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L’Observatoire de l’Immigration et de la démographie: un projet vital pour la nation

Depuis deux ans, l’Observatoire de l’Immigration et de la démographie oeuvre pour créer les conditions d’un débat rationnel et serein au sujet de l’immigration, en publiant des études qui fournissent l’information la plus objective possible sur cette question. Les acteurs de ce projet souhaitent aujourd’hui lui donner une plus grande envergure. Tribune.


Il y a plus de deux ans, le 15 août 2020, une tribune parue sur le site de Causeur annonçait le lancement de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie (OID) après douze mois de préparations.

La France connaît depuis plusieurs décennies des bouleversements démographiques inédits dans son Histoire. Ils sont à la fois visibles, durables et profonds, sous le double effet des dynamiques migratoires (flux nombreux venus essentiellement du continent africain, émigration d’une partie de la population active, différentiels de fécondité entre natifs et immigrés…) et endogènes (vieillissement de la population, diminution durable des naissances depuis le milieu des années 1960…). 

Ces transformations emportent des conséquences dans tous les aspects de notre vie en société : les finances publiques, la sécurité, l’emploi, les référentiels culturels et religieux, ainsi que la cohésion nationale de manière plus large. Leur perception aiguë se reflète dans les enquêtes d’opinion réalisées auprès de nos compatriotes :

  • La majeure partie des Français s’inquiètent de l’ampleur prise par les flux migratoires reçus depuis plusieurs décennies : ils sont 65% à considérer qu’il y a « trop d’immigration en France » (Institut CSA – juin 2022) ;
  • Les Français n’ont pas confiance dans les données institutionnelles sur ces questions : ils ne sont que 33% à faire confiance aux statistiques publiques sur l’immigration, soit le taux le plus bas parmi tous les sujets abordés (CEVIPOF et OPINION WAY, «Le Baromètre de la confiance politique») ;
  • Il reste difficile d’aborder posément ces enjeux majeurs : pour 84% des Français, « l’immigration est un sujet dont on ne peut pas parler sereinement » («Le regard des Français sur l’immigration», enquête IFOP, 2018)

C’est pourquoi il nous est apparu nécessaire de mettre à disposition des citoyens, avertis ou non, mais également des décideurs, une plateforme d’information objective, sourcée, actualisée et pluridisciplinaire, permettant de faire émerger un diagnostic partagé de la situation ainsi qu’un débat rationnel et dépassionné. Cela avec une double ligne de conduite :

  • L’indépendance complète à l’égard de tout parti ou courant politique ;
  • Une rigueur et un sérieux technique irréprochables, puisant aux meilleurs sources disponibles et vérifiées : statistiques françaises et internationales, études universitaires et travaux d’experts reconnus.

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En deux ans d’existence, nous avons publié plus d’une vingtaine de notes inédites, dont certaines font référence dans leur domaine. C’est par exemple le cas de notre monographie sur l’immigration des Algériens en France

D’autres publications, comme notre étude-révélation des cartes de France Stratégie sur la « ségrégation urbaine » (dévoilant la mutation démographique rapide générée par l’immigration extra-européenne dans les grandes et moyennes agglomérations) ou notre bilan migratoire du premier quinquennat Macron ont eu une résonance telle qu’ils ont donné lieu à de nombreuses reprises dans les grands médias, de l’audiovisuel et de la presse écrite, ainsi que par des responsables politiques de premier plan. 

Nous avons également publié plusieurs entretiens inédits que nous ont accordé des hauts fonctionnaires, professeurs d’université et chercheurs émérites. En parallèle, notre site internet comptabilise plusieurs centaines de milliers de vues et notre compte Twitter a dépassé les 13 000 abonnés.

L’OID existe aussi grâce aux grands noms qui lui font confiance. Citons en particulier les membres de son Conseil d’orientation – composé de Pierre Brochand, ambassadeur de France et ancien directeur de la DGSE ; de Michel Aubouin, ancien préfet, inspecteur général de l’administration et directeur de l’accueil et du séjour des étrangers au Ministère de l’Intérieur ; du recteur Gérard-François Dumont, démographe de renommée internationale et président de l’association Population & Avenir. Nous remercions également les magazines Causeur et Marianne, qui ont publié nos analyses dans leurs éditions papier ou sur leur site internet.

Tout ce chemin a été parcouru par notre équipe bénévole. Nous y avons déployé une énergie importante ainsi que l’essentiel de notre temps libre ces deux dernières années. Nous avons fait fonctionner l’Observatoire sans aucun moyen financier autre que nos deniers propres, et sans publicité autre que celle que nos lecteurs ont bien voulu lui faire, en s’abonnant à nos réseaux sociaux et en relayant nos publications et travaux. 

Pour toutes ces raisons, nous souhaitons aujourd’hui faire passer un cap à l’Observatoire de l’immigration et de la démographie, afin de mieux le structurer et le professionnaliser. 

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Nous souhaitons proposer au grand public comme aux décideurs des études inédites, plus nombreuses et plus approfondies, ainsi que de nouveaux formats de productions – en développant des contenus vidéos et en travaillant à l’édition d’un livre de référence sur ces enjeux vitaux. Nous souhaitons également renforcer la visibilité de nos travaux en élargissant notre audience sur internet. Enfin, nous considérons comme primordial que l’OID puisse se doter prochainement d’un porte-parole, qui sera le visage et la voix de l’Observatoire sur la scène médiatique. 

Ce changement d’échelle est indispensable pour nous permettre d’aller plus vite, plus loin. Il est mu par le sentiment d’urgence qui étreint nombre de Français devant les défis immenses qui sont face à nous. « La démographie c’est le destin », aurait fameusement écrit Auguste Comte.

Cette démarche nécessite des moyens matériels dont nous ne disposons pas à ce jour. D’autres laboratoires d’idées sont financés par l’argent du contribuable ou de grandes entreprises : ce n’est pas notre cas. 

C’est pourquoi la pérennité et la croissance de l’Observatoire ne peuvent être envisagées qu’avec le soutien financier – même modeste – de ceux qui nous lisent, nous suivent, apprécient la qualité de notre travail, qui partagent notre volonté d’éclairer le débat en matière d’immigration et de démographie, et d’infléchir fortement les politiques menées sur ce terrain.

Si la moitié de nos abonnés sur les réseaux sociaux nous aidaient à hauteur de 10 euros (soit 3,33 euros après déduction d’impôts), cela permettrait de financer la moitié de nos actions. C’est pourquoi chaque soutien financier apportera une pierre supplémentaire à l’édifice qu’est devenu l’OID, grâce à ses lecteurs, son conseil d’orientation, ses soutiens et, demain, ses financeurs. Ce soutien peut être effectué directement via notre site : https://observatoire-immigration.fr/soutenir-loid/

Nous remercions par avance de tout cœur ceux qui croient en ce projet – comme nous y croyons depuis plus de deux ans – de la contribution qu’ils voudront bien lui apporter. Qu’ils soient assurés en retour de notre dévouement sans faille !

Bien fidèlement,

L’Observatoire de l’immigration et de la démographie

Et si Malraux avait eu tort?

Il y a soixante ans, André Malraux a fait recouvrir par Marc Chagall le plafond peint par Jules Lenepveu à l’Opéra de Paris, sans doute le plus beau de la capital. A Angers, une exposition rend hommage à ce peintre admiré par Charles Garnier et oublié par la modernité.


Nous sommes en 1960. Malraux accompagne de Gaulle à une soirée de gala à l’Opéra. Le ministre s’ennuie à mourir. Ce n’est pas son truc, l’art lyrique. Il regarde le plafond, œuvre de Lenepveu, et c’est une nouvelle déception. Pouah ! C’est « académique », c’est de l’« art officiel ». Il lui vient alors l’idée de rafraîchir ce décor comme on change un vieux papier peint. À l’époque, la charte de Venise[1] n’existe pas et le ministre chargé du patrimoine peut librement vandaliser ce patrimoine ancien pour le remplacer par des œuvres modernes, plus à son goût.

Crinoline ou robe d’été ?

Dès l’entracte, Malraux téléphone à Chagall. Ils sont amis et se sont déjà rendu des services. Le ministre veut que le peintre repeigne par-dessus ces vieilleries quelque chose de « nouveau ». Chagall accepte sans états d’âme, mais le projet suscite une tempête de protestations internationales. Malraux n’a cure des grincheux et autres passéistes. Cependant, il consent à ce que Chagall ne peigne pas directement sur la toile existante, mais sur une coque qui pourra être déposée, si les goûts changent. L’hostilité au projet est telle que l’artiste, qui travaille avec trois décorateurs de théâtre pour agrandir son modèle préparatoire, doit le faire dans un hangar tenu secret et gardé par l’armée !

Contrairement à la peinture d’origine qui laisse des plages de respiration, notamment une vaste lacune au centre, Chagall bourre tout l’espace disponible. Finalement, le nouveau plafond de l’Opéra est inauguré en septembre 1964. Une bonne partie du public apprécie toutefois le changement, à la façon d’une robe d’été multicolore remplaçant sans chichis les lourdes crinolines du Second Empire. Il faut d’ailleurs reconnaître que le plafond de Chagall n’est pas dénué de charme.

Lenepveu, sinon rien

La peinture camouflée est d’un certain Jules Lenepveu (1819-1898). Est-elle donc si mauvaise ? On ne peut répondre à la question sans difficulté : aucune photo convenable n’a été prise avant qu’elle soit recouverte. Nous n’avons que des clichés flous et sombres. Cependant, grâce à l’exposition d’Angers, on peut penser que le plafond d’origine était somptueux et parfaitement légitime. Un modèle réduit, peint par l’artiste lui-même, permet de se forger cette opinion. On y voit une ronde tumultueuse de corps et de drapés, brillamment rythmée de contrastes et de couleurs. C’est beaucoup plus frais, vif et élégant que sur les mauvaises photos.

Ensuite, on sait que l’intervention de Lenepveu, à cet endroit, est cruciale pour Garnier. L’architecte admire ce peintre qui excelle dans les plafonds à perspective aérienne, et écrit même un livre sur lui. Pour la coupole, ce sera Lenepveu et personne d’autre. La forme de la voûte est d’ailleurs spécialement conçue pour cet artiste. Ce plafond fait – ou plutôt faisait –figure de couronnement de l’Opéra Garnier.

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Le choc des dessins

La rétrospective de Lenepveu permet de prendre toute la mesure de cette peinture, réalisée pour un monument qui se voulait une œuvre d’art total. On y voit le dessin préparatoire réalisé à taille réelle, c’est-à-dire immense. Lenepveu reporte ses tracés au poncif (une roulette dentée faisant de petits trous dans le papier). Quand on est face à ces vastes feuilles, c’est un choc. Une belle chorégraphie s’y déploie en une ronde bien ordonnancée. Il y a là tout le style et la saveur d’une époque. C’est académique si l’on veut, mais d’un académisme lyrique et magnifiquement composé. Surtout – et c’est là le plus important –, c’est en parfaite harmonie avec l’architecture et la décoration intérieure de l’Opéra Garnier.

L’histoire de l’art manipulée

Pour comprendre cette étrange affaire du plafond de l’Opéra, il faut essayer de saisir l’état d’esprit dans lequel étaient Malraux et un certain nombre de gens dans les années 1960. Rien de mieux pour cela que de se plonger dans les écrits du ministre-écrivain, notamment les trois grands essais sur l’art qu’il rédige après avoir quitté la Rue de Valois (Le Surnaturel, L’Irréel, L’Intemporel).

Une chose saute aux yeux rien qu’en feuilletant ces ouvrages : l’auteur se passionne prioritairement pour les peintres primitifs, les arts premiers et l’art moderne. Il aime que l’art ne soit ni trop réaliste ni trop habile, pour permettre à la « spiritualité » de se déployer à son aise. C’est bien son droit. Cependant, à force de théoriser sur la supériorité de ces trois familles (les deux premières annonçant la troisième), on comprend qu’il réécrit tout bonnement l’histoire de l’art en défense de la modernité. En effet, en dehors de ces trois domaines, s’étend pour lui une vaste jachère qui englobe presque tout l’art occidental. Certes, Malraux cite ici et là quelques artistes célèbres comme Titien, Rembrandt ou Goya, mais dans l’ensemble, il fait preuve de peu d’originalité dans ses choix et ne les approfondit guère.

Avec la deuxième partie du xixe siècle, il en arrive à un traitement extraordinairement différencié : d’un côté, il consacre comme grands génies les artistes liés à la modernité (impressionnistes et suiveurs), de l’autre, il dénigre ou ignore tout le reste. La riche civilisation de la Belle Époque n’est pour lui qu’infélicité et calamité des « pompiers ». Ses écrits, qui ont eu énormément d’influence, expliquent sa manie des remplacements à l’Opéra, à l’Odéon, au Louvre, à Notre-Dame et en de nombreux autres endroits, sans parler des édifices qu’il prévoyait de raser, comme le futur musée d’Orsay ou le Grand Palais. En fin de compte, Malraux a contribué à l’oubli et à la destruction partiels d’une des plus brillantes périodes de notre histoire de l’art.

Personne n’envisage pour le moment de restituer le plafond d’origine de l’Opéra par Lenepveu, mais on peut aller en rêver à Angers.

À voir absolument : « Jules-Eugène Lenepveu, peintre du monumental », musée des Beaux-Arts d’Angers, jusqu’au 8 janvier 2023.


[1] Accord international régissant depuis 1964 la conservation et la restauration des monuments.

Cyril Hanouna: comprendre, contredire sans mépriser!

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Cyril Hanouna, un blâme mal placé : à défaut de la forme, le fond d’une pensée exprimée commune à beaucoup de Français.


N’en déplaise à tous ceux qui n’aiment pas Cyril Hanouna parce qu’ils le jugent vulgaire et simpliste, je persiste à vouloir le défendre parce qu’il a du talent et que par exemple dans les émissions politiques dont il a eu la charge, il a été largement à la hauteur des journalistes spécialisés. Il nous a fait connaître au moins aussi bien qu’eux les personnalités invitées. Certes, c’était moins classique mais par certains côtés beaucoup plus enrichissant.

Je suis d’ailleurs toujours réservé quand des animateurs médiatiques très suivis pâtissent d’un opprobre moins parce qu’ils seraient médiocres qu’à cause de leur volonté d’intervenir dans une chasse gardée.

Cyril Hanouna s’est vu gravement reprocher, notamment par le garde des Sceaux sur France 5, les choix de ses sujets dans TPMP (Touche pas à mon poste!), hier sur Lola puis plus récemment sur la mort de Justine. Et d’avoir traité le sujet Lola sur un mode « moyenâgeux » en ignorant ce que l’État de droit avait apporté à la civilisation.

Je ne vois pas au nom de quoi Cyril Hanouna serait à blâmer. Articulant sa programmation sur l’actualité même la pire, il est conduit à proposer des débats dont, je l’admets, la nuance n’est pas le fort, ni la profondeur l’élément central. Mais une majorité de citoyens (même ceux dédaignant TPMP) est passionnée par ces tragédies criminelles qui projettent une lumière sombre sur certaines natures humaines.

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Cyril Hanouna s’est fait vertement rabrouer pour avoir eu sur Lola «une réaction de père de famille». Il est allé jusqu’à dire que celle qui avait commis le viol et le meurtre ne devait pas être défendue et que peu importait son état mental. Une réaction brute, immédiate, instinctive, ne correspondant pas aux critères de l’humanisme élégant.

Cyril Hanouna était loin d’être désaccordé avec un sentiment populaire qui, même quand la Justice n’a pas été fautive, n’hésite plus à se faire justice soi-même: ce qui s’est déroulé à Roanne ultérieurement l’a démontré.

