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Pourquoi les entretiens présidentiels sont-ils si peu regardés?

Foi perdue en la parole des élus et des journalistes ou simple fatalisme, de plus en plus, les Français semblent (à tort) se désintéresser de la médiatisation politique et surtout présidentielle.


Le 12 octobre, l’entretien du président de la République avec Caroline Roux (France 2), consacré à la politique internationale, avait été suivi par 5,38 millions de téléspectateurs, audience relativement faible. On avait pu penser que c’était à cause du thème choisi qui en général sollicitait moins l’attention des Français que la politique nationale. Pourtant l’entretien d’hier 26 octobre, avec les mêmes, a subi une baisse encore plus nette (4,07 millions). Il y a donc une désaffection profonde des citoyens non seulement à l’égard des émissions politiques mais pour le verbe présidentiel.

Je regrette pour ma part cet abandon, voire cette indifférence de beaucoup de Français qui ne s’empêcheront pas, pourtant, de fustiger un pouvoir sur lequel leur parti est pris et leurs préjugés définitifs.

Réglons tout de suite le problème tenant à l’objection classique : ce serait partiellement à cause des journalistes. Cette mise en cause est fondée la plupart du temps mais ne peut concerner Caroline Roux qui est excellente, entre courtoisie et pugnacité.

Tout le contraire d’une Léa Salamé dont le hasard fait que j’ai écouté ensuite sa prestation courroucée face à Marion Maréchal qui l’a renvoyée dans ses cordes au sujet de Lola ; comme si la première était seule à être une mère et que la seconde ignorait cette condition.

Il serait malhonnête d’embellir le passé et de ne pas voir que, derrière une curiosité plus vive à l’égard des hommes politiques passés, il y avait déjà un lent mouvement de déclin médiatique et démocratique qui n’a fait que s’aggraver avec Emmanuel Macron. Pour des raisons qui tiennent à la personnalité de celui-ci, à son empathie surjouée et à l’amplification de travers qui ne lui étaient pas spécifiques mais qu’il a poussés à l’extrême.

De la même manière que j’ai exonéré Caroline Roux de la moindre responsabilité – sauf pour cet étrange choix, s’il relève de son initiative, de ne traiter l’essentiel qu’à la fin des échanges -, je voudrais décharger le président des reproches qui n’auraient aucun sens et qui reviendraient peu ou prou à lui dénier talent, intelligence et dialectique. Le tout n’emportant pas forcément l’adhésion, à cause de cette intuition qu’il est doué précisément pour vous entraîner là où la vérité s’efface…

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Si cet exercice de communication de plus en plus déserté par les Français prêtait à sourire, je garantis que les absents ont eu tort, notamment à deux moments où le président nous a offert une double face de lui-même.

La christique, quand il a affirmé qu’il fallait « se respecter les uns les autres », tout en ayant inspiré l’exclusion de l’arc républicain des députés La France insoumise et Rassemblement National ! Ils ne seraient donc pas « respectables »… et auraient surtout le grand tort d’être de vrais opposants…

La polémique, quand il s’est ensuite énervé sur un mode artificiel, reprochant à la Nupes d’avoir pactisé avec le Rassemblement National et donc d’être coupable de «désordre et de cynisme». Il serait trop facile, au regard d’un certain nombre de péripéties dérisoires ou plus graves, de lui retourner cette charge ; elle était surtout révélatrice de son tempérament impérieux qui, à cause de la majorité relative dont son camp ne cesse de pâtir, prétendait en plus imposer la manière dont les oppositions devaient se comporter à l’Assemblée nationale. Pour lui, à l’évidence, il était intolérable que ces oppositions «s’opposent». Une motion de censure n’est pas valider tel ou tel programme mais vouloir la fin d’un gouvernement !

À rebours de cette colère trop ostentatoire pour être authentique (et il a su, lui aussi, être cynique !), mais avec le même objectif, nous avons eu les flatteries aux députés Les Républicains, vantant leur mesure et leur rationalité, dont Olivier Marleix, Aurélien Pradié et les autres n’ont pas été dupes.

Trop c’était trop, dans l’indignation comme dans le compliment et la « retape » à peine masqués.

Au-delà de ces aperçus plus psychologiques que politiques, le Président a été victime, comme ses prédécesseurs mais sur un registre encore plus net, de la défiance structurelle qui s’attache à la parole publique. On ne veut même plus avoir l’élégance de l’écouter pour pouvoir la contester en connaissance de cause. On décrète par avance qu’elle n’aura aucun intérêt, qu’elle sera mensongère, manipulatrice, sans l’ombre d’une contrition, sans la moindre modestie. Qu’elle viendra avec plus ou moins d’arrogance apposer son sceau sur une réalité traumatisante, angoissante en de multiples facettes, en la sous-estimant pour privilégier de longues explications techniques sur l’énergie, l’électrique, les aides que le gouvernement allait continuer à apporter, paraît-il, aux citoyens les plus modestes, aux professions les plus impactées par la crise.

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Il y a sans doute de la bonne foi dans ces annonces, même si Caroline Roux à un certain instant les a trouvées un tantinet longuettes. Mais c’était inévitable puisque la structure même des entretiens présidentiels a pour vocation de leur permettre de dérouler du volontarisme, de l’optatif, de battre en brèche le désenchantement d’aujourd’hui par les espérances confortablement assurées de n’être pas contredites avant demain.

Et, pourtant, il a bien fallu aborder le réel si dur, si éprouvant, impossible à éluder, sur l’immigration, les promesses non tenues en matière de sécurité et de justice, le faible taux des OQTF (Obligations de quitter le territoire français), l’exaspération de plus en plus exacerbée de nos concitoyens face à un Etat sans autorité conduisant à une volonté de se faire justice soi-même avant même que la Justice officielle ait été saisie ou, pire, même quand cette dernière a été impeccable comme par exemple à Roanne (France Info).

Pas une fois le nom de Lola n’a été prononcé, comme si au fond le Président se lavait les mains et l’esprit des impatiences nationales, se contentait de prendre acte de ce qui va mal dans le pays et se reposait sur Gérald Darmanin pour, au milieu du désordre et des violences croissants, donner le change, démontrer une fermeté et bénéficier par contagion d’actions trop tardives de la part d’un ministre de l’Intérieur replongeant dans les sources de son passé républicain de droite ferme pour mieux préparer son futur présidentiel.

Si on a bien écouté l’entretien et son décryptage (Sud Radio, émission spéciale), la seule information – pour les uns courageuse, pour les autres dangereuse et inutile – s’est rapportée à la confirmation du projet de loi sur les retraites.

Avec à la clé, le risque d’une explosion sociale qui, venant s’ajouter au pouvoir d’achat amoindri, aux défaillances professionnelles, à la dépression d’une France lasse, morose ou perdant ses nerfs, nous fait craindre des lendemains qui ne chanteront pas…

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Houria Bouteldja: «Le voile permet aux hommes d’affirmer leur virilité!»

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Ses paroles nous vont droit au coeur


Jusqu’à présent, nous n’étions pour elle que des « souchiens ». Des sous-hommes en quelque sorte. Puis dans son extrême bonté, elle a décidé d’améliorer notre statut et de faire de nous des hommes, des vrais et qui en ont…

Voici sa recette. Houria Bouteldja était interviewée par deux YouTubeurs. Ceux-ci connaissant la question lui ont demandé ce qu’elle pensait de l’homophobie dans les quartiers qu’elle affectionne.

Sa réponse fusa, cinglante : « Ce n’est pas mon sujet ». En Cisjordanie, on décapite des homosexuels. Ils partent se réfugier à Tel Aviv , ville éminemment gay friendly. Comme on peut le constater, la banlieue a encore des efforts à faire.

Puis après cette digression intempestive, on est passé aux choses sérieuses : le voile ! Et là, accrochez-vous bien. Ça va être dur.

La vibrante indigéniste a expliqué que « le voile permettait aux hommes d’affirmer leur virilité ». Nous, on pensait bêtement que le voile était le symbole de l’asservissement de la femme. Mais nous ne nous étions pas aperçus qu’une femme soumise, c’est diablement excitant. Merci à Houria Bouteldja de nous avoir ouvert les yeux.

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Le voile est donc, selon son enseignement, un accessoire vestimentaire puissamment érotique. Rien de tel qu’une fille voilée pour attiser nos ardeurs. C’est beaucoup plus efficace, à coup sûr, que le viagra.

Mais dans cette exploration amoureuse et charnelle, on peut aller plus loin… Une fille en abaya aura des effets encore plus bénéfiques que le voile sur notre désir. Et le sommet, le top, qui vous fera grimper aux rideaux, qui vous garantira le septième ciel, c’est une étreinte avec une fille en burkini. On remarquera que pour son entretien, Houria Bouteldja n’était pas voilée. C’est pour ça que nous n’avons absolument pas envie d’elle.

Frédéric Massot: Histoire d’un salaud

Jouer, trahir, crever, le premier roman de Frédéric Massot, raconte l’histoire vraie d’un footballeur collabo.


André Gide a écrit que c’était avec les beaux sentiments qu’on faisait de la mauvaise littérature. Pour son premier roman, Frédéric Massot a dû suivre son conseil. Il raconte l’histoire véridique d’Alexandre Villaplane, vedette de football, surnommé le « Morpion », qui a participé, sous le maillot des Bleus, à la première coupe du monde disputée en Uruguay, en juillet 1930, sous quelques flocons de neige. Il connaît la gloire, le vertige devant les photographes, les cris de la foule hurlant quand il marque un but. C’est le Zidane de l’époque. La comparaison s’arrête là car le parcours du footballeur, capitaine de l’équipe de France, devient romanesque jusque dans l’abjection. Ce garçon, né à Alger en 1904, finira fusillé le 27 décembre 1944 au fort de Montrouge pour intelligence avec l’ennemi en vertu de l’article 75 du code pénal qui enverra au peloton d’exécution l’écrivain Robert Brasillach.

Documentation solide

Si le type a du talent avec un ballon au pied, il excelle dans les trafics en tous genres. C’est un sportif qui aime la vie facile, le monde interlope des truands, l’argent facilement gagné. Il semble ne pas avoir de morale malgré une vie de famille. Mais « Alex » n’a pas d’envergure. Il se contente de courses truquées. Ça respire la petite frappe minable si bien décrite dans les romans d’Alphonse Boudard. Car chez le « Morpion » la métamorphose va s’avérer foireuse et fatale. Jouer, trahir, crever raconte son itinéraire en s’appuyant sur une documentation solide.

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L’auteur a mené l’enquête, y mêlant parfois des éléments familiaux touchants. On découvre la transformation du foot amateur en foot professionnel, c’est-à-dire « business ». Mais, surtout, on voit combien il était facile, après la défaite de 1940, de tourner malfrat et de faire des affaires en côtoyant de belles ordures et des artistes qui buvaient du champagne et dégustaient de la sole de Dieppe en se foutant pas mal des jeunes résistants tués pour sauver l’honneur de la France. C’est tellement bien décrit par Frédéric Massot que ça ne donne pas envie d’être philanthrope.

Pétain en Cadillac

L’ancien capitaine des Bleus va croiser Monsieur Henri, Henri Chamberlin, dit Lafont, le roi des collabos, personnage cynique dirigeant la Carlingue, au 93 de la rue Lauriston, et devenir l’un de ses nombreux voyous qui traquaient les juifs et torturaient les résistants tout en menant la grande vie parisienne. Les fastes d’un pays défait et corrompu, à l’image de Pétain qui roulait en Cadillac offerte par Roosevelt. Arrêté, sentant la condamnation à mort, Villaplane écrit au juge d’instruction qu’il est « un combinard, et pas un assassin ». Alors qu’avoue-t-il ? Réponse de Frédéric Massot : « Sa honte surtout, son dégoût de lui-même, de cet uniforme d’Untersturmfürher dans la SS, de ce brassard qu’il a porté pendant trois mois ». Il a pourtant, paraît-il, sauvé des résistants, des FFI (Forces françaises de l’intérieur). Certains témoigneront à son procès. C’est que la frontière est poreuse entre résistants et collabos. Il suffit de relire Duras pour s’en rendre compte. Dans les périodes d’effondrement moral, la vraie nature des individus éclate. C’est souvent affligeant. L’héroïsme est une denrée rare. Villaplane portait le maillot des Bleus comme l’uniforme des SS. L’essentiel, c’était d’avoir du pouvoir.

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Moi, je suis Bistro

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Près de 500 pages à se damner dans le Bistrotier, livre du savoir « bien manger et bien boire » écrit par Stéphane Reynaud aux éditions du Chêne


Certains relisent Proust pour accepter la vacuité des temps modernes, moi, je choisis en ce début du mois de novembre, le Bistrotier, gros pavé, aussi épais qu’une côte de bœuf charolaise, rédigé par Stéphane Reynaud et illustré par l’artiste photographe Marie-Pierre Morel. Ses clichés sont juteux à souhait, le persillé des viandes qu’elle saisit sous son objectif vous fait du gringue dans l’assiette ; quant aux terrines, splendides de poésie agraire, tableaux naturalistes où le gras et le maigre s’harmonisent dans des tonalités automnales, leur rendu visuel a une sorte d’éclat crouté aux reflets mordorés qui appelle une mastication heureuse, mes mâchoires en claquent d’avance, je ne m’appartiens plus, je cède au péché de la gourmandise.

Je me demande si le Bistrotier, livre qui ravive « l’esprit bistrotier à la maison » n’est pas ce que j’ai lu de plus sensuel et déchirant, de plus salutaire et merveilleux, de plus profondément humain et désintéressé, depuis une vingtaine d’années.

Dernier témoin de notre civilisation

Je me demande si le Bistrotier, livre qui ravive « l’esprit bistrotier à la maison » n’est pas ce que j’ai lu de plus sensuel et déchirant, de plus salutaire et merveilleux, de plus profondément humain et désintéressé, depuis une vingtaine d’années. Nous sommes à la fois chez Virgile et chez Rabelais, dans un dessin de Sempé ou un film de Sautet. Il y a dans ce recueil ménager, une forme d’abandon et d’exil intérieur qui en dit bien plus sur notre résistance aux fossoyeurs du « bien manger » que la lecture laborieuse des autofictions faisandées et victimaires de la rentrée littéraire. D’abord, vous compulsez ce Bistrotier distraitement, le regard furtif, sans vous rendre compte que le zinc et les nappes blanches sont les derniers témoins de notre civilisation la plus évoluée. Et puis, vous vous arrêtez sur quelques plats de votre enfance, et là, entre les rillettes de cochon et la salade de museau, vos yeux commencent à briller, votre ventre crie famine, votre langue appelle au secours, vous avez faim.

