès l’hiver. C’est un premier pas. Nous devons aussi former des techniciens et des ingénieurs, les étudiants ayant choisi d’autres secteurs puisqu’on ne cessait de leur répéter que nous allions abandonner le nucléaire… Nous avons aussi des réserves d’uranium correspondant à deux ans de production d’électricité, ce qui est tout de même considérable. Un pays comme le Japon entend aussi redémarrer douze réacteurs nucléaires.

Car, n’en doutons pas, la Russie va couper l’arrivée de gaz naturel et possiblement de pétrole. Les exportations d’hydrocarbures russes permettent présentement à Moscou d’enregistrer des recettes élevées puisque les prix augmentent. En effet, après l’annonce par le G7 de l’instauration d’un plafonnement des prix des importations d’hydrocarbures russes destiné à limiter les profits engendrés par les incertitudes du marché de l’énergie, le porte-parole du Kremlin Peskov a répliqué en affirmant que « Moscou ne fournirait tout simplement pas de pétrole et de produits pétroliers aux entreprises ou aux États qui imposent des restrictions ». On peut imaginer que les annonces de Gazprom sur l’arrêt de Nord Stream I s’inscrivent dans cette logique. Personne ne croit à la faille technique, qui ressemble à une « blessure diplomatique ». Tenons-le pour acquis : Gazprom ne remplira pas ses engagements commerciaux contractuels.

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Bien que ni le gaz ni le pétrole ne soient visés par le paquet de sanctions économiques décidé contre la Russie, les stratèges du Kremlin utilisent leur arme principale pour affaiblir les efforts européens et effrayer les populations. Les perspectives de flambées des cours pourraient avoir des conséquences majeures sur nos activités industrielles et affaiblir durablement nos économies. Bien évidemment, et contrairement à une légende tenace, les sanctions frappent aussi considérablement l’économie russe qui a pris un aller simple vers un No Man’s Land. Mais la population est résiliente et le pouvoir déterminé à continuer la guerre.

Que pouvons-nous donc faire pour vaincre l’épreuve qui s’annonce ? D’abord, poursuivre nos efforts vers la renucléarisation de notre production d’énergie. C’était impératif il y a cinq ans, ça l’est plus encore aujourd’hui. Faut-il dans un second temps, comme le demandent Ségolène Royal et d’autres « négocier une paix » ? Osons le dire : c’est pure démagogie. La France n’a pas le pouvoir de forcer une paix, l’Union européenne non plus. La Russie souhaite que nous cédions pour soumettre l’Ukraine sans difficultés et poursuivre le lien de vassalité énergétique. Mais, même si nous le voulions, nous ne le pourrions pas. Du reste, la France est bien moins dépendante du gaz naturel russe que d’autres pays, nos importations principales venant des Pays-Bas – à noter que certains élus de la Douma auraient déjà évoqué publiquement l’idée de bombarder le port de Rotterdam !

Cette prétendue « dénazification » coûte un pognon de dingue à tout le monde

La réalité est que le Kremlin a mal pensé son invasion. Ils se sont trompés et pensaient n’avoir à livrer qu’une guerre éclair. Tel n’a pas été le cas. L’Allemagne a dû faire le même pari puisque Nord Stream II a été achevé en 2021. Embourbés en Ukraine dans une guerre de tranchée, les Russes ne veulent pas partir sans un gain territorial substantiel, tout en maintenant des objectifs de guerre flous et suffisamment ouverts pour qu’ils aient un maximum d’options en main. Ils n’ont d’ailleurs toujours pas officiellement déclaré de guerre, se bornant à évoquer « une opération spéciale » de « dénazification ». Les Ukrainiens semblent quant à eux dans l’incapacité de mener une contre-offensive conséquente avec les forces dont ils disposent. L’attaque sur Kherson voulue semble-t-il par le président Zelensky n’a pas eu les effets escomptés.

Nous sommes donc en face d’un vide stratégique que nous ne pouvons combler que par une solidarité européenne accrue, le renforcement de nos capacités de production et envisager demain de passer à une économie de guerre. Personne ne veut de la guerre mais elle nous est parfois imposée. Dans l’histoire européenne récente, seule la Prusse de la Guerre de Sept Ans a tiré profit d’une agression. C’était contre la Saxe et les Prussiens bénéficiaient de l’appui de la finance britannique. Le cas qui nous occupe est bien différent. À n’en point douter, la Russie ne sortira pas par le haut de la phase historique qu’elle vient d’engager. Nous en souffrirons sûrement, dans un contexte de déclin moral, économique, social et civilisationnel sans précédent. Mais les grandes épreuves ne sont-elles pas de nature à forger les succès de demain ?

À dada sur mon Hussard!

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À l’occasion de la sortie de Génération Hussards de Marc Dambre (Perrin), Thomas Morales nous parle de ces écrivains iconoclastes et indispensables…


Pourquoi aimons-nous tant cette génération dite des « Hussards » qui regroupe arbitrairement Nimier, Blondin, Laurent, Déon et consorts ? Parce qu’elle est disqualifiée par la critique officielle et dominante. Parce qu’elle a perdu le combat littéraire dès les années 1950, en prônant une forme de désenchantement qui va de l’amertume à la farce, du pamphlet au vitriol à l’autofiction pleine de larmes. Parce qu’elle tentait d’écrire dans un français honorable et débarrassé de ses afféteries modeuses.

Parce qu’elle était issue d’une classe sociale conspuée, la bourgeoisie de droite désargentée et indisciplinée, qui eut très tôt le sentiment du déclassement et d’être née trop tard pour peser sur les affaires du pays. Parce qu’elle est encore largement ignorée par l’Université et dégage un parfum de soufre dans les librairies de France. Parce qu’elle est disparate, incohérente en son sein, nostalgique et triste, héritière d’un profond malaise familial et qu’elle ne promeut aucun mouvement de libération. Parce qu’elle n’apporte aucune solution aux peuples opprimés, seules les âmes en peine peuvent y trouver un peu de réconfort souvent grinçant.

Egocentriques?

Dans le jargon éditorial qui veut faire de l’écrivain un coach de vie, un tuteur de l’existence, un guide spirituel, les Hussards ne servent donc strictement à rien, ils n’émancipent pas l’Homme par des écrits éclairants, ils ne l’instrumentalisent pas à des fins commerciales, ils courent sur la page blanche à la recherche de leur propre salut. Ils sont modestes quant à la destinée de leurs livres et, à la fois, égocentriques dans leur dessein d’écrivain. Ils y mettent un désespoir rageur et un soin d’esthètes.

Ils savent que la littérature est, par nature, ingrate et mensongère, et que pour en tirer une quelconque satisfaction, il faut s’abimer, s’user sur son écritoire. Ils sont l’essence même d’une littérature inutile donc suspecte, donc dangereuse, donc à étiqueter comme un paquet de cigarettes cancérigènes. Leurs livres inquiètent car ils flirtent avec l’onde maléfique des réprouvés que furent Céline et Morand, et puis cette absence de diktats moraux devient inconvenante dans une nation qui flique la phrase buissonnière et ne supporte plus la dissidence d’opinion.

A lire aussi, François Kasbi: J’en ai assez de Proust…

Cette génération ne revendiquait rien si ce n’est l’affirmation du style comme moyen d’expression premier et un individualisme abrasif. Elle n’écrivait pas en meute. Elle était légère par snobisme et courtoisie. Elle aimait les voitures rapides et les alcools forts pour mieux se protéger grossièrement des intellectuels inertes et jaloux. Elle avait le syndrome de l’insoumission car elle était rétive à l’ordre et aux statuts protégés. Elle avait le goût pour les causes perdues et les choses sacrées.

Féérie narquoise

Elle n’eut aucun impact réel sur les débats publics de son époque. Elle servit plutôt à vendre du papier magazine et de puissant répulsif pour les bonnes consciences. Elle fut poussée dans une voie de garage par ses manières au charme réactionnaire épidermique et sa façon de ne rien prendre au sérieux. Oripeau bien pratique d’une profession qui a peur de l’excommunication et de son ombre. Au mieux, certains admettaient, sous la torture, qu’elle avait un joli brin de plume mais totalement stérile et dépourvu d’un élan émancipateur. Elle n’avait pas vocation à corriger ses lecteurs ou à les sermonner. Elle ne professait rien. Elle ne travaillait ni pour un parti, ni pour une idéologie bien définie. Si elle a pu se réunir sporadiquement sur quelques sujets de crispation nationale durant notamment la décolonisation, cette génération a toujours avancé seule et n’a bénéficié d’aucun soutien financier. Les plus hardis ont fini à l’Académie. Les autres sont restés célèbres pour leur excès dans les bistrots ou leur adaptation au cinéma.

Si elle devait influer sur la société, elle a raté son coup. Et puis quand cette génération d’écrivains se fit plus « politique », elle perdit de son sel, de sa distance rieuse et de son détachement souverain. Elle ennuyait quand elle utilisait les mêmes armes que ses ennemis. À se plonger dans les travers du quotidien, elle en oublia ses fondamentaux : sa force de contradiction et sa féérie narquoise. Réunir les Hussards sous une même bannière est une facilité de journaliste, chacun d’entre eux recouvrait une écriture si particulière. Je l’avoue, ma préférence va aux Hussards de seconde main, aux compagnons de route que furent Kléber Haedens, Jacques Perret et Félicien Marceau.

Génération hussards de Marc Dambre, Perrin, 432 p.

«Sara»: l’enfer numérique selon Sylvain Forge

Sylvain Forge est l’auteur maintes fois distingué de nombreux romans. Qu’il s’agisse de Sauve-la ou de Sara, récemment publié chez Fayard, il mérite assurément l’attention des amateurs de polars.


Sylvain Forge est « spécialiste en cybersécurité ». C’est ainsi que le présente Fayard, maison d’édition qui a publié trois de ses romans. Il semble collectionner les prix littéraires : prix Plume d’argent 2016 du thriller francophone pour Un parfum de souffre ; prix du Quai des Orfèvres 2018 pour Tension extrême ; prix Cognac du meilleur roman francophone 2020, prix du roman cyber et prix des lecteurs 2021 pour Sauve-la… La liste, loin d’être exhaustive, s’allonge d’année en année. Elle est à ce point longue et fournie qu’elle en devient presque suspecte.

