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Courage ! Bientôt les lendemains de fêtes…

Si vous trouvez la période dite «des fêtes» éprouvante, Sophie de Menthon vous aide à comprendre pourquoi. Tribune.


Terminés les mailings de vœux de n’importe quoi, les Joyeux Noël (pour les sectaires), les bonnes fêtes de fin d’année pour les politiquement corrects, le tout 30 fois par jour et pendant un petit mois car on a le droit tout le mois de janvier ! Heureusement, il y a ceux qui ricanent, et c’est ainsi qu’on a vu apparaitre sur les réseaux sociaux des dessins de rennes en grève, ou demandant en faisant un sit-in le droit télétravail à un Père noël qui avait la tête du DRH de la SNCF !

Mais la bienveillance règne, tous les bons sentiments arrivent d’un coup, assortis – et c’est nouveau – de conseils moraux-écolo : pas de jouets en plastique, seulement 4% des garçons demandent des poupées (que faire ?), aller servir au restau du cœur, ne pas se déplacer mais arriver à se déplacer, réunir la famille et ne parler que de cela dans les médias alors que la vôtre visite les Pyramides en Égypte et que vous vous retrouvez seule avec le chien auquel vous hésitez à acheter des croquettes bio – réflexion faite, il n’a pas mérité ça.

Vous détestez (et vous êtes apparemment la seule en France ) faire la cuisine et pire : en parler, or vous êtes abreuvée en allumant la radio ou en achetant un journal de recettes de  « dernière minute » au lieu d’avoir commencé à cuisiner il y a 8 jours ! Je ne me lasse pas de relire fascinée la recette du « pâté en croute express au céleri rave » (merci au JDD). Quant au  foie gras, j’ai peur si j’en mange, soit d’aller en garde en vue pour avoir assassiné une oie,  soit d’attraper la grippe aviaire ;  heureusement, il y a les desserts (sans oublier que le sucre est un poison violent, on m’explique que pour « réaliser une meringue maison il faut incorporer le sucre sans faire tomber les blancs en neige… ». A propos de neige : nenni ! à la montagne on la rajoute à la liste des vœux.

Pour vous changer les idées, vous pouvez regarder la télé, les bêtisiers sont aussi indispensables que la bûche et aussi indigestes, vous êtes supposée pleurer de rire devant la présentatrice météo qui fait un lapsus… mais ce ne sera pas de rire que vous pleurerez car en zappant vous avez la guerre en Ukraine et toutes les familles dans le noir qui gèlent sur place : vous culpabilisez même si vous n’en pouvez plus de culpabiliser. Et puis il y ceux qui vous rappellent à l’ordre, de grands intellectuels, des penseurs qui vous interpellent sur votre rapport à l’existence de Dieu, en gardant bien sûr comme ligne de conduite la laïcité… Vous ne savez plus quoi dire quand on vous demande l’heure de la messe de minuit, qui comme son nom l’indique n’a plus jamais lieu à minuit.

Heureusement, il y a les best of des horoscopes qui sont unanimes : tout va aller bien et 2023 ne peut pas être pire que 2022, les béliers ont le succès professionnel qui les attend (c’est bon pour l’économie car statistiquement si tous les béliers réussissent, la croissance revient) même s’il faut de la décroissance (?) et si les taux montent pour justement ralentir la croissance (réfléchissez), c’est contracyclique !

Pour vous distraire le 31, en attendant un réveillon forcé qui vous laissera 2kg en plus de cholestérol en souvenir, vous aurez le discours du Président de la République, ce qui fera un sujet de conversation, il aura forcément été mauvais ne serait-ce que pour alimenter les conversations et franchement, le pauvre, que voulez-vous qu’il dise ?

En d’autres termes, rien de plus sinistre que les fêtes et on s’applique à les fêter ; d’ailleurs demandez autour de vous : vous n’entendrez que des gens affirmer qu’ils détestent cette période et que c’est la pire de l’année : « Ah ! Si ce n’était pas pour les enfants ». C’est bien vrai, ils sont intenables et se récitent entre eux la lettre à la mère Noël (au cas où elle aurait pris le pouvoir comme ils ont l’air de le dire à l’école), ils ont piétiné en revendiquant  (l’exemple vient de haut) d’ouvrir leurs cadeaux le 24 décembre à 18 h, alors que la tradition familiale fait que c’est au réveil le 25, qui a dit que le réveil était à 6 h ?

« À part ça : bonne santé, hein surtout ! c’est le principal » – entrainez-vous à trouver d’autres formules car il faut que ça dure au moins 3 semaines, et puis vous courez le risque de vous voir détailler la sinusite chronique de votre interlocutrice qui n’a pas supporté le déremboursement de l’homéopathie. Faites aussi attention au récit du covid qui vous entraine sur la pente dangereuse des vaccins. Commencez votre régime tout de suite et n’attendez pas les chroniques traditionnelles qui, dès le 1er janvier, vont surgir sur la détox alimentaire.

Avez-vous pensé au sac à sapin et au recyclage de toutes les décos de noël ? Oubliez les derniers sondages qui prouvent que l’homme en a fait 3 fois moins que vous pendant toute cette période, ou bien offrez-vous une petite scène parce que c’était la même chose pendant le confinement. Commencez à semoncer vos ados pour qu’ils renoncent à cette déplorable habitude de revendre leurs cadeaux sur de plateformes et respirez profondément lorsqu’ils vous répondent que les leurs ne trouveraient même pas preneurs sur internet…

Courage ! il y a aura un lendemain de fête et vous allez voir, c’est finalement très sympa les lendemains … Comment voulez-vous après tout cela que je vous présente mes vœux ?

Attentat à Paris : tout s’explique !

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Alors qu’il faut condamner le plus fermement possible l’attentat perpétré hier contre « les Kurdes de France », selon le mot du président de la République, certains y voient surtout un prétexte pour attaquer leurs adversaires politiques.


Attaque contre des Kurdes à Paris : selon le ministre de l’Intérieur, le suspect n’était pas fiché comme « comme quelqu’un d’ultra droite » et même « Il n’est pas certain que cette personne ait un engagement politique quel qu’il soit ». Pourtant, le président de SOS racisme, Dominique Sopo, en sait visiblement plus que Gérald Darmanin. Interrogé par BFM TV, Il a désigné nommément le véritable responsable, selon lui, celui qui, par son discours « haineux » a créé un climat propice à ce genre de crime : Éric Zemmour.

Que dans notre beau pays certains osent s’inquiéter de trop d’immigration, voire assumer une notion comme celle du « grand remplacement », c’est ce qui, selon l’oracle de SOS Racisme, démontre le grand danger droitier qui nous menace.

Voilà une analyse d’une grande finesse, équilibrée et argumentée, et qui a le mérite de désigner clairement les ressorts, les tenants et les aboutissants d’un attentat qui, sans cela, risquerait de passer pour l’œuvre d’un déséquilibré.

En effet, comme chacun sait, seuls les assassinats visant des Juifs ou des « Français de souche » relèvent de la psychiatrie.

Tirant les conclusions de cette analyse qui met en avant la noire main de l’extrême droite derrière ce drame, Monsieur Sopo appelle à manifester dans la rue dès samedi pour soutenir les Kurdes, mais aussi sans doute, pour faire barrage au fascisme, au racisme, à l’extrême droite. Je propose la nomination par acclamation de Monsieur Sopo comme ministre de la Justice, de l’Intérieur, et même, pour faire bonne mesure de l’Éducation nationale… et puis finalement non, pour l’Éducation, ce n’est pas la peine.

Ô race ! Ô désespoir

Voyage au bout de l’Annie… 


Pour son discours de Stockholm, Annie Ernaux a trempé sa plus belle plume à l’aigre dans l’encrier des meilleurs poncifs : « Par où commencer ? Cette question, je me la suis posée des dizaines de fois devant la page blanche. Comme s’il me fallait trouver la phrase, la seule, qui me permettra d’entrer dans l’écriture du livre et lèvera d’un seul coup tous les doutes ». On avait sûrement calomnié Annie E…Dans L’Obs, Elisabeth Philippe s’interroge : « Mais pourquoi tant de haine ? » Bonne question, mais ce n’est pas aux détracteurs d’Annie Ernaux – plus consternés que haineux – qu’il faut la poser, c’est à l’écrivain. Depuis cinquante ans, la reine des dominés n’a qu’une obsession : venger son sexe et sa race. La race des capésiens ? Drosophile du coche, sur la route de Varennes, de Bandung, elle clame ses traumas, rancœurs, angoisses claustros dans l’ascenseur social : les corons et les Corot. Solécismes, solipsismes et barbarie. La femme gelée se moque des vers ; sa mère a tant souffert qu’elle est dedans sa tombe… « Les haines de races ne sont jamais au fond, que des haines de places » (Rostand).

Un grand concert d’idées brisées

Annie Ernaux est atteinte du syndrome « de la femme raide ». D’un côté les ténèbres, hantées par les Méchants, de l’autre la Lumière, les Gentils. Compteur Geiger à humiliés, hontes, déchirures, cinq plaies, sept douleurs, coiffée d’une couronne d’épines, Annie a des Mani et fait le Job. Elle a perdu la foi mais veut croire encore. Que deviennent toutes les larmes qu’on ne verse pas, se demandait Jules Renard ?

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La révolte et l’indignation, comme le soufflé au fromage, ne supportent ni le réchauffé, ni la médiocrité. Autrefois, la vérité, les luttes, les prolos, l’avenir, c’était simple, magnifique et scientifique comme la Révolution. Les progressistes, après avoir adoré Staline, Castro, Mao, Pol Pot, les bilans globulement positifs, ont jeté l’éponge. La Gauche a abandonné la dialectique et les kolkhozes de Koursk, s’est repliée dans les marais de la Morale, les farces et attrapes sociologiques. Bourdieu, mais c’est bien sûr ! L’avantage du couple fashion « dominant-dominé », c’est un flou sémantique qui permet de ratisser large sans se confronter aux contingences du réel. La famille D-D, recomposée, accueille une faune bigarrée au paradis des Vaincus (invisibles, intermittents, immigrés, chevalier d’Éon, Arumbayas, femmes, panda roux, tortue luth) ou dans l’enfer des Méchants (Hitler, réacs, fachos, masculinistes, blancs, Extrême droite, visibles, hyènes lubriques). Papillons difficiles à épingler, les Gilets Jaunes sont au purgatoire.

Les Iraniennes aussi. Le corps des femmes, l’IVG, l’émancipation, l’insoumission, dans Libé, à Yvetot, l’EHESS, Oui ! Mais Mollo Mollo avec les Mollahs de Mossoul, en Moselle. L’ère ottomane suit la Rome antique. Annie Ernaux prend le train en marche, salue de loin les Iraniennes victimes du patriarcat. Elle se voile la face, n’est au Coran de rien. Le hijab permet « la revendication visible d’une identité, la fierté des humiliés ». Vive les accommodements raisonnables avec l’infâme et l’obscurantisme ! Il ne faut pas désespérer Bobigny, ni faire perdre des voix au camarade Mélenchon. La Charia et la pitié.

A Stockholm, Rimbaud, Rousseau, Virginia, Kafka, ils sont venus, ils sont tous là… Annie Ernaux est une bande de seuls à elle toute jeune. Fanatique et naïve comme un ado, elle s’illusionne sur les symboles et l’histoire. La haine paie mieux que le mépris. Son prix Nobel n’est pas une « victoire collective ». A l’instar des grands hommes, les écrivains, « n’ont ni aïeuls ni ascendants ; ils composent seuls toute leur race » (La Bruyère). L’amer woke ne dérange aucun ordre institué, ne bouleverse aucunes hiérarchies. C’est une rebelle d’Etat, admirée, choyée par l’université et le pouvoir. Elle inspire les thésardes, pigistes idolâtres de France Culture, insurgés du Collège de France. Les véritables dominés, les travailleurs sans papiers, miteux, transis, n’ont que faire de son buzz, ses états d’âmes et remords. « Une jument de noble race n’a pas honte de son fumier » (proverbe arabe).

Le bien écrire

« Il me fallait rompre avec le « bien-écrire », la belle phrase, celle-là même que j’enseignais à mes élèves, pour extirper, exhiber et comprendre la déchirure qui me traversait ». Ouiiille… Annie Ernaux fracasse la porte ouverte du « je » singulier qui atteint l’universel, « l’outil exploratoire qui capte les sensations, celles que la mémoire a enfouies ». L’auto-friction, le plaisir des affres du texte et du sexe, les discours d’intranquillité, l’esprit de conquête et d’usurpation, l’homme – enfant de Caïn – méchant animal, hypnos, eros, thanatos, le banal, la scénographie de l’attente, le RER, nourrissent une œuvre. Sous les pavés de Venise, la page. Rien de nouveau, ni d’original. Les sornettes sur « la légitimité en devenir de la femme écrivain » gâtent la sauce. Tristes tropismes.

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Le viol de la littérature par la sociologie, prétendre que ce sont les Lumières qui ont accouché du « je » plébéien, mettre Proust en examen pour snobisme et condescendance à l’encontre de Françoise, ce n’est pas sérieux. Annie n’aime ni Houellebecq, ni la concurrence. Silence assourdissant sur L’Enragé éblouissant, Céline, ou le talentueux Darien. Le hic ce n’est pas la belle phrase de Flaubert ou l’écriture à l’os : c’est la moelle, le talent. L’art est la manière. Le style c’est l’homme et c’est la femme. « Que Dieu vous garde du feu, du couteau, de la littérature contemporaine et de la rancune des mauvais morts » (Léon Bloy).

« Si je me retourne sur la promesse faite à vingt ans de venger ma race, je ne saurais dire si je l’ai réalisée. C’est d’elle, de mes ascendants, hommes et femmes durs à des tâches qui les ont fait mourir tôt, que j’ai reçu assez de force et de colère pour avoir le désir et l’ambition de lui faire une place dans la littérature, dans cet ensemble de voix multiples qui, très tôt, m’a accompagnée en me donnant accès à d’autres mondes et d’autres pensées, y compris celle de m’insurger contre elle et de vouloir la modifier ». Péroraison n’est pas raison, ni respiration. Le culte du moi, moi, moi. Le pathos à l’os, creux comme un flyer de l’Unesco ou un tweet d’Elisabeth Borne arrivant à Matignon. Tout ça, pour ça ! Si j’avais su, j’aurais pas venu… On vit très bien sans avenir.

Mère dure, fille rebelle, libre et indépendante, la femme de Lettres du vingtième siècle, c’est Colette. « Les Misérables aussi, oui, Les Misérables — malgré Gavroche ; mais je parle là d’une passion raisonneuse qui connut des froideurs et de longs détachements. Point d’amour entre Dumas et moi, sauf que le Collier de la Reine rutila, quelques nuits, dans mes songes, au col condamné de Jeanne de la Motte. Ni l’enthousiasme fraternel, ni l’étonnement désapprobateur de mes parents n’obtinrent que je prisse de l’intérêt aux Mousquetaires […]. Beaux livres que je lisais, beaux livres que je ne lisais pas … J’y connus, bien avant l’âge de l’amour, que l’amour est compliqué et tyrannique et même encombrant, puisque ma mère lui chicanait sa place ».

« La culpabilité est un symptôme dangereux. C’est un signe qui manque de pureté » (Ionesco).

Emmanuel Macron a-t-il politisé Kylian Mbappé ?