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Tripes, rognons, cervelles d’agneau

Dès la première page de son roman La Mandarine paru en 1957, Christine de Rivoyre écrivait cette phrase demeurée célèbre : « Au bout de dix ans de mariage une femme ne devrait pas avoir envie de manger après l’amour, mais moi, Séverine, j’ai envie, et c’est une sensation que je recherche, que je choie… ». Le goût du bon et de l’éternel ne trompe pas. Toutes ces entrées ventrues, ces cochonnailles pimpantes, ces pièces de boucher maturées, ces plateaux de l’écailler à l’équilibre instable et ces desserts d’enfance sont le miroir de notre culture bistrotière, à la croisée des mères lyonnaises, des brasseries parisiennes au brouhaha chantant et des producteurs responsables.

Dans ce Bistrotier, il y a la France des éleveurs, des vignerons, des cuisiniers, des maraîchers, des boulangers, des ostréiculteurs, de tous les ordonnateurs d’un bien-être salvateur. Sans eux, nous aurions déjà viré dans une virtualité suicidaire. Aller au bistrot pour mordre dans un véritable jambon-beurre au comptoir ou s’attabler devant une saucisse de Toulouse/purée est une parenthèse enchantée dans la journée d’un travailleur, dommage que ce soit le plus souvent un luxe, ça devrait être un droit fondamental, une avancée sociale réclamée par les syndicats, une exigence républicaine. Car on ne s’y rend pas seulement pour se nourrir dignement, mais aussi pour écouter les conversations voisines, repousser les emmerdements de la matinée, nous extraire de notre solitude et partager enfin une heure de notre vie avec des inconnus, une heure qui ne serait pas soumise à une rentabilité immédiate et obscène, une heure où la parole serait libre et les cuissons précises. Notre citoyenneté en sortirait grandie.

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Alors, quand le moral flanche, quand l’essence vient à manquer et que l’actualité est tout simplement d’une dégueulasserie sans nom, on aspire à quelques minutes de répit autour de recettes fédératrices. Pour se souvenir et communier sur l’autel d’une gastronomie humaniste. Dieu que c’est beau, un bistrot qui sert du fromage de tête ou des gougères sauce Mornay, j’y vois la main experte du charcutier et la virtuosité du maître-saucier. Ces gestes de fraternité concourent à notre cohésion nationale. Ne cherchez pas ailleurs les ferments de notre « vivre ensemble », il se trouve à midi dans des établissements qui respectent encore la provenance des produits, la saisonnalité et la maîtrise du feu. Devant ces goûts immémoriaux, notre mémoire n’a rien oublié. Face à un œuf mollet, je mets un genou à terre.

Nous entrons dans le mois des abats, le Bistrotier, nous parle des tripes, des rognons aux châtaignes ou de la cervelle d’agneau, avec des mots simples, sans affèterie, sans ostentation, sans instrumentation, sans calcul politique, juste parce que leur texture et leur empreinte gustative nous procurent des émotions bien supérieures à la grande littérature. Je ne me remets pas encore de la photo (page 237) d’un gros salé, de ses lentilles du Puy, de ses rondelles de saucisson, de son échine de porc et de sa poitrine fumée, nous atteignons-là des sommets d’érotisme culinaire. 

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Rokhaya Diallo à l’ENS: «le concept d’universalisme européen est un mythe»

Lors d’une conférence à l’ENS, Rokhaya Diallo, grande prêtresse wokiste, récuse l’universalisme européen (notamment français) en faisant preuve d’une ignorance historique flagrante ainsi que d’une logique défaillante. Mais le plus grand problème est que dans ce prétendu temple du savoir académique, elle ne rencontre aucune opposition.


« Nous devons changer la perception que le peuple français a de lui-même. Ce n’est plus un pays blanc et chrétien ».

Rokhaya Diallo. Al Jazeera, 13 mai 2017.

Rokhaya Diallo était invitée à l’ENS (École normale supérieure), rue d’Ulm, mardi 11 octobre, dans le cadre d’une conférence sur l’identité et l’universalisme européens. Les idées exposées par la journaliste à cette occasion sont réunies dans un texte édité sur le site de la revue Le Grand Continent, publiée par le Groupe d’études politiques domicilié à l’ENS. Ce texte s’intitule “Déseuropéaniser l’universalisme”, et annonce immédiatement la couleur : « Le concept d’universalisme européen est un mythe ».

Rokhaya Diallo, adepte et promotrice des thèses racialistes américaines, souhaite ardemment que la France devienne un pays multiculturaliste, multiethnique et musulman. En France, la journaliste ne parle que rarement de l’islam et ne l’évoque que pour défendre mezzo voce le port du voile ou les mosquées menacées de fermeture pour propagande frériste. Aux États-Unis, elle se montre plus virulente et profite de sa tribune dans le Washington Post pour traiter sèchement la France de pays raciste et islamophobe. Elle aimerait imposer l’idée que le racisme n’est pas une exception en France mais une vérité originelle, constitutive d’une histoire honteuse. L’Occident, selon elle, ne doit sa prospérité qu’à la colonisation, à l’esclavage et au racisme – pourtant, l’Occident n’a pas attendu la colonisation (qui lui a souvent plus coûté qu’elle ne lui a rapporté) pour explorer tous les domaines – religieux, économiques, philosophiques, artistiques, techniques, politiques – qui ont fait longtemps de lui, quoi qu’en pense Rokhaya Diallo, un modèle à imiter. Régulièrement, la militante décolonialiste attaque l’universalisme français, qu’elle juge trop « masculin, blanc et bourgeois »[1].

Rokhaya Diallo – qui écrit « universalisme européen » mais vise toujours, d’abord, l’universalisme français – a compris que le wokisme et le concept d’intersectionnalité pouvaient être de formidables alliés dans son combat contre la France, son histoire et sa culture. La novlangue wokiste lui sert à ratisser large et à désigner le « coupable presque parfait » (Pascal Bruckner) : « Le concept d’universalisme européen est un mythe perpétué par des cercles de pouvoir majoritairement masculins, blancs, hétérosexuels, cisgenres, valides et bourgeois. Il est le paravent d’une blanchité et d’une masculinité qui ne disent pas leur nom, un mensonge collectif habillé de bienveillance qui camoufle mal ses velléités de préservation des intérêts de classes privilégiées ». Les «sic» me manquent pour relever toutes les incongruités de ce seul passage.

À l’aide de contorsions dialectiques qui ne peuvent abuser qu’un auditoire acquis à la cause ou ignorant, elle ne retient de l’histoire que les phénomènes susceptibles d’étayer sa thèse. Mme Diallo affirme que « si l’universalisme est une valeur louable, un mythe que l’Europe se raconte à elle-même, ses vertus ne trouvent pas d’écho dans aucune réalité présente ou passée », et néglige ainsi les droits politiques, juridiques, etc., nés de cet universalisme, et que beaucoup de peuples nous envient. Pour justifier cette assertion, Rokhaya Diallo réduit l’histoire européenne à ses « entorses aux principes universalistes » : la colonisation, l’esclavage, et même, dans un raccourci inqualifiable, « la naissance de l’idéologie nazie, la conception de lois raciales – dans le prolongement intellectuel des lois coloniales – et l’extermination de million de Juifs européens ». Par un retournement spectaculaire (ce ne sera pas le seul), elle affirme que ce sont les « peuples esclavagisés et colonisés qui ont su apporter à l’Europe ces principes qu’elle s’évertuait à bafouer », en s’appuyant entre autres exemples sur la « révolution algérienne ». Manipulant l’histoire pour renforcer le statut victimaire des « minorités », Rokhaya Diallo entretient le ressentiment d’une partie de la population immigrée qui refuse de s’intégrer à la société française et impose de plus en plus les pratiques culturelles et religieuses des pays d’origine : « Au nom d’un prétendu universalisme, on leur refuse le droit de penser leur condition et de désigner de manière explicite les maux qui les affectent ». Ces maux seraient le racisme et l’islamophobie systémiques de la France.

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En matière d’émancipation, l’Afrique, selon Rokhaya Diallo, n’a pas de leçons à recevoir de l’Europe. « Bien des modes de pensée, des outils d’émancipation ont été produits intellectuellement en dehors du continent européen. La charte du Manden édictée en 1222 dans l’empire du Mali sous le règne du Soundiata Keita énonce dans son premier article que “une vie est une vie” et fait à travers ce principe équivaloir toutes les vies humaines », déclare-t-elle. Le public de l’ENS a paru subjugué par cette révélation – qui nécessite néanmoins quelques éclaircissements.

Premier point. Cette charte, qui se décline en « sept paroles » et ne peut en aucun cas se comparer à l’impressionnant corpus qui a conduit à l’élaboration des constitutions des pays occidentaux, bénéficie d’un regain d’intérêt depuis qu’elle a été inscrite en 2009 par l’Unesco sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Bien des historiens se sont étonnés de la voir à cette occasion désignée comme « une des plus anciennes constitutions au monde ». En effet, soulignent-ils, cette « constitution » n’a aucun fondement historique et est en réalité une charte apocryphe composée d’éléments oraux disparates et incertains réécrits par des historiens et des chercheurs maliens au XXe siècle.[2]

Deuxième point. Quand bien même cette charte serait, comme l’écrit Rokhaya Diallo, un « outil d’émancipation », nous nous étonnons que cette intention déclarée au XIIIe siècle dans l’empire du Mali n’ait pas été suivie de plus d’effets, c’est le moins qu’on puisse dire, pour ce qui concerne l’esclavage – et nous étonnons encore plus que Mme Diallo, qui reproche à l’universalisme européen de n’avoir trouvé « aucun écho dans la réalité », ne s’en étonne pas. En effet, deux « paroles » de cette charte érigent la nécessité de ne plus réduire en esclavage les habitants de l’empire : « La guerre ne détruira plus jamais de village pour y prélever des esclaves » et « L’essence de l’esclavage est éteinte ce jour d’un mur à l’autre du Manden » (territoire compris entre le sud du Mali et l’est de la Guinée). Or, l’esclavage perdurera et s’amplifiera en Afrique de l’Ouest (captures d’hommes, de femmes et d’enfants, pillages, razzias, destruction de villages) durant toute la période qui suivra cette merveilleuse déclaration (avant, pendant et après la traite transatlantique) et ne sera officiellement aboli au Mali qu’en 1905 par… l’administration coloniale française. Rappelons à cette occasion que ce sont principalement des Européens guidés par une conception universaliste de la liberté et de l’égalité entre les hommes qui ont permis les débats sur l’esclavage puis son abolition officielle.

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Troisième point. Malheureusement, aujourd’hui encore, une forme d’esclavage appelée « esclavage par ascendance », c’est-à-dire l’assignation au « statut d’esclave » pour des personnes dont l’un des ancêtres a été réduit en esclavage par le passé, se perpétue au Mali sous couvert de domesticité, de mariage, etc. On se souviendra des quatre Maliens qui, militant contre cette pratique, furent battus à mort à Djandjoumé sur l’ordre des élites locales en 2020, et des manifestations contre l’esclavage qui s’ensuivirent à Kayes. Ce type d’esclavage continue d’exister dans de nombreux pays africains, du Nigéria à la Mauritanie, de la Libye au Tchad.[3] Mme Diallo n’en parle jamais –comme elle n’évoque jamais les pourtant très documentées traites d’esclaves intra-africaine et arabo-musulmane.

Passons rapidement sur une affirmation comme : « L’Europe ne peut porter son universalisme qu’en interrogeant son rapport au monde et en faisant preuve d’humilité car elle est mieux connue des autres qu’elle ne les connaît », qui aurait fait sourire le philosophe grec Castoriadis qui n’a eu de cesse de mettre en exergue cette tradition européenne fondamentale la distinguant du reste du monde, celle d’une autocritique permanente, d’un questionnement incessant du bien-fondé de telle ou telle action (celle du colonialisme, entre autres) comme de telle ou telle idée (celle de l’universalisme, par exemple). Cette affirmation aurait fait sourire également Levi-Strauss, éminent représentant des deux disciplines inventées par l’Occident que sont l’anthropologie et l’ethnologie et adepte d’une vision du monde étayée par une réflexion sur l’unité du genre humain (à travers des universaux culturels comme, par exemple, la prohibition de l’inceste) et la diversité des cultures, et qui dénonça en son temps un antiracisme arc-bouté sur l’éloge d’un métissage culturel qui ne pouvait conduire, d’après lui, qu’à une destruction du monde.

Pour conclure son long et redondant exposé, Rokhaya Diallo colle à l’actualité et ose le salto arrière rhétorique : « Les vagues de protestations auxquelles nous assistons actuellement en Iran démontrent qu’il n’est point besoin de se référer à la pensée européenne pour aspirer à la liberté ». La militante décolonialiste ne recule décidément devant rien. Celle qui considère qu’en France, « dans un contexte islamophobe où les femmes musulmanes peinent à être reconnues comme des individus à part entière […] La liberté peut aussi être dans le hijab »[4], se sert d’un féminisme dévoyé pour justifier en même temps l’épidémie du port du voile islamique qui touche notre pays et le combat des Iraniennes pour se débarrasser de cet objet de soumission.

Rokhaya Diallo est sur tous les fronts et ne rencontre quasiment aucune résistance. Après celui de l’ENS, c’est le pont-levis de l’ESSEC qui s’abaisse et laisse l’idéologue multiculturaliste et wokiste prêcher la bonne parole dans son enceinte. La journaliste décolonialiste est en effet cette année la marraine du programme «Égalité des chances» de cette école prônant, comme tout le monde, « l’égalité, la diversité et l’inclusion ». Mme Diallo peut se réjouir : nos écoles et nos universités sont devenues des lieux ouverts à tous les vents mauvais, ceux de la propagande wokisto-progressiste, immigrationniste et racialiste, dont elle est sans conteste la plus fervente et efficace représentante.