Comment, dès lors, déterminer si cette dernière n’est pas le fruit d’un travail de réseautage et de copinage, plutôt que la consécration d’un authentique talent d’écrivain ? En lisant, au hasard, deux romans de Sylvain Forge : celui qui semble faire l’unanimité des lecteurs depuis sa parution (Sauve-la, Fayard, 2020), mais aussi son petit dernier, dans lequel un maire se montre déterminé à doter sa ville d’un réseau de caméras intelligentes pour en finir avec la délinquance (Sara, Fayard, 2022).

Des intrigues soignées, crédibles et troublantes

Le moins que l’on puisse dire, une fois ces deux livres lus, est que Sylvain Forge mérite certainement ses nombreuses distinctions. Dans l’un comme dans l’autre, il nous en donne en effet pour notre argent. Ses intrigues ne sont pas seulement soignées, mais diablement crédibles et troublantes. Même en cas de connaissances limitées en matière d’intelligence artificielle, de failles informatiques, d’effet « Tempest », de reconnaissance faciale, de vidéosurveillance, bref de technologies numériques, le lecteur n’est pas largué.

À lire aussi, Jérôme Leroy : La trouille de l’été

Au contraire, il referme son bouquin avec la satisfaction d’en savoir davantage qu’avant de l’ouvrir. Et avec, aussi, une désagréable sensation, celle d’être peut-être passé à côté d’un phénomène à la fois majeur et angoissant : l’invasion de sa vie par des technologies liberticides et déshumanisantes, ceci avec son approbation plus ou moins explicite ou, le plus souvent, son « consentement par défaut » – un accord ayant la particularité de n’être pas expressément le résultat d’un choix entièrement libre et éclairé.

La métropolisation, « voilà l’ennemi » ?

Bien sûr, dans l’un comme l’autre, les personnages de l’histoire sont fictifs. Ces deux romans sont donc, en ce sens, les produits de l’imagination de Sylvain Forge. Mais si tel est le cas, « les technologies (…) sont bien réelles », ainsi que l’écrivain prend bien soin de le mettre en exergue de Sara. Tout comme le sont les lieux où se déroulent l’action. Et notamment cette ville de Nantes que Sylvain Forge, dans Sara, semble s’être ingénié à rendre plus vraie que nature, en faisant plus qu’une allusion à l’affaire Dupont de Ligonnès (un quintuple meurtre non élucidé) et à celle de Steve Maia Caniço, retrouvé mort noyé après une chute tragique dans la Loire, dans la nuit de la Fête de la musique 2019…

Sous sa plume, la métropole de Loire-Atlantique paraît d’ailleurs beaucoup moins sympathique que dans les chansons de Tri Yann… En effet, comme Bordeaux chez Hervé Le Corre (Traverser la nuit, Rivages Noir, 2021), les flics y sont à bout, presque dépassés, quand ils ne sont pas conduits, par la force des choses, à se muer en ripoux pour boucler des fins de mois de plus en plus difficiles. La violence y paraît endémique : « aucune femme saine d’esprit n’aurait l’idée de se rendre seule, la nuit, dans le centre-ville de Nantes », par ailleurs aire de jeux des anarchistes, des zadistes les plus allumés, des Black Blocs.

A se demander si la métropolisation, entendue comme processus de concentration de populations et d’activités dans des villes de taille grandissante, n’est pas, loin des discours lénifiants des politiciens de gauche et de droite à ce sujet, le problème qu’ils devraient s’atteler à résoudre en priorité… C’est en tout cas la question qui vient immédiatement au lecteur. Du moins si celui-ci déplore à la fois la montée de la violence sous toutes ses formes et ce que dernier phénomène entraîne : le déploiement tous azimut de dispositifs intrusifs et liberticides pour tenter de la juguler…

Sylvain Forge, Sauve-la, Le livre de poche, (2020) 2021, 343 p

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Sylvain Forge, Sara, Fayard, coll. « noir » (2022), 463 p

Iquioussen: les leçons d’une expulsion ratée

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Manifestation en soutien à l'islamiste Iquioussen, Paris, 3 septembre 2022 © Francois Mori/AP/SIPA

L’échec relatif de la manifestation de soutien à Hassan Iquioussen, ce samedi place de la République, ne doit pas faire oublier l’échec cuisant de sa tentative d’expulsion par le ministre de l’Intérieur, illustration parfaite de l’inefficacité totale de la politique macronienne en matière de lutte contre l’islamisme. Hélas, le désormais célèbre imam n’est que l’arbre qui cache la forêt.


Les faits reprochés à Hassan Iquioussen sont bien documentés : antisémitisme, misogynie, promotion de la polygamie, incitation à la haine des chrétiens, des Occidentaux et des apostats, complotisme, victimisation, légitimation de la violence…. le tout dans le cadre d’une stratégie d’entrisme bien établie.

Complaisance, ou silence, à l’extrême gauche et chez les musulmans

Après des années de complaisance (car les faits, pour beaucoup, sont anciens et connus de longue date) Gérald Darmanin se décide à tenter d’expulser l’imam islamiste. Tambours et trompettes, rodomontades et autosatisfaction sur les réseaux sociaux. Las ! Rien ne se passe comme prévu, le Tribunal administratif s’oppose à la décision du ministère de l’Intérieur, avant que celle-ci ne soit finalement validée par le Conseil d’État mais, ô surprise, Hassan Iquioussen a disparu et, cerise sur le gâteau, le Maroc a suspendu le laisser-passer consulaire de l’imam, rendant de facto impossible son expulsion vers le pays dont il détient pourtant la nationalité.

À lire ensuite, Céline Pina: Gérald Darmanin VS Hassan Iquioussen: on fait la guerre avec l’armée qu’on a

Pendant ce temps, l’extrême-gauche apporte son soutien à Iquioussen, LFI en tête, et la communauté musulmane « républicaine » qu’on dit pourtant « majoritaire » se distingue comme toujours par un silence si assourdissant qu’on en viendrait à douter de son existence, à l’exception notable mais décidément bien solitaire du courageux Hassen Chalghoumi ou de voix admirables mais marginales comme celle de Mohamed Louizi. Nombreux en revanche sont ceux qui hurlent à « l’islamophobie d’état », les plus actifs se retrouvant samedi dernier place de la République – on peut se réjouir que la mobilisation autour de ce rassemblement ait été plutôt faible, mais sans naïveté : la tendance de fond au sein de la communauté musulmane en France est plus à prendre la défense d’Iquioussen (même passivement) qu’à le condamner.

Que retenir de cette séquence ?

Bien sûr, la pantalonnade gouvernementale, dont on se demande si elle est due à la vantardise maladroite de Darmanin ou si elle est volontaire, une tentative de donner un os à ronger à ceux qui exigent que l’État s’attaque à l’islamisme et « en même temps » de rassurer les adeptes de la charia en leur montrant qu’au fond, ils ne risquent pas grand-chose. Tant d’efforts (affichés) pour une seule cible et un tel résultat, l’expulsion massive des islamistes en général et des fichés S en particulier n’est décidément pas à l’ordre du jour. Ajoutons-y la capacité des pays d’origine (ici, le Maroc) de bloquer la procédure, le taux ridiculement faible d’exécution des OQTF, et on constate à quel point la République a renoncé à la maîtrise de ses frontières, et donc livré la souveraineté du peuple français aux caprices de flux migratoires incontrôlés (et même, en réalité, encouragés…).

Bien sûr, aussi, les tergiversations et les ambiguïtés de l’État : l’incohérence des arbitrages de la justice administrative est révélatrice de la fragilité de la législation en place, dont la responsabilité ne saurait être attribuée à la seule macronie, mais retombe sur le législateur en général, depuis des décennies, et donc sur toute la classe politique du « cercle de la raison » et du « front républicain ».

A lire aussi: Le vote musulman, ça existe!

Bien sûr, également, la véritable signification de l’accusation « d’islamophobie », qui ne sert qu’à tenter de faire taire quiconque veut imposer aux musulmans de respecter les lois qui s’appliquent à tous les citoyens. Et en effet, pour beaucoup, cette absence de passe-droits veut dire interdire à l’islam d’être pleinement l’islam, sa vision métaphysique comme sa traduction dans les mœurs étant radicalement incompatibles avec les fondements les plus essentiels de la civilisation européenne et des valeurs qui, espérons-le, sont encore les nôtres (à commencer par le refus de l’arbitraire, fut-ce celui d’un soi-disant dieu, et ainsi est née la quête des réalités objectives, c’est-à-dire aussi bien la soif de justice et de beauté que la science et la philosophie).

Les barbecues détournent l’attention

Bien sûr, toujours, le soutien apporté par l’extrême-gauche à l’islamisme, qu’il se manifeste activement (on pense par exemple au communiqué de David Guiraud) ou par le choix de systématiquement regarder ailleurs, les « féministes » préférant s’attaquer aux barbecues qu’aux discours authentiquement sexistes de Hassan Iquioussen. Certains y voient le comportement d’idiots utiles, c’est bien trop indulgent : au stade où nous en sommes, il s’agit de complicité.

Bien sûr, enfin, l’attitude de la « communauté musulmane », au sein de laquelle on entend distinctement un « bruit de fond » de soutien à l’islamisme et au communautarisme, et en revanche un silence pesant lorsqu’il faudrait les condamner, ou défendre leurs victimes (de Salman Rushdie à Mila en passant par Robert Redeker, Samuel Paty et Asia Bibi). Les exceptions existent évidemment, mais toutes leurs indéniables qualités ne doivent pas faire oublier qu’il s’agit, justement, d’exceptions.