Suite à la défaite des Bleus, attendu ou non dans les vestiaires, Emmanuel Macron a débordé ostensiblement de formules de consolation pour l’équipe de France. Les démonstrations étaient telles, qu’on ne savait plus s’il s’agissait d’une ridicule mise en scène de lui-même ou d’une tentative déplacée de politisation.


Pourquoi l’omniprésence du président de la République, le soir de la finale perdue par les Bleus au Qatar, a-t-elle exaspéré plus d’un Français?

Je préfère laisser de côté le coût incroyablement dispendieux à tous points de vue de ce dernier voyage au Qatar : rien n’est trop beau ni trop cher pour la façade d’une présidence éprise de l’international, sous tous ses registres, comme autant de distractions de l’essentiel : une France qui va mal.

Pour répondre à mon interrogation initiale, et par comparaison, il suffit de se reporter à la liesse populaire place de la Concorde. Au moins 50 000 personnes acclamant Didier Deschamps et l’équipe de France, titulaires et remplaçants, comme s’ils avaient gagné… Au point de les étonner, et bien sûr de les ravir ! Le propre de cette ferveur collective est que, quasiment improvisée, elle était exclusivement consacrée à rendre hommage à ceux auxquels elle était dédiée.

Cette multitude dans le froid et l’enthousiasme était tout entière tournée vers ces footballeurs au sein desquels Kylian Mbappé était présent, avec presque une gêne et une timidité touchantes. Ces Bleus ne se rengorgeaient pas face à cette allégresse, elle les surprenait. Pas une once de comédie, de la sincérité brute et de la fidélité admirative transmises par leurs supporters.

Ce qu’on a entendu dans les vestiaires de l’équipe de France, ce qu’on a vu sur le terrain le 18 décembre était aux antipodes de cette simplicité et de ce bonheur collectif. Le narcissisme présidentiel a joué à plein.

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Emmanuel Macron, d’une manière, au fond, condescendante et en tout cas ostentatoire, cherchait à consoler Kylian Mbappé tout entier dans sa tristesse et qui a semblé attacher plus d’importance à la tape amicale du goal argentin qu’aux démonstrations surjouées du Président. À l’évidence celui-ci cherchait à s’incorporer tout ce qu’il y avait eu de magique dans le comportement de notre sportif d’exception. Il se regardait le tenant, il s’écoutait lui parlant, il jouait au président de la République. Parce que sa place n’était pas là, il créait un malaise ; sa passion authentique du foot ne justifiait pas ces débordements de subjectivité seulement voués à l’illustrer, lui, dans ce rôle de consolateur.

Pour tout dire, il y avait presque quelque chose d’obscène dans cette représentation inopportune à cet endroit et à ce moment. Sa présence occultait l’essentiel qui était Kylian Mbappé à cet instant, son désir de solitude, le courage de retenir son émotion – dans les bras de son père plus tard il l’a libérée -, la frustration d’avoir été exceptionnel en donnant d’abord le signal du sursaut puis en marquant trois buts, plus un tir au but et d’avoir cependant échoué de si peu avec son équipe.

Que venait donc faire le président de la République, indiscret, vibrionesque, dans cette épreuve ? Il n’avait rien, en tout cas, d’un roi thaumaturge – lui – se penchant sur Achille – Mbappé – selon la comparaison ridicule faite dans un tweet par BHL égaré par un excès de culture !

On avait bien compris que la victoire l’aurait exalté au point de se croire le héros du stade. Il fallait bien que la défaite lui servît à quelque chose : à se montrer compatissant dans un exhibitionnisme de mauvais aloi.

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Dans les vestiaires, ce fut pire ou autre chose.

Est-il vrai que Didier Deschamps aurait demandé l’intervention du Président ? Toujours est-il qu’Emmanuel Macron, s’étant imposé ou non, s’est lancé dans un propos aux banalités volontaristes, comme s’il était non pas Président mais entraîneur après la défaite de son équipe ! Propos par ailleurs étrange, superficiellement sportif mais profondément politique voire partisan puisque toutes les phrases roboratives, laissant espérer autre chose après cet amer passé immédiat, étaient à double sens. Sans forcer le trait, elles pouvaient aussi bien le concerner lui, que les joueurs abattus mais à l’écoute.

De l’ensemble de ces prestations en ressort l’impression que le Président, après avoir averti quelques jours avant qu’il ne fallait pas politiser la Coupe du monde, n’a pas hésité à le faire, en s’invitant dans l’univers des sportifs plus qu’il n’avait été invité à le faire et en politisant lui-même, à sa manière narcissique et extravertie, Kylian Mbappé et l’équipe de France.

Il s’est servi de lui et d’elle : on n’a vu que lui.

Revenons, pour conclure, place de la Concorde le 19 décembre au soir. Rappelons-nous aussi Jacques Chirac exultant en 1998 alors qu’il ne connaissait rien au foot, avec une apparence et une sincérité qui montraient que seul l’orgueil de la France lui importait et non la vanité présidentielle.

Le droit à la France

Le droit d’asile est si dévoyé que les habitants de pays où il ne fait simplement pas bon vivre peuvent prétendre au statut de réfugié. Et même déboutés, nos lois et les instances européennes les rendent inexpulsables. Face au flot de migrants actuels et surtout à venir, il est urgent d’agir, et pour cela, des moyens existent.


Selon le paragraphe 4 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Parmi les droits-créances qu’il a proclamés, le Constituant de 1946 a mis en bonne place le droit d’asile. Mais ce droit était réservé à une catégorie bien particulière de personnes : les opposants politiques libéraux qui subissaient des persécutions de la part de régimes totalitaires ou autoritaires – on pense évidemment à l’URSS et aux démocraties dites populaires.

Un droit d’asile dévoyé qui attire les immigrants

On est bien loin aujourd’hui de cette philosophie fidèle aux valeurs de 1789 : islamistes tchétchènes, objecteurs de conscience turcs, ex-prostituées nigérianes, femmes appartenant à des tribus pratiquant l’excision, homosexuels d’un pays africain ou musulman, commerçants bangladais en proie à des conflits de voisinage « sans pouvoir se prévaloir de l’appui des autorités », apatrides, une bonne partie des Soudanais et des Afghans… ont tous droit à l’asile en France, en attendant que l’on accorde aussi un improbable statut de « réfugié climatique ».

Les conditions laxistes qui président à l’octroi du statut de réfugié – au sens de la convention de Genève de 1951 – ou de la « protection subsidiaire » – pour ceux qui ne répondent pas aux critères de cette convention, mais qui bénéficient de l’asile quand même – expliquent l’afflux d’immigrants vers la France et plus largement vers l’Europe. Obtenir l’asile, c’est en effet non seulement recevoir un titre de séjour (dix ans pour les réfugiés et leur famille), mais aussi bénéficier de conditions matérielles d’accueil avantageuses (l’allocation de demandeur d’asile et l’hébergement, puis le droit à la Sécurité sociale et à l’ensemble des aides prévues pour les nationaux).

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Et même en cas de rejet définitif de leur demande d’asile, soit après environ seize mois compte tenu des délais moyens de traitement des demandes, successivement par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et la Cour nationale du droit d’asile[1] (CNDA), les immigrés déboutés ne sont pas dénués de droits et de nouvelles voies de recours sur d’autres fondements. Ils peuvent ainsi demeurer inexpulsables en raison notamment de l’interprétation extensive de l’article 3 de la fameuse Convention européenne des droits de l’homme, dont l’objet initial était d’interdire la torture…[2]

Selon les données publiées par l’Ofpra, 103 000 demandes d’asile ont été introduites en 2021. C’est moins qu’en 2019, qui a marqué un record de 133 000 personnes, mais nous sommes toujours à un niveau historiquement élevé : dans les années 1970, le nombre de demandes d’asile n’a jamais dépassé 20 000 ! Depuis, la France subit une hausse tendancielle, qui ne s’est pas démentie sur la période la plus récente et qui risque de s’amplifier avec l’appel d’air que l’accueil de l’Ocean Viking à Toulon pourrait susciter.

Le taux d’octroi de la protection internationale ou « subsidiaire » est élevé en France : 25,9 % devant l’Ofpra, mais 38,9 % après recours (quasi systématique[3]) devant la Cour nationale du droit d’asile, qui refait le travail réalisé par l’Ofpra et dont les juges souhaitent parfois se montrer plus généreux[4]. Les immigrants ont en somme double chance d’avoir l’asile, au tirage ou au grattage.

Près de quatre demandeurs d’asile sur dix bénéficient de l’asile en France, sans compter les « mineurs non accompagnés » (qui bénéficient d’un droit au séjour au titre de l’aide sociale à l’enfance) et ceux qui bénéficient d’un asile de facto faute d’être renvoyés dans leur pays d’origine[5] – c’est évidemment une incitation forte à tenter sa chance en France.

La part des bénéficiaires de l’asile (protection conventionnelle ou subsidiaire) dans les motifs de l’octroi d’un titre de séjour a d’ailleurs augmenté ces dernières années pour s’établir depuis 2017 autour de 12 à 13 % – soit deux fois plus qu’entre 2007 et 2013. Mais si l’on considère que cette proportion cache des flux plus élevés de demandeurs qui ne sont en pratique pas refoulés et que ces flux deviennent des stocks, nous avons là une cause de l’immigration vraisemblablement aussi importante que l’immigration familiale, que l’asile nourrit d’ailleurs du fait du droit au regroupement familial généreusement garanti par la convention de Genève.

Un système d’asile intrinsèquement vicié

Notre pays, apparemment plus que d’autres États européens, semble désarmé face à la demande d’asile : obligation de traiter la demande de tout immigrant, sauf à ce qu’il relève de la compétence d’un autre État membre, obligation de suivre des règles de fond et de forme encadrées par des directives européennes et par la jurisprudence, demandes d’asile prises en charge non pas par les services du ministère de l’Intérieur, mais par une administration autonome (l’Ofpra) et en second rang directement par une cour qui officie comme juge de plein contentieux (au lieu de se contenter de dire si la décision de l’Ofpra est légale ou non), éloignement aléatoire des déboutés du droit d’asile…

Patrick Stefanini, ancien directeur de campagne de François Fillon lors de l’élection présidentielle de 2017, a dressé un tableau réaliste de la situation de l’immigration en France.[6] À cette occasion, il a formulé des propositions sur l’asile qui sont fort opportunes, mais dont il n’est pas certain qu’elles seraient suffisantes au vu de la situation catastrophique actuelle. D’accord pour mieux coordonner le traitement des demandes d’asile dans l’Union européenne, notamment pour éviter que les demandeurs déboutés dans un État membre puissent aller immédiatement frapper à la porte d’un autre État membre ! On peut également penser que les juges de la CNDA devraient être des magistrats permanents et en aucun cas des personnes désignées par le trop militant Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) de l’ONU – mais cela ne changera rien à la jurisprudence qu’ils sont tenus d’appliquer. Quant à l’idée d’imposer le dépôt des demandes d’asile aux frontières extérieures de l’Union européenne, cette solution n’est viable que pour autant que l’on refuse de prendre les demandes formulées en Europe même – ce que le droit conventionnel et le droit de l’Union ne permettent probablement pas.

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Sortir de la convention de Genève et fonder (ou pas) un nouveau système d’asile

Car là réside le nœud du problème pour les États qui souhaitent pouvoir décider souverainement des personnes qu’ils accueillent en leur sein, sans s’en remettre aveuglément à telle ou telle règle de droit ou jurisprudence. Pour que le législateur puisse refonder le système d’asile qu’il souhaite, par exemple un système qui serait plus fidèle à l’esprit du préambule de la Constitution de 1946 et qui serait soumis à des limites quantitatives drastiques, il n’y a pas d’autre choix, en premier lieu, que de dénoncer la convention de Genève de 1951 – ou, ce qui revient au même, son protocole de New York de 1967, qui en a étendu le champ d’application temporel et géographique.

En tant que telle, une telle dénonciation de ce qui n’est qu’une simple convention internationale est très simple sur le plan juridique. Mais elle n’est pas permise ou demeurerait sans effet pour les États membres de l’Union européenne, qui se sont engagés à développer une politique commune d’asile conforme à la convention de Genève (article 78 du traité sur le fonctionnement de l’UE).

Il faudrait donc également que l’Union révise le traité sur ce point ou, à tout le moins, adopte des dispositions plus restrictives pour faire face à la situation d’urgence que nous connaissons depuis au moins 2015. En l’état actuel des choses, il n’existe cependant pas de consensus en ce sens au niveau européen, de sorte qu’un État membre ne peut actuellement pas sortir du carcan du droit de l’asile – un droit qui s’est transformé en droit à l’asile. Dans le système actuel, ce sont les immigrants eux-mêmes, les passeurs et leurs auxiliaires associatifs qui ont la main sur le robinet de l’asile – pas les États.

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Un tel système, dans lequel des centaines de millions d’étrangers et même des peuples entiers ont un droit au séjour dans les États européens, pour peu qu’ils mettent un pied sur notre sol pour y introduire une demande d’asile, n’est évidemment pas viable. La crise des « migrants » de 2015 n’aurait jamais eu lieu si l’Europe ne s’était pas condamnée à l’impuissance et à l’acceptation de vagues migratoires aussi fortes soient-elles.

Plusieurs États souhaitent faire évoluer le système d’asile européen, tel le Danemark, dont le gouvernement de gauche milite contre l’accueil de demandeurs d’asile sur le sol européen, privilégiant des centres d’accueil en dehors de l’Union.[7] Dans ce contexte, la France pourrait peser de son poids pour obtenir une réforme si elle le voulait. N’oublions pas que ce sont les États et non l’Union européenne qui sont responsables de l’ordre et de la sécurité publiques, gravement menacés par la pernicieuse invasion migratoire que nous subissons.

Toutefois, si le statu quo conventionnel et européen devait perdurer, un gouvernement soucieux de juguler l’immigration ne serait malgré tout pas dépourvu de tout moyen d’action. En particulier, compte tenu de ses moyens diplomatiques (visas), militaires (accords de coopération), financiers publics (l’aide publique au développement) et privés (les fonds envoyés « au pays » par les diasporas présentes en France), qui sont autant de moyens de pression potentiels, on peut penser que notre pays a des marges de progression pour améliorer le taux d’exécution des décisions d’éloignement. L’État de droit, c’est aussi faire respecter ses décisions.


[1]. En 2021, le délai moyen de traitement est de 261 jours pour l’Ofpra et de sept mois et huit jours pour la CNDA (sources : rapports d’activité 2021 de l’Ofpra et de la CNDA).

[2]. On pense ainsi à ce Bangladais asthmatique dont la cour administrative d’appel de Bordeaux, par un arrêt du 18 décembre 2020, a annulé l’obligation de quitter le territoire français en raison de la difficulté à traiter son affection respiratoire au Bangladesh compte tenu des conditions climatiques qui y prévalent…

[3]. Le taux de recours contre les décisions de l’Ofpra s’est élevé à 83 % en 2021.

[4]. On se souvient que Abdouallakh Anzorov, le terroriste qui a décapité le professeur Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine le 16 octobre 2020, devait sa présence en France à une décision de la CNDA, qui avait accordé l’asile en 2011 à son père en raison de son engagement dans la guérilla tchétchène.

