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Kiev veut reprendre Kherson

Les ponts sur la rivière Dniepr...


Un tournant dans la guerre?


L’offensive ukrainienne tant attendue pour reprendre la province de Kherson a débuté lundi, après des semaines de préparatifs et de rumeurs. Les Ukrainiens sont avares en commentaires et les fonctionnaires ont été priés de garder le silence, un signe important suggérant qu’il s’agit bien d’une opération d’envergure. Si l’initiative est sans doute importante, s’agit-il pour autant d’un tournant, comme l’espèrent l’Ukraine et ses alliés ? Trop tôt pour le dire.   

Sortir de l’impasse

Depuis fin juin et la prise par l’armée russe de Severodonetsk, le conflit s’est plus ou moins figé, sans initiatives opérationnelles importantes d’un côté comme de l’autre. Pour l’Ukraine, une guerre qui s’éternise est un piège mortel. L’économie nationale asphyxiée et les forces vives de la nation mobilisées, l’Ukraine a besoin d’une décision claire lui permettant de se lancer dans la reconstruction. Un conflit de haute intensité, un no man’s land géopolitique où les deux armées restent mobilisées, c’est une situation à laquelle la Russie pourrait faire face – pas l’Ukraine. Kiev est donc obligé d’ôter au gouvernement russe la volonté de continuer la guerre dans les années à venir, soit par des concessions importantes soit pas un succès sur le champ de bataille. L’offensive de Kherson est, en ce sens, un moyen de sortir de cette impasse stratégique et de montrer que le temps n’est pas du côté de la Russie.

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L’Ukraine a réussi à mettre en échec l’offensive russe sur Kiev et Kharkiv, d’abord, et ensuite, à stopper les avancées russes dans le Donbass à l’est. Mais libérer de nouveaux territoires repris à la Russie et sur une grande échelle est une toute autre entreprise. Et l’Ukraine n’a pas les moyens militaires pour mener une offensive massive, percer les lignes russes, pénétrer vers les arrières, menaçant les lignes de communication et détruisant dépôts et centres de commandement russes. Les premières semaines de l’offensive russe ont d’ailleurs été une parfaite illustration de la façon dont ce genre d’opérations peuvent se transformer rapidement en débâcles coûteux. Autre contrainte, la Russie n’a pas perdu les semaines de l’été et s’est lancée dans un effort de mobilisation. Des nouvelles unités ont été créées et équipées, et un nouveau corps d’armée, composé pour l’essentiel de volontaires, va être déployé bientôt. D’autres suivront et la Russie peut reprendre l’initiative. L’Etat-major ukrainien a donc décidé de lancer une opération visant l’écroulement de l’ennemi par asphyxie logistique plutôt que par le choc des armes et la supériorité numérique sur le front. Les Ukrainiens entendent faire la guerre un peu comme les porcs-épics font l’amour : lentement et avec beaucoup de précautions.

Des frappes de précision depuis des semaines

La grande idée est d’appuyer sur la faiblesse russe à Kherson : entre la ville et les bases-arrières russes en Crimée coulent le Dniepr et ses affluents. Or, l’approvisionnement de Kherson dépend essentiellement de quelques ponts. Le plan ukrainien consiste donc à les détruire et à diminuer les capacités de ces lignes de communication et grignoter les stocks russes existants de carburant et munitions. Dans cette logique, on peut dire qu’en effet, l’offensive ukrainienne a commencé il y a déjà plusieurs semaines par une série de frappes de précision contre les dépôts d’armes et les aérodromes russes, évènements devenus depuis quasi-quotidiens. L’Ukraine a également labouré les défenses aériennes russes en Crimée, peut-être pour ouvrir la voie à de nouvelles attaques et pour forcer la Russie à déplacer certains de ses systèmes de Kherson vers la péninsule occupée… Les récentes indications selon lesquelles la Russie a retiré une batterie S-300 de Syrie et l’a transférée dans un port près de la Crimée peuvent être un signe que ses défenses aériennes sont effectivement trop éparpillées.

Moral et logistique

Ainsi, bien que la Russie ait été en mesure d’accumuler des renforts dans le sud, les forces au nord et à l’ouest du Dniepr ont un problème de ravitaillement. Et depuis le lancement des offensives ukrainiennes lundi dernier, la consommation russe augmente et avec elle son déficit logistique. Les premiers jours de la nouvelle offensive mettront à l’épreuve la cohésion et le moral des forces russes non seulement face au feu ukrainien mais aussi face à leur problème de réapprovisionnement en munitions, carburants, eau potable et enfin nourriture et médicaments.

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Les prochains jours et semaines de l’opération permettront de voir si le pari ukrainien est gagnant, si l’intendance russe arrive à suivre et si les dégâts causés par l’élargissement des frappes de précision ukrainiennes ont des conséquences stratégiques. Lorsque les lignes d’approvisionnement s’effondrent, les lignes défensives ont tendance à suivre. Ces deux facteurs principaux, le moral et la logistique, sont les deux éléments clés invisibles qui peuvent faire de l’offensive de Kherson un succès ou une défaite, et permettre à l’Ukraine de prendre l’initiative. Néanmoins, même si les Ukrainiens réussissent à prendre Kherson, la question de la suite se posera. Kiev n’a pas les moyens de mettre le Dniepr derrière son armée et de poursuivre les Russes vers la Crimée.

Une victoire à Kherson serait très importante pour le moral des Ukrainiens et rassurerait leurs alliés, mais il est loin d’être sûr qu’elle obligerait Poutine à négocier un accord de paix acceptable pour les électeurs ukrainiens qui ne manqueraient pas d’être amenés à se prononcer lors d’un référendum ou de nouvelles élections.




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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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