Le problème des OQTF qui n’aboutissent jamais

La conclusion, hélas, est sans appel : il est désormais impossible de combattre l’islamisme en traitant un par un les seuls cas individuels les plus emblématiques, quelques milliers de revenants du jihad et de prêcheurs fichés S. Le phénomène est trop massif, et trop bien implanté : démographiquement, culturellement, politiquement. Hassan Iquioussen n’est qu’un parmi beaucoup d’autres, et les prédicateurs comme lui ne seraient rien sans un public acquis à leur idéologie. La seule solution crédible est donc de mettre en place, résolument, un environnement hostile aux islamistes, c’est-à-dire à quiconque veut imposer l’islam comme source normative – projet de société islamique qui, rappelons-le, implique entre autres la fin de la liberté de conscience (apostasie), la fin de la liberté d’expression (blasphème), et la fin de l’égalité de droits entre femmes et hommes. Pourquoi ne voterait-on pas des lois « d’environnement hostile », qui inciteraient les expulsables à quitter d’eux-mêmes le territoire, plutôt que de se lancer dans des expulsions qui n’aboutissent jamais ? Il faudrait rendre la vie impossible à un étranger frappé d’une OQTF (on pense au logement, ou au compte bancaire par exemple).

A lire aussi, du même auteur: Bénis soient les apostats!

Un tel environnement hostile est parfaitement possible. Il existe, et c’est heureux, envers quiconque se revendiquerait du nazisme. Il a été fermement (mais cette fois abusivement) mis en place contre les non-vaccinés de la Covid-19 (souvenez-vous du « j’ai très envie de les emmerder » d’Emmanuel Macron). Il est grand temps d’affirmer notre rejet viscéral et non négociable de l’islamisme et du projet de société islamique, et d’acter notre volonté de rendre la France invivable, systématiquement et systémiquement « emmerdante », pour ceux qui adhèrent à ce projet de société. On accusera la France « d’islamophobie », et alors ? C’est déjà le cas, et comme l’a fort bien dit Élisabeth Badinter, il ne faut pas en avoir peur. François Sureau le rappelait il y a peu : « il y a des haines justes, et la République s’est construite sur la haine des tyrans ». N’ayons pas honte de craindre les totalitarismes, douloureusement conscients du mal qu’ils sont capables de causer et résolument vigilants face à leurs ruses, et n’ayons pas honte de les haïr. La seule chose honteuse, c’est de renoncer à les combattre.

«L’Afrique du Sud fonctionnait mieux lorsque les Blancs étaient aux commandes»

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Joseph Mathunjwa photographié en 2014 © Oupa Nkosi Mail-Guardian/AFRICA MEDI/SIPA

Pour les dix ans du massacre de Marikana survenu le 16 août 2012, le président de l’Association of Mineworkers and Construction Union (AMCU), Joseph Mathunjwa, a fustigé la politique du gouvernement sud-africain. Devant un millier de personnes, il n’a pas hésité à déclarer que «l’Afrique du Sud, en tant que nation, était plus fonctionnelle pendant l’apartheid qu’elle ne l’est actuellement».


Marikana est située dans la province du Cap-Nord. C’est une tâche indélébile qui continue à poursuivre le gouvernement du président Cyril Ramaphosa. Le 10 août 2012, 3000 mineurs sur les 28000 travaillant dans une mine de platine de cette ville ont déclenché une grève. Menacés de licenciement par la société Lonmin qui les emploie, faute de trouver un accord, les tensions ont fini par dégénérer six jours plus tard. Armés de lances, de machettes, de bâtons, rejoints par un groupe de femmes toutes aussi équipées, les mineurs ont refusé de se disperser, menaçant de déborder la police envoyée sur place. Pris de panique, les policiers ont tiré sans sommation, laissant derrière eux 34 morts. La presse s’empare de l’affaire, tire à boulets rouge sur le gouvernement de l’African National Congress (ANC) et évoque un massacre digne de ceux du régime de ségrégation raciale.

Avant 94, le pays fonctionnait

Dix ans après ces événements, l’Association of Mineworkers and Construction Union (AMCU) ne décolère toujours pas après Cyril Ramaphosa. D’autant que la commission mandatée pour établir le rapport d’enquête (lequel n’a désigné aucun coupable) a révélé un courrier envoyé par ce dernier à la direction de la compagnie minière où le président traitait les grévistes « d’odieux criminels ».

A lire aussi, du même auteur: Les Chinois aussi ont peur du grand remplacement

Face à un millier de personnes, le leader de l’AMCU n’a pas mâché ses mots contre la situation économique et sociale qui prévaut en Afrique du Sud. « Vous pouvez aimer ou détester les Blancs qui étaient au pouvoir avant 1994, mais ils nous ont donné et laissé un pays qui fonctionnait. Le Parti Nationaliste était cruel, mais il nous a laissé un État qui marchait, puis l’ANC a pris le relais accompagné de sa corruption » a déclaré Joseph Mathunjwa. « Depuis que l’ANC est au pouvoir, notre situation n’a fait que se dégrader. Lorsqu’ils ont pris le contrôle du pays (…) ils sont arrivés avec juste des idées politiques en sachant qu’ils ne pouvaient offrir rien d’autre au pays et à son peuple » a-t-il poursuivi. Dans la foulée, il a fait remarquer que depuis l’instauration de la démocratie, aucun des présidents qui s’étaient succédé, « n’avait rien fait pour améliorer la vie des Noirs ». Joseph Mathunjwa n’a pas hésité à appeler à la dissolution du Parlement et au vote pour un parti qui « rendrait aux Noirs ce qui leur appartient et au pays ce dont il a besoin ».

Extrême gauche et extrême droite en hausse

Miné par la corruption jusqu’au plus haut sommet de l’État et les divisions internes, l’ANC ne séduit plus les Sud-Africains. En 25 ans de pouvoir, le parti de Nelson Mandela n’a pas réussi à réduire les inégalités sociales et raciales. Le pays est au contraire marqué par la montée de la violence et de la xénophobie, il affiche une croissance décevante et un chômage en augmentation, et est au bord de la guerre civile.

Lors des dernières élections législatives de mai 2019 et municipales de 2021, les partis d’extrême gauche (Economic Freedom Fighters du populiste Julius Malema) et d’extrême droite (Freedom Front de Pieter Groenewald) ont nettement progressé en terme de scores électoraux, devenant respectivement le deuxième et le quatrième mouvement d’opposition du pays.

Rentrée scolaire: les sept engagements que M. Ndiaye devrait prendre tout de suite

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Pap Ndiaye, Ministre de l'Education Nationale, lors de la conférence de presse de rentrée, le 26 août 2022 à Paris © NICOLAS NICOLAS MESSYASZ/SIPA

En 2019, le classement de notre pays aux tests PISA fut bien peu glorieux en compréhension des écrits (23e rang). Plus inquiétant encore, les analyses socio-économiques révélaient que le milieu social agissait grandement sur le niveau des élèves.


Dans l’OCDE, « le niveau à l’écrit des 10% d’élèves des familles les plus riches équivaut à une avance de trois années scolaires environ par rapport aux 10% d’élèves les plus pauvres ». En France, cet écart atteint quatre années.

Les résultats montrent ainsi que la France favorise la réussite d’une élite, celle des enfants qui réussissent le mieux tandis qu’elle est de moins en moins capable de faire réussir les enfants les moins privilégiés. L’étude met en relief une différence de 107 points entre les élèves issus d’un milieu favorisé et ceux issus d’un milieu défavorisé, nettement supérieure à celle observée en moyenne dans les pays de l’OCDE (88 points). Environ 20% des élèves favorisés, mais seulement 2% des élèves défavorisés, sont parmi les élèves très performants en compréhension de l’écrit en France (au niveau 5 ou 6) pour des proportions respectives de 17% et 3% en moyenne dans les pays de l’OCDE.

En termes de développement économique et de justice sociale, en termes de solidarité citoyenne et de partage culturel, que peut-on attendre d’un pays dont la part la plus défavorisée de la population lit mal, raisonne mal et écrit encore plus mal ? Nous sommes en train de perdre la « mère des batailles », celle dont l’issue heureuse conditionne l’égalité des chances, la liberté des esprits et la fraternité des citoyens. Tous les efforts d’investissements, tous les rappels à l’ordre des responsables risquent de rester lettres mortes. Il faut donc oublier les slogans, les mots d’ordre et les anathèmes et privilégier l’efficacité méthodologique, l’accompagnement lucide et attentif de chaque élève et le savoir-faire pédagogique des enseignants. Si le nouveau ministre refuse que 20% des enfants voient leur destin scolaire et social scellé dès six ans, il faut, sans attendre qu’il prenne sept engagements qui rompront avec les habituels arrangements de surface qui suivent chaque rentrée scolaire et engageront enfin une véritable métamorphose de l’école française.

1. Priorité à l’école maternelle !

Au lieu de se perdre dans des discours sur « l’épanouissement des tout petits », il faut de toute urgence construire une école maternelle qui permette à tous les élèves (car ce sont bien des « élèves ») de maîtriser le langage oral. Car aucun élève ne pourra apprendre à lire au cours préparatoire s’il ne maîtrise pas le langage oral. Ce défi exige une démarche pédagogique explicite et une progression rigoureuse qui assure une discrimination précise des sons, une organisation équilibrée des phrases et une compréhension convenable des textes lus par l’enseignant. L’école maternelle ne saurait être une « garderie bienveillante » ; elle est une école à part entière et non pas une école entièrement à part !

2. Un choix lucide des méthodes !

Pour tous les enseignements fondamentaux, la « liberté pédagogique de complaisance » doit céder le pas à un contrôle pédagogique qui privilégie les méthodes dûment évaluées et reconnues pour la rigueur de leur progression et de leurs choix cognitifs. Il convient d’en finir avec le photocopiage désordonné de fiches récoltées sans cohérence sur internet. Le bricolage méthodologique n’a pas sa place dans les classes ; il condamne à un échec précoce les enfants les plus fragiles qui sont en manque cruel de repères.