[5]. En 2020, la France a pris 108 395 décisions d’éloignement, dont seulement 6 930 ont été exécutées, soit un taux d’exécution de seulement 6,4 %. Ce taux était de 61,5 % en Pologne en 2021 (6 355 éloignements forcés) ou encore de 30,2 % en Suède en 2020 (4 930), pour une moyenne européenne de 18 % en 2020. Source : Eurostat (cf. https://ec.europa.eu/eurostat/web/migration-asylum/managed-migration/database ).

[6]. Immigration: ces réalités qu’on nous cache, Robert Laffont, 2020.

[7]. Le 9 septembre 2022, le Danemark et le Rwanda ont adopté une déclaration bilatérale en vue d’un accord dans le cadre duquel « les demandeurs d’asile arrivant au Danemark pourraient être transférés au Rwanda pour l’étude de leur dossier ».

Brésil : Lula gouvernera un champ de ruines

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La défaite de Bolsonaro aux élections présidentielles a été reçue avec soulagement dans les grandes capitales occidentales. L’on y a célébré le « retour de la démocratie », feignant d’ignorer qu’il n’y a plus de démocratie au Brésil.


Pour faire sortir Bolsonaro, la démocratie brésilienne a été dynamitée, les institutions dévitalisées et l’Etat de droit liquidé. Fallait-il payer ce prix pour empêcher la réélection de Bolsonaro ?

Le chemin de Lula a été ouvert au bulldozer

Lula n’aurait jamais dû participer aux élections de cette année, car il aurait dû être en prison ! En 2018, il a été condamné à douze ans pour corruption et blanchiment d’argent. Les images de son incarcération ont fait le tour du monde et marquent la mémoire de tous les Brésiliens. Puis soudain, durant la pandémie, la Cour Suprême annule l’intégralité de la procédure et dédit tous les tribunaux qui ont déclaré Lula coupable (première instance, deuxième instance et cassation). Elle ne le déclare pas innocent, elle annule le procès en soi pour vice de forme. Cerise sur le gâteau : les crimes qui lui sont reprochés sont prescrits, Lula peut donc revenir dans le jeu, l’esprit tranquille.

En parallèle, la Cour Suprême se pique de poursuivre tous ceux qui la critiquent au motif de la lutte contre les fake news. En 2019, elle lance une méga-enquête sur les « actes antidémocratiques » et qui n’est rien d’autre qu’une chasse aux sorcières visant les adversaires de Lula. On incarcère des députés en plein exercice au mépris du principe d’immunité parlementaire, on emprisonne des blogueurs et on oblige d’autres à s’exiler aux Etats-Unis, on démonétise les canaux Youtube de droite, on perquisitionne au petit jour les domiciles de plusieurs patrons d’entreprise proches de Bolsonaro après avoir intercepté illégalement leurs échanges sur WhatsApp. Détail important : aucun texte légal n’autorise ces persécutions, la Constitution et le code pénal garantissant la liberté d’expression. Et pour aggraver le caractère illicite de la procédure, les avocats des prévenus n’ont pas accès au dossier ! Tout cela passe inaperçu durant la pandémie, le peuple étant sidéré par la peur du virus et les médias étant occupés à fustiger Bolsonaro et son opposition au masque et au confinement.

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Le coup d’état a été plus que parfait : aucune balle n’a été tirée, personne n’a rien vu.

Le covid ayant reflué, la dernière phase du projet « come back » de Lula se met en place. On est au début de l’année 2022 et la Cour Suprême émet plusieurs fatwas déclarant absolument inviolables les urnes électroniques qui seront utilisées lors du scrutin présidentiel du mois d’octobre. Mieux encore, elle interdit à quiconque de les auditer, à commencer par les candidats ou les autorités publiques compétentes. La presse aux ordres relaie bien entendu le message et taxe tous les sceptiques de complotistes et de négationnistes. Quand Bolsonaro exhibe un rapport émis par les instances qui gèrent les élections au Brésil et qui atteste d’un « hacking » avéré en 2018, les journalistes font l’autruche.

La suite des événements se résume à l’accélération des mesures vexatoires et clairement illégales inaugurées en 2019. La campagne se passe dans un climat surréaliste où il est interdit, sous peine d’amende, de rappeler aux électeurs les antécédents judiciaires de Lula. Les juges vont jusqu’à retirer des ondes une campagne appelant à la vaccination contre la polio au motif qu’elle pourrait créer de la sympathie pour le Ministre de la Santé, allié de Bolsonaro.

Le 30 octobre dernier, Lula a fini par gagner les élections avec 50,90 % des suffrages.  C’est peu au regard des coups de pouce qu’il a reçus.

Qui a le pouvoir ?

Autant de « miracles » ne peuvent être le seul fait de Lula ou de quelques juges de la Cour Suprême. Il est strictement impensable que des hommes désarmés et désargentés puissent suspendre l’Etat de droit et balayer du revers de la main trente ans de démocratie. Qui a manigancé la sortie de Lula de prison ? Qui a convaincu le Congrès de se soumettre aux diktats des juges qui empiétaient clairement sur ses attributions ? 

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L’idéologie ne suffit pas à expliquer l’alignement incroyable des volontés pour aplanir les obstacles devant le candidat de gauche. Qui est derrière tout cela ? Impossible de répondre, la presse donnant au public quelques figures à détester qui n’ont aucune espèce d’empire sur les volontés dans ce pays : pas de fortune, pas d’armes, pas de popularité. Il s’agit notamment des juges Alexandre de Moraes et Gilmar Mendes, membres de la Cour Suprême.

Lula fait comme si

Lula sera investi le 1er janvier prochain. Il fait comme si tout allait au mieux dans le meilleur des mondes. Il annonce ses ministres et esquisse ses grandes politiques, comme si le président de la République avait encore le pouvoir au Brésil.

A-t-il des garanties que les juges vont renoncer à leur coup d’Etat, par sympathie politique à son égard ou sur ordre des véritables maîtres du pays ?

Il est permis de le croire, voire de l’espérer car Lula, au moins, dispose d’une certaine légitimité populaire, pas les juges.

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De toute façon, un précédent a été établi et trop de lignes rouges ont été franchies. Le pire dans tout ça est qu’une grande partie de la jeunesse est d’accord. Elle a tellement peur de Bolsonaro, elle craint tellement les fake news qu’elle est prête à s’enchaîner volontairement. Elle incarne la servitude volontaire, assumée et criée sur tous les toits.

Quant aux intellectuels brésiliens, ils sont comme leurs confrères français : ils font carrière quitte à manger dans la main du Diable.  Ils avalisent la transformation du pays en une république bananière où les lois ne veulent rien dire. Ils cautionnent, sans s’en rendre compte forcément, la mue de l’Etat brésilien en un Etat criminel dirigé par un criminel condamné à de la prison ferme, un narco-Etat où un trafiquant de drogue a plus de chance d’avoir droit à un procès juste qu’un journaliste de droite.

Une chose est sûre cependant : le Brésil aime les surprises. Il n’est pas exclu qu’un coup de théâtre se produise dans les prochaines semaines, avant ou après l’investiture de Lula.

Stella est amoureuse : le teen-movie revisité

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La caméra tendre et pudique de Sylvie Verheyde ressuscite le Paris des années 80 et renouvelle la vision de l’adolescence.


Stella est amoureuse de Sylvie Verheyde est en salle depuis le 14 décembre. Ce teen movie qui est à la lisière du genre, est la suite de Stella, sorti en 2008. J’avais beaucoup aimé, à l’époque, ce film attachant et singulier. Je suis donc allée voir la suite, déjà conquise, et je ne fus pas déçue par le deuxième volet des aventures la petite Stella. Issue d’un milieu très populaire – ses parents tiennent un café au fin fond du XVIIème arrondissement – ce sont des gens du Nord, presque incultes mais diablement vivants. Stella, leur fille, qui évolue au milieu des alcooliques et de quelques paumés attachants (dont Guillaume Depardieu, dont ce fut un des derniers rôles, et il y est excellent), est sauvée par la carte scolaire. Elle entre en 6ème dans un bon lycée, elle fait tache, mais rencontre Gladys, fille de psychanalyste qui lui fait découvrir Lavilliers et Balzac, et lui permet de continuer sa scolarité dans ce lycée avec cette population dont elle ignore tout des codes, cette gamine qui assiste à des bagarres dans le café de ses parents et danse sur Sheila devant la télé.

Quand le teen-movie rencontre Pialat et Diane Kurys

Nous la retrouvons en terminale. La réalisatrice met en place le même dispositif que dans la cultissime Boum : une suite avec les mêmes protagonistes. Cependant Stella est amoureuse, s’il obéit à quelques règles du teen movie : les scènes de lycée, les histoires de coeur, les rapports avec les parents, trempe dans un réel parfois acide, quelquefois drôle, mais également oppressant. C’est La Boum qui rencontre Pialat qui rencontre Diabolo Menthe.

Tout le long du film, j’ai pensé à Passe ton bac d’abord, de Pialat. Les mêmes scènes de café, autour du flipper, caméra au poing, image un peu sale, les mêmes ados traînant leur désenchantement. Du film culte de Diane Kurys, nous retrouvons la bande de copines, les histoires de familles compliquées et l’ancrage dans une époque. Pour Stella est amoureuse, il s’agit des années 80, mais pas comme elles sont représentées dans La Boum, édulcorées et sages. Là nous sommes dans le réel. Ceux de ma génération, dont, comme moi, la principale préoccupation était la sortie en boîte du samedi soir, s’y retrouveront. Rien que de très classique, me direz vous, pour un teen movie.

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Paris, années 80

Cependant, dans Stella est amoureuse, la boite de nuit, ce sont les fameux Bains Douches, pour y entrer, il faut plaire à Farida, qui sélectionne les heureux élus. Nous sommes en plein dans le Paris branché des swinging 80’s. Stella et ses copines y participent de loin en décrochant le sésame. Stella y élut vite domicile. Mais point de gamines hystériques et de slows baveux. La jeune fille est toujours un peu ailleurs, elle observe, hiératique dans son mini short. Elle y est un peu comme à l’église, c’est un lieu saint, dans lequel elle observe un beau noir danseur de hip hop, à la fois avec admiration et suspicion.

On sent bien que les garçons, c’est compliqué pour elle. Elle connaît leurs injustices, leur violence parfois, elle les a observés dans le café. Les amants de sa mère, l’alcoolisme fatigué de son père, les attouchements qu’elle a certainement subis, suggérés, dans le premier volet, avec beaucoup de pudeur et de délicatesse.

Car la caméra de Sylvie Verheyde est à la fois pudique et rentre dedans, au plus près des corps, des visages, elle affectionne les gros plans. Les arrière-plans sont souvent flous, et il fait toujours gris dans ce Paris des années 80, filmé comme presque une ville de province dans laquelle on s’ennuie. Elle montre cependant, comme un kaléidoscope, des morceaux de ces années-là. Les jambes des filles, collants opaques et ballerines flashy, les visages aux lèvres rouges et aux yeux cernés d’eye liner, les coiffures soigneusement crêpées. Nous sommes bien à Paris, les looks sont sophistiqués. Mais la réalisatrice nous montre également cette scène, filmée comme un coup de poing (c’est le cas de le dire) : la violence des skinheads de l’époque, qui cherchaient à casser du noir et de l’arabe au coeur du quartier des Halles. Seul les plans qui ouvrent et ferment le film sont larges : les vacances en Italie, lumière aveuglante et garçons en Vespa, les filles accrochées derrière. La première fois. Sauf pour Stella qui n’a pas pu. Très habilement, Sylvie Verheyde fait des clins d’oeil à deux films cultes. On voit Sophie Marceau à la télévision, et, comme Charlotte Gainsbourg dans L’Effrontée, Stella veut jouer du piano. C’est bien le piano, elle sortirait de son milieu social.

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Elle a finalement une aventure et une première fois avec le danseur de hip hop. Le garçon est tendre et attentionné mais elle est toujours un peu ailleurs et méfiante.

Comme au théâtre, le film obéit à la règle de l’unité de lieu, d’action et de temps : le lycée et la boîte, l’année scolaire, les péripéties amoureuses et familiales, la complexité de l’adolescence, montrée dans le film avec beaucoup de justesse et de profondeur.

Cinéma français pas mort !

Un mot sur les acteurs qui sont tous parfaits : Marina Fois et Benjamin Biolay (très bon acteur), en les parents qui ont vieilli prématurément, quant à Stella, elle est interprétée par Flavie Délangie, impressionnante de violence contenue.

Ce film nous prouve que non, le cinéma français n’est pas mort, comme on le lit trop souvent dans ces colonnes. Il suffit d’être curieux, attentif, on y déniche de sacrées pépites. Mais certains n’y trouvent que ce qu’ils veulent bien y trouver, pour rester campés dans leurs certitudes déclinistes.

Le titre est cependant trompeur. Stella est-elle vraiment amoureuse ? Non, pour l’instant elle tâtonne, l’amour elle y « pensera demain ».

Stella est amoureuse de Sylvie Verheyde, en salle depuis le 14 décembre.

Portrait de l’écrivain en lecteur

Avec L’Amour de la lecture, Frédéric Ferney célèbre les livres comme les derniers refuge de l’homme libre. Un essai bref et lumineux.


Notre cher Frédéric Ferney nous offre un de ces petits livres brillants qui se révèlent, à la longue, des vade-mecum pour gros temps. Il est bon, parfois, de faire le point sur cette pratique de plus en plus scandaleuse, secrète, jouissive et mélancolique : la lecture. Ferney est l’homme idéal pour cela parce qu’il sait, sans pour autant virer réac, que la météo n’est pas favorable : « Non, ce n’était pas mieux avant, c’était juste un autre pays ».

Ce qui est certain, c’est que la lecture, pour Ferney, a l’avantage d’échapper à tous les pouvoirs, qu’elle est l’exercice d’une liberté inaliénable, qu’elle est, à une époque où se généralisent les écrans, le seul moment où l’on peut produire des images mentales qui n’appartiennent qu’à nous. Seule analogie possible pour parler de la lecture, la prière : « Lire, c’est prier dans le désert, faute de savoir crier ». Ce retour sur soi est suspect par essence. On subit une métamorphose, le lecteur, c’est Grégoire Samsa, premier choc de lecture pour l’élève Ferney, quand un instituteur imprudent lit les premières lignes du récit kafkaïen à la classe.

C’est que, pour lire, il faut un corps. C’est important, le corps en ce moment : on ne parle que de lui pour mieux le refouler. Alors, logiquement, Ferney qui fait de ce livre également un autoportrait de l’écrivain en lecteur, observe le corps des autres lecteurs. Il y a ainsi des pages délicieuses sur cette jeune fille qui lit sur une plage : « Lire, c’est quitter son corps et respirer dans le corps d’un autre. Le principal mode d’évasion – le seul permis en prison ».

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La lecture, c’est aussi la mémoire, que Ferney définit bien joliment comme une « espionne du cœur ». Attention, par forcément la mémoire de ce qu’on lit mais aussi la mémoire des circonstances d’une lecture. C’est le double effet de la littérature : l’évasion parfaite, mais aussi les retrouvailles avec sa propre histoire, ses propres souvenirs. On trouve ce phénomène aussi bien chez Perec que chez Proust.