Ses propos à l’emporte-pièce ont exprimé en effet l’empathie d’un père et la colère d’un citoyen. Il est clair qu’il a eu doublement tort. D’abord parce que leur teneur est critiquable, ensuite parce que, sur TPMP, son influence est telle qu’il ne peut se permettre de proférer n’importe quoi qui offenserait la base de l’État de droit. Il convient en revanche de répudier tout mépris à l’égard de Cyril Hanouna. Je suis convaincu que s’il est tellement rétif et susceptible face à certaines mises en cause, c’est parce qu’il ne supporte pas le mépris dont les belles âmes l’accablent trop volontiers. Sans lui, il écouterait davantage ses contradicteurs.

Je ne serai jamais de ces belles âmes-là.

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La Mrs Robinson du lycée : après un chagrin d’amour une conseillère pédagogique d’éducation se convertit en professeur d’anatomie.


La CPE (conseillère pédagogique d’éducation) d’un lycée de Seine-et-Marne comparaissait devant le tribunal de Meaux le 12 octobre pour avoir entretenu des relations sexuelles avec deux élèves de l’établissement. Rappelons qu’au-delà de toute considération morale, l’acte n’est pénalement condamnable que si la victime est mineure. La genèse de cette affaire remonte à juin lorsque la secrétaire de direction du lycée en question dépose un signalement accusant la CPE d’avoir entretenu une liaison avec des lycéens l’année précédente. Quels sont les éléments qui viennent étayer ces accusations ? Un surveillant de l’établissement, ex-compagnon de la CPE, aurait transmis à la secrétaire une vidéo sur laquelle on voyait l’accusée en pleine action avec un élève. À la barre, la CPE a reconnu avoir mal vécu l’arrêt de son histoire d’amour avec ce surveillant, elle s’est donc laissée aller à séduire un élève majeur de terminale. Ce dernier, présent au procès, a témoigné en affirmant qu’il désirait « coucher avec une femme plus âgée ». Après y être parvenu, il n’a pas pu s’empêcher de relater cette expérience à ses amis. L’un d’entre eux a saisi la balle au bond et s’est rapproché de la conseillère, mais cette dernière l’a rabroué en raison de sa minorité. Pourtant, début juillet 2021, avant la publication des résultats du bac, les deux élèves se sont rendus au domicile de la CPE et cette dernière a eu un rapport sexuel avec le deuxième lycéen, le tout filmé par le premier. Au tribunal, elle précisa : « Je n’aurais jamais dû accepter, c’est vrai ! Mais je n’ai jamais usé de ma position de CPE pour cela ». En effet, les deux garçons n’avaient pas l’air sous emprise. Mise à pied par l’Éducation nationale en juin de cette année, la CPE a été relaxée par le tribunal en première instance. N’ayez crainte pour le modèle français, y compris au sein de l’école où les abayas, qamis et hijabs sont de plus en plus présents : une minorité d’irréductibles Gaulois défend le libertinage.

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Génération identitaire, justice arbitraire

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En 2018, des militants de Génération identitaire ont investi les locaux de SOS Méditerranée à Marseille. Une opération médiatique et pacifique, comme toutes celles de l’association désormais dissoute. Mais jugés à la mi-octobre, les prévenus ont été présentés par la presse et les magistrats comme de dangereux individus hyper violents.


Le 5 octobre 2018, 22 activistes du groupe Génération identitaire, qui était au grand remplacement ce que Greenpeace est au réchauffement climatique (avant d’être dissous par Gérald Darmanin), frappaient à la porte des bureaux marseillais de l’association SOS Méditerranée et s’y engouffraient pour investir les locaux et déployer aux fenêtres une banderole : « SOS Méditerranée complice du trafic d’êtres humains ».

Une fois de plus, comme ils l’avaient fait en occupant, le temps d’une photo, le toit d’une mosquée en construction à Poitiers ou le bâtiment de la Caisse d’allocations familiales de Bobigny, comme ils avaient pris position sur un col alpin devenu un passage fréquenté par des migrants, ils avaient ce jour-là mené une « opération d’agit-prop », un « happening médiatique » pour attirer l’attention des médias ou des citoyens sur l’absence de frontières, l’islamisation et les allocs, soit tout ce qui provoque et favorise l’invasion migratoire en cours. Dans un entretien donné à Causeur, Thaïs d’Escufon, ancienne porte-parole du mouvement, précisait que Génération identitaire a toujours été stricte sur le caractère pacifique de ses actions, écartant les têtes brûlées qui avaient envie d’en découdre : « Pour moi, non seulement la violence est contre-productive, mais elle est moralement illégitime. Je crois toujours à la démocratie ».

Curieusement, quand SOS racisme utilisait les mêmes méthodes, non violentes et bruyantes, cela ne suscitait ni procès ni offuscations étranglées.

Comme chacune des opérations de Génération identitaire, celle-ci fut donc visible et percutante, mais pacifique. L’objectif était de dénoncer les pratiques d’une association qui répète dans tous les médias qu’elle sauve des migrants chiffres à l’appui, ce qui lui permet de récolter dons et subventions, en oubliant de préciser que ces sauvetages consistent à récupérer des futurs clandestins à quelques encablures des côtes libyennes pour les amener en Europe quand ils pourraient tout aussi bien les sauver de la noyade en les ramenant en Tunisie ou en Algérie. D’après Thaïs d’Escufon, qui participait à l’opération, les militants identitaires ont rassuré les sept salariés de l’ONG présents ce jour-là sur leurs intentions, notamment deux qui, pris de peur, s’étaient enfermés dans les toilettes ; ils leur ont laissé la possibilité de rester sur place ou de quitter les lieux et ont allumé leurs fumigènes aux fenêtres en attendant la police, puis se sont laissé embarquer sans opposer de résistance. La jeune femme ajoutait que les policiers marseillais, qui ne s’exprimeront pas, semblaient agréablement surpris d’avoir affaire à des jeunes gens respectueux et bien élevés. Les identitaires furent libérés après une garde à vue de quarante-huit heures. Leur procès pour « participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences » et « violences en réunion », intenté par SOS Méditerranée et par l’association antiraciste La Maison des potes, a eu lieu devant le tribunal correctionnel de Marseille du 17 au 19 octobre – trois jours d’audience, tout de même : beaucoup de vrais malfrats ont le droit à beaucoup moins d’attention de la justice.

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Interrogée par France Info au moment des faits, la présidente de l’ONG déclarait : « L’action s’est déroulée sans violence ». Il semble qu’en quatre ans, ses souvenirs et ceux des autres témoins aient radicalement changé et qu’avec le temps, les « victimes » de l’occupation se soient découvert des traumatismes.

François Thomas, président actuel de SOS Méditerranée, estimant peut-être que les propos un peu trop sobres de la responsable présente au moment des faits manquaient de dramaturgie, affirme pour sa part : « Les salariés ont subi un traumatisme grave et profond. Cela a entraîné plusieurs semaines d’ITT, l’adaptation des plans de travail et la mise en place d’un soutien psychologique. Lors de cette attaque violente dans les locaux de l’association, des salariés ont reçu des coups, d’autres ont été retenus contre leur gré, nous avons tous été extrêmement choqués et traumatisés par cette intrusion en mode “commando” et l’utilisation d’une telle violence ».

Au procès, les témoins interrogés par l’avocat, Me Cambiaire, rivalisent dans la victimisation. Il ouvre le bal en déclarant : « Un membre de SOS Méditerranée a été ceinturé, d’autres bousculés, des coups ont été portés. Plusieurs des victimes ont fait constater des ecchymoses. Mais les dégâts sont aussi psychologiques. Ils étaient attaqués et, vu la période, ont tout de suite pensé à un attentat. Quatre ans après les faits, les victimes restent profondément choquées ». Quel traumatisme, en effet, que cette intrusion pacifique pour des gens qui n’ont pas peur d’affronter les dangers de la mer… Puis les salariés prennent le relais. La directrice, Sophie Beau, la même qui décrivait au lendemain de l’intrusion une action sans violence, déclare à la barre « être habituée aux situations très violentes lors de ses missions humanitaires, notamment un vol à main armée au Sierra Leone ». Elle dit pourtant avoir été « totalement choquée », en particulier lorsqu’un de ses collègues, le seul homme présent à SOS Méditerranée ce jour-là, a tenté de s’interposer : « J’ai cru que c’était un attentat, que mon collègue allait mourir ». « C’est la première fois que je me suis sentie ciblée comme humanitaire », insiste Sophie Beau, oubliant soudainement le Sierra Leone. Si elle se souvient avoir été violemment éjectée hors de l’appartement, dans les escaliers, la directrice de l’ONG a « un moment d’amnésie » : elle a totalement oublié avoir été « plaquée contre un mur », ce que lui ont rapporté ses collègues.

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Une autre salariée qui s’est retrouvée en présence d’une quinzaine de militants dans son bureau, qu’elle a refusé de quitter, ne comprenant pas « qui ils étaient ni ce qu’ils voulaient » décrit la scène dans la presse. La plus jeune des militantes identitaires, Flora Salacroup, 18 ans au moment des faits, « a poussé la porte ultra violemment et m’a projetée sur l’armoire ». La salariée décrit un groupe « très organisé, avec certains qui me hurlaient dessus et d’autres qui tentaient de me rassurer ». Machiavéliques, les identitaires avaient décidé par avance qui jouerait le bon flic et qui le mauvais. Par crainte de représailles, la jeune femme préfère être citée anonymement.

À un moment, poursuit-elle, deux femmes du « commando » identitaire, dont Flora Salacroup, l’ont tirée par le bras pour la faire tomber de sa chaise : pendant plusieurs mois son épaule restera douloureuse. À la barre, cette victime révèle aussi qu’elle était enceinte au moment des faits : « J’ai perdu cet enfant deux semaines plus tard, lâche-t-elle, en pleurs. Bien sûr on ne pourra jamais prouver que c’est dû à l’attaque, mais pour moi, toute ma vie, ce sera lié à cet événement ».

Flora Salacroup se défend : « On n’a traumatisé personne ». Apparemment, la parole des prévenus n’intéresse pas grand-monde. Et certainement pas la presse qui rivalise dans les formules grandiloquentes : « Une ONG prise d’assaut par des militants radicaux d’extrême droite, venus crier leur message raciste et anti-islam » ou encore « Derrière l’apparence proprette et les masques souriants, Génération identitaire, c’est le visage hideux de la haine ».

Dans son réquisitoire, le procureur de la République, Ahmed Chafaï qualifie le groupe de « quasi-association de malfaiteurs ». Il ne manque que le terrorisme…

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Mais ce n’est pas tout. À l’audience, tout ce théâtre aux exagérations bien marseillaises fait sourire les accusés. Oui, rendez vous compte, ils sourient. Cela leur est reproché par les magistrats qui évoquent dans leur jugement « une certaine désinvolture et un manque de prise de conscience de la gravité des faits ». Le Parquet a estimé que ce comportement ne permettait pas aux victimes de se reconstruire. On aurait dû créer une cellule d’aide psychologique.

Thaïs d’Escufon dénonce un « tissu de mensonges » relevant « de l’acharnement politique et non du juridique ».

Reconnus coupables de « violences en réunion », ils écopent de condamnations sévères. Porte-parole de Génération identitaire, Romain Espino est condamné à la peine la plus lourde, un an de prison ferme, aménagée en détention à domicile sous surveillance électronique. Franck Dunas se voit infliger six mois de prison ferme à purger avec un bracelet électronique, un an de prison avec sursis pour Johan Salacroup, et huit mois avec sursis pour Jérémie Piano, candidat Reconquête et pour Peter Sterligov, ancien légionnaire d’origine russe, responsable des services techniques de la ville (Rassemblement national) de Beaucaire, dans le Gard. Huit mois de prison avec sursis pour Thaïs d’Escufon, cinq ans d’inéligibilité contre cinq prévenus et dix-sept mesures d’interdiction de séjour à Marseille pendant trois ans. Enfin, les condamnés doivent indemniser les salariés « blessés » pour un total de 21 000 euros et verser plus de 42 000 euros à SOS Méditerranée en réparation des préjudices économique et moral.

Thaïs d’Escufon dénonce un « tissu de mensonges » relevant « de l’acharnement politique et non du juridique ». Récemment, des clandestins investissaient l’hôtel de ville de Paris dans une opération assez similaire et ressortaient en faisant le V de la victoire après avoir été reçus et entendus, et sans être poursuivis. Si la justice est souvent laxiste, elle ne l’est pas toujours et pas pour tous.

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Iran: la convergence des colères menace le régime

Le plus récent des mouvements de contestation en Iran n’est peut-être pas destiné à mourir comme les précédents. Cette fois, le sentiment de révolte est plus général, alimenté par une série de facteurs qui vont de l’injustice du régime dans le traitement des femmes à la corruption et à l’incompétence des autorités publiques dans la gestion de la pandémie et des ressources du pays.


Depuis une quinzaine d’années la République Islamique d’Iran a été le théâtre de nombreux mouvements de contestation. Chaque fois l’étincelle qui a mis le feu aux poudres était différente. En 2009, les élections volées (« le mouvement vert » symbolisé par le slogan « où est mon vote? »), en 2019, le « Novembre Sanglant » (qui a fait selon Amnesty 1500 morts en quelques jours) et l’augmentation massive des prix de carburants. Mais au-delà de la cause immédiate, il y avait toujours en toile de fond un sentiment de ras-le-bol plus général avec le régime. Et en face, un régime qui se calcifie, de moins en moins capable de se reformer.

Un phénomène nouveau

La réponse a été toujours répressive et violente. Et malheureusement efficace. Or, depuis plusieurs semaines, nous sommes face à un phénomène nouveau. Certes, ce mouvement lancé suite à la mort de Mahsa Amini s’inscrit sur une liste de mouvements qui ne cesse de s’allonger – et de se rapprocher – mais il présente aussi des aspects tout à fait originaux.            

La première spécificité du mouvement de contestation actuelle est sa durée. Le mouvement vert de juin 2009 n’a duré qu’une quinzaine de jours et celui de novembre 2019 quelques jours (pour la phase active de manifestations), avant que le gouvernement ne reprenne le contrôle des rues dans les principales villes touchées. En revanche, le mouvement actuel – « la révolution du voile » ou « femme, vie, liberté » (zan, zendegui, azadi) – dure déjà depuis sept semaines et semble évoluer et prendre de nouvelles expressions comme des grèves par exemple. Le mouvement mobilise les femmes (tous milieux confondus), premières touchées par la mort de la jeune femme arrêtée pour avoir mal porté son voile, mais aussi des adolescents (lycéens et lycéennes qui déchirent photos de Khomeini et manuels scolaires ou enlèvent leur voile en classe), des réformateurs marginalisés, les conservateurs au pouvoir, des dissidents politiques, des unions syndicales ainsi que les classes défavorisées, durement éprouvées par la situation économique. Mais surtout, fait nouveau et important, on voit une importante mobilisation parmi les minorités (Baloutches, Kurdes, Arabes). Ce mouvement sans précédent a également galvanisé la diaspora iranienne en Europe et Amérique du Nord.

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Et ce qui est probablement le pire du point du vu du régime, ce qu’il est « générique », c’est-à-dire sans objet précis. Il ne s’agit pas de contester des élections truquées ou la baisse du pouvoir d’achat mais d’exiger plus de libertés et des changements profonds dans le système politique. Autrement dit, la fin de la République islamique d’Iran telle qu’elle existe depuis 1979.  