3. Une formation des maîtres qui privilégie les connaissances utiles et la qualité professionnelle !

La responsabilité de la formation des maîtres a été livrée, depuis plus de quarante ans, au pouvoir des universités qui l’ont fort mal servie. Le résultat : des professeurs des écoles qui ne dominent pas les contenus (littérature, grammaire, mathématiques, histoire…) de ce qu’ils sont censés enseigner et qui ignorent tout de la façon de faire la classe. Dans les centres de formation, à la dénomination fluctuante, les formateurs de terrain expérimentés, ayant l’expérience des classes, sont réduits à l’accomplissement des basses besognes ; leurs voix n’ont aucun poids dans les orientations essentielles d’une formation tout entière soumise au pouvoir des universitaires. Il faut donc repenser complètement la formation des maîtres en imposant des filières pluridisciplinaires directement utiles à l’enseignement et en veillant à la maîtrise des pratiques pédagogiques nécessaires à la tenue d’une classe.

A lire aussi, Claude Thiriat: Baisse du niveau: MM. Macron et Ndiaye dans le déni

4. Une différenciation pédagogique garantissant l’équité scolaire !

Si l’on ne veut pas que l’école continue d’être une machine de reproduction sociale, creusant les inégalités, il faut lui donner les moyens d’instaurer une différenciation pédagogique généralisée qui permettra à chaque élève d’être accompagné au plus juste de ses propres difficultés. La juste réponse à l’échec programmé de certains élèves ne saurait être un passage complaisant d’un niveau à l’autre, non plus qu’un redoublement aveugle et sans efficacité. La première réponse ne fait que différer un échec qui s’avèrera de plus en plus douloureux ; la seconde conduit aux voies honteuses de relégation et au décrochage. À chacun des différents paliers que les élèves les plus fragiles ont tant de mal à passer depuis la maternelle jusqu’au collège, il faut instaurer un système liant une évaluation lucide à une remédiation pertinente.

5. Comprendre efficacement les textes dans toutes les disciplines !

Il faut inscrire la capacité de comprendre justement et de se faire comprendre précisément au centre exact de tous les apprentissages disciplinaires. Les élèves doivent arriver au collège en capacité de lire avec précision et efficacité un texte littéraire comme un énoncé de mathématiques ou un texte de science . Telle est, en effet, l’exigence d’une lecture citoyenne : ne jamais se laisser berner par le premier graphique, le premier tableau ou le premier camembert venus, tout en partageant avec bonheur un patrimoine littéraire de qualité. Cela devrait imposer aux écoles une pédagogie intégrale de la lecture équilibrant code et sens et visant à la compréhension des textes dans toutes les disciplines de la maternelle jusqu’au collège.

6. Réhabiliter les filières professionnelles !

Aujourd’hui, les collégiens les plus fragiles, privés des outils intellectuels et linguistiques essentiels et ayant perdu le goût d’apprendre, se voient « généreusement » proposer une orientation professionnelle par défaut. Pour eux, le travail de la main est devenu la honteuse compensation des insuffisances supposées de la tête. Si l’on veut que des décennies de négligences et de lâchetés ne transforment pas définitivement les voies professionnelles en voies de relégation, il faut que dès le collège (et dans tous les collèges), on accorde autant d’importance aux activités techniques et technologiques qu’aux disciplines dites générales. En d’autres termes, il faut créer un collège certes unique mais pluriel dans lequel tous les élèves seront jugés avec autant de rigueur et d’exigence pour leur capacité à comprendre un texte ou un problème que pour leur talent à construire un circuit électrique, à façonner un objet ou à construire un site internet.

A lire également, Jean-Paul Brighelli: Education: pour une régionalisation générale des concours, des mutations et des salaires

7. Fonder une alliance entre école et famille !

La qualité de l’accompagnement familial, associée à un enseignement ciblé, conditionne la réussite de l’apprentissage linguistique et assure le développement intellectuel du jeune enfant. Ne nous étonnons pas qu’à l’âge de six ans, il ne possède que 300 mots pour dire le monde (et non pas les 2500 attendus) s’il a passé une grande partie de sa petite enfance abandonné devant une émission de télévision, fût-elle éducative, ou seul face à un jeu vidéo… Chacun, dans son propre foyer, doit ainsi cultiver le langage et aiguiser la pensée de ses enfants en complémentarité avec l’école. Mères, pères, grands-parents, doivent les former à la précision linguistique et à la résistance intellectuelle. Tout renoncement familial affaiblit le pouvoir linguistique de l’enfant et brouille la rigueur de sa pensée. L’école ne peut pas tout faire. L’école ne doit pas tout faire. Elle a déjà beaucoup de mal à mener à bien l’instruction des élèves. Chaque famille a une responsabilité essentielle dans « l’élévation » de ses enfants ; car il s’agit bien d’« élévation » et non pas d’ « élevage ». L’élan individuel et collectif auquel vous devez appeler aujourd’hui, Monsieur le ministre, portera l’espoir d’une école qui donne envie aux élèves ET aux maîtres.

Si vous n’engagez pas avec courage et volonté cette nécessaire métamorphose, nos élèves seront condamnés demain à errer sans mémoire dans un désert culturel ; à la merci du premier tentateur, du premier donneur d’ordre ; et nos académies en viendront un jour à aller rechercher leurs professeurs sur « le Bon Coin ». Cette école désenchantée désespèrera ses instituteurs et incitera ses élèves au décrochage.

Pour une école de la résistance

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Le contraire d’une pensée fausse n’est pas (forcément) une pensée juste: le cas Soros

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L'essayiste Pierre-Antoine Plaquevent invité de TV LIbertés. Image: Capture d'écran YouTube.

Si George Soros et le système pernicieux qu’il a créé pour financer les causes les plus progressistes constituent des cibles légitimes pour des critiques, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain en condamnant les penseurs dont Soros se réclame et dont il trahit la pensée. Analyse.


« Les idées gouvernent le monde et les bonnes idées donnent de bons fruits ». Quelques vingt siècles avant Gramsci, c’était écrit dans les Évangiles ! Un qui a compris cela, c’est bien George Soros, que Charles Gave, qui le connait bien, qualifie à la fois de génie du trading – d’où sa fortune – et de profondément pervers, toxique et méchant.

M. Soros est complexé de ne pas être un intellectuel et entend le devenir grâce à son argent. Il est devenu un bailleur de fonds international essentiel du Parti du Bien et finance quantité d’ONG et d’universités pour répandre son idéologie, dite de la « société ouverte », qui s’opposerait à la « société fermée » portée par tous ceux qui s’opposent à la mondialisation financière et à un nouvel ordre mondial porté par les États-Unis.

Dans le camp « souverainiste », on se contente trop souvent de dénoncer sans aller au fond des choses. La reconquête de la souveraineté passe par la reconquête des idées. Dénoncer un système de pensée malsain sans pouvoir le remplacer par un autre, c’est brasser du vent  

Dénoncer cette entreprise et l’idéologie de M. Soros est nécessaire et cela a été entrepris par Thibault Kerlirzin dans son livre Soros l’impérial [1]. Ouvrage professionnel, sérieux, documenté, conduit par un raisonnement clair. Soros est également dénoncé dans le livre de Pierre-Antoine Plaquevent, Soros et la société ouverte [2] qui a un écho non négligeable sur les réseaux sociaux. Pourtant, sa cible n’est pas tant Soros que des scientifiques de premier plan comme Karl Popper et Gregory Bateson. Plaquevent excipe du fait que Soros se prétend disciple de Popper pour discréditer Popper. Or, Karl Popper est le plus grand épistémologue du XXe siècle, dont l’œuvre est une ressource indispensable pour construire une pensée pour sortir de la confusion actuelle promue par la nouvelle idéologie de nivellement du monde.

Quel est l’enseignement de Popper ?

  • Le rejet de l’historicisme : L’avenir est ouvert et aucun déterminisme historique ne peut nous dire ce que sera l’avenir. Nous sommes entièrement libres, et ce qui adviendra demain sera le fruit de nos décisions et non-décisions implicites ou explicites.
  • Le rejet du relativisme : Il est parfaitement possible de parvenir à des décisions communes et de bâtir le Bien commun dès lors que l’on a le souci d’apprendre l’un de l’autre, ce qui veut dire ne pas noyer les différences dans un magma mais d’en faire une ressource pour progresser vers la vérité.
  • En philosophie politique, la question n’est pas de savoir QUI doit gouverner la société, mais COMMENT elle doit être gouvernée et POUR QUOI. La question du QUI est une question platonicienne et vise à assurer le règne des philosophes et des « sages » sur la société, qui s’oppose au COMMENT qui est la question socratique du progrès par questionnement et résolution de problèmes. Le débat sur le QUI mène aux oppositions gauche-droite qui occultent le débat sur la nature de la société juste.
  • Le critère d’une société juste n’est pas de savoir qui la gouverne, mais de pouvoir en permanence délibérer sur le « Quoi? » et d’être assuré de pouvoir renverser le gouvernement. En Suisse, on se fiche pas mal de qui gouverne du moment qu’au travers des votations et de la démocratie directe, le peuple a le dernier mot.

Voilà qui n’est pas compatible avec l’idéologie de l’Occident dominée par le relativisme (« si tout est relatif » disait Leo Strauss, « alors le cannibalisme n’est qu’une affaire de gout ») et l’historicisme (l’existence de lois de l’histoire comprises par une autoproclamée élite). En fait, l’apport de Popper est l’exact contraire des élucubrations de M. Soros.

Pierre-Antoine Plaquevent n’a rien compris ou voulu rien comprendre à cela. Il voit dans Popper le père de l’ingénierie sociale définie comme « une approche interventionniste et mécaniste des phénomènes sociaux. Il s’agit de transformer la société comme s’il s’agissait d’un bâtiment… pour provoquer des changements qui sinon ne se produiraient pas d’eux-mêmes ». C’est faux : Popper a critiqué le positivisme logique du Cercle de Vienne durant l’entre-deux-guerres qui prétendait fonder les décisions sur la pure logique mathématique, ce que promouvra l’économie néoclassique de la rationalité des marchés. À l’ingénierie sociale conçue comme une manipulation des individus à partir de la compréhension de leur comportement, il a opposé une démarche par petits pas de résolution de problème : Face à un problème A on teste des solutions par essais et erreurs, et la résolution du problème est un problème B, plus complexe, et on aura au passage accru notre connaissance [3]. Popper a été confronté dans la Vienne d’avant-guerre au choc de deux conceptions du monde prétendant à la vérité scientifique incarnée dans une idéologie déterminant l’avenir du monde. C’est le refus de ce déterminisme, fondement du totalitarisme, qui est à la base de l’œuvre de Popper.