On ne trouvera pas cependant dans L’Amour de la lecture des conseils pour une bibliothèque idéale. Certes, à la fin du livre, il y a de bien jolis morceaux de bravoure sur « Molière amoureux », sur Conrad et la peur, sans compter un délicieux entretien imaginaire avec Philip Roth et une très émouvante lettre que Camille Claudel aurait pu, ou aurait dû écrire à son frère Paul : « Sous ton meilleur jour, tu es du côté de ceux qui ont un cœur et de grosses mains. Moi aussi, mais les miennes sont plus petites. Tu réclames ta part, celle du lion. » Certes, notre cicérone littéraire s’inquiète de la disparition précoce – dès la fin du Moyen Âge– du merveilleux dans la littérature française qui ne nous laisse plus que le choix « entre Sade et l’Oulipo : jouir, en parler ; parler, en jouir puisque tout est langage ».

Mais le vrai propos de Frédéric Ferney est ailleurs : parce qu’il fait voyager, parce qu’il change notre rapport au monde, parce qu’il offre, à portée de main, la possibilité de toutes les sécessions heureuses, il prouve que l’amour de la lecture, au bout du compte, c’est l’amour tout court.

Frédéric Ferney, L’Amour de la lecture, Albin Michel, 2022.

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« Le niveau non pas des élèves mais des enseignants est en train de baisser cruellement »

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Non, cette phrase n’est pas tirée d’une déclaration à l’emporte-pièce de notre polémiste favori : c’est Pierre Arditi, indéfectible soutien de la gauche depuis toujours, qui l’a lancée sur Europe 1, répondant à une question de Sonia Mabrouk. Tiens ! Les certitudes de la gauche bobo-caviar s’effriteraient-elles ? se demande notre chroniqueur.


 « Les enseignants, c’est capital, c’est eux qui vont faire les femmes et les hommes de demain », rappelle encore Arditi. Et d’évoquer ce prof qui jadis l’initia à la littérature en général et à Stendhal en particulier. Alors, Pierre, c’était mieux avant ?

Ce n’est pas un énième épisode de « prof bashing » comme on dit chez les pédagos syndicalistes en bon français. C’est la réalité qui, chassée par la porte durant trente années de pédagogisme aigu, d’idéologie contre-productive et de bonnes intentions délétères, revient par la fenêtre. Oui, le niveau des élèves, dont toutes les études prouvent qu’il ne cesse de sombrer dans les abysses, est dépendant du niveau des enseignants. Quand ces derniers ont été conditionnés dans des IUFM / ESPE / INESPE (barrez les sigles anciens en fonction de votre entrée dans le métier après une année d’intoxication pédagogique) où on leur a appris la « didactique » — apprendre à apprendre, tarte à la crème des mauvais profs — et non des savoirs réels, on ne peut attendre qu’ils enseignent à leurs élèves autre chose que leur propre ignorance. Et plus le niveau d’une classe est bas, plus il baisse. On fabrique des crétins, on parle pour eux, et on finit par s’aligner sur le niveau des plus faibles. Carton plein.

J’ai tenté d’expliquer cela mercredi dernier à Pascal Praud, au cours d’une émission matinale quelque peu saucissonnée par l’actualité, les pubs et les impératifs d’emploi du temps de tel ou tel intervenant. C’est à partir de la 41ème minute. Pas le temps d’expliquer vraiment, pas le temps de parler de cet indicateur sûr que fut le tout récent concours des professeurs des écoles, dont Caroline Beyer faisait dans Le Figaro du 15 décembre une analyse consternée. On se rappelle que le ministère, faute de candidats en nombre suffisant pour que ce concours en soit encore un, avait exceptionnellement rallongé de quelques semaines la date d’inscription— du jamais vu.

Le sujet proposé en Français était bien choisi, avec un texte d’une cinquantaine de vers de Victor Hugo — un poème très simple, de la prose familière mise en alexandrins, tiré de L’art d’être grand-père et s’adressant fictivement aux deux petits-enfants, Georges et Jeanne, dont la mort soudaine de son fils Charles lui avait valu la garde. Le lecteur curieux trouvera ici le texte complet, et les questions afférentes, auxquelles un petit niveau de Certificat d’Etudes des années 1960 permettait de répondre.

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Et Caroline Beyer de s’étonner : « [Les candidats] devaient notamment expliquer le mot « chancelants », qualifiant les petits-enfants du poète qui, âgés de moins de 2 ans, vacillent encore sur leurs jambes. « Ce terme a donné lieu à bon nombre d’interprétations fantaisistes », euphémise le jury de l’académie d’Amiens, avant de livrer un petit florilège. « Qui chante bien, chanceux, qui fait de la magie, pas sage, qui génère de la lumière ». Certains ont même tenté d’expliquer que le mot relevait de la famille de « chancelier » ».

Quant à l’épreuve de syntaxe proprement dite… « Dans les vers « Jugez comme cela disperse mes pensées » et « Je distingue ébloui l’ombre que font les palmes », les candidats devaient par exemple identifier trois pronoms. Si « je » l’a été aisément, « cela » et « que » n’ont pas souvent été repérés ». « Par ailleurs, de nombreux candidats ont analysé le  « l’ » comme pronom », indique une Académie ». Cela compense ceux qui — cela m’est arrivé en Hypokhâgne, la crème de la crème — croient que dans « Je les plante », « les » est un article, et non un pronom, et écrivent bravement « Je les plantes » — vertes, sans doute, les plantes…

Aussi, quelle idée de tendre des pièges… « Que » n’est-il pas toujours une conjonction ? Comment dites-vous ? « Pronom relatif » ? Heu… Mais encore ?

Demandez à un élève de Seconde ou de Première s’il a un jour étudié les pronoms relatifs. Et si ça n’a pas été fait avant — et il faudrait, comme autrefois, le faire en Primaire —, il n’y a aucune chance que ce soit fait après, les profs de Fac campent sur une dignité qui ne les autorise pas à condescendre à expliquer l’orthographe et la grammaire.

Mais ce sont là des valeurs bourgeoises. Comme le soulignait Eric Naulleau chez Pascal Praud dans l’émission sus-citée, la réprobation qui depuis trente ans frappe le « par cœur », explique que les enfants (et les ex-enfants) ne sachent ni la grammaire, ni les tables de multiplication. Ni la chronologie historique, ni rien. Français, Maths et Histoire-Géographie sont les trois grands oubliés des programmes imposés sous l’ineffable Vallaud-Belkacem. Sans doute s’était-elle considérée comme le modèle de savoir… Et je regrette fort que Jean-Michel Blanquer, qui avait pourtant nommé à la tête du Conseil Supérieur des Programmes une femme remarquable, Souâd Ayada (que Pap N’Diaye s’est dépêché d’appeler à d’autres fonctions, comme on dit, et a nommée à la tête de l’Institut d’islamologie, dans l’espérance qu’elle contrariera, laïque qu’elle est, l’entrisme des islamistes), n’ait pas trouvé en cinq ans le temps de réformer à son tour des programmes délétères.

A lire aussi: De la sortie scolaire, schibboleth du pédagogisme.

Il est vrai que les tentatives de Blanquer pour imposer, par exemple à Paris, une méthode alpha-syllabique d’apprentissage de la lecture ont été taxées par le SNUIPP, syndicat archi-dominant du Primaire, de « caporalisme ». Ce même syndicat, commentant à son tour les résultats cocasses et catastrophiques du récent concours de Professeur des Ecoles, a jugé indigne « ce recentrage sur le français et les maths et l’absence d’épreuves professionnalisantes ».

Parce qu’il faut dire toute la vérité : on ne peut passer ce concours qu’à Bac+5, après un master 2. Si possible un Master MEEF, consacré aux métiers de l’enseignement. Eh bien, les titulaires dudit sésame se sont plantés magnifiquement, comme les petits copains. Comment ? On n’apprend pas les fondamentaux dans les IUFM / ESPE / INSPE ? Heu… Et les gens qui y enseignent ne sont pas révoqués ? Eh non.

Ni condamnés à aller planter le riz en Camargue pendant quelques années. Ça leur donnerait pourtant le temps d’apprendre les conjugaisons (les candidats confondent l’imparfait et le présent du conditionnel) et les tables de multiplication : un âne multiplié par deux = deux néoprofs.

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La Champagne, terre de cuvées

Non loin d’Épernay, le domaine Alain Bernard perpétue le travail de la vigne à l’ancienne. Avec ses chevaux de trait et ses caves de fûts de chêne, il est encore l’un des rares à élaborer ses propres champagnes. Une production confidentielle à partager entre amateurs.


Bien avant que Macron et Hidalgo chantent les mérites du « Grand Paris », la Champagne, toute proche, était déjà le jardin de la capitale puisque les rois de France allaient se faire sacrer à la cathédrale de Reims et que le vignoble de la vallée de la Marne (fief historique du pinot meunier, un cépage champenois qu’on ne trouve nulle part ailleurs) n’est qu’à 80 km de la place de la Bastille…

Ces dernières années, la Champagne a opéré une mue en profondeur qui en fait certainement à ce jour le vignoble le plus passionnant de la planète. Plus on y va, plus on est fasciné par ses paysages et ses savoir-faire uniques au monde transmis de génération en génération. Le champagne industriel est toujours là, certes, issu de vignes nourries aux engrais et que l’on fait « pisser » pour avoir un maximum de rendement, mais c’est ce qui se passe autour qui attire notre attention et nous convainc qu’il existe un « pays réel » bien vivant, plein de ressources et de talents, qui dépasse de loin la représentation morbide et mortifère qu’en donnent les médias, les sociologues et les statisticiens… Pour des raisons de santé mentale, les Français n’écoutent plus les infos ? Normal. La voix des speakerines est devenue un tantinet agressive et anxiogène (toujours la même diction, le même ton, et si l’apocalypse est sûre, à quoi bon s’informer ?).

Allons donc sentir la lumière et les parfums de la Champagne, ceux de ses terres crayeuses farcies de coquillages et de ses forêts de chênes plantées par Colbert pour construire nos vaisseaux.

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D’abord, on découvre une région où l’on mange souvent mieux qu’à Paris, comme à Reims, où Arnaud Lallement (à l’Assiette Champenoise) et Philippe Mille (Les Crayères) sont au firmament de leur créativité. À Épernay, il faut attendre des semaines pour espérer déguster une côte de bœuf grillée au feu de bois à La Grillade Gourmande (tenue par le chef Christophe Bernard qui était autrefois chez Ducasse à Monaco). Et n’oublions pas les petits villages oubliés, comme celui de Dormans, où Sylvain Suty, originaire du Jura, redonne vie à une cuisine française savoureuse qui privilégie les sauces et les cuissons lentes à l’ancienne… Américains, Allemands, Belges, Italiens et Japonais venus faire leurs emplettes ne s’y trompent pas : ils évitent désormais Paris pour aller directement s’immerger en Champagne où ils ont le sentiment de retrouver la France de Charles Trenet !

S’agissant du vin, il n’est pas excessif de parler de révolution : au début des années 1960, la Champagne entre dans l’ère de l’industrie viticole, le tracteur remplace le cheval, le Round-Up la binette et la grande cuve en inox le petit fût de chêne traditionnel (on compte alors 150 tonnelleries champenoises contre une seule aujourd’hui). Soixante ans après, c’est l’inverse ! Les vignerons reviennent au cheval (qui offre l’avantage de ne pas tasser les sols) et au fût de chêne (qui permet au vin de se concentrer et de développer des notes d’épices, de fruits et parfois de vanille et de chocolat). Sur les 15 000 vignerons que compte la Champagne, l’immense majorité se contente de produire et de vendre du raisin aux grandes maisons de négoce (Moët & Chandon, Taittinger, Ruinart…) qui représentent à elles seules 90 % des exportations. Une poignée de vignerons (appelés « récoltants-manipulants ») cultivent encore leurs vignes afin d’élaborer leurs propres champagnes.

Parmi eux, on découvre chaque année de nouveaux talents qui ont su redonner vie à leurs terres et qui sculptent des vins parfois éblouissants. Comme les sommeliers parisiens (qui travaillent toujours avec les mêmes maisons) ne vont pas à leur rencontre, ce sont les marchands étrangers qui les découvrent et achètent l’essentiel de leurs nectars (qui, pour cette raison, sont introuvables chez nous !).

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Ainsi, au village de Dizy (à 4,6 km d’Épernay), le domaine Alain Bernard nous ramène-t-il à une France que l’on croyait disparue. À l’intérieur, les photos des Tontons flingueurs ornent tous les murs. Benoît, le père, prépare une délicieuse purée de pommes de terre dans sa cuisine équipée d’une magnifique La Cornue. On a le sentiment d’être dans une émission du « Petit Rapporteur », quand Jacques Martin, Daniel Prévost, Stéphane Collaro, Pierre Desproges et Pierre Bonte s’en allaient à la rencontre de la France profonde. La gentillesse et l’hospitalité de cette famille contrastent avec la froideur de bien des maisons qui ont pignon sur rue ! En débouchant leur cristallin champagne premier cru (issu d’une parcelle de chardonnay labourée par leurs chevaux des Ardennes, Victor et Violette), Isabelle Bernard, un brin coquine, nous apprend que la légendaire abbaye d’Hauvillers (que l’on aperçoit au loin et pour laquelle travaillaient les ancêtres de son mari Benoît) était autrefois connue pour les mœurs de ses moines bénédictins : « Ils avaient le droit de cuissage sur les jeunes filles de la région, mais cela ne gênait personne à l’époque. En regardant Benoît, je me demande s’il n’est pas un descendant de Dom Pérignon car il lui ressemble beaucoup ! »

Pourquoi donc conseiller ce petit domaine de huit hectares dont personne ne parle ? Précisément parce que personne n’en parle ! Les champagnes des Bernard sont introuvables à Paris, alors que leur coteaux-champenois rouge (vin tranquille) est, à mon avis, le plus exceptionnel qui soit. Ces vignerons méticuleux et précis sont les seuls à érafler à la main les grappes de pinot noir sur un tamis en osier… Quel fruit ! Autre joyau, leur rosé de saignée (les peaux des raisins noirs ont macéré dans le jus) est produit uniquement sur les grandes années : « C’est un champagne plein de sève et de tannins qu’il faut mettre en carafe pour développer ses parfums », nous conseille Benoît.

Non filtrés et très peu dosés, la plupart de leurs vins sont élevés dix mois dans des fûts de chêne de la forêt d’Argonne et de la montagne de Reims, fabriqués sur mesure pour eux par le dernier tonnelier du pays, Jérôme Viard. En les buvant à petites gorgées, on sent le vrai goût de la craie, avec son côté iodé et salin…

Domaine Alain Bernard, 116, rue Danielle Casanova, 51530 Dizy

Infos et boutique en ligne : www.champagne-alain-bernard.com

Courage ! Bientôt les lendemains de fêtes…

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Bûche de Noël du chocolatier Maison AUER, Nice, FRANCE SYSPEO/SIPA 01097954_000003

Si vous trouvez la période dite «des fêtes» éprouvante, Sophie de Menthon vous aide à comprendre pourquoi. Tribune.


Terminés les mailings de vœux de n’importe quoi, les Joyeux Noël (pour les sectaires), les bonnes fêtes de fin d’année pour les politiquement corrects, le tout 30 fois par jour et pendant un petit mois car on a le droit tout le mois de janvier ! Heureusement, il y a ceux qui ricanent, et c’est ainsi qu’on a vu apparaitre sur les réseaux sociaux des dessins de rennes en grève, ou demandant en faisant un sit-in le droit télétravail à un Père noël qui avait la tête du DRH de la SNCF !