Fruit d’une convergence des frustrations sociales, politiques et économiques, ce mouvement continue, plus de 40 jours après la mort de Mahsa Amini, à agiter des milieux allant bien au-delà de l’habituelle jeunesse universitaire. Mobile, polymorphe et sans leadership, la contestation est un véritable défi pour le régime qui, par réflexe et habitude, tente de confisquer le mouvement. Comme toujours, la liquidation systématique de toute opposition pouvant négocier avec le régime (en même temps que le menaçant, en proposant une alternative identifiée et crédible) rend chaque « round » de protestation plus radical et moins saisissable. 

Le contexte international est lui aussi très différent de celui des précédents mouvements de contestation. La République islamique d’Iran, malgré la volonté de l’administration Biden, ne souhaite ou ne peut négocier un nouvel accord sur le nucléaire. L’allié de circonstance russe, englué en Ukraine, entraine la République islamique d’Iran dans cette crise, la rendant complice par la livraison d’armements utilisés pour terroriser les civils ukrainiens.

Injustice et incompétence

A l’intérieur du pays, aux difficultés économiques liées aux sanctions et aggravées par une gestion calamiteuse des ressources naturelles, s’ajoute une exaspération suscitée par l’incompétence des pouvoirs publics, le favoritisme, la corruption et ce népotisme oligarchique incestueux.

Cette atmosphère explosive fait suite à une série d’événements qui ont heurté l’opinion: l’effondrement de la Tour Métropole, à Abadan, le 23 mai 2022, faisant au moins 43 morts et de nombreux blessés. Suite à la catastrophe, pendant plus d’une semaine, des milliers de personnes sont descendues dans les rues de cette ville de la province du Khouzistan, riche en pétrole, dans le sud-ouest de l’Iran. Ils ont scandé des slogans contre le régime, les responsables locaux et l’entrepreneur, proche du régime corrompu, qui est responsable du projet de construction défectueux ayant conduit à l’effondrement de la tour.Les habitants d’autres villes de la province, ainsi que d’autres régions et Téhéran, ont également manifesté contre le régime en signe de solidarité avec les habitants d’Abadan.

Plus généralement, ces sentiments d’injustice sont nourris par des affaires à répétition comme par exemple le détournement de fonds astronomique (des milliards de dollars en trois ans) au sein du groupe public sidérurgique, Foulad Mobarakeh, près d’Ispahan. Jadis fleuron de la sidérurgie avant la Révolution, l’entreprise stratégique est devenue une aberration écologique et une pompe à fric pour ses dirigeants.

Et bien sûr, les Iraniens se souviennent toujours des mensonges et de l’incompétence généralisée dans la lutte contre la pandémie du Covid 19 qui a frappé très fortement le pays. L’accès aux vaccins américains et européens était réservé à la nomenclature, les autres devaient attendre l’importation tardive de vaccins chinois Sinopharm et l’arrivée d’un vaccin  développé en coopération avec Cuba. Enfin, dans une affaire qui n’est pas sans rappeler ce qui allait advenir deux mois plus tard à Mhasa Amini, l’arrestation en juillet d’une jeune intellectuelle Sepideh Rashno, maltraitée et forcée à se repentir publiquement sur un plateau de télévision pour avoir été filmée en « mauvais hijab » et dénoncée par une ultra conservatrice, fille d’un dignitaire du régime.

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Le décès de  Mahsa Amini a déclenché un effet papillon : Mahsa était une jeune femme de 22 ans originaire d’une petite ville de province, Saghez, dans le Kurdistan iranien (ouest de l’Iran, près de la frontière irakienne), de la petite classe moyenne (père fonctionnaire, mère femme au foyer). Le 13 septembre, en vacances et de passage à Téhéran avec son frère, après un séjour au bord de la Mer Caspienne, la jeune femme, qui se préparait à faire son droit, est arrêtée à la sortie d’une station de métro par la police des mœurs. Devant son frère désemparée qui supplie les agents d’épargner sa sœur, elle est montée de force dans le fourgon, direction le lugubre « centre des mœurs » (monkerat) du quartier de Vozara dans le centre de Téhéran. Décédée trois jours plus tard, la nouvelle de sa mort est reprise par la journaliste Niloufar Hamedi (du quotidien Shargh, « Est »), arrêtée depuis. Spontanément, un premier rassemblement a lieu à Téhéran. Ses parents refusent la thèse de la mort naturelle et ne cèdent pas aux pressions des autorités pour avouer l’existence d’une maladie chronique qui expliquerait sa mort. L’enterrement de Mahsa Aminin, le 16 septembre dans sa ville natale, a vu les premières contestations anti-régime.  

Les parents ainsi que son frère prennent la parole pour contester la version officielle et exigent une enquête indépendante. Dès lors, le pays, du Kurdistan au Baloutchistan iranien, devient le théâtre de manifestations continues qui n’ont jamais cessé.

Pour illustrer la polymorphie de ce mouvement, nous pouvons nous intéresser à son expression dans les universités d’élite, dans la ville conservatrice de Mashad ainsi que dans la ville nouvelle de Chitgar en banlieue de Téhéran.

Les Bassidjis (la milice de la République islamique d’Iran), très présents dans les universités grâce à  des quotas (contrairement aux étudiants sélectionnés sur concours), sont bien placés quand un mouvement de désobéissance civile se met en place, dans le sillon du mouvement, afin d’imposer la mixité à la cafétéria. Ainsi, le 24 octobre, les Bassidjis envahissent les locaux et empêchent l’imposition de la mixité. Une altercation physique s’ensuit et les étudiants finissent par déloger les Bassidjis et remettent les lieux en état. Une cagnotte est également ouverte par les étudiants afin de rembourser les dégâts causés par l’altercation. Le surlendemain, le restaurant est fermé mais le personnel de la cantine organise le service à l’extérieur et les étudiants organisent un pique-nique mixte comme un pied de nez au Bassidjis.

La révolte académique

Le 20 octobre, l’ordre des médecins de la très conservatrice ville sainte de Mashad, lieu de sépulture de l’imam Réza ainsi que de Haroun Al-Rashid, a organisé une session extraordinaire rassemblant 400 confrères. Pendant cette session est publié un manifeste qui exige des autorités la prise en compte de l’ensemble des revendications exprimées depuis le 16 septembre. Des discours forts sont également prononcés dont un par une femme médecin dévoilée.

Le 27 octobre, une marée humaine nocturne inonde les espaces publics de la ville nouvelle de Chitgar en périphérie de Téhéran pour manifester contre le régime. Cette ville modèle dont l’ambition remonte aux années du Shah, construite par une entreprise proche du ministère de l’énergie dans les années 2010, est habitée par les nouvelles classes aisées urbaines qui n’appartiennent pas à l’élite politico-économique et ne sont pas davantage issues de l’ancien régime. Elles représentent une certaine classe moyenne qui a également beaucoup à perdre en cas de changement de régime.

Le mouvement pourrait s’éteindre mais ce ne serait pas sans laisser de traces profondes et préparer la prochaine secousse.

Les 40 jours du deuil passés, le régime montre de plus en plus de signes d’impatience. Ainsi, Hossein Salami, le commandant en chef des Gardiens de la Révolution, à l’occasion des funérailles des victimes de l’attentat de la mosquée Shahcherag à Shiraz, a sommé la population de ne plus descendre dans la rue. Or, ce discours arrive quand l’opinion publique perd confiance dans la parole officielle : l’attentat de Shiraz, immédiatement attribué par le régime iranien à l’Etat Islamique, est perçu par l’opinion publique comme une manœuvre de diversion perpétrée par les autorités iraniennes. Peu importe si cette thèse est vraie ou fausse, les Iraniens pensent que c’est plausible sinon probable.

Nul ne sait quelles seront les conséquences politiques de ce mouvement de contestation inédit et de si grande ampleur. Un changement de régime est évidement possible, mais pour le moment, la contestation ne semble pas menacer les intérêts vitaux du régime (pas de grève majeure dans le secteur de l’énergie, pas de ralliement des forces de l’ordre et des militaires au mouvement). Une « révolution de palais » aurait besoin de l’accord ou au moins la bienveillance de Mohammed Hussein Baqeri qui occupe actuellement le plus haut poste militaire, étant chef de l’état-major des Forces armées iraniennes (l’armée) et de son ombre, le Corps des Gardiens de la Révolution. Enfin, le mouvement pourrait s’éteindre comme ceux qui l’ont précédé mais ce ne serait pas sans laisser de traces profondes et préparer la prochaine secousse.

Pourquoi Jean-Louis Pelletier n’était pas seulement un très grand avocat…

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Hommage de Philippe Bilger à son ami avocat, Jean-Louis Pelletier.


Maître Jean-Louis Pelletier est mort le 11 octobre 2022.

Mon si cher ami a été enterré religieusement le 18 octobre à la suite d’une belle et émouvante cérémonie que le garde des Sceaux avait honorée de sa présence.

Sa famille, son épouse Bernadette, ses enfants, ses proches, dans une grande dignité, ont rendu hommage à cette personnalité exceptionnelle dont avec une tendre et délicate ironie ils ont souligné certains traits de caractère quasiment connus de tous.

Beaucoup d’avocats s’étaient déplacés et, parmi eux, quelques-uns, hommes et femmes, auxquels j’étais lié tout particulièrement et que, j’en suis persuadé, lui-même privilégiait.

Dans l’assemblée, au moins deux anciens magistrats, Didier Gallot et moi-même.

J’ai évoqué la messe dont l’ordonnancement et la tenue n’ont été perturbés que par la charge outrancière du vice-bâtonnier contre la magistrature en général, comme si c’était le lieu et le moment pour cela. Cette diatribe était aux antipodes du comportement habituel de Jean-Louis Pelletier, cet immense avocat qui n’a jamais confondu droits de la défense et détestation des magistrats.

Sa grande force était précisément de n’avoir pas besoin d’une hostilité systématique à l’égard de ceux qu’il avait à convaincre, magistrats et encore moins jurés, pour exprimer tout son talent et l’indépassable machine à convaincre qu’il était.

J’ai insisté sur la présence de Didier Gallot et la mienne pour compléter des propos et des aperçus qui auraient pu laisser croire que Jean-Louis Pelletier n’était qu’avocat, dans un registre certes brillant mais ordinaire. Alors qu’il était à mon sens bien plus et que, s’il a bien voulu m’accepter, nous accepter, mon épouse et moi, comme amis, c’était précisément parce que sa condition d’homme, sa qualité d’humain et sa lucidité de citoyen dépassaient largement le champ étroit et technique de sa mission d’avocat.

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Cette remarque m’a toujours semblé pouvoir départager le barreau classique et de haute tradition, des avocats seulement inspirés par le pragmatisme de vouloir gagner à tout prix, par n’importe quel moyen, au risque pour la société d’être à nouveau et rapidement victime.

Jean-Louis Pelletier n’a jamais oublié, comme Henri Leclerc, comme Hervé Temime, comme mon cher Thierry Lévy qui manque tant, qu’un avocat ne devenait vraiment exceptionnel que s’il était capable d’embrasser, bien au-delà de sa passion de défendre, avec toute la richesse de sa personnalité, de sa culture et de ses engagements, ces moments où il ne convient pas de plaider mécaniquement l’acquittement quand il est absurde, ou de plaider paresseusement une indulgence parfois inconcevable lorsque l’accusé est gravement coupable.

Jean-Louis Pelletier était la parfaite incarnation de l’avocat-citoyen, de l’avocat pour qui la morale était consubstantielle à son art et à sa volonté acharnée d’être celui sur lequel l’être dont il avait la charge pouvait compter.

La plupart des médias, à l’égard de ceux qu’ils qualifient naïvement de ténors, omettent radicalement cette part d’intégrité intellectuelle et humaine sans laquelle le barreau, quelle que soit sa fiabilité technique, ne peut se dire exemplaire.

Une anecdote qui démontre à quel point Jean-Louis Pelletier ne se rengorgeait pas parce qu’il était avocat mais faisait coexister en lui le plaideur indépassable et l’homme dégoûté.

Je me souviens d’un procès d’assises où il avait à défendre un père qui avait étranglé son enfant de six ans dans le cadre d’un divorce épouvantable. Avant que les débats commencent, comme il paraissait vraiment très sombre, je lui avais demandé s’il se sentait bien. Il m’avait répondu qu’il détestait son client…

C’était tout lui, cet écartèlement entre la défense et l’humanité, entre l’univers pénal et le monde de l’émotion, entre la rigueur du professionnel et l’indignation du père.

C’est pour cela que j’ai été si fier de le connaître et qu’il m’ait adoubé comme magistrat, comme ami.

Bien plus qu’un très grand avocat, un homme bien.

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Courrier du coeur

Cher connard, le nouveau roman de Virginie Despentes, est le livre le plus discuté de la rentrée… Et si l’auteur de Baise-moi et King Kong théorie était devenu en douce un écrivain du bonheur ? Scandale.


L’amour est-il encore possible ? Les corps ont-ils supplanté les âmes ? Et si tout n’est qu’emprise (ou méprise), que reste-t-il à désirer ? Au-delà de la violence verbale, et des invectives qui ne sont qu’exhortations au combat, c’est le thème presque inavouable de ce roman – une sombre rhapsodie.

Dans l’allure d’une provocation appuyée et candide, Virginie Despentes nous parle d’aujourd’hui. Sans aménité. À la faveur d’une relation épistolaire, d’abord hostile puis douce, entre une actrice d’un certain âge et un écrivain me-too-isé – entrecoupée d’un monologue vengeur –, elle nous informe, c’est gentil !, de ce qui ne tourne pas rond dans la métaphysique des mœurs.

Cher connard – avec un titre pareil, on sait d’emblée qu’on n’est pas dans un roman de Marguerite Yourcenar. Des souvenirs pieux, non merci ! Tressaillir et méditer devant des stèles, la barbe ! Plutôt vomir. Roter sa mélancolie. Cracher en direction d’une étoile. On voit que l’ambition n’est pas mince. Le résultat est parfois cocasse, presque touchant.

Nous sommes quelque part en France loin des beaux quartiers. Des motifs affleurent : la pandémie, l’alcool, l’addiction, l’homosexualité, le viol – oh ! les jolies choses ! Cela permet à l’auteur de nous renseigner sur ses préférences… Sachez d’abord qu’elle n’est pas contente car il y a de gros ratés dans notre vision du progrès, tant dans la famille que dans les rapports de classe et de sexe, chez les féministes, et même à la SNCF, vous ne trouvez pas ?

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On croit toujours que Virginie Despentes se lâche, qu’elle cède à des humeurs, qu’elle improvise. Non, c’est un écrivain systématique. Un cavalier seul. Longtemps elle s’est crue maudite et abandonnée. Aujourd’hui elle se sent élue, femme, unique – ah ! les artistes ! Parfois, elle débloque, elle devient hargneuse ou bien elle pétrarquise dans l’abjection : on se souvient de sa déclaration d’amour aux frères Kouachi dans Les Inrocks en 2015. Beaux, magnifiques, virils, vraiment ?

Virginie Despentes écrit avec un harpon. Est-ce sa faute si l’époque est injurieuse ? L’auteur nous met le nez dedans – elle s’en excuserait presque. Si son encre est rouge, elle a appris à dire merde avec délicatesse. Aimez-vous Brahms ?… King Kong ou l’ange Gabriel, décidez-vous, les filles !… Ce n’est pas elle qui est scandaleuse. C’est vous, messieurs, qui êtes blessants, et bêtes, et vous en face, pauvres connes, vous ne valez pas mieux !

Greffière du pire, Virginie ne fait que traduire son dégoût de la laideur – son tourment devant une morne et universelle dégueulasserie.