[1] Rokhaya Diallo : « Le concept d’universalisme français est un mythe ». Entretien donné à Jeune Afrique le 18 avril 2017. Rokhaya Diallo : « La France n’est pas universaliste ». Entretien donné au Télégramme le 2 mai 2021.

[2] «La charte du Manden ou l’instrumentalisation du passé africain», réflexions de Francis Simonis, spécialiste de l’histoire des sociétés mandingues en Afrique de l’Ouest, publiées dans Libération le 15 avril 2015.

[3] «Pourquoi « l’esclavage par ascendance » subsiste encore au Mali»,The Conversation, 11 mars 2021.

[4] Rokhaya Diallo : « La liberté peut aussi être dans le hijab ». Marianne, 20 novembre 2021.

Un Imam américain aurait mis en scène une agression islamophobe

Au mois de mars, un prêcheur musulman californien prétend avoir été la victime d’une agression violente par un Blanc islamophobe. En septembre, il annonce que son agresseur a été arrêté. Pourtant, aucune trace officielle ne semble prouver la véracité de ses dires.


A notre époque, le statut de victime a tellement d’importance dans les guerres de propagande que certains individus ont recours à des mises en scène non seulement pour attirer la sympathie de leurs collègues idéologiques, mais aussi pour accuser leurs adversaires idéologiques d’être des oppresseurs violents.

On se souviendra du cas de l’acteur afro-américain, Jussie Smollett, qui en 2019, a payé deux hommes nigérians pour faire semblant de le tabasser dans la rue, la nuit, en l’injuriant de propos racistes et homophobes et en scandant le cri de ralliement des supporters de Donald Trump, « MAGA ! » (« Make America great again »). La nouvelle a provoqué un mouvement d’indignation dans les médias de gauche et le gratin hollywoodien qui ont dénoncé les violences racistes des Blancs, surtout trumpistes. Pourtant, une enquête par la police a découvert la supercherie. Quoique défendu par l’organisation Black Lives Matter, l’acteur a finalement été reconnu coupable par un tribunal d’avoir manigancé sa propre agression.

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Un fait similaire s’est produit cette année, mais cette fois la fausse victime prétend avoir été agressé par un Blanc islamophobe. Le 24 mars, un imam de San Diego en Californie, Uthman Ibn Farooq, poste une vidéo sur sa chaîne YouTube – qui a 303 000 abonnés et la vidéo 417 000 vues – où il raconte comment il a été insulté, agressé (« you *** terrorist !! ») et même poignardé à l’estomac par un homme portant un masque anti-covid et une casquette de baseball. L’incident aurait commencé au moment où le prêcheur était assis au volant de sa voiture et le point culminant de l’attaque serait arrivé après qu’il était descendu de son véhicule.

La vidéo postée comprend une séquence que l’imam aurait filmée de l’intérieur de la voiture et qui montre l’agresseur supposé en train de proférer des injures. Au cours de son récit de l’attaque, le prêcheur expose ce qui semble être un pansement sur son ventre. Il ajoute qu’il a été soigné aux urgences et qu’il a porté plainte à la police. Le Council on American-Islamic Relations, par sa branche de San Diego, a condamné une agression motivée par des préjugés antimusulmans.

La nouvelle de la prétendue attaque s’est répandue sur les réseaux sociaux comme une traînée de poudre. Au Royaume Uni, le média d’informations musulman, 5Pillars, a tweeté sa condamnation de l’agresseur islamophobe. Des YouTubeurs musulmans notoires, comme Eddie Deen, un converti à l’islam, qui a plus de 537 000 abonnés. Des médias au Nigéria et en Afrique du Sud ont rapporté l’incident. Certains commentateurs ont condamné les médias occidentaux, américains et autres, pour avoir ignoré ce crime haineux.

En septembre, Uthman Ibn Farooq a annoncé que la police avait trouvé et arrêté son agresseur. Le think tank américain, Middle East Forum, a décidé de mener une enquête, dont les résultats ont été publiés le 16 octobre. Contactée à plusieurs reprises, la police de San Diego a nié avoir procédé à une telle arrestation et même avoir la moindre trace d’une plainte de la part de l’imam.

Puisqu’aucune plainte n’a été déposée, le prêcheur ne court aucun risque d’être condamné comme Jussie Smollett l’a été. Pourtant, son exemple montre que, quand les enjeux politiques et sociaux sont importants, il faut toujours se méfier des fausses victimes.

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Tant qu’il y aura des films

Retrouver le chemin des salles de cinéma reste une nécessité si l’on veut bien considérer que le grand écran, c’est la bonne taille pour regarder un film. Deux nouveautés et une ressortie pour s’en persuader.


Au suivant  !

Un beau matin, de Mia Hansen-Løve

Sortie le 5 octobre

Affiche du film

Alors qu’est relancé le serpent de mer de l’euthanasie pour tous, les cinéastes français n’en finissent pas de nous tendre des miroirs plus ou moins talentueux sur la fin de vie. On avait laissé l’an passé François Ozon et son Tout s’est bien passé, avec un Dussollier cabotinant un peu trop dans le rôle du vieux caractériel au bord de la tombe, roi Lear tyrannisant ses deux filles compatissantes. Mais on est beaucoup plus convaincu par l’interprétation que fait de cette figure l’impeccable et rohmérien Pascal Greggory. Il est en effet à l’affiche du nouveau film écrit et réalisé par la réalisatrice française Mia Hansen-Løve qu’on connaissait jusque-là dans un cinéma plus corseté et moins empathique. Un beau matin s’inspire directement des derniers mois de la vie de son père qui perd peu à peu le contact avec la réalité. Cette proximité avec son sujet explique assurément que le film, contrairement aux précédents, baisse la garde d’une écriture trop sage et d’un univers balisé : le dernier, Bergman Island, se mettait carrément dans les traces du cinéaste suédois révéré. Ici, on oublie les références trop pesantes et la famille décrite par la réalisatrice s’avère absolument réjouissante, même dans un contexte forcément dramatique. Au premier rang donc, ce père, ancien prof adulé par ses étudiants, qui est atteint d’une maladie neurodégénérative dont il accepte assez bien les symptômes. Sa fille, jouée par Léa Seydoux (depuis France, le film cruel mais juste de Bruno Dumont, elle trace le sillon d’une actrice hors norme et capable de tout), souhaite assister son vieux père et vivre avec lui la cérémonie des adieux. Tout en lui cherchant une place dans un Ehpad pas trop cher et parisien. Ce qui, on le sait, revient à chercher la perle rare… Le film tire parfaitement son épingle du jeu de ce versant réaliste, presque documentaire, entre renoncement, accablement et soulagement. On trouve même des ferments de comédie dans cette course au trésor surréaliste. Et dans ce rôle d’orpailleuse, Seydoux fait des merveilles. À ses côtés, une mère absolument loufoque jouée et déjouée par Nicole Garcia plus que parfaite : elle y incarne une bobo parisienne reconvertie dans l’activisme forcené qui jouit de passer la nuit dans un commissariat de police. Portrait au vitriol d’une fofolle progressiste, ridicule précieuse de notre temps et qui, semble-t-il, existe bel et bien dans la réalité familiale de la réalisatrice. Ce parfum d’authenticité renforce le plaisir que l’on prend aux tribulations de cette révolutionnaire des beaux quartiers. C’est dans ce quotidien débridé que se noue une rencontre amoureuse entre le personnage de Seydoux et un « cosmo-chimiste explorateur » auquel Melvil Poupaud prête son indéniable charme rohmérien. Cet adjectif est de mise, au moins dans la façon dont Mia Hansen-Løve traite cette histoire dans l’histoire que n’aurait pas reniée Éric Rohmer. Un beau matin a souvent le bavardage brillant et l’érudition classique. Ce « conte de la fin de vie » se double donc d’un « conte amoureux », les deux dimensions se rencontrant assez harmonieusement. Les états d’âme des uns font écho aux coups de folie et de blues des autres. Le conte se fait chronique et inversement, sans perdre le spectateur en route.

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Mais, il faut y revenir, un acteur porte le film sur ses épaules de bout en bout, et c’est Pascal Greggory. On pouvait tout craindre de ce rôle à effets de pathos potentiels. On connaît la chanson de la représentation outrée et outrancière de la maladie, de la mort et de la sénilité. L’acteur fétiche et de Rohmer et de Chéreau, entre autres, joue une autre carte bien plus subtile et complexe. Il use d’un nuancier admirable pour représenter cet esprit qui s’en va, cette intelligence qui se met en sommeil, cette vieillesse qui retombe en enfance. On y croit sans avoir le sentiment d’être pris en otage par un protocole compassionnel imposé et indésirable. La cinéaste et son acteur multiplient les scènes d’une justesse absolue sans jamais provoquer de malaise voyeuriste chez le spectateur. Ce Beau matin là a la grâce.

Au scalpel

R.M.N., de Cristian Mungiu

Sortie le 19 octobre

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R.M.N., en roumain, c’est notre IRM à nous. Le nouveau film du très remarquable cinéaste roumain Cristian Mungiu s’impose d’entrée de jeu comme une étude microscopique de la société roumaine à partir d’un petit village des Carpates, à la frontière hongroise, pris sous la double dictature bureaucratique de la mondialisation et des directives européennes. Sans compter l’arrivée de migrants qui brouille les cartes et les repères. Mungiu a l’extrême intelligence de ne condamner personne a priori et surtout pas les tentations de repli sur soi et de protection. Il s’interroge sur la façon dont les mécanismes économiques en cours entraînent des comportements humains parfois erratiques, mais jamais infondés. Une incroyable scène de conseil municipal en forme d’exutoire collectif, longue de vingt minutes, renforce cette impression d’analyse équilibrée. Avec un tel film, le cinéma politique retrouve ses lettres de noblesse. Et c’est d’ailleurs certainement la raison (idiote) pour laquelle il est reparti bredouille du dernier Festival de Cannes présidé par un Vincent Lindon qui décidément passe à côté de ce en quoi il fait profession de croire.

À l’os

Le Jouet de Francis Veber

Sortie le  19 octobre

Affiche du film

C’est assurément le film le plus caustique, le plus drôle et le plus radical de son auteur-réalisateur, Francis Veber. Sorti en 1976, il est bien plus mordant que son languissant Dîner de cons ou ses poussifs tandems avec Depardieu et Pierre Richard. Ce dernier partage l’affiche de ce film hors norme, Le Jouet, avec Michel Bouquet, glaçant, glacé et glacial. Et au milieu de ce duo, un enfant, le fils d’un grand patron (c’est Bouquet) qui veut comme cadeau, comme jouet, l’un des employés paternels (et c’est Richard). Abyssale situation de départ. De ce démarrage iconoclaste et incorrect, Veber fait un film qui tient la note jusqu’au bout. Soit un véritable conte cruel qui pourrait figurer dans une comédie italienne des années 1970 où il serait question de monstres quotidiens. Le casting est à la hauteur du propos. Depuis 1976, on cherche un alcool fort de ce type au cinéma. La plus mauvaise idée serait d’en faire un remake forcément pâle et à l’aune des lâchetés sociales actuelles. C’est hélas chose faite et le film sort bientôt. Il est absolument urgent de le bouder et d’aller voir ou revoir l’original, le seul, l’unique, sur grand écran.

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Le rap, c’est aussi une histoire de France !

Une série diffusée sur Arte, Le Monde de Demain, décrit la naissance du groupe NTM sur fond d’explosion du Hip Hop.


La mini série d’Arte, Le monde de demain, des réalisateurs Katell Quillévéré et Hélier Cisterne, retrace la naissance du hip hop en France et plus précisément, la genèse du groupe NTM. Parler de rap, de Seine Saint Denis et de « nique la police », n’est pas très populaire sur Causeur, mais le rap, c’est aussi la culture du « clash » et j’accepterais volontiers de me faire « clasher », après tout, ce sont les règles du jeu.

Quand la lumière venait du 9-3

Le hip hop, ça n’est pas ma culture, toute occupée que j’étais dans ma jeunesse à écouter du rock et à parfaire ma connaissance des groupes anglais des années 60. Je le regrette, maintenant. Car dans le hip hop, au début des années 80, on ressentait cette énergie folle qui fit vibrer l’Angleterre des 60’s, ou plus tard, celle du punk, qui fut notre dernière dose d’amphétamines, pour nous les « Blancs », avant l’ennui. Il fallut donc que la banlieue, le 9-3 vienne nous réveiller.

Si j’ai beaucoup aimé la série, c’est avant tout parce qu’elle raconte une histoire, et pas seulement un fait de société. L’histoire de Didier Morville dit Joeystarr, de Bruno Lopes dit Kool Shen, mais aussi du DJ (disc-jockey) Dee Nasty, et de toute une bande de danseurs de hip hop et de grapheurs. De filles aussi, qui gravitent autour, qui doivent s’imposer, avec un parcours plus tragique.

Didier et Bruno sont deux petits gars de Saint Denis – « c’est d’la bombe baby » – la bombe faisant ici référence à la culture du graffiti, mais hélas, en 2022, cela résonne différemment. Didier est antillais, fils unique, et se fait tabasser par son père, il dira plus tard : « La ceinture c’est culturel chez nous ». La mère est absente. Bruno, mi breton mi portugais, vit dans une résidence, il vient donc d’un milieu un peu plus « aisé », mais surtout est entouré de parents aimants.

Les deux lascars s’ignorent, jusqu’à ce que le hip hop les réunissent. En effet, lors d’une sortie au Trocadéro, ils tombent en admiration devant un groupe de danseurs de hip hop. Et leur vie prendra enfin un sens.

Cependant, au commencement, il y eu le DJ Dee Nasty, de son vrai nom : Daniel Bigeault. C’est lui qui a importé le hip hop en France, après un voyage à San Francisco. S’il est devenu plus tard un DJ mondialement connu, il ne connut pas les débuts fulgurants de NTM. Il apparaît dans la série comme un prophète, celui qui prêche la bonne parole hip hop, mais qui galère. Il n’a pas la tchatche de ses potes, pourtant il bosse dur.