Mais la bienveillance règne, tous les bons sentiments arrivent d’un coup, assortis – et c’est nouveau – de conseils moraux-écolo : pas de jouets en plastique, seulement 4% des garçons demandent des poupées (que faire ?), aller servir au restau du cœur, ne pas se déplacer mais arriver à se déplacer, réunir la famille et ne parler que de cela dans les médias alors que la vôtre visite les Pyramides en Égypte et que vous vous retrouvez seule avec le chien auquel vous hésitez à acheter des croquettes bio – réflexion faite, il n’a pas mérité ça.

Vous détestez (et vous êtes apparemment la seule en France ) faire la cuisine et pire : en parler, or vous êtes abreuvée en allumant la radio ou en achetant un journal de recettes de  « dernière minute » au lieu d’avoir commencé à cuisiner il y a 8 jours ! Je ne me lasse pas de relire fascinée la recette du « pâté en croute express au céleri rave » (merci au JDD). Quant au  foie gras, j’ai peur si j’en mange, soit d’aller en garde en vue pour avoir assassiné une oie,  soit d’attraper la grippe aviaire ;  heureusement, il y a les desserts (sans oublier que le sucre est un poison violent, on m’explique que pour « réaliser une meringue maison il faut incorporer le sucre sans faire tomber les blancs en neige… ». A propos de neige : nenni ! à la montagne on la rajoute à la liste des vœux.

Pour vous changer les idées, vous pouvez regarder la télé, les bêtisiers sont aussi indispensables que la bûche et aussi indigestes, vous êtes supposée pleurer de rire devant la présentatrice météo qui fait un lapsus… mais ce ne sera pas de rire que vous pleurerez car en zappant vous avez la guerre en Ukraine et toutes les familles dans le noir qui gèlent sur place : vous culpabilisez même si vous n’en pouvez plus de culpabiliser. Et puis il y ceux qui vous rappellent à l’ordre, de grands intellectuels, des penseurs qui vous interpellent sur votre rapport à l’existence de Dieu, en gardant bien sûr comme ligne de conduite la laïcité… Vous ne savez plus quoi dire quand on vous demande l’heure de la messe de minuit, qui comme son nom l’indique n’a plus jamais lieu à minuit.

Heureusement, il y a les best of des horoscopes qui sont unanimes : tout va aller bien et 2023 ne peut pas être pire que 2022, les béliers ont le succès professionnel qui les attend (c’est bon pour l’économie car statistiquement si tous les béliers réussissent, la croissance revient) même s’il faut de la décroissance (?) et si les taux montent pour justement ralentir la croissance (réfléchissez), c’est contracyclique !

Pour vous distraire le 31, en attendant un réveillon forcé qui vous laissera 2kg en plus de cholestérol en souvenir, vous aurez le discours du Président de la République, ce qui fera un sujet de conversation, il aura forcément été mauvais ne serait-ce que pour alimenter les conversations et franchement, le pauvre, que voulez-vous qu’il dise ?

En d’autres termes, rien de plus sinistre que les fêtes et on s’applique à les fêter ; d’ailleurs demandez autour de vous : vous n’entendrez que des gens affirmer qu’ils détestent cette période et que c’est la pire de l’année : « Ah ! Si ce n’était pas pour les enfants ». C’est bien vrai, ils sont intenables et se récitent entre eux la lettre à la mère Noël (au cas où elle aurait pris le pouvoir comme ils ont l’air de le dire à l’école), ils ont piétiné en revendiquant  (l’exemple vient de haut) d’ouvrir leurs cadeaux le 24 décembre à 18 h, alors que la tradition familiale fait que c’est au réveil le 25, qui a dit que le réveil était à 6 h ?

« À part ça : bonne santé, hein surtout ! c’est le principal » – entrainez-vous à trouver d’autres formules car il faut que ça dure au moins 3 semaines, et puis vous courez le risque de vous voir détailler la sinusite chronique de votre interlocutrice qui n’a pas supporté le déremboursement de l’homéopathie. Faites aussi attention au récit du covid qui vous entraine sur la pente dangereuse des vaccins. Commencez votre régime tout de suite et n’attendez pas les chroniques traditionnelles qui, dès le 1er janvier, vont surgir sur la détox alimentaire.

Avez-vous pensé au sac à sapin et au recyclage de toutes les décos de noël ? Oubliez les derniers sondages qui prouvent que l’homme en a fait 3 fois moins que vous pendant toute cette période, ou bien offrez-vous une petite scène parce que c’était la même chose pendant le confinement. Commencez à semoncer vos ados pour qu’ils renoncent à cette déplorable habitude de revendre leurs cadeaux sur de plateformes et respirez profondément lorsqu’ils vous répondent que les leurs ne trouveraient même pas preneurs sur internet…

Courage ! il y a aura un lendemain de fête et vous allez voir, c’est finalement très sympa les lendemains … Comment voulez-vous après tout cela que je vous présente mes vœux ?

Attentat à Paris : tout s’explique !

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La scène de l'attentat du 23 décembre 2022 à Paris Lewis Joly/AP/SIPA AP22753438_000001

Alors qu’il faut condamner le plus fermement possible l’attentat perpétré hier contre « les Kurdes de France », selon le mot du président de la République, certains y voient surtout un prétexte pour attaquer leurs adversaires politiques.


Attaque contre des Kurdes à Paris : selon le ministre de l’Intérieur, le suspect n’était pas fiché comme « comme quelqu’un d’ultra droite » et même « Il n’est pas certain que cette personne ait un engagement politique quel qu’il soit ». Pourtant, le président de SOS racisme, Dominique Sopo, en sait visiblement plus que Gérald Darmanin. Interrogé par BFM TV, Il a désigné nommément le véritable responsable, selon lui, celui qui, par son discours « haineux » a créé un climat propice à ce genre de crime : Éric Zemmour.

Que dans notre beau pays certains osent s’inquiéter de trop d’immigration, voire assumer une notion comme celle du « grand remplacement », c’est ce qui, selon l’oracle de SOS Racisme, démontre le grand danger droitier qui nous menace.

Voilà une analyse d’une grande finesse, équilibrée et argumentée, et qui a le mérite de désigner clairement les ressorts, les tenants et les aboutissants d’un attentat qui, sans cela, risquerait de passer pour l’œuvre d’un déséquilibré.

En effet, comme chacun sait, seuls les assassinats visant des Juifs ou des « Français de souche » relèvent de la psychiatrie.

Tirant les conclusions de cette analyse qui met en avant la noire main de l’extrême droite derrière ce drame, Monsieur Sopo appelle à manifester dans la rue dès samedi pour soutenir les Kurdes, mais aussi sans doute, pour faire barrage au fascisme, au racisme, à l’extrême droite. Je propose la nomination par acclamation de Monsieur Sopo comme ministre de la Justice, de l’Intérieur, et même, pour faire bonne mesure de l’Éducation nationale… et puis finalement non, pour l’Éducation, ce n’est pas la peine.

Ô race ! Ô désespoir

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Annie Ernaux, le 12/12/2022 / ©Henrik Montgomery/AP/SIPA / AP22749899_000002

Voyage au bout de l’Annie… 


Pour son discours de Stockholm, Annie Ernaux a trempé sa plus belle plume à l’aigre dans l’encrier des meilleurs poncifs : « Par où commencer ? Cette question, je me la suis posée des dizaines de fois devant la page blanche. Comme s’il me fallait trouver la phrase, la seule, qui me permettra d’entrer dans l’écriture du livre et lèvera d’un seul coup tous les doutes ». On avait sûrement calomnié Annie E…Dans L’Obs, Elisabeth Philippe s’interroge : « Mais pourquoi tant de haine ? » Bonne question, mais ce n’est pas aux détracteurs d’Annie Ernaux – plus consternés que haineux – qu’il faut la poser, c’est à l’écrivain. Depuis cinquante ans, la reine des dominés n’a qu’une obsession : venger son sexe et sa race. La race des capésiens ? Drosophile du coche, sur la route de Varennes, de Bandung, elle clame ses traumas, rancœurs, angoisses claustros dans l’ascenseur social : les corons et les Corot. Solécismes, solipsismes et barbarie. La femme gelée se moque des vers ; sa mère a tant souffert qu’elle est dedans sa tombe… « Les haines de races ne sont jamais au fond, que des haines de places » (Rostand).

Un grand concert d’idées brisées

Annie Ernaux est atteinte du syndrome « de la femme raide ». D’un côté les ténèbres, hantées par les Méchants, de l’autre la Lumière, les Gentils. Compteur Geiger à humiliés, hontes, déchirures, cinq plaies, sept douleurs, coiffée d’une couronne d’épines, Annie a des Mani et fait le Job. Elle a perdu la foi mais veut croire encore. Que deviennent toutes les larmes qu’on ne verse pas, se demandait Jules Renard ?

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La révolte et l’indignation, comme le soufflé au fromage, ne supportent ni le réchauffé, ni la médiocrité. Autrefois, la vérité, les luttes, les prolos, l’avenir, c’était simple, magnifique et scientifique comme la Révolution. Les progressistes, après avoir adoré Staline, Castro, Mao, Pol Pot, les bilans globulement positifs, ont jeté l’éponge. La Gauche a abandonné la dialectique et les kolkhozes de Koursk, s’est repliée dans les marais de la Morale, les farces et attrapes sociologiques. Bourdieu, mais c’est bien sûr ! L’avantage du couple fashion « dominant-dominé », c’est un flou sémantique qui permet de ratisser large sans se confronter aux contingences du réel. La famille D-D, recomposée, accueille une faune bigarrée au paradis des Vaincus (invisibles, intermittents, immigrés, chevalier d’Éon, Arumbayas, femmes, panda roux, tortue luth) ou dans l’enfer des Méchants (Hitler, réacs, fachos, masculinistes, blancs, Extrême droite, visibles, hyènes lubriques). Papillons difficiles à épingler, les Gilets Jaunes sont au purgatoire.

Les Iraniennes aussi. Le corps des femmes, l’IVG, l’émancipation, l’insoumission, dans Libé, à Yvetot, l’EHESS, Oui ! Mais Mollo Mollo avec les Mollahs de Mossoul, en Moselle. L’ère ottomane suit la Rome antique. Annie Ernaux prend le train en marche, salue de loin les Iraniennes victimes du patriarcat. Elle se voile la face, n’est au Coran de rien. Le hijab permet « la revendication visible d’une identité, la fierté des humiliés ». Vive les accommodements raisonnables avec l’infâme et l’obscurantisme ! Il ne faut pas désespérer Bobigny, ni faire perdre des voix au camarade Mélenchon. La Charia et la pitié.

A Stockholm, Rimbaud, Rousseau, Virginia, Kafka, ils sont venus, ils sont tous là… Annie Ernaux est une bande de seuls à elle toute jeune. Fanatique et naïve comme un ado, elle s’illusionne sur les symboles et l’histoire. La haine paie mieux que le mépris. Son prix Nobel n’est pas une « victoire collective ». A l’instar des grands hommes, les écrivains, « n’ont ni aïeuls ni ascendants ; ils composent seuls toute leur race » (La Bruyère). L’amer woke ne dérange aucun ordre institué, ne bouleverse aucunes hiérarchies. C’est une rebelle d’Etat, admirée, choyée par l’université et le pouvoir. Elle inspire les thésardes, pigistes idolâtres de France Culture, insurgés du Collège de France. Les véritables dominés, les travailleurs sans papiers, miteux, transis, n’ont que faire de son buzz, ses états d’âmes et remords. « Une jument de noble race n’a pas honte de son fumier » (proverbe arabe).

Le bien écrire

« Il me fallait rompre avec le « bien-écrire », la belle phrase, celle-là même que j’enseignais à mes élèves, pour extirper, exhiber et comprendre la déchirure qui me traversait ». Ouiiille… Annie Ernaux fracasse la porte ouverte du « je » singulier qui atteint l’universel, « l’outil exploratoire qui capte les sensations, celles que la mémoire a enfouies ». L’auto-friction, le plaisir des affres du texte et du sexe, les discours d’intranquillité, l’esprit de conquête et d’usurpation, l’homme – enfant de Caïn – méchant animal, hypnos, eros, thanatos, le banal, la scénographie de l’attente, le RER, nourrissent une œuvre. Sous les pavés de Venise, la page. Rien de nouveau, ni d’original. Les sornettes sur « la légitimité en devenir de la femme écrivain » gâtent la sauce. Tristes tropismes.

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Le viol de la littérature par la sociologie, prétendre que ce sont les Lumières qui ont accouché du « je » plébéien, mettre Proust en examen pour snobisme et condescendance à l’encontre de Françoise, ce n’est pas sérieux. Annie n’aime ni Houellebecq, ni la concurrence. Silence assourdissant sur L’Enragé éblouissant, Céline, ou le talentueux Darien. Le hic ce n’est pas la belle phrase de Flaubert ou l’écriture à l’os : c’est la moelle, le talent. L’art est la manière. Le style c’est l’homme et c’est la femme. « Que Dieu vous garde du feu, du couteau, de la littérature contemporaine et de la rancune des mauvais morts » (Léon Bloy).

« Si je me retourne sur la promesse faite à vingt ans de venger ma race, je ne saurais dire si je l’ai réalisée. C’est d’elle, de mes ascendants, hommes et femmes durs à des tâches qui les ont fait mourir tôt, que j’ai reçu assez de force et de colère pour avoir le désir et l’ambition de lui faire une place dans la littérature, dans cet ensemble de voix multiples qui, très tôt, m’a accompagnée en me donnant accès à d’autres mondes et d’autres pensées, y compris celle de m’insurger contre elle et de vouloir la modifier ». Péroraison n’est pas raison, ni respiration. Le culte du moi, moi, moi. Le pathos à l’os, creux comme un flyer de l’Unesco ou un tweet d’Elisabeth Borne arrivant à Matignon. Tout ça, pour ça ! Si j’avais su, j’aurais pas venu… On vit très bien sans avenir.

Mère dure, fille rebelle, libre et indépendante, la femme de Lettres du vingtième siècle, c’est Colette. « Les Misérables aussi, oui, Les Misérables — malgré Gavroche ; mais je parle là d’une passion raisonneuse qui connut des froideurs et de longs détachements. Point d’amour entre Dumas et moi, sauf que le Collier de la Reine rutila, quelques nuits, dans mes songes, au col condamné de Jeanne de la Motte. Ni l’enthousiasme fraternel, ni l’étonnement désapprobateur de mes parents n’obtinrent que je prisse de l’intérêt aux Mousquetaires […]. Beaux livres que je lisais, beaux livres que je ne lisais pas … J’y connus, bien avant l’âge de l’amour, que l’amour est compliqué et tyrannique et même encombrant, puisque ma mère lui chicanait sa place ».

« La culpabilité est un symptôme dangereux. C’est un signe qui manque de pureté » (Ionesco).

Emmanuel Macron a-t-il politisé Kylian Mbappé ?

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Emmanuel Macron et Kylian Mbappé, le 18/12/22 / ©Christophe Ena/AP/SIPA / AP22752038_000031

Suite à la défaite des Bleus, attendu ou non dans les vestiaires, Emmanuel Macron a débordé ostensiblement de formules de consolation pour l’équipe de France. Les démonstrations étaient telles, qu’on ne savait plus s’il s’agissait d’une ridicule mise en scène de lui-même ou d’une tentative déplacée de politisation.