Elle ne s’encombre pas de nuances ni ne s’attarde à doter ses personnages d’une existence réelle. D’ailleurs, ils n’ont rien à dire, Virginie parle à leur place, et elle en profite pour envoyer en représailles des claques à ses détracteurs. Rébecca, Oscar et Zoé n’ont pas de chance, ils sont enrôlés dans le conformisme béat de la révolte, ils sont moins futés qu’elle. On les plaint de s’abrutir ici dans une profération amère et vindicative, et là dans un aboiement langoureux. Écouter «Hypnotize» de Biggie en boucle, ouille ouille ouille !

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Virginie Despentes est en littérature une sorte de Gilet jaune. Ramasser les cailloux qu’on a reçus dans la gueule, c’est ça, écrire ? Avec un penchant insoupçonné pour l’élégie, elle enrage, elle hurle, elle parle en rêvant ; elle incrimine tout ce qui la harcèle. Acculée à un rond-point chimérique, elle cuve ses rancœurs, ses humiliations. On dirait parfois qu’elle s’enchante de s’avilir. Avec je ne sais quoi de piteux et triomphal, à la Houellebecq, elle peine à s’aimer, elle marie la fleur bleue et l’ortie, comme si elle cachait en douce un luth dans son placard.

Cela donne à ce livre célébré, mais oui !, par Vogue ou Femme actuelle une tournure de romance boiteuse et de supplique, comme si l’auteur prête à rougir n’avait pas renoncé au pur amour. Ses malheurs ne l’ont pas guérie, son succès non plus. Virginie Despentes n’a pas pardonné aux hommes, ce sont eux qui commandent – ça fait chier ! Elle écrit comme on se soulage, comme on se venge.

De leur côté, les critiques sont enclins, la peur au ventre, à l’indulgence. À les croire, Baise-moi (1993), c’était Illusions perdues. Cher connard, allons bon !, c’est Les Liaisons dangereuses. Je parie que Sartre, alléché par son renom de pécheresse, l’aurait mise sur un piédestal. Il aurait vanté ses douleurs. Il en aurait fait une sainte à demi-ahurie, à demi-inspirée, auréolée par ses errances et ses vices. Un « Castor » queer. Une Jane Austen grunge. Une pythie punk. Une bacchante insurgée contre l’ordre patriarcal et les crimes du mâle blanc.

Non, écrire, c’est juste sa façon de réparer. Au moins ne cherche-t-elle pas à obtenir sa grâce en s’excusant de son mauvais goût et de ses fautes de genre. Sa jactance la sépare et la protège – c’est son armure. Au fil des pages, pourtant, la noirceur s’estompe, la colère s’apaise, le ton s’adoucit. Et si Virginie était devenue à son corps défendant un écrivain du bonheur – longtemps fui, moqué, désiré ? Et si elle était finalement promise à embellir ce qu’elle touche ?

Du coup, on s’interroge.

Quel est ce jargon sublime ? D’où vient cette voix ?… Cette impérieuse régence de l’esprit (parisien), cette quête éperdue de la distinction, ce féminisme féroce, ce vain brio, ces pâmoisons, bref cette littérature de dames, cela s’appelait jadis : la préciosité – le contraire de la barbarie.

Virginie Despentes, une Mademoiselle de Scudéry à l’ère des tweets ?

Israël: une droite disciplinée bat une gauche désunie

Après quatre échecs, Netanyahou trouve la formule magique.


Après presque quatre ans de campagnes électorales quasiment incessantes et cinq élections, le blocage politique a été cassé : Netanyahou dispose d’une majorité claire (62-65 députés sur 120) et au-delà d’une bagarre pour les maroquins, il ne devrait pas avoir de difficultés majeures à former un gouvernement de coalition (la faire durer sera une autre paire de manches même si Netanyahou sait faire). Et s’il fallait tout cela pour arriver à ce résultat, ce n’est nullement à cause d’un clivage idéologique. Le débat d’idées a été tranché il y a longtemps et l’électorat israélien est clairement et solidement ancré à droite. La Gauche israélienne (le camp de la paix, c’est-à-dire ceux qui sont pour un retrait en Cisjordanie et le démantèlement des colonies dans le cadre d’un accord avec les Palestiniens) ne pèse pas plus de 20% de l’électorat, si on compte les partis arabes dont au moins un devrait être considéré comme un parti conservateur de droite si la question palestinienne et les relations avec la minorité arabe ne dominaient le champ politique israélien. En fait, la question à laquelle les Israéliens avaient autant de mal à répondre depuis 2019 est toute autre : Bibi or not Bibi.

Car pendant ces quelques années certains des gens de droite n’ont pas voté pour leurs idées mais pour empêcher Netanyahou d’exercer la fonction de chef de l’exécutif tout en étant l’accusé principal d’un procès pour corruption et abus de pouvoir. La loi l’interdit aux ministres, mais pas au premier d’entre eux, mais puisque ce n’est pas la première fois, beaucoup pensaient qu’un précédent l’obligeait à se retirer. Et c’est d’ailleurs Netanyahou lui-même qui l’avait dit en 2009 quand il s’agissait de son prédécesseur Olmert, embourbé dans un procès pour corruption. A l’époque, Netanyahou, chef de l’opposition, réclamait sa démission malgré le vide juridique parce qu’il est inconcevable qu’un premier ministre gère le pays en même temps qu’il se défend devant les juges.  Une décennie plus tard Netanyahou assurait que (a) « Ce n’est pas pareil » et (2) « Ça n’a rien à voir ».

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Quelques dizaines de milliers d’Israéliens, par ailleurs parfaitement en accord avec lui sur l’essentiel, n’ont pas voté pour lui pour cette raison. Et ça n’a pas vraiment changé car la victoire claire et nette de Netanyahou est le résultat d’une stratégie électorale magistrale à droite et d’un manque de stratégie à gauche. Côté Bibi, tout a été fait pour ne pas perdre un vote, y compris des unions presque contre nature obtenues uniquement grâce aux efforts de Netanyahou et dont le chef d’œuvre est le parti de MM. Ben Gvir et Smotritch, « Puissance Juive » (PJ), un aspirateur à voix d’une efficacité remarquable fabriqué à la base d’une analyse fine de la sociologie politique israélienne. Ainsi, autour d’un noyau dur de religieux nationaux et de colons, la PJ attirait une faune d’étudiants de Yeshiva désœuvrés et d’autres jeunes à la marge du monde orthodoxe appelés « shabab » (en arabe jeunesse mais utilisé dans le sens de racaille) et dont la série Netflix Our Boys donne un assez bon aperçu. D’autres « déçus en série » de l’offre politique et primo votants sensibles au charisme du député « le pistolet à la main », complètent le profil du vote PJ.    

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A gauche, les trois partis arabes (Nationalistes, Communistes et Islamistes conservateurs) qui présentaient une liste commune en avril 2021 sont partis en solo cette fois-ci. Résultat : les nationalistes n’ont pas passé le seuil de 3,25%  des voix et le front a perdu 25% de ses députés.  Chez les partis de Tel-Aviv (Travailliste et Meretz) pas d’union non plus. Selon l’un des sondeurs israéliens les plus expérimentés, la différence entre les deux blocs n’excède pas les 4000 voix sur les  250-300 000 que la gauche aurait gaspillées.  Et c’est ainsi qu’une situation 60/60 devient 65/55. Si Netanyahou s’est battu avec tant d’acharnement à refaçonner le paysage politique israélien, entrainant le pays dans quatre campagnes électorales, c’est parce qu’il souhaite très probablement échapper à son procès. Certes, il ne faut pas rajouter à tous ses procès un procès d’intention. Cependant, son allié M. Smotrich l’a dit pendant la campagne : une fois au pouvoir, un projet de loi va effacer certains actes considérés aujourd’hui comme crimes et délits. Et une fois votée, tous les procès en cours pour ces crimes et délits seront suspendus. CQFD. Pour sauver sa peau, Bibi a donc l’intention de détruire la justice israélienne. Et que dire de Ben Gvir, l’homme accueilli dans son QG de campagne aux cris « Mort aux arabes » ?  Il ne reste à court terme qu’un seul espoir : Ben Gvir et Smotrich qui ont une piètre opinion de Netanyahou, Smotrich l’ayant qualifié de « menteur fils de menteur » (terme que Ben Gvir a trouvé déplacé mais pas faux), risquent de se révéler des partenaires difficiles et avec un peu de chance carrément impossibles. A ce moment-là, un grand gouvernement de droite, appuyé sur 80-90 députés mais sans Netanyahou, sera envisageable. 

Lola, une émotion d’État

L’émotion suscitée par l’assassinat de la jeune Lola est légitime mais ne doit pas nous faire taire. Au contraire. C’est lui rendre justice que de pointer l’incurie qui a rendu ce drame possible. Questionner nos responsables politiques n’est pas de la « récupération », c’est un devoir.


« Il y aura un avant et un après Lola ». Pour une fois, je ne suis pas d’accord avec mon cher Gilles-William Goldnadel. Le coup de « rien ne sera plus comme avant », on nous l’a fait après chaque attentat islamiste. Et tout s’est désespérément révélé comme avant, ou presque : le même déni, les mêmes incantations sur le « vivre-ensemble », les mêmes foutaises rassurantes sur l’infime minorité islamiste qui seule poserait problème (assertion démentie avec constance par l’actualité et par toutes les études sur le sujet). Si les massacres de 2015, celui de la promenade des Anglais, la décapitation d’un professeur n’ont pas dessillé ceux qui refusent avec constance de voir ce qu’ils voient, ni conduit nos dirigeants à changer radicalement de logiciel face à l’islamisme, on peut craindre que le meurtre barbare d’une collégienne ne change rien à notre politique migratoire, en fait à l’absence totale de politique migratoire.

Pour le coup, je ne suis pas non plus d’accord avec l’ami Ivan Rioufol (dans ses « Carnets » du Causeur du mois de novembre) quand il affirme que nos dirigeants sont des brutes sans cœur. Ils ont du cœur, ils n’ont même que cela. Leur émotion n’était pas feinte. Mais l’émotion n’est pas une politique, comme l’a justement pointé Jonathan Siksou.[1] L’appel à compatir en silence visait surtout à interdire qu’on se posât des questions. Défense de réfléchir !

Bien sûr, on peine à imaginer la souffrance de cette famille et on n’ose même pas dire qu’on la partage – comment le pourrait-on ? Cependant, si cette famille souffre, ce n’est pas parce que des élus et des responsables politiques se demandent comment une telle atrocité a pu se produire, mais parce qu’elle s’est produite. Avec tout le respect qu’on a pour son incommensurable chagrin, on a le droit, et même le devoir de s’interroger. Pas seulement pour Lola mais pour tous les enfants (et d’ailleurs pour tous les adultes) qui pourraient croiser un meurtrier ou un violeur en situation irrégulière. On a aussi le droit d’être en colère. On ne protègera pas les Français à coups de fleurs, bougies et autres nounours.

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En d’autres circonstances, le chœur des vierges outragées aurait pu paraître presque drôle. Nombre de nos excellents confrères, des représentants de la Macronie et de la gauche semblent avoir été encore plus indignés par les réactions de la droite (toutes tendances confondues) au crime que par le crime lui-même. De plus, ils dénoncent bruyamment la « récupération », mais n’en font-ils pas une de taille, quand ils exploitent la mort d’une gamine pour déchaîner leur haine contre ce qu’ils appellent l’extrême droite ?

Ce fut en effet un festival d’offuscation, non pas parce qu’il a fallu attendre quarante-huit heures pour que l’exécutif se fende d’une réaction, non pas parce que Le Monde et d’autres journaux ont aussi, pendant deux à trois jours, observé un silence qui ne devait rien à la décence, mais parce que des députés et d’autres médias (les méchants que vous savez) osaient demander des comptes au gouvernement sur la présence de la meurtrière sur notre sol. Récupération ! Instrumentalisation ! Exploitation ! Un peu de dignité, s’il vous plaît ! – en clair : taisez-vous !

Quand les bons esprits déduisent de la mort d’un délinquant qui avait tenté d’échapper à son arrestation en courant par une chaleur caniculaire que la police est raciste, ce n’est pas de la récupération, mais de la politique très digne. La mort d’Adama Traoré est significative, celle de Lola n’est qu’un malheureux fait divers.

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On a parfaitement le droit de penser que les zemmouristes ont eu tort d’appeler à une manifestation et plus encore d’employer le terme « francocide » (sans parler de l’achat de noms de domaine, particulièrement déplaisant). Nul ne peut affirmer aujourd’hui que Lola a été tuée parce qu’elle était française. Devaient-ils s’interdire pour autant de tirer les leçons politiques d’une telle atrocité ? En 2016, après la diffusion de la terrible photo du corps sans vie d’Aylan, 3 ans, échoué sur une plage turque, de bons esprits, surfant sur l’émotion planétaire, ont dénoncé la « Forteresse Europe » et exigé l’accueil inconditionnel des migrants. Nul ne leur a reproché de se servir de la mort d’un gamin comme marchepied pour leurs revendications. Dignité dans un cas, indécence dans l’autre. On l’aura compris, ce qu’ils jugent indécent et indigne, ce sont les questions que pose le martyre de Lola, et plus encore les réponses. Peu leur importe qu’une écrasante majorité des Français veuille en finir avec l’immigration clandestine incontrôlée, eux veulent accueillir à tour de bras. Sans doute parce que, bien à l’abri d’invisibles frontières économiques et culturelles, ils peuvent s’enthousiasmer sur les richesses de la diversité.

Il paraît qu’il est raciste de pointer la nationalité et surtout la situation administrative de la meurtrière présumée (dont Le Monde nous narre la triste vie avec le pathos habituel de l’excusisme). Sauf que personne ne pense qu’elle est devenue meurtrière parce qu’elle est algérienne ou clandestine. En revanche, un fait ne souffre pas de discussion : si l’État français se faisait respecter, en faisant exécuter ses décisions, cette femme ne se serait pas trouvée sur le chemin de Lola. Et la collégienne serait en vie.

Du reste, après avoir vitupéré ceux qui osaient le critiquer, le gouvernement leur a curieusement donné raison en reconnaissant qu’il devait « faire mieux » sur les expulsions d’immigrés clandestins. « Nous travaillons d’arrache-pied pour faire en sorte que les expulsions soient suivies d’effets », a déclaré Olivier Véran en renouvelant imprudemment la promesse faite par Emmanuel Macron en 2019 de parvenir à 100 % d’exécutions. Personne ne croit à ces 100 %, mais atteindre les 55 % de l’Allemagne ou même les 33 % qui sont la moyenne de l’UE serait déjà un progrès. Or, à en croire un rapport sénatorial, en 2021, 5,6 % des OQTF prononcées en France ont été exécutées. Il paraît qu’en 2022, on atteindra 20 %. Tant mieux. En attendant, cela prouve que ce ne sont pas les contraintes européennes, ni même la jurisprudence de la CEDH qui imposent à la France son désarmement migratoire mais le droit-de-l’hommisme idéologique et l’absence de volonté politique. Lola n’est pas seulement le symbole de l’ensauvagement de notre pays. Elle est aussi celui de l’impuissance publique.


[1]. « Lola : prière de pleurer, rien de plus », causeur.fr, 20 octobre 2022.

L’Observatoire de l’Immigration et de la démographie: un projet vital pour la nation

Depuis deux ans, l’Observatoire de l’Immigration et de la démographie oeuvre pour créer les conditions d’un débat rationnel et serein au sujet de l’immigration, en publiant des études qui fournissent l’information la plus objective possible sur cette question. Les acteurs de ce projet souhaitent aujourd’hui lui donner une plus grande envergure. Tribune.


