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Le drame Lola ravive les tensions

La violence est-elle combattue autrement qu'en paroles et en tweets ?


Le drame Lola ravive les tensions
Lola / Capture d'écran YouTube d'une vidéo de la chaine TF1 Info en date du 18/10/22

L’assassinat de la petite Lola, en plein jour à Paris, a bouleversé les Français. Les tortures subies par l’enfant, les traces d’égorgement, le fait que la meurtrière, en situation irrégulière, soit sous le coup d’une Obligation de quitter le territoire français (OQTF), son absence de remords… Tous ces éléments ont ravivé les tensions qui agitent notre pays.


Les Français se sont projetés dans les parents de Lola parce qu’ils pensent que cela aurait pu leur arriver. Si ce drame résonne autant dans la psyché collective, c’est qu’il est en phase avec les représentations que les gens ont de l’état de leur pays. C’est parce que cette résonance est particulièrement forte qu’un fait divers atroce se transforme en fait de société et acquiert une signification qui dépasse le caractère particulier et unique de l’acte en cause. La récurrence de la violence gratuite, des actes d’égorgement, le fait que cette violence n’épargne pas les enfants, tout cet enchainement est en train de faire système et ce qui est arrivé à cet enfant parle d’une insécurité qui ne cesse de monter et dont on se demande si elle est combattue autrement qu’en paroles ou en tweets.

Terrorisme et violences gratuites ont amené l’idée que nous vivions des temps barbares, ce qui est déjà difficile à accepter. Mais il y a pire que la montée de la barbarie, c’est le sentiment que de surcroît nos dirigeants sont dans le déni et incapables de prendre les décisions fortes et efficaces qui s’imposent pour assurer la protection de la population. La barbarie se nourrit et se déploie quand l’Etat ne sait plus être le garant de l’ordre et de la loi.

C’est ici que la question des OQTF (Obligation de quitter le territoire français) prend toute sa dimension. D’abord, parce que certains meurtres ou affaires qui ont frappé l’opinion, comme l’assassinat du prêtre vendéen ou le refus d’obtempérer qui fit une victime à Grenoble, ont été commis par des personnes sous OQTF parfois depuis des années. Or, la non-exécution des OQTF est un problème récurrent auquel aucun pouvoir ne s’attelle car cela signifierait revenir sur les accords particuliers passés avec certains pays, en premier lieu l’Algérie. L’impuissance de l’Etat parait ainsi découler de l’incapacité des gouvernants et de leur indifférence envers leur propre peuple. Les habitants non seulement ne se sentent pas protégés mais peuvent s’imaginer sacrifiés, non pour une obscure raison d’Etat, mais parce que leurs représentants sont incapables de prendre les décisions qui s’imposent par peur d’être traités de racistes ou de xénophobes ou par incapacité à faire respecter leur pays dans le cadre de négociations internationales.

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L’embarras du gouvernement sur ces questions est palpable. Le silence du président et des ministres alors même que la tragédie réveillait l’émotion collective du peuple a été ressenti comme choquant. C’est Gérald Darmanin tweetant sur un spectacle musical au moment même où les détails atroces s’accumulaient sur le meurtre de la fillette. C’est Emmanuel Macron félicitant Karim Benzema pour son ballon d’or alors qu’il n’a pas eu un mot pour la fillette (il a depuis communiqué pour dire qu’il avait reçu les parents). C’est Eric Dupond-Moretti à l’Assemblée nationale qui, interpellé par un député Rassemblement National sur la non-exécution des OQTF et le lien entre immigration massive et montée de l’ensauvagement, ferme tout débat en disant : « Vous vous servez du cercueil d’une petite fille de 12 ans pour en faire un marchepied ». Pour étouffer toute polémique et empêcher le débat sur la question des OQTF et de la politique migratoire, le gouvernement Macron ressort l’éternel accusation « d’instrumentalisation d’une tragédie » par la droite et l’extrême-droite. Ce faisant, il ajoute sa pierre à la logique d’instrumentalisation en brandissant la référence au petit cercueil de Lola pour empêcher d’être mis à mal sur la question des OQTF.

L’instrumentalisation fonctionne ici dans les deux sens. Sur une partie de l’échiquier politique, il s’agit de dire que cette tragédie parle de la montée en puissance d’une barbarie liée à la présence sur notre sol d’une immigration trop massive pour être intégrée, qui amène une violence décomplexée et des passages à l’acte récurrents qui ne correspondent ni à nos mœurs ni à notre civilisation. De l’autre, il s’agit de faire taire ses adversaires en utilisant un bâillon moral, ce qui permet à la fois d’évacuer toute demande de comptes sur l’inaction constatée et de continuer à ne pas agir sur le fond du dossier immigration-OQTF, soit par impuissance soit par manque de volonté.

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Or, le fait que la montée de la barbarie constatée se traduise en France par la multiplication des égorgements, que ce soit dans un cadre terroriste ou de droit commun, a installé la représentation qu’une partie des violences constatées était liée à la montée d’une culture tribale qui nie tout universalisme et dans laquelle il n’y a plus de référence au Bien ou au Mal mais à ce qui est bon ou mauvais pour le groupe auquel on appartient. Dans ce type de société, le seul lien politique constitué n’est pas un lien d’égalité mais de sujétion. Les sociétés tribales sont des sociétés féodales basées sur la loyauté et non sur le libre arbitre. « Qui je domine? », « à qui je suis soumis? », « quel est mon rang dans la pyramide de la domination? », voilà les questions qui se posent. L’égalité en droit n’existe pas, seul compte la question des positions de pouvoir. Dans ce type de culture, il n’y a pas d’égalité entre les hommes à raison de leur dignité commune mais une logique de domination à l’intérieur du groupe et une concurrence entre groupes constitués. Le multiculturalisme est la traduction en droit de cette organisation sociale. A cela s’ajoute le déploiement d’un discours politique qui tend à déshumaniser l’adversaire, une propagande accusant la France de persécution à l’égard des musulmans et de racisme systémique, et on voit les racines qui expliquent la montée de la haine dans la société et le sentiment de menace chez les Français. Un sentiment de menace que le crime gratuit commis sur une enfant a porté à son paroxysme au moment même où l’on rendait hommage à Samuel Paty.

La concomitance des deux événements avait de quoi désespérer. Nous voudrions tous que la mort de Lola amène à une prise de conscience. Mais il n’en sera rien. On avait cru la même chose lors de l’assassinat de Samuel Paty mais après la mise en scène des larmes, le bal des lâches continue à l’Education nationale. Il en sera probablement de même sur la question des OQTF. « Quand rien ne change, c’est que rien n’est fait », disait Mickaëlle Paty en rendant hommage à son frère dans la cour de la Sorbonne. Une phrase qui s’adapte parfaitement à la montée de la barbarie dans notre pays.

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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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