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Il fut vraiment un pionnier, qui a essayé d’insuffler, en vain, l’esprit hip hop à la mythique radio libre :  Carbone 14. Il officie plus tard sur la non moins mythique – mais plus officielle – Radio Nova. Encore une fois, cela se passe mal. Pourtant, c’est grâce à lui, qui avait investi un terrain vague à La Chapelle, où grapheurs et danseurs de hip hop pouvaient donner libre cours à leur créativité canaille, et – à l’époque illicite – que Didier Morville et Bruno Lopes sont devenus Joeystarr et Kool Shen. A la tête, avec DJ S, du posse Suprême NTM. Car NTM, au départ, c’est toute une bande. Le rap, la danse et le graph ne font qu’un. Le 9-3 et le Nord de Paris sont devenus, grâce à eux, l’espace d’un moment, notre Harlem à nous.

La série aurait d’ailleurs pu s’appeler Le monde d’hier, tant cette énergie, cette façon de revendiquer, non pas une appartenance raciale, mais l’identité d’un quartier, le 9-3, qui à l’époque débordait de vitalité, nous semble à des années-lumière de ce que nous vivons aujourd’hui.

Comme souvent, Joey et Kool Shen ont commencé leur carrière musicale sur un malentendu, par défi, pour répondre au chanteur du groupe Assassin qui ne les croyait pas capables d’écrire des textes et de les interpréter. Ils furent repérés et signés (avec l’aide de Nina Hagen) par le label Epic Record, et enregistrent le single « Le monde de demain » (qui donne son titre à la série), sur un sample de Marvin Gaye, et un texte, mythique et définitif, de Joey et Kool Shen : « Le monde de demain, quoiqu’il advienne nous appartient, la puissance est dans nos mains, alors écoute ce refrain ». La suite, nous la connaissons.

Pureté sauvage

Pour les besoins de cette chronique, j’ai regardé des vidéos de NTM en concert. C’est impressionnant, à la fois de précision et de pureté sauvage. Kool Shen à un « flow » énergique, qui claque comme un métronome, tandis que Joey évolue, tel un félin, avec un charisme qui sature l’espace. Il ponctue les morceaux de cris, de râles, et sa gestuelle est chaloupée, il est partout, il parcourt la scène, un peu comme un chanteur de rock – le Mick Jagger des débuts des Stones – peut-être. J’ai d’ailleurs un ami qui affirme que NTM est le plus grand groupe de rock français.

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Maintenant, Joey est devenu un acteur reconnu (ironiquement, il est excellent dans le rôle d’un flic dans Polisse) et Kool Shen presque un businessman (il a toujours eu la tête sur les épaules.)

Malgré tout ce qu’on peut dire sur ce groupe, sur le soufre qu’il véhicule, ils resteront, en plus d’être des bêtes de scène, les auteurs de textes qui touchent, qui bousculent, qui innovent : « Sache qu’ici bas, plus qu’ailleurs la survie est un combat, à base de coups bas, de coups de ton-bâ, d’esquives et de « paw » de putains de stomba ». (Laisse pas traîner ton fils). Qu’on le veuille ou non, des sortes d’héritiers de Ferré.

Respect.

Le Monde de demain, disponible sur Arte, six épisodes de 48 minutes.

Confessions intimes, pour quoi faire ?

Dorénavant, les célébrités satisfont leur narcissisme (inhérent à la société actuelle) en étalant leur vie et leurs états-d’âmes dans des « oeuvres ». La production artistique ne découle plus de l’artiste mais incarne l’artiste même, dont le sujet doit déchainer les passions.


Il paraît que musiciens, présentateurs et comédiens se livrent de plus en plus sur leur vie intime, dans des livres, des chansons ou sur scène (Le Parisien).

Pour quoi faire ? Pourquoi, aujourd’hui, l’exhibition est-elle devenue non plus une tare mais une obligation ?

Je me demande si cette présentation sans fard de soi ne démontre pas la pauvreté de l’imagination, le caractère relatif du talent, qui a besoin de disposer d’un capital personnel pour s’exprimer.

Mais aussi le narcissisme de certaines personnalités qui s’imaginent que leur « je » est universel et va intéresser bien au-delà de leur cercle immédiat…

J’admets que chaque subjectivité a ses préférences, ses dilections. En ce qui me concerne, il y a des êtres qui sont placés dans la lumière qui ne m’intéressent absolument pas parce que, à tort ou à raison, je suis persuadé qu’ils ne m’apporteront rien, qu’aucune de leurs pensées, aucun de leurs sentiments ne m’enrichiront. Non pas qu’ils soient forcément médiocres mais plutôt à cause de l’intuition qu’il y a des artistes, des vedettes dont la réputation n’est pas à la hauteur de ce qu’ils croient devoir nous transmettre, qui oscille souvent entre le banal ou l’insignifiant.

Le paradoxe est que la grande littérature – par exemple celle d’Annie Ernaux – est de plus en plus centrée sur l’auteur, son univers, et que le commun s’imagine qu’après tout il est infiniment simple de se montrer, de se décrire et de se proposer comme modèle. La conséquence en est que nous vivons dans un monde appauvri parce que les richesses dont on nous gratifie ne sont pas de qualité et que pour une artiste ou un chanteur brillant, passionnant, on doit en subir tant qui ne méritent pas le détour.

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Les confessions intimes sont la rançon d’une universalité défaillante. Le coeur vulgaire ou démagogique d’une humanité qui ne sait tourner qu’autour d’elle-même, en cherchant à se faire passer pour l’essentiel.

Qu’on compte tous ceux qui, dans l’impudeur, l’indécence ou la vulgarité, évoquent leur santé, leurs maladies, leurs états d’âme, leurs turpitudes, leurs faiblesses. Faute d’avoir des grandeurs et des noblesses à raconter, on s’abandonne à des petitesses et à de minuscules péripéties.

Par ce billet, je semble quitter la politique mais pourtant je suis frappé par un vice qui est consubstantiel à cet univers : l’inégalité intellectuelle. On n’ose pas le dire mais il suffit de suivre les débats de l’Assemblée nationale pour constater que, par exemple à La France insoumise, pour un François Ruffin de plus en plus lucide, on a un Thomas Portes dont une intervention adressée à Gérald Darmanin a été totalement délirante.

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Il n’est pas élégant de souligner comme, derrière l’humanisme abstrait qui se plaît à ne distinguer personne, il y a d’incontestables hiérarchies, des supériorités et des infériorités, que tout ne se vaut pas, que les confessions intimes des uns auraient dû demeurer dans le for intérieur, alors que d’autres trop rares ont cet immense avantage de nous parler de nous au travers d’elles.

Parce que je crois à la dure et implacable loi d’un monde qui n’a de cesse, pourtant, de tenter de se masquer la vérité : il y a ceux qui ont la grâce et les autres qui en sont orphelins.

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17 octobre, quand la guerre des mémoires nourrit l’appel à la vengeance

Le 17 octobre, selon que vous soyez un identitaire de droite, un identitaire de gauche, ou encore un islamiste, la date ne renvoie pas à la même référence. En revanche l’objectif est similaire : désigner l’ennemi et en appeler de façon subliminale à la vengeance. « L’affrontement » s’est déroulé de façon virtuelle et symbolique sur les réseaux sociaux, ce 17 octobre 2022, l’extrême droite tentant d’opposer au #17octobre1961 particulièrement cher sur le web aux islamistes et islamogauchistes, le souvenir du 17 octobre 1995.


La mise en avant du 17 octobre 1995 par l’extrême-droite a pour but de réveiller un traumatisme collectif enfoui. En faisant ressurgir l’attentat commis dans le RER C en 1995, l’objectif est ici de rappeler qu’une série d’attentats islamistes ont déjà eu lieu en France avant leur regain actuel. Ces attentats qui se sont déroulés entre juillet et octobre 1995 ont fait dix morts et près de 200 blessés. Ils sont liés au contexte de guerre civile qui se déroule à l’époque en Algérie et sont attribués au GIA (Groupe Islamique Armé) qui avait lancé le djihad sur le territoire français. Pour Damien Rieu, rattacher ce souvenir collectif à la date du 17 octobre est donc l’occasion de faire le lien entre violences, attentats et immigration dans un contexte où le meurtre atroce de Lola par une ressortissante algérienne a traumatisé les Français. C’est tout le sens de son tweet qui substitue à la date du 17 octobre 1961 celle du 17 octobre 1995 : [sic] « Le 17 octobre 1995 Smaïn Aït Ali Belkacem fait exploser une bombe dans le RER C. 30 blessés. Ni @EmmanuelMacron, ni @Anne Hidalgo n’en parleront : cet attentat n’aide pas à faire diversion #Lola ». Le tweet suppose donc que la mobilisation des islamistes, indigènes de la République et autres La France insoumise autour de la date du 17 octobre 1961 est là pour faire oublier le meurtre de la jeune Lola et une fois de plus, substituer à une horreur réelle et immédiate, un évènement historique que les islamistes exploitent depuis longtemps pour attiser la haine chez les musulmans. Il faut hélas reconnaitre que l’on a tous pu être gêné par le nombre de fois où, après des attentats atroces, islamistes et islamogauchistes ont tenté de faire porter le débat sur les risques de représailles envers les musulmans comme pour évacuer plus rapidement la réalité des victimes, alors même que les Français ne faisaient pas d’amalgames douteux, eux.

En revanche, pour l’extrême-gauche et les islamistes, cette date renvoie au 17 octobre 1961. A l’époque le contexte est lourd, la guerre d’indépendance se déroule en Algérie. A Paris, entre fin aout et début octobre, des commandos du FLN (Front de libération national) algérien prennent pour cible les policiers. Au cours de 33 attentats, 13 policiers sont tués. Ils sont exécutés quand ils sont isolés, en rentrant chez eux ou en partant au travail. C’est dans ce contexte qu’a lieu la manifestation du 16 octobre, alors que les policiers exaspérés nourrissent un fort ressentiment contre les militants algériens. Le FLN veut faire de ce défilé contre le couvre-feu imposé aux seuls Algériens, une démonstration de leur force et de leur emprise sur la communauté algérienne en France. Le 17 octobre, le nombre de participants à la manifestation est très élevé, autour de 50 000 personnes. La répression sera terrible et on estime à une centaine de personnes le nombre d’Algériens tués. Cette date, expurgée de tous les éléments de contexte, est devenue une référence pour l’extrême-gauche et les islamistes. Elle permet de faire le procès de l’Etat français en laissant entendre que depuis rien n’a changé et que la France et sa police continuent d’assassiner impunément. C’est ce qu’exprime crûment le tweet de Sihame Assbague, militante racialiste proche des islamistes : « Ce sont des crimes de la République. Un massacre colonial perpétré par l’Etat FR. Ce 17 octobre 1961, des milliers d’algériens qui manifestaient contre les mesures racistes de la Préfecture ont été raflés, tabassés, des dizaines d’entre eux noyés dans la Seine par la police. On n’oublie ni les victimes de 17 oct ni celles qui sont venues allonger la longue et funeste liste des tués par l’EtatFR. Leur rendre hommage c’est dire correctement les choses, répondre aux revendications des collectifs du 17oct & ne pas occulter la continuité de ces crimes ».

Bien entendu on peut compter sur la La France insoumise pour jeter de l’huile sur le feu et reprendre cette dialectique qui n’a vocation qu’à ancrer l’idée que les musulmans sont non seulement persécutés mais que leur souffrance est ignorée aujourd’hui comme hier. Clémentine Autain ajoute donc une couche à l’instrumentalisation de cette affaire en faisant comme si aucun travail historique n’avait été réalisé en France et comme si cette histoire était occultée et niée: « Ce qui s’est passé il y a 61 ans, la nuit du #17octobre1961, porte un nom : crime d’Etat. Le massacre des manifestants algériens à Paris entache l’histoire de notre République. Contre l’oubli, exigeons la vérité et la justice ». Or cela est faux. Il n’y a pas d’oubli. Depuis les années 90, la date est étudiée et fait l’objet d’articles, d’études historiques, de documentaires. Le procès Papon, préfet de police à l’époque a relancé les études sur cette période et nombre de débats ont eu lieu autour de cet évènement. En revanche essayez donc de voir si les massacres d’européens après l’obtention de l’indépendance en Algérie, comme les massacres d’Oran, font l’objet d’études historiques approfondies en Algérie comme en France et vous risquez d’être surpris de la différence de traitement.

Le plus significatif est que le tweet de Sihame Assbague réagit à une prise de position officielle du président Macron, lequel dénonce clairement la répression de la manifestation du 17 octobre 1961. François Hollande l’avait déjà fait en 2012. Cette histoire est d’ailleurs mise en valeur dans le cadre de Musée de l’Histoire de l’immigration.

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Que les deux dates méritent d’être remémorées et resituées dans leur contexte historique est exact. En faire des brandons pour réveiller en sous-main des haines politico-raciales est en revanche un jeu dangereux. Mais la quête de la vérité historique est la dernière chose que cherchent les identitaires de droite comme de gauche et les islamistes. Seuls certains évènements les intéressent car ils sont passés dans la mémoire collective de certains groupes et permettent de réveiller haine, frustrations et désirs de vengeance. La date du 17 octobre est de ceux-là. Mais La guerre des mémoires, si elle est virtuelle, parle malheureusement d’un désir d’affrontement réel sous couvert d’une victimisation orchestrée. Hélas, en l’absence d’un gouvernement perçu comme protecteur, ce type de raisonnement finit par atteindre ses cibles. Ce n’est jamais une bonne nouvelle pour la démocratie.

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Pourquoi les entretiens présidentiels sont-ils si peu regardés?

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Emmanuel Macron et Caroline Roux lors de l'émission TV "L'évènement" du 12/10/2022 / PHOTO: Jacques Witt/SIPA / 01090943_000002

Foi perdue en la parole des élus et des journalistes ou simple fatalisme, de plus en plus, les Français semblent (à tort) se désintéresser de la médiatisation politique et surtout présidentielle.


Le 12 octobre, l’entretien du président de la République avec Caroline Roux (France 2), consacré à la politique internationale, avait été suivi par 5,38 millions de téléspectateurs, audience relativement faible. On avait pu penser que c’était à cause du thème choisi qui en général sollicitait moins l’attention des Français que la politique nationale. Pourtant l’entretien d’hier 26 octobre, avec les mêmes, a subi une baisse encore plus nette (4,07 millions). Il y a donc une désaffection profonde des citoyens non seulement à l’égard des émissions politiques mais pour le verbe présidentiel.