Il y a plus de deux ans, le 15 août 2020, une tribune parue sur le site de Causeur annonçait le lancement de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie (OID) après douze mois de préparations.

La France connaît depuis plusieurs décennies des bouleversements démographiques inédits dans son Histoire. Ils sont à la fois visibles, durables et profonds, sous le double effet des dynamiques migratoires (flux nombreux venus essentiellement du continent africain, émigration d’une partie de la population active, différentiels de fécondité entre natifs et immigrés…) et endogènes (vieillissement de la population, diminution durable des naissances depuis le milieu des années 1960…). 

Ces transformations emportent des conséquences dans tous les aspects de notre vie en société : les finances publiques, la sécurité, l’emploi, les référentiels culturels et religieux, ainsi que la cohésion nationale de manière plus large. Leur perception aiguë se reflète dans les enquêtes d’opinion réalisées auprès de nos compatriotes :

  • La majeure partie des Français s’inquiètent de l’ampleur prise par les flux migratoires reçus depuis plusieurs décennies : ils sont 65% à considérer qu’il y a « trop d’immigration en France » (Institut CSA – juin 2022) ;
  • Les Français n’ont pas confiance dans les données institutionnelles sur ces questions : ils ne sont que 33% à faire confiance aux statistiques publiques sur l’immigration, soit le taux le plus bas parmi tous les sujets abordés (CEVIPOF et OPINION WAY, «Le Baromètre de la confiance politique») ;
  • Il reste difficile d’aborder posément ces enjeux majeurs : pour 84% des Français, « l’immigration est un sujet dont on ne peut pas parler sereinement » («Le regard des Français sur l’immigration», enquête IFOP, 2018)

C’est pourquoi il nous est apparu nécessaire de mettre à disposition des citoyens, avertis ou non, mais également des décideurs, une plateforme d’information objective, sourcée, actualisée et pluridisciplinaire, permettant de faire émerger un diagnostic partagé de la situation ainsi qu’un débat rationnel et dépassionné. Cela avec une double ligne de conduite :

  • L’indépendance complète à l’égard de tout parti ou courant politique ;
  • Une rigueur et un sérieux technique irréprochables, puisant aux meilleurs sources disponibles et vérifiées : statistiques françaises et internationales, études universitaires et travaux d’experts reconnus.

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En deux ans d’existence, nous avons publié plus d’une vingtaine de notes inédites, dont certaines font référence dans leur domaine. C’est par exemple le cas de notre monographie sur l’immigration des Algériens en France

D’autres publications, comme notre étude-révélation des cartes de France Stratégie sur la « ségrégation urbaine » (dévoilant la mutation démographique rapide générée par l’immigration extra-européenne dans les grandes et moyennes agglomérations) ou notre bilan migratoire du premier quinquennat Macron ont eu une résonance telle qu’ils ont donné lieu à de nombreuses reprises dans les grands médias, de l’audiovisuel et de la presse écrite, ainsi que par des responsables politiques de premier plan. 

Nous avons également publié plusieurs entretiens inédits que nous ont accordé des hauts fonctionnaires, professeurs d’université et chercheurs émérites. En parallèle, notre site internet comptabilise plusieurs centaines de milliers de vues et notre compte Twitter a dépassé les 13 000 abonnés.

L’OID existe aussi grâce aux grands noms qui lui font confiance. Citons en particulier les membres de son Conseil d’orientation – composé de Pierre Brochand, ambassadeur de France et ancien directeur de la DGSE ; de Michel Aubouin, ancien préfet, inspecteur général de l’administration et directeur de l’accueil et du séjour des étrangers au Ministère de l’Intérieur ; du recteur Gérard-François Dumont, démographe de renommée internationale et président de l’association Population & Avenir. Nous remercions également les magazines Causeur et Marianne, qui ont publié nos analyses dans leurs éditions papier ou sur leur site internet.

Tout ce chemin a été parcouru par notre équipe bénévole. Nous y avons déployé une énergie importante ainsi que l’essentiel de notre temps libre ces deux dernières années. Nous avons fait fonctionner l’Observatoire sans aucun moyen financier autre que nos deniers propres, et sans publicité autre que celle que nos lecteurs ont bien voulu lui faire, en s’abonnant à nos réseaux sociaux et en relayant nos publications et travaux. 

Pour toutes ces raisons, nous souhaitons aujourd’hui faire passer un cap à l’Observatoire de l’immigration et de la démographie, afin de mieux le structurer et le professionnaliser. 

A lire aussi: Quand une identité chasse l’autre

Nous souhaitons proposer au grand public comme aux décideurs des études inédites, plus nombreuses et plus approfondies, ainsi que de nouveaux formats de productions – en développant des contenus vidéos et en travaillant à l’édition d’un livre de référence sur ces enjeux vitaux. Nous souhaitons également renforcer la visibilité de nos travaux en élargissant notre audience sur internet. Enfin, nous considérons comme primordial que l’OID puisse se doter prochainement d’un porte-parole, qui sera le visage et la voix de l’Observatoire sur la scène médiatique. 

Ce changement d’échelle est indispensable pour nous permettre d’aller plus vite, plus loin. Il est mu par le sentiment d’urgence qui étreint nombre de Français devant les défis immenses qui sont face à nous. « La démographie c’est le destin », aurait fameusement écrit Auguste Comte.

Cette démarche nécessite des moyens matériels dont nous ne disposons pas à ce jour. D’autres laboratoires d’idées sont financés par l’argent du contribuable ou de grandes entreprises : ce n’est pas notre cas. 

C’est pourquoi la pérennité et la croissance de l’Observatoire ne peuvent être envisagées qu’avec le soutien financier – même modeste – de ceux qui nous lisent, nous suivent, apprécient la qualité de notre travail, qui partagent notre volonté d’éclairer le débat en matière d’immigration et de démographie, et d’infléchir fortement les politiques menées sur ce terrain.

Si la moitié de nos abonnés sur les réseaux sociaux nous aidaient à hauteur de 10 euros (soit 3,33 euros après déduction d’impôts), cela permettrait de financer la moitié de nos actions. C’est pourquoi chaque soutien financier apportera une pierre supplémentaire à l’édifice qu’est devenu l’OID, grâce à ses lecteurs, son conseil d’orientation, ses soutiens et, demain, ses financeurs. Ce soutien peut être effectué directement via notre site : https://observatoire-immigration.fr/soutenir-loid/

Nous remercions par avance de tout cœur ceux qui croient en ce projet – comme nous y croyons depuis plus de deux ans – de la contribution qu’ils voudront bien lui apporter. Qu’ils soient assurés en retour de notre dévouement sans faille !

Bien fidèlement,

L’Observatoire de l’immigration et de la démographie

Et si Malraux avait eu tort?

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Jules-Eugène Lenepveu, Les Muses et les Heures du jour et de la nuit (détail), fusain sur papier, carton pour le plafond de l'Opéra de Paris, 1870.

Il y a soixante ans, André Malraux a fait recouvrir par Marc Chagall le plafond peint par Jules Lenepveu à l’Opéra de Paris, sans doute le plus beau de la capital. A Angers, une exposition rend hommage à ce peintre admiré par Charles Garnier et oublié par la modernité.


Nous sommes en 1960. Malraux accompagne de Gaulle à une soirée de gala à l’Opéra. Le ministre s’ennuie à mourir. Ce n’est pas son truc, l’art lyrique. Il regarde le plafond, œuvre de Lenepveu, et c’est une nouvelle déception. Pouah ! C’est « académique », c’est de l’« art officiel ». Il lui vient alors l’idée de rafraîchir ce décor comme on change un vieux papier peint. À l’époque, la charte de Venise[1] n’existe pas et le ministre chargé du patrimoine peut librement vandaliser ce patrimoine ancien pour le remplacer par des œuvres modernes, plus à son goût.

Crinoline ou robe d’été ?

Dès l’entracte, Malraux téléphone à Chagall. Ils sont amis et se sont déjà rendu des services. Le ministre veut que le peintre repeigne par-dessus ces vieilleries quelque chose de « nouveau ». Chagall accepte sans états d’âme, mais le projet suscite une tempête de protestations internationales. Malraux n’a cure des grincheux et autres passéistes. Cependant, il consent à ce que Chagall ne peigne pas directement sur la toile existante, mais sur une coque qui pourra être déposée, si les goûts changent. L’hostilité au projet est telle que l’artiste, qui travaille avec trois décorateurs de théâtre pour agrandir son modèle préparatoire, doit le faire dans un hangar tenu secret et gardé par l’armée !

Contrairement à la peinture d’origine qui laisse des plages de respiration, notamment une vaste lacune au centre, Chagall bourre tout l’espace disponible. Finalement, le nouveau plafond de l’Opéra est inauguré en septembre 1964. Une bonne partie du public apprécie toutefois le changement, à la façon d’une robe d’été multicolore remplaçant sans chichis les lourdes crinolines du Second Empire. Il faut d’ailleurs reconnaître que le plafond de Chagall n’est pas dénué de charme.

Lenepveu, sinon rien

La peinture camouflée est d’un certain Jules Lenepveu (1819-1898). Est-elle donc si mauvaise ? On ne peut répondre à la question sans difficulté : aucune photo convenable n’a été prise avant qu’elle soit recouverte. Nous n’avons que des clichés flous et sombres. Cependant, grâce à l’exposition d’Angers, on peut penser que le plafond d’origine était somptueux et parfaitement légitime. Un modèle réduit, peint par l’artiste lui-même, permet de se forger cette opinion. On y voit une ronde tumultueuse de corps et de drapés, brillamment rythmée de contrastes et de couleurs. C’est beaucoup plus frais, vif et élégant que sur les mauvaises photos.

Ensuite, on sait que l’intervention de Lenepveu, à cet endroit, est cruciale pour Garnier. L’architecte admire ce peintre qui excelle dans les plafonds à perspective aérienne, et écrit même un livre sur lui. Pour la coupole, ce sera Lenepveu et personne d’autre. La forme de la voûte est d’ailleurs spécialement conçue pour cet artiste. Ce plafond fait – ou plutôt faisait –figure de couronnement de l’Opéra Garnier.

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Le choc des dessins

La rétrospective de Lenepveu permet de prendre toute la mesure de cette peinture, réalisée pour un monument qui se voulait une œuvre d’art total. On y voit le dessin préparatoire réalisé à taille réelle, c’est-à-dire immense. Lenepveu reporte ses tracés au poncif (une roulette dentée faisant de petits trous dans le papier). Quand on est face à ces vastes feuilles, c’est un choc. Une belle chorégraphie s’y déploie en une ronde bien ordonnancée. Il y a là tout le style et la saveur d’une époque. C’est académique si l’on veut, mais d’un académisme lyrique et magnifiquement composé. Surtout – et c’est là le plus important –, c’est en parfaite harmonie avec l’architecture et la décoration intérieure de l’Opéra Garnier.

L’histoire de l’art manipulée

Pour comprendre cette étrange affaire du plafond de l’Opéra, il faut essayer de saisir l’état d’esprit dans lequel étaient Malraux et un certain nombre de gens dans les années 1960. Rien de mieux pour cela que de se plonger dans les écrits du ministre-écrivain, notamment les trois grands essais sur l’art qu’il rédige après avoir quitté la Rue de Valois (Le Surnaturel, L’Irréel, L’Intemporel).

Une chose saute aux yeux rien qu’en feuilletant ces ouvrages : l’auteur se passionne prioritairement pour les peintres primitifs, les arts premiers et l’art moderne. Il aime que l’art ne soit ni trop réaliste ni trop habile, pour permettre à la « spiritualité » de se déployer à son aise. C’est bien son droit. Cependant, à force de théoriser sur la supériorité de ces trois familles (les deux premières annonçant la troisième), on comprend qu’il réécrit tout bonnement l’histoire de l’art en défense de la modernité. En effet, en dehors de ces trois domaines, s’étend pour lui une vaste jachère qui englobe presque tout l’art occidental. Certes, Malraux cite ici et là quelques artistes célèbres comme Titien, Rembrandt ou Goya, mais dans l’ensemble, il fait preuve de peu d’originalité dans ses choix et ne les approfondit guère.

Avec la deuxième partie du xixe siècle, il en arrive à un traitement extraordinairement différencié : d’un côté, il consacre comme grands génies les artistes liés à la modernité (impressionnistes et suiveurs), de l’autre, il dénigre ou ignore tout le reste. La riche civilisation de la Belle Époque n’est pour lui qu’infélicité et calamité des « pompiers ». Ses écrits, qui ont eu énormément d’influence, expliquent sa manie des remplacements à l’Opéra, à l’Odéon, au Louvre, à Notre-Dame et en de nombreux autres endroits, sans parler des édifices qu’il prévoyait de raser, comme le futur musée d’Orsay ou le Grand Palais. En fin de compte, Malraux a contribué à l’oubli et à la destruction partiels d’une des plus brillantes périodes de notre histoire de l’art.

Personne n’envisage pour le moment de restituer le plafond d’origine de l’Opéra par Lenepveu, mais on peut aller en rêver à Angers.

À voir absolument : « Jules-Eugène Lenepveu, peintre du monumental », musée des Beaux-Arts d’Angers, jusqu’au 8 janvier 2023.


[1] Accord international régissant depuis 1964 la conservation et la restauration des monuments.

Cyril Hanouna: comprendre, contredire sans mépriser!

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Cyril Hanouna, le 09/05/2022 / PHOTO: MEIGNEUX/SIPA / 01072217_000015

Cyril Hanouna, un blâme mal placé : à défaut de la forme, le fond d’une pensée exprimée commune à beaucoup de Français.


N’en déplaise à tous ceux qui n’aiment pas Cyril Hanouna parce qu’ils le jugent vulgaire et simpliste, je persiste à vouloir le défendre parce qu’il a du talent et que par exemple dans les émissions politiques dont il a eu la charge, il a été largement à la hauteur des journalistes spécialisés. Il nous a fait connaître au moins aussi bien qu’eux les personnalités invitées. Certes, c’était moins classique mais par certains côtés beaucoup plus enrichissant.

Je suis d’ailleurs toujours réservé quand des animateurs médiatiques très suivis pâtissent d’un opprobre moins parce qu’ils seraient médiocres qu’à cause de leur volonté d’intervenir dans une chasse gardée.

Cyril Hanouna s’est vu gravement reprocher, notamment par le garde des Sceaux sur France 5, les choix de ses sujets dans TPMP (Touche pas à mon poste!), hier sur Lola puis plus récemment sur la mort de Justine. Et d’avoir traité le sujet Lola sur un mode « moyenâgeux » en ignorant ce que l’État de droit avait apporté à la civilisation.

Je ne vois pas au nom de quoi Cyril Hanouna serait à blâmer. Articulant sa programmation sur l’actualité même la pire, il est conduit à proposer des débats dont, je l’admets, la nuance n’est pas le fort, ni la profondeur l’élément central. Mais une majorité de citoyens (même ceux dédaignant TPMP) est passionnée par ces tragédies criminelles qui projettent une lumière sombre sur certaines natures humaines.

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Cyril Hanouna s’est fait vertement rabrouer pour avoir eu sur Lola «une réaction de père de famille». Il est allé jusqu’à dire que celle qui avait commis le viol et le meurtre ne devait pas être défendue et que peu importait son état mental. Une réaction brute, immédiate, instinctive, ne correspondant pas aux critères de l’humanisme élégant.

Cyril Hanouna était loin d’être désaccordé avec un sentiment populaire qui, même quand la Justice n’a pas été fautive, n’hésite plus à se faire justice soi-même: ce qui s’est déroulé à Roanne ultérieurement l’a démontré.

