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Jamais trop de passions !

Une passion est d'abord une formidable opportunité de s'intéresser à autre chose qu'à soi.


Jamais trop de passions !
François Mauriac / SIPA / 00300000_000027

À l’évidence j’aurais pu écrire aussi « passion » au singulier mais le pluriel va me permettre de faire mieux comprendre l’essentiel de ce billet.


Puis-je d’abord citer François Mauriac qui, dans le Noeud de vipères, a écrit : « L’art de vivre consiste à sacrifier une passion basse à une passion plus haute » puis rappeler cette pensée forte de saint Augustin : « Mieux vaut se perdre dans sa passion que perdre sa passion ».

Immédiatement, tant j’attache d’importance à cet état de la sensibilité et de l’esprit qui vous projette hors de vous-même, avec une délicieuse exaltation, j’irais vers le culte de la passion, telle que l’a définie l’évêque d’Hippone, en rejetant la conception élitiste qu’en a le héros de Mauriac.

Il me semble d’abord qu’on n’a jamais trop de passions et que si on a une personnalité dont l’enthousiasme et la curiosité sont divers et même contrastés, il convient de s’en féliciter plutôt que de s’en plaindre.

Que signifie donc « une passion basse » comme s’il fallait par principe s’examiner sans cesse pour déterminer laquelle a le droit d’exister et laquelle doit être sacrifiée alors que les dilections et les élans apparemment les plus « bas » coexistent aisément avec les appétences et les élans les plus élevés ?

Première interrogation d’ailleurs sur soi : est-on un être de passion ou se fait-on un devoir de demeurer impassible, serein, dans la maîtrise de ses gestes et de ses paroles, en s’abstenant de tout ce qui pourrait laisser croire à un excès, un débordement, un dépassement que beaucoup sans doute jugeraient de mauvais goût ? Il s’agit d’une question fondamentale puisqu’elle renvoie à la nature qui vous constitue et dont vous avez aussi hérité.

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Pour ma part je n’ai jamais pu me déprendre d’une passion pour la passion, pour ces moments magiques où la vie a du sens et de la densité, où vous êtes emporté au-delà de vous-même, non par addiction ou démesure mais par une pente bienfaisante qui vous plonge au coeur des choses, au milieu des êtres. Rien de plus insupportable que les apparences marmoréennes qui glacent et tétanisent parce qu’elles refusent si peu que ce soit de vous transmettre un signe d’existence, d’animation ou d’émotion !

Pour revenir à mes passions elles-mêmes, si j’exclus la passion amoureuse qui n’est pas contradictoire avec la durée mais au contraire son feu intérieur, j’en relève plusieurs qui n’ont pas la même portée. Passion de la littérature, passion de Marcel Proust, passion de l’opéra, passion du football, passion de la politique, passion du cinéma, etc. Je pourrais en qualifier certaines de plus hautes, d’autres de basses mais je ne me sens aucune obligation de les discriminer et de faire un tri qui me priverait de telle ou telle ou du moins qui me conduirait à ne pas les appréhender avec le même enthousiasme parce que, par exemple, j’en aurais honte.

Au contraire, la passion, comme le disait Marguerite Duras au sujet de l’amour, c’est ce à quoi on ne peut se soustraire. Je mêle tout et je demande seulement à mon sens du ridicule et des hiérarchies de ne pas se laisser abuser et de savoir donner à chaque passion ce qu’elle mérite.

J’entends déjà le reproche de ceux pour qui une passion digne de ce nom doit être unique et qui probablement sont accordés au point de vue de saint Augustin.

Je ne méconnais pas toutefois le risque qu’il y aurait, à force d’éprouver des passions, à les banaliser, à les constituer presque comme des curiosités ordinaires, à dégrader ce beau concept, ce magnifique état, cette richesse psychologique et intellectuelle, au point de leur faire perdre toute incandescence.

Une passion, d’une certaine manière, quelle qu’elle soit, est d’abord une formidable opportunité de s’intéresser à autre chose qu’à soi : durant un temps court ou long, toute une vie parfois, le monde, avec divers visages, dans plusieurs de ses représentations, avec le génie humain, les inoubliables musiques, les films les plus réussis, les livres des maîtres, vous sollicite et vous fait heureusement vous perdre de vue, retomber en enfance ou approfondir votre maturité.

Jamais trop de passions mais surtout refuser de se camper au bord de l’existence tel un observateur indifférent, si tolérant que plus rien ne compte, si peu engagé que rien ne le mobilise, sur qui tout glisse, tout coule, rien ne demeure. Un homme, certes au milieu des hommes, mais sans l’éclat d’une affirmation même modeste de soi.

À arbitrer, contre Mauriac, je les veux toutes, avec saint Augustin je veux n’en perdre aucune.

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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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