Accueil Édition Abonné Décembre 2022 Le droit à la France

Le droit à la France

Pour que le législateur puisse refonder le système d’asile, il faut dénoncer la convention de Genève de 1951.


Le droit à la France
Le député LFI François Piquemal vient apporter son soutien à de jeunes migrants installés dans le centre-ville de Toulouse, 29 août 2022. Alain Pitton/NurPhoto via AFP

Le droit d’asile est si dévoyé que les habitants de pays où il ne fait simplement pas bon vivre peuvent prétendre au statut de réfugié. Et même déboutés, nos lois et les instances européennes les rendent inexpulsables. Face au flot de migrants actuels et surtout à venir, il est urgent d’agir, et pour cela, des moyens existent.


Selon le paragraphe 4 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Parmi les droits-créances qu’il a proclamés, le Constituant de 1946 a mis en bonne place le droit d’asile. Mais ce droit était réservé à une catégorie bien particulière de personnes : les opposants politiques libéraux qui subissaient des persécutions de la part de régimes totalitaires ou autoritaires – on pense évidemment à l’URSS et aux démocraties dites populaires.

Un droit d’asile dévoyé qui attire les immigrants

On est bien loin aujourd’hui de cette philosophie fidèle aux valeurs de 1789 : islamistes tchétchènes, objecteurs de conscience turcs, ex-prostituées nigérianes, femmes appartenant à des tribus pratiquant l’excision, homosexuels d’un pays africain ou musulman, commerçants bangladais en proie à des conflits de voisinage « sans pouvoir se prévaloir de l’appui des autorités », apatrides, une bonne partie des Soudanais et des Afghans… ont tous droit à l’asile en France, en attendant que l’on accorde aussi un improbable statut de « réfugié climatique ».

Les conditions laxistes qui président à l’octroi du statut de réfugié – au sens de la convention de Genève de 1951 – ou de la « protection subsidiaire » – pour ceux qui ne répondent pas aux critères de cette convention, mais qui bénéficient de l’asile quand même – expliquent l’afflux d’immigrants vers la France et plus largement vers l’Europe. Obtenir l’asile, c’est en effet non seulement recevoir un titre de séjour (dix ans pour les réfugiés et leur famille), mais aussi bénéficier de conditions matérielles d’accueil avantageuses (l’allocation de demandeur d’asile et l’hébergement, puis le droit à la Sécurité sociale et à l’ensemble des aides prévues pour les nationaux).

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Et même en cas de rejet définitif de leur demande d’asile, soit après environ seize mois compte tenu des délais moyens de traitement des demandes, successivement par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et la Cour nationale du droit d’asile[1] (CNDA), les immigrés déboutés ne sont pas dénués de droits et de nouvelles voies de recours sur d’autres fondements. Ils peuvent ainsi demeurer inexpulsables en raison notamment de l’interprétation extensive de l’article 3 de la fameuse Convention européenne des droits de l’homme, dont l’objet initial était d’interdire la torture…[2]

Selon les données publiées par l’Ofpra, 103 000 demandes d’asile ont été introduites en 2021. C’est moins qu’en 2019, qui a marqué un record de 133 000 personnes, mais nous sommes toujours à un niveau historiquement élevé : dans les années 1970, le nombre de demandes d’asile n’a jamais dépassé 20 000 ! Depuis, la France subit une hausse tendancielle, qui ne s’est pas démentie sur la période la plus récente et qui risque de s’amplifier avec l’appel d’air que l’accueil de l’Ocean Viking à Toulon pourrait susciter.

Le taux d’octroi de la protection internationale ou « subsidiaire » est élevé en France : 25,9 % devant l’Ofpra, mais 38,9 % après recours (quasi systématique[3]) devant la Cour nationale du droit d’asile, qui refait le travail réalisé par l’Ofpra et dont les juges souhaitent parfois se montrer plus généreux[4]. Les immigrants ont en somme double chance d’avoir l’asile, au tirage ou au grattage.