Ses propos à l’emporte-pièce ont exprimé en effet l’empathie d’un père et la colère d’un citoyen. Il est clair qu’il a eu doublement tort. D’abord parce que leur teneur est critiquable, ensuite parce que, sur TPMP, son influence est telle qu’il ne peut se permettre de proférer n’importe quoi qui offenserait la base de l’État de droit. Il convient en revanche de répudier tout mépris à l’égard de Cyril Hanouna. Je suis convaincu que s’il est tellement rétif et susceptible face à certaines mises en cause, c’est parce qu’il ne supporte pas le mépris dont les belles âmes l’accablent trop volontiers. Sans lui, il écouterait davantage ses contradicteurs.

Je ne serai jamais de ces belles âmes-là.

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D.R

La Mrs Robinson du lycée : après un chagrin d’amour une conseillère pédagogique d’éducation se convertit en professeur d’anatomie.


La CPE (conseillère pédagogique d’éducation) d’un lycée de Seine-et-Marne comparaissait devant le tribunal de Meaux le 12 octobre pour avoir entretenu des relations sexuelles avec deux élèves de l’établissement. Rappelons qu’au-delà de toute considération morale, l’acte n’est pénalement condamnable que si la victime est mineure. La genèse de cette affaire remonte à juin lorsque la secrétaire de direction du lycée en question dépose un signalement accusant la CPE d’avoir entretenu une liaison avec des lycéens l’année précédente. Quels sont les éléments qui viennent étayer ces accusations ? Un surveillant de l’établissement, ex-compagnon de la CPE, aurait transmis à la secrétaire une vidéo sur laquelle on voyait l’accusée en pleine action avec un élève. À la barre, la CPE a reconnu avoir mal vécu l’arrêt de son histoire d’amour avec ce surveillant, elle s’est donc laissée aller à séduire un élève majeur de terminale. Ce dernier, présent au procès, a témoigné en affirmant qu’il désirait « coucher avec une femme plus âgée ». Après y être parvenu, il n’a pas pu s’empêcher de relater cette expérience à ses amis. L’un d’entre eux a saisi la balle au bond et s’est rapproché de la conseillère, mais cette dernière l’a rabroué en raison de sa minorité. Pourtant, début juillet 2021, avant la publication des résultats du bac, les deux élèves se sont rendus au domicile de la CPE et cette dernière a eu un rapport sexuel avec le deuxième lycéen, le tout filmé par le premier. Au tribunal, elle précisa : « Je n’aurais jamais dû accepter, c’est vrai ! Mais je n’ai jamais usé de ma position de CPE pour cela ». En effet, les deux garçons n’avaient pas l’air sous emprise. Mise à pied par l’Éducation nationale en juin de cette année, la CPE a été relaxée par le tribunal en première instance. N’ayez crainte pour le modèle français, y compris au sein de l’école où les abayas, qamis et hijabs sont de plus en plus présents : une minorité d’irréductibles Gaulois défend le libertinage.

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Génération identitaire, justice arbitraire

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Thaïs d'Escufon Photo: Hannah Assouline

En 2018, des militants de Génération identitaire ont investi les locaux de SOS Méditerranée à Marseille. Une opération médiatique et pacifique, comme toutes celles de l’association désormais dissoute. Mais jugés à la mi-octobre, les prévenus ont été présentés par la presse et les magistrats comme de dangereux individus hyper violents.


Le 5 octobre 2018, 22 activistes du groupe Génération identitaire, qui était au grand remplacement ce que Greenpeace est au réchauffement climatique (avant d’être dissous par Gérald Darmanin), frappaient à la porte des bureaux marseillais de l’association SOS Méditerranée et s’y engouffraient pour investir les locaux et déployer aux fenêtres une banderole : « SOS Méditerranée complice du trafic d’êtres humains ».

Une fois de plus, comme ils l’avaient fait en occupant, le temps d’une photo, le toit d’une mosquée en construction à Poitiers ou le bâtiment de la Caisse d’allocations familiales de Bobigny, comme ils avaient pris position sur un col alpin devenu un passage fréquenté par des migrants, ils avaient ce jour-là mené une « opération d’agit-prop », un « happening médiatique » pour attirer l’attention des médias ou des citoyens sur l’absence de frontières, l’islamisation et les allocs, soit tout ce qui provoque et favorise l’invasion migratoire en cours. Dans un entretien donné à Causeur, Thaïs d’Escufon, ancienne porte-parole du mouvement, précisait que Génération identitaire a toujours été stricte sur le caractère pacifique de ses actions, écartant les têtes brûlées qui avaient envie d’en découdre : « Pour moi, non seulement la violence est contre-productive, mais elle est moralement illégitime. Je crois toujours à la démocratie ».

Curieusement, quand SOS racisme utilisait les mêmes méthodes, non violentes et bruyantes, cela ne suscitait ni procès ni offuscations étranglées.

Comme chacune des opérations de Génération identitaire, celle-ci fut donc visible et percutante, mais pacifique. L’objectif était de dénoncer les pratiques d’une association qui répète dans tous les médias qu’elle sauve des migrants chiffres à l’appui, ce qui lui permet de récolter dons et subventions, en oubliant de préciser que ces sauvetages consistent à récupérer des futurs clandestins à quelques encablures des côtes libyennes pour les amener en Europe quand ils pourraient tout aussi bien les sauver de la noyade en les ramenant en Tunisie ou en Algérie. D’après Thaïs d’Escufon, qui participait à l’opération, les militants identitaires ont rassuré les sept salariés de l’ONG présents ce jour-là sur leurs intentions, notamment deux qui, pris de peur, s’étaient enfermés dans les toilettes ; ils leur ont laissé la possibilité de rester sur place ou de quitter les lieux et ont allumé leurs fumigènes aux fenêtres en attendant la police, puis se sont laissé embarquer sans opposer de résistance. La jeune femme ajoutait que les policiers marseillais, qui ne s’exprimeront pas, semblaient agréablement surpris d’avoir affaire à des jeunes gens respectueux et bien élevés. Les identitaires furent libérés après une garde à vue de quarante-huit heures. Leur procès pour « participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences » et « violences en réunion », intenté par SOS Méditerranée et par l’association antiraciste La Maison des potes, a eu lieu devant le tribunal correctionnel de Marseille du 17 au 19 octobre – trois jours d’audience, tout de même : beaucoup de vrais malfrats ont le droit à beaucoup moins d’attention de la justice.

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Interrogée par France Info au moment des faits, la présidente de l’ONG déclarait : « L’action s’est déroulée sans violence ». Il semble qu’en quatre ans, ses souvenirs et ceux des autres témoins aient radicalement changé et qu’avec le temps, les « victimes » de l’occupation se soient découvert des traumatismes.

François Thomas, président actuel de SOS Méditerranée, estimant peut-être que les propos un peu trop sobres de la responsable présente au moment des faits manquaient de dramaturgie, affirme pour sa part : « Les salariés ont subi un traumatisme grave et profond. Cela a entraîné plusieurs semaines d’ITT, l’adaptation des plans de travail et la mise en place d’un soutien psychologique. Lors de cette attaque violente dans les locaux de l’association, des salariés ont reçu des coups, d’autres ont été retenus contre leur gré, nous avons tous été extrêmement choqués et traumatisés par cette intrusion en mode “commando” et l’utilisation d’une telle violence ».

Au procès, les témoins interrogés par l’avocat, Me Cambiaire, rivalisent dans la victimisation. Il ouvre le bal en déclarant : « Un membre de SOS Méditerranée a été ceinturé, d’autres bousculés, des coups ont été portés. Plusieurs des victimes ont fait constater des ecchymoses. Mais les dégâts sont aussi psychologiques. Ils étaient attaqués et, vu la période, ont tout de suite pensé à un attentat. Quatre ans après les faits, les victimes restent profondément choquées ». Quel traumatisme, en effet, que cette intrusion pacifique pour des gens qui n’ont pas peur d’affronter les dangers de la mer… Puis les salariés prennent le relais. La directrice, Sophie Beau, la même qui décrivait au lendemain de l’intrusion une action sans violence, déclare à la barre « être habituée aux situations très violentes lors de ses missions humanitaires, notamment un vol à main armée au Sierra Leone ». Elle dit pourtant avoir été « totalement choquée », en particulier lorsqu’un de ses collègues, le seul homme présent à SOS Méditerranée ce jour-là, a tenté de s’interposer : « J’ai cru que c’était un attentat, que mon collègue allait mourir ». « C’est la première fois que je me suis sentie ciblée comme humanitaire », insiste Sophie Beau, oubliant soudainement le Sierra Leone. Si elle se souvient avoir été violemment éjectée hors de l’appartement, dans les escaliers, la directrice de l’ONG a « un moment d’amnésie » : elle a totalement oublié avoir été « plaquée contre un mur », ce que lui ont rapporté ses collègues.

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Une autre salariée qui s’est retrouvée en présence d’une quinzaine de militants dans son bureau, qu’elle a refusé de quitter, ne comprenant pas « qui ils étaient ni ce qu’ils voulaient » décrit la scène dans la presse. La plus jeune des militantes identitaires, Flora Salacroup, 18 ans au moment des faits, « a poussé la porte ultra violemment et m’a projetée sur l’armoire ». La salariée décrit un groupe « très organisé, avec certains qui me hurlaient dessus et d’autres qui tentaient de me rassurer ». Machiavéliques, les identitaires avaient décidé par avance qui jouerait le bon flic et qui le mauvais. Par crainte de représailles, la jeune femme préfère être citée anonymement.

À un moment, poursuit-elle, deux femmes du « commando » identitaire, dont Flora Salacroup, l’ont tirée par le bras pour la faire tomber de sa chaise : pendant plusieurs mois son épaule restera douloureuse. À la barre, cette victime révèle aussi qu’elle était enceinte au moment des faits : « J’ai perdu cet enfant deux semaines plus tard, lâche-t-elle, en pleurs. Bien sûr on ne pourra jamais prouver que c’est dû à l’attaque, mais pour moi, toute ma vie, ce sera lié à cet événement ».

Flora Salacroup se défend : « On n’a traumatisé personne ». Apparemment, la parole des prévenus n’intéresse pas grand-monde. Et certainement pas la presse qui rivalise dans les formules grandiloquentes : « Une ONG prise d’assaut par des militants radicaux d’extrême droite, venus crier leur message raciste et anti-islam » ou encore « Derrière l’apparence proprette et les masques souriants, Génération identitaire, c’est le visage hideux de la haine ».

Dans son réquisitoire, le procureur de la République, Ahmed Chafaï qualifie le groupe de « quasi-association de malfaiteurs ». Il ne manque que le terrorisme…

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Mais ce n’est pas tout. À l’audience, tout ce théâtre aux exagérations bien marseillaises fait sourire les accusés. Oui, rendez vous compte, ils sourient. Cela leur est reproché par les magistrats qui évoquent dans leur jugement « une certaine désinvolture et un manque de prise de conscience de la gravité des faits ». Le Parquet a estimé que ce comportement ne permettait pas aux victimes de se reconstruire. On aurait dû créer une cellule d’aide psychologique.

Thaïs d’Escufon dénonce un « tissu de mensonges » relevant « de l’acharnement politique et non du juridique ».

Reconnus coupables de « violences en réunion », ils écopent de condamnations sévères. Porte-parole de Génération identitaire, Romain Espino est condamné à la peine la plus lourde, un an de prison ferme, aménagée en détention à domicile sous surveillance électronique. Franck Dunas se voit infliger six mois de prison ferme à purger avec un bracelet électronique, un an de prison avec sursis pour Johan Salacroup, et huit mois avec sursis pour Jérémie Piano, candidat Reconquête et pour Peter Sterligov, ancien légionnaire d’origine russe, responsable des services techniques de la ville (Rassemblement national) de Beaucaire, dans le Gard. Huit mois de prison avec sursis pour Thaïs d’Escufon, cinq ans d’inéligibilité contre cinq prévenus et dix-sept mesures d’interdiction de séjour à Marseille pendant trois ans. Enfin, les condamnés doivent indemniser les salariés « blessés » pour un total de 21 000 euros et verser plus de 42 000 euros à SOS Méditerranée en réparation des préjudices économique et moral.

Thaïs d’Escufon dénonce un « tissu de mensonges » relevant « de l’acharnement politique et non du juridique ». Récemment, des clandestins investissaient l’hôtel de ville de Paris dans une opération assez similaire et ressortaient en faisant le V de la victoire après avoir été reçus et entendus, et sans être poursuivis. Si la justice est souvent laxiste, elle ne l’est pas toujours et pas pour tous.

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Iran: la convergence des colères menace le régime

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Exposition photographique sur les morts des mouvements contestataires en Iran, à Washington le 2 novembre 2022 Stephen Shaver/ Shutterstock/SIPAShutterstock41016800_000012

Le plus récent des mouvements de contestation en Iran n’est peut-être pas destiné à mourir comme les précédents. Cette fois, le sentiment de révolte est plus général, alimenté par une série de facteurs qui vont de l’injustice du régime dans le traitement des femmes à la corruption et à l’incompétence des autorités publiques dans la gestion de la pandémie et des ressources du pays.


Depuis une quinzaine d’années la République Islamique d’Iran a été le théâtre de nombreux mouvements de contestation. Chaque fois l’étincelle qui a mis le feu aux poudres était différente. En 2009, les élections volées (« le mouvement vert » symbolisé par le slogan « où est mon vote? »), en 2019, le « Novembre Sanglant » (qui a fait selon Amnesty 1500 morts en quelques jours) et l’augmentation massive des prix de carburants. Mais au-delà de la cause immédiate, il y avait toujours en toile de fond un sentiment de ras-le-bol plus général avec le régime. Et en face, un régime qui se calcifie, de moins en moins capable de se reformer.

Un phénomène nouveau

La réponse a été toujours répressive et violente. Et malheureusement efficace. Or, depuis plusieurs semaines, nous sommes face à un phénomène nouveau. Certes, ce mouvement lancé suite à la mort de Mahsa Amini s’inscrit sur une liste de mouvements qui ne cesse de s’allonger – et de se rapprocher – mais il présente aussi des aspects tout à fait originaux.            

La première spécificité du mouvement de contestation actuelle est sa durée. Le mouvement vert de juin 2009 n’a duré qu’une quinzaine de jours et celui de novembre 2019 quelques jours (pour la phase active de manifestations), avant que le gouvernement ne reprenne le contrôle des rues dans les principales villes touchées. En revanche, le mouvement actuel – « la révolution du voile » ou « femme, vie, liberté » (zan, zendegui, azadi) – dure déjà depuis sept semaines et semble évoluer et prendre de nouvelles expressions comme des grèves par exemple. Le mouvement mobilise les femmes (tous milieux confondus), premières touchées par la mort de la jeune femme arrêtée pour avoir mal porté son voile, mais aussi des adolescents (lycéens et lycéennes qui déchirent photos de Khomeini et manuels scolaires ou enlèvent leur voile en classe), des réformateurs marginalisés, les conservateurs au pouvoir, des dissidents politiques, des unions syndicales ainsi que les classes défavorisées, durement éprouvées par la situation économique. Mais surtout, fait nouveau et important, on voit une importante mobilisation parmi les minorités (Baloutches, Kurdes, Arabes). Ce mouvement sans précédent a également galvanisé la diaspora iranienne en Europe et Amérique du Nord.

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Et ce qui est probablement le pire du point du vu du régime, ce qu’il est « générique », c’est-à-dire sans objet précis. Il ne s’agit pas de contester des élections truquées ou la baisse du pouvoir d’achat mais d’exiger plus de libertés et des changements profonds dans le système politique. Autrement dit, la fin de la République islamique d’Iran telle qu’elle existe depuis 1979.  