Pourquoi l’omniprésence du président de la République, le soir de la finale perdue par les Bleus au Qatar, a-t-elle exaspéré plus d’un Français?

Je préfère laisser de côté le coût incroyablement dispendieux à tous points de vue de ce dernier voyage au Qatar : rien n’est trop beau ni trop cher pour la façade d’une présidence éprise de l’international, sous tous ses registres, comme autant de distractions de l’essentiel : une France qui va mal.

Pour répondre à mon interrogation initiale, et par comparaison, il suffit de se reporter à la liesse populaire place de la Concorde. Au moins 50 000 personnes acclamant Didier Deschamps et l’équipe de France, titulaires et remplaçants, comme s’ils avaient gagné… Au point de les étonner, et bien sûr de les ravir ! Le propre de cette ferveur collective est que, quasiment improvisée, elle était exclusivement consacrée à rendre hommage à ceux auxquels elle était dédiée.

Cette multitude dans le froid et l’enthousiasme était tout entière tournée vers ces footballeurs au sein desquels Kylian Mbappé était présent, avec presque une gêne et une timidité touchantes. Ces Bleus ne se rengorgeaient pas face à cette allégresse, elle les surprenait. Pas une once de comédie, de la sincérité brute et de la fidélité admirative transmises par leurs supporters.

Ce qu’on a entendu dans les vestiaires de l’équipe de France, ce qu’on a vu sur le terrain le 18 décembre était aux antipodes de cette simplicité et de ce bonheur collectif. Le narcissisme présidentiel a joué à plein.

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Emmanuel Macron, d’une manière, au fond, condescendante et en tout cas ostentatoire, cherchait à consoler Kylian Mbappé tout entier dans sa tristesse et qui a semblé attacher plus d’importance à la tape amicale du goal argentin qu’aux démonstrations surjouées du Président. À l’évidence celui-ci cherchait à s’incorporer tout ce qu’il y avait eu de magique dans le comportement de notre sportif d’exception. Il se regardait le tenant, il s’écoutait lui parlant, il jouait au président de la République. Parce que sa place n’était pas là, il créait un malaise ; sa passion authentique du foot ne justifiait pas ces débordements de subjectivité seulement voués à l’illustrer, lui, dans ce rôle de consolateur.

Pour tout dire, il y avait presque quelque chose d’obscène dans cette représentation inopportune à cet endroit et à ce moment. Sa présence occultait l’essentiel qui était Kylian Mbappé à cet instant, son désir de solitude, le courage de retenir son émotion – dans les bras de son père plus tard il l’a libérée -, la frustration d’avoir été exceptionnel en donnant d’abord le signal du sursaut puis en marquant trois buts, plus un tir au but et d’avoir cependant échoué de si peu avec son équipe.

Que venait donc faire le président de la République, indiscret, vibrionesque, dans cette épreuve ? Il n’avait rien, en tout cas, d’un roi thaumaturge – lui – se penchant sur Achille – Mbappé – selon la comparaison ridicule faite dans un tweet par BHL égaré par un excès de culture !

On avait bien compris que la victoire l’aurait exalté au point de se croire le héros du stade. Il fallait bien que la défaite lui servît à quelque chose : à se montrer compatissant dans un exhibitionnisme de mauvais aloi.

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Dans les vestiaires, ce fut pire ou autre chose.

Est-il vrai que Didier Deschamps aurait demandé l’intervention du Président ? Toujours est-il qu’Emmanuel Macron, s’étant imposé ou non, s’est lancé dans un propos aux banalités volontaristes, comme s’il était non pas Président mais entraîneur après la défaite de son équipe ! Propos par ailleurs étrange, superficiellement sportif mais profondément politique voire partisan puisque toutes les phrases roboratives, laissant espérer autre chose après cet amer passé immédiat, étaient à double sens. Sans forcer le trait, elles pouvaient aussi bien le concerner lui, que les joueurs abattus mais à l’écoute.

De l’ensemble de ces prestations en ressort l’impression que le Président, après avoir averti quelques jours avant qu’il ne fallait pas politiser la Coupe du monde, n’a pas hésité à le faire, en s’invitant dans l’univers des sportifs plus qu’il n’avait été invité à le faire et en politisant lui-même, à sa manière narcissique et extravertie, Kylian Mbappé et l’équipe de France.

Il s’est servi de lui et d’elle : on n’a vu que lui.

Revenons, pour conclure, place de la Concorde le 19 décembre au soir. Rappelons-nous aussi Jacques Chirac exultant en 1998 alors qu’il ne connaissait rien au foot, avec une apparence et une sincérité qui montraient que seul l’orgueil de la France lui importait et non la vanité présidentielle.

Le droit à la France

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Le député LFI François Piquemal vient apporter son soutien à de jeunes migrants installés dans le centre-ville de Toulouse, 29 août 2022. Alain Pitton/NurPhoto via AFP

Le droit d’asile est si dévoyé que les habitants de pays où il ne fait simplement pas bon vivre peuvent prétendre au statut de réfugié. Et même déboutés, nos lois et les instances européennes les rendent inexpulsables. Face au flot de migrants actuels et surtout à venir, il est urgent d’agir, et pour cela, des moyens existent.


Selon le paragraphe 4 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Parmi les droits-créances qu’il a proclamés, le Constituant de 1946 a mis en bonne place le droit d’asile. Mais ce droit était réservé à une catégorie bien particulière de personnes : les opposants politiques libéraux qui subissaient des persécutions de la part de régimes totalitaires ou autoritaires – on pense évidemment à l’URSS et aux démocraties dites populaires.

Un droit d’asile dévoyé qui attire les immigrants

On est bien loin aujourd’hui de cette philosophie fidèle aux valeurs de 1789 : islamistes tchétchènes, objecteurs de conscience turcs, ex-prostituées nigérianes, femmes appartenant à des tribus pratiquant l’excision, homosexuels d’un pays africain ou musulman, commerçants bangladais en proie à des conflits de voisinage « sans pouvoir se prévaloir de l’appui des autorités », apatrides, une bonne partie des Soudanais et des Afghans… ont tous droit à l’asile en France, en attendant que l’on accorde aussi un improbable statut de « réfugié climatique ».

Les conditions laxistes qui président à l’octroi du statut de réfugié – au sens de la convention de Genève de 1951 – ou de la « protection subsidiaire » – pour ceux qui ne répondent pas aux critères de cette convention, mais qui bénéficient de l’asile quand même – expliquent l’afflux d’immigrants vers la France et plus largement vers l’Europe. Obtenir l’asile, c’est en effet non seulement recevoir un titre de séjour (dix ans pour les réfugiés et leur famille), mais aussi bénéficier de conditions matérielles d’accueil avantageuses (l’allocation de demandeur d’asile et l’hébergement, puis le droit à la Sécurité sociale et à l’ensemble des aides prévues pour les nationaux).

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Et même en cas de rejet définitif de leur demande d’asile, soit après environ seize mois compte tenu des délais moyens de traitement des demandes, successivement par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et la Cour nationale du droit d’asile[1] (CNDA), les immigrés déboutés ne sont pas dénués de droits et de nouvelles voies de recours sur d’autres fondements. Ils peuvent ainsi demeurer inexpulsables en raison notamment de l’interprétation extensive de l’article 3 de la fameuse Convention européenne des droits de l’homme, dont l’objet initial était d’interdire la torture…[2]

Selon les données publiées par l’Ofpra, 103 000 demandes d’asile ont été introduites en 2021. C’est moins qu’en 2019, qui a marqué un record de 133 000 personnes, mais nous sommes toujours à un niveau historiquement élevé : dans les années 1970, le nombre de demandes d’asile n’a jamais dépassé 20 000 ! Depuis, la France subit une hausse tendancielle, qui ne s’est pas démentie sur la période la plus récente et qui risque de s’amplifier avec l’appel d’air que l’accueil de l’Ocean Viking à Toulon pourrait susciter.

Le taux d’octroi de la protection internationale ou « subsidiaire » est élevé en France : 25,9 % devant l’Ofpra, mais 38,9 % après recours (quasi systématique[3]) devant la Cour nationale du droit d’asile, qui refait le travail réalisé par l’Ofpra et dont les juges souhaitent parfois se montrer plus généreux[4]. Les immigrants ont en somme double chance d’avoir l’asile, au tirage ou au grattage.

Près de quatre demandeurs d’asile sur dix bénéficient de l’asile en France, sans compter les « mineurs non accompagnés » (qui bénéficient d’un droit au séjour au titre de l’aide sociale à l’enfance) et ceux qui bénéficient d’un asile de facto faute d’être renvoyés dans leur pays d’origine[5] – c’est évidemment une incitation forte à tenter sa chance en France.

La part des bénéficiaires de l’asile (protection conventionnelle ou subsidiaire) dans les motifs de l’octroi d’un titre de séjour a d’ailleurs augmenté ces dernières années pour s’établir depuis 2017 autour de 12 à 13 % – soit deux fois plus qu’entre 2007 et 2013. Mais si l’on considère que cette proportion cache des flux plus élevés de demandeurs qui ne sont en pratique pas refoulés et que ces flux deviennent des stocks, nous avons là une cause de l’immigration vraisemblablement aussi importante que l’immigration familiale, que l’asile nourrit d’ailleurs du fait du droit au regroupement familial généreusement garanti par la convention de Genève.

Un système d’asile intrinsèquement vicié

Notre pays, apparemment plus que d’autres États européens, semble désarmé face à la demande d’asile : obligation de traiter la demande de tout immigrant, sauf à ce qu’il relève de la compétence d’un autre État membre, obligation de suivre des règles de fond et de forme encadrées par des directives européennes et par la jurisprudence, demandes d’asile prises en charge non pas par les services du ministère de l’Intérieur, mais par une administration autonome (l’Ofpra) et en second rang directement par une cour qui officie comme juge de plein contentieux (au lieu de se contenter de dire si la décision de l’Ofpra est légale ou non), éloignement aléatoire des déboutés du droit d’asile…

Patrick Stefanini, ancien directeur de campagne de François Fillon lors de l’élection présidentielle de 2017, a dressé un tableau réaliste de la situation de l’immigration en France.[6] À cette occasion, il a formulé des propositions sur l’asile qui sont fort opportunes, mais dont il n’est pas certain qu’elles seraient suffisantes au vu de la situation catastrophique actuelle. D’accord pour mieux coordonner le traitement des demandes d’asile dans l’Union européenne, notamment pour éviter que les demandeurs déboutés dans un État membre puissent aller immédiatement frapper à la porte d’un autre État membre ! On peut également penser que les juges de la CNDA devraient être des magistrats permanents et en aucun cas des personnes désignées par le trop militant Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) de l’ONU – mais cela ne changera rien à la jurisprudence qu’ils sont tenus d’appliquer. Quant à l’idée d’imposer le dépôt des demandes d’asile aux frontières extérieures de l’Union européenne, cette solution n’est viable que pour autant que l’on refuse de prendre les demandes formulées en Europe même – ce que le droit conventionnel et le droit de l’Union ne permettent probablement pas.

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Sortir de la convention de Genève et fonder (ou pas) un nouveau système d’asile

Car là réside le nœud du problème pour les États qui souhaitent pouvoir décider souverainement des personnes qu’ils accueillent en leur sein, sans s’en remettre aveuglément à telle ou telle règle de droit ou jurisprudence. Pour que le législateur puisse refonder le système d’asile qu’il souhaite, par exemple un système qui serait plus fidèle à l’esprit du préambule de la Constitution de 1946 et qui serait soumis à des limites quantitatives drastiques, il n’y a pas d’autre choix, en premier lieu, que de dénoncer la convention de Genève de 1951 – ou, ce qui revient au même, son protocole de New York de 1967, qui en a étendu le champ d’application temporel et géographique.

En tant que telle, une telle dénonciation de ce qui n’est qu’une simple convention internationale est très simple sur le plan juridique. Mais elle n’est pas permise ou demeurerait sans effet pour les États membres de l’Union européenne, qui se sont engagés à développer une politique commune d’asile conforme à la convention de Genève (article 78 du traité sur le fonctionnement de l’UE).

Il faudrait donc également que l’Union révise le traité sur ce point ou, à tout le moins, adopte des dispositions plus restrictives pour faire face à la situation d’urgence que nous connaissons depuis au moins 2015. En l’état actuel des choses, il n’existe cependant pas de consensus en ce sens au niveau européen, de sorte qu’un État membre ne peut actuellement pas sortir du carcan du droit de l’asile – un droit qui s’est transformé en droit à l’asile. Dans le système actuel, ce sont les immigrants eux-mêmes, les passeurs et leurs auxiliaires associatifs qui ont la main sur le robinet de l’asile – pas les États.

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Un tel système, dans lequel des centaines de millions d’étrangers et même des peuples entiers ont un droit au séjour dans les États européens, pour peu qu’ils mettent un pied sur notre sol pour y introduire une demande d’asile, n’est évidemment pas viable. La crise des « migrants » de 2015 n’aurait jamais eu lieu si l’Europe ne s’était pas condamnée à l’impuissance et à l’acceptation de vagues migratoires aussi fortes soient-elles.

Plusieurs États souhaitent faire évoluer le système d’asile européen, tel le Danemark, dont le gouvernement de gauche milite contre l’accueil de demandeurs d’asile sur le sol européen, privilégiant des centres d’accueil en dehors de l’Union.[7] Dans ce contexte, la France pourrait peser de son poids pour obtenir une réforme si elle le voulait. N’oublions pas que ce sont les États et non l’Union européenne qui sont responsables de l’ordre et de la sécurité publiques, gravement menacés par la pernicieuse invasion migratoire que nous subissons.

Toutefois, si le statu quo conventionnel et européen devait perdurer, un gouvernement soucieux de juguler l’immigration ne serait malgré tout pas dépourvu de tout moyen d’action. En particulier, compte tenu de ses moyens diplomatiques (visas), militaires (accords de coopération), financiers publics (l’aide publique au développement) et privés (les fonds envoyés « au pays » par les diasporas présentes en France), qui sont autant de moyens de pression potentiels, on peut penser que notre pays a des marges de progression pour améliorer le taux d’exécution des décisions d’éloignement. L’État de droit, c’est aussi faire respecter ses décisions.


[1]. En 2021, le délai moyen de traitement est de 261 jours pour l’Ofpra et de sept mois et huit jours pour la CNDA (sources : rapports d’activité 2021 de l’Ofpra et de la CNDA).

[2]. On pense ainsi à ce Bangladais asthmatique dont la cour administrative d’appel de Bordeaux, par un arrêt du 18 décembre 2020, a annulé l’obligation de quitter le territoire français en raison de la difficulté à traiter son affection respiratoire au Bangladesh compte tenu des conditions climatiques qui y prévalent…

[3]. Le taux de recours contre les décisions de l’Ofpra s’est élevé à 83 % en 2021.

[4]. On se souvient que Abdouallakh Anzorov, le terroriste qui a décapité le professeur Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine le 16 octobre 2020, devait sa présence en France à une décision de la CNDA, qui avait accordé l’asile en 2011 à son père en raison de son engagement dans la guérilla tchétchène.