Je regrette pour ma part cet abandon, voire cette indifférence de beaucoup de Français qui ne s’empêcheront pas, pourtant, de fustiger un pouvoir sur lequel leur parti est pris et leurs préjugés définitifs.

Réglons tout de suite le problème tenant à l’objection classique : ce serait partiellement à cause des journalistes. Cette mise en cause est fondée la plupart du temps mais ne peut concerner Caroline Roux qui est excellente, entre courtoisie et pugnacité.

Tout le contraire d’une Léa Salamé dont le hasard fait que j’ai écouté ensuite sa prestation courroucée face à Marion Maréchal qui l’a renvoyée dans ses cordes au sujet de Lola ; comme si la première était seule à être une mère et que la seconde ignorait cette condition.

Il serait malhonnête d’embellir le passé et de ne pas voir que, derrière une curiosité plus vive à l’égard des hommes politiques passés, il y avait déjà un lent mouvement de déclin médiatique et démocratique qui n’a fait que s’aggraver avec Emmanuel Macron. Pour des raisons qui tiennent à la personnalité de celui-ci, à son empathie surjouée et à l’amplification de travers qui ne lui étaient pas spécifiques mais qu’il a poussés à l’extrême.

De la même manière que j’ai exonéré Caroline Roux de la moindre responsabilité – sauf pour cet étrange choix, s’il relève de son initiative, de ne traiter l’essentiel qu’à la fin des échanges -, je voudrais décharger le président des reproches qui n’auraient aucun sens et qui reviendraient peu ou prou à lui dénier talent, intelligence et dialectique. Le tout n’emportant pas forcément l’adhésion, à cause de cette intuition qu’il est doué précisément pour vous entraîner là où la vérité s’efface…

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Si cet exercice de communication de plus en plus déserté par les Français prêtait à sourire, je garantis que les absents ont eu tort, notamment à deux moments où le président nous a offert une double face de lui-même.

La christique, quand il a affirmé qu’il fallait « se respecter les uns les autres », tout en ayant inspiré l’exclusion de l’arc républicain des députés La France insoumise et Rassemblement National ! Ils ne seraient donc pas « respectables »… et auraient surtout le grand tort d’être de vrais opposants…

La polémique, quand il s’est ensuite énervé sur un mode artificiel, reprochant à la Nupes d’avoir pactisé avec le Rassemblement National et donc d’être coupable de «désordre et de cynisme». Il serait trop facile, au regard d’un certain nombre de péripéties dérisoires ou plus graves, de lui retourner cette charge ; elle était surtout révélatrice de son tempérament impérieux qui, à cause de la majorité relative dont son camp ne cesse de pâtir, prétendait en plus imposer la manière dont les oppositions devaient se comporter à l’Assemblée nationale. Pour lui, à l’évidence, il était intolérable que ces oppositions «s’opposent». Une motion de censure n’est pas valider tel ou tel programme mais vouloir la fin d’un gouvernement !

À rebours de cette colère trop ostentatoire pour être authentique (et il a su, lui aussi, être cynique !), mais avec le même objectif, nous avons eu les flatteries aux députés Les Républicains, vantant leur mesure et leur rationalité, dont Olivier Marleix, Aurélien Pradié et les autres n’ont pas été dupes.

Trop c’était trop, dans l’indignation comme dans le compliment et la « retape » à peine masqués.

Au-delà de ces aperçus plus psychologiques que politiques, le Président a été victime, comme ses prédécesseurs mais sur un registre encore plus net, de la défiance structurelle qui s’attache à la parole publique. On ne veut même plus avoir l’élégance de l’écouter pour pouvoir la contester en connaissance de cause. On décrète par avance qu’elle n’aura aucun intérêt, qu’elle sera mensongère, manipulatrice, sans l’ombre d’une contrition, sans la moindre modestie. Qu’elle viendra avec plus ou moins d’arrogance apposer son sceau sur une réalité traumatisante, angoissante en de multiples facettes, en la sous-estimant pour privilégier de longues explications techniques sur l’énergie, l’électrique, les aides que le gouvernement allait continuer à apporter, paraît-il, aux citoyens les plus modestes, aux professions les plus impactées par la crise.

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Il y a sans doute de la bonne foi dans ces annonces, même si Caroline Roux à un certain instant les a trouvées un tantinet longuettes. Mais c’était inévitable puisque la structure même des entretiens présidentiels a pour vocation de leur permettre de dérouler du volontarisme, de l’optatif, de battre en brèche le désenchantement d’aujourd’hui par les espérances confortablement assurées de n’être pas contredites avant demain.

Et, pourtant, il a bien fallu aborder le réel si dur, si éprouvant, impossible à éluder, sur l’immigration, les promesses non tenues en matière de sécurité et de justice, le faible taux des OQTF (Obligations de quitter le territoire français), l’exaspération de plus en plus exacerbée de nos concitoyens face à un Etat sans autorité conduisant à une volonté de se faire justice soi-même avant même que la Justice officielle ait été saisie ou, pire, même quand cette dernière a été impeccable comme par exemple à Roanne (France Info).

Pas une fois le nom de Lola n’a été prononcé, comme si au fond le Président se lavait les mains et l’esprit des impatiences nationales, se contentait de prendre acte de ce qui va mal dans le pays et se reposait sur Gérald Darmanin pour, au milieu du désordre et des violences croissants, donner le change, démontrer une fermeté et bénéficier par contagion d’actions trop tardives de la part d’un ministre de l’Intérieur replongeant dans les sources de son passé républicain de droite ferme pour mieux préparer son futur présidentiel.

Si on a bien écouté l’entretien et son décryptage (Sud Radio, émission spéciale), la seule information – pour les uns courageuse, pour les autres dangereuse et inutile – s’est rapportée à la confirmation du projet de loi sur les retraites.

Avec à la clé, le risque d’une explosion sociale qui, venant s’ajouter au pouvoir d’achat amoindri, aux défaillances professionnelles, à la dépression d’une France lasse, morose ou perdant ses nerfs, nous fait craindre des lendemains qui ne chanteront pas…

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Houria Bouteldja: «Le voile permet aux hommes d’affirmer leur virilité!»

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Houria Bouteldja, porte-parole du mouvement des Indigenes de la République, le 08/01/2010 / PHOTO: CAPMAN/SIPA / 00591553_000018

Ses paroles nous vont droit au coeur


Jusqu’à présent, nous n’étions pour elle que des « souchiens ». Des sous-hommes en quelque sorte. Puis dans son extrême bonté, elle a décidé d’améliorer notre statut et de faire de nous des hommes, des vrais et qui en ont…

Voici sa recette. Houria Bouteldja était interviewée par deux YouTubeurs. Ceux-ci connaissant la question lui ont demandé ce qu’elle pensait de l’homophobie dans les quartiers qu’elle affectionne.

Sa réponse fusa, cinglante : « Ce n’est pas mon sujet ». En Cisjordanie, on décapite des homosexuels. Ils partent se réfugier à Tel Aviv , ville éminemment gay friendly. Comme on peut le constater, la banlieue a encore des efforts à faire.

Puis après cette digression intempestive, on est passé aux choses sérieuses : le voile ! Et là, accrochez-vous bien. Ça va être dur.

La vibrante indigéniste a expliqué que « le voile permettait aux hommes d’affirmer leur virilité ». Nous, on pensait bêtement que le voile était le symbole de l’asservissement de la femme. Mais nous ne nous étions pas aperçus qu’une femme soumise, c’est diablement excitant. Merci à Houria Bouteldja de nous avoir ouvert les yeux.

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Le voile est donc, selon son enseignement, un accessoire vestimentaire puissamment érotique. Rien de tel qu’une fille voilée pour attiser nos ardeurs. C’est beaucoup plus efficace, à coup sûr, que le viagra.

Mais dans cette exploration amoureuse et charnelle, on peut aller plus loin… Une fille en abaya aura des effets encore plus bénéfiques que le voile sur notre désir. Et le sommet, le top, qui vous fera grimper aux rideaux, qui vous garantira le septième ciel, c’est une étreinte avec une fille en burkini. On remarquera que pour son entretien, Houria Bouteldja n’était pas voilée. C’est pour ça que nous n’avons absolument pas envie d’elle.

Frédéric Massot: Histoire d’un salaud

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Alexandre Villaplane / Capture d'écran YouTube de la chaine AFC Finners d'une vidéo du 13 juillet 2022.

Jouer, trahir, crever, le premier roman de Frédéric Massot, raconte l’histoire vraie d’un footballeur collabo.


André Gide a écrit que c’était avec les beaux sentiments qu’on faisait de la mauvaise littérature. Pour son premier roman, Frédéric Massot a dû suivre son conseil. Il raconte l’histoire véridique d’Alexandre Villaplane, vedette de football, surnommé le « Morpion », qui a participé, sous le maillot des Bleus, à la première coupe du monde disputée en Uruguay, en juillet 1930, sous quelques flocons de neige. Il connaît la gloire, le vertige devant les photographes, les cris de la foule hurlant quand il marque un but. C’est le Zidane de l’époque. La comparaison s’arrête là car le parcours du footballeur, capitaine de l’équipe de France, devient romanesque jusque dans l’abjection. Ce garçon, né à Alger en 1904, finira fusillé le 27 décembre 1944 au fort de Montrouge pour intelligence avec l’ennemi en vertu de l’article 75 du code pénal qui enverra au peloton d’exécution l’écrivain Robert Brasillach.

Documentation solide

Si le type a du talent avec un ballon au pied, il excelle dans les trafics en tous genres. C’est un sportif qui aime la vie facile, le monde interlope des truands, l’argent facilement gagné. Il semble ne pas avoir de morale malgré une vie de famille. Mais « Alex » n’a pas d’envergure. Il se contente de courses truquées. Ça respire la petite frappe minable si bien décrite dans les romans d’Alphonse Boudard. Car chez le « Morpion » la métamorphose va s’avérer foireuse et fatale. Jouer, trahir, crever raconte son itinéraire en s’appuyant sur une documentation solide.

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L’auteur a mené l’enquête, y mêlant parfois des éléments familiaux touchants. On découvre la transformation du foot amateur en foot professionnel, c’est-à-dire « business ». Mais, surtout, on voit combien il était facile, après la défaite de 1940, de tourner malfrat et de faire des affaires en côtoyant de belles ordures et des artistes qui buvaient du champagne et dégustaient de la sole de Dieppe en se foutant pas mal des jeunes résistants tués pour sauver l’honneur de la France. C’est tellement bien décrit par Frédéric Massot que ça ne donne pas envie d’être philanthrope.

Pétain en Cadillac

L’ancien capitaine des Bleus va croiser Monsieur Henri, Henri Chamberlin, dit Lafont, le roi des collabos, personnage cynique dirigeant la Carlingue, au 93 de la rue Lauriston, et devenir l’un de ses nombreux voyous qui traquaient les juifs et torturaient les résistants tout en menant la grande vie parisienne. Les fastes d’un pays défait et corrompu, à l’image de Pétain qui roulait en Cadillac offerte par Roosevelt. Arrêté, sentant la condamnation à mort, Villaplane écrit au juge d’instruction qu’il est « un combinard, et pas un assassin ». Alors qu’avoue-t-il ? Réponse de Frédéric Massot : « Sa honte surtout, son dégoût de lui-même, de cet uniforme d’Untersturmfürher dans la SS, de ce brassard qu’il a porté pendant trois mois ». Il a pourtant, paraît-il, sauvé des résistants, des FFI (Forces françaises de l’intérieur). Certains témoigneront à son procès. C’est que la frontière est poreuse entre résistants et collabos. Il suffit de relire Duras pour s’en rendre compte. Dans les périodes d’effondrement moral, la vraie nature des individus éclate. C’est souvent affligeant. L’héroïsme est une denrée rare. Villaplane portait le maillot des Bleus comme l’uniforme des SS. L’essentiel, c’était d’avoir du pouvoir.

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Moi, je suis Bistro

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Didier Hubert, serveur du bistrot "Le petit fer à cheval", dans le Marais à Paris, le 10/09/2019 / PHOTO: Thibault Camus/AP/SIPA / AP22380818_000011

Près de 500 pages à se damner dans le Bistrotier, livre du savoir « bien manger et bien boire » écrit par Stéphane Reynaud aux éditions du Chêne


Certains relisent Proust pour accepter la vacuité des temps modernes, moi, je choisis en ce début du mois de novembre, le Bistrotier, gros pavé, aussi épais qu’une côte de bœuf charolaise, rédigé par Stéphane Reynaud et illustré par l’artiste photographe Marie-Pierre Morel. Ses clichés sont juteux à souhait, le persillé des viandes qu’elle saisit sous son objectif vous fait du gringue dans l’assiette ; quant aux terrines, splendides de poésie agraire, tableaux naturalistes où le gras et le maigre s’harmonisent dans des tonalités automnales, leur rendu visuel a une sorte d’éclat crouté aux reflets mordorés qui appelle une mastication heureuse, mes mâchoires en claquent d’avance, je ne m’appartiens plus, je cède au péché de la gourmandise.

Je me demande si le Bistrotier, livre qui ravive « l’esprit bistrotier à la maison » n’est pas ce que j’ai lu de plus sensuel et déchirant, de plus salutaire et merveilleux, de plus profondément humain et désintéressé, depuis une vingtaine d’années.

Dernier témoin de notre civilisation

Je me demande si le Bistrotier, livre qui ravive « l’esprit bistrotier à la maison » n’est pas ce que j’ai lu de plus sensuel et déchirant, de plus salutaire et merveilleux, de plus profondément humain et désintéressé, depuis une vingtaine d’années. Nous sommes à la fois chez Virgile et chez Rabelais, dans un dessin de Sempé ou un film de Sautet. Il y a dans ce recueil ménager, une forme d’abandon et d’exil intérieur qui en dit bien plus sur notre résistance aux fossoyeurs du « bien manger » que la lecture laborieuse des autofictions faisandées et victimaires de la rentrée littéraire. D’abord, vous compulsez ce Bistrotier distraitement, le regard furtif, sans vous rendre compte que le zinc et les nappes blanches sont les derniers témoins de notre civilisation la plus évoluée. Et puis, vous vous arrêtez sur quelques plats de votre enfance, et là, entre les rillettes de cochon et la salade de museau, vos yeux commencent à briller, votre ventre crie famine, votre langue appelle au secours, vous avez faim.