Une stratégie malvenue

La stratégie employée par Plaquevent consiste à s’en prendre à un philosophe mort depuis longtemps (1994 pour Popper) en le rendant responsable d’événements blâmables actuels, sous prétexte qu’il est cité par des gens peu recommandables. Ainsi, le gauchisme mondain américain a lancé une offensive contre l’enseignement du philosophe Leo Strauss (mort en 1964) transformé en inspirateur de la guerre en Irak (!), sous prétexte que certains politiciens « néocons » prétendent avoir suivi son enseignement. En fait, Leo Strauss, plaidait pour un retour à la philosophie politique classique définie comme globale, à la fois théorie et savoir-faire politique, échappant à l’étroitesse d’esprit du juriste, à la sécheresse du technicien, aux lubies du visionnaire, à la bassesse de l’opportunisme. Voilà qui est fort peu compatible avec l’idéologie actuelle du progrès à tout prix.

C’est la même technique qu’applique M. Plaquevent, en faisant de Soros un disciple de Popper au seul motif qu’il se réclame avoir été son étudiant. Il y ajoute un autre artifice : Popper a malheureusement commis un ouvrage très mauvais – « un scandale » et de la « camelote idéologique » selon les termes du philosophe Eric Voegelin – La société ouverte et ses ennemis. [4] Écrit dans son exil en Nouvelle Zélande pendant la Seconde Guerre mondiale, Popper n’avait pas ses sources avec lui et a vécu quatre années de ténèbres académiques. Il en a été réduit à faire, selon l’expression de Nietzsche, de la « philosophie à coup de marteau ». Il s’est rattrapé plus tard quand il a eu un poste en Angleterre, en écrivant un livre d’excellente tenue traitant du même sujet – la dénonciation de l’historicisme et du relativisme – Misère de l’historicisme [5].

En plus de donner crédit à Georges Soros d’avoir eu Karl Popper pour mentor et père spirituel, le livre de M. Plaquevent ignore l’apport scientifique de Popper qui fonde la théorie de la connaissance basée sur la pratique sociale en nous dégageant de la fascination pour les idéologies. On n’y trouve aucune référence bibliographique vers les sources principales, mais principalement des liens internet et des sources secondaires polémiques et non scientifiques.

Il s’en prend également à un autre scientifique majeur du XXe siècle, Gregory Bateson – qu’il appelle Georges Bateson, ce qui laisse supposer que, là aussi, il n’a lu que des écrits secondaires et polémiques et pas Bateson lui-même – dont l’apport est important pour une pensée libre. Gregory Bateson, époux de l’anthropologue Margareth Mead, a été un des promoteurs de la systémique qu’il a mobilisée pour formuler la théorie de la communication, il y a intégré les approches anthropologistes de son épouse et la psychiatrie qu’il a contribué à sortir de l’approche monodisciplinaire de la médecine pour une approche globale du patient. Un scientifique complet mobilisable dans de nombreux domaines. Plaquevent réduit la systémique de Bateson à la cybernétique de Norbert Wiener qui rêvait de voir la société gouvernée par des ordinateurs grâce à une « machine à gouverner » [6]. Bateson a contribué à comprendre le fonctionnement des groupes et des sociétés humaines. Comprendre ne veut pas dire s’en servir pour manipuler les gens, ce contre quoi Bateson a mis en garde.

C’en est trop pour Plaquevent : Bateson (mort en 1980) a été conseiller du gouverneur de Californie en 1978 qui avait gardé des liens avec le « révérend » Jim Jones, fondateur d’une secte apocalyptique au Guyana. Il n’en faut pas moins pour qualifier Bateson et son épouse de « criminels ». Mais son principal crime est d’être cité par Soros, qui, malin, ne se revendique que des meilleurs, les esprits ouverts auxquels on peut faire dire ce qu’on veut en distordant leurs écrits.

En somme, déconstruire un système de pensée pervers ne construit pas un système de pensée juste. C’est ainsi que, dans le camp « souverainiste », on se contente trop souvent de dénoncer sans aller au fond des choses : la reconquête de la souveraineté passe par la reconquête des idées, et dénoncer un système de pensée malsain sans pouvoir le remplacer par un autre, c’est brasser du vent.  

Les intellectuels du courant républicain souverainiste portent peu d’intérêt à l’éducation populaire dont a besoin la jeune génération. Il y a pourtant fort à faire ! L’ignorance est la pire des prisons dans laquelle nous maintient le système actuel en nous cantonnant dans la caverne de l’opinion qui fournit la trame des shows télévisés. Le philosophe Denis Collin, qui a été très longtemps militant marxiste, remarque justement que le succès du wokisme est qu’il s’adresse à une génération d’étudiants déculturés. La domination du marxisme à l’université, s’il a développé des comportements sectaires, n’avait pas abouti à l’état de régression culturelle et mentale actuel.

Il s’agit donc aujourd’hui d’armer intellectuellement la jeune génération et de ne pas la laisser aux manigances de la lumpen intelligentsia. La reconquête de la souveraineté passe par la reconquête des idées.

Cela est d’autant plus tragique que nous sommes les héritiers d’une tradition philosophique et politique de près de vingt siècles de philosophies et de débats politiques, de Cicéron à Machiavel et aux républiques italiennes, à Jean Bodin en France, Harrington en Angleterre, Thomas Paine dans la jeune Amérique, avec des options bien différentes mais un concept central : la prévalence du Bien commun.

La reconquête des idées passe par renouer avec cet héritage. Ce dont nous avons besoin, c’est de futurs adultes formés au raisonnement. Et s’il fallait citer des scientifiques essentiels à cette tâche, on citerait bien sur Popper, Leo Strauss et Bateson dans les cinq premiers.

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[1] Ed. Perspectives Libres, 2019.

[2] 2e édition, Ed. Culture et racines, 2020.

[3] « Toute vie est résolution de problème », ce livre rédigé deux ans avant sa mort résume toute la philosophie de Popper.

[4] 2 tomes, Seuil, « Points », 2018.

[5] Presses-Pocket, 1991.

[6] Ce projet de N. Wiener fit l’objet d’un article admiratif dans Le Monde, 28 décembre 1948 « Une nouvelle science, la cybernétique : vers la machine à gouverner »

Éloge du nouveau pluralisme politique français!

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Eric Ciotti et Bruno Retailleau, Campus de rentrée des jeunes Républicains, Angers, 4 septembre 2022 © Jacques Witt/SIPA

Qu’on se rassure : je n’ai pas l’intention de soutenir que tout va bien dans notre monde politique et médiatique. Quelques accrocs précisément, de diverse nature, sont à signaler…


Le ministre de l’Éducation nationale se dit « satisfait » de la rentrée. Il y en a au moins un qui est content.

Nous n’avons pas les mêmes valeurs…

La Première ministre ne veut pas débattre avec LFI parce qu’elle serait le « chaos » et avec le RN parce qu’elle n’aurait pas « les mêmes valeurs ». On attend toujours de savoir lesquelles au regard de la présence des 89 députés RN à l’Assemblée nationale, de leur comportement et de la teneur des débats. Jean-Luc Mélenchon réplique à Elisabeth Borne que le chaos c’est elle ! C’est sans doute excessif mais je comprends que ces opposants soient lassés d’être exclus parce qu’ils poussent à fond le processus démocratique.

Eric Ciotti qui va concourir le 3 décembre à la présidence des LR éprouve le besoin de nous informer que pour lui Laurent Wauquiez sera le candidat naturel de la droite en 2027. C’est aller bien vite en besogne et créditer par principe cette personnalité, malgré sa double abstention tactique ; je préfère celles qui ne calculent pas quand il s’agit d’aller au feu et qu’il y a urgence et péril.

A lire aussi: Le Conseil national de la Refondation, une nouvelle tentative de contournement démocratique?

Le journal Le Monde décide de dépublier une tribune sur l’Algérie à la demande de l’Élysée. Je n’aurais jamais cru cela possible de la part de ce quotidien, paraît-il de référence.

Yann Barthès, image d’archive. Capture d’écran TMC.

Yann Barthès est prêt à accueillir des politiques sur « Quotidien » sauf Marine Le Pen et Éric Zemmour qui ne sont pas « les bienvenus parce que nos équipes de télévision ne sont pas les bienvenues chez eux ». C’est à la fois vaniteux et absurde : où et qui sont les millions de citoyens derrière Barthès ? Aucun rapport entre la légitimité démocratique de ceux qu’il récuse et le bon plaisir médiatique dont il s’affirme le seul maître. Cet ostracisme d’un côté et cette hypertrophie de l’autre est un signe supplémentaire, quoique anecdotique, du délitement français.

Optimisme paradoxal

Je pourrais encore enrichir cette liste mais je tiens à faire part d’un optimisme civique que d’aucuns vont juger paradoxal.

Depuis que les élections législatives ont heureusement limité la domination du groupe macroniste à l’Assemblée nationale et que ce mandat en cours sera forcément le dernier du président de la République, un air de liberté, de pluralisme, me semble s’être introduit dans l’espace politique. J’ai l’impression que les nuances, les antagonismes, les contradictions, n’ont plus honte d’exister et que l’exigence de solidarité est devenue moins un étouffoir qu’auparavant.

A lire aussi: Bruno Retailleau: tout est faux dans le macronisme

LR, qu’on annonce sans cesse en survie, ce que le réel dément à chaque fois, va confronter le 3 décembre trois visions de la droite, avec Bruno Retailleau, Éric Ciotti et probablement Aurélien Pradié. En schématisant, une définition culturelle (voir l’argumentation dans « Bilger les soumet à la question »), une définition régalienne et une définition sociale. En tout cas, des joutes qui auront du sens.

Le RN, dans une sorte de combat entre les Anciens et les Modernes, va devoir arbitrer en novembre entre Louis Aliot et Jordan Bardella. Pour qui s’intéresse à la politique, moins que jamais on ne doit se désintéresser de qui sortira victorieux de cet affrontement, limité par le fait que les deux concurrents s’inscrivent dans la ligne de Marine Le Pen.