[5]. En 2020, la France a pris 108 395 décisions d’éloignement, dont seulement 6 930 ont été exécutées, soit un taux d’exécution de seulement 6,4 %. Ce taux était de 61,5 % en Pologne en 2021 (6 355 éloignements forcés) ou encore de 30,2 % en Suède en 2020 (4 930), pour une moyenne européenne de 18 % en 2020. Source : Eurostat (cf. https://ec.europa.eu/eurostat/web/migration-asylum/managed-migration/database ).

[6]. Immigration: ces réalités qu’on nous cache, Robert Laffont, 2020.

[7]. Le 9 septembre 2022, le Danemark et le Rwanda ont adopté une déclaration bilatérale en vue d’un accord dans le cadre duquel « les demandeurs d’asile arrivant au Danemark pourraient être transférés au Rwanda pour l’étude de leur dossier ».

Brésil : Lula gouvernera un champ de ruines

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Lula, condamné pour corruption et blanchiment d'argent, sera intronisé le 1er janvier 2023. www.fotoarena.com.br/Sipa USA/SIPA SIPAUSA30334725_000008

La défaite de Bolsonaro aux élections présidentielles a été reçue avec soulagement dans les grandes capitales occidentales. L’on y a célébré le « retour de la démocratie », feignant d’ignorer qu’il n’y a plus de démocratie au Brésil.


Pour faire sortir Bolsonaro, la démocratie brésilienne a été dynamitée, les institutions dévitalisées et l’Etat de droit liquidé. Fallait-il payer ce prix pour empêcher la réélection de Bolsonaro ?

Le chemin de Lula a été ouvert au bulldozer

Lula n’aurait jamais dû participer aux élections de cette année, car il aurait dû être en prison ! En 2018, il a été condamné à douze ans pour corruption et blanchiment d’argent. Les images de son incarcération ont fait le tour du monde et marquent la mémoire de tous les Brésiliens. Puis soudain, durant la pandémie, la Cour Suprême annule l’intégralité de la procédure et dédit tous les tribunaux qui ont déclaré Lula coupable (première instance, deuxième instance et cassation). Elle ne le déclare pas innocent, elle annule le procès en soi pour vice de forme. Cerise sur le gâteau : les crimes qui lui sont reprochés sont prescrits, Lula peut donc revenir dans le jeu, l’esprit tranquille.

En parallèle, la Cour Suprême se pique de poursuivre tous ceux qui la critiquent au motif de la lutte contre les fake news. En 2019, elle lance une méga-enquête sur les « actes antidémocratiques » et qui n’est rien d’autre qu’une chasse aux sorcières visant les adversaires de Lula. On incarcère des députés en plein exercice au mépris du principe d’immunité parlementaire, on emprisonne des blogueurs et on oblige d’autres à s’exiler aux Etats-Unis, on démonétise les canaux Youtube de droite, on perquisitionne au petit jour les domiciles de plusieurs patrons d’entreprise proches de Bolsonaro après avoir intercepté illégalement leurs échanges sur WhatsApp. Détail important : aucun texte légal n’autorise ces persécutions, la Constitution et le code pénal garantissant la liberté d’expression. Et pour aggraver le caractère illicite de la procédure, les avocats des prévenus n’ont pas accès au dossier ! Tout cela passe inaperçu durant la pandémie, le peuple étant sidéré par la peur du virus et les médias étant occupés à fustiger Bolsonaro et son opposition au masque et au confinement.

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Le coup d’état a été plus que parfait : aucune balle n’a été tirée, personne n’a rien vu.

Le covid ayant reflué, la dernière phase du projet « come back » de Lula se met en place. On est au début de l’année 2022 et la Cour Suprême émet plusieurs fatwas déclarant absolument inviolables les urnes électroniques qui seront utilisées lors du scrutin présidentiel du mois d’octobre. Mieux encore, elle interdit à quiconque de les auditer, à commencer par les candidats ou les autorités publiques compétentes. La presse aux ordres relaie bien entendu le message et taxe tous les sceptiques de complotistes et de négationnistes. Quand Bolsonaro exhibe un rapport émis par les instances qui gèrent les élections au Brésil et qui atteste d’un « hacking » avéré en 2018, les journalistes font l’autruche.

La suite des événements se résume à l’accélération des mesures vexatoires et clairement illégales inaugurées en 2019. La campagne se passe dans un climat surréaliste où il est interdit, sous peine d’amende, de rappeler aux électeurs les antécédents judiciaires de Lula. Les juges vont jusqu’à retirer des ondes une campagne appelant à la vaccination contre la polio au motif qu’elle pourrait créer de la sympathie pour le Ministre de la Santé, allié de Bolsonaro.

Le 30 octobre dernier, Lula a fini par gagner les élections avec 50,90 % des suffrages.  C’est peu au regard des coups de pouce qu’il a reçus.

Qui a le pouvoir ?

Autant de « miracles » ne peuvent être le seul fait de Lula ou de quelques juges de la Cour Suprême. Il est strictement impensable que des hommes désarmés et désargentés puissent suspendre l’Etat de droit et balayer du revers de la main trente ans de démocratie. Qui a manigancé la sortie de Lula de prison ? Qui a convaincu le Congrès de se soumettre aux diktats des juges qui empiétaient clairement sur ses attributions ? 

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L’idéologie ne suffit pas à expliquer l’alignement incroyable des volontés pour aplanir les obstacles devant le candidat de gauche. Qui est derrière tout cela ? Impossible de répondre, la presse donnant au public quelques figures à détester qui n’ont aucune espèce d’empire sur les volontés dans ce pays : pas de fortune, pas d’armes, pas de popularité. Il s’agit notamment des juges Alexandre de Moraes et Gilmar Mendes, membres de la Cour Suprême.

Lula fait comme si

Lula sera investi le 1er janvier prochain. Il fait comme si tout allait au mieux dans le meilleur des mondes. Il annonce ses ministres et esquisse ses grandes politiques, comme si le président de la République avait encore le pouvoir au Brésil.

A-t-il des garanties que les juges vont renoncer à leur coup d’Etat, par sympathie politique à son égard ou sur ordre des véritables maîtres du pays ?

Il est permis de le croire, voire de l’espérer car Lula, au moins, dispose d’une certaine légitimité populaire, pas les juges.

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De toute façon, un précédent a été établi et trop de lignes rouges ont été franchies. Le pire dans tout ça est qu’une grande partie de la jeunesse est d’accord. Elle a tellement peur de Bolsonaro, elle craint tellement les fake news qu’elle est prête à s’enchaîner volontairement. Elle incarne la servitude volontaire, assumée et criée sur tous les toits.

Quant aux intellectuels brésiliens, ils sont comme leurs confrères français : ils font carrière quitte à manger dans la main du Diable.  Ils avalisent la transformation du pays en une république bananière où les lois ne veulent rien dire. Ils cautionnent, sans s’en rendre compte forcément, la mue de l’Etat brésilien en un Etat criminel dirigé par un criminel condamné à de la prison ferme, un narco-Etat où un trafiquant de drogue a plus de chance d’avoir droit à un procès juste qu’un journaliste de droite.

Une chose est sûre cependant : le Brésil aime les surprises. Il n’est pas exclu qu’un coup de théâtre se produise dans les prochaines semaines, avant ou après l’investiture de Lula.

Stella est amoureuse : le teen-movie revisité

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Flavie Delangle, Benjamin Biolay et Marina Fois - Avant premiere du film Stella est amoureuse de Sylvie Verheyde, le 08/12/22 / ©SEBA/SIPA / 01096612_000022

La caméra tendre et pudique de Sylvie Verheyde ressuscite le Paris des années 80 et renouvelle la vision de l’adolescence.


Stella est amoureuse de Sylvie Verheyde est en salle depuis le 14 décembre. Ce teen movie qui est à la lisière du genre, est la suite de Stella, sorti en 2008. J’avais beaucoup aimé, à l’époque, ce film attachant et singulier. Je suis donc allée voir la suite, déjà conquise, et je ne fus pas déçue par le deuxième volet des aventures la petite Stella. Issue d’un milieu très populaire – ses parents tiennent un café au fin fond du XVIIème arrondissement – ce sont des gens du Nord, presque incultes mais diablement vivants. Stella, leur fille, qui évolue au milieu des alcooliques et de quelques paumés attachants (dont Guillaume Depardieu, dont ce fut un des derniers rôles, et il y est excellent), est sauvée par la carte scolaire. Elle entre en 6ème dans un bon lycée, elle fait tache, mais rencontre Gladys, fille de psychanalyste qui lui fait découvrir Lavilliers et Balzac, et lui permet de continuer sa scolarité dans ce lycée avec cette population dont elle ignore tout des codes, cette gamine qui assiste à des bagarres dans le café de ses parents et danse sur Sheila devant la télé.

Quand le teen-movie rencontre Pialat et Diane Kurys

Nous la retrouvons en terminale. La réalisatrice met en place le même dispositif que dans la cultissime Boum : une suite avec les mêmes protagonistes. Cependant Stella est amoureuse, s’il obéit à quelques règles du teen movie : les scènes de lycée, les histoires de coeur, les rapports avec les parents, trempe dans un réel parfois acide, quelquefois drôle, mais également oppressant. C’est La Boum qui rencontre Pialat qui rencontre Diabolo Menthe.

Tout le long du film, j’ai pensé à Passe ton bac d’abord, de Pialat. Les mêmes scènes de café, autour du flipper, caméra au poing, image un peu sale, les mêmes ados traînant leur désenchantement. Du film culte de Diane Kurys, nous retrouvons la bande de copines, les histoires de familles compliquées et l’ancrage dans une époque. Pour Stella est amoureuse, il s’agit des années 80, mais pas comme elles sont représentées dans La Boum, édulcorées et sages. Là nous sommes dans le réel. Ceux de ma génération, dont, comme moi, la principale préoccupation était la sortie en boîte du samedi soir, s’y retrouveront. Rien que de très classique, me direz vous, pour un teen movie.

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Paris, années 80

Cependant, dans Stella est amoureuse, la boite de nuit, ce sont les fameux Bains Douches, pour y entrer, il faut plaire à Farida, qui sélectionne les heureux élus. Nous sommes en plein dans le Paris branché des swinging 80’s. Stella et ses copines y participent de loin en décrochant le sésame. Stella y élut vite domicile. Mais point de gamines hystériques et de slows baveux. La jeune fille est toujours un peu ailleurs, elle observe, hiératique dans son mini short. Elle y est un peu comme à l’église, c’est un lieu saint, dans lequel elle observe un beau noir danseur de hip hop, à la fois avec admiration et suspicion.

On sent bien que les garçons, c’est compliqué pour elle. Elle connaît leurs injustices, leur violence parfois, elle les a observés dans le café. Les amants de sa mère, l’alcoolisme fatigué de son père, les attouchements qu’elle a certainement subis, suggérés, dans le premier volet, avec beaucoup de pudeur et de délicatesse.

Car la caméra de Sylvie Verheyde est à la fois pudique et rentre dedans, au plus près des corps, des visages, elle affectionne les gros plans. Les arrière-plans sont souvent flous, et il fait toujours gris dans ce Paris des années 80, filmé comme presque une ville de province dans laquelle on s’ennuie. Elle montre cependant, comme un kaléidoscope, des morceaux de ces années-là. Les jambes des filles, collants opaques et ballerines flashy, les visages aux lèvres rouges et aux yeux cernés d’eye liner, les coiffures soigneusement crêpées. Nous sommes bien à Paris, les looks sont sophistiqués. Mais la réalisatrice nous montre également cette scène, filmée comme un coup de poing (c’est le cas de le dire) : la violence des skinheads de l’époque, qui cherchaient à casser du noir et de l’arabe au coeur du quartier des Halles. Seul les plans qui ouvrent et ferment le film sont larges : les vacances en Italie, lumière aveuglante et garçons en Vespa, les filles accrochées derrière. La première fois. Sauf pour Stella qui n’a pas pu. Très habilement, Sylvie Verheyde fait des clins d’oeil à deux films cultes. On voit Sophie Marceau à la télévision, et, comme Charlotte Gainsbourg dans L’Effrontée, Stella veut jouer du piano. C’est bien le piano, elle sortirait de son milieu social.

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Elle a finalement une aventure et une première fois avec le danseur de hip hop. Le garçon est tendre et attentionné mais elle est toujours un peu ailleurs et méfiante.

Comme au théâtre, le film obéit à la règle de l’unité de lieu, d’action et de temps : le lycée et la boîte, l’année scolaire, les péripéties amoureuses et familiales, la complexité de l’adolescence, montrée dans le film avec beaucoup de justesse et de profondeur.

Cinéma français pas mort !

Un mot sur les acteurs qui sont tous parfaits : Marina Fois et Benjamin Biolay (très bon acteur), en les parents qui ont vieilli prématurément, quant à Stella, elle est interprétée par Flavie Délangie, impressionnante de violence contenue.

Ce film nous prouve que non, le cinéma français n’est pas mort, comme on le lit trop souvent dans ces colonnes. Il suffit d’être curieux, attentif, on y déniche de sacrées pépites. Mais certains n’y trouvent que ce qu’ils veulent bien y trouver, pour rester campés dans leurs certitudes déclinistes.

Le titre est cependant trompeur. Stella est-elle vraiment amoureuse ? Non, pour l’instant elle tâtonne, l’amour elle y « pensera demain ».

Stella est amoureuse de Sylvie Verheyde, en salle depuis le 14 décembre.

Portrait de l’écrivain en lecteur

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L'écrivain Frédéric Ferney. Hannah Assouline

Avec L’Amour de la lecture, Frédéric Ferney célèbre les livres comme les derniers refuge de l’homme libre. Un essai bref et lumineux.


Notre cher Frédéric Ferney nous offre un de ces petits livres brillants qui se révèlent, à la longue, des vade-mecum pour gros temps. Il est bon, parfois, de faire le point sur cette pratique de plus en plus scandaleuse, secrète, jouissive et mélancolique : la lecture. Ferney est l’homme idéal pour cela parce qu’il sait, sans pour autant virer réac, que la météo n’est pas favorable : « Non, ce n’était pas mieux avant, c’était juste un autre pays ».

Ce qui est certain, c’est que la lecture, pour Ferney, a l’avantage d’échapper à tous les pouvoirs, qu’elle est l’exercice d’une liberté inaliénable, qu’elle est, à une époque où se généralisent les écrans, le seul moment où l’on peut produire des images mentales qui n’appartiennent qu’à nous. Seule analogie possible pour parler de la lecture, la prière : « Lire, c’est prier dans le désert, faute de savoir crier ». Ce retour sur soi est suspect par essence. On subit une métamorphose, le lecteur, c’est Grégoire Samsa, premier choc de lecture pour l’élève Ferney, quand un instituteur imprudent lit les premières lignes du récit kafkaïen à la classe.

C’est que, pour lire, il faut un corps. C’est important, le corps en ce moment : on ne parle que de lui pour mieux le refouler. Alors, logiquement, Ferney qui fait de ce livre également un autoportrait de l’écrivain en lecteur, observe le corps des autres lecteurs. Il y a ainsi des pages délicieuses sur cette jeune fille qui lit sur une plage : « Lire, c’est quitter son corps et respirer dans le corps d’un autre. Le principal mode d’évasion – le seul permis en prison ».