Fruit d’une convergence des frustrations sociales, politiques et économiques, ce mouvement continue, plus de 40 jours après la mort de Mahsa Amini, à agiter des milieux allant bien au-delà de l’habituelle jeunesse universitaire. Mobile, polymorphe et sans leadership, la contestation est un véritable défi pour le régime qui, par réflexe et habitude, tente de confisquer le mouvement. Comme toujours, la liquidation systématique de toute opposition pouvant négocier avec le régime (en même temps que le menaçant, en proposant une alternative identifiée et crédible) rend chaque « round » de protestation plus radical et moins saisissable. 

Le contexte international est lui aussi très différent de celui des précédents mouvements de contestation. La République islamique d’Iran, malgré la volonté de l’administration Biden, ne souhaite ou ne peut négocier un nouvel accord sur le nucléaire. L’allié de circonstance russe, englué en Ukraine, entraine la République islamique d’Iran dans cette crise, la rendant complice par la livraison d’armements utilisés pour terroriser les civils ukrainiens.

Injustice et incompétence

A l’intérieur du pays, aux difficultés économiques liées aux sanctions et aggravées par une gestion calamiteuse des ressources naturelles, s’ajoute une exaspération suscitée par l’incompétence des pouvoirs publics, le favoritisme, la corruption et ce népotisme oligarchique incestueux.

Cette atmosphère explosive fait suite à une série d’événements qui ont heurté l’opinion: l’effondrement de la Tour Métropole, à Abadan, le 23 mai 2022, faisant au moins 43 morts et de nombreux blessés. Suite à la catastrophe, pendant plus d’une semaine, des milliers de personnes sont descendues dans les rues de cette ville de la province du Khouzistan, riche en pétrole, dans le sud-ouest de l’Iran. Ils ont scandé des slogans contre le régime, les responsables locaux et l’entrepreneur, proche du régime corrompu, qui est responsable du projet de construction défectueux ayant conduit à l’effondrement de la tour.Les habitants d’autres villes de la province, ainsi que d’autres régions et Téhéran, ont également manifesté contre le régime en signe de solidarité avec les habitants d’Abadan.

Plus généralement, ces sentiments d’injustice sont nourris par des affaires à répétition comme par exemple le détournement de fonds astronomique (des milliards de dollars en trois ans) au sein du groupe public sidérurgique, Foulad Mobarakeh, près d’Ispahan. Jadis fleuron de la sidérurgie avant la Révolution, l’entreprise stratégique est devenue une aberration écologique et une pompe à fric pour ses dirigeants.

Et bien sûr, les Iraniens se souviennent toujours des mensonges et de l’incompétence généralisée dans la lutte contre la pandémie du Covid 19 qui a frappé très fortement le pays. L’accès aux vaccins américains et européens était réservé à la nomenclature, les autres devaient attendre l’importation tardive de vaccins chinois Sinopharm et l’arrivée d’un vaccin  développé en coopération avec Cuba. Enfin, dans une affaire qui n’est pas sans rappeler ce qui allait advenir deux mois plus tard à Mhasa Amini, l’arrestation en juillet d’une jeune intellectuelle Sepideh Rashno, maltraitée et forcée à se repentir publiquement sur un plateau de télévision pour avoir été filmée en « mauvais hijab » et dénoncée par une ultra conservatrice, fille d’un dignitaire du régime.

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Le décès de  Mahsa Amini a déclenché un effet papillon : Mahsa était une jeune femme de 22 ans originaire d’une petite ville de province, Saghez, dans le Kurdistan iranien (ouest de l’Iran, près de la frontière irakienne), de la petite classe moyenne (père fonctionnaire, mère femme au foyer). Le 13 septembre, en vacances et de passage à Téhéran avec son frère, après un séjour au bord de la Mer Caspienne, la jeune femme, qui se préparait à faire son droit, est arrêtée à la sortie d’une station de métro par la police des mœurs. Devant son frère désemparée qui supplie les agents d’épargner sa sœur, elle est montée de force dans le fourgon, direction le lugubre « centre des mœurs » (monkerat) du quartier de Vozara dans le centre de Téhéran. Décédée trois jours plus tard, la nouvelle de sa mort est reprise par la journaliste Niloufar Hamedi (du quotidien Shargh, « Est »), arrêtée depuis. Spontanément, un premier rassemblement a lieu à Téhéran. Ses parents refusent la thèse de la mort naturelle et ne cèdent pas aux pressions des autorités pour avouer l’existence d’une maladie chronique qui expliquerait sa mort. L’enterrement de Mahsa Aminin, le 16 septembre dans sa ville natale, a vu les premières contestations anti-régime.  

Les parents ainsi que son frère prennent la parole pour contester la version officielle et exigent une enquête indépendante. Dès lors, le pays, du Kurdistan au Baloutchistan iranien, devient le théâtre de manifestations continues qui n’ont jamais cessé.

Pour illustrer la polymorphie de ce mouvement, nous pouvons nous intéresser à son expression dans les universités d’élite, dans la ville conservatrice de Mashad ainsi que dans la ville nouvelle de Chitgar en banlieue de Téhéran.

Les Bassidjis (la milice de la République islamique d’Iran), très présents dans les universités grâce à  des quotas (contrairement aux étudiants sélectionnés sur concours), sont bien placés quand un mouvement de désobéissance civile se met en place, dans le sillon du mouvement, afin d’imposer la mixité à la cafétéria. Ainsi, le 24 octobre, les Bassidjis envahissent les locaux et empêchent l’imposition de la mixité. Une altercation physique s’ensuit et les étudiants finissent par déloger les Bassidjis et remettent les lieux en état. Une cagnotte est également ouverte par les étudiants afin de rembourser les dégâts causés par l’altercation. Le surlendemain, le restaurant est fermé mais le personnel de la cantine organise le service à l’extérieur et les étudiants organisent un pique-nique mixte comme un pied de nez au Bassidjis.

La révolte académique

Le 20 octobre, l’ordre des médecins de la très conservatrice ville sainte de Mashad, lieu de sépulture de l’imam Réza ainsi que de Haroun Al-Rashid, a organisé une session extraordinaire rassemblant 400 confrères. Pendant cette session est publié un manifeste qui exige des autorités la prise en compte de l’ensemble des revendications exprimées depuis le 16 septembre. Des discours forts sont également prononcés dont un par une femme médecin dévoilée.

Le 27 octobre, une marée humaine nocturne inonde les espaces publics de la ville nouvelle de Chitgar en périphérie de Téhéran pour manifester contre le régime. Cette ville modèle dont l’ambition remonte aux années du Shah, construite par une entreprise proche du ministère de l’énergie dans les années 2010, est habitée par les nouvelles classes aisées urbaines qui n’appartiennent pas à l’élite politico-économique et ne sont pas davantage issues de l’ancien régime. Elles représentent une certaine classe moyenne qui a également beaucoup à perdre en cas de changement de régime.

Le mouvement pourrait s’éteindre mais ce ne serait pas sans laisser de traces profondes et préparer la prochaine secousse.

Les 40 jours du deuil passés, le régime montre de plus en plus de signes d’impatience. Ainsi, Hossein Salami, le commandant en chef des Gardiens de la Révolution, à l’occasion des funérailles des victimes de l’attentat de la mosquée Shahcherag à Shiraz, a sommé la population de ne plus descendre dans la rue. Or, ce discours arrive quand l’opinion publique perd confiance dans la parole officielle : l’attentat de Shiraz, immédiatement attribué par le régime iranien à l’Etat Islamique, est perçu par l’opinion publique comme une manœuvre de diversion perpétrée par les autorités iraniennes. Peu importe si cette thèse est vraie ou fausse, les Iraniens pensent que c’est plausible sinon probable.

Nul ne sait quelles seront les conséquences politiques de ce mouvement de contestation inédit et de si grande ampleur. Un changement de régime est évidement possible, mais pour le moment, la contestation ne semble pas menacer les intérêts vitaux du régime (pas de grève majeure dans le secteur de l’énergie, pas de ralliement des forces de l’ordre et des militaires au mouvement). Une « révolution de palais » aurait besoin de l’accord ou au moins la bienveillance de Mohammed Hussein Baqeri qui occupe actuellement le plus haut poste militaire, étant chef de l’état-major des Forces armées iraniennes (l’armée) et de son ombre, le Corps des Gardiens de la Révolution. Enfin, le mouvement pourrait s’éteindre comme ceux qui l’ont précédé mais ce ne serait pas sans laisser de traces profondes et préparer la prochaine secousse.

Pourquoi Jean-Louis Pelletier n’était pas seulement un très grand avocat…

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Jean-Louis Pelletier, le 20/12/2011 / PHOTO: NIVIERE/SIPA / 00629412_000011

Hommage de Philippe Bilger à son ami avocat, Jean-Louis Pelletier.


Maître Jean-Louis Pelletier est mort le 11 octobre 2022.

Mon si cher ami a été enterré religieusement le 18 octobre à la suite d’une belle et émouvante cérémonie que le garde des Sceaux avait honorée de sa présence.

Sa famille, son épouse Bernadette, ses enfants, ses proches, dans une grande dignité, ont rendu hommage à cette personnalité exceptionnelle dont avec une tendre et délicate ironie ils ont souligné certains traits de caractère quasiment connus de tous.

Beaucoup d’avocats s’étaient déplacés et, parmi eux, quelques-uns, hommes et femmes, auxquels j’étais lié tout particulièrement et que, j’en suis persuadé, lui-même privilégiait.

Dans l’assemblée, au moins deux anciens magistrats, Didier Gallot et moi-même.

J’ai évoqué la messe dont l’ordonnancement et la tenue n’ont été perturbés que par la charge outrancière du vice-bâtonnier contre la magistrature en général, comme si c’était le lieu et le moment pour cela. Cette diatribe était aux antipodes du comportement habituel de Jean-Louis Pelletier, cet immense avocat qui n’a jamais confondu droits de la défense et détestation des magistrats.

Sa grande force était précisément de n’avoir pas besoin d’une hostilité systématique à l’égard de ceux qu’il avait à convaincre, magistrats et encore moins jurés, pour exprimer tout son talent et l’indépassable machine à convaincre qu’il était.

J’ai insisté sur la présence de Didier Gallot et la mienne pour compléter des propos et des aperçus qui auraient pu laisser croire que Jean-Louis Pelletier n’était qu’avocat, dans un registre certes brillant mais ordinaire. Alors qu’il était à mon sens bien plus et que, s’il a bien voulu m’accepter, nous accepter, mon épouse et moi, comme amis, c’était précisément parce que sa condition d’homme, sa qualité d’humain et sa lucidité de citoyen dépassaient largement le champ étroit et technique de sa mission d’avocat.

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Cette remarque m’a toujours semblé pouvoir départager le barreau classique et de haute tradition, des avocats seulement inspirés par le pragmatisme de vouloir gagner à tout prix, par n’importe quel moyen, au risque pour la société d’être à nouveau et rapidement victime.

Jean-Louis Pelletier n’a jamais oublié, comme Henri Leclerc, comme Hervé Temime, comme mon cher Thierry Lévy qui manque tant, qu’un avocat ne devenait vraiment exceptionnel que s’il était capable d’embrasser, bien au-delà de sa passion de défendre, avec toute la richesse de sa personnalité, de sa culture et de ses engagements, ces moments où il ne convient pas de plaider mécaniquement l’acquittement quand il est absurde, ou de plaider paresseusement une indulgence parfois inconcevable lorsque l’accusé est gravement coupable.

Jean-Louis Pelletier était la parfaite incarnation de l’avocat-citoyen, de l’avocat pour qui la morale était consubstantielle à son art et à sa volonté acharnée d’être celui sur lequel l’être dont il avait la charge pouvait compter.

La plupart des médias, à l’égard de ceux qu’ils qualifient naïvement de ténors, omettent radicalement cette part d’intégrité intellectuelle et humaine sans laquelle le barreau, quelle que soit sa fiabilité technique, ne peut se dire exemplaire.

Une anecdote qui démontre à quel point Jean-Louis Pelletier ne se rengorgeait pas parce qu’il était avocat mais faisait coexister en lui le plaideur indépassable et l’homme dégoûté.

Je me souviens d’un procès d’assises où il avait à défendre un père qui avait étranglé son enfant de six ans dans le cadre d’un divorce épouvantable. Avant que les débats commencent, comme il paraissait vraiment très sombre, je lui avais demandé s’il se sentait bien. Il m’avait répondu qu’il détestait son client…

C’était tout lui, cet écartèlement entre la défense et l’humanité, entre l’univers pénal et le monde de l’émotion, entre la rigueur du professionnel et l’indignation du père.

C’est pour cela que j’ai été si fier de le connaître et qu’il m’ait adoubé comme magistrat, comme ami.

Bien plus qu’un très grand avocat, un homme bien.

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Courrier du coeur

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Virginie Despentes / PHOTO : BassoCANNARSA/Opale.photo

Cher connard, le nouveau roman de Virginie Despentes, est le livre le plus discuté de la rentrée… Et si l’auteur de Baise-moi et King Kong théorie était devenu en douce un écrivain du bonheur ? Scandale.


L’amour est-il encore possible ? Les corps ont-ils supplanté les âmes ? Et si tout n’est qu’emprise (ou méprise), que reste-t-il à désirer ? Au-delà de la violence verbale, et des invectives qui ne sont qu’exhortations au combat, c’est le thème presque inavouable de ce roman – une sombre rhapsodie.

Dans l’allure d’une provocation appuyée et candide, Virginie Despentes nous parle d’aujourd’hui. Sans aménité. À la faveur d’une relation épistolaire, d’abord hostile puis douce, entre une actrice d’un certain âge et un écrivain me-too-isé – entrecoupée d’un monologue vengeur –, elle nous informe, c’est gentil !, de ce qui ne tourne pas rond dans la métaphysique des mœurs.

Cher connard – avec un titre pareil, on sait d’emblée qu’on n’est pas dans un roman de Marguerite Yourcenar. Des souvenirs pieux, non merci ! Tressaillir et méditer devant des stèles, la barbe ! Plutôt vomir. Roter sa mélancolie. Cracher en direction d’une étoile. On voit que l’ambition n’est pas mince. Le résultat est parfois cocasse, presque touchant.

Nous sommes quelque part en France loin des beaux quartiers. Des motifs affleurent : la pandémie, l’alcool, l’addiction, l’homosexualité, le viol – oh ! les jolies choses ! Cela permet à l’auteur de nous renseigner sur ses préférences… Sachez d’abord qu’elle n’est pas contente car il y a de gros ratés dans notre vision du progrès, tant dans la famille que dans les rapports de classe et de sexe, chez les féministes, et même à la SNCF, vous ne trouvez pas ?

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On croit toujours que Virginie Despentes se lâche, qu’elle cède à des humeurs, qu’elle improvise. Non, c’est un écrivain systématique. Un cavalier seul. Longtemps elle s’est crue maudite et abandonnée. Aujourd’hui elle se sent élue, femme, unique – ah ! les artistes ! Parfois, elle débloque, elle devient hargneuse ou bien elle pétrarquise dans l’abjection : on se souvient de sa déclaration d’amour aux frères Kouachi dans Les Inrocks en 2015. Beaux, magnifiques, virils, vraiment ?

Virginie Despentes écrit avec un harpon. Est-ce sa faute si l’époque est injurieuse ? L’auteur nous met le nez dedans – elle s’en excuserait presque. Si son encre est rouge, elle a appris à dire merde avec délicatesse. Aimez-vous Brahms ?… King Kong ou l’ange Gabriel, décidez-vous, les filles !… Ce n’est pas elle qui est scandaleuse. C’est vous, messieurs, qui êtes blessants, et bêtes, et vous en face, pauvres connes, vous ne valez pas mieux !