Stéphane Séjourné a pour mission de constituer « Renaissance » en un vrai parti. Il va tenter d’intégrer dans une structure unique des composantes tenant à leur identité et répugnant, comme pour « Horizons », à suivre aveuglément les consignes parlementaires. J’apprécie que Laurent Marcangeli, qui dirige son groupe parlementaire, ne se sente pas prisonnier de l’absurde « arc républicain » prétendant exclure les opposants non « convenables ». Je ne doute pas que la tendance à venir sera plus vers la libération, bon gré mal gré, que vers la caporalisation. Celle-ci n’a jamais vivifié quoi que ce soit.

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Bernard Cazeneuve. Image d’archive. Sipa.

Philippe ne participera pas jeudi au lancement du CNR de Macron…

Je ne veux pas faire l’impasse sur la future élection présidentielle. Il est clair que plusieurs, dans le camp, aujourd’hui, d’Emmanuel Macron, prétendront à sa succession. Bruno Le Maire, Peut-être Gérald Darmanin et sûrement Edouard Philippe. Ce dernier, dans une démarche à la fois loyale mais autonome, fidèle mais libre, manifestant en même temps ce qu’il a de commun avec le président et ce qu’il a de différent, par petites touches ou vraies divergences (par exemple sur le CNR), sera l’adversaire le plus redoutable pour les autres ambitieux du post-macronisme. Si le parti « Horizons » continue avec cette intelligence critique et ses décalages subtils, on peut présumer qu’en 2027, Edouard Philippe pourrait tenter certains Républicains en dépit de la trahison qui lui a été longtemps reprochée.

A lire aussi: Baisse du niveau: MM. Macron et Ndiaye dans le déni

Dans ce tableau rapidement esquissé, on constate que LFI, malgré quelques personnalités de qualité – Clémentine Autain (la seule à contester), Manuel Bompard et Adrien Quatennens – demeure sous l’emprise de Jean-Luc Mélenchon qui n’aspire, selon l’analyse lucide de Bernard Cazeneuve dans le JDD, qu’à préparer sa nouvelle candidature en 2027. Le parti qui rue le plus dans les brancards parlementaires est aussi celui qui dans son fonctionnement interne est le plus classique.

J’espère qu’on partagera mon sentiment que, si la réélection d’Emmanuel Macron nous laisse désemparés face au flou de son projet et à un futur angoissant, la vie politique et l’intensité civique n’en ont pas été amoindries : cela bouge et fait advenir du pluriel dans un univers qui en manquait.

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Guerre du feu et psychanalyse des entrecôtes

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Photo d'illustration Unsplash

C’est la rentrée. Fini le farniente estival, l’insouciance, l’abondance… 


Dans la guerre du feu, psychanalyse des entrecôtes, psychose lunaire du barbecue qui fait la Une depuis la dernière hase (à la royale) levée par la reine dégenrée du buzz, fêlée clochette de l’androcène (de ménage) – Sandrine Rousseau -, il importe de remonter à la scène originaire du crime. Le premier Homo erectus, salaud-carnivore-viriliste-extractiviste-invisibilateur-toxique-non-déconstruit n’est pas Eric Zemmour, Eric Ciotti, Gérard Depardieu, Bocuse, Landru, Brillat-Savarin, Vatel, Portos, Gargantua, Grandgousier, Obélix, Cronos… C’est Rahan !

Circonstances aggravantes, le fils adoptif de Crâo, macho blond exhibant sur ses pectoraux avantageux un collier de griffes d’ours pyrénéen, combat les tigres à dents de sabre en voie de disparition avec un couteau phallique en ivoire de Mammouth. Pour satisfaire son petit confort et de viles pulsions, le matamore inconscient multiplie les feux de camp, grillades d’antilopes, dans la savane, au milieu de forêts majestueuses, en frottant des silex.   

La Nupes se déchire. Gamin, en slip, Fabien Roussel dévorait les aventures de Rahan dans Pif Gadget, la buée des lessiveuses, à la Fête de l’Huma. Clémentine Autain ne transige pas sur la morpho-symbolique des chipolatas. Quid des merguez, kebab, méchouis ? Terrain glissant. Jean-Luc Mélenchon a la nostalgie du mouton de l’Aïd, des braseros du cap Spartel, Yannick Jadot hésite… 

A lire aussi du même auteur: Fin de partie

Pour arbitrer la querelle du barbecue, des universaux et des bouffons (Rousseau-Rameau) – et en même temps – lutter contre les comportements déviants, y voir plus clair sur les déterminismes sociaux, atavismes culturels ancestraux qui nous oppressent depuis la nuit des temps des âges farouches, Emmanuel Macron a demandé un rapport au Panoramix œcuménique de la complexité, Merlin l’enchanteur de l’éthique auto-éco-organisationnelle, Edgar Morin (assisté de Benjamin Stora, Jacques Attali et McKinsey). 

Certaines pistes et propositions ont déjà fuité : 

– Manger les entrecôtes crues ;  
– Une filière High Tech ‘FBNG’ (French Barbecues New Generation), hydrauliques, éoliens, solaires, à hydrogène, nucléaires ; 
– Fermeture immédiate de tous les McDonald’s, Burger King, kebabs ; 
– Interdiction du festival Hellfest, temple du death metal, punk hardcore, repère de machos privilégiés, trash, sexistes et pollueurs ;
– Dès la sixième, dans les cantines scolaires, un passe andouillettes de soja, galettes de grillons halal, beignets de crickets casher, fallafels à la farine de mites ;
– Lancement d’un nouveau CNR citoyen, participatif, roots et transverse, dans la grotte de Lascaux: le Conseil National de Rahan.gineering;    

Raaahaa !!!!      

Un viol, un meurtre, une exécution, un suicide: «Va, Tosca!»

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Saioa Hernández et Bryn Terfel © Vincent Pontet / Opéra de Paris

On donnait samedi pour la rentrée de l’Opéra la première d’une série de représentations de Tosca, l’opéra composé en 1900 par l’Italien Giacomo Puccini. Le président Macron et son épouse étaient présents dans la salle.


Ce samedi, pour l’ouverture de la saison lyrique sous les auspices de Puccini, que de beau linge, que de beau linge ! À la fin du premier entracte, juste avant le lever de rideau du deuxième acte de Tosca, apparaissent incognito, tapis dans la loge au noir tablier du premier balcon, sur la gauche dans l’immense salle de l’Opéra-Bastille, Emmanuel et Brigitte Macron, en chair et en os. Le couple présidentiel est flanqué de Rima Abdul-Malak, la neuve ministre de la Culture qui succède à Roselyne Bachelot. Mais où est donc passée Roselyne ? Dans le rang réservé aux « huiles » officielles, l’immortel Jack Lang (et Monique) coudoient l’actuel ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye – et Madame. Bref, la première de ce must absolu de l’art lyrique était presque un raout d’État. 

Tosca (C) Vincent Pontet / Opéra de Paris

Giacomo Puccini adapte Victorien Sardou

Créé en à Rome en 1900 et représenté trois ans plus tard à l’Opéra-Comique parisien, le fameux opéra de Puccini est, comme l’on sait, l’adaptation de La Tosca (1887), pièce de théâtre en cinq actes et en six tableaux de Victorien Sardou, alors l’un des plus célèbres auteurs à succès du XIXème siècle. Elle est créée au Théâtre de la Porte Saint-Martin, spécialisée dans les spectacles tape-à-l’œil. Dans le rôle-titre, rien moins que l’irremplaçable Sarah Bernhardt. La critique, tétanisée par les tirades éruptives de la diva, juge que ce plat entaché de vulgarité serait mieux fait pour l’exportation chez les Yankees. Mais le public assure le succès de la tragédie, et La Tosca part en tournée à Milan après plus d’une centaine de représentations à Paris. Puccini, qui a assisté à une représentation, s’enquiert des droits. Un autre compositeur, Alberto Franchetti, se met également sur les rangs. Le livret signé Luigi Illica, a été approuvé par l’éditeur, Ricordi. Le temps passe. Puccini a eu vent que Verdi serait aussi tenté par une adaptation. Franchetti s’étant désisté, le compositeur de Manon Lescaut puis de La Bohême se lance dans l’écriture de l’œuvre… qui prendra pour titre Tosca. Voilà pour la petite histoire. 

Créée en 2014, la présente mise en scène, signée Pierre Audi (cinéaste franco-libanais, longtemps directeur artistique de l’opéra d’Amsterdam, et désormais directeur du prestigieux festival d’Aix-en-Provence depuis 2018), d’un sage historicisme traversé d’encombrants symboles (telle la colossale croix anthracite en béton armé coiffant le plateau comme un étrange ovni suspendu dans le ciel) n’offre pas une relecture provocante ou avant-gardiste de ce chef-d’œuvre. Car, d’une intrigue qui cumule : un viol, (celui que Scarpia, le tyran bigot, érotomane et sadique intente sur la diva sacrificielle) ; un meurtre sanglant, au couteau (perpétré par Tosca sur son agresseur) ; une séance de torture (pauvre Mario !)) ; une fourbe exécution capitale (celle de Mario Caravadossi, fusillé par un peloton) ; et enfin, cerise sur la gâteau, un suicide (celui de la pieuse Tosca, qui part rejoindre Scarpia en enfer) ! – la monstrueuse violence apparaît gentiment « euphémisée » sous les atours d’une régie raffinée, mais qui a un peu vieilli. Celle-ci a déjà connu maintes reprises : en 2016, en 2019 puis dans l’arrière- saison pandémique, en juin 2021. Reconnaissons que Tosca n’a par ailleurs jamais cessé d’inspirer nombre de scénographies autrement mémorables – celle, inoubliable, de Robert Carsen, qui transposait à l’époque de l’Italie fasciste une action supposée se dérouler à Rome, avec la victoire de Bonaparte à Marengo en arrière-plan ; ou encore celle du cinéaste-culte de La Mort de Maria Malibran Werner Schroeter (1945-2010), pour l’Opéra-Bastille déjà. 