Près de quatre demandeurs d’asile sur dix bénéficient de l’asile en France, sans compter les « mineurs non accompagnés » (qui bénéficient d’un droit au séjour au titre de l’aide sociale à l’enfance) et ceux qui bénéficient d’un asile de facto faute d’être renvoyés dans leur pays d’origine[5] – c’est évidemment une incitation forte à tenter sa chance en France.

La part des bénéficiaires de l’asile (protection conventionnelle ou subsidiaire) dans les motifs de l’octroi d’un titre de séjour a d’ailleurs augmenté ces dernières années pour s’établir depuis 2017 autour de 12 à 13 % – soit deux fois plus qu’entre 2007 et 2013. Mais si l’on considère que cette proportion cache des flux plus élevés de demandeurs qui ne sont en pratique pas refoulés et que ces flux deviennent des stocks, nous avons là une cause de l’immigration vraisemblablement aussi importante que l’immigration familiale, que l’asile nourrit d’ailleurs du fait du droit au regroupement familial généreusement garanti par la convention de Genève.

Un système d’asile intrinsèquement vicié

Notre pays, apparemment plus que d’autres États européens, semble désarmé face à la demande d’asile : obligation de traiter la demande de tout immigrant, sauf à ce qu’il relève de la compétence d’un autre État membre, obligation de suivre des règles de fond et de forme encadrées par des directives européennes et par la jurisprudence, demandes d’asile prises en charge non pas par les services du ministère de l’Intérieur, mais par une administration autonome (l’Ofpra) et en second rang directement par une cour qui officie comme juge de plein contentieux (au lieu de se contenter de dire si la décision de l’Ofpra est légale ou non), éloignement aléatoire des déboutés du droit d’asile…

Patrick Stefanini, ancien directeur de campagne de François Fillon lors de l’élection présidentielle de 2017, a dressé un tableau réaliste de la situation de l’immigration en France.[6] À cette occasion, il a formulé des propositions sur l’asile qui sont fort opportunes, mais dont il n’est pas certain qu’elles seraient suffisantes au vu de la situation catastrophique actuelle. D’accord pour mieux coordonner le traitement des demandes d’asile dans l’Union européenne, notamment pour éviter que les demandeurs déboutés dans un État membre puissent aller immédiatement frapper à la porte d’un autre État membre ! On peut également penser que les juges de la CNDA devraient être des magistrats permanents et en aucun cas des personnes désignées par le trop militant Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) de l’ONU – mais cela ne changera rien à la jurisprudence qu’ils sont tenus d’appliquer. Quant à l’idée d’imposer le dépôt des demandes d’asile aux frontières extérieures de l’Union européenne, cette solution n’est viable que pour autant que l’on refuse de prendre les demandes formulées en Europe même – ce que le droit conventionnel et le droit de l’Union ne permettent probablement pas.

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Sortir de la convention de Genève et fonder (ou pas) un nouveau système d’asile

Car là réside le nœud du problème pour les États qui souhaitent pouvoir décider souverainement des personnes qu’ils accueillent en leur sein, sans s’en remettre aveuglément à telle ou telle règle de droit ou jurisprudence. Pour que le législateur puisse refonder le système d’asile qu’il souhaite, par exemple un système qui serait plus fidèle à l’esprit du préambule de la Constitution de 1946 et qui serait soumis à des limites quantitatives drastiques, il n’y a pas d’autre choix, en premier lieu, que de dénoncer la convention de Genève de 1951 – ou, ce qui revient au même, son protocole de New York de 1967, qui en a étendu le champ d’application temporel et géographique.

En tant que telle, une telle dénonciation de ce qui n’est qu’une simple convention internationale est très simple sur le plan juridique. Mais elle n’est pas permise ou demeurerait sans effet pour les États membres de l’Union européenne, qui se sont engagés à développer une politique commune d’asile conforme à la convention de Genève (article 78 du traité sur le fonctionnement de l’UE).

