À l’occasion de la sortie de Génération Hussards de Marc Dambre (Perrin), Thomas Morales nous parle de ces écrivains iconoclastes et indispensables…
Pourquoi aimons-nous tant cette génération dite des « Hussards » qui regroupe arbitrairement Nimier, Blondin, Laurent, Déon et consorts ? Parce qu’elle est disqualifiée par la critique officielle et dominante. Parce qu’elle a perdu le combat littéraire dès les années 1950, en prônant une forme de désenchantement qui va de l’amertume à la farce, du pamphlet au vitriol à l’autofiction pleine de larmes. Parce qu’elle tentait d’écrire dans un français honorable et débarrassé de ses afféteries modeuses.
Parce qu’elle était issue d’une classe sociale conspuée, la bourgeoisie de droite désargentée et indisciplinée, qui eut très tôt le sentiment du déclassement et d’être née trop tard pour peser sur les affaires du pays. Parce qu’elle est encore largement ignorée par l’Université et dégage un parfum de soufre dans les librairies de France. Parce qu’elle est disparate, incohérente en son sein, nostalgique et triste, héritière d’un profond malaise familial et qu’elle ne promeut aucun mouvement de libération. Parce qu’elle n’apporte aucune solution aux peuples opprimés, seules les âmes en peine peuvent y trouver un peu de réconfort souvent grinçant.
Egocentriques?
Dans le jargon éditorial qui veut faire de l’écrivain un coach de vie, un tuteur de l’existence, un guide spirituel, les Hussards ne servent donc strictement à rien, ils n’émancipent pas l’Homme par des écrits éclairants, ils ne l’instrumentalisent pas à des fins commerciales, ils courent sur la page blanche à la recherche de leur propre salut. Ils sont modestes quant à la destinée de leurs livres et, à la fois, égocentriques dans leur dessein d’écrivain. Ils y mettent un désespoir rageur et un soin d’esthètes.
Ils savent que la littérature est, par nature, ingrate et mensongère, et que pour en tirer une quelconque satisfaction, il faut s’abimer, s’user sur son écritoire. Ils sont l’essence même d’une littérature inutile donc suspecte, donc dangereuse, donc à étiqueter comme un paquet de cigarettes cancérigènes. Leurs livres inquiètent car ils flirtent avec l’onde maléfique des réprouvés que furent Céline et Morand, et puis cette absence de diktats moraux devient inconvenante dans une nation qui flique la phrase buissonnière et ne supporte plus la dissidence d’opinion.
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Cette génération ne revendiquait rien si ce n’est l’affirmation du style comme moyen d’expression premier et un individualisme abrasif. Elle n’écrivait pas en meute. Elle était légère par snobisme et courtoisie. Elle aimait les voitures rapides et les alcools forts pour mieux se protéger grossièrement des intellectuels inertes et jaloux. Elle avait le syndrome de l’insoumission car elle était rétive à l’ordre et aux statuts protégés. Elle avait le goût pour les causes perdues et les choses sacrées.
Féérie narquoise
Elle n’eut aucun impact réel sur les débats publics de son époque. Elle servit plutôt à vendre du papier magazine et de puissant répulsif pour les bonnes consciences. Elle fut poussée dans une voie de garage par ses manières au charme réactionnaire épidermique et sa façon de ne rien prendre au sérieux. Oripeau bien pratique d’une profession qui a peur de l’excommunication et de son ombre. Au mieux, certains admettaient, sous la torture, qu’elle avait un joli brin de plume mais totalement stérile et dépourvu d’un élan émancipateur. Elle n’avait pas vocation à corriger ses lecteurs ou à les sermonner. Elle ne professait rien. Elle ne travaillait ni pour un parti, ni pour une idéologie bien définie. Si elle a pu se réunir sporadiquement sur quelques sujets de crispation nationale durant notamment la décolonisation, cette génération a toujours avancé seule et n’a bénéficié d’aucun soutien financier. Les plus hardis ont fini à l’Académie. Les autres sont restés célèbres pour leur excès dans les bistrots ou leur adaptation au cinéma.
Si elle devait influer sur la société, elle a raté son coup. Et puis quand cette génération d’écrivains se fit plus « politique », elle perdit de son sel, de sa distance rieuse et de son détachement souverain. Elle ennuyait quand elle utilisait les mêmes armes que ses ennemis. À se plonger dans les travers du quotidien, elle en oublia ses fondamentaux : sa force de contradiction et sa féérie narquoise. Réunir les Hussards sous une même bannière est une facilité de journaliste, chacun d’entre eux recouvrait une écriture si particulière. Je l’avoue, ma préférence va aux Hussards de seconde main, aux compagnons de route que furent Kléber Haedens, Jacques Perret et Félicien Marceau.
Génération hussards de Marc Dambre, Perrin, 432 p.
Génération Hussards: Nimier, Blondin, Laurent... Histoire d'une rébellion en littérature
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