Tempo vigoureux

Pour autant, on ne boudera pas son plaisir. Succédant à Carlo Montanaro à la baguette l’an passé, le chef d’origine vénézuélienne Gustavo Dudamel dirigera Tosca jusqu’au 18 septembre, relayé ensuite par Paolo Bortolameolli. Ce 3 septembre, le maestro Dudamel faisait véritablement rutiler l’Orchestre de l’Opéra de Paris, sur un tempo vigoureux où sonnaient avec une suavité sans pareille les arrière-plans de cette partition géniale. Dans le rôle-titre, plus en puissance de projection vocale qu’en retenue, la soprano Saioa Hernandez, 39 ans, qui débute à l’Opéra de Paris en ce mois de septembre, et sera remplacée par Elena Stikhina pour les représentations des deux mois suivants. La voix de l’infernal Scarpia, quant à elle, est tenue tour à tour par Bryn Terfel, Gerald Finley et Roman Burdenko, tandis qu’en alternance, l’héroïque et infortuné Mario prend les traits du fantastique ténor maltais Joseph Calleja – dont les aigus vertigineux irradiaient cette première – et de l’américain Brian Jagde. « Va, Tosca ! Dans ton cœur, Scarpia fait son nid »…. Et Tosca dans le nôtre.  


Tosca (1900) Mélodrame en trois actes de Giacomo Puccini, sur un livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, d’après la pièce La Tosca, de Victorien Sardou. Direction musicale : Gustavo Dudamel (3/18 septembre) puis Paolo Bortolameolli. Avec Saioa Hernandez/ Elena Stikhina (Tosca), Joseph Calleja/ Brian Jagde (Mario Cavaradossi), Bryn Terfel/ Gerald Finley/ Roman Burdenko ( Scarpia). 

Opéra-Bastille, les 6, 9, 12, 15, 24 septembre ; 20, 26, 29 octobre, 3, 8, 11, 17, 22, 26 novembre à 19h30. Et 18 septembre, 23 octobre à 14h30. 

Crise énergétique: l’hiver vient

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Agnès Pannier-Runacher, ministre de l'énergie aux cotés de Jean-Bernard Lévy, PDF d'EDF, université d'été du Medef, Paris, 1er septembre 2022 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

L’Europe et la France vont devoir affronter une grave crise énergétique cet hiver, d’une ampleur jamais égalée auparavant. 


Les confinements décidés au démarrage de la pandémie de coronavirus avaient déjà fait la démonstration des limites de notre production d’électricité, les réseaux étant souvent saturés. Pourtant, nous n’avons pas voulu tirer les leçons qui s’imposaient, à savoir de relancer la filière nucléaire. Comme l’a indiqué Jean-Bernard Lévy aux dernières rencontres du MEDEF, l’état de nos centrales est plus que préoccupant : « On manque de bras parce que l’on n’a pas assez d’équipes formées… Un soudeur, un tuyauteur, il faut deux-trois ans pour le former. Et pourquoi on n’a pas assez d’équipes formées ? Parce que l’on nous a dit que le parc nucléaire va décliner, « préparez-vous à fermer des centrales ». On a déjà fermé les deux premières. Ce sont d’ailleurs les textes en vigueur au moment où l’on se parle. On nous a dit : « Préparez-vous à fermer les douze suivantes ». Nous, avec la filière, nous n’avons pas embauché de gens pour construire douze centrales, nous en avons embauchés pour en fermer douze. »

Ce sont ceux qui nous ont mis dans la panade qui sont aux manettes !

S’il n’est jamais utile de pleurer sur le lait renversé, les responsabilités doivent être déterminées. Les exécutifs qui se sont succédé depuis 2012 sont coupables d’avoir laissé décliner un outil stratégique majeur de notre souveraineté. Ils ont cédé face aux groupes de pression écologistes tels qu’OXFAM ou Greenpeace. Ils ont cédé face à l’Allemagne, qui s’est toute seule placée dans une position de dépendance au gaz naturel à bas coût provenant de Russie. Qui a pu croire un seul instant qu’une société aussi énergivore que la nôtre, où 95% de la population recharge de nuit son téléphone portable et divers appareils, allait avoir besoin de moins d’énergie ?

Dans les années 1970, le premier choc pétrolier et l’émergence d’une filière nucléaire américaine compétitive ont fait prendre conscience à la France qu’elle devait adopter un nouveau modèle plus ambitieux pour son approvisionnement énergétique. Le 6 mars 1974, suivant le slogan « la France n’a pas de pétrole mais elle a des idées », Pierre Messmer annonçait à la télévision le lancement d’un grand plan nucléaire. De fait, la France n’a pas été gâtée par mère nature, n’ayant pas autant de charbon que ses voisins britanniques ou allemands, ayant moins de gaz que les Hollandais, et des gisements de pétroles extrêmement limités.

À lire aussi, Romain Lemoigne: Le Conseil national de la Refondation, une nouvelle tentative de contournement démocratique?

Visionnaire, Messmer a fait don à la France d’un atout majeur qui, s’il avait été correctement entretenu et valorisé, nous permettrait aujourd’hui d’affronter avec une plus grande sérénité la crise à venir. Energie sûre et écologique, le nucléaire doit être relancé. La France peut aussi aider d’autres pays européens à se doter de centrales, les construire et en tirer profit. La Pologne ne demande que ça. Le Royaume-Uni post Brexit, qui par son imprévoyance devra affronter une crise plus terrible encore que la nôtre, y viendra peut-être aussi. Seule l’Allemagne, autistique et fière, fera barrage. Ne nous en préoccupons pas.

Nord Stream est fermé, et ce n’est évidemment pas une panne…

Des premiers signes encourageants commencent d’ailleurs à poindre, Agnès Pannier-Runacher ayant déclaré qu’EDF s’était engagée à redémarrer tous les réacteurs qui le peuvent dès l’hiver. C’est un premier pas. Nous devons aussi former des techniciens et des ingénieurs, les étudiants ayant choisi d’autres secteurs puisqu’on ne cessait de leur répéter que nous allions abandonner le nucléaire… Nous avons aussi des réserves d’uranium correspondant à deux ans de production d’électricité, ce qui est tout de même considérable. Un pays comme le Japon entend aussi redémarrer douze réacteurs nucléaires.

Car, n’en doutons pas, la Russie va couper l’arrivée de gaz naturel et possiblement de pétrole. Les exportations d’hydrocarbures russes permettent présentement à Moscou d’enregistrer des recettes élevées puisque les prix augmentent. En effet, après l’annonce par le G7 de l’instauration d’un plafonnement des prix des importations d’hydrocarbures russes destiné à limiter les profits engendrés par les incertitudes du marché de l’énergie, le porte-parole du Kremlin Peskov a répliqué en affirmant que « Moscou ne fournirait tout simplement pas de pétrole et de produits pétroliers aux entreprises ou aux États qui imposent des restrictions ». On peut imaginer que les annonces de Gazprom sur l’arrêt de Nord Stream I s’inscrivent dans cette logique. Personne ne croit à la faille technique, qui ressemble à une « blessure diplomatique ». Tenons-le pour acquis : Gazprom ne remplira pas ses engagements commerciaux contractuels.

À lire aussi, Gil Mihaely: Kiev veut reprendre Kherson

Bien que ni le gaz ni le pétrole ne soient visés par le paquet de sanctions économiques décidé contre la Russie, les stratèges du Kremlin utilisent leur arme principale pour affaiblir les efforts européens et effrayer les populations. Les perspectives de flambées des cours pourraient avoir des conséquences majeures sur nos activités industrielles et affaiblir durablement nos économies. Bien évidemment, et contrairement à une légende tenace, les sanctions frappent aussi considérablement l’économie russe qui a pris un aller simple vers un No Man’s Land. Mais la population est résiliente et le pouvoir déterminé à continuer la guerre.

Que pouvons-nous donc faire pour vaincre l’épreuve qui s’annonce ? D’abord, poursuivre nos efforts vers la renucléarisation de notre production d’énergie. C’était impératif il y a cinq ans, ça l’est plus encore aujourd’hui. Faut-il dans un second temps, comme le demandent Ségolène Royal et d’autres « négocier une paix » ? Osons le dire : c’est pure démagogie. La France n’a pas le pouvoir de forcer une paix, l’Union européenne non plus. La Russie souhaite que nous cédions pour soumettre l’Ukraine sans difficultés et poursuivre le lien de vassalité énergétique. Mais, même si nous le voulions, nous ne le pourrions pas. Du reste, la France est bien moins dépendante du gaz naturel russe que d’autres pays, nos importations principales venant des Pays-Bas – à noter que certains élus de la Douma auraient déjà évoqué publiquement l’idée de bombarder le port de Rotterdam !

Cette prétendue « dénazification » coûte un pognon de dingue à tout le monde

La réalité est que le Kremlin a mal pensé son invasion. Ils se sont trompés et pensaient n’avoir à livrer qu’une guerre éclair. Tel n’a pas été le cas. L’Allemagne a dû faire le même pari puisque Nord Stream II a été achevé en 2021. Embourbés en Ukraine dans une guerre de tranchée, les Russes ne veulent pas partir sans un gain territorial substantiel, tout en maintenant des objectifs de guerre flous et suffisamment ouverts pour qu’ils aient un maximum d’options en main. Ils n’ont d’ailleurs toujours pas officiellement déclaré de guerre, se bornant à évoquer « une opération spéciale » de « dénazification ». Les Ukrainiens semblent quant à eux dans l’incapacité de mener une contre-offensive conséquente avec les forces dont ils disposent. L’attaque sur Kherson voulue semble-t-il par le président Zelensky n’a pas eu les effets escomptés.