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Tripes, rognons, cervelles d’agneau

Dès la première page de son roman La Mandarine paru en 1957, Christine de Rivoyre écrivait cette phrase demeurée célèbre : « Au bout de dix ans de mariage une femme ne devrait pas avoir envie de manger après l’amour, mais moi, Séverine, j’ai envie, et c’est une sensation que je recherche, que je choie… ». Le goût du bon et de l’éternel ne trompe pas. Toutes ces entrées ventrues, ces cochonnailles pimpantes, ces pièces de boucher maturées, ces plateaux de l’écailler à l’équilibre instable et ces desserts d’enfance sont le miroir de notre culture bistrotière, à la croisée des mères lyonnaises, des brasseries parisiennes au brouhaha chantant et des producteurs responsables.

Dans ce Bistrotier, il y a la France des éleveurs, des vignerons, des cuisiniers, des maraîchers, des boulangers, des ostréiculteurs, de tous les ordonnateurs d’un bien-être salvateur. Sans eux, nous aurions déjà viré dans une virtualité suicidaire. Aller au bistrot pour mordre dans un véritable jambon-beurre au comptoir ou s’attabler devant une saucisse de Toulouse/purée est une parenthèse enchantée dans la journée d’un travailleur, dommage que ce soit le plus souvent un luxe, ça devrait être un droit fondamental, une avancée sociale réclamée par les syndicats, une exigence républicaine. Car on ne s’y rend pas seulement pour se nourrir dignement, mais aussi pour écouter les conversations voisines, repousser les emmerdements de la matinée, nous extraire de notre solitude et partager enfin une heure de notre vie avec des inconnus, une heure qui ne serait pas soumise à une rentabilité immédiate et obscène, une heure où la parole serait libre et les cuissons précises. Notre citoyenneté en sortirait grandie.

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Alors, quand le moral flanche, quand l’essence vient à manquer et que l’actualité est tout simplement d’une dégueulasserie sans nom, on aspire à quelques minutes de répit autour de recettes fédératrices. Pour se souvenir et communier sur l’autel d’une gastronomie humaniste. Dieu que c’est beau, un bistrot qui sert du fromage de tête ou des gougères sauce Mornay, j’y vois la main experte du charcutier et la virtuosité du maître-saucier. Ces gestes de fraternité concourent à notre cohésion nationale. Ne cherchez pas ailleurs les ferments de notre « vivre ensemble », il se trouve à midi dans des établissements qui respectent encore la provenance des produits, la saisonnalité et la maîtrise du feu. Devant ces goûts immémoriaux, notre mémoire n’a rien oublié. Face à un œuf mollet, je mets un genou à terre.

Nous entrons dans le mois des abats, le Bistrotier, nous parle des tripes, des rognons aux châtaignes ou de la cervelle d’agneau, avec des mots simples, sans affèterie, sans ostentation, sans instrumentation, sans calcul politique, juste parce que leur texture et leur empreinte gustative nous procurent des émotions bien supérieures à la grande littérature. Je ne me remets pas encore de la photo (page 237) d’un gros salé, de ses lentilles du Puy, de ses rondelles de saucisson, de son échine de porc et de sa poitrine fumée, nous atteignons-là des sommets d’érotisme culinaire. 

Bistrotier: Le livre des joues rouges et des assiettes à saucer

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Rokhaya Diallo à l’ENS: «le concept d’universalisme européen est un mythe»

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Rokhaya Diallo, le 01/04/2020 / PHOTO: BALTEL/SIPA / 00953270_000064

Lors d’une conférence à l’ENS, Rokhaya Diallo, grande prêtresse wokiste, récuse l’universalisme européen (notamment français) en faisant preuve d’une ignorance historique flagrante ainsi que d’une logique défaillante. Mais le plus grand problème est que dans ce prétendu temple du savoir académique, elle ne rencontre aucune opposition.


« Nous devons changer la perception que le peuple français a de lui-même. Ce n’est plus un pays blanc et chrétien ».

Rokhaya Diallo. Al Jazeera, 13 mai 2017.

Rokhaya Diallo était invitée à l’ENS (École normale supérieure), rue d’Ulm, mardi 11 octobre, dans le cadre d’une conférence sur l’identité et l’universalisme européens. Les idées exposées par la journaliste à cette occasion sont réunies dans un texte édité sur le site de la revue Le Grand Continent, publiée par le Groupe d’études politiques domicilié à l’ENS. Ce texte s’intitule “Déseuropéaniser l’universalisme”, et annonce immédiatement la couleur : « Le concept d’universalisme européen est un mythe ».

Rokhaya Diallo, adepte et promotrice des thèses racialistes américaines, souhaite ardemment que la France devienne un pays multiculturaliste, multiethnique et musulman. En France, la journaliste ne parle que rarement de l’islam et ne l’évoque que pour défendre mezzo voce le port du voile ou les mosquées menacées de fermeture pour propagande frériste. Aux États-Unis, elle se montre plus virulente et profite de sa tribune dans le Washington Post pour traiter sèchement la France de pays raciste et islamophobe. Elle aimerait imposer l’idée que le racisme n’est pas une exception en France mais une vérité originelle, constitutive d’une histoire honteuse. L’Occident, selon elle, ne doit sa prospérité qu’à la colonisation, à l’esclavage et au racisme – pourtant, l’Occident n’a pas attendu la colonisation (qui lui a souvent plus coûté qu’elle ne lui a rapporté) pour explorer tous les domaines – religieux, économiques, philosophiques, artistiques, techniques, politiques – qui ont fait longtemps de lui, quoi qu’en pense Rokhaya Diallo, un modèle à imiter. Régulièrement, la militante décolonialiste attaque l’universalisme français, qu’elle juge trop « masculin, blanc et bourgeois »[1].

Rokhaya Diallo – qui écrit « universalisme européen » mais vise toujours, d’abord, l’universalisme français – a compris que le wokisme et le concept d’intersectionnalité pouvaient être de formidables alliés dans son combat contre la France, son histoire et sa culture. La novlangue wokiste lui sert à ratisser large et à désigner le « coupable presque parfait » (Pascal Bruckner) : « Le concept d’universalisme européen est un mythe perpétué par des cercles de pouvoir majoritairement masculins, blancs, hétérosexuels, cisgenres, valides et bourgeois. Il est le paravent d’une blanchité et d’une masculinité qui ne disent pas leur nom, un mensonge collectif habillé de bienveillance qui camoufle mal ses velléités de préservation des intérêts de classes privilégiées ». Les «sic» me manquent pour relever toutes les incongruités de ce seul passage.

À l’aide de contorsions dialectiques qui ne peuvent abuser qu’un auditoire acquis à la cause ou ignorant, elle ne retient de l’histoire que les phénomènes susceptibles d’étayer sa thèse. Mme Diallo affirme que « si l’universalisme est une valeur louable, un mythe que l’Europe se raconte à elle-même, ses vertus ne trouvent pas d’écho dans aucune réalité présente ou passée », et néglige ainsi les droits politiques, juridiques, etc., nés de cet universalisme, et que beaucoup de peuples nous envient. Pour justifier cette assertion, Rokhaya Diallo réduit l’histoire européenne à ses « entorses aux principes universalistes » : la colonisation, l’esclavage, et même, dans un raccourci inqualifiable, « la naissance de l’idéologie nazie, la conception de lois raciales – dans le prolongement intellectuel des lois coloniales – et l’extermination de million de Juifs européens ». Par un retournement spectaculaire (ce ne sera pas le seul), elle affirme que ce sont les « peuples esclavagisés et colonisés qui ont su apporter à l’Europe ces principes qu’elle s’évertuait à bafouer », en s’appuyant entre autres exemples sur la « révolution algérienne ». Manipulant l’histoire pour renforcer le statut victimaire des « minorités », Rokhaya Diallo entretient le ressentiment d’une partie de la population immigrée qui refuse de s’intégrer à la société française et impose de plus en plus les pratiques culturelles et religieuses des pays d’origine : « Au nom d’un prétendu universalisme, on leur refuse le droit de penser leur condition et de désigner de manière explicite les maux qui les affectent ». Ces maux seraient le racisme et l’islamophobie systémiques de la France.

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En matière d’émancipation, l’Afrique, selon Rokhaya Diallo, n’a pas de leçons à recevoir de l’Europe. « Bien des modes de pensée, des outils d’émancipation ont été produits intellectuellement en dehors du continent européen. La charte du Manden édictée en 1222 dans l’empire du Mali sous le règne du Soundiata Keita énonce dans son premier article que “une vie est une vie” et fait à travers ce principe équivaloir toutes les vies humaines », déclare-t-elle. Le public de l’ENS a paru subjugué par cette révélation – qui nécessite néanmoins quelques éclaircissements.

Premier point. Cette charte, qui se décline en « sept paroles » et ne peut en aucun cas se comparer à l’impressionnant corpus qui a conduit à l’élaboration des constitutions des pays occidentaux, bénéficie d’un regain d’intérêt depuis qu’elle a été inscrite en 2009 par l’Unesco sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Bien des historiens se sont étonnés de la voir à cette occasion désignée comme « une des plus anciennes constitutions au monde ». En effet, soulignent-ils, cette « constitution » n’a aucun fondement historique et est en réalité une charte apocryphe composée d’éléments oraux disparates et incertains réécrits par des historiens et des chercheurs maliens au XXe siècle.[2]

Deuxième point. Quand bien même cette charte serait, comme l’écrit Rokhaya Diallo, un « outil d’émancipation », nous nous étonnons que cette intention déclarée au XIIIe siècle dans l’empire du Mali n’ait pas été suivie de plus d’effets, c’est le moins qu’on puisse dire, pour ce qui concerne l’esclavage – et nous étonnons encore plus que Mme Diallo, qui reproche à l’universalisme européen de n’avoir trouvé « aucun écho dans la réalité », ne s’en étonne pas. En effet, deux « paroles » de cette charte érigent la nécessité de ne plus réduire en esclavage les habitants de l’empire : « La guerre ne détruira plus jamais de village pour y prélever des esclaves » et « L’essence de l’esclavage est éteinte ce jour d’un mur à l’autre du Manden » (territoire compris entre le sud du Mali et l’est de la Guinée). Or, l’esclavage perdurera et s’amplifiera en Afrique de l’Ouest (captures d’hommes, de femmes et d’enfants, pillages, razzias, destruction de villages) durant toute la période qui suivra cette merveilleuse déclaration (avant, pendant et après la traite transatlantique) et ne sera officiellement aboli au Mali qu’en 1905 par… l’administration coloniale française. Rappelons à cette occasion que ce sont principalement des Européens guidés par une conception universaliste de la liberté et de l’égalité entre les hommes qui ont permis les débats sur l’esclavage puis son abolition officielle.

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Troisième point. Malheureusement, aujourd’hui encore, une forme d’esclavage appelée « esclavage par ascendance », c’est-à-dire l’assignation au « statut d’esclave » pour des personnes dont l’un des ancêtres a été réduit en esclavage par le passé, se perpétue au Mali sous couvert de domesticité, de mariage, etc. On se souviendra des quatre Maliens qui, militant contre cette pratique, furent battus à mort à Djandjoumé sur l’ordre des élites locales en 2020, et des manifestations contre l’esclavage qui s’ensuivirent à Kayes. Ce type d’esclavage continue d’exister dans de nombreux pays africains, du Nigéria à la Mauritanie, de la Libye au Tchad.[3] Mme Diallo n’en parle jamais –comme elle n’évoque jamais les pourtant très documentées traites d’esclaves intra-africaine et arabo-musulmane.

Passons rapidement sur une affirmation comme : « L’Europe ne peut porter son universalisme qu’en interrogeant son rapport au monde et en faisant preuve d’humilité car elle est mieux connue des autres qu’elle ne les connaît », qui aurait fait sourire le philosophe grec Castoriadis qui n’a eu de cesse de mettre en exergue cette tradition européenne fondamentale la distinguant du reste du monde, celle d’une autocritique permanente, d’un questionnement incessant du bien-fondé de telle ou telle action (celle du colonialisme, entre autres) comme de telle ou telle idée (celle de l’universalisme, par exemple). Cette affirmation aurait fait sourire également Levi-Strauss, éminent représentant des deux disciplines inventées par l’Occident que sont l’anthropologie et l’ethnologie et adepte d’une vision du monde étayée par une réflexion sur l’unité du genre humain (à travers des universaux culturels comme, par exemple, la prohibition de l’inceste) et la diversité des cultures, et qui dénonça en son temps un antiracisme arc-bouté sur l’éloge d’un métissage culturel qui ne pouvait conduire, d’après lui, qu’à une destruction du monde.

Pour conclure son long et redondant exposé, Rokhaya Diallo colle à l’actualité et ose le salto arrière rhétorique : « Les vagues de protestations auxquelles nous assistons actuellement en Iran démontrent qu’il n’est point besoin de se référer à la pensée européenne pour aspirer à la liberté ». La militante décolonialiste ne recule décidément devant rien. Celle qui considère qu’en France, « dans un contexte islamophobe où les femmes musulmanes peinent à être reconnues comme des individus à part entière […] La liberté peut aussi être dans le hijab »[4], se sert d’un féminisme dévoyé pour justifier en même temps l’épidémie du port du voile islamique qui touche notre pays et le combat des Iraniennes pour se débarrasser de cet objet de soumission.

Rokhaya Diallo est sur tous les fronts et ne rencontre quasiment aucune résistance. Après celui de l’ENS, c’est le pont-levis de l’ESSEC qui s’abaisse et laisse l’idéologue multiculturaliste et wokiste prêcher la bonne parole dans son enceinte. La journaliste décolonialiste est en effet cette année la marraine du programme «Égalité des chances» de cette école prônant, comme tout le monde, « l’égalité, la diversité et l’inclusion ». Mme Diallo peut se réjouir : nos écoles et nos universités sont devenues des lieux ouverts à tous les vents mauvais, ceux de la propagande wokisto-progressiste, immigrationniste et racialiste, dont elle est sans conteste la plus fervente et efficace représentante.


