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«Sara»: l’enfer numérique selon Sylvain Forge

"Sara", de Sylvain Forge (Fayard, 2022)


«Sara»: l’enfer numérique selon Sylvain Forge
Le romancier Sylvain Forge à Paris, avril 2022 © LAURENT BENHAMOU/SIPA

Sylvain Forge est l’auteur maintes fois distingué de nombreux romans. Qu’il s’agisse de Sauve-la ou de Sara, récemment publié chez Fayard, il mérite assurément l’attention des amateurs de polars.


Sylvain Forge est « spécialiste en cybersécurité ». C’est ainsi que le présente Fayard, maison d’édition qui a publié trois de ses romans. Il semble collectionner les prix littéraires : prix Plume d’argent 2016 du thriller francophone pour Un parfum de souffre ; prix du Quai des Orfèvres 2018 pour Tension extrême ; prix Cognac du meilleur roman francophone 2020, prix du roman cyber et prix des lecteurs 2021 pour Sauve-la… La liste, loin d’être exhaustive, s’allonge d’année en année. Elle est à ce point longue et fournie qu’elle en devient presque suspecte.

Comment, dès lors, déterminer si cette dernière n’est pas le fruit d’un travail de réseautage et de copinage, plutôt que la consécration d’un authentique talent d’écrivain ? En lisant, au hasard, deux romans de Sylvain Forge : celui qui semble faire l’unanimité des lecteurs depuis sa parution (Sauve-la, Fayard, 2020), mais aussi son petit dernier, dans lequel un maire se montre déterminé à doter sa ville d’un réseau de caméras intelligentes pour en finir avec la délinquance (Sara, Fayard, 2022).

Des intrigues soignées, crédibles et troublantes

Le moins que l’on puisse dire, une fois ces deux livres lus, est que Sylvain Forge mérite certainement ses nombreuses distinctions. Dans l’un comme dans l’autre, il nous en donne en effet pour notre argent. Ses intrigues ne sont pas seulement soignées, mais diablement crédibles et troublantes. Même en cas de connaissances limitées en matière d’intelligence artificielle, de failles informatiques, d’effet « Tempest », de reconnaissance faciale, de vidéosurveillance, bref de technologies numériques, le lecteur n’est pas largué.

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Au contraire, il referme son bouquin avec la satisfaction d’en savoir davantage qu’avant de l’ouvrir. Et avec, aussi, une désagréable sensation, celle d’être peut-être passé à côté d’un phénomène à la fois majeur et angoissant : l’invasion de sa vie par des technologies liberticides et déshumanisantes, ceci avec son approbation plus ou moins explicite ou, le plus souvent, son « consentement par défaut » – un accord ayant la particularité de n’être pas expressément le résultat d’un choix entièrement libre et éclairé.

La métropolisation, « voilà l’ennemi » ?

Bien sûr, dans l’un comme l’autre, les personnages de l’histoire sont fictifs. Ces deux romans sont donc, en ce sens, les produits de l’imagination de Sylvain Forge. Mais si tel est le cas, « les technologies (…) sont bien réelles », ainsi que l’écrivain prend bien soin de le mettre en exergue de Sara. Tout comme le sont les lieux où se déroulent l’action. Et notamment cette ville de Nantes que Sylvain Forge, dans Sara, semble s’être ingénié à rendre plus vraie que nature, en faisant plus qu’une allusion à l’affaire Dupont de Ligonnès (un quintuple meurtre non élucidé) et à celle de Steve Maia Caniço, retrouvé mort noyé après une chute tragique dans la Loire, dans la nuit de la Fête de la musique 2019…

Sous sa plume, la métropole de Loire-Atlantique paraît d’ailleurs beaucoup moins sympathique que dans les chansons de Tri Yann… En effet, comme Bordeaux chez Hervé Le Corre (Traverser la nuit, Rivages Noir, 2021), les flics y sont à bout, presque dépassés, quand ils ne sont pas conduits, par la force des choses, à se muer en ripoux pour boucler des fins de mois de plus en plus difficiles. La violence y paraît endémique : « aucune femme saine d’esprit n’aurait l’idée de se rendre seule, la nuit, dans le centre-ville de Nantes », par ailleurs aire de jeux des anarchistes, des zadistes les plus allumés, des Black Blocs.

A se demander si la métropolisation, entendue comme processus de concentration de populations et d’activités dans des villes de taille grandissante, n’est pas, loin des discours lénifiants des politiciens de gauche et de droite à ce sujet, le problème qu’ils devraient s’atteler à résoudre en priorité… C’est en tout cas la question qui vient immédiatement au lecteur. Du moins si celui-ci déplore à la fois la montée de la violence sous toutes ses formes et ce que dernier phénomène entraîne : le déploiement tous azimut de dispositifs intrusifs et liberticides pour tenter de la juguler…

Sylvain Forge, Sauve-la, Le livre de poche, (2020) 2021, 343 p

Sauve-la

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Sylvain Forge, Sara, Fayard, coll. « noir » (2022), 463 p

Sara: Elle veille sur vous

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