Nous sommes donc en face d’un vide stratégique que nous ne pouvons combler que par une solidarité européenne accrue, le renforcement de nos capacités de production et envisager demain de passer à une économie de guerre. Personne ne veut de la guerre mais elle nous est parfois imposée. Dans l’histoire européenne récente, seule la Prusse de la Guerre de Sept Ans a tiré profit d’une agression. C’était contre la Saxe et les Prussiens bénéficiaient de l’appui de la finance britannique. Le cas qui nous occupe est bien différent. À n’en point douter, la Russie ne sortira pas par le haut de la phase historique qu’elle vient d’engager. Nous en souffrirons sûrement, dans un contexte de déclin moral, économique, social et civilisationnel sans précédent. Mais les grandes épreuves ne sont-elles pas de nature à forger les succès de demain ?

À dada sur mon Hussard!

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À l’occasion de la sortie de Génération Hussards de Marc Dambre (Perrin), Thomas Morales nous parle de ces écrivains iconoclastes et indispensables…


Pourquoi aimons-nous tant cette génération dite des « Hussards » qui regroupe arbitrairement Nimier, Blondin, Laurent, Déon et consorts ? Parce qu’elle est disqualifiée par la critique officielle et dominante. Parce qu’elle a perdu le combat littéraire dès les années 1950, en prônant une forme de désenchantement qui va de l’amertume à la farce, du pamphlet au vitriol à l’autofiction pleine de larmes. Parce qu’elle tentait d’écrire dans un français honorable et débarrassé de ses afféteries modeuses.

Parce qu’elle était issue d’une classe sociale conspuée, la bourgeoisie de droite désargentée et indisciplinée, qui eut très tôt le sentiment du déclassement et d’être née trop tard pour peser sur les affaires du pays. Parce qu’elle est encore largement ignorée par l’Université et dégage un parfum de soufre dans les librairies de France. Parce qu’elle est disparate, incohérente en son sein, nostalgique et triste, héritière d’un profond malaise familial et qu’elle ne promeut aucun mouvement de libération. Parce qu’elle n’apporte aucune solution aux peuples opprimés, seules les âmes en peine peuvent y trouver un peu de réconfort souvent grinçant.

Egocentriques?

Dans le jargon éditorial qui veut faire de l’écrivain un coach de vie, un tuteur de l’existence, un guide spirituel, les Hussards ne servent donc strictement à rien, ils n’émancipent pas l’Homme par des écrits éclairants, ils ne l’instrumentalisent pas à des fins commerciales, ils courent sur la page blanche à la recherche de leur propre salut. Ils sont modestes quant à la destinée de leurs livres et, à la fois, égocentriques dans leur dessein d’écrivain. Ils y mettent un désespoir rageur et un soin d’esthètes.

Ils savent que la littérature est, par nature, ingrate et mensongère, et que pour en tirer une quelconque satisfaction, il faut s’abimer, s’user sur son écritoire. Ils sont l’essence même d’une littérature inutile donc suspecte, donc dangereuse, donc à étiqueter comme un paquet de cigarettes cancérigènes. Leurs livres inquiètent car ils flirtent avec l’onde maléfique des réprouvés que furent Céline et Morand, et puis cette absence de diktats moraux devient inconvenante dans une nation qui flique la phrase buissonnière et ne supporte plus la dissidence d’opinion.

A lire aussi, François Kasbi: J’en ai assez de Proust…

Cette génération ne revendiquait rien si ce n’est l’affirmation du style comme moyen d’expression premier et un individualisme abrasif. Elle n’écrivait pas en meute. Elle était légère par snobisme et courtoisie. Elle aimait les voitures rapides et les alcools forts pour mieux se protéger grossièrement des intellectuels inertes et jaloux. Elle avait le syndrome de l’insoumission car elle était rétive à l’ordre et aux statuts protégés. Elle avait le goût pour les causes perdues et les choses sacrées.

Féérie narquoise

Elle n’eut aucun impact réel sur les débats publics de son époque. Elle servit plutôt à vendre du papier magazine et de puissant répulsif pour les bonnes consciences. Elle fut poussée dans une voie de garage par ses manières au charme réactionnaire épidermique et sa façon de ne rien prendre au sérieux. Oripeau bien pratique d’une profession qui a peur de l’excommunication et de son ombre. Au mieux, certains admettaient, sous la torture, qu’elle avait un joli brin de plume mais totalement stérile et dépourvu d’un élan émancipateur. Elle n’avait pas vocation à corriger ses lecteurs ou à les sermonner. Elle ne professait rien. Elle ne travaillait ni pour un parti, ni pour une idéologie bien définie. Si elle a pu se réunir sporadiquement sur quelques sujets de crispation nationale durant notamment la décolonisation, cette génération a toujours avancé seule et n’a bénéficié d’aucun soutien financier. Les plus hardis ont fini à l’Académie. Les autres sont restés célèbres pour leur excès dans les bistrots ou leur adaptation au cinéma.

Si elle devait influer sur la société, elle a raté son coup. Et puis quand cette génération d’écrivains se fit plus « politique », elle perdit de son sel, de sa distance rieuse et de son détachement souverain. Elle ennuyait quand elle utilisait les mêmes armes que ses ennemis. À se plonger dans les travers du quotidien, elle en oublia ses fondamentaux : sa force de contradiction et sa féérie narquoise. Réunir les Hussards sous une même bannière est une facilité de journaliste, chacun d’entre eux recouvrait une écriture si particulière. Je l’avoue, ma préférence va aux Hussards de seconde main, aux compagnons de route que furent Kléber Haedens, Jacques Perret et Félicien Marceau.

Génération hussards de Marc Dambre, Perrin, 432 p.

«Sara»: l’enfer numérique selon Sylvain Forge

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Le romancier Sylvain Forge à Paris, avril 2022 © LAURENT BENHAMOU/SIPA

Sylvain Forge est l’auteur maintes fois distingué de nombreux romans. Qu’il s’agisse de Sauve-la ou de Sara, récemment publié chez Fayard, il mérite assurément l’attention des amateurs de polars.


Sylvain Forge est « spécialiste en cybersécurité ». C’est ainsi que le présente Fayard, maison d’édition qui a publié trois de ses romans. Il semble collectionner les prix littéraires : prix Plume d’argent 2016 du thriller francophone pour Un parfum de souffre ; prix du Quai des Orfèvres 2018 pour Tension extrême ; prix Cognac du meilleur roman francophone 2020, prix du roman cyber et prix des lecteurs 2021 pour Sauve-la… La liste, loin d’être exhaustive, s’allonge d’année en année. Elle est à ce point longue et fournie qu’elle en devient presque suspecte.

Comment, dès lors, déterminer si cette dernière n’est pas le fruit d’un travail de réseautage et de copinage, plutôt que la consécration d’un authentique talent d’écrivain ? En lisant, au hasard, deux romans de Sylvain Forge : celui qui semble faire l’unanimité des lecteurs depuis sa parution (Sauve-la, Fayard, 2020), mais aussi son petit dernier, dans lequel un maire se montre déterminé à doter sa ville d’un réseau de caméras intelligentes pour en finir avec la délinquance (Sara, Fayard, 2022).

Des intrigues soignées, crédibles et troublantes

Le moins que l’on puisse dire, une fois ces deux livres lus, est que Sylvain Forge mérite certainement ses nombreuses distinctions. Dans l’un comme dans l’autre, il nous en donne en effet pour notre argent. Ses intrigues ne sont pas seulement soignées, mais diablement crédibles et troublantes. Même en cas de connaissances limitées en matière d’intelligence artificielle, de failles informatiques, d’effet « Tempest », de reconnaissance faciale, de vidéosurveillance, bref de technologies numériques, le lecteur n’est pas largué.

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Au contraire, il referme son bouquin avec la satisfaction d’en savoir davantage qu’avant de l’ouvrir. Et avec, aussi, une désagréable sensation, celle d’être peut-être passé à côté d’un phénomène à la fois majeur et angoissant : l’invasion de sa vie par des technologies liberticides et déshumanisantes, ceci avec son approbation plus ou moins explicite ou, le plus souvent, son « consentement par défaut » – un accord ayant la particularité de n’être pas expressément le résultat d’un choix entièrement libre et éclairé.

La métropolisation, « voilà l’ennemi » ?

Bien sûr, dans l’un comme l’autre, les personnages de l’histoire sont fictifs. Ces deux romans sont donc, en ce sens, les produits de l’imagination de Sylvain Forge. Mais si tel est le cas, « les technologies (…) sont bien réelles », ainsi que l’écrivain prend bien soin de le mettre en exergue de Sara. Tout comme le sont les lieux où se déroulent l’action. Et notamment cette ville de Nantes que Sylvain Forge, dans Sara, semble s’être ingénié à rendre plus vraie que nature, en faisant plus qu’une allusion à l’affaire Dupont de Ligonnès (un quintuple meurtre non élucidé) et à celle de Steve Maia Caniço, retrouvé mort noyé après une chute tragique dans la Loire, dans la nuit de la Fête de la musique 2019…

Sous sa plume, la métropole de Loire-Atlantique paraît d’ailleurs beaucoup moins sympathique que dans les chansons de Tri Yann… En effet, comme Bordeaux chez Hervé Le Corre (Traverser la nuit, Rivages Noir, 2021), les flics y sont à bout, presque dépassés, quand ils ne sont pas conduits, par la force des choses, à se muer en ripoux pour boucler des fins de mois de plus en plus difficiles. La violence y paraît endémique : « aucune femme saine d’esprit n’aurait l’idée de se rendre seule, la nuit, dans le centre-ville de Nantes », par ailleurs aire de jeux des anarchistes, des zadistes les plus allumés, des Black Blocs.

A se demander si la métropolisation, entendue comme processus de concentration de populations et d’activités dans des villes de taille grandissante, n’est pas, loin des discours lénifiants des politiciens de gauche et de droite à ce sujet, le problème qu’ils devraient s’atteler à résoudre en priorité… C’est en tout cas la question qui vient immédiatement au lecteur. Du moins si celui-ci déplore à la fois la montée de la violence sous toutes ses formes et ce que dernier phénomène entraîne : le déploiement tous azimut de dispositifs intrusifs et liberticides pour tenter de la juguler…

Sylvain Forge, Sauve-la, Le livre de poche, (2020) 2021, 343 p

Sauve-la

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Sylvain Forge, Sara, Fayard, coll. « noir » (2022), 463 p