Greffière du pire, Virginie ne fait que traduire son dégoût de la laideur – son tourment devant une morne et universelle dégueulasserie.

Elle ne s’encombre pas de nuances ni ne s’attarde à doter ses personnages d’une existence réelle. D’ailleurs, ils n’ont rien à dire, Virginie parle à leur place, et elle en profite pour envoyer en représailles des claques à ses détracteurs. Rébecca, Oscar et Zoé n’ont pas de chance, ils sont enrôlés dans le conformisme béat de la révolte, ils sont moins futés qu’elle. On les plaint de s’abrutir ici dans une profération amère et vindicative, et là dans un aboiement langoureux. Écouter «Hypnotize» de Biggie en boucle, ouille ouille ouille !

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Virginie Despentes est en littérature une sorte de Gilet jaune. Ramasser les cailloux qu’on a reçus dans la gueule, c’est ça, écrire ? Avec un penchant insoupçonné pour l’élégie, elle enrage, elle hurle, elle parle en rêvant ; elle incrimine tout ce qui la harcèle. Acculée à un rond-point chimérique, elle cuve ses rancœurs, ses humiliations. On dirait parfois qu’elle s’enchante de s’avilir. Avec je ne sais quoi de piteux et triomphal, à la Houellebecq, elle peine à s’aimer, elle marie la fleur bleue et l’ortie, comme si elle cachait en douce un luth dans son placard.

Cela donne à ce livre célébré, mais oui !, par Vogue ou Femme actuelle une tournure de romance boiteuse et de supplique, comme si l’auteur prête à rougir n’avait pas renoncé au pur amour. Ses malheurs ne l’ont pas guérie, son succès non plus. Virginie Despentes n’a pas pardonné aux hommes, ce sont eux qui commandent – ça fait chier ! Elle écrit comme on se soulage, comme on se venge.

De leur côté, les critiques sont enclins, la peur au ventre, à l’indulgence. À les croire, Baise-moi (1993), c’était Illusions perdues. Cher connard, allons bon !, c’est Les Liaisons dangereuses. Je parie que Sartre, alléché par son renom de pécheresse, l’aurait mise sur un piédestal. Il aurait vanté ses douleurs. Il en aurait fait une sainte à demi-ahurie, à demi-inspirée, auréolée par ses errances et ses vices. Un « Castor » queer. Une Jane Austen grunge. Une pythie punk. Une bacchante insurgée contre l’ordre patriarcal et les crimes du mâle blanc.

Non, écrire, c’est juste sa façon de réparer. Au moins ne cherche-t-elle pas à obtenir sa grâce en s’excusant de son mauvais goût et de ses fautes de genre. Sa jactance la sépare et la protège – c’est son armure. Au fil des pages, pourtant, la noirceur s’estompe, la colère s’apaise, le ton s’adoucit. Et si Virginie était devenue à son corps défendant un écrivain du bonheur – longtemps fui, moqué, désiré ? Et si elle était finalement promise à embellir ce qu’elle touche ?

Du coup, on s’interroge.

Quel est ce jargon sublime ? D’où vient cette voix ?… Cette impérieuse régence de l’esprit (parisien), cette quête éperdue de la distinction, ce féminisme féroce, ce vain brio, ces pâmoisons, bref cette littérature de dames, cela s’appelait jadis : la préciosité – le contraire de la barbarie.

Virginie Despentes, une Mademoiselle de Scudéry à l’ère des tweets ?

Israël: une droite disciplinée bat une gauche désunie

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Benjamin Netanyahou s'adresse à ses partisans, Jérusalem le 2 novembre 2022 Oren Ziv/AP/SIPA AP22736280_000002

Après quatre échecs, Netanyahou trouve la formule magique.


Après presque quatre ans de campagnes électorales quasiment incessantes et cinq élections, le blocage politique a été cassé : Netanyahou dispose d’une majorité claire (62-65 députés sur 120) et au-delà d’une bagarre pour les maroquins, il ne devrait pas avoir de difficultés majeures à former un gouvernement de coalition (la faire durer sera une autre paire de manches même si Netanyahou sait faire). Et s’il fallait tout cela pour arriver à ce résultat, ce n’est nullement à cause d’un clivage idéologique. Le débat d’idées a été tranché il y a longtemps et l’électorat israélien est clairement et solidement ancré à droite. La Gauche israélienne (le camp de la paix, c’est-à-dire ceux qui sont pour un retrait en Cisjordanie et le démantèlement des colonies dans le cadre d’un accord avec les Palestiniens) ne pèse pas plus de 20% de l’électorat, si on compte les partis arabes dont au moins un devrait être considéré comme un parti conservateur de droite si la question palestinienne et les relations avec la minorité arabe ne dominaient le champ politique israélien. En fait, la question à laquelle les Israéliens avaient autant de mal à répondre depuis 2019 est toute autre : Bibi or not Bibi.

Car pendant ces quelques années certains des gens de droite n’ont pas voté pour leurs idées mais pour empêcher Netanyahou d’exercer la fonction de chef de l’exécutif tout en étant l’accusé principal d’un procès pour corruption et abus de pouvoir. La loi l’interdit aux ministres, mais pas au premier d’entre eux, mais puisque ce n’est pas la première fois, beaucoup pensaient qu’un précédent l’obligeait à se retirer. Et c’est d’ailleurs Netanyahou lui-même qui l’avait dit en 2009 quand il s’agissait de son prédécesseur Olmert, embourbé dans un procès pour corruption. A l’époque, Netanyahou, chef de l’opposition, réclamait sa démission malgré le vide juridique parce qu’il est inconcevable qu’un premier ministre gère le pays en même temps qu’il se défend devant les juges.  Une décennie plus tard Netanyahou assurait que (a) « Ce n’est pas pareil » et (2) « Ça n’a rien à voir ».

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Quelques dizaines de milliers d’Israéliens, par ailleurs parfaitement en accord avec lui sur l’essentiel, n’ont pas voté pour lui pour cette raison. Et ça n’a pas vraiment changé car la victoire claire et nette de Netanyahou est le résultat d’une stratégie électorale magistrale à droite et d’un manque de stratégie à gauche. Côté Bibi, tout a été fait pour ne pas perdre un vote, y compris des unions presque contre nature obtenues uniquement grâce aux efforts de Netanyahou et dont le chef d’œuvre est le parti de MM. Ben Gvir et Smotritch, « Puissance Juive » (PJ), un aspirateur à voix d’une efficacité remarquable fabriqué à la base d’une analyse fine de la sociologie politique israélienne. Ainsi, autour d’un noyau dur de religieux nationaux et de colons, la PJ attirait une faune d’étudiants de Yeshiva désœuvrés et d’autres jeunes à la marge du monde orthodoxe appelés « shabab » (en arabe jeunesse mais utilisé dans le sens de racaille) et dont la série Netflix Our Boys donne un assez bon aperçu. D’autres « déçus en série » de l’offre politique et primo votants sensibles au charisme du député « le pistolet à la main », complètent le profil du vote PJ.    

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A gauche, les trois partis arabes (Nationalistes, Communistes et Islamistes conservateurs) qui présentaient une liste commune en avril 2021 sont partis en solo cette fois-ci. Résultat : les nationalistes n’ont pas passé le seuil de 3,25%  des voix et le front a perdu 25% de ses députés.  Chez les partis de Tel-Aviv (Travailliste et Meretz) pas d’union non plus. Selon l’un des sondeurs israéliens les plus expérimentés, la différence entre les deux blocs n’excède pas les 4000 voix sur les  250-300 000 que la gauche aurait gaspillées.  Et c’est ainsi qu’une situation 60/60 devient 65/55. Si Netanyahou s’est battu avec tant d’acharnement à refaçonner le paysage politique israélien, entrainant le pays dans quatre campagnes électorales, c’est parce qu’il souhaite très probablement échapper à son procès. Certes, il ne faut pas rajouter à tous ses procès un procès d’intention. Cependant, son allié M. Smotrich l’a dit pendant la campagne : une fois au pouvoir, un projet de loi va effacer certains actes considérés aujourd’hui comme crimes et délits. Et une fois votée, tous les procès en cours pour ces crimes et délits seront suspendus. CQFD. Pour sauver sa peau, Bibi a donc l’intention de détruire la justice israélienne. Et que dire de Ben Gvir, l’homme accueilli dans son QG de campagne aux cris « Mort aux arabes » ?  Il ne reste à court terme qu’un seul espoir : Ben Gvir et Smotrich qui ont une piètre opinion de Netanyahou, Smotrich l’ayant qualifié de « menteur fils de menteur » (terme que Ben Gvir a trouvé déplacé mais pas faux), risquent de se révéler des partenaires difficiles et avec un peu de chance carrément impossibles. A ce moment-là, un grand gouvernement de droite, appuyé sur 80-90 députés mais sans Netanyahou, sera envisageable. 

Lola, une émotion d’État

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L’émotion suscitée par l’assassinat de la jeune Lola est légitime mais ne doit pas nous faire taire. Au contraire. C’est lui rendre justice que de pointer l’incurie qui a rendu ce drame possible. Questionner nos responsables politiques n’est pas de la « récupération », c’est un devoir.


« Il y aura un avant et un après Lola ». Pour une fois, je ne suis pas d’accord avec mon cher Gilles-William Goldnadel. Le coup de « rien ne sera plus comme avant », on nous l’a fait après chaque attentat islamiste. Et tout s’est désespérément révélé comme avant, ou presque : le même déni, les mêmes incantations sur le « vivre-ensemble », les mêmes foutaises rassurantes sur l’infime minorité islamiste qui seule poserait problème (assertion démentie avec constance par l’actualité et par toutes les études sur le sujet). Si les massacres de 2015, celui de la promenade des Anglais, la décapitation d’un professeur n’ont pas dessillé ceux qui refusent avec constance de voir ce qu’ils voient, ni conduit nos dirigeants à changer radicalement de logiciel face à l’islamisme, on peut craindre que le meurtre barbare d’une collégienne ne change rien à notre politique migratoire, en fait à l’absence totale de politique migratoire.

Pour le coup, je ne suis pas non plus d’accord avec l’ami Ivan Rioufol (dans ses « Carnets » du Causeur du mois de novembre) quand il affirme que nos dirigeants sont des brutes sans cœur. Ils ont du cœur, ils n’ont même que cela. Leur émotion n’était pas feinte. Mais l’émotion n’est pas une politique, comme l’a justement pointé Jonathan Siksou.[1] L’appel à compatir en silence visait surtout à interdire qu’on se posât des questions. Défense de réfléchir !

Bien sûr, on peine à imaginer la souffrance de cette famille et on n’ose même pas dire qu’on la partage – comment le pourrait-on ? Cependant, si cette famille souffre, ce n’est pas parce que des élus et des responsables politiques se demandent comment une telle atrocité a pu se produire, mais parce qu’elle s’est produite. Avec tout le respect qu’on a pour son incommensurable chagrin, on a le droit, et même le devoir de s’interroger. Pas seulement pour Lola mais pour tous les enfants (et d’ailleurs pour tous les adultes) qui pourraient croiser un meurtrier ou un violeur en situation irrégulière. On a aussi le droit d’être en colère. On ne protègera pas les Français à coups de fleurs, bougies et autres nounours.

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En d’autres circonstances, le chœur des vierges outragées aurait pu paraître presque drôle. Nombre de nos excellents confrères, des représentants de la Macronie et de la gauche semblent avoir été encore plus indignés par les réactions de la droite (toutes tendances confondues) au crime que par le crime lui-même. De plus, ils dénoncent bruyamment la « récupération », mais n’en font-ils pas une de taille, quand ils exploitent la mort d’une gamine pour déchaîner leur haine contre ce qu’ils appellent l’extrême droite ?

Ce fut en effet un festival d’offuscation, non pas parce qu’il a fallu attendre quarante-huit heures pour que l’exécutif se fende d’une réaction, non pas parce que Le Monde et d’autres journaux ont aussi, pendant deux à trois jours, observé un silence qui ne devait rien à la décence, mais parce que des députés et d’autres médias (les méchants que vous savez) osaient demander des comptes au gouvernement sur la présence de la meurtrière sur notre sol. Récupération ! Instrumentalisation ! Exploitation ! Un peu de dignité, s’il vous plaît ! – en clair : taisez-vous !

Quand les bons esprits déduisent de la mort d’un délinquant qui avait tenté d’échapper à son arrestation en courant par une chaleur caniculaire que la police est raciste, ce n’est pas de la récupération, mais de la politique très digne. La mort d’Adama Traoré est significative, celle de Lola n’est qu’un malheureux fait divers.

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On a parfaitement le droit de penser que les zemmouristes ont eu tort d’appeler à une manifestation et plus encore d’employer le terme « francocide » (sans parler de l’achat de noms de domaine, particulièrement déplaisant). Nul ne peut affirmer aujourd’hui que Lola a été tuée parce qu’elle était française. Devaient-ils s’interdire pour autant de tirer les leçons politiques d’une telle atrocité ? En 2016, après la diffusion de la terrible photo du corps sans vie d’Aylan, 3 ans, échoué sur une plage turque, de bons esprits, surfant sur l’émotion planétaire, ont dénoncé la « Forteresse Europe » et exigé l’accueil inconditionnel des migrants. Nul ne leur a reproché de se servir de la mort d’un gamin comme marchepied pour leurs revendications. Dignité dans un cas, indécence dans l’autre. On l’aura compris, ce qu’ils jugent indécent et indigne, ce sont les questions que pose le martyre de Lola, et plus encore les réponses. Peu leur importe qu’une écrasante majorité des Français veuille en finir avec l’immigration clandestine incontrôlée, eux veulent accueillir à tour de bras. Sans doute parce que, bien à l’abri d’invisibles frontières économiques et culturelles, ils peuvent s’enthousiasmer sur les richesses de la diversité.

Il paraît qu’il est raciste de pointer la nationalité et surtout la situation administrative de la meurtrière présumée (dont Le Monde nous narre la triste vie avec le pathos habituel de l’excusisme). Sauf que personne ne pense qu’elle est devenue meurtrière parce qu’elle est algérienne ou clandestine. En revanche, un fait ne souffre pas de discussion : si l’État français se faisait respecter, en faisant exécuter ses décisions, cette femme ne se serait pas trouvée sur le chemin de Lola. Et la collégienne serait en vie.

Du reste, après avoir vitupéré ceux qui osaient le critiquer, le gouvernement leur a curieusement donné raison en reconnaissant qu’il devait « faire mieux » sur les expulsions d’immigrés clandestins. « Nous travaillons d’arrache-pied pour faire en sorte que les expulsions soient suivies d’effets », a déclaré Olivier Véran en renouvelant imprudemment la promesse faite par Emmanuel Macron en 2019 de parvenir à 100 % d’exécutions. Personne ne croit à ces 100 %, mais atteindre les 55 % de l’Allemagne ou même les 33 % qui sont la moyenne de l’UE serait déjà un progrès. Or, à en croire un rapport sénatorial, en 2021, 5,6 % des OQTF prononcées en France ont été exécutées. Il paraît qu’en 2022, on atteindra 20 %. Tant mieux. En attendant, cela prouve que ce ne sont pas les contraintes européennes, ni même la jurisprudence de la CEDH qui imposent à la France son désarmement migratoire mais le droit-de-l’hommisme idéologique et l’absence de volonté politique. Lola n’est pas seulement le symbole de l’ensauvagement de notre pays. Elle est aussi celui de l’impuissance publique.


[1]. « Lola : prière de pleurer, rien de plus », causeur.fr, 20 octobre 2022.