[1] Rokhaya Diallo : « Le concept d’universalisme français est un mythe ». Entretien donné à Jeune Afrique le 18 avril 2017. Rokhaya Diallo : « La France n’est pas universaliste ». Entretien donné au Télégramme le 2 mai 2021.

[2] «La charte du Manden ou l’instrumentalisation du passé africain», réflexions de Francis Simonis, spécialiste de l’histoire des sociétés mandingues en Afrique de l’Ouest, publiées dans Libération le 15 avril 2015.

[3] «Pourquoi « l’esclavage par ascendance » subsiste encore au Mali»,The Conversation, 11 mars 2021.

[4] Rokhaya Diallo : « La liberté peut aussi être dans le hijab ». Marianne, 20 novembre 2021.

Un Imam américain aurait mis en scène une agression islamophobe

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Uthman Ibn Farooq / Capture d'écran d'une vidéo YouTube en date du 24/03/2022 de la chaine One Message Foundation

Au mois de mars, un prêcheur musulman californien prétend avoir été la victime d’une agression violente par un Blanc islamophobe. En septembre, il annonce que son agresseur a été arrêté. Pourtant, aucune trace officielle ne semble prouver la véracité de ses dires.


A notre époque, le statut de victime a tellement d’importance dans les guerres de propagande que certains individus ont recours à des mises en scène non seulement pour attirer la sympathie de leurs collègues idéologiques, mais aussi pour accuser leurs adversaires idéologiques d’être des oppresseurs violents.

On se souviendra du cas de l’acteur afro-américain, Jussie Smollett, qui en 2019, a payé deux hommes nigérians pour faire semblant de le tabasser dans la rue, la nuit, en l’injuriant de propos racistes et homophobes et en scandant le cri de ralliement des supporters de Donald Trump, « MAGA ! » (« Make America great again »). La nouvelle a provoqué un mouvement d’indignation dans les médias de gauche et le gratin hollywoodien qui ont dénoncé les violences racistes des Blancs, surtout trumpistes. Pourtant, une enquête par la police a découvert la supercherie. Quoique défendu par l’organisation Black Lives Matter, l’acteur a finalement été reconnu coupable par un tribunal d’avoir manigancé sa propre agression.

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Un fait similaire s’est produit cette année, mais cette fois la fausse victime prétend avoir été agressé par un Blanc islamophobe. Le 24 mars, un imam de San Diego en Californie, Uthman Ibn Farooq, poste une vidéo sur sa chaîne YouTube – qui a 303 000 abonnés et la vidéo 417 000 vues – où il raconte comment il a été insulté, agressé (« you *** terrorist !! ») et même poignardé à l’estomac par un homme portant un masque anti-covid et une casquette de baseball. L’incident aurait commencé au moment où le prêcheur était assis au volant de sa voiture et le point culminant de l’attaque serait arrivé après qu’il était descendu de son véhicule.

La vidéo postée comprend une séquence que l’imam aurait filmée de l’intérieur de la voiture et qui montre l’agresseur supposé en train de proférer des injures. Au cours de son récit de l’attaque, le prêcheur expose ce qui semble être un pansement sur son ventre. Il ajoute qu’il a été soigné aux urgences et qu’il a porté plainte à la police. Le Council on American-Islamic Relations, par sa branche de San Diego, a condamné une agression motivée par des préjugés antimusulmans.

La nouvelle de la prétendue attaque s’est répandue sur les réseaux sociaux comme une traînée de poudre. Au Royaume Uni, le média d’informations musulman, 5Pillars, a tweeté sa condamnation de l’agresseur islamophobe. Des YouTubeurs musulmans notoires, comme Eddie Deen, un converti à l’islam, qui a plus de 537 000 abonnés. Des médias au Nigéria et en Afrique du Sud ont rapporté l’incident. Certains commentateurs ont condamné les médias occidentaux, américains et autres, pour avoir ignoré ce crime haineux.

En septembre, Uthman Ibn Farooq a annoncé que la police avait trouvé et arrêté son agresseur. Le think tank américain, Middle East Forum, a décidé de mener une enquête, dont les résultats ont été publiés le 16 octobre. Contactée à plusieurs reprises, la police de San Diego a nié avoir procédé à une telle arrestation et même avoir la moindre trace d’une plainte de la part de l’imam.

Puisqu’aucune plainte n’a été déposée, le prêcheur ne court aucun risque d’être condamné comme Jussie Smollett l’a été. Pourtant, son exemple montre que, quand les enjeux politiques et sociaux sont importants, il faut toujours se méfier des fausses victimes.

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Tant qu’il y aura des films

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Pixabay

Retrouver le chemin des salles de cinéma reste une nécessité si l’on veut bien considérer que le grand écran, c’est la bonne taille pour regarder un film. Deux nouveautés et une ressortie pour s’en persuader.


Au suivant  !

Un beau matin, de Mia Hansen-Løve

Sortie le 5 octobre

Affiche du film

Alors qu’est relancé le serpent de mer de l’euthanasie pour tous, les cinéastes français n’en finissent pas de nous tendre des miroirs plus ou moins talentueux sur la fin de vie. On avait laissé l’an passé François Ozon et son Tout s’est bien passé, avec un Dussollier cabotinant un peu trop dans le rôle du vieux caractériel au bord de la tombe, roi Lear tyrannisant ses deux filles compatissantes. Mais on est beaucoup plus convaincu par l’interprétation que fait de cette figure l’impeccable et rohmérien Pascal Greggory. Il est en effet à l’affiche du nouveau film écrit et réalisé par la réalisatrice française Mia Hansen-Løve qu’on connaissait jusque-là dans un cinéma plus corseté et moins empathique. Un beau matin s’inspire directement des derniers mois de la vie de son père qui perd peu à peu le contact avec la réalité. Cette proximité avec son sujet explique assurément que le film, contrairement aux précédents, baisse la garde d’une écriture trop sage et d’un univers balisé : le dernier, Bergman Island, se mettait carrément dans les traces du cinéaste suédois révéré. Ici, on oublie les références trop pesantes et la famille décrite par la réalisatrice s’avère absolument réjouissante, même dans un contexte forcément dramatique. Au premier rang donc, ce père, ancien prof adulé par ses étudiants, qui est atteint d’une maladie neurodégénérative dont il accepte assez bien les symptômes. Sa fille, jouée par Léa Seydoux (depuis France, le film cruel mais juste de Bruno Dumont, elle trace le sillon d’une actrice hors norme et capable de tout), souhaite assister son vieux père et vivre avec lui la cérémonie des adieux. Tout en lui cherchant une place dans un Ehpad pas trop cher et parisien. Ce qui, on le sait, revient à chercher la perle rare… Le film tire parfaitement son épingle du jeu de ce versant réaliste, presque documentaire, entre renoncement, accablement et soulagement. On trouve même des ferments de comédie dans cette course au trésor surréaliste. Et dans ce rôle d’orpailleuse, Seydoux fait des merveilles. À ses côtés, une mère absolument loufoque jouée et déjouée par Nicole Garcia plus que parfaite : elle y incarne une bobo parisienne reconvertie dans l’activisme forcené qui jouit de passer la nuit dans un commissariat de police. Portrait au vitriol d’une fofolle progressiste, ridicule précieuse de notre temps et qui, semble-t-il, existe bel et bien dans la réalité familiale de la réalisatrice. Ce parfum d’authenticité renforce le plaisir que l’on prend aux tribulations de cette révolutionnaire des beaux quartiers. C’est dans ce quotidien débridé que se noue une rencontre amoureuse entre le personnage de Seydoux et un « cosmo-chimiste explorateur » auquel Melvil Poupaud prête son indéniable charme rohmérien. Cet adjectif est de mise, au moins dans la façon dont Mia Hansen-Løve traite cette histoire dans l’histoire que n’aurait pas reniée Éric Rohmer. Un beau matin a souvent le bavardage brillant et l’érudition classique. Ce « conte de la fin de vie » se double donc d’un « conte amoureux », les deux dimensions se rencontrant assez harmonieusement. Les états d’âme des uns font écho aux coups de folie et de blues des autres. Le conte se fait chronique et inversement, sans perdre le spectateur en route.

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Mais, il faut y revenir, un acteur porte le film sur ses épaules de bout en bout, et c’est Pascal Greggory. On pouvait tout craindre de ce rôle à effets de pathos potentiels. On connaît la chanson de la représentation outrée et outrancière de la maladie, de la mort et de la sénilité. L’acteur fétiche et de Rohmer et de Chéreau, entre autres, joue une autre carte bien plus subtile et complexe. Il use d’un nuancier admirable pour représenter cet esprit qui s’en va, cette intelligence qui se met en sommeil, cette vieillesse qui retombe en enfance. On y croit sans avoir le sentiment d’être pris en otage par un protocole compassionnel imposé et indésirable. La cinéaste et son acteur multiplient les scènes d’une justesse absolue sans jamais provoquer de malaise voyeuriste chez le spectateur. Ce Beau matin là a la grâce.

Au scalpel

R.M.N., de Cristian Mungiu

Sortie le 19 octobre

NMobraFilms – Pathé

R.M.N., en roumain, c’est notre IRM à nous. Le nouveau film du très remarquable cinéaste roumain Cristian Mungiu s’impose d’entrée de jeu comme une étude microscopique de la société roumaine à partir d’un petit village des Carpates, à la frontière hongroise, pris sous la double dictature bureaucratique de la mondialisation et des directives européennes. Sans compter l’arrivée de migrants qui brouille les cartes et les repères. Mungiu a l’extrême intelligence de ne condamner personne a priori et surtout pas les tentations de repli sur soi et de protection. Il s’interroge sur la façon dont les mécanismes économiques en cours entraînent des comportements humains parfois erratiques, mais jamais infondés. Une incroyable scène de conseil municipal en forme d’exutoire collectif, longue de vingt minutes, renforce cette impression d’analyse équilibrée. Avec un tel film, le cinéma politique retrouve ses lettres de noblesse. Et c’est d’ailleurs certainement la raison (idiote) pour laquelle il est reparti bredouille du dernier Festival de Cannes présidé par un Vincent Lindon qui décidément passe à côté de ce en quoi il fait profession de croire.

À l’os

Le Jouet de Francis Veber

Sortie le  19 octobre

Affiche du film

C’est assurément le film le plus caustique, le plus drôle et le plus radical de son auteur-réalisateur, Francis Veber. Sorti en 1976, il est bien plus mordant que son languissant Dîner de cons ou ses poussifs tandems avec Depardieu et Pierre Richard. Ce dernier partage l’affiche de ce film hors norme, Le Jouet, avec Michel Bouquet, glaçant, glacé et glacial. Et au milieu de ce duo, un enfant, le fils d’un grand patron (c’est Bouquet) qui veut comme cadeau, comme jouet, l’un des employés paternels (et c’est Richard). Abyssale situation de départ. De ce démarrage iconoclaste et incorrect, Veber fait un film qui tient la note jusqu’au bout. Soit un véritable conte cruel qui pourrait figurer dans une comédie italienne des années 1970 où il serait question de monstres quotidiens. Le casting est à la hauteur du propos. Depuis 1976, on cherche un alcool fort de ce type au cinéma. La plus mauvaise idée serait d’en faire un remake forcément pâle et à l’aune des lâchetés sociales actuelles. C’est hélas chose faite et le film sort bientôt. Il est absolument urgent de le bouder et d’aller voir ou revoir l’original, le seul, l’unique, sur grand écran.

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Le rap, c’est aussi une histoire de France !

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Joeystarr et Kool Shen réunis sous NTM. Concert à Nice du 11/06/85 / BONY/SIPA / 00292207_000002

Une série diffusée sur Arte, Le Monde de Demain, décrit la naissance du groupe NTM sur fond d’explosion du Hip Hop.


La mini série d’Arte, Le monde de demain, des réalisateurs Katell Quillévéré et Hélier Cisterne, retrace la naissance du hip hop en France et plus précisément, la genèse du groupe NTM. Parler de rap, de Seine Saint Denis et de « nique la police », n’est pas très populaire sur Causeur, mais le rap, c’est aussi la culture du « clash » et j’accepterais volontiers de me faire « clasher », après tout, ce sont les règles du jeu.

Quand la lumière venait du 9-3

Le hip hop, ça n’est pas ma culture, toute occupée que j’étais dans ma jeunesse à écouter du rock et à parfaire ma connaissance des groupes anglais des années 60. Je le regrette, maintenant. Car dans le hip hop, au début des années 80, on ressentait cette énergie folle qui fit vibrer l’Angleterre des 60’s, ou plus tard, celle du punk, qui fut notre dernière dose d’amphétamines, pour nous les « Blancs », avant l’ennui. Il fallut donc que la banlieue, le 9-3 vienne nous réveiller.

Si j’ai beaucoup aimé la série, c’est avant tout parce qu’elle raconte une histoire, et pas seulement un fait de société. L’histoire de Didier Morville dit Joeystarr, de Bruno Lopes dit Kool Shen, mais aussi du DJ (disc-jockey) Dee Nasty, et de toute une bande de danseurs de hip hop et de grapheurs. De filles aussi, qui gravitent autour, qui doivent s’imposer, avec un parcours plus tragique.

Didier et Bruno sont deux petits gars de Saint Denis – « c’est d’la bombe baby » – la bombe faisant ici référence à la culture du graffiti, mais hélas, en 2022, cela résonne différemment. Didier est antillais, fils unique, et se fait tabasser par son père, il dira plus tard : « La ceinture c’est culturel chez nous ». La mère est absente. Bruno, mi breton mi portugais, vit dans une résidence, il vient donc d’un milieu un peu plus « aisé », mais surtout est entouré de parents aimants.

Les deux lascars s’ignorent, jusqu’à ce que le hip hop les réunissent. En effet, lors d’une sortie au Trocadéro, ils tombent en admiration devant un groupe de danseurs de hip hop. Et leur vie prendra enfin un sens.

Cependant, au commencement, il y eu le DJ Dee Nasty, de son vrai nom : Daniel Bigeault. C’est lui qui a importé le hip hop en France, après un voyage à San Francisco. S’il est devenu plus tard un DJ mondialement connu, il ne connut pas les débuts fulgurants de NTM. Il apparaît dans la série comme un prophète, celui qui prêche la bonne parole hip hop, mais qui galère. Il n’a pas la tchatche de ses potes, pourtant il bosse dur.