Il faudrait donc également que l’Union révise le traité sur ce point ou, à tout le moins, adopte des dispositions plus restrictives pour faire face à la situation d’urgence que nous connaissons depuis au moins 2015. En l’état actuel des choses, il n’existe cependant pas de consensus en ce sens au niveau européen, de sorte qu’un État membre ne peut actuellement pas sortir du carcan du droit de l’asile – un droit qui s’est transformé en droit à l’asile. Dans le système actuel, ce sont les immigrants eux-mêmes, les passeurs et leurs auxiliaires associatifs qui ont la main sur le robinet de l’asile – pas les États.

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Un tel système, dans lequel des centaines de millions d’étrangers et même des peuples entiers ont un droit au séjour dans les États européens, pour peu qu’ils mettent un pied sur notre sol pour y introduire une demande d’asile, n’est évidemment pas viable. La crise des « migrants » de 2015 n’aurait jamais eu lieu si l’Europe ne s’était pas condamnée à l’impuissance et à l’acceptation de vagues migratoires aussi fortes soient-elles.

Plusieurs États souhaitent faire évoluer le système d’asile européen, tel le Danemark, dont le gouvernement de gauche milite contre l’accueil de demandeurs d’asile sur le sol européen, privilégiant des centres d’accueil en dehors de l’Union.[7] Dans ce contexte, la France pourrait peser de son poids pour obtenir une réforme si elle le voulait. N’oublions pas que ce sont les États et non l’Union européenne qui sont responsables de l’ordre et de la sécurité publiques, gravement menacés par la pernicieuse invasion migratoire que nous subissons.

Toutefois, si le statu quo conventionnel et européen devait perdurer, un gouvernement soucieux de juguler l’immigration ne serait malgré tout pas dépourvu de tout moyen d’action. En particulier, compte tenu de ses moyens diplomatiques (visas), militaires (accords de coopération), financiers publics (l’aide publique au développement) et privés (les fonds envoyés « au pays » par les diasporas présentes en France), qui sont autant de moyens de pression potentiels, on peut penser que notre pays a des marges de progression pour améliorer le taux d’exécution des décisions d’éloignement. L’État de droit, c’est aussi faire respecter ses décisions.


[1]. En 2021, le délai moyen de traitement est de 261 jours pour l’Ofpra et de sept mois et huit jours pour la CNDA (sources : rapports d’activité 2021 de l’Ofpra et de la CNDA).

[2]. On pense ainsi à ce Bangladais asthmatique dont la cour administrative d’appel de Bordeaux, par un arrêt du 18 décembre 2020, a annulé l’obligation de quitter le territoire français en raison de la difficulté à traiter son affection respiratoire au Bangladesh compte tenu des conditions climatiques qui y prévalent…

[3]. Le taux de recours contre les décisions de l’Ofpra s’est élevé à 83 % en 2021.

[4]. On se souvient que Abdouallakh Anzorov, le terroriste qui a décapité le professeur Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine le 16 octobre 2020, devait sa présence en France à une décision de la CNDA, qui avait accordé l’asile en 2011 à son père en raison de son engagement dans la guérilla tchétchène.

[5]. En 2020, la France a pris 108 395 décisions d’éloignement, dont seulement 6 930 ont été exécutées, soit un taux d’exécution de seulement 6,4 %. Ce taux était de 61,5 % en Pologne en 2021 (6 355 éloignements forcés) ou encore de 30,2 % en Suède en 2020 (4 930), pour une moyenne européenne de 18 % en 2020. Source : Eurostat (cf. https://ec.europa.eu/eurostat/web/migration-asylum/managed-migration/database ).

[6]. Immigration: ces réalités qu’on nous cache, Robert Laffont, 2020.

[7]. Le 9 septembre 2022, le Danemark et le Rwanda ont adopté une déclaration bilatérale en vue d’un accord dans le cadre duquel « les demandeurs d’asile arrivant au Danemark pourraient être transférés au Rwanda pour l’étude de leur dossier ».

Décembre 2022 - Causeur #107

Article extrait du Magazine Causeur




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Juriste

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