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La lecture, c’est aussi la mémoire, que Ferney définit bien joliment comme une « espionne du cœur ». Attention, par forcément la mémoire de ce qu’on lit mais aussi la mémoire des circonstances d’une lecture. C’est le double effet de la littérature : l’évasion parfaite, mais aussi les retrouvailles avec sa propre histoire, ses propres souvenirs. On trouve ce phénomène aussi bien chez Perec que chez Proust.

On ne trouvera pas cependant dans L’Amour de la lecture des conseils pour une bibliothèque idéale. Certes, à la fin du livre, il y a de bien jolis morceaux de bravoure sur « Molière amoureux », sur Conrad et la peur, sans compter un délicieux entretien imaginaire avec Philip Roth et une très émouvante lettre que Camille Claudel aurait pu, ou aurait dû écrire à son frère Paul : « Sous ton meilleur jour, tu es du côté de ceux qui ont un cœur et de grosses mains. Moi aussi, mais les miennes sont plus petites. Tu réclames ta part, celle du lion. » Certes, notre cicérone littéraire s’inquiète de la disparition précoce – dès la fin du Moyen Âge– du merveilleux dans la littérature française qui ne nous laisse plus que le choix « entre Sade et l’Oulipo : jouir, en parler ; parler, en jouir puisque tout est langage ».

Mais le vrai propos de Frédéric Ferney est ailleurs : parce qu’il fait voyager, parce qu’il change notre rapport au monde, parce qu’il offre, à portée de main, la possibilité de toutes les sécessions heureuses, il prouve que l’amour de la lecture, au bout du compte, c’est l’amour tout court.

Frédéric Ferney, L’Amour de la lecture, Albin Michel, 2022.

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« Le niveau non pas des élèves mais des enseignants est en train de baisser cruellement »

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Jean-Paul Brighelli / Capture d'écran YouTube d'une vidéo de la chaine Sud Radio, du 25/03/22

Non, cette phrase n’est pas tirée d’une déclaration à l’emporte-pièce de notre polémiste favori : c’est Pierre Arditi, indéfectible soutien de la gauche depuis toujours, qui l’a lancée sur Europe 1, répondant à une question de Sonia Mabrouk. Tiens ! Les certitudes de la gauche bobo-caviar s’effriteraient-elles ? se demande notre chroniqueur.


 « Les enseignants, c’est capital, c’est eux qui vont faire les femmes et les hommes de demain », rappelle encore Arditi. Et d’évoquer ce prof qui jadis l’initia à la littérature en général et à Stendhal en particulier. Alors, Pierre, c’était mieux avant ?

Ce n’est pas un énième épisode de « prof bashing » comme on dit chez les pédagos syndicalistes en bon français. C’est la réalité qui, chassée par la porte durant trente années de pédagogisme aigu, d’idéologie contre-productive et de bonnes intentions délétères, revient par la fenêtre. Oui, le niveau des élèves, dont toutes les études prouvent qu’il ne cesse de sombrer dans les abysses, est dépendant du niveau des enseignants. Quand ces derniers ont été conditionnés dans des IUFM / ESPE / INESPE (barrez les sigles anciens en fonction de votre entrée dans le métier après une année d’intoxication pédagogique) où on leur a appris la « didactique » — apprendre à apprendre, tarte à la crème des mauvais profs — et non des savoirs réels, on ne peut attendre qu’ils enseignent à leurs élèves autre chose que leur propre ignorance. Et plus le niveau d’une classe est bas, plus il baisse. On fabrique des crétins, on parle pour eux, et on finit par s’aligner sur le niveau des plus faibles. Carton plein.

J’ai tenté d’expliquer cela mercredi dernier à Pascal Praud, au cours d’une émission matinale quelque peu saucissonnée par l’actualité, les pubs et les impératifs d’emploi du temps de tel ou tel intervenant. C’est à partir de la 41ème minute. Pas le temps d’expliquer vraiment, pas le temps de parler de cet indicateur sûr que fut le tout récent concours des professeurs des écoles, dont Caroline Beyer faisait dans Le Figaro du 15 décembre une analyse consternée. On se rappelle que le ministère, faute de candidats en nombre suffisant pour que ce concours en soit encore un, avait exceptionnellement rallongé de quelques semaines la date d’inscription— du jamais vu.

Le sujet proposé en Français était bien choisi, avec un texte d’une cinquantaine de vers de Victor Hugo — un poème très simple, de la prose familière mise en alexandrins, tiré de L’art d’être grand-père et s’adressant fictivement aux deux petits-enfants, Georges et Jeanne, dont la mort soudaine de son fils Charles lui avait valu la garde. Le lecteur curieux trouvera ici le texte complet, et les questions afférentes, auxquelles un petit niveau de Certificat d’Etudes des années 1960 permettait de répondre.

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Et Caroline Beyer de s’étonner : « [Les candidats] devaient notamment expliquer le mot « chancelants », qualifiant les petits-enfants du poète qui, âgés de moins de 2 ans, vacillent encore sur leurs jambes. « Ce terme a donné lieu à bon nombre d’interprétations fantaisistes », euphémise le jury de l’académie d’Amiens, avant de livrer un petit florilège. « Qui chante bien, chanceux, qui fait de la magie, pas sage, qui génère de la lumière ». Certains ont même tenté d’expliquer que le mot relevait de la famille de « chancelier » ».

Quant à l’épreuve de syntaxe proprement dite… « Dans les vers « Jugez comme cela disperse mes pensées » et « Je distingue ébloui l’ombre que font les palmes », les candidats devaient par exemple identifier trois pronoms. Si « je » l’a été aisément, « cela » et « que » n’ont pas souvent été repérés ». « Par ailleurs, de nombreux candidats ont analysé le  « l’ » comme pronom », indique une Académie ». Cela compense ceux qui — cela m’est arrivé en Hypokhâgne, la crème de la crème — croient que dans « Je les plante », « les » est un article, et non un pronom, et écrivent bravement « Je les plantes » — vertes, sans doute, les plantes…

Aussi, quelle idée de tendre des pièges… « Que » n’est-il pas toujours une conjonction ? Comment dites-vous ? « Pronom relatif » ? Heu… Mais encore ?

Demandez à un élève de Seconde ou de Première s’il a un jour étudié les pronoms relatifs. Et si ça n’a pas été fait avant — et il faudrait, comme autrefois, le faire en Primaire —, il n’y a aucune chance que ce soit fait après, les profs de Fac campent sur une dignité qui ne les autorise pas à condescendre à expliquer l’orthographe et la grammaire.

Mais ce sont là des valeurs bourgeoises. Comme le soulignait Eric Naulleau chez Pascal Praud dans l’émission sus-citée, la réprobation qui depuis trente ans frappe le « par cœur », explique que les enfants (et les ex-enfants) ne sachent ni la grammaire, ni les tables de multiplication. Ni la chronologie historique, ni rien. Français, Maths et Histoire-Géographie sont les trois grands oubliés des programmes imposés sous l’ineffable Vallaud-Belkacem. Sans doute s’était-elle considérée comme le modèle de savoir… Et je regrette fort que Jean-Michel Blanquer, qui avait pourtant nommé à la tête du Conseil Supérieur des Programmes une femme remarquable, Souâd Ayada (que Pap N’Diaye s’est dépêché d’appeler à d’autres fonctions, comme on dit, et a nommée à la tête de l’Institut d’islamologie, dans l’espérance qu’elle contrariera, laïque qu’elle est, l’entrisme des islamistes), n’ait pas trouvé en cinq ans le temps de réformer à son tour des programmes délétères.

A lire aussi: De la sortie scolaire, schibboleth du pédagogisme.

Il est vrai que les tentatives de Blanquer pour imposer, par exemple à Paris, une méthode alpha-syllabique d’apprentissage de la lecture ont été taxées par le SNUIPP, syndicat archi-dominant du Primaire, de « caporalisme ». Ce même syndicat, commentant à son tour les résultats cocasses et catastrophiques du récent concours de Professeur des Ecoles, a jugé indigne « ce recentrage sur le français et les maths et l’absence d’épreuves professionnalisantes ».

Parce qu’il faut dire toute la vérité : on ne peut passer ce concours qu’à Bac+5, après un master 2. Si possible un Master MEEF, consacré aux métiers de l’enseignement. Eh bien, les titulaires dudit sésame se sont plantés magnifiquement, comme les petits copains. Comment ? On n’apprend pas les fondamentaux dans les IUFM / ESPE / INSPE ? Heu… Et les gens qui y enseignent ne sont pas révoqués ? Eh non.

Ni condamnés à aller planter le riz en Camargue pendant quelques années. Ça leur donnerait pourtant le temps d’apprendre les conjugaisons (les candidats confondent l’imparfait et le présent du conditionnel) et les tables de multiplication : un âne multiplié par deux = deux néoprofs.

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La Champagne, terre de cuvées

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Le domaine Alain Bernard, au village de Dizy, une affaire de famille : Benoit, Isabelle et leur fils Pierre Bernard / © Hannah Assouline

Non loin d’Épernay, le domaine Alain Bernard perpétue le travail de la vigne à l’ancienne. Avec ses chevaux de trait et ses caves de fûts de chêne, il est encore l’un des rares à élaborer ses propres champagnes. Une production confidentielle à partager entre amateurs.


Bien avant que Macron et Hidalgo chantent les mérites du « Grand Paris », la Champagne, toute proche, était déjà le jardin de la capitale puisque les rois de France allaient se faire sacrer à la cathédrale de Reims et que le vignoble de la vallée de la Marne (fief historique du pinot meunier, un cépage champenois qu’on ne trouve nulle part ailleurs) n’est qu’à 80 km de la place de la Bastille…

Ces dernières années, la Champagne a opéré une mue en profondeur qui en fait certainement à ce jour le vignoble le plus passionnant de la planète. Plus on y va, plus on est fasciné par ses paysages et ses savoir-faire uniques au monde transmis de génération en génération. Le champagne industriel est toujours là, certes, issu de vignes nourries aux engrais et que l’on fait « pisser » pour avoir un maximum de rendement, mais c’est ce qui se passe autour qui attire notre attention et nous convainc qu’il existe un « pays réel » bien vivant, plein de ressources et de talents, qui dépasse de loin la représentation morbide et mortifère qu’en donnent les médias, les sociologues et les statisticiens… Pour des raisons de santé mentale, les Français n’écoutent plus les infos ? Normal. La voix des speakerines est devenue un tantinet agressive et anxiogène (toujours la même diction, le même ton, et si l’apocalypse est sûre, à quoi bon s’informer ?).

Allons donc sentir la lumière et les parfums de la Champagne, ceux de ses terres crayeuses farcies de coquillages et de ses forêts de chênes plantées par Colbert pour construire nos vaisseaux.

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D’abord, on découvre une région où l’on mange souvent mieux qu’à Paris, comme à Reims, où Arnaud Lallement (à l’Assiette Champenoise) et Philippe Mille (Les Crayères) sont au firmament de leur créativité. À Épernay, il faut attendre des semaines pour espérer déguster une côte de bœuf grillée au feu de bois à La Grillade Gourmande (tenue par le chef Christophe Bernard qui était autrefois chez Ducasse à Monaco). Et n’oublions pas les petits villages oubliés, comme celui de Dormans, où Sylvain Suty, originaire du Jura, redonne vie à une cuisine française savoureuse qui privilégie les sauces et les cuissons lentes à l’ancienne… Américains, Allemands, Belges, Italiens et Japonais venus faire leurs emplettes ne s’y trompent pas : ils évitent désormais Paris pour aller directement s’immerger en Champagne où ils ont le sentiment de retrouver la France de Charles Trenet !

S’agissant du vin, il n’est pas excessif de parler de révolution : au début des années 1960, la Champagne entre dans l’ère de l’industrie viticole, le tracteur remplace le cheval, le Round-Up la binette et la grande cuve en inox le petit fût de chêne traditionnel (on compte alors 150 tonnelleries champenoises contre une seule aujourd’hui). Soixante ans après, c’est l’inverse ! Les vignerons reviennent au cheval (qui offre l’avantage de ne pas tasser les sols) et au fût de chêne (qui permet au vin de se concentrer et de développer des notes d’épices, de fruits et parfois de vanille et de chocolat). Sur les 15 000 vignerons que compte la Champagne, l’immense majorité se contente de produire et de vendre du raisin aux grandes maisons de négoce (Moët & Chandon, Taittinger, Ruinart…) qui représentent à elles seules 90 % des exportations. Une poignée de vignerons (appelés « récoltants-manipulants ») cultivent encore leurs vignes afin d’élaborer leurs propres champagnes.

Parmi eux, on découvre chaque année de nouveaux talents qui ont su redonner vie à leurs terres et qui sculptent des vins parfois éblouissants. Comme les sommeliers parisiens (qui travaillent toujours avec les mêmes maisons) ne vont pas à leur rencontre, ce sont les marchands étrangers qui les découvrent et achètent l’essentiel de leurs nectars (qui, pour cette raison, sont introuvables chez nous !).

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Ainsi, au village de Dizy (à 4,6 km d’Épernay), le domaine Alain Bernard nous ramène-t-il à une France que l’on croyait disparue. À l’intérieur, les photos des Tontons flingueurs ornent tous les murs. Benoît, le père, prépare une délicieuse purée de pommes de terre dans sa cuisine équipée d’une magnifique La Cornue. On a le sentiment d’être dans une émission du « Petit Rapporteur », quand Jacques Martin, Daniel Prévost, Stéphane Collaro, Pierre Desproges et Pierre Bonte s’en allaient à la rencontre de la France profonde. La gentillesse et l’hospitalité de cette famille contrastent avec la froideur de bien des maisons qui ont pignon sur rue ! En débouchant leur cristallin champagne premier cru (issu d’une parcelle de chardonnay labourée par leurs chevaux des Ardennes, Victor et Violette), Isabelle Bernard, un brin coquine, nous apprend que la légendaire abbaye d’Hauvillers (que l’on aperçoit au loin et pour laquelle travaillaient les ancêtres de son mari Benoît) était autrefois connue pour les mœurs de ses moines bénédictins : « Ils avaient le droit de cuissage sur les jeunes filles de la région, mais cela ne gênait personne à l’époque. En regardant Benoît, je me demande s’il n’est pas un descendant de Dom Pérignon car il lui ressemble beaucoup ! »

Pourquoi donc conseiller ce petit domaine de huit hectares dont personne ne parle ? Précisément parce que personne n’en parle ! Les champagnes des Bernard sont introuvables à Paris, alors que leur coteaux-champenois rouge (vin tranquille) est, à mon avis, le plus exceptionnel qui soit. Ces vignerons méticuleux et précis sont les seuls à érafler à la main les grappes de pinot noir sur un tamis en osier… Quel fruit ! Autre joyau, leur rosé de saignée (les peaux des raisins noirs ont macéré dans le jus) est produit uniquement sur les grandes années : « C’est un champagne plein de sève et de tannins qu’il faut mettre en carafe pour développer ses parfums », nous conseille Benoît.

Non filtrés et très peu dosés, la plupart de leurs vins sont élevés dix mois dans des fûts de chêne de la forêt d’Argonne et de la montagne de Reims, fabriqués sur mesure pour eux par le dernier tonnelier du pays, Jérôme Viard. En les buvant à petites gorgées, on sent le vrai goût de la craie, avec son côté iodé et salin…

Domaine Alain Bernard, 116, rue Danielle Casanova, 51530 Dizy

Infos et boutique en ligne : www.champagne-alain-bernard.com