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Il fut vraiment un pionnier, qui a essayé d’insuffler, en vain, l’esprit hip hop à la mythique radio libre :  Carbone 14. Il officie plus tard sur la non moins mythique – mais plus officielle – Radio Nova. Encore une fois, cela se passe mal. Pourtant, c’est grâce à lui, qui avait investi un terrain vague à La Chapelle, où grapheurs et danseurs de hip hop pouvaient donner libre cours à leur créativité canaille, et – à l’époque illicite – que Didier Morville et Bruno Lopes sont devenus Joeystarr et Kool Shen. A la tête, avec DJ S, du posse Suprême NTM. Car NTM, au départ, c’est toute une bande. Le rap, la danse et le graph ne font qu’un. Le 9-3 et le Nord de Paris sont devenus, grâce à eux, l’espace d’un moment, notre Harlem à nous.

La série aurait d’ailleurs pu s’appeler Le monde d’hier, tant cette énergie, cette façon de revendiquer, non pas une appartenance raciale, mais l’identité d’un quartier, le 9-3, qui à l’époque débordait de vitalité, nous semble à des années-lumière de ce que nous vivons aujourd’hui.

Comme souvent, Joey et Kool Shen ont commencé leur carrière musicale sur un malentendu, par défi, pour répondre au chanteur du groupe Assassin qui ne les croyait pas capables d’écrire des textes et de les interpréter. Ils furent repérés et signés (avec l’aide de Nina Hagen) par le label Epic Record, et enregistrent le single « Le monde de demain » (qui donne son titre à la série), sur un sample de Marvin Gaye, et un texte, mythique et définitif, de Joey et Kool Shen : « Le monde de demain, quoiqu’il advienne nous appartient, la puissance est dans nos mains, alors écoute ce refrain ». La suite, nous la connaissons.

Pureté sauvage

Pour les besoins de cette chronique, j’ai regardé des vidéos de NTM en concert. C’est impressionnant, à la fois de précision et de pureté sauvage. Kool Shen à un « flow » énergique, qui claque comme un métronome, tandis que Joey évolue, tel un félin, avec un charisme qui sature l’espace. Il ponctue les morceaux de cris, de râles, et sa gestuelle est chaloupée, il est partout, il parcourt la scène, un peu comme un chanteur de rock – le Mick Jagger des débuts des Stones – peut-être. J’ai d’ailleurs un ami qui affirme que NTM est le plus grand groupe de rock français.

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Maintenant, Joey est devenu un acteur reconnu (ironiquement, il est excellent dans le rôle d’un flic dans Polisse) et Kool Shen presque un businessman (il a toujours eu la tête sur les épaules.)

Malgré tout ce qu’on peut dire sur ce groupe, sur le soufre qu’il véhicule, ils resteront, en plus d’être des bêtes de scène, les auteurs de textes qui touchent, qui bousculent, qui innovent : « Sache qu’ici bas, plus qu’ailleurs la survie est un combat, à base de coups bas, de coups de ton-bâ, d’esquives et de « paw » de putains de stomba ». (Laisse pas traîner ton fils). Qu’on le veuille ou non, des sortes d’héritiers de Ferré.

Respect.

Le Monde de demain, disponible sur Arte, six épisodes de 48 minutes.

Confessions intimes, pour quoi faire ?

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Livres d'Annie Ernaux. / PHOTO: Kaname Muto/AP/SIPA / AP22726968_000006

Dorénavant, les célébrités satisfont leur narcissisme (inhérent à la société actuelle) en étalant leur vie et leurs états-d’âmes dans des « oeuvres ». La production artistique ne découle plus de l’artiste mais incarne l’artiste même, dont le sujet doit déchainer les passions.


Il paraît que musiciens, présentateurs et comédiens se livrent de plus en plus sur leur vie intime, dans des livres, des chansons ou sur scène (Le Parisien).

Pour quoi faire ? Pourquoi, aujourd’hui, l’exhibition est-elle devenue non plus une tare mais une obligation ?

Je me demande si cette présentation sans fard de soi ne démontre pas la pauvreté de l’imagination, le caractère relatif du talent, qui a besoin de disposer d’un capital personnel pour s’exprimer.

Mais aussi le narcissisme de certaines personnalités qui s’imaginent que leur « je » est universel et va intéresser bien au-delà de leur cercle immédiat…

J’admets que chaque subjectivité a ses préférences, ses dilections. En ce qui me concerne, il y a des êtres qui sont placés dans la lumière qui ne m’intéressent absolument pas parce que, à tort ou à raison, je suis persuadé qu’ils ne m’apporteront rien, qu’aucune de leurs pensées, aucun de leurs sentiments ne m’enrichiront. Non pas qu’ils soient forcément médiocres mais plutôt à cause de l’intuition qu’il y a des artistes, des vedettes dont la réputation n’est pas à la hauteur de ce qu’ils croient devoir nous transmettre, qui oscille souvent entre le banal ou l’insignifiant.

Le paradoxe est que la grande littérature – par exemple celle d’Annie Ernaux – est de plus en plus centrée sur l’auteur, son univers, et que le commun s’imagine qu’après tout il est infiniment simple de se montrer, de se décrire et de se proposer comme modèle. La conséquence en est que nous vivons dans un monde appauvri parce que les richesses dont on nous gratifie ne sont pas de qualité et que pour une artiste ou un chanteur brillant, passionnant, on doit en subir tant qui ne méritent pas le détour.

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Les confessions intimes sont la rançon d’une universalité défaillante. Le coeur vulgaire ou démagogique d’une humanité qui ne sait tourner qu’autour d’elle-même, en cherchant à se faire passer pour l’essentiel.

Qu’on compte tous ceux qui, dans l’impudeur, l’indécence ou la vulgarité, évoquent leur santé, leurs maladies, leurs états d’âme, leurs turpitudes, leurs faiblesses. Faute d’avoir des grandeurs et des noblesses à raconter, on s’abandonne à des petitesses et à de minuscules péripéties.

Par ce billet, je semble quitter la politique mais pourtant je suis frappé par un vice qui est consubstantiel à cet univers : l’inégalité intellectuelle. On n’ose pas le dire mais il suffit de suivre les débats de l’Assemblée nationale pour constater que, par exemple à La France insoumise, pour un François Ruffin de plus en plus lucide, on a un Thomas Portes dont une intervention adressée à Gérald Darmanin a été totalement délirante.

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Il n’est pas élégant de souligner comme, derrière l’humanisme abstrait qui se plaît à ne distinguer personne, il y a d’incontestables hiérarchies, des supériorités et des infériorités, que tout ne se vaut pas, que les confessions intimes des uns auraient dû demeurer dans le for intérieur, alors que d’autres trop rares ont cet immense avantage de nous parler de nous au travers d’elles.

Parce que je crois à la dure et implacable loi d’un monde qui n’a de cesse, pourtant, de tenter de se masquer la vérité : il y a ceux qui ont la grâce et les autres qui en sont orphelins.

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17 octobre, quand la guerre des mémoires nourrit l’appel à la vengeance

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Attentat terroriste du RER C attribué au Groupe Islamiste Armé, Paris, le 17 octobre 1995. / PHOTO: CHASSERY/SIPA / 00270555_000005 "CHASSERY PHOTOGRAPHE" FRANCE PARIS ATTENTAT TERRORISME "MUSULMAN NATIONALITE" "POMPIER FONCTION" BLESSE "INFIRMIER FONCTION" "IMAGE NUMERISEE" POLICE CIVIERE

Le 17 octobre, selon que vous soyez un identitaire de droite, un identitaire de gauche, ou encore un islamiste, la date ne renvoie pas à la même référence. En revanche l’objectif est similaire : désigner l’ennemi et en appeler de façon subliminale à la vengeance. « L’affrontement » s’est déroulé de façon virtuelle et symbolique sur les réseaux sociaux, ce 17 octobre 2022, l’extrême droite tentant d’opposer au #17octobre1961 particulièrement cher sur le web aux islamistes et islamogauchistes, le souvenir du 17 octobre 1995.


La mise en avant du 17 octobre 1995 par l’extrême-droite a pour but de réveiller un traumatisme collectif enfoui. En faisant ressurgir l’attentat commis dans le RER C en 1995, l’objectif est ici de rappeler qu’une série d’attentats islamistes ont déjà eu lieu en France avant leur regain actuel. Ces attentats qui se sont déroulés entre juillet et octobre 1995 ont fait dix morts et près de 200 blessés. Ils sont liés au contexte de guerre civile qui se déroule à l’époque en Algérie et sont attribués au GIA (Groupe Islamique Armé) qui avait lancé le djihad sur le territoire français. Pour Damien Rieu, rattacher ce souvenir collectif à la date du 17 octobre est donc l’occasion de faire le lien entre violences, attentats et immigration dans un contexte où le meurtre atroce de Lola par une ressortissante algérienne a traumatisé les Français. C’est tout le sens de son tweet qui substitue à la date du 17 octobre 1961 celle du 17 octobre 1995 : [sic] « Le 17 octobre 1995 Smaïn Aït Ali Belkacem fait exploser une bombe dans le RER C. 30 blessés. Ni @EmmanuelMacron, ni @Anne Hidalgo n’en parleront : cet attentat n’aide pas à faire diversion #Lola ». Le tweet suppose donc que la mobilisation des islamistes, indigènes de la République et autres La France insoumise autour de la date du 17 octobre 1961 est là pour faire oublier le meurtre de la jeune Lola et une fois de plus, substituer à une horreur réelle et immédiate, un évènement historique que les islamistes exploitent depuis longtemps pour attiser la haine chez les musulmans. Il faut hélas reconnaitre que l’on a tous pu être gêné par le nombre de fois où, après des attentats atroces, islamistes et islamogauchistes ont tenté de faire porter le débat sur les risques de représailles envers les musulmans comme pour évacuer plus rapidement la réalité des victimes, alors même que les Français ne faisaient pas d’amalgames douteux, eux.

En revanche, pour l’extrême-gauche et les islamistes, cette date renvoie au 17 octobre 1961. A l’époque le contexte est lourd, la guerre d’indépendance se déroule en Algérie. A Paris, entre fin aout et début octobre, des commandos du FLN (Front de libération national) algérien prennent pour cible les policiers. Au cours de 33 attentats, 13 policiers sont tués. Ils sont exécutés quand ils sont isolés, en rentrant chez eux ou en partant au travail. C’est dans ce contexte qu’a lieu la manifestation du 16 octobre, alors que les policiers exaspérés nourrissent un fort ressentiment contre les militants algériens. Le FLN veut faire de ce défilé contre le couvre-feu imposé aux seuls Algériens, une démonstration de leur force et de leur emprise sur la communauté algérienne en France. Le 17 octobre, le nombre de participants à la manifestation est très élevé, autour de 50 000 personnes. La répression sera terrible et on estime à une centaine de personnes le nombre d’Algériens tués. Cette date, expurgée de tous les éléments de contexte, est devenue une référence pour l’extrême-gauche et les islamistes. Elle permet de faire le procès de l’Etat français en laissant entendre que depuis rien n’a changé et que la France et sa police continuent d’assassiner impunément. C’est ce qu’exprime crûment le tweet de Sihame Assbague, militante racialiste proche des islamistes : « Ce sont des crimes de la République. Un massacre colonial perpétré par l’Etat FR. Ce 17 octobre 1961, des milliers d’algériens qui manifestaient contre les mesures racistes de la Préfecture ont été raflés, tabassés, des dizaines d’entre eux noyés dans la Seine par la police. On n’oublie ni les victimes de 17 oct ni celles qui sont venues allonger la longue et funeste liste des tués par l’EtatFR. Leur rendre hommage c’est dire correctement les choses, répondre aux revendications des collectifs du 17oct & ne pas occulter la continuité de ces crimes ».

Bien entendu on peut compter sur la La France insoumise pour jeter de l’huile sur le feu et reprendre cette dialectique qui n’a vocation qu’à ancrer l’idée que les musulmans sont non seulement persécutés mais que leur souffrance est ignorée aujourd’hui comme hier. Clémentine Autain ajoute donc une couche à l’instrumentalisation de cette affaire en faisant comme si aucun travail historique n’avait été réalisé en France et comme si cette histoire était occultée et niée: « Ce qui s’est passé il y a 61 ans, la nuit du #17octobre1961, porte un nom : crime d’Etat. Le massacre des manifestants algériens à Paris entache l’histoire de notre République. Contre l’oubli, exigeons la vérité et la justice ». Or cela est faux. Il n’y a pas d’oubli. Depuis les années 90, la date est étudiée et fait l’objet d’articles, d’études historiques, de documentaires. Le procès Papon, préfet de police à l’époque a relancé les études sur cette période et nombre de débats ont eu lieu autour de cet évènement. En revanche essayez donc de voir si les massacres d’européens après l’obtention de l’indépendance en Algérie, comme les massacres d’Oran, font l’objet d’études historiques approfondies en Algérie comme en France et vous risquez d’être surpris de la différence de traitement.

Le plus significatif est que le tweet de Sihame Assbague réagit à une prise de position officielle du président Macron, lequel dénonce clairement la répression de la manifestation du 17 octobre 1961. François Hollande l’avait déjà fait en 2012. Cette histoire est d’ailleurs mise en valeur dans le cadre de Musée de l’Histoire de l’immigration.

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Que les deux dates méritent d’être remémorées et resituées dans leur contexte historique est exact. En faire des brandons pour réveiller en sous-main des haines politico-raciales est en revanche un jeu dangereux. Mais la quête de la vérité historique est la dernière chose que cherchent les identitaires de droite comme de gauche et les islamistes. Seuls certains évènements les intéressent car ils sont passés dans la mémoire collective de certains groupes et permettent de réveiller haine, frustrations et désirs de vengeance. La date du 17 octobre est de ceux-là. Mais La guerre des mémoires, si elle est virtuelle, parle malheureusement d’un désir d’affrontement réel sous couvert d’une victimisation orchestrée. Hélas, en l’absence d’un gouvernement perçu comme protecteur, ce type de raisonnement finit par atteindre ses cibles. Ce n’est jamais une bonne nouvelle pour la démocratie.

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