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L’empereur Sponsanius : réel ou imaginaire ?

Les débats sur l’historicité de Sponsianus sont donc loin d’être terminés.


L’empereur Sponsanius : réel ou imaginaire ?
Capture d'écran d'une vidéo postée sur YouTube par Classical and Ancient Civilization le 16 décembre 2022 https://www.youtube.com/watch?v=hes3cGXlSw4

C’est une découverte qui pourrait provoquer un séisme dans le milieu de l’histoire antique : l’empereur Sponsanius aurait bel et bien vécu ! En effet, l’existence de ce souverain est entourée de tant d’obscurité que certains historiens avaient fini par affirmer qu’il avait été inventé de toutes pièces et l’avait rayé de la liste des Césars.


Tout commence en 1713, lorsque de nombreuses pièces antiques sont découvertes en Transylvanie. Hormis un supposé (quoique véritable) statère macédonien d’Alexandre le Grand, aujourd’hui perdu, toutes sont romaines. Parmi ce trésor, des monnaies à l’effigie de nombreux empereurs romains tels que Gordien III, Philippe l’Arabe et/ou Philippe II. Mais ce n’est pas celles-ci qui vont retenir l’attention des archéologues. En effet, au milieu de cet amas de pièces, deux sont frappées au nom d’un certain Sponsanius. Or, il n’existe aucune mention de ce personnage dans les sources écrites. Cette trouvaille va susciter de nombreuses interrogations, notamment sur sa réelle existence. 

Bien que d’abord considérées comme des imitations « barbares », (il n’était pas rare que des pièces de monnaie romaines fussent fabriquées au-delà des frontières de l’Empire) et donc de purs produits de l’Antiquité, il est toutefois rapidement établi que ces monnaies sont l’œuvre d’un fraudeur du XVIIIᵉ siècle. En 1868, Henry Cohen, numismate français, qualifie même celles-ci de fabrications « modernes ridiculement imaginées et très mal faites ». Cet argument n’est pas sans fondement, quand on sait que de nombreux faux furent réalisés à partir de la Renaissance (comme ce fut le cas avec le médailleur italien Giovanni Cavino, dit le Padouan, qui s’exerça à contrefaire des médailles anciennes, afin de s’enrichir aux dépens des collectionneurs).

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La théorie de la contrefaçon est donc devenue au fil du temps la version prédominante, jusqu’à ce que des scientifiques de l’University College de Londres décident d’apporter une réponse définitive au mystère. Dans leurs travaux, publiés le 23 novembre 2022, ils expliquent qu’ils ont décidé de reprendre les investigations. Leur principal argument : l’Antiquité tardive intéressait très peu les personnes du siècle des Lumières, et il aurait été étonnant d’émettre de nombreuses pièces à l’effigie de Sponsanius, au profit d’autres empereurs romains bien plus connus et suscitant davantage d’intérêt. Après avoir passé le trésor transylvain au microscope, il s’est avéré que les pièces possédaient des traces d’usure, similaires à celles d’autres monnaies d’authenticité reconnue, suggérant alors que ces pièces auraient bien été en circulation active pendant des années. Ces résultats ont amené les archéologues à penser que l’existence de Sponsanius ne serait désormais plus à exclure. Mais qui était-il vraiment ?

Un personnage historique ténébreux

Face à cet inconnu de l’Histoire, les premiers chercheurs ont tenté d’élaborer des hypothèses. En raison du métal choisi – l’or – pour l’un des deux types monétaires, sa représentation avec la couronne radiée et la provenance des monnaies à son effigie, il en a été déduit qu’il s’agissait d’un usurpateur, ayant régné sur la Dacie romaine (nom antique désignant le territoire de l’actuelle Roumanie). Soit vers 248-249, lors des guerres civiles qui mirent fin au règne de Philippe l’Arabe, soit vers 260, ou bien vers 275, lorsque l’empereur Aurélien abandonna la province conquise par Trajan en 106.

À une époque où l’Empire romain était en proie à la guerre civile et les frontières submergées par les pillages et invasions, Sponsianus aurait ainsi été un officier de l’armée contraint de prendre le commandement suprême. Rappelons qu’au cours du IIIᵉ siècle, de nombreux États régionaux sont apparus, à l’instar de l’Empire des Gaules ou du Royaume de Palmyre. Toutefois, si l’on considère que sa priorité aurait été de protéger la population et de résister à l’envahissement par des tribus hostiles, il n’était pas techniquement un usurpateur défiant l’autorité centrale, mais son imperium pouvait être considéré comme une nécessité locale. Tout est dans la nuance du terme. Il semblerait d’ailleurs que le mystérieux empereur n’a jamais contrôlé d’atelier de monnaie officielle et certainement jamais régné à Rome !

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Malheureusement, en l’absence de sources, il est encore impossible de déterminer qui était vraiment Sponsianus, absent de tout ouvrage relatif à l’Antiquité tardive, en raison de sa seule représentation sur les monnaies de Transylvanie. Cette étude reste pourtant une nouvelle avancée pour la recherche historique puisque les scientifiques de l’University College estiment que le souverain, longtemps considéré comme fictif, devrait « être réhabilité en tant que personnage historique ». Une opinion partagée par le professeur Paul Pearson qui considère que « l’analyse scientifique de ces pièces extrêmement rares sauve l’empereur Sponsianus de l’obscurité », ainsi que par Alexandru Constantin Chituță, directeur intérimaire du Musée national Brukenthal de Sibiu, lieu où est conservée l’une des quatre pièces, qui a déclaré à l’AFP, que ces résultats permettrait d’ajouter « un personnage historique important à notre Histoire », s’ils étaient « reconnus par la communauté scientifique »

Un milieu qui reste encore à convaincre, car beaucoup restent dubitatifs quant aux résultats de cette étude. À l’image de Richard Abdy, conservateur des monnaies romaines au British Museum, qui estime que certains ses collègues sont devenus tellement obsédés par ce mystère qu’ils ont fini par croire à l’existence de ce personnage sur la seule base d’une émission de pièces de monnaie, tandis que Mary Beard continue de croire que l’aureus est un faux, en raison de son revers qui est une copie d’une pièce de l’époque républicaine. Emanuel Petac, président de la Société roumaine de numismatique, est allé jusqu’à déclarer que la monnaie n’avait « rien à voir avec le monde romain ». Les débats sur l’historicité de Sponsianus sont donc loin d